PTD 66: Catherine Ulrich-Tapparel. Une catéchèse dans le style de l’accompagnement

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Théologie Pratique en Dialogue Praktische Theologie im Dialog

Collection fondée par Leo Karrer Dirigée par François-Xavier Amherdt et Salvatore Loiero Volume 66


Catherine Ulrich-Tapparel

UNE CATÉCHÈSE DANS LE STYLE DE L’ACCOMPAGNEMENT Soutenir l’authentique identité humaine et spirituelle de l’enfant Préface de François-Xavier Amherdt

Schwabe Verlag


Thèse présentée à la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg (Suisse) pour obtenir le grade de docteur, sous la direction de Prof. ord. Dr. Dr. habil. François-Xavier Amherdt. L’étape de la prépresse de cette publication a été soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International ( ) Toute exploitation commerciale par des tiers nécessite l'accord préalable de la maison d'édition.

Information bibliographique de la Deutsche Nationalbibliothek La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie; les données bibliographiques détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.dnb.de. © 2024 Catherine Ulrich-Tapparel, publié par Schwabe Verlag Basel, Schwabe Verlagsgruppe AG, Basel, Schweiz. Conception de la couverture: icona basel gmbh, Basel Couverture: Kathrin Strohschnieder, STROH Design, Oldenburg Composition: Dörlemann Satz, Lemförde Impression: Hubert & Co., Göttingen Printed in Germany ISBN Livre imprimé 978-3-7965-4962-5 ISBN eBook (PDF) 978-3-7965-4969-4 DOI 10.24894/978-3-7965-4969-4 L’e-book est identique à la version imprimée et permet la recherche plein texte. En outre, la table des matières et les titres sont reliés par des hyperliens. rights@schwabe.ch www.schwabe.ch


Préface Une approche sérieuse pour une thématique profonde et spirituelle C’est la méthodologie empirique rigoureuse, éthiquement irréprochable et respectueuse de la dignité et de la liberté des enfants, que nous pouvons mettre particulièrement en évidence à propos du présent ouvrage. Catherine Ulrich-Tapparel (CUT) a procédé à une enquête auprès de 8 groupes de 66 enfants en tout, dans 4 cantons romands, utilisant 3 itinéraires catéchétiques différents, avec des observations et 40 entretiens individuels. Sa grille d’entretien s’est ajustée au fur et à mesure de la procédure et elle a permis aux enfants d’exprimer leur ressenti au moyen d’émoticônes, en plus de la parole orale. CUT a bénéficié des avis scientifiques du professeur de psychologie de l’Université de Lausanne, Pierre-Yves Brandt, un grand spécialiste de la spiritualité des enfants, et du Laboratoire doctoral en théologie pratique de nos trois Facultés, de Genève avec Élisabeth Parmentier et de Lausanne avec Olivier Bauer. L’Auteure (A.) a mis à profit ses différentes formations, avec une licence en lettres à Zürich, sa double formation théologique à l’IPER de Lyon et à l’IFM de Fribourg, sa formation comme accompagnatrice spirituelle à l’AASPIR et ses activités et responsabilités catéchétiques au niveau du canton de Genève, pour faire pleinement jouer l’interdisciplinarité dans son travail. Celui-ci est ainsi une véritable démarche en théologie pratique, et il valorise la dimension spirituelle de la catéchèse, ainsi que le préconise le Directoire pour la catéchèse (DpC) de 2020. Nous pouvons également souligner l’étude sérieuse que C. Ulrich-Tapparel a menée pour examiner la recherche interdisciplinaire, psychologique et théologique, sur le développement de l’enfant, avec les diverses théories des stades et des processus de ce déploiement, et les apports des neurosciences neurobiologiques. CUT a également retenu les conceptions de la spiritualité naturelle et innée de l’enfant, selon notamment Sofia Cavaletti (la catéchèse du Bon Berger, inspirée de Maria Montessori), Rebecca Nye et la Québécoise Élaine Champagne.

Une grande cohésion autour de 6 dimensions de l’identité de l’enfant Nous souhaitons aussi mettre en valeur la grande cohésion de la thèse de CUT, grâce aux 6 dimensions intrinsèques de l’identité humaine et spirituelle de l’enfant, considéré comme


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Préface

un être intégral, corps, âme-cœur et esprit, créé à l’image de Dieu : l’enfant comme un être de relation / de désir / en devenir / confronté à l’inquiétude fondamentale/ ouvert au monde / sensible au mystère et à la Transcendance. Cela permet à l’A. d’établir des hypothèses pour ses observations durant l’enquête selon ces 6 dimensions et ses interviews. Elle a collecté ces données dans le corpus mis en ligne en complément du livre papier. CUT a analysé ces données et en a tiré des implications et des principes fondamentaux pour la catéchèse, toujours selon ces 6 axes : 1) l’importance de favoriser les relations dans une communauté bienveillante, inspirée des liens dans la Bible ; 2) la nécessité d’encourager la curiosité et le désir d’apprendre des enfants, notamment en donnant à sentir, à connaître et à vivre la Parole de Dieu ; 3) l’attention à donner pour accompagner le cheminement personnel des petits et la mise en place de valeurs, à travers la créativité, l’imagination et le jeu, et l’identification aux personnages bibliques ; 4) l’importance d’entendre les préoccupations existentielles, les difficultés des enfants à s’exprimer, leurs peurs, leurs angoisses et leurs colères, en témoignant d’un Dieu révélé et incarné ; 5) l’utilité de susciter l’ouverture au monde, par l’éveil à la contemplation et le soin envers la création reçue de Dieu ; 6) la nécessité de favoriser la vie intérieure des bambins, notamment par la prière, la liturgie, la bénédiction et les gestes symboliques, ainsi que le prévoit la méthode Godly Play.

Les fruits de l’Esprit La valeur de cet ouvrage tient donc d’abord à la qualité de sa méthodologie. L’A. sait ainsi reconnaître les limites de certaines de ses hypothèses, concernant par exemple l’expression des enfants quant à leur capacité d’adhérer à leur présent, de se mettre en lien avec le cosmos et d’établir une relation personnelle avec Dieu. Le vaste corpus n’a pas encore livré tous ses fruits et pourrait être utilisé à partir d’autres approches, par le recours notamment à des mesures scientifiques quantitatives et par la prise en compte du milieu des enfants et de leur rapport aux textes bibliques. L’A. souligne que des suites à son enquête pourraient être envisagées en appliquant le même protocole à des groupes catéchétiques protestants et œcuméniques et en généralisant la pratique de la bénédiction. Les catéchistes auxquels l’A. a déjà soumis ses résultats ont été très intéressées par l’importance donnée par les enfants à leur propre témoignage d’adultes et par les réflexions théologiques des petits.


Préface

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L’A. sait mettre en évidence les balises à donner aux enfants, d’où ils peuvent déduire des repères pour se situer, notamment pour la question du mal, du péché et du pardon. Cette voie peut continuer d’être explorée. CUT a choisi à juste titre de renoncer à une partie d’évaluation critique des itinéraires envisagés, quant à la dimension spirituelle que ceux-ci favorisent et à l’herméneutique biblique qu’ils mettent en œuvre envers les enfants. La présente étude ne permet pas de conseiller une proposition plutôt que les autres. Car ce dont les catéchistes ont surtout besoin, c’est d’outils, de supports théologiques, pédagogiques et psychologiques, afin de développer chacun(e) sa propre innovation. Surtout, cet ouvrage permet de dire que quelque chose se passe en catéchèse, de l’ordre des fruits de l’Esprit. Il apporte une contribution précieuse à la recherche sur la spiritualité de l’enfant capax Dei, encore trop peu étudiée, en proposant, à l’exemple du Directoire pour la catéchèse (2020), de vivre la catéchèse selon le style de l’accompagnement, pourquoi pas avec des entretiens individuels réguliers. Un ouvrage à recommander aux praticien(ne)s de la catéchèse et aux théologiens et théologiennes de la pédagogie religieuse, qui montre tout l’attachement que nourrit C. Ulrich-Tapparel aux enfants qu’elle accompagne et tout l’amour qu’elle porte à l’Esprit du Seigneur et à l’Église. Abbé François-Xavier Amherdt Professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique Faculté de théologie de l’Université de Fribourg



Sommaire INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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PREMIÈRE PARTIE ENFANCE ET SPIRITUALITÉ : DESCRIPTION ET CARACTÉRISTIQUES Chapitre 1 : Contexte de la recherche .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 2 : Critères pour une définition de la spiritualité .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 3 : Approches interdisciplinaires sur le développement humain et spirituel de l’enfant .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 4 : Pour une conception intégrale de l’identité de l’enfant . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 5 : Les dimensions intrinsèques de l’authentique identité de l’enfant : perspectives spirituelles et théologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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DEUXIÈME PARTIE PRINCIPES FONDAMENTAUX ET IMPLICATIONS POUR LA CATÉCHÈSE Chapitre 6 : Méthodologie de l’enquête .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 7 : Déroulement de l’enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 8 : Présentation et analyse des résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Chapitre 9 : Principes fondamentaux et implications pour la catéchèse . . . . . . . . . .

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CONCLUSION : UNE CATÉCHÈSE DAND LE STYLE DE L’ACCOMPAGNEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Remerciements – Quand notre papa est né, nous on était dans les étoiles. – Non, on n’était même pas encore dans les étoiles. – On était où alors ? Ce livre, fruit de ma recherche doctorale, s’ouvre sur la réflexion de deux fillettes de 4 et 7 ans, mes petites-filles, qui se posent des questions au sujet de leur origine, comme le font la plupart des enfants dès leur plus jeune âge. La recherche de sens des enfants est au cœur de ma thèse. C’est à eux que mes remerciements doivent aller en premier lieu, eux qui, par leurs questions, empêchent les adultes de s’enfermer dans leurs certitudes et ouvrent des champs de réflexion à la théologie pratique. Je remercie tout particulièrement celles et ceux qui ont accepté, souvent avec enthousiasme, de participer à l’enquête présentée dans la seconde partie de ma recherche. J’adresse un profond et sincère remerciement à mon directeur de thèse, le professeur François-Xavier Amherdt, pour avoir su me guider dans ce long processus, faisant de ces années de réflexion un chemin spirituel plus qu’intellectuel. Je dis encore ma reconnaissance à tous les adultes qui ont permis que ce travail aboutisse : les membres de ma famille pour leur soutien, leurs encouragements, leur patience et leur affection ; les catéchètes qui m’ont fait confiance ; les collègues, les amis et amies, qui m’ont motivée par leur intérêt sincère, ainsi que toutes les personnes qui, par leur lecture, leur écoute et leur questionnement, ont fait avancer la thèse. Je pense tout particulièrement à Madame la professeure Élisabeth Parmentier et à Monsieur le professeur Olivier Bauer, pour leur intérêt lors des journées doctorales, et pour avoir également fait partie du jury avec le professeur Joachim Negel, doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg et le père Marie-Joseph Huguenin, Privat docent. Qu’ils soient chaleureusement remerciés, de même que Monsieur Pierre-Yves Brandt, professeur ordinaire à l’Institut de sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne, pour ses judicieux conseils méthodologiques. Je remercie encore Adrien pour sa lecture méticuleuse et son regard sociologique.



Introduction Le but définitif de la catéchèse est de mettre quelqu’un non seulement en contact mais en communion, en intimité avec Jésus Christ : lui seul peut conduire à l’amour du Père dans l’Esprit et nous faire participer à la vie de la Trinité sainte1. Au moment où cette thèse en études religieuses est prête à être publiée, le monde fait face à des changements considérables. Le climat est à ce point déréglé que les perspectives les plus sombres sont à prévoir pour l’avenir de notre planète : inondations, sécheresses, canicules et famines deviennent de plus en plus fréquentes et poussent les populations vers l’émigration. Le monde entier a été confronté à une pandémie d’une envergure impressionnante, autant par le nombre de morts, ou de personnes ayant contracté la Covid 19 que, finalement, par son universalité. Et la guerre a fait son retour aux portes de l’Europe en février 2022 ! Mon intérêt pour le développement spirituel des enfants précède de beaucoup ces événements qui nous laissent désemparés. Le souhait de confronter l’expérience catéchétique à la recherche en théologie pratique a émergé à la suite d’une formation en accompagnement spirituel2. En étudiant l’histoire de cette forme d’accompagnement, plusieurs questions se sont imposées : Pourquoi un accompagnement de ce type n’existe-t-il pas pour les enfants dans le cadre ecclésial en Suisse romande ? La dimension chrétienne de la spiritualité ne devrait-elle pas occuper ce terrain laissé bien souvent à des mouvements divers qui se profilent parfois par leurs pratiques troublantes ? Quel est le rôle que la catéchèse paroissiale, autant catholique romaine3 que d’autres confessions chrétiennes, pourrait jouer dans la société actuelle en réponse à ces deux questions ? Il n’est pas certain que ces questions auraient pu être formulées de la même façon à l’époque où l’on était encore chrétiens de génération en génération. Il est légitime d’imaginer que les enfants, sensibilisés à la foi chrétienne dans le cadre familial, scolaire et ecclésial, avaient accès à un langage, à des rites et à des symboles qui constituaient 1 2 3

JEAN PAUL II, Catechesi Tradendae. Exhortation apostolique sur la catéchèse de notre temps, Rome, 1979, n° 5. Formation à l’accompagnement spirituel AASPIR – Association pour l’Accompagnement SPIRituel, ‹ www.aaspir.ch ›. Dans ce travail, le terme « catholique » sera utilisé en référence à la tradition catholique romaine exclusivement.


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pour eux une boîte à outils dans laquelle puiser pour répondre à leurs propres questions existentielles. Or, dans la société actuelle, qui repose principalement sur des lois laïques4, la dynamique de transmission a dû s’adapter à de nouveaux paradigmes. S’alarmant du peu de recherches effectuées au sujet de la catéchèse protestante dans les universités européennes, Jérôme Cottin, professeur de théologie pratique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg, a posé la question de ce qu’est la catéchèse protestante dans la société actuelle, à la suite de deux journées d’études organisées en mai 2012. Il a entrepris de décrire le contexte francophone européen dans lequel cette catéchèse se déploie. Parmi les changements que le théologien repère sur le plan religieux, certains touchent plus particulièrement les enfants par leur impact sur la vie familiale et scolaire : l’avancée de la sécularisation et la perte de terrain des Églises et institutions religieuses traditionnelles ; l’émergence de l’islam dans l’espace public ; l’attrait pour les religions et les spiritualités orientales : l’orthodoxie, le bouddhisme zen, l’hindouisme et les pratiques méditatives ; la croissance des Églises et mouvements évangéliques, charismatiques et pentecôtistes ; la progression d’un œcuménisme de terrain d’un côté, voire l’émergence de certaines pratiques chrétiennes unifiées, et le retour à des fondamentaux catholiques de l’autre, qui excluent de fait les autres Églises chrétiennes5. À ce constat s’ajoutent la progression de l’individualisation, la montée du pluralisme et la fin du consensus humaniste6. Comme cela sera présenté par la suite7, j’ai mené une enquête auprès d’enfants catholiques8 pour laquelle certaines données sur leur environnement religieux ont été récoltées. 4

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« Le mot laïc est, à l’origine, un mot du vocabulaire de l’Église qui servait (et sert encore) à désigner les fidèles baptisés qui ne font pas partie du clergé. Ce mot a pris, en dehors de l’Église, une connotation d’opposition au clergé qu’il a quelquefois gardée. Le mot laïcité, lui, est moderne. Il a trait à un mode d’organisation de la société. […] Pour certains, la laïcité exprime simplement la liberté de l’État par rapport aux Églises. […] Pour d’autres, la laïcité est révolutionnaire. Même si l’État reconnaît la liberté de conscience des citoyens, il se donne pour mission de les soustraire à la religion catholique pour les soumettre à celle de la raison. […] Pour la majorité cependant, la laïcité exprime un respect mutuel de l’Église et de l’État. […]. » (M. DUBOST – S. LALANNE, Le nouveau Théo. L’encyclopédie catholique pour tous, « Théo », Mame, Paris, 2009, n° 134.) Cf. J. COTTIN, « L’urgence pédagogique et catéchétique », dans J. COTTIN – J.-M. MEYER, Catéchèse protestante et enseignement religieux. État des lieux et prospectives, coll. « Pédagogie catéchétique », n. 27, Lumen Vitae – Labor et Fides, Bruxelles – Genève, 2013, p. 11–34, ici p. 13–14. Cf. J. MOLINARIO, « Faire de la théologie avec la fin du consensus humaniste », dans É. PARMENTIER – S. LOIREO – I. GARESSUS (dir.), Points chauds pour l’avenir de l’Église, regards croisés en francophonie, coll. « Perspectives pastorales », n. 18, Saint-Augustin, Saint-Maurice, 2023, p. 61–71. Cf. infra, chapitre 6, « Méthodologie de l’enquête ». J’exprime toutefois le regret de ne pas avoir pu inclure à l’enquête des enfants dont le développement est entravé par la maladie, le handicap ou un accident. Il s’agit là d’un objet de recherche à part entière qui prend en compte différents modes de communication mis en œuvre.


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Connaissance de personnes de diverses religions

80 70 60 50 40 30 20 10 0 catholiques

autres chré ens connaît

musulmans

autres religions

ne connaît pas

athées

sans réponse

Figure 1 : Nombre d’enfants connaissant des personnes de diverses religions.

Le graphique de la figure 1 montre, parmi les enfants pour lesquels ces données ont été transmises par les familles, la proportion d’enfants qui connaissent des personnes qui ne sont pas de la même religion qu’eux. À l’heure où sont écrites ces lignes, seules dix années nous séparent de la contribution de J. Cottin, et notre société ne cesse d’évoluer dans la direction ainsi décrite. De plus, pour ce qui concerne tout particulièrement l’Église catholique romaine, nous ne pouvons sous-estimer l’impact des nombreuses révélations d’abus sexuels et d’abus spirituels perpétrés en son sein. Durant la pandémie qui a atteint l’Europe au début de l’année 2020, les enfants ont expérimenté l’école à la maison, leurs parents sont devenus leurs enseignants, les cours, tout comme la catéchèse, ont été donnés par le biais des écrans d’ordinateurs, des tablettes ou des smartphones, et les pédagogues ont dû se former à l’utilisation de plateformes digitales. À cela s’ajoute que les enfants ont été considérés comme une menace pour les autres générations. Alors que la pandémie semblait circonscrite, la Russie envoyait ses troupes en Ukraine. Le déplacement de milliers de réfugiés vers la Suisse et les autres pays européens a réveillé les souvenirs des plus âgés et induit un sentiment de vulnérabilité chez


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les plus jeunes. La crise énergétique, conséquence de cette guerre, a par ailleurs accéléré les mouvements sociaux alertant sur l’urgence climatique, révélant ainsi le sentiment d’éco-anxiété des jeunes générations. Comment les Églises chrétiennes pourront-elles accompagner les enfants de cette génération 2020 pour avancer avec confiance dans leur existence ? La question est un grand champ à explorer. Répondre à l’urgence de repérer et favoriser ce qui permet cet accompagnement, dans le cadre de la catéchèse, constitue l’une des motivations de cette étude9. Mais avant de développer la question qui sous-tend cette recherche, une remise en question personnelle est nécessaire. Durant mon parcours professionnel, tout comme la majorité des catéchètes, j’ai visé l’objectif annoncé par le pape Jean-Paul II, repris dans le récent Directoire pour la catéchèse10, et cité en exergue de cette présentation : « Le but définitif de la catéchèse est de mettre quelqu’un non seulement en contact mais en communion, en intimité avec Jésus Christ : lui seul peut conduire à l’amour du Père dans l’Esprit et nous faire participer à la vie de la Trinité sainte11 ». Pourtant, plusieurs questions restent sans réponse : Comment aidons-nous les enfants rencontrés dans le cadre de la catéchèse à bâtir leur avenir sur l’espérance chrétienne ? Comment témoignons-nous, par notre être et notre agir, de notre foi en la présence du Christ ? Réussissons-nous à leur montrer que la Bonne Nouvelle est aussi pour eux ? En réponse à cette interrogation, force est de constater que la bonne volonté seule ne permet pas d’atteindre tous ces objectifs. Pour soutenir véritablement l’enfant, il est nécessaire de comprendre en premier lieu quels sont ses besoins et quelle est son identité, autant humaine que spirituelle. Ce n’est qu’en approfondissant cette première partie de la question de recherche qu’il sera possible d’aller plus loin, et de se demander si, et comment, la pratique catéchétique permet à l’enfant de déployer son authentique identité, humaine et spirituelle. Une fois que ces deux parties de la réflexion auront été explorées, il sera alors possible de définir des principes fondamentaux et de décrire leurs implications pour la catéchèse. La question de la présente recherche peut alors être formulée ainsi :

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Même si la recherche est concentrée sur la pratique catéchétique catholique actuelle, sa visée dépasse les différences confessionnelles des enfants. Cf. CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION, Directoire pour la catéchèse (DpC). Préface de Mgr Vincent Jordy, coll. « Documents d’Église », Bayard – Mame – Cerf, Paris, 2020, n° 75. JEAN PAUL II, Catechesi Tradendae, Exhortation apostolique sur la catéchèse de notre temps, Rome, 1979, n° 5.


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Sur quels principes fondamentaux la catéchèse peut-elle s’appuyer pour permettre à l’enfant de déployer son authentique identité humaine et spirituelle ? Les documents mis à la disposition des catéchètes12 francophones en France, Suisse et Belgique, depuis la parution du Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France et principes d’organisation13, ont été élaborés en tenant compte des données liées aux recherches en développement cognitif, principalement aux travaux de Jean Piaget14, Fritz Oser15 et James Fowler16. Actuellement, les recherches en psychologie de la religion explorent une autre voie et ne considèrent plus le développement de l’enfant comme un phénomène linéaire, progressif et universel17. Cependant, l’Église catholique continue majoritairement à penser la catéchèse en termes de tranches d’âge. Toutefois, des projets diversifiés apparaissent dans les diocèses francophones pour décloisonner la catéchèse. Depuis que les évêques français ont adressé une Lettre aux catholiques de France18, les diocèses se sont remis en question et ont proposé une catéchèse renouvelée, connue particulièrement sous les dénominations de catéchèse décloisonnée19, de catéchèse de cheminement20 ou encore de catéchèse d’engendrement21. Chacune de ces propositions 12 13 14

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Le terme « catéchète » est utilisé dans la rédaction pour la distance qu’il permet d’établir par rapport au terme Catéchisme en tant que livre. Toutefois, pour correspondre à l’usage courant dans le milieu ecclésial catholique de Suisse romande, le terme « catéchiste » a été utilisé pour l’enquête. CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DE FRANCE, Texte national pour l’orientation de la catéchèse en France et principes d’organisation, Bayard – Cerf – Fleurus – Mame, Paris, 2006. J. PIAGET, Le langage et la pensée chez l’enfant, Delachaux – Niestlé, Neuchâtel – Paris, 1923 ; ID., Le jugement moral chez l’enfant, F. Alcan, Paris, 1932 ; ID., La naissance de l’intelligence chez l’enfant, Delachaux – Niestlé, Neuchâtel – Paris, 1936 ; ID., La construction de l’intelligence chez l’enfant, Delachaux – Niestlé, Paris, 1959 ; ID., Psychologie et épistémologie : pour une théorie de la connaissance, Gonthier-Denoël, Paris, 1970 ; ID., Six études de psychologie, « Folio /Essais », Denoël, Saint-Amand, 1987 (1964). F. OSER – P. GMÜNDER – L. RIDEZ, L’homme, son développement religieux. Étude de structuralisme religieux, Cerf, Paris, 1991. J. W. FOWLER, Stages of Faith. The Psychology of Human Development and the Quest for Meaning, Harper – Row, San Francisco, 1981 ; ID., Faith Development and Pastoral Care, Fortress Press, Philadelphia, 1989. Cf. infra, 3.6, « Conclusion : le développement de l’enfant et son authentique identité humaine et spirituelle, un processus ». LES ÉVÊQUES DE FRANCE, Proposer la foi dans la société actuelle. Lettre aux catholiques de France, Cerf, Paris, 1996. Cf. H. DERROITTE, La catéchèse décloisonnée. Jalons pour un nouveau projet catéchétique, coll. « Théologie pratique », n. 13, Troisième édition revue et augmentée, Lumen Vitae, Bruxelles – Paris, 2004. Cf. L. AERENS, La catéchèse de cheminement. Pédagogie pastorale pour mener la transition en paroisse, coll. « Théologie pratique », n. 14, Lumen Vitae, Bruxelles, 2002. Cf. P. BACQ – C. THEOBALD (dir.), Une nouvelle chance pour l’Évangile. Vers une pastorale d’engendrement, coll. « Théologie pratique », Lumen Vitae, Bruxelles, 2004 ; ID., Passeurs d’évangile. Autour d’une pastorale d’engendrement, coll. « Théologie pratique », Lumen Vitae, Bruxelles, 2008 ; M.-A. De MATTEO – F.-X. AMHERDT, S’ouvrir à la fécondité de l’Esprit. Fondements


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repose sur la pédagogie d’initiation22 promue par les évêques francophones23. Ces termes annoncent une réelle volonté de laisser toute la place à l’action de Dieu. À l’heure où de nombreuses questions se posent sur la spiritualité des enfants, les paroisses catholiques de Suisse romande organisent de plus en plus leur catéchèse en vue de la célébration des sacrements de l’initiation24. Dans les cantons de Fribourg et du Valais, une éducation religieuse continue à être dispensée dans le cadre scolaire, alors que dans les autres cantons romands, pour faire droit au Plan d’études harmonisé25, des périodes d’enseignement sont consacrées au domaine de l’éthique et culture religieuse. En guise d’hypothèse de recherche, il convient ainsi de se demander si la définition d’un nouveau paradigme pensé non plus en termes de transmission de la foi, de transmission de valeurs morales ou de préparation aux sacrements, mais en termes d’accompagnement du développement spirituel, pourrait permettre à l’enfant de déployer son authentique identité humaine et spirituelle. Cette thèse poursuit donc l’objectif de définir des éléments à mettre en œuvre en catéchèse pour favoriser cette dynamique. Il convient dès lors de procéder en deux temps. Une première partie aura pour visée de définir l’authentique identité humaine et spirituelle de l’enfant. La seconde partie permettra de proposer des principes fondamentaux dans une démarche praxéologique. Pour répondre à la première visée, je propose une méthodologie axée sur les sciences humaines en questionnant les recherches interdisciplinaires sur le développement de l’enfant à partir de la lecture qu’en font quelques théologiens et théologiennes26. Les chapitres

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d’une pastorale d’engendrement, coll. « Perspectives pastorales », n. 4, St-Augustin, St-Maurice, 2009 ; P. VIANIN – F.-X. AMHERDT, À l’école du Christ pédagogue. Comment enseigner à la suite du Maître ?, coll. « Perspectives pastorales », n. 5, Saint-Augustin, St-Maurice, 2011. Cf. E. ALBERICH (dir.), Les fondamentaux de la catéchèse, Novalis – Lumen Vitae, Montréal – Bruxelles, 2006. Cf. infra, 7.6, « Présentation des méthodes utilisées ». Cf. infra, 6.3.2, « Choix des groupes de catéchèse ». ‹ https://www.plandetudes.ch/web/guest/ethique-et-cultures-religieuses ›, consultation 08.01.2022. Les ouvrages consultés sont indiqués ici, toutefois les références seront citées à nouveau intégralement lorsque je les présenterai : D. BELLEFLEUR-RAYMOND, Accompagner des adultes dans la foi. L’andragogie religieuse, Office de catéchèse du Québec, Institut de pastorale des Dominicains, Novalis – Lumen Vitae, Montréal, 2005 ; P.-Y. BRANDT, « Le développement religieux : changements de paradigmes », dans P.-Y. BRANDT – J. M. DAY (dir.), Psychologie du développement religieux. Questions classiques et perspectives contemporaines, coll. « Psychologie et spiritualité », Labor et Fides, Genève, 2013, p. 15–38 ; P.-Y. BRANDT, « Le développement religieux de l’enfant et de l’adolescent à la lumière des travaux récents », dans J. COTTIN – H. DERROITTE (dir.), Nouvelles avancées en psychologie et pédagogie de la religion, Lumen Vitae, Namur, 2018, p. 17–39 ; G. BÜTTNER – V. J. DIETRICH, Entwicklungspsychologie in der Religionspädagogik, Vandenhoeck – Ruprecht, Stuttgart, 2016 (2013) ; É. CHAMPAGNE, Reconnaître la spiritualité des tout-petits, coll. « Théologie pratique », Novalis – Lumen Vitae, Ottawa – Bruxelles, 2005 ; D. HAY – R. NYE, The Spirit of the Child, Harper Collins, London, 1998 ; ID., The Spirit of


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1 et 2 permettront d’établir un état de la question à partir du contexte de la recherche et de distinguer spiritualité, foi et religion, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de définir la spiritualité des enfants. Par une incursion dans la littérature scientifique, le chapitre 3 amènera à comprendre qui est vraiment l’enfant. Un regard sera posé sur les principales avancées des études sur l’enfant sous l’angle de la psychologie, de la pédagogie et des neurosciences, en portant une attention particulière à ce qui constitue son identité humaine. Ce chapitre fera appel, en outre, à trois recherches concernant plus particulièrement la spiritualité naturelle des enfants dans une approche praxéologique. Cette traversée dans la littérature scientifique permettra de décrire, au chapitre 4, cet être « en ébauche » qu’est l’enfant27, dans une vision intégrale de son identité. Pour clore la première partie, les éléments théoriques seront relus sous un angle théologique, de façon à déterminer les dimensions intrinsèques de l’identité de l’enfant (chapitre 5). La seconde visée de cette thèse sera d’évaluer, par une démarche empirique, la pertinence de la question de recherche à partir d’hypothèses pouvant être formulées à la suite de la première partie et confrontées à une enquête menée auprès d’enfants de 7 à 11/12 ans. Une étude qui s’intéresse à la dimension spirituelle de l’enfant se trouve confrontée à la difficulté de déterminer une méthodologie adaptée à la recherche avec des enfants dans le cadre de la théologie pratique. Il est impératif d’éviter les écueils principaux repérés dans les travaux qui ont été menés avec des enfants dans le contexte religieux. Il n’est pas possible de provoquer une expérience spirituelle sur demande, ce qui rend l’observation très difficile. La préparation de l’enquête implique donc de mettre en place un protocole particulier. La méthodologie a été élaborée à partir d’expériences menées dans le cadre de la recherche autour de l’approche d’éducation religieuse Godly Play28 et s’inspire de l’étude

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the Child. Revised Edition, Jessica Kingsley Publications, London, 2006 ; E. COMMISSAIRE, « Psychologie de l’enfance et de l’adolescence. L’héritage de Piaget », dans J. COTTIN, – H. DERROITTE (dir.), Nouvelles avancées en psychologie et pédagogie de la religion, p. 55–70 ; J. M. DAY, « Le modèle de complexité hiérarchique et la psychologie du développement religieux, spirituel et moral », dans P.-Y. BRANDT – J. M. DAY (dir.), Psychologie du développement religieux, p. 107–122 ; F. FELIZIANI KANNHEISER, « „Cher Dieu, est-ce toi qui as écrit la Bible ? Moi, j’ai vu le film !“. Les enfants et la Bible : un contact possible dans les limites de leurs possibilités », dans H. DERROITTE (dir.), Dimensions bibliques de la catéchèse. Du texte biblique à la Parole de Dieu, coll. « Pédagogie catéchétique », n. 28, Lumen Vitae, Bruxelles, 2013, p. 165–179 ; R. GOSSIN, L’enfant théologien. Godly Play une pédagogie de l’imaginaire, Lumen Vitae, Namur – Paris, 2016 ; F. WATTS – R. NYE – S. SAVAGE, Psychology for Christian Ministry, Routledge, London – New York, 2002. Cf. infra, 4.1.1, « L’enfant, un être en ébauche ? ». Cf. M. STEINHÄUSER – R. ØYSTESE (dir.), Godly Play. European Perspectives on Practice and Research – Gott im Spiel, Europäische Perspektiven auf Praxis und Forschung, Waxmann, Münster, 2018.


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de cas, particulièrement adaptée aux contraintes liées à la recherche avec des enfants ainsi qu’à la vérification d’hypothèses, comme cela sera exposé dans la présentation de la méthodologie de l’enquête (chapitre 6). L’étude de cas permet de s’intéresser au particulier et convient aux enfants dans leur diversité. Ainsi, l’enquête repose sur des observations, mais également sur des entretiens permettant aux enfants de s’exprimer à partir des données collectées. En choisissant de consulter les enfants, en leur demandant leur ressenti par rapport aux éléments observés durant les séances, le risque de donner une interprétation romantique et subjective est amoindri. La présentation de la méthodologie et du déroulement de l’enquête permettra de découvrir comment, par leur participation, les enfants, considérés comme co-chercheurs, m’ont amenée à procéder par étapes, ajustant le protocole en fonction de leurs réactions (chapitres 6 et 7). Ce choix méthodologique permet de mettre en évidence certaines composantes favorisant le déploiement de l’authentique identité humaine et spirituelle de l’enfant dans le cadre de la catéchèse, sans toutefois définir une théorie universelle et globale. Même si les résultats n’ont pas de portée quantitative, ils donnent de sérieux indices pour la proposition de principes fondamentaux. Pour analyser et présenter les résultats dans le chapitre 8, les différentes émotions évoquées par les enfants seront regroupées afin de répertorier les éléments qui leur ont permis de ressentir du bien-être ou qui, au contraire, ont été pour eux un obstacle au cours des séances observées. Le recours à une démarche empirique permet de déterminer si, et comment, les séances de catéchèse telles qu’elles sont pratiquées actuellement dans notre région ont une influence sur l’expérience spirituelle des enfants observés. La catéchèse en milieu scolaire n’a pas été prise en compte, car elle ne permet pas de savoir dans quelle mesure la participation des enfants est un choix personnel, de la famille. Ainsi, les groupes choisis pour l’enquête expérimentent différents itinéraires catéchétiques dans différentes paroisses catholiques de Suisse romande. À partir des résultats de l’enquête, de mon expérience professionnelle de plus de vingt années en catéchèse, tout en me référant aux travaux de la théologie pratique, je proposerai, au chapitre 9, six principes fondamentaux permettant à l’enfant de déployer son authentique identité humaine et spirituelle ainsi que leurs implications pour la catéchèse. Il ne faut pas attendre des résultats qu’ils bouleversent la pratique catéchétique, ni qu’ils remettent fondamentalement en question les itinéraires utilisés. J’espère pour le moins que les catéchètes pourront se les approprier pour être au plus près des besoins des enfants, en adaptant leur posture, en faisant des choix pédagogiques cohérents, en approfondissant leur connaissance de l’identité humaine et spirituelle des enfants, tout en ayant conscience de la valeur de leur engagement et de leur témoignage auprès des enfants. En encourageant les catéchètes à adopter un style de l’accompagnement, je me situerai


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dans les orientations présentées dans la nouvelle et troisième version du Directoire pour la catéchèse (DpC)29. Ma démarche s’appuie donc sur une visée à la fois théologique, spirituelle, catéchétique et humaniste.

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CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION, Directoire pour la catéchèse, 2020, n° 135.



PREMIÈRE PARTIE – ENFANCE ET SPIRITUALITÉ : DESCRIPTION ET CARACTÉRISTIQUES



Chapitre 1 Contexte de la recherche L’adulte a longtemps cru que c’était lui-même qui devait animer l’enfant par ses soins et son assistance. Il pensait que son rôle était de façonner l’enfant, de construire sa vie psychique pour que l’enfant devienne peu à peu comme lui. L’enfant était un objet d’assistance, un mini-adulte et non une personne humaine à part entière. Petit, faible, pauvre, dépendant, il n’était qu’un citoyen potentiel qui ne sera homme que demain. Il ne devenait une personne humaine, sujet de droits, qu’à partir du moment où il atteignait l’âge adulte. C’est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, notamment après la Première Guerre mondiale, que le concept de droits de l’enfant apparaît.30 Avec cette incursion dans l’histoire de la création de la Convention des droits de l’enfant de l’ONU31, Virginie Dhellemmes, secrétaire générale du Bureau international catholique de l’enfance de 2008 à 2012, donne une indication de l’intérêt porté à l’identité de l’enfant. Le contexte dans lequel est apparu le concept de droits de l’enfant est également celui dans lequel s’inscrit la recherche sur le développement de l’enfant. Pour ce qui est de l’intérêt théologique, il a tardé à se manifester et est lié aux progrès des sciences humaines. Une présentation du contexte dans lequel nous nous trouvons par rapport à l’intérêt porté à l’enfant s’avère dès lors nécessaire. 1.1 Le développement de l’enfant : un intérêt récent Il faut remonter à la fin du 19e siècle pour trouver les premières études sur l’expérience religieuse ou spirituelle chez les enfants. Auparavant, les enfants n’étaient pas considérés

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V. DHELLEMMES, « La dignité et les droits de l’enfant : vingt ans d’avancées sur le plan international », dans L. VILLEMIN (dir.), Enfants et enfance spirituelle, Transversalités 115, 2010, p. 99–110, ici p. 100. Pour télécharger la Convention relative aux droits de l’enfant ou pour connaître l’historique de leur création, voir le site ‹ https://www.unicef.ch/fr/lunicef/international/convention-relative-aux-droitsde-lenfant/ ›.


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comme des sujets de la foi à part entière, mais plutôt comme des sujets à former, ou à remplir de connaissances32. Le développement religieux ou spirituel de l’enfant n’a pas suscité plus d’intérêt que son développement psychologique, pour le moins jusqu’au siècle des Lumières. Le révérend Jerome Berryman33, pasteur et fondateur de l’approche d’éducation religieuse Godly Play, qui sera présentée ultérieurement34, a été marqué par diverses expériences personnelles, qui lui ont fait ressentir le manque d’attention dévolue aux enfants dans l’Église, dont il fait mention dans un livre retraçant l’origine de la création de Godly Play35. En 2009, il a publié une étude dans laquelle il présente l’évolution de la perception de l’enfant par les théologiens au fil des siècles36. Il a fallu presque 2000 ans pour que les théologiens retournent à la vision évangélique qui, selon Berryman, est de considérer que les enfants révèlent le Royaume37. En 1891, le psychologue Granville Stanley Hall a créé une revue, Pedagogical Seminary, dans laquelle sont présentés des articles sur le lien entre les enfants et leur environnement religieux. Une étude y a été publiée en 189238 et elle peut être considérée comme la première recherche systématique sur le développement religieux. Ce document donne une impression de l’atmosphère dans laquelle évoluaient les enfants en Californie par rapport à la religion et à la spiritualité. Les données prises en compte reposent sur des textes rédigés par des enfants et des jeunes de six à vingt ans sur le thème de l’enfer et

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Cf. D. RATCLIFF (dir.), Children’s Spirituality, Christian Perspectives, Research, and Applications, Wipf and Stock Publishers, Eugene, 2004 ; L. BASSET, « Une spiritualité d’enfant », dans L. VILLEMIN (dir.), Enfants et enfance spirituelle, 2010, p. 67–91 ; G. BÜTTNER – V. J. DIETRICH, Entwicklungspsychologie in der Religionspädagogik, 2016 ; C. L’ÉCUYER, Cultiver l’émerveillement et la curiosité naturelle de nos enfants, Eyrolles, Paris, 2019. J. W. BERRYMAN, Godly Play. A way of Religious Education, HarperCollins, San Francisco, 1991 ; ID., Godly Play. An imaginative Approach to Religious Education, Harper, San Francisco, 1995 (1991) ; ID., « Children and Mature Spirituality », dans D. RATCLIFF (dir.), Children’s Spirituality, Christian Perspectives, Research, and Applications, 2004, p. 22–41 ; ID., Children and the Theologians, Clearing the Way for Grace, Morehouse Publishing, Denver, 2009 ; ID., Teaching Godly Play. How to Mentor the Spiritual Development of Children, Revised and expanded version, Morehouse Education resources, Denver, 2009 [version originale : Teaching Godly Play. The Sunday Morning Handbook, Abingdon Press, 1995] ; ID., The Spiritual Guidance of Children. Montessori, Godly Play, and the Future, Morehouse Publishing, Harrisburg, 2013 ; ID., Becoming like a Child. The Curiosity of Maturity Beyond the Norm, Morehouse Publishing, New York, Denver, 2017. Cf. infra, 7.6.5, « Godly Play ». J. W. BERRYMAN, Teaching Godly Play, p. 13–17. Cf. ID., Children and the Theologians, p. 201–203. Cf. Infra, Annexe 1, « La vision théologique de l’enfant au cours des siècles ». Cf. E. BARNES – O. BORING, « Theological Life of a California Child », Pedagogical Seminary 2, 1892/3, p. 442–448, cité par D. RATCLIFF (dir.), Children’s Spirituality. Christian Perspectives, Research, and Applications, Appendix B, p. 409–417.


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du paradis, ainsi que sur des observations faites par des adultes lors de conversations sur Dieu. Cette contribution a permis d’accumuler des informations sur les représentations théologiques des enfants (représentations de Dieu, du paradis, de l’enfer, des anges, etc.). Les études présentées dans Pedagogical Seminary ont mis en lumière certaines interrogations des enfants, comme la question de la mort, de la recherche de sens, de l’importance du lien avec les éducateurs ou de la nature. Pour que les sciences humaines puissent avancer dans la réflexion sur le développement religieux et spirituel des enfants, il a fallu que les recherches sur le développement cognitif progressent. Mais nous avons dû attendre l’aube du vingtième siècle pour voir naître un intérêt scientifique durable quant au développement de l’enfant. Même si les débuts de la psychologie du développement peuvent être attribués à Charles Darwin (1809–1882)39, comme l’écrit Agnès Florin40, professeure honoraire en psychologie de l’enfant, les travaux du Suisse Jean Piaget41 marquent un tournant définitif dans la recherche. Alors que le behaviorisme a étudié principalement l’impact de stimuli sur le comportement, J. Piaget s’est intéressé aux processus d’apprentissage et au développement de la pensée logique à partir de l’interaction de l’enfant avec les objets. Dans un film produit en 1977, le chercheur expliquait sa vision : Je suis constructiviste, c’est-à-dire que je pense que la connaissance est affaire de continuelles constructions nouvelles par interaction avec le réel et ne sont pas préformées. Il y a créativité continuelle. J’aimerais donc montrer en quoi la connaissance n’est pas préformée, ni dans les objets, ni dans le sujet, mais qu’il y a toujours auto-organisation et par conséquent, une continuelle construction et reconstruction42.

J. Piaget a analysé les formes de l’organisation mentale à partir de ce qui était observable et mesurable. Cela donnait à ses travaux un poids scientifique, et d’autres psychologues s’en sont inspirés pour aborder des questions plus larges comme le développement du jugement religieux, ou de la foi. Ainsi, à partir des découvertes de la psychologie constructiviste,

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Cf. C. DARWIN, The Expression of the Emotions in Man and Animals, Oxford Up, New York, 19883 (1872) ; ID., « A biographical sketch of an Infant », Mind, A Quarterly Review of Psychology and Philosophy 7, 1877, p. 285–294 ; cf. version française « L’esquisse biographique d’un petit enfant », Revue scientifique de la France et de l’étranger 2, 1877 [Le texte a été réédité avec une présentation de Claude ALLARD dans P. TORT, Pour Darwin, PUF, 1997.] Cf. A. FLORIN, « La psychologie du développement », dans J.-F. MARMION (dir.), Psychologie. Une exploration, Sciences Humaines, Auxerre, 2019, p. 49–67, ici p. 50. Cf. infra, 3.2.1, « Développement de la pensée logique – Jean Piaget ». Retranscrit à partir du film L’épistémologie génétique de Jean Piaget, a Film by Jean Piaget, in Collaboration with Claude Goretta, University of Yale Media Design Studio, 1977, cf. Jean Piaget et les stades de développement, extrait ‹ https://www.youtube.com/watch?v=UEoqByYS9XY ›, consultation 19.02.2023.


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des chercheurs comme James Fowler43, Fritz Oser44 et Paul Gmünder ont commencé à appliquer les études sur le développement de l’enfant à l’expérience religieuse. Étudier le développement sous une forme linéaire et progressive a été très utile dans les orientations pédagogiques des créateurs de documents catéchétiques, particulièrement dans le choix des concepts à aborder et des moyens didactiques à mettre en place. Toutefois, penser un développement religieux lié au développement cognitif convient si l’on étudie des critères très spécifiques comme la représentation de Dieu, la formulation de la prière, l’idée de la mort, les questions morales ou encore la compréhension des récits bibliques, par exemple. En se distanciant quelque peu de ces travaux liés au développement par étapes, la recherche s’est petit à petit orientée vers une vision plus individualisée de l’enfant. Les éléments comme le milieu, l’environnement familial, l’affectivité, les émotions ou la plasticité cérébrale45 ont été pris en compte, et en l’état des connaissances il est évident que nous ne pourrons plus penser l’enfant sans tenir compte de son unicité. Même si l’enquête sur laquelle repose cette thèse ne permet pas d’évaluer les influences diverses sur les enfants du panel, il importe de considérer chaque enfant dans sa spécificité. 1.2 Recherches sur la spiritualité de l’enfant : une dynamique internationale Avec l’élaboration des théories sur le développement, l’intérêt pour la spiritualité des enfants a émergé dans le milieu éducatif. Mais Lytta Basset, théologienne et philosophe46, professeure honoraire de théologie pratique à l’Université de Neuchâtel, s’est étonnée du peu d’intérêt de la théologie pour l’expérience spirituelle des enfants, tout en relevant les progrès dans les sciences humaines : C’est au début des années 90 qu’éducateurs, psychologues, psychanalystes et travailleurs sociaux ont commencé à s’intéresser à l’expérience spirituelle des enfants. Paradoxalement, la plupart des théologiens, oublieux des paroles de Jésus sur les enfants, laissaient le sujet de côté47.

La ratification de la Convention des droits des enfants, le 20 novembre 1989, a suscité un élan auprès des éducateurs en Grande-Bretagne, ce qui a donné lieu aux conférences

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Cf. infra, 3.2.3.3, « Développement de la foi – James Fowler ». Cf. infra, 3.2.3.4, « Développement du jugement religieux – Fritz Oser et Paul Gmünder ». Cf. infra, n. 344. Lytta Basset s’est spécialisée dans l’accompagnement spirituel qu’elle pratique depuis plus de 30 ans. Elle a fondé avec Cécile d’Entremont l’Association pour l’Accompagnement SPIRituel «AASPIR », qui dispense une formation à l’accompagnement spirituel ‹ https://www.aaspir.ch/presentation-aaspir. php ›. L. BASSET (dir.), Une spiritualité d’enfant, coll. « Espaces libres », n. 226, Albin Michel, Paris, 2011, p. 11–26, ici p. 13.


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interreligieuses internationales sur la spiritualité des enfants, International Conference on Children’s Sprituality48, dont la première a eu lieu du 9 au 12 juillet 2000 au University College Chichester dans le Sussex. À la même époque, on assiste à la naissance de la revue International Journal of Children’s Spirituality. Dans l’éditorial du premier numéro datant de septembre 1996, David H. Hargreaves écrivait : « In England and Wales spiritual and moral development has suddenly become an important area of educational concern49 ». Les titres des articles de la revue50 attestent cet intérêt pour le développement spirituel dans le milieu de l’éducation. Quelques années plus tard, en juin 2003 à Chicago, une conférence a rassemblé des chercheurs et des enseignants autour de la spiritualité des enfants. Eugene C. Roehlkepartain a présenté une recherche dans la base de données rassemblées entre 1993 et 2003 par l’ATLA (American Theological Library Association). Il a constaté que sur 305 498 articles, publications et livres recensés, seules 120 entrées contenaient les mots « child » et « spiritual ». Il a par la suite effectué la même recherche pour les données trouvées entre 1990 et 2002 dans deux autres bases de données (Social Science Abstracts et PsychINFO) et a ainsi relevé que moins de 1 % des articles sur les enfants et les adolescents concernaient la spiritualité ou le développement spirituel. L’auteur explique cela par la difficulté à conduire des études scientifiques sur la spiritualité de l’enfant, en raison de sa multidimensionnalité et de sa complexité. À ses yeux, il n’y a pas de méthodologie, que ce soit empirique ou théorique, qualitative ou quantitative, qui puisse explorer ce domaine de la vie de façon adéquate51. À l’heure actuelle, pour ce qui est de la spiritualité des enfants, les publications francophones commencent à s’étoffer alors que l’Allemagne et les pays anglo-saxons sont en pleine effervescence. Des études récentes52 donnent un aperçu de la recherche au tournant du 21e siècle.

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Les actes de ces conférences sont publiés aux éditions Sussex Academic, dans la collection Spirituality in Education. D. H. HARGREAVES, « EDITORIAL », International Journal of Children’s Spirituality 1, 1996/1, p. 4–5, ‹ https://doi.org/10.1080/1364436960010102 ›, consultation 26.02.2023. Cf. ‹ International Journal of Children’s Spirituality | Taylor & Francis Online (tandfonline.com) ›, consultation 26.02.2023. Cf. E. C. ROEHLKEPARTAIN, « Exploring Scientific and Theological Perspectives on Children’s Spirituality », dans D. RATCLIFF (dir.), Children’s Spirituality, Christian Perspectives, Research, and Applications, p. 120–132, ici p. 128–129. Cf. P.-Y. BRANDT, « Le développement religieux : changements de paradigmes », dans P.Y. BRANDT – J. M. DAY (dir.), Psychologie du développement religieux, p. 15–38 ; ID., « Le développement religieux de l’enfant et de l’adolescent à la lumière des travaux récents », dans J. COTTIN – H. DERROITTE (dir.), Nouvelles avancées en psychologie et pédagogie de la religion, p. 17–39 ; G. BÜTTNER – V.-J. DIETRICH, Entwicklungspsychologie in der Religionspädagogik, 2016 (2013).


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Parmi les travaux liés à la spiritualité de l’enfant se trouvent ceux de Sofia Cavaletti53, de Rebecca Nye54 et d’Élaine Champagne55, qui ont été choisis pour l’intérêt des auteures à joindre la réflexion à la pratique pastorale, en proposant des pistes pour la catéchèse et l’éducation religieuse. 1.3 La prise de conscience des pédopsychiatres Si les théologiens ont mis plusieurs siècles à s’intéresser durablement à la spiritualité des enfants, un appel est venu de la pédopsychiatrie. Les débuts de la psychiatrie au 19e siècle ont permis de grandes avancées dans la recherche sur l’identité ou les besoins des adultes. Avec le développement de la pédopsychiatrie, les thérapeutes ont dû se rendre à l’évidence : il arrive parfois que les interventions thérapeutiques auprès d’enfants se heurtent aux grandes questions existentielles que les enfants se posent comme la mort, le sens de la vie, la fragilité, la liberté, la solitude, etc. Ainsi en est-il du pédopsychiatre René Soulayrol constatant que l’intérêt de sa branche s’est concentré sur l’avenir du « bon équilibre neurologique, intellectuel et affectif56 » de

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S. CAVALETTI, Le potentiel religieux de l’enfant, 2 vols, de 6 à 12 ans et de 3 à 6 ans, trad. M. Grazzini, Paris – Perpignan, Artège, 2016 et 2017 [Il potenziale religioso del bambino : Descrizione di un’esperienza con bambini da 3 a 6 anni et Il potenziale religioso dei bambini tra i 6 e i 12 anni, Città Nuova, Rome, 1979 et 1996]. D. HAY – R. NYE, The Spirit of the Child, 1998 ; ID., The Spirit of the Child. Revised Edition, Jessica Kingsley Publications, London, 2006 ; F. WATTS – R. NYE – S. SAVAGE, Psychology for Christian Ministry, Routledge, London – New York, 2002 ; R. NYE, « Christian Perspectives on Children’s Spirituality : Social Science Contributions ? », dans D. RATCLIFF, (dir.), Children’s Spirituality, Christian Perspectives, Research, and Applications, 2004, p. 90–107 ; ID., La spiritualité de l’enfant, comprendre et accompagner, Empreinte temps présent, La Bégude de Mazenc, 2015. É. CHAMPAGNE, Dieu comme un enfant. Lecture théologique de l’expérience quotidienne d’enfants d’âge préscolaire, Thèse de doctorat, Université de Montréal, 2002 ; ID., « Being a Child, a Spiritual Child », International Journal of Children’s Spirituality, 8/1, 2003, p. 43–53 ; ID., Reconnaître la spiritualité des tout-petits, coll. « Théologie pratique », Novalis – Lumen Vitae, Ottawa – Bruxelles, 2005 ; ID., « Désirer connaître », dans L. BASSET (dir.), Présence du spirituel, croissance en humanité, La Chair et le Souffle, 2006/1, p. 72–82 ; ID., « Born to the Word », dans P. FREUDENBERGER-LÖTZ – G. BÜTTNER (dir.), Children’s Voices. Theological, Philosophical and Spiritual Perspectives, Kassel University Press, Kassel, 2015, p. 27–44 ; ID., « Vie spirituelle des enfants, des catéchètes et des agents de pastorale », dans F.-X. AMHERDT (dir.), Pastorale et catéchèse : quelle spiritualité ? Lumen Vitae 71, 2016/1, p. 47–56 ; ID., « Des enfants en théologie », dans E. POULIOT – A. FORTIN – É. CHAMPAGNE (dir.), Des printemps théologiques, coll. « Terra Nova », n. 2, Peeters, Leuven, 2016, p. 87–102 ; ID., « Mit Kindern eine Sprache für das Geheimnis suchen », Spiritual Care, 5, 2016/4 ; ID. (dir.), Special issue : Children’s spirituality and Traditions, International Journal of Children’s Spirituality, 24, 2019/1. R. SOULAYROL, La spiritualité de l’enfant. Entre l’illusion, le magique et le religieux, coll. « Psycho-logique », L’Harmattan, Paris, 2012 (2006), p. 41.


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l’enfant, sans voir les indices de la spiritualité que l’enfant agite lui-même « sous nos yeux longtemps aveuglés d’une cécité partielle57 ». Nicole Fabre, également psychothérapeute pour enfants et philosophe, remarque que pour aider l’enfant qui se présente en consultation, il faut prendre en compte sa spiritualité, qu’elle décrit ainsi : L’expérience spirituelle, la spiritualité à laquelle auraient accès les enfants, c’est un en deçà et un au-delà du monde matériel et des désirs bruts, un en deçà et un au-delà de la chose et du besoin. Un en deçà et un au-delà également de la réponse explicative, rationnelle et mécaniciste aux questions que nous nous posons58.

Une autre pédopsychiatre et psychothérapeute, Dominique Struyf, qui enseigne à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles depuis 2002, s’est associée au théologien, philosophe et psychologue Bernard Pottier pour rédiger une monographie sur les enjeux pastoraux de la psychologie. Elle témoigne également de son expérience face aux besoins spirituels des enfants qui lui étaient confiés : Dans mon travail hospitalier, dans une institution psychiatrique pour enfants et adolescents, je ne pouvais pas me contenter de fuir les questions religieuses. Les patients y faisaient de longs séjours de un à trois ans. Leurs questions sur la mort, sur le sens de la vie, sur la souffrance, le mal, l’existence de Dieu, l’au-delà, restaient sans réponse. Ils étaient renvoyés à eux-mêmes ou à leurs parents aussi démunis qu’eux, sans avoir reçu de nourriture philosophique et spirituelle pour se penser59.

En écho à l’interpellation des pédopsychiatres, nous constatons que les sciences humaines se sont récemment intéressées à la vie intérieure des enfants dans de multiples disciplines. Comme en témoignent deux publications francophones récentes60, la spiritualité des enfants commence à être considérée comme un facteur déterminant dans les apprentissages, dans l’éducation, dans la santé, dans l’état psychologique et dans le bien-être général des enfants. Après les fameuses contributions de Howard Gardner sur l’intelligence spirituelle61 et de Daniel Goleman sur l’intelligence émotionnelle62, qui ont suscité 57 58 59 60 61 62

Ibidem. N. FABRE, « L’enfance : une pierre d’attente pour le spirituel », dans L. BASSET (dir.), Une spiritualité d’enfant, p. 27–41, ici p. 30–31. D. STRUYF – B. POTTIER, Psychologie et spiritualité. Enjeux pastoraux, coll. « Donner raison », n. 35, Lessius, Namur, 2012, p. 44. Cf. M. LEMAY, Le développement spirituel de l’enfant. Repères pour un accompagnement laïque, Dunod, Malakoff, 2019 ; S. CLERGET, L’intelligence spirituelle de votre enfant. La révéler et la développer, Leduc, Paris, 2021. H. E. GARDNER, Intelligence Reframed. Multiple Intelligences for the 21st Century, Basis Book, New York, 1999. D. GOLEMAN, L’intelligence émotionnelle, Analyser et contrôler ses sentiments et ses émotions, et ceux des autres, traduction Thierry Piélat et Daniel Roche, édition intégrale, J’ai lu, Paris, 2014.


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un engouement au-delà du monde scientifique, les questions de l’intelligence spirituelle ou de la sensibilité spirituelle rencontrent un intérêt croissant. Toutefois, cette réflexion dissocie la spiritualité de la religion. Parler de l’authentique identité ne peut donc se faire sans aborder la question de l’identité spirituelle. La difficulté principale repose sur la reconnaissance ou non d’une influence de la Transcendance sur la spiritualité. Elise Renard, maître de conférences en psychologie sociale, spécialiste des cognitions et des croyances, après avoir mené une recherche dans la littérature, associe la spiritualité à « la relation de l’individu à un ordre supérieur et transcendantal, un besoin d’élévation63 ». Elle précise encore : « Cette recherche de perfection est associée ou non à une figure divine64 ». Les chrétiens, quant à eux, considèrent que Dieu, en créant l’homme selon sa ressemblance, en lui insufflant la vie, met en lui de fait une part divine, une part spirituelle, et lui transmet son souffle. En présentant sa recherche empirique auprès d’enfants en milieu préscolaire, Élaine Champagne65, professeure agrégée et titulaire de la chaire de leadership en enseignement en théologie spirituelle et spiritualités à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université de Laval (Québec), qui a mené une recherche importante sur la spiritualité des tout-petits, prend une option clairement liée au souffle : La perspective dans laquelle je me situe pose dès le départ qu’une réflexion théologique sur la spiritualité doit tenir compte non seulement de la personne humaine, mais aussi de Dieu – l’Absolu, l’Autre – et de la relation à Dieu. Il sera ici question de ces trois pôles relationnels de la spiritualité (personne humaine, Dieu, relation)66.

Pour ma part, je chercherai à dessiner les contours de la spiritualité des enfants à partir de caractéristiques que nous pouvons dégager de différentes définitions. Mais comme la chercheuse et théologienne canadienne, je me positionne dans une perspective qui laisse entrevoir la relation des enfants à un Autre qu’eux-mêmes, à une Transcendance67.

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E. RENARD, « La spiritualité : une croyance a-religieuse », dans N. ROUSSIAU (dir.), Croyances sociales. Spiritualité, religion, croyances ascientifiques, croyances areligieuses, coll. « Ouverture Psy », In Press, Paris, 2018, p. 202–213, ici p. 203. Ibidem. Cf. infra, 3.4.3, « Le désir de connaître – Élaine Champagne ». É. CHAMPAGNE, Reconnaître la spiritualité des tout-petits, coll. « Théologie pratique », Novalis – Lumen Vitae, Ottawa – Bruxelles, 2005, p. 20. Bon nombre d’articles font appel au terme « Absolu », du latin ab-solutum, qui peut sous-entendre une notion d’achevé, de complet, alors que le concept de « Transcendance » témoigne d’une réalité qui dépasse l’humain.


Chapitre 2 Critères pour une définition de la spiritualité La notion de spiritualité découle de l’évolution du latin spiritualis, qui signifiait alors « propre à la respiration », avant d’évoluer en l’idée d’immatérialité et de lien au divin. Étonnement : le terme hébreu pour esprit est rouah, qui signifie également « le souffle ». Ce qui est marquant dans ces étymologies, c’est le caractère vivant et dynamique de la notion : le souffle est en effet ce qui n’arrête jamais, ce qui va et vient, qui est la condition de la vie humaine et à la fois ce qui relie, dans de très nombreuses traditions, à l’invisible68. Dans leur tentative de définir la spiritualité, certains auteurs s’inspirent particulièrement de son étymologie, comme le fait Tania Zittoun, professeure ordinaire à l’Institut de psychologie et d’éducation à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Neuchâtel en Suisse, dans la citation mise en exergue de ce chapitre. Pour guider la réflexion sur la spiritualité, il est nécessaire d’examiner différentes descriptions données dans le cadre d’études sur la spiritualité. Nous pouvons ainsi délimiter un certain nombre de facteurs qui lui sont communément attribués. Mais il faut également constater qu’il y a bien souvent une confusion, ou un manque de clarification, entre des notions comme spiritualité, foi, croyance, religion, religiosité, sacré. Le principal lieu de confusion tient avant tout à la distinction entre profane et religieux. Lors de la conférence de Chicago de juin 200369, Donald Ratcliff70, directeur de la publication, constatait que nul n’avait songé à demander aux personnes invitées à présenter leurs recherches de se mettre d’accord sur une définition de la spiritualité71. Par la suite 68 69 70

71

T. ZITTOUN, « Cultiver la spiritualité, Le modèle éducatif de la Haggadah de Pessah », dans L. BASSET (dir.), Une spiritualité d’enfant, p. 105–129, ici p. 105. Cf. supra, 1.2, « Recherches sur la spiritualité de l’enfant : une dynamique internationale ». Pour des raisons de déontologie, il semble approprié de communiquer ici l’information évoquant les actes de pédopornographie commis par D. Ratcliff. Une fois le choc passé, décision a été précise de ne pas prendre en compte d’autres ouvrages de cette personne, mais de maintenir l’apport du livre en question qui est un ouvrage collectif dont D. Ratcliff ne porte pas la responsabilité à lui seul. Cf. l’article publié le 31 août 2017 par Chicago Tribune, ‹ https://www.chicagotribune.com/suburbs/ ct-ex-wheaton-professor-child-porn-0831-20170830-story.html ›, consultation 02.02.2023. D. RATCLIFF (dir.), Children’s Spirituality. Christian Perspectives, Research, and Applications, p. 9.


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