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RÉDACTION 33 contributeurs collaborent à cette revue citoyenne et numérique, ils ont fait don de leur temps et de leur œuvre pour partager des savoirs et des expériences. Ils appartiennent à des univers et à des régions différentes, ils ont entre 10 ans et 70 ans, des femmes, des hommes, des étudiants, des professeurs, des artistes, des écrivains, un dramaturge, des universitaires, des hommes et des femmes de terrain qui ont avec l’art un rapport physique, amoureux et engagé, des hommes et des femmes qui font de leur vie un chemin pour aller vers l’Autre. Ce sont des Plumes d’Ailes qui portent l’Utopie des mots et des Mauvaises Graines qui résistent au vent mauvais. Ce troisième numéro est toujours dédié à GRIFFON et à ces contributeurs. Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines emprunte de nouveau le thème du Festival de Littérature au Centre présidé par Sylviane Coyault.

Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines proposé par l’association Paroles Voix Cultures Siège Social et Rédaction à Clermont-Ferrand Directrice de publication : Dalie Comité de rédaction : Dalie, Denys Couturier, Marie Agullo, Emmanuelle Lachaume, Karelle Gautron, Michel J. Renaud, Clémentine Pillon Vallée, Laurent Chamalin, Alain Tissut, Béatrice Diarra. Rédacteurs invités : Anastasia Elias, Hélène Deschamps, Arno Bertina, Liliane Giraudon, Anne-Sophie Zuber, Julien, Brice Lopez et Sonia Lopez, Rébecca Dautremer, Marie Paccou, Frederic Clamens-Nanni, Marie Paccou, Véronique Cazeneuve, Guillaume Bonhomme, Jeremy Vallade, Florentin Feller, Matthieu de Muizon, Emilie Guitreau, Morgane Merle-Bargoin, Sylviane Coyault, Virginie Dietz. Conception graphique : Lysiakrea Première de couverture : Cécile Gambini Quatrième de couverture : Fabienne Cinquin Sur internet Mail : plumesdailes@gmail.com Site : www.plumesdailesetmauvaisesgraines.fr En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation. ©Plumes d’ailes et Mauvaises Graines

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EDITO


SPECTATOR IN FABULA par Michel J. Renaud

Littérature et cinéma : un vieux couple, dont les relations difficiles, voire conflictuelles, ont fait l’objet d’innombrables commentaires, études et analyses en tout genre. Eu égard au volume de ce corpus critique, il paraît vain de vouloir aujourd’hui apporter de nouveaux éléments au débat, sauf à prendre le risque de se retrouver au rouet des disputations théoriques. Si l’on y tient absolument, on pourra toutefois relire les quelques pages que Marshall Mc Luhan consacre au cinéma — « Le monde embobiné » — dans le désormais classique Pour comprendre les médias et souscrire à son constat : « L’homme typographique s’est facilement habitué au cinéma, parce que le cinéma comme les livres lui ouvre un monde intérieur de fantaisie et de rêves. » Cela posé — et puisque, comme l’affirme Nietzsche, « nous pouvons encore préférer à tout, les livres qui nous apprennent à danser », c’est à un roman de Patrick Modiano, marqué par la frivolité et la nostalgie, que nous voudrions nous référer pour témoigner de l’affinité profonde qu’il peut y avoir entre la démarche de l’écrivain et celle du cinéaste — ou, si l’on préfère, entre celle du lecteur et celle du spectateur. Ce beau roman mélancolique, dans lequel, ce n’est pas un hasard, le cinéma tient une grande place, c’est, on l’aura peut-être deviné, Villa triste, qui fournira à Patrice Leconte le scénario de son film Le Parfum d’Yvonne. L’isotopie du cinéma traverse d’un bout à l’autre le texte : programme estival d’une salle de province au début des années soixante, Cinémonde et l’Annuaire du cinéma, soirée chez un soi-disant metteur en scène, tournage d’un film improbable, mort de Marilyn Monroe, rêves de gloire et d’Amérique... les références sont innombrables et les personnages euxmêmes, jouent un rôle ambigu, entre songe et mensonge, entre tragique et futilité. L’intérêt de l’adaptation de Patrice Leconte — qui n’a apparemment enthousiasmé ni la critique, ni le grand public — est que sa transmutation, selon la terminologie proposée par Jakobson, ou, pour Umberto Eco, sa traduction intersémiotique échappe à la paraphrase, à la redondance, à la banale mise en images de la « surface phénoménale de l’œuvre ». Le film doit être considéré comme une lecture, c’est-à-dire une interprétation subjective — et non une simple reformulation. Citons ici Michel Charles : « Dans le grand jeu des interprétations, les forces du désir et les tensions de l’idéologie ont un rôle décisif. Il reste que ce jeu n’est possible que dans la mesure où les textes le permettent. Cela ne -3-


signifie pas qu’un texte autorise n’importe quelle lecture, mais simplement qu’il est marqué d’une essentielle précarité, qu’il a lui-même du jeu. Ici, peut-être un espace à explorer. » Si le texte de Modiano « prévoit », comme tout autre texte, son lecteur, il semble prévoir en outre, de la même manière, le spectateur futur d’un film dont chaque relecture renouvelle la possibilité. La structure chronologique du récit, fondée sur une double analepse, légitime, à l’écran, une certaine liberté dans la réorganisation de l’intrigue : la fabula, l’histoire n’en est pas affectée. L’un des charmes du style de Modiano — outre son sens de l’atmosphère et son art de la demi-teinte — réside dans ce qu’il faut bien appeler sa pudeur, sa délicatesse dans l’évocation de la relation amoureuse. Cette discrétion quant à l’intimité des personnages se traduit par des blancs dans le texte, ellipses ou lacunes qui laissent le champ libre au lecteur comme au cinéaste. Le cinéma est par excellence un art voyeuriste, qui exhibe et dénude, érotise et dramatise en fonction des codes répondant à l’horizon d’attente du spectateur, en exploitant les non-dits, les points aveugles de la narration. De là, quelques libertés prises par le cinéaste, scènes un peu plus crues, « surjouées », affleurement d’une violence latente... Dire que le film est « infidèle » — ou ne proposerait, parce qu’il s’écarte de la lettre, qu’un ersatz, un substitut dégradé du roman — n’aurait pas beaucoup de sens. Et cela ne vaut pas seulement pour Villa triste : à supposer que la chose soit techniquement possible, un film qui reproduirait en tous points le roman constituerait une performance aussi absurde que la réécriture du Quichotte par Pierre Ménard. Le texte littéraire est inépuisable dans la mesure où il offre une infinité de lectures possibles à un nombre infini de lecteurs ; indéfiniment ouvert, il peut donner lieu à toutes les adaptations cinématographes imaginables sans qu’on puisse parler de plagiat ou de redite. On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve ; on ne lit jamais deux fois le même livre, on ne voit jamais deux fois le même film.

BANDE ANNONCE DU N° 003

Quand on est médiateur du livre, on aime le cinéma. On a envie de donner à lire les œuvres cinématographies en tant que telles mais envie aussi de relier à l’expérience fabuleuse de la lecture. L’émotion du cinéma et celle du livre ne sont pas les mêmes dans leurs expressions, mais au

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fond elles sont les mêmes dans leurs transmissions. Pourtant l’expérience esthétique ne se confond pas avec la seule émotion, à l’affût d’une nouveauté, nouveauté en soi, dans les autres ou même dans le monde, nouveauté dans la manière de dire. Dans ce troisième numéro de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines, on a choisi d’offrir un panel de littératures et de cinémas. Depuis la littérature de la petite enfance, jusqu’à l’écriture contemporaine, en passant par les œuvres dites pour la jeunesse ; depuis le cinéma populaire, cinéma d’auteur, le cinéma d’animation, le cinéma expérimental ou même le cinéma pédagogique les contributeurs nous offrent de quoi mieux comprendre et mieux transmettre ce qui se joue entre le cinéma et la littérature. Le spectator in Fabula, comme le nomme si justement Michel J. Renaud, c’est nous, c’est vous, ce sont eux, tous ceux qui se jettent dans les mots comme dans l’image. Arno Bertina évoque le rapport d’étrangeté qui devrait présider à toute création qu’elle soit littéraire ou -5-


cinématographique, tandis que Liliane Giraudon trace le lien entre son écriture, plus proche du montage que de la fabula. Mohamed Kacimi affirme avec force la vanité de la création et surtout de la littérature face à la puissance de l’image. Ces images font la puissance évocatrice de l’univers de Rébecca Dautremer et de Marie Paccou qui nous offrent un aperçu de leur vision du monde, qui sont d’abord une vision de l’art. Puis, nous pourrons explorer grâce aux Editions à dos d’âne, une série documentaire sur le cinéma vue par Hélène Deschamps, « passeuse en cinéma », Anastasia Elias, et Mathieu de Muizon. Ce sera ensuite « comme au cinéma » avec Karelle Gautron qui suivra de près les fragments amoureux de Marie Agullo. Nous vous proposerons une troisième manière d’écrire à partir et avec le cinéma grâce au feuilleton de Geoffroy Emmanuel Floret. Après avoir rendu honneur à nos deux illustratrices, Cécile Gambini qui réalise la première de couverture et Fabienne Cinquin, qui nous offre de nouveau la quatrième, nous pourrons lire les zooms réalisés par quelques Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines : Frederic Clamens-Nanni nous donnera le vertige avec son magnifique parcours des images de femmes vues de dos, Alain Tissut, à travers l’interview de Jacques Meny nous promènera sur les toits splendides de Manosque, Denys Couturier nous guidera, amoureusement, dans l’écriture cinématographique du rapport Brodeck de Claudel. Marie Agullo pour clôturer ces zooms nous permettra d’analyser, avec malice et finesse, la métaphysique de Scrat, l’écureuil de L’Âge de Glace. Dans le dossier des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines, je vous raconterai une brève histoire de la rencontre entre cinéma et littérature. Puis Brice Lopez, assisté de Sonia Lopez, nous permettra, dans deux articles d’une richesse inédite, de comprendre le traitement de l’antiquité au cinéma et l’exposé de sa méthode de recherche expérimentale notamment en ce qui concerne la gladiature. Laurent Chamalin, nous offrira un panel des différents types de rencontre entre cinéma et littérature et Jérémy Vallade un regard jeune, pétillant sur les séries télévisées et leurs avatars littéraires. Sophie Zuber, nous fera le cadeau immense de son vagabondage dans les livres, les films et ses souvenirs de projectionniste -6-


auprès des enfants. Clémentine Pillon Vallée proposera quatre lectures et quatre perspectives sur le cinéma et la littérature jeunesse. Béatrice Diarra nous présentera un florilège d’œuvres de littérature et de cinéma pour la jeunesse pour comprendre la représentation des enfants issus de la diversité. Je verrai ensuite pourquoi c’est si compliqué l’Autre dans la littérature et le cinéma. Sylviane Coyault nous présentera l’édition 2017 de Littérature au Centre et Guillaume Bonhomme la session du Festival Plein la Bobine, le Festival international d’animation du Sancy. Enfin, les libraires Emilie Guitreau et Morgane Merle Bargoin nous donneront des conseils de lecture, Julien nous donnera son regard sur Harry Potter. Florenter Feller, enseignant au lycée nous proposera un panel d’œuvres à utiliser dans le secondaire et nous terminerons ces conseils par une conversation de professeurs surprise sur les réseaux sociaux. Dalie – coordinatrice de la revue

En bonus, vous pouvez écouter ces émissions sur France Culture qui complèteront votre lecture. Les adaptations cinématographiques https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/cinema-et-litteraturedes-liaisons-fructueuses-15-les

Salles obscures et encre noire https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/cinema-et-litteraturedes-liaisons-fructueuses-25-salles

Les écrivains à l’écran https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/cinema-et-litteraturedes-liaisons-fructueuses-35-les-ecrivains

Le cas des séries télé https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/cinema-et-litteraturedes-liaisons-fructueuses-45-le-cas-des

La BD à la rescousse du cinéma ? https://www.franceculture.fr/emissions/un-autre-jour-est-possible/cinema-et-litteraturedes-liaisons-fructueuses-55-la-bd-la

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COMITÉ DE RÉDACTION :

PROFESSEURS, AUTEURS, LIBRAIRES, AMOUREUX DU LIVRE ET DE TOUTES LES LITTÉRATURES.

DENYS COUTURIER

DALIE

MARIE AGULLO

CLÉMENTINE PILLON VALLÉE LAURENT CHAMALIN EMMANUELLE LACHAUME

MICHEL J. RENAUD

KARELLE GAUTRON

ALAIN TISSUT

BÉATRICE DIARRA

RÉDACTEURS INVITÉS :

AUTEURS, ILLUSTRATEURS, LIBRAIRES, PROFESSEURS ET AUTRES AMOUREUX DE LITTÉRATURES

ARNO BERTINA

ANASTASSIA ELIAS

HÉLÈNE DESCHAMPS

SYLVIANE COYAULT

JULIEN

BRICE LOPEZ

VÉRONIQUE CAZENEUVE

MOHAMED KACIMI

GUILLAUME BONHOMME

FREDERIC CLAMENS-NANNI MATHIEU DE MUIZON

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LILIANE GIRAUDON

RÉBECCA DAUTREMER

ANNE SOPHIE ZUBER

MARIE PACCOU

JÉRÉMY VALLADE

FLORENTIN FELLER

EMILIE GUILTREAU

VIRGO


CLIQUEZ ET LISEZ ! EDITO Spectator in Fabula par Michel J. Renaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Bande annonce du N° 003 par Dalie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 LE OFF DES AUTEURS CONTEMPORAINS Arno Bertina et le rapport d’étrangeté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Liliane Giraudon le mouvement et la table de montage . . . . . . . . . . . . . 22 Mohamed Kacimi l’écriture face au cinéma : une vanité ? . . . . . . . . . . . . 26 DES AUTEURS JEUNESSE QUI FONT LEUR CINÉMA Rébecca Dautremer, l’atmosphère et l’émotion . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Marie Paccou le mouvement, le rythme et la musique . . . . . . . . . . . . . . 44 UN ÉDITEUR ET SES AUTEURS À L’AFFICHE Des graines et des guides par Véronique Cazeneuve . . . . . . . . . . . . .

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Hélène Deschamps, la «passeuse» en cinéma . . . . . . . . . . . . . . . .

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Anastasia et la magie de Keaton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 Mathieu de Muizon et la malice des Marx Brothers . . . . . . . . . . . . . .

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Des albums et des livres sur le cinéma . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 Le cinéma au pied de la lettre (épisode 1) par Geoffroy Emmanuel Floret NOS ILLUSTRATRICES Cécile Gambini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Fabienne Cinquin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Laetitia : La fée clochette des Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines ! . . . . . . . . 78 Le cinéma au pied de la lettre (épisode 2) par Geoffroy Emmanuel Floret DES IMAGES ET DES LECTEURS, ÉCRIRE À PARTIR DU CINEMA Fragments d’un dictionnaire amoureux du cinéma par Marie Agullo . . . . . . . .

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Comme au cinéma par Karelle Gautron . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90 Le cinéma au pied de la lettre (épisode 3) par Geoffroy Emmanuel Floret LES ZOOMS LITTÉRAIRES ET CINÉPHILES Images de la femme de dos ou l’art de se faire des films par Frédéric Clamens-Nanni . . 100

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Jacques Mény, vu des toits de Manosque par Alain Tissut . . . . . . . . . . . . 108 L’écriture cinématographique dans Le Rapport de Brodeck par Denys Couturier . . . . 116 Scrat, l’écureuil de l’âge de glace par Marie Agullo . . . . . . . . . . . . . .

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Le cinéma au pied de la lettre (épisode 4) par Geoffroy Emmanuel Floret LES BOUTS D’ESSAI DES PLUMES D’AILES ET MAUVAISES GRAINES Brève histoire d’une rencontre par Dalie . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136 Traitement de l’antiquité au cinéma et influence sur la connaissance historique par Brice Lopez . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Histoire Antique et recherche expérimentale par Brice Lopez . . . . . . . . . . . 156 La littérature au cinéma par Laurent Chamalin . . . . . . . . . . . . . . . . 174 De la plume à l’écran, les séries télévisées par Jérémy Vallade . . . . . . . . . .

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Regard sur les séries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190 Petit vagabondage dans les livres d’images, les films et mes souvenirs par Sophie Zuber . 192 Le cinéma et la littérature d’une jeunesse histoire d’une passion par Clémentine Pillon Vallée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202 Florilège des enfants de la diversité dans le cinéma et la littérature jeunesse par Béatrice Diarra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 Pourquoi est-ce compliqué les Noirs et les Arabes dans la littérature et le cinéma ? par Dalie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Le cinéma au pied de la lettre (épisode 5) par Geoffroy Emmanuel Floret FESTIVALS, LITTÉRATURE ET CINÉMA Festival Littérature au Centre par Sylviane Coyault . . . . . . . . . . . . . . 266 Festival Plein la Bobine par Guillaume Bonhomme . . . . . . . . . . . . . .

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LES CONSEILS DES LIBRAIRES, LECTEURS ET CINÉPHILES Les conseils de Morgane de la librairie il était une fois à Billom . . . . . . . . . . 284 Les suggestions d’Emilie Guitreau, librairie les Volcans à Clermont-Ferrand . . . . . 286 Julien, élève de CM2, et Harry Potter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288 Suggestion d’adaptations cinématographiques pour le lycée de Florentin Feller . . . . 290 Conversation sur les réseaux sociaux ( de professeurs) . . . . . . . . . . . . . 292

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LE OFF DES AUTEURS CONTEMPORAINS

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ARNO BERTINA ET LE RAPPORT D’ÉTRANGETÉ

PAMG : Quelles relations littérature et cinéma peuvent-ils avoir d’après vous ? ARNO BERTINA : Un rapport d’étrangeté, parfois d’étrangeté radicale. Les romans qui récupèrent la syntaxe narrative du cinéma, ou les films qui se scénarisent comme des romans, ne m’intéressent pas. M’intéressent les films qui creusent la spécificité du cinéma, et les livres qui font principalement ce que la littérature est la seule à pouvoir faire (par opposition à la photo, au cinéma, à la télé, à la radio). C’est pour cette raison que j’aime autant le cinéma de Godard ou de David Lynch, ou les faux raccords dans Rois et reines de Desplechin, ou l’atmosphère si flottante de Dead Man. La question de l’image d’un côté, celle de la langue de l’autre… Je ne dis pas cela en puriste qui interdirait au roman d’être aussi un scénario, mais enfin quand on est face à un livre qui pourrait être un film sans trop de travail, ou face à un film qu’on novélisera très facilement, on sent bien que les auteurs ou les réalisateurs ont complètement renoncé à la puissance spécifique du médium ou des formes artistiques qu’ils utilisent. Mais surtout pourquoi cette préférence : parce que les films n’apportent aux livres (et inversement) qu’à partir du moment où ce rapport d’étrangeté est cultivé, creusé. Les films d’Albert Serra ou d’Otar Iosseliani m’apprennent plus sur ce que je cherche dans l’espace du roman que des films plus proches d’être de simples scénarios, c’est-à-dire plus inspirés de l’art du roman et ses techniques. - 14 -


PAMG : Vous avez coordonné l’ouvrage collectif En procès, une histoire du XXème siècle, en quoi le procès est-il un sujet particulièrement cinématographique ? A.B. : Je ne sais si le procès est un sujet particulièrement cinématographique, à vrai dire. Tous les ingrédients du théâtre et de la cérémonie sont là, c’est certain, et peut-être que la cérémonie et le théâtre sont les racines du cinéma… Peut-être qu’à ce titre-là le cinéma se sent à son aise au moment de filmer un procès. C’est aussi que l’intensité dramatique est alors servie sur un plateau : être jugé, se défendre, être condamné (rejeté)… C’est du nanan pour un réalisateur ou un scénariste. Mais peut-être certains autres réalisateurs ou scénaristes se sentiront-ils trop à l’étroit, dans ce cadre-là, dont le langage est complètement figé – dans sa distribution, sa hiérarchie, comme aussi bien dans l’idéologie qu’il véhicule (celle de l’époque, celle de la classe sociale qui a le pouvoir, etc). PAMG : Dans votre œuvre, quels sont les opus, qui, dans leur écriture ont puisé dans le cinéma ? A.B. : Appoggio empruntait à l’opéra, pour bousculer quelque chose d’assis dans le roman – ses conventions réalistes principalement –, et au cinéma de Cassavetes un peu, à ces films qui tanguent, débraillés, comme à ces personnages bousculés par une inquiétude terrible. Mais peut-être Anima motrix… C’est pourtant bel et bien un livre, un roman, et tout adaptateur ou scénariste qui mettra le nez dedans le refermera aussitôt en ne devinant pas, je crois, le potentiel cinématographique. Un homme fuit du nord au sud de l’Italie, en voiture d’abord, en moto ensuite, à pied enfin, et pour finir dans les transports en - 15 -


commun, à prendre conscience de ce qu’est la vie qu’on fait aux réfugiés qui fuient leur pays pour survivre, ou tenter de, en Europe. Un adaptateur n’y verrait pas la matière d’un film pour une autre raison que le travail de tissage que je tente entre plusieurs strates de vie, d’histoires. Il n’y trouverait pas son compte car Anima motrix ne dialogue qu’avec un certain cinéma. Avec Honor de cavallería, par exemple, sorti la même année que mon livre (2006). Dans les deux cas (le film d’Albert Serra et mon roman) il s’agit d’œuvres muettes (mon roman ne devient parlé que dans les cent dernières pages, quand après s’être usé, frotté au paysage, le personnage peut enfin – mis à nu, débarrassé de sa folie paranoïaque – entendre les récits de vie des réfugiés qu’il croise aux abords de Rome ou de Bari, dans les Pouilles). Pour l’écrire je n’ai pas puisé dans le cinéma à proprement parler, mais sans doute aije été chercher, quand j’écrivais Anima motrix, un certain rapport au paysage que le cinéma ou la photo construisent plus facilement que la littérature. PAMG : Comment procède l’image dans votre travail ? Voyez-vous quand vous imaginez ? A.B. : Je peux vous répondre sans exagérer que je ne fais que ça (visualiser, voir). Je dois dire ici que ma première passion artistique en tant que praticien aura été la photographie ; entre mes 11 et mes 17 ans, la photo m’aura vraiment obsédé, et il m’arrive de dire qu’en écrivant je suis un photographe raté, au sens où je cours après des émotions et des sollicitations qui sont en fait celles du photographe. Dans Anima motrix, pour y revenir, se trouve un chapitre (l’épisode de la grange) qui m’a beaucoup obsédé, qui reste très présent dans mes souvenirs, alors qu’il n’a pas une si grande importance sur le plan de la construction du roman. Je crois que son statut particulier tient au fait que le personnage voit toute la scène en étant collé au caillebotis d’une grange, les yeux glissés dans un interstice de la paroi en bois, ce dispositif surexcitant l’œil qui, du coup, comme le dit le poète Emmanuel Laugier, bande. En écrivant, je - 16 -


ne fais que voir, ou chercher à voir. La photographie sait enregistrer une certaine qualité de lumière filtrée par les feuilles d’un arbre, ou la douceur de la lumière sur un vêtement. Je peux passer des heures, en photographe raté, à tenter de faire passer cette qualité de lumière dans une phrase. C’est absurde, je le sais bien, mais cette tension érotique est ce qui me pousse vers l’écriture, et je me dis, que même en échouant, se lira tout de même, dans mon texte, une tension à l’œuvre. Celle du type essayant de nettoyer les vitres avec un chiffon boueux, mais enfin, une tension. PAMG : Quelle œuvre, signée Arno Bertina pourrait faire un bon film ? Quel réalisateur ? Quels comédiens ? A.B. : Anima motrix (pardon de me répéter). Par Albert Serra. Ou Jean-François Stévenin, dont j’ai beaucoup aimé Passe-Montagne et Michka. Le Dehors pourrait aussi donner un film étonnant je crois, ou Je suis une aventure, mais dans ces deux cas précis, il faudrait que le réalisateur désosse le livre, qu’il prenne des libertés grandes, à la façon de Godard quand il triture à l’infini le roman de Moravia pour Le Mépris. Sans cette liberté, le dialogue avec le réalisateur ne m’intéressera pas beaucoup. PAMG : Ecrire des romans, pour vous, est-ce écrire des histoires ou donner à voir une histoire ? Comment concevez-vous la création romanesque de nos jours ? A.B. : Deux questions bien compliquées. Je viens de décrire une scène d’Anima motrix. De fait, la traque d’une certaine intensité ne se joue pas qu’au niveau de quelques scènes, ni même dans le meilleur des cas, de toutes les scènes prises séparément. Il faudrait que chaque livre soit déjà une vision en soi, que chaque livre propose une vision. Non pas comme on dit souvent « une vision des choses » ou « une façon de voir la vie », mais bien une vision, c’est-à- 17 -


dire un geste ou une situation irréductible à un discours. Il ne s’agit donc pas de « donner à voir » (la formule renvoie trop aux arts visuels) mais de dérouler tout ce que contient une image séminale, qui aura déclenché l’écriture du livre. Pour Le Dehors, c’est l’idée de deux hommes qui ne se connaissent pas mais font la même expérience de la solitude et du mutisme (auquel ils sont contraints par la guerre d’Algérie et le racisme). Pour Appoggio c’est la vision de ce legs fait par une cantatrice du 19e siècle, à la ville de Bologne, de son larynx, dans du formol donc, exactement comme les scientifiques soviétiques disséquèrent le cerveau de Lénine pour y trouver l’explication de son génie. Pour Anima motrix c’est la vision d’un homme fuyant à travers la forêt, soignant sa paranoïa par la marche, descendant du Nord au Sud quand les réfugiés font le trajet en sens inverse. Pour Je suis une aventure, c’est l’image de Federer sur le toit du musée Tussaud, en pleine nuit, alors qu’il est en train de voler sa propre statue de cire – c’est la vision, donc, de deux Federer sur un seul toit, à regarder Londres par en dessous, pris de panique à cause d’un attentat. Mais c’est aussi, pour ce roman-là, l’expression (forgée dans les marges de Ma solitude s’appelle Brando) « une liberté sans ennemi », et la vision du ruban de Moebius, ou la vision d’un essaim d’étourneaux. Ce sont donc des choses muettes appelant des pages et des pages de texte, ou un certain assemblage de mots (la détonation produite par ces mots, la déflagration). C’est donc toujours impur, mélangé, bâtard, ni uniquement visuel, ni uniquement dans le langage et dans l’oreille. Le langage c’est du son, c’est une bouche qui parle ou l’infraverbal du corps ému, c’est donc déjà immédiatement physique, et c’est ce mélange qui me porte, pendant 3, 4 ou 5 ans, avec enthousiasme, fasciné, jusqu’à la fin d’un livre. PAMG : Quelles sont pour vous les limites du cinéma par rapport à la littérature et inversement ? Vous avez adapté Les Démons de Dostoïveski pour France Culture. Auriez-vous pu adapter cette œuvre au cinéma ? Pour quelles raisons ? A.B. : Je ne suis pas certain qu’une forme artistique soit bornée par des limites. Le principe de la démarche artistique est de toujours jouer avec les représentations figées, c’est-à-dire de toujours chercher le mouvement, l’adaptation, le renouvellement de - 18 -


notre rapport au monde. Il existe des films sans images (l’écran noir de Guy Debord), il existe des livres infiniment opaques et quasiment pas narratifs (Finnegan’s Wake)… Il existe des œuvres moins radicales aussi, mais aventureuses tout de même… Dostoïevski s’est-il limité, a-t-il écrit en fonction des limites traditionnelles du roman traditionnel ? Je ne pense pas. Malgré la parution de ses livres en feuilleton ou en livraison dans la presse, ce qui l’obligeait à un certain formatage narratif, scénaristique, il a rendu le reste de son matériau complètement fou, hors norme, il l’a détravé, il lui a retiré la rate (comme on fait aux chevaux de course pour qu’ils soient plus rapides). Dostoïevski justement. Cette adaptation pour France Culture (réalisée avec l’écrivain Oliver Rohe) aura été un temps de travail passionnant (je ne parle pas du résultat radiophonique mais bien du travail d’adaptation avec Oliver). S’approcher, six mois durant, de la folie et du génie d’un tel roman (Les Possédés, ou Les Démons) est une merveille. Bien entendu ce livre pourrait devenir un film, mais un film fou, comme il y a eu des adaptations folles, pour la scène, dans des durées hors normes (6, 8, 10 heures !) mais il faudrait pour ce film, plus que pour d’autres certainement, des acteurs incandescents, géniaux, car les dix rôles principaux supposent tous des acteurs capables de mettre le feu au langage, ou de faire voir le feu que Dostoïevski a mis dans leur tête et dans leur bouche (d’où la pertinence d’une adaptation pour le théâtre ou la radio). L’aurais-je adapté moi-même pour le cinéma ? A certaines conditions (la confiance des producteurs, et partager une vision commune du livre, et de l’ambition nécessaire) oui, peut-être. Autrement non, le milieu du cinéma m’attire beaucoup moins que le cinéma en lui-même, et je ne voudrais pas avoir à me conformer aux décisions de producteurs très normatifs comme apparemment il entraîne plein dans le milieu.

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A.B. : Ma culture cinéphilique est bien trop mince pour que je puisse répondre de manière pointue. Je crois me souvenir que La Blessure, un film de Nicolas Klotz sur une jeune femme enfermée dans la zone des expulsions, à Roissy, était présenté comme une adaptation de L’Intrus de Jean-Luc Nancy (relatant l’expérience de sa propre transplantation cardiaque). Si c’est bien cela, je trouve la transposition (arriver à vivre avec le cœur d’un autre / rejeter l’étranger) magnifique – humainement, poétiquement, politiquement. Dans le même genre (quand un artiste prend des libertés avec ce qui l’a inspiré), il y a évidemment cet époustouflant chef d’œuvre qu’est Apocalypse Now, de Coppola. Epoustouflant pour le film en lui-même, mais aussi par rapport à la nouvelle de Conrad (Au cœur des ténèbres) elle- même géniale, fascinante, dont il s’est pourtant en partie éloigné, pour lui être mieux fidèle. Idem avec la nouvelle de Cortazar ayant donné Blow Up. Je crois fermement à cette idée qu’une adaptation n’a de sens que si l’on est prêt à « abimer » l’œuvre de départ pour que le résultat concerne pleinement le média d’arrivée. On peut adapter un roman au cinéma si et seulement si cela devient du cinéma, posant des questions de cinéma, de jeu, d’incarnation, de lumière, de montage. S’il s’agit de rester fidèle au livre, de ne pas décevoir ceux qui ont aimé le livre, autant passer l’après-midi à écosser des haricots.

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LES COUPS DE CŒUR D’ARNO BERTINA

PAMG : Enfin, si vous deviez citer la plus belle adaptation cinématographique ? Le plus grand échec ?


Lire Arno Bertina Arno Bertina est un auteur qui joue : avec les attentes de son lecteur, avec les codes de la narration, avec les références variées (du football à Dostoïevski et bien plus…). Son premier roman Le Dehors ou la migration des truites peut être lu au lycée, particulièrement en classe de première, pour montrer le renouvellement des formes romanesques au XXIème siècle. La structure originale de ce roman qui croise les itinéraires de Kateb, immigré kabyle qui vit à Paris et de Malo, jeune médecin français émigré en Algérie, permet de montrer comment les deux personnages se construisent à travers leurs choix mais aussi leurs renoncements, voulus ou imposés. L’œuvre permet aussi de présenter un regard incarné, vivant, à l’échelle d’un homme, d’évènements majeurs comme la guerre d’Algérie ou encore mai 68. En croisant petite et grande histoire pour mieux dégager ce qui fait à la fois la force et la faiblesse d’une destinée, les romans d’Arno Bertina pourraient se situer dans un corpus à étudier en classe entre des extraits de grands romanciers russes qu’il admire et de penseurs existentialistes comme Albert Camus pour nourrir une réflexion sur ce qui fait l’étrangeté intrinsèque de cette créature singulière qu’est l’être humain.

Bio-bibliographie d’Arno Bertina Né en 1975, Arno Bertina est l’auteur de Le Dehors ou la migration des truites (Actes Sud, 2001) et Appoggio (Actes sud, 2003), second volet d’un triptyque romanesque clos par Anima motrix (Verticales, 2006). Je suis une aventure, son quatrième roman, est paru en 2012 (Verticales). Il est par ailleurs l’auteur de récits, dont Ma solitude s’appelle Brando (Verticales 2008), J’ai appris à ne pas rire du démon (Naïve, 2006, rééd. Hélium 2015) et Des lions comme des danseuses (La Contre Allée, 2015). Ancien pensionnaire de la villa Médicis et membre du comité de rédaction de la revue Inculte, il a prolongé ces expériences collectives au sein de courts romans écrits dans les marges de travaux photographiques, notamment La borne SOS 77 et Numéro d’écrou 362573 (Le bec en l’air, 2009 et 2013). - 21 -


LILIANE GIRAUDON

LE MOUVEMENT ET LA TABLE DE MONTAGE PAMG : Littérature et cinéma, une rencontre, un mariage impossible, un divorce éternel ? LILIANE GIRAUDON : Littérature et cinéma, un mariage impossible donc une histoire d’amour contrariée… Mais une histoire d’amour, c’est sûr. PAMG : Quelle place le cinéma prend-il dans votre œuvre ? L. G. : Il prend une place considérable parce que mon amour pour les films est inséparable de celui que j’ai pour les livres. Mais ce n’est peut-être pas toujours visible ni repérable dans mes premiers livres. Par contre, maintenant, avec un lâcher-prise grandissant (je contrôle de moins en moins ce que j’écris) le cinéma, son impact sur moi, apparaît ouvertement. Mais il faut que je précise… Mes goûts sont très vastes… J’aime par exemple les westerns, Tarantino et je suis fan des Mad Max… PAMG : Dans L’Omelette rouge, vous donnez à entendre plusieurs voix d’acteurs ou de réalisateurs dont le couple formé par Jean-Marie Staub et Danièle Huillet : quelles sont vos références cinématographiques ? Quels acteurs et réalisateurs vous fascinent le plus ? L. G. : Straub et Huillet oui, parce qu’ils sont deux. Un couple. Et que les couples sont rares dans cet exercice. Il y a des frères. Pas de sœurs… C’est intéressant non ? Leur revisitation de Kafka, d’Empédocle ou de Brecht ou de Mallarmé est très - 22 -


forte… Une véritable lecture verticale... Dans mon dernier livre L’Amour est plus froid que le lac Fassbinder et Chantal Ackermann (qui venait de mourir) occupent une grande place. Sans eux, ce livre n’existerait pas. PAMG : Le lire-dessiner, c’est une image, un mouvement, un langage qui mime ? Comment définiriez-vous ce mode créatif ? Dans L’Omelette rouge vous citez cette phrase de Pasolini «La seule poésie est la poésie à faire.» Quel cinéma reste-t-il «à faire» selon vous ? L. G. : Ce qui m’intéresse c’est le mouvement. Pasolini était à la fois cinéaste et poète. Oui, comme disait Beckett « Essayer faire ». Et faire c’est aussi défaire. Faire autrement. Le cinéma qu’il reste à faire va être fait par de jeunes inconnu(e)s encore invisibles. Avec d’autres outils, sous d’autres formes. Autrement. A une époque, je me suis beaucoup intéressée au cinéma expérimental… PAMG : La poésie peut-elle encore être liée au cinéma ? Le cinéma n’a-t-il pas tué l’image poétique ? L. G. : Le stupéfiant image, il avait fallu le tuer. Nettoyer une vieille lyrique usagée et en phase terminale dans l’usage du poème. Mais le poème est increvable. Il se rejoue autrement. Idem pour le cinéma qui fut un art réellement populaire lui, et c’est là sa grande force. Aujourd’hui, les poètes utilisent la vidéo. Sortent du format livre. Je me suis moi-même intéressée à cette pratique, par exemple avec Akram Zaatari pour notre petit ciné poème Les Arabes aiment les chats et avec Marc-Antoine Serra pour 21 degrés Celsius et Si Marseille est un étron … Ce sont des tentatives dans les marges du cinéma mais qui utilisent la projection.

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PAMG : Laquelle de vos œuvres est la plus cinématographique ? Quel réalisateur pourrait faire ce film, avec quels comédiens ? L. G. : Je ne sais pas si ce que j’écris est cinématographique. Ce que je peux dire c’est que la technique du montage est très présente dans ma stratégie d’écrire. On peut dire que je monte mes livres (curieuse expression quand le sujet est féminin) comme on monte un film. J’ai ma table de montage dans la tête… Par ailleurs, je suis incapable d’écrire un scénario. Pour ce qui serait d’une adaptation d’un de mes livres, peutêtre La Fiancée de Makhno mais alors il faudrait que ce soit un bâtard de Bela Tarr qui s’en empare, et là bien sûr, je rêve… PAMG : Enfin, si vous deviez citer la plus belle adaptation cinématographique ? Le plus grand échec ? Pourquoi ? L. G. : Question difficile parce qu’il faudrait vraiment y réfléchir. Mais dans l’immédiat, comme ça je dirais Pasolini, son Evangile selon saint Mathieu et sa relecture de Sade… Et Godard bien sûr, pour moi le cinéaste du livre…

Bio-Bibliographie Liliane Giraudon « Née en 1946 Liliane Giraudon vit à Marseille. Son travail d’écriture, situé entre prose (la prose n’existe pas) et poème (un poème n’est jamais seul) semble une traversée des genres. Entre ce qu’elle nomme « littérature de combat » et « littérature de poubelle », ses livres, publiés pour l’essentiel aux éditions P.O.L dressent un spectre accidenté. A son travail de « revuiste » (Banana Split, Action Poétique, If…) s’ajoute une pratique de la lecture publique et de ce qu’elle appelle son « écriredessiner » : tracts, livres d’artiste, expositions (dessins), ateliers de traduction, feuilletons, video, théâtre, radio (ACR, fictions, feuilleton France Culture), actions minuscules… Duo vocal avec Robert Cantarella. Le Garçon cousu avec Nicolas Maury et Robert Cantarella 2014. F.A.U.S.T (co écrit avec Robert Cantarella, Stéphane Bouquet, Noelle Renaude … 2014. En 2013 elle codirige aux Editions BAZAR un mensuel de poésie La gazette des jockeys camouflés (13 numéros téléchargeables sur son site) dans les marges de la collection «Les jockeys camouflés». « Une existence tordue » pourrait être le titre de son laboratoire d’écriture où circulent des voix. » http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=86

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Marseille-postcards (avec Jean-Jacques Viton), Le Bleu du ciel, 2006 La Vraie vie d’Angeline Chabert après sa mort, Les oubliés, 2007 Mes bien-aimé(e)s (dessins Christophe Chemin), Inventaire/Invention, 2007 La Poétesse, P.O.L, 2009 Hôtel (avec Bernard Plossu et Jean-Jacques Viton), Argol, 2009 A3 (avec Henri Deluy et Jean-Jacques Viton), / Action Poétique, 2009 Les Talibans n’aiment pas la fiction, publie.net, 2009 Biogres, Ritournelles / Malagar, 2009 L’Omelette rouge, P.O.L, 2011 Les Pénétrables, P.O.L, 2012 Histoires d’ail (avec Xavier Girard), Argol, 2013 Madame Himself, P.O.L, 2013 La Sphinge mange cru, Al dante, 2013 Le Garçon cousu, P.O.L, 2014 L’amour est plus froid que le lac, P.O.L, 2016 Le site de Liliane Giraudon : http://www.lilianegiraudon.com/bio-bibliographie/ Les vidéo-lectures de Liliane Giraudon pour se laisser prendre à une douceur racontée : Madame Himself : https://www.youtube.com/watch?v=AYqSXcH4yhk Le garçon cousu : https://www.youtube.com/watch?v=KpZ3pTdAIOU Les pénétrables : https://www.youtube.com/watch?v=_NI0JZqg8xE

Lire Liliane Giraudon La lire c’est comme n’être jamais seule. Cela rompt le mouvement frénétique de la vie. Liliane Giraudon propose une écriture de l’attente. Une écriture où le lecteur doit être patient avec lui-même, avec le texte, avec même son expérience de lecture. Je conseille cette lecture en classe de troisième et au lycée comme une autre manière de dire. La rencontre du sens et de soi, se fait dans un espace matérialisé sur la page. Consultez et choisissez le livre comme un parfum. Testez une fragrance et voyez si elle épouse votre peau. Posez-la et reprenez-en une autre. Peutêtre pour plus tard, peut-être pour une autre saison ou un moment où votre cœur sera différent. Transmettre la littérature, c’est apprendre à se retrouver dans les livres comme dans un refuge. Un refuge à soi-tout-seul mais pour ne pas être abandonné. Ne pas être laissé pour compte. Voilà un choix de fragrances qui me plaisent.

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MOHAMED KACIMI

L’ÉCRITURE FACE AU CINÉMA : UNE VANITÉ ?

PAMG : Mohamed Kacimi, lorsqu’on évoque le duo littérature et cinéma, qu’est-ce que cela représente pour vous ? MOHAMED KACIMI : Pour moi la référence absolue reste Pasolini, aussi bien dans Médée, dans les Mille et une nuits que dans l’Evangile selon Saint Matthieu. Il avait le génie de s’emparer d’un mythe, d’une légende ou d’un livre sacré en y imprimant sa vision personnelle, et en poussant en même temps le récit « littéraire » de départ à un paroxysme rare, sans le travestir ni le trahir. Son Evangile porté à l’écran reste l’œuvre la plus mystique du cinéma réalisée par un cinéaste agnostique.

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PAMG : Est-ce que le point d’ancrage entre cinéma et littérature n’est pas le rapport à la réalité ? M.K. : Bien sûr, mais l’œuvre littéraire reste toujours une fiction qui se souvient très bien du réel. PAMG : Est-ce que le cinéma en fait arrive finalement au secours d’une littérature qui n’arrivait plus à rendre le réel, comme Eisenstein le dit dans sa théorie du cinématisme ? M.K. : Moi je dirais que le cinéma va progressivement contre la série littérature parce que la littérature était née pour capter des images et des choses pour les fixer donc aujourd’hui ce qui se passe c’est la disparition progressive de la littérature et la télévision et le cinéma vont la remplacer progressivement, oui. PAMG : Qu’est-ce que vous diriez par rapport au théâtre ? M.K. : Je dirais que c’est la même chose, nous sommes à un moment historique où il y a une page qui se tourne, difficilement peut-être, mais une page, dix pages de Balzac tiendraient aujourd’hui dans une photo. C’était cette volonté acharnée qu’a eu l’homme de fixer des choses, de fixer des paysages, des instants, des sentiments qui, aujourd’hui est complètement battue en brèche - et c’est une bonne chose - par ces technologies nouvelles. Donc le théâtre n’échappe pas à ça surtout en France où c’est complétement un genre qui est, j’en ai l’impression, une sorte de relique ou quelque chose d’un temps passé qui vit ses derniers moments, également parce que ça reste le privilège d’une classe sociale née d’un monde clos et schizophrène complétement coupé de la réalité d’aujourd’hui. PAMG : Mais pourquoi vous continuez d’écrire alors ? D’écrire l’image, qu’est-ce que cela représente pour vous alors en tant qu’auteur ? M.K. : Moi, j’écris parce que je n’attends rien de la littérature, donc il y a eu toute la théorie de nos aînés, de Ricardou, de Faille, dans les années 60 : la littérature va transformer le monde , va transformer le réel, c’était dans le grand courant de l’utopie marxiste des années 50 et 60, aujourd’hui déjà la littérature a du mal à se transformer

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elle-même donc je pense que si la littérature peut changer, un roman peut changer les émotions d’un individu ou de deux c’est déjà une très grande victoire, donc j’écris en étant conscient du rôle complétement superflu et vain à la fois, de la littérature, du roman et du théâtre. PAMG : Nous aimerions pourtant vous faire part d’une suggestion : nous avons lu avec attention et bonheur le journal1 que vous avez écrit en parallèle de la création de la pièce d’Adel Hakim Des Roses et du jasmin. Cette écriture nous a donné à la fois l’envie d’en lire davantage et d’en voir plus. Ne croyez-vous pas que cette expérience ferait un film excellent, un narrateur, une histoire d’amours meurtries et d’espoirs tragiques qui ne désespèrent pourtant pas ceux qui vous lisent et assistent à la pièce ? M.K. : Il était prévu de faire un documentaire sur l’aventure de la création, mais nous avons manqué de moyens. Le journal témoigne de toutes les péripéties de cette aventure qui était un apprentissage de l’altérité : comment convaincre des comédiens palestiniens de jouer des juifs allemands échappés au nazisme et installés dans la Palestine mandataire? PAMG : Nous avons enfin une dernière question pour vous : est-ce que vous pourriez nous citer des adaptations, des mouvements entre littérature et cinéma qui ont donné pour vous de belles expériences de spectateur ? M.K. : Oui, j’ai beaucoup aimé, est-ce que c’était Chabrol qui l’avait fait le Madame Bovary, j’avais trouvé ça c’était une très belle adaptation. Ce qui est con, c’est qu’on 1

Texte à lire dans son intégralité ici : http://www.enlargeyourparis.fr/ivry-a-jerusalem-theatre/

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attend d’une adaptation qu’elle restitue un roman et c’est une chose pratiquement impossible, donc l’adaptation c’est ce qui trahit le moins un roman. Il y avait aussi Umberto Eco par rapport au Nom de la Rose qui avait dit : «ça, ce n’est pas une adaptation c’est un palimpseste ». C’était très beau parce qu’il est vrai que dans la profusion de ce texte extraordinaire qu’est le Nom de la Rose l’adaptation me semblait bonne : c’était une sorte de condensé, une sorte d’abstract qui était issu du roman et qui donnait envie de le lire mais ce n’était absolument pas le roman d’Umberto Eco. PAMG : Est-ce que vous aimeriez adapter une de vos œuvres au cinéma ? M.K. : J’aimerais bien adapter, il en a été question un moment donné, c’était la Confession d’Abraham un peu dans le style des Monty Pythons sur le Christ. PAMG : Un mot de la fin ? M.K. : J’aimerais bien retrouver Clermont où j’ai vécu, avec intensité, la création de ma première pièce, 1962 au Petit Vélo.

Biobibliographie de Mohamed Kacimi

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Mohamed Kacimi-El-Hassani est né à El Hamel en 1955. Il grandit dans les livres, et se tourne vers l’écriture après un platonique coup de foudre pour le Dormeur du val. Il voyage dès son adolescence et découvre le pays de la langue qui est sa langue d’écriture : la France. Il entre en littérature avec Le Mouchoir puis continue de partager son activité entre l’écriture, la mise en scène, et les essais. La Confession d’Abraham, Gallimard Folio, 2012 L’Orient après l’amour, Actes Sud, 2009. Prix de littérature Armorice Beyrouth, XXI siècle, Pensée du Midi, Actes Sud, 2008. Terre Sainte, l’Avant Scène, mention spéciale du jury du grand prix de littérature dramatique Cléopâtre, Reine d’Égypte, Milan, 2010. Le Monde arabe, encyclopédie jeunesse, Milan, 2001 1962, théâtre, Actes Sud Papiers, 1998 Enfance algérienne, collectif, Gallimard, 1997 Le Jour dernier, roman, Stock, 1995 Mémoire verticale, anthologie de la poésie yéménite, Aires, 1994 Ababyl, de Chawki, traduction avec Bernard Noël, PAP, 1993 Enfances d’ailleurs, collectif, Belfond, 1993 Naissance du désert, avec Chantal Dagron, Balland, 1992 Arabe ? vous avez dit Arabe ? Vingt-cinq siècles de regards occidentaux, essai, avec Chantal Dagron, Balland, 1990 Parole du Qarmate, de Chawki Abdelamir, traduction avec Guillevic, Arfuyen, 1988. Le Mouchoir, roman, L’Harmattan, 1987.

Pourquoi il faut lire, étudier

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et rencontrer Mohamed Kacimi Mohamed Kacimi est un auteur engagé, un auteur qui rechigne à accepter le monde tel qu’il est et qui ronchonne après lui. Il allie une lucidité teintée de cynisme à la verve joyeuse d’une ivresse consommée. Ce qui est plaisant chez l’homme et dans l’œuvre, c’est cette perspective sans complaisance qui ose refuser à la politesse bienséante un sourire compassé pour offrir un rire moqueur et franc. L’écriture et l’homme ont horreur des tricheries et des hypocrisies du monde, l’écriture et l’homme refusent les faux-semblants. On peut étudier au collège comme au lycée cette Confession d’Abraham qui confesse la facilité avec laquelle l’homme compose avec le mal et la fatalité. On peut aussi consulter cette encyclopédie unique sur le monde arabe. Son œuvre redevient contemporaine, comme si le cycle de l’histoire avait réactualisé un passé que l’on croyait révolu. Les œuvres de Kacimi résonnent comme les avertissements d’une Cassandre que l’on aurait du mal encore et toujours à entendre. Lire Kacimi aujourd’hui, c’est se lier à ce regard de l’Autre sur soi tellement vital en temps de défiance.

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DES AUTEURS JEUNESSE QUI FONT LEUR CINÉMA

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Bat Bunny, 2013

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RÉBECCA DAUTREMER L’ATMOSPHÈRE ET L’ÉMOTION

PAMG : quel est votre plus beau souvenir de lecture, votre plus beau souvenir de cinéma ? RÉBECCA DAUTREMER : J’ai des souvenirs de lecture d’enfance et surtout d’adolescence. Si je commence à la petite enfance, j’ai des souvenirs de lecture merveilleux, j’avais à ma disposition la Comtesse de Ségur, le club des 5, bibliothèque rose et verte, ces souvenirs merveilleux de lecture qui correspondaient à ma vie parce que je suis née dans une famille très classique, très traditionnelle. Je lisais cela à haute voix avec mes cousins et cousines et on jouait les personnages, c’était plutôt ringard ,il n’empêche ce sont des souvenirs merveilleux. Ensuite adolescente, j’ai des souvenirs d’émotions intenses avec par exemple Des souris et des hommes de Steinbeck et les Zola, j’ai lu entièrement la série des Rougon Macquart, c’est vraiment la lecture de mon adolescence, j’avais adoré cela et j’écoutais de la musique en même temps qui n’avait strictement rien à voir, de la musique contemporaine pop, rock et je me faisais mon propre film , je faisais de la lecture en musique. Mes souvenirs de cinéma sont peu nombreux. Je suis née en 71, mes parents n’étaient pas plus argentés que cela, j’ai dû aller trois fois au cinéma dans mon enfance et petite enfance, je me souviens du premier film, c’était Les Misérables où jouait Lino Ventura. J’étais terrorisée par toute l’ambiance de ce film, extrêmement marquée par les images. C’est un livre que j’ai relu, adulte, et j’ai découvert toute l’énormité du projet qui avait plus de poids que le film que j’avais vu, mais les images du film, m’ont marquée dans ma lecture. Dautres films m’ont marquée à mon adolescence : Maurice de James Ivory et, adulte ce sont les films de David Lynch et Terrence Malick. Je suis très marquée par ce cinémalà. C’est plus un cinéma d’émotion que de narration, un cinéma d’atmosphère. - 35 -


Récemment je revoyais le film de Terrence Malick Le Nouveau monde, c’est un film qui m’émeut de la première image à la dernière. Le plus beau aussi c’est Days of heaven, Les Moissons du ciel je pleure du premier plan au dernier plan. C’est ce cinéma qui me marque, j’avoue pourtant avoir plus d’émotion en lisant qu’en allant au cinéma. Je trouve que, maintenant, au cinéma j’oublie très vite ce que j’ai vu, je ne sais pas si on est trop abreuvé d’images, j’ai plus de mal à tenir devant un film, je m’ennuie très vite si ce n’est pas fort comme les films de Lynch.

R.B. : Je suis nourrie d’images photographiques filmées ou figées, des fois je regarde un film pas en tant que film mais je vais m’intéresser au travail de la photo dans ce film-là. Quand je fais un livre ça marche un petit peu comme un petit film que je me fais dans ma tête, je fais une petite mise en scène, je me ballade bel et bien mentalement avec une caméra en tout cas avec un appareil photo.

Récemment j’ai travaillé sur un album qui s’appelle Le Bois dormait, ça se passe entièrement dans un village que j’ai appelé «Le Bois», c’est une balade dans un lieu où En fait, je suis très vite gênée par le tout le monde s’est endormi, je me balade maniérisme, je suis incapable de voir vraiment dans ce lieu avec mon appareil les films américains de base, d’aventure ou de comédie. J’ai beaucoup de mal à regarder ces films où les codes sont toujours les mêmes. Quand les codes, le jeu, les répliques et la diction qui sont systématiquement les mêmes et les rebondissements sont répétitifs, je n’arrive plus à m’émouvoir. Il faut vraiment que l’on m’étonne et que tout soit étrange pour arriver à être happée. Le dernier film qui m’a plu, c’est Toni Erdmann, un film allemand : c’était super parce qu’il m’a étonnée! PAMG : Pour revenir à l’image, dans vos créations, qu’est-ce qui vous inspire le plus : le cinéma ou la littérature ? - 36 -


R.B. : J’aurais la prétention de le réaliser moi-même. Ça n’arrivera jamais ! J’ai eu et j’aurai des projets de films animés mais ce qui me gêne dans les dessins animés c’est que techniquement je ne peux pas reproduire mon travail à la main sur le papier, je ne pourrai jamais l’animer exactement tel qu’il est dans mes livres, il va toujours être ou extrêmement simplifié Princesses oubliées ou inconnues, Cinderella à cause de la 2D ou travesti et mal réalisé photo, les lieux sont cohérents les uns par à cause de la 3D, à moins d’avoir des rapport aux autres : il y a un espace qui millions que je n’aurai jamais. existe, les arrières plans deviennent des premiers plans d’une page à l’autre parce J’ai déjà travaillé sur un court métrage, que le lieu est cohérent et réel dans mon Kerity et la maison des contes, j’ai été esprit. C’est la vie que je veux donner à mes horriblement frustrée par la simplification images, par des déformations d’optique des personnages. Au début je ne voyais que l’on retrouve dans la photographie : par que les défauts techniques du film mais exemple, je peux arrondir les perspectives, avec du recul, car j’ai revu récemment donner l’ impression de regarder à travers le film, je me dis que c’est un petit film une lentille. de bonne facture et qui fonctionne bien avec les petits. J’espère qu’il y a un charme qui s’en dégage même si pour moi il y a d’épouvantables erreurs de dessin. Dans mon projet de long métrage qui est en cours de financement Miles, c’est PAMG : Si vous vouliez transformer sûr que l’on repart à zéro pour la création par exemple votre dernière œuvre en de l’esthétique. Ce projet est très long à film animé, quel réalisateur choisiriez- mettre en place et je n’ai pas la patience et les compétences pour aller séduire les vous ? chaînes de TV ou les financiers, donc je Je travaille mes crayonnés et mes mises en page à la main sur du papier et quand je veux déformer les choses je remets sur Photoshop mes éléments de décor. Je vais les étirer, les déformer et après je reproduis le dessin à la main sur du papier. Tous mes dessins sont faits à la main mais je vais m’aider de l’informatique.

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laisse le producteur défendre le projet, je ne m’en occupe absolument pas. Il y a un autre projet en cours avec Sacre Bleu, on a postulé pour France Télévision, il y avait un court métrage qui se fera peut-être...

Projet Miles 80’ - 2D, réalisatrice : Rébecca Dautremer - Concept Graphique : Rébecca Dautremer Scénario : Taï-Marc Le Thanh- Coproducteurs : Bidibul Productions

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PAMG : Qu’est-ce que cela apporte l’animation, pourquoi est-ce un rêve pour vous ? R.B. : Franchement, c’est par curiosité naturelle, c’est travailler avec des gens, être confrontée à des techniques autres. J’aime faire des livres, je suis tranquille pour les faire, ça marche bien, je fais ce que je veux, je raconte ce que je veux. Parallèlement, j’ai envie de faire de la BD et là on se rapproche beaucoup plus de la mise en scène du cinéma, si je dois faire du cinéma ce sera à travers la BD. PAMG : Je voulais vous demander quel film pour vous pourrait faire un bel album ? R.B. : C’est étrange, en ce moment je suis à la recherche plutôt de romans dont je voudrais faire l’album, en version illustrée. J’ai fait récemment une version illustrée du roman d’Alessandro Barrico, qui s’appelle Soie. Il est sorti il y a une vingtaine d’années, il a eu un succès incroyable. C’est une histoire d’amour extraordinaire très particulière qui se passe au début du siècle entre le Japon et la France. J’ai fait une version illustrée qui est sortie il y a 3 ans. C’était une expérience de mise en images d’un roman. - 40 -


Je suis à la recherche d’un nouveau projet avec l’éditeur on cherche comment mettre en images un roman mythique. Mettre en images un film? Non, parce que le film est déjà en images, ça serait étrange. Il y a des aventures qui me plairaient mais pas forcément liées au film. Par exemple ça me plairait de mettre en image les histoires de Bonnie and Clyde, je pense que c’est plus la biographie des personnages que le film lui-même dont il faudrait s’éloigner de toute façon. Ce serait un défi de prendre des films mythiques, des films énormes du genre La Nuit du chasseur ou Shinning ! Vous voulez un Dautremer original, c’est ici : http://www.artnet.com/artists/rebecca-dautremer/ Ou ici : http://www.galerierobillard.com/en/artists/details/60/rebecca-dautremer-artprint Ses ouvrages sont disponibles….dans toutes les librairies

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Bio-bibliographie de Rébecca Dautremer « Rébecca Dautremer est née en 1971 dans les Hautes-Alpes. Diplômée des Arts Décos de Paris en graphisme, passionnée de photo, elle se tourne vers l’illustration jeunesse à l’occasion d’un premier album, en 1996, chez Gautier-Languereau. Il sera suivi de nombreux succès parmi lesquels L’Amoureux et le célèbrissime Princesses oubliées ou inconnues, ou encore d’objets insolites et impressionnants, comme Une Bible, avec Philippe Lechermeier, son complice de Princesses. Un coup d’œil suffit à reconnaître son style unique. Artiste exigeante, généreuse et éprise de liberté , elle cherche toujours à repousser ses limites, gardant la fraîcheur et la modestie de qui remet son ouvrage sur le métier, depuis déja… 20 ans cette année ! Ses originaux au format géant, véritables œuvres d’art recherchées par les collectionneurs, deviennent pour petits et grands les pages d’albums à contempler des heures, sans se lasser. » http://editions-sarbacane.com/le-bois-dormait/ L’avis de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines : Lire Rébecca Dautremer, parcourir son œuvre c’est se perdre dans des perspectives intérieures. Elle vole au-dessus de son univers et nous lui tenons la main. Ce qui impressionne, c’est aussi son imaginaire si exigeant qui recherche l’absolue justesse, une beauté diverse qui donne à ses personnages cette possibilité d’être à portée de soi. Les enfants se plaisent à chercher les détails à tourner les pages d’un monde de mystère dont le réalisme sublimé permet une lecture fascinée, fascinante.

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• Le Bois dormait, Edition Sarbacane, novembre 2016 • Vendredi ou les limbes du Pacifique, adaptation musicale

de Romain Humeau en collaboration avec France Culture, 2015 (d’après l’œuvre de Michel Tournier, 1967) • Une bible, de Philippe Lechermeier, Gautier-Languereau 2014 Soie, d’Alessandro Baricco, 2012. • Alice au pays des merveilles, texte adapté par Sophie Koechlin, d’après Lewis Carroll, illustré par Rébecca Dautremer, Gautier-Languereau, 2010 • Journal secret du Petit Poucet, de Philippe Lechermeier, Gautier-Languereau, 2009. • Kerity, la maison des contes : l’album du film, texte de Anik Le Ray ; création graphique originale de Rébecca Dautremer, Flammarion, 2009 • Swing café, un conte musical de Carl Norac, illustré par Rébecca Dautremer ; et raconté par Jeanne Balibar ; Carmen Miranda, chant ; Duke Ellington, p ; The Mills Brothers, groupe voc. et instr., Didier jeunesse, 2009 - livre-disque • Art Book, monographie/carnet de route annoté par Rébecca Dautremer, Éditions du Chêne, 2009. • Elvis, Taï-Marc Le Thanh, Gautier-Languereau, 2008. • Le Loup de la 135e, Seuil Jeunesse, 2008. • Séraphin Mouton, série d’albums de Taï-Marc Le Thanh, Gautier-Languereau, 2007. • Nasreddine et Nasreddine et son âne d’Odile Weulersse, Père Castor Flammarion, 2007. • La Tortue géante des Galapagos, tragédie en cinq actes pour une coccinelle, un moustique et 8 animaux de ferme, Gautier-Languereau, 2006. • Le Grand Courant d’air de Taï-Marc Le Thanh, Gautier-Languereau, 2006. • Cyrano1, raconté par Taï-Marc Le Thanh, illustré par Rébecca Dautremer ; d’après Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, Gautier-Languereau, 2005 • Nasreddine, textes Odile Weulersse, Père Castor Flammarion, 2005. • Sentimento de Carl Norac, Bilboquet, 2005. • Lili la libellule de Florence Jenner Metz, Bilboquet, Coll. Comptines, fables et poésie, 2004 • Princesses oubliées ou inconnues, texte de Philippe Lechermeier, illustrations de Rébecca Dautremer, Gautier-Languereau, 2009, 2010, 2012. • Babayaga, texte de Taï-Marc Le Thanh, illustrations de Rébecca Dautremer, Gautier-Languereau, 2003 • L’Amoureux, texte et illustrations de Rébecca Dautremer, avec la collaboration de Mona Le Thanh, Gautier-Languereau, 2003 • Je suis petite, mais… mon arbre est grand ! de Christine Beigel, Magnard jeunesse, 2003 • Le Livre qui vole de Pierre Laury, Bilboquet, 2003 • Une lettre pour Lily la licorne de Christian Pochon, Gautier-Languereau, 2002 • Le Géant aux oiseaux de Ghislaine Biondi, Gautier-Languereau, 2001 • Les Deux Mamans de Petirou de Jean-Vital de Monléon, Gautier-Languereau, 2001 • Les Fables de La Fontaine, Magnard jeunesse, 2001 • Le Ciel n’en fait qu’à sa tête, Gautier-Languereau, 2000 • Tant espéré, tant attendu de Diane Cadieux, Gautier-Languereau, 2000 • Au clair de la terre, Gautier-Languereau, 1997. • La Chèvre aux loups de Maurice Genevoix, Gautier-Languereau, 1996 • L’Enfant espion d’Alphonse Daudet, Deux Coqs d’Or, 1995

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MARIE PACCOU

LE MOUVEMENT, LE RYTHME ET LA MUSIQUE PAMG : Littérature et cinéma cela évoque quoi pour vous ? MARIE PACCOU : Ce qui me passionne c’est l’animation. C’est un cinéma peut être moins littéraire que le cinéma de prises de vues réelles surtout en France où il y a une passion des dialogues dans la prise de vue réelle : on voit cela dans les scénarios, il y a quelque chose d’un peu théâtral, très écrit - peut-être trop parfois - dans les films français. Le cinéma d’animation est plus un cinéma d’images parce que les formations s’enseignent dans des écoles d’images. Un premier essai avant Un jour, c’était à partir d’Henry Michaux, la série Plume. Ce qui me plaît dans Michaux, c’est sa langue très simple, les situations fantastiques qui ne sont pas appuyées : on glisse dans le fantastique sans y faire attention, l’air de rien, avec des mots simples. C’est une série dans laquelle le personnage est très distrait, très effacé, il y a treize petites histoires très courtes qui varient d’une page à 4/5 pages (le film on ne le trouve plus), j’ai notamment réalisé un film sur « l’arrachage de tête ».la nouvelle dans le recueil « Plume » : c’est l’histoire de deux personnages qui arrachaient une tête par hasard et qui ne savaient pas quoi en faire et qui devaient la remettre à un autre personnage. Sinon, je m’inspire aussi de la musique. En cours, je fais travailler les étudiants sur des clips, ça me paraît plus facile. Dans un des derniers travaux j’ai eu moins l’impression d’écrire parce que la structure de la musique était là et c’est déjà un déroulement dans le temps, temporel, ça aide beaucoup et c’est dessus que je fais travailler les étudiants, - 44 -


c’est une meilleure porte d’entrée à l’animation. En fait, pour Un jour, ce que je voulais faire c’était une sorte de BD. J’ai écrit un jour l’image de « la femme qui a un homme en travers du ventre » et un texte « un jour un homme est entré dans mon ventre ». Il m’a semblé que c’était une sorte de logique de dérouler le cycle, au moment où je l’ai fait, il y a eu des discussions sur le scénario avec les gens à qui je parlais du film, tout le monde n’était pas d’accord sur la fin mais moi il me semblait que ça ne pouvait finir que comme ça. Sur Un jour il y a eu une mise en place progressive, au départ c’était juste des images fixes avec un texte comme un livre d’illustrations. L’animation m’a permis de travailler les transitions et de rendre cela plus cinématographique. PAMG : Ce qui est plus cinématographique, est-ce seulement le mouvement ? M.P. : Il y a aussi le rythme, la musique évidemment. Le son c’était important et le

silence aussi. J’ai appris ça sur ce film car le monteur son qui venait du cinéma m’a appris à écouter les silences, à choisir un type de silence pour un plan particulier, à mettre de la densité, de la profondeur dans l’image. Dans l’animation, la plupart des gens viennent de l’image, ils n’ont pas une bonne connaissance du son, C’était le défaut à l’époque : être trop cartoon et très plat. Le son est une manière d’approfondir - 45 -


et se réapproprier une animation. Animer, c’est mettre de soi, c’est jouer, il y a une ré-interprétation qui passe par le dessin mais c’est toujours incarné. Pour moi, ce qui a été aussi très important, ce sont les transitions. C’était lié à mon admiration pour deux auteurs : le premier, c'est Frédéric Back qui a fait L’homme qui plantait des arbres d’après Giono. C’est un film où il y a des transitions tout le temps, c’est ce qui le rend très fluide. L’autre auteure c’est Caroline Leaf une Américaine qui a travaillé à l’ONF au Quebec. J’ai été marquée par La rue, une adaptation de M. Zimmer. Elle a travaillé en peinture animée, c’est aussi très fluide, elle travaille sur la même table, elle peut passer d’un plan à un autre en douceur. La rue, Caroline Leaf.

Après, dans mes autres films, j’ai essayé de faire des choses plus cinématographiques dans le sens d’essayer de maîtriser ou de faire des choses avec les champs/contre champs, de mieux maîtriser l’espace. PAMG : Qu’est ce qui fait pour vous un bon film d’animation ? M.P. : C’est très difficile de répondre. D’ailleurs, je pose la question à mes étudiants pour éviter d’y répondre. Ils doivent répondre dans une animation, une sorte de série d’ateliers que j’appelle les autodocus. Par groupe ou individuellement et après une table-ronde, les réponses sont ensuite montées dans un film d’animation. Les autodocus, c’est une manière plus sincère d’animer, de faire faire des animations. J’ai fait cela avec des instituteurs, des enfants, des lycéens. On peut trouver un des films en ligne, il a été réalisé par des maternelles et des lycéens, cela s’appelle Les Enfants de la télé. - 46 -


Un film d’école, auto-docu réalisé avec des professeurs Les enfants de la télé, des paroles d’enfants et des images des écoles. Un petit bijou à voir en ligne : https://vimeo. d’enfants animés à voir en ligne : http://www.dailymotion.com/video/xeoxqh_les-enfants-de-la-tele_creation com/83221021

PAMG : Les animations qui vous plaisent, qui vous touchent qui font que vous leur donnez une forme de valeur, quel est le point commun de ceux qui vous plaisent ? Qu’est-ce qu’ils ont et que les autres n’ont pas ? M.P. : Ce qui me déplaît ce sont les films sans polysémie, qui véhiculent un message, quand cela va tout droit : ce n’est pas intéressant. PAMG : Auriez-vous des titres de films qui vous ont plu ces derniers temps ? M.P. : A Annecy, c’était l’euphorie totale pour Louise en hiver de Laguionie. Il y a eu aussi La Jeune fille sans mains, adapté d’un conte de Grimm par Sébastien Laudenbach qui était aux arts-déco avec moi. Louise en hiver, c’était très touchant parce que le réalisateur revenait à Annecy pour l’avant-première après 50 ans, il avait déjà eu un grand prix avec un très bon court métrage La Traversée de l’Atlantique à la rame, j’ai vécu sa présence comme un cadeau qu’il faisait aux gens. PAMG : Qu’est ce qui fait la beauté ou la réussite de ces deux films ? M.P. : L’année dernière, j’étais aussi à Annecy, il y avait des films français avec des personnages

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féminins que je trouvais mal écrits comme Avril et le monde truqué qui étaient moins crédibles et moins portés par leurs réalisateurs. Alors que pour La Jeune fille sans main et Louise en hiver, on s’y attache, on sent que leur réalisateur était impliqué. C’est très beau quand un homme peut s’investir dans un personnage féminin et le rendre à l'écran. Louise en hiver, c’était très touchant car le réalisateur Jean-François Laguionie a une sorte de sagesse. Dans Louise en hiver, il y a le temps de la contemplation, il y a un rythme qui n’est jamais ennuyeux, cela m’a beaucoup plu. Le personnage principal, c’est une vieille dame et c’est très rare en animation. Je pense que c’est aussi un peu rare dans le cinéma ! L’animation est estampillée jeunesse facilement, on doit privilégier des mouvements rapides, c’est plus difficile de faire des mouvements lents. Dans Louise en hiver c’est une vieille dame qui marche comme une vieille dame, elle met le temps pour aller d’un point à un autre. Il y a une écriture très poétique qui valorise la solitude. C’est aussi un personnage qui perd la mémoire et ça fait un peu peur à certains. L’argument de ce scénario c’est que cette vieille dame a été oubliée sur une île, personne ne vient la chercher mais en même temps cela ne lui manque pas, elle reste là une année entière se plongeant de plus en plus dans ses souvenirs d’enfance . C’était une séance extraordinaire, quand le réalisateur est venu présenter la première, c'était la standing ovation, il y en a souvent à Annecy parce que c’est un festival corporatiste, mais là c’était vraiment particulier. Jean-François Laguionie a présenté son film avec beaucoup d’humilité et il a dit « voilà maintenant je ne peux plus rien faire, je vous le donne ». A la sortie, les gens étaient euphoriques ils ne quittaient plus la salle ils avaient envie que ça ne s’arrête pas, ils voulaient rester dans cette émotion, cette expérience. PAMG : Que pensez-vous du retentissement de Ma vie de courgette ? M.P. : J’ai découvert Ma vie de courgette avec le teaser où l’on voit la marionnette qui passe le casting pour être le héros. C’est une idée de mise en scène géniale. Le teaser - 48 -


servait à présenter un casting d’enfants. C’est très rare en animation d’embaucher des enfants comme acteurs. Ce film est à hauteur d’enfant dès la conception. PAMG : Finalement le point commun c’est la justesse d’un bon film, c’est l’expérience, l’expérience vécue, le temps vécu par le spectateur. On peut à la fois mettre des mots dessus et ne pas en mettre. M.P. : La beauté c’est difficile à obtenir, à fabriquer il n’y a pas de recette.

BIOGRAPHIE DE MARIE PACCOU « Née en 1974 à Dakar de parents français, Marie Paccou a découvert l’animation à 15 ans grâce au Festival de Baillargues et à Pierre Azuélos. Entrée aux Arts Décoratifs de Paris, où elle a réalisé son film Un Jour, elle a fait partie de la 1ère promo cinéma d’animation, avec Sébastien Laudenbach, Marie-Jo Long, Juliette Loubières, Geoffroy Barbet-Massin... Elle poursuit ensuite ses études au Royal College of Art de Londres, où elle réalise Quand tu dors , puis Moi, l’Autre, en co-production avec la FilmAkademie de Wurttemberg. En 2000, elle s’installe en Auvergne, où elle réalise un court-métrage en peinture animée (Le Jardin) produit par les Films de l’Arlequin. Après la naissance de ses deux premiers enfants, elle anime de nombreux ateliers en Auvergne et dans toute la France. En 2009, elle monte avec la Maison aux Mille Images la première édition des Journées du Film Bricolé, puis réalise un documentaire animé, Hubert, l’Homme aux Bonbons, produit par les Films de l’Arlequin. Parallèlement, elle oeuvre à la création d’un DMA cinéma d’animation à Cournon d’Auvergne, où elle enseigne l’animation de septembre 2009 à juillet 2012. Elle a eu un troisième enfant en 2010 et travaille désormais à l’écriture d’un nouveau courtmétrage produit par Les Trois Ours. » http://mariepaccou.com/index.php?mode=qui

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VOIR LES FILMS DE MARIE PACCOU Un Jour

Réalisé en 1998, durée 4 min 20, support 35 mm Voix : Christine Gagneux Musique : Matthieu Aschehoug Design sonore : Fabrice Gérardi Animation : Marie Paccou et Alexis Appert Awards : European Academy Award, Prix du Jury et Prix du Public à Imagina, Grand Prix au Festival de Tampere, Prix MercedesBenz au Festival de Stuttgart, Meilleure Animation à Uppsala, à Villa Do Conde, à Oberhausen, à Sienne, à Sitges, à Kiev Distribution : Les Films de l’Arlequin fariza.arlequin@gmail.com Voir en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=kyMTbV2yqsY

Quand tu dors

Réalisé en 1998, durée 1 min 20, support 16 mm Voix : Prune Balladur Musique : Jessica Curry Design sonore : Fabrice Gérardi production & distribution: Royal College of Art animation@rca.ac.uk Voir en ligne : https://vimeo.com/43329892

Moi, l’autre

Réalisé en 2000, durée 6 min 20, support 35 mm Voix, chant : Françoise Breut Musique : Domnique A Design sonore : Fabrice Gérardi Awards : Best student Animation, Ottawa Production : RCA & FilmAkademie Baden-Wurttemberg Distribution : Royal College of Art animation@rca.ac.uk Voir en ligne : https://vimeo.com/43330419

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Le Jardin

Réalisé en 2002, durée 6 min, support 35 mm Musique : Matthieu Aschehoug Design sonore : Fabrice Gérardi Awards : Prix Cinécour, Festival Les Nuits Magiques Production & distribution : Les Films de l’Arlequin fariza.arlequin@gmail.com

Hubert l’homme aux bonbons

Réalisé en 2010, durée 8 min 20, support 35 mm Musique : Les Flying Tractors Décors et personnages secondaires : Géraldine Alibeu Animation papier Hubert : Marie Paccou Animation & compositing : Stéphane Ricard, Corinne Garcia, Jean Duthon, Hedi ben Houcine, Géraldine Alibeu Design sonore : Didier Lamaze et Luis Briceno Montage : Camille Morhange Awards : Special Mention in Bruz Production & distribution : Les Films de l’Arlequin fariza.arlequin@gmail.com

Pas Beau

Réalisé en 2013, durée 2 min 46, support numérique Voix : Marie-Jo Long (voix additionnelle : Matthieu Boogaerts) Musique : Flop Images : «Nosferatu» de F W Murnau Animation : Marie Paccou Production & distribution : La Maison aux Mille Images filmbricole@gmail.com Voir en ligne : https://vimeo.com/62090391

Spectateurs

Réalisé en 2014, durée 1 min 18, support numérique Réalisé dans le cadre du Concours Paris Mash Up 2014 Images sources : non-spécifié par l’organisateur (Forum des Images) Animation : Marie Paccou Production & distribution : La Maison aux Mille Images filmbricole@gmail.com Voir en ligne : https://vimeo.com/113556395

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UN ÉDITEUR ET SES AUTEURS À L’AFFICHE

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DES GRAINES ET DES GUIDES par Véronique Cazeneuve directrice des éditions À dos d’âne

Nées en 2010, les Éditions À dos d’âne ont la forme statutaire d’une association. L’équipe qui l’anime a placé sa mission sous le signe de la transmission, avec le projet d’aborder la culture avec légèreté. Collection fondatrice de la maison, la collection Des graines et des guides propose de mini biographies illustrées sur des personnalités contemporaines, femmes et hommes qui ont changé le monde. Les livres sont au format de poche et comptent une cinquantaine de pages. Ce petit format, d’une grande efficacité pour les jeunes lecteurs, et notamment pour ceux qui sont en difficulté de lecture, s’avère un défi passionnant pour les auteurs. Comment raconter Chaplin, Truffaut, Hitchcock ou Fellini en cinquante pages ? Comment aborder à la fois le parcours biographique et professionnel, tout en donnant des clés de lecture cinématographique ? Une démarche qui exige d’aller à l’essentiel, en s’adressant à la sensibilité du jeune lecteur et en ayant toujours à l’esprit que celui-ci a tout à découvrir, tout à apprendre - quelle merveille ! Une discipline à laquelle se plient auteurs jeunesse, poètes et spécialistes. Titre après titre, À dos d’âne propose aux enfants de construire leur culture des XIXe, XXe et XXIe siècles, et la collection dessine peu à peu une photographie de notre époque contemporaine. Époque où le cinéma a toute sa place, puisqu’il est né avec elle. C’est pourquoi cette collection compte déjà neuf titres consacrés à des cinéastes. Depuis les débuts du cinéma, avec Méliès, Chaplin, Buster Keaton, les Marx Brothers, en passant par Hitchcock, Fellini, Tati, et jusqu’à la Nouvelle Vague avec Rohmer et Truffaut. Un titre sur Renoir paraitra au printemps 2017, ainsi qu’un titre consacré à Michel Ocelot, premier d’une série sur le dessin d’animation. - 54 -


Chaque opus, selon un format défini, s’ouvre sur l’enfance du cinéaste et sa formation. Il est important que le jeune lecteur puisse s’identifier au personnage, qu’il partage ses rêves, ses ambitions, ses épreuves. Ensuite viennent le parcours artistique et l’analyse de ce qui constitue la spécificité de chaque réalisateur. Parmi la richesse créative de chaque cinéaste, la priorité sera donnée à ce qui peut toucher davantage les enfants : les gags des Marx Brothers, le suspens chez Hitchcock… Pour aborder Fellini, l’auteur italien Daniele Aristarco a proposé de tenir le fil de l’imaginaire forain dans l’œuvre du maître. Idée magnifique qui permet de présenter une œuvre réputée difficile pour des enfants, une œuvre dans laquelle la part d’enfance est pourtant si forte ! Les poètes, depuis Cocteau, ont un accès privilégié au cinéma. Zéno Bianu a signé un titre magique sur Georges Méliès, et Luc Baba a su dire tout le tendre génie de Charlie Chaplin. Témoin privilégié de l’œuvre de Rohmer, l’actrice Aïdée Caillot nous conte un Eric Rohmer retournant sans cesse à la source de l’inspiration. J’ai, pour ma part, signé le titre sur François Truffaut, qui m’émerveille par la liberté qu’il a su insuffler au cinéma. Depuis 2013, plusieurs titres cinéma ont été confiés à Hélène Deschamps, conférencière jeune public et formatrice d’enseignants en classes élémentaires et collèges : Alfred Hitchcock, Les Marx Brothers, Buster Keaton. Hélène Deschamps va fréquemment à la rencontre du jeune public, dans les écoles, les médiathèques ou les cinémas pour parler de ces auteurs et initier les plus jeunes à la lecture de leurs œuvres. Et quel bonheur ensuite d’entendre leurs rires fuser devant un film muet de Buster Keaton ! De nombreuses critiques de la presse jeunesse ont salué la qualité de la collection Des graines et des guides et c’est pour nous - 55 -


une grande fierté que de contribuer à l’ouverture au monde des enfants. Il s’agit de nourrir à la fois leur culture et leur imaginaire. Chaque livre est illustré en noir et blanc, un choix là aussi d’éducation de l’œil. Des graphistes comme Pauline Sciot, Mathieu de Muizon ou Gianpaolo Pagni, des artistes comme Anastassia Elias, et même des réalisateurs comme Pierre-Luc Granjon ont prêté leur plume et leur talent pour ouvrir les portes du cinéma aux plus jeunes, et nous leur en sommes très reconnaissants. Nos titres cinéma ont été sélectionnés par le Ministère de l’Education nationale, via le réseau Canopé, et grâce à l’association Les Enfants de cinéma, référent cinéma auprès de ce Ministère et du Ministère de la Culture. Pour en savoir plus : www.adosdane.com

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L’avis de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines La collection Des graines et des guides réussit le double pari d’instruire et de transmettre le goût des mots et l’intérêt de l’image. Chaque bibliothèque devrait acquérir cette petite collection dont chaque opus fait le pari de connaître la singularité d’un grand personnage de cinéma et son empreinte dans l’histoire universelle. L’esthétique de chaque illustrateur imprime son regard personnel sur le cinéma et donne alors des ouvrages à la fois harmonieux dans leur intention et uniques dans leur proposition. C’est tout l’art d’une collection réussie. Nous avons un seul souhait : des femmes et des artistes de la diversité plus présents dans le catalogue ! Découvrons maintenant quelques opus avec leurs auteurs.

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HÉLÈNE DESCHAMPS LA «PASSEUSE» EN CINÉMA

PAMG : On vous surnomme « passeuse en cinéma », qu’est-ce que cela représente pour vous ? HÉLÈNE DESCHAMPS : Cette expression signifie transmettre le cinéma aux enfants, il y a l’idée de les accompagner pour aborder une autre rive, celle du cinéma. Je serais celle qui mène la barque pour les préparer à poser les pieds dans un autre univers. Comme de tout voyage, on en revient plus curieux et plus riche, le cinéma aide à se comprendre et à regarder le monde. C’est ainsi que j’imagine mon travail de « passeuse ». J’aime penser que le cinéma aide à vivre, à se construire un monde intérieur et une réflexion par rapport aux autres et au monde, le cinéma est donc vital, il aide à grandir. PAMG : Pour vous, quels sont les enjeux du cinéma pour la jeunesse aujourd’hui ? Existe-t-il d’ailleurs un tel cinéma ? H.D. : Il y a aujourd’hui de très nombreux films qui sont produits pour le « jeune public », qui représente une large part de marché. La difficulté consiste à distinguer au sein de cette production, qui tend à faire des films des produits de consommation, les quelques pépites, qui sont parfois fragiles. Par exemple, Phantom boy, d’Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli, sorti en 2015, qui est un dessin animé absolument magnifique et bouleversant. Ce film de super héros si

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atypique n’a pas réussi à rassembler le public à la hauteur de ses ambitions. Cela est très inquiétant, il faut préserver la diversité esthétique et thématique, contre une uniformisation et donc un appauvrissement de la production (et finalement un appauvrissement du regard des spectateurs). Depuis le succès mondial de Kirikou, la production française de films d’animation est prolifique, tant au niveau de la quantité que de la qualité, c’est fantastique, mais c’est fragile. Il faut y prendre garde. PAMG : Qu’en est-il des relations entre la littérature pour la jeunesse et le cinéma ? H.D. : Il existe relativement peu d’ouvrages pour la jeunesse consacrés au cinéma, même si on assiste à la naissance de nouvelles revues, de sites internet (Benshi, par exemple) pour le jeune public. C’est nouveau. L’idée est la même : donner envie aux enfants de découvrir le cinéma, les sensibiliser à des formes cinématographiques différentes, leur apprendre à être curieux, à s’étonner. PAMG : Vous avez écrit les textes de plusieurs opus de la collection Des graines et des guides des Éditions à dos d’âne, comment avez-vous conçu le récit de ces grands du cinéma ? H.D. : À chaque fois que je présente un film ou que j’écris un livre, ma question essentielle est toujours la même : comment présenterais-je ce film ou ce réalisateur à quelqu’un qui ne sait absolument rien de ce film ou de ce réalisateur ? Il faut à la fois repartir à zéro, situer le cinéaste dans l’histoire du cinéma, et expliquer ce qu’il a apporté au cinéma, que personne d’autre que lui n’a exprimé comme lui. En quoi sa façon de raconter une histoire au cinéma est-elle unique ? Il s’agit ensuite d’entrer dans son univers, de trouver des mots simples et des idées fortes et imagées pour tenter de raconter l’univers du réalisateur. Pour Hitchcock, mon point de départ était la peur d’un enfant, une peur indéfinissable. Hitchcock racontait souvent cette histoire : enfant, son père l’avait envoyé dans un commissariat de police avec une lettre, le commissaire l’avait alors enfermé quelques minutes en prison (il faut lire la totalité de l’histoire dans le livre !). La peur et le sentiment de culpabilité, sublimé par le thème du faux-coupable, travaillent nombre de ses films. Mais il fallait expliquer en quoi Hitchcock est un génie, « le maître du suspense », combien il a réinventé la mise en scène

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et l’image en usant de certains trucages, comme les transparences, par exemple, qu’il aimait beaucoup. Pour les Marx Brothers une approche plus chronologique s’imposait puisqu’ils étaient passés (en famille) par le music hall avant de faire du cinéma. C’est également le cas de Buster Keaton, mais, pour lui, il fallait aussi parvenir à définir son style et son personnage si particuliers, le différencier d’un Chaplin, par exemple, qui est aussi dans la collection Des graines et des guides. Le plus difficile pour Keaton fut de renoncer à beaucoup de choses que j’aurais voulu aborder. En effet, la difficulté majeure de la collection est le format : c’est très court ! Il faut dire l’essentiel, tout en entrant dans les détails et en ne renonçant à rien ! PAMG : Si vous deviez choisir trois adaptations littéraires pour la jeunesse, lesquelles choisiriez-vous ? Quelles sont pour vous les nécessaires qualités d’un « bon » film pour la jeunesse ?

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H.D. : Les qualités essentielles d’un film pour la jeunesse me paraissent les suivantes (la liste n’est pas exhaustive) : • 1 Un film ne doit sacrifier en rien la complexité des choses, c’est-à-dire éviter le manichéisme. • 2 Un film doit laisser de la place au spectateur, il doit rester des choses inexpliquées, des silences, des mystères, de la poésie. Un film doit pouvoir ainsi se prolonger chez les spectateurs, qui alors le reçoivent chacun à leur manière. • 3 Un film réussi est un film qui peut se revoir à différents moments de sa vie, à différents âges, et à chaque fois sa vision sera renouvelée. • 4 Un film doit nous faire battre le cœur, en un mot, nous faire éprouver des émotions. Je ne suis pas réalisatrice, seulement spectatrice, lorsque je lis un livre, je ne pense pas à une possible adaptation cinématographique, en général si j’aime vraiment un livre, je n’ai pas besoin, ni envie, d’en voir une version au cinéma. Par contre je peux donner des titres de films pour la jeunesse que je trouve absolument essentiels : Le Roi et l’oiseau, Une Vie de chat, Phantom boy, U, Le Garçon et le monde, Tout en haut du monde, Ma Vie de courgette, La jeune fille sans mains, pour ce qui est des films d’animation, et pour les films en prise de vue réelle : Les Contrebandiers de Moonfleet (Fritz Lang), Capitaine Achab (de Philippe Ramos), Le Carrosse d’or, French Cancan ou Le Fleuve (Renoir), L’Enfant sauvage ou Les 400 Coups (Truffaut) (Il y a finalement, dans cette liste, très peu d’adaptations littéraires !)

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ANASTASIA ET LA MAGIE DE KEATON PAMG : Vous avez participé à l’opus qui concerne Buster Keaton dans la collection Des graines et des guides des Editions à dos d’âne, qu’est-ce qui, dans son œuvre pourrait inspirer la vôtre ? ANASTASIA : J’aime l’apparente légèreté de ses films. Certaines scènes, qui parfois ne durent que quelques secondes, ont demandé beaucoup de travail, de répétitions et de réflexion. Et pourtant le spectateur ne se rend pas tout de suite compte de l’effort dépensé pour les réaliser. Le spectateur s’amuse et s’émeut, et c’est ce que voulait le réalisateur. Je suis aussi sensible à la fragilité du personnage de Keaton à qui il ne reste pas d’autre choix que d’affronter héroïquement les cataclysmes. Ce personnage est délicat et plein de poésie. Keaton le rend touchant ou drôle, sans effet de manche. PAMG : Dans votre ouvrage Rouleaux on a le sentiment de plonger dans un film en arrêt sur image, qu’est-ce qui vous a amené à une telle idée ? A. : Je m’amuse parfois à détourner les objets de récupération. Un jour mon regard est tombé sur un rouleau vide de papier toilette en me demandant si je pouvais en faire quelque chose. C’est ainsi que la série « Rouleaux » a débuté. Ce travail est inspiré par la vie quotidienne, par les gens qui m’entourent, par les villes que je visite, par les films que je regarde - 62 -


aussi. Autrement dit, je suis inspirée par mon environnement. PAMG : Dans quelle mesure le cinéma vous aide-t-il à créer ? A. : Le cinéma, comme la photographie, me fait découvrir des mises en scène et des cadrages intéressants, mais aussi l’utilisation de la lumière et des couleurs. Le cinéma est une source d’inspiration infinie.

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PAMG : Si vous deviez créer un film animé, quel conte aimeriez-vous adapter ? A. : Ce serait un conte d’aventure, peut-être fantastique. Mais pas de sorcières ni d’elfes, plutôt de la science-fiction avec des robots et des planètes lointaines.

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PAMG : Enfin, pourriez-vous nous dire quelle a été pour vous la plus belle adaptation cinématographique que vous ayez vue ? Pourquoi ?

A. : Je choisis Othello de Orson Welles. Tout y est magnifique et hypnotisant : le noir et blanc, les acteurs, l’atmosphère créée par la mise en scène inventive, les décors et la lumière. http://www.anastassia-elias.com/

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MATHIEU DE MUIZON ET LA MALICE DES MARX BROTHERS

PAMG : Vous avez illustré l’opus des Marx Brother dans la collection Des graines et des guides des Editions à dos d’âne, qu’est-ce qui vous a intéressé dans la démarche de cette collection ? Quelles proximités pourriez-vous établir entre l’œuvre des deux frères et la vôtre ? MATHIEU DE MUIZON : J’aime l’approche de cette collection car elle fonctionne à mon sens à l’inverse de nous les adultes, nous aimons le travail de quelqu’un et nous voulons en savoir plus sur cette personne. Cette collection prend le parti inverse, inviter le jeune lecteur dans l’univers de l’artiste en le présentant d’abord à celui-ci. D’une certaine façon, elle donne au lecteur des clés pour mieux approcher et comprendre l’œuvre sans même qu’il s’en rende compte. J’aime la douce folie des Marx Brothers, et même si je n’oserai me comparer à eux, je dirais cependant que j’essaie, moi aussi, de garder une douce folie, envers les mots, la musique, le dessin, toujours garder un sens du jeu. Et puis l’énergie ! Il y a chez les Marx Brothers une énergie unique, ça bouge de tous les côtés, les mots se courent après, les personnages aussi. Si j’arrivais à avoir l’énergie d’un seul des trois, je serai ravi, fini les

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vitamines ! PAMG : Vous réalisez aussi des films d’animation didactiques et citoyens, quel projet d’animation aimeriez-vous réaliser ? M.D.M. : L’animation est depuis longtemps une passion et aujourd’hui plus que jamais on y trouve mille talents (surtout en France, cocorico !). Peu importe le projet, j’essaye toujours de raconter quelque chose, d’insérer une histoire ; les exposés ennuient vite. J’adorerais travailler sur un projet d’animation, car cela veut dire en équipe. Quelque

chose qui manque parfois dans ma vie d’illustrateur. PAMG : Pour vous, l’animation pour la jeunesse doit-elle s’appuyer sur la littérature pour la jeunesse, ou procéder d’une écriture propre ? M.D.M. : Question difficile. D’un point de vue simple, adapter un livre en film nécessite une réécriture. Pour une raison principale : on peut dans un livre lire ce que pense le personnage , mais dans un film il faudra le faire ressentir au spectateur. C’est un peu comme aller à un endroit à pied ou en voiture. La destination est la même, le chemin différent. Le principal, c’est de garder en tête la destination, là où veut on aller. PAMG : Vous avez suivi une formation à Londres, puis à New York, quel impact

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cela-a-t-il eu sur votre esthétique ? Quelle histoire aimeriez-vous raconter ? M.D.M. : Mon parcours m’a amené vers une culture anglo-saxonne c’est vrai. Si j’aime la BD belge par exemple, ce n’est pourtant pas là que je me sens chez moi. Je ne saurais expliquer pourquoi. Je pense qu’il y a dans ces esthétiques un parti pris du minimum qui m’attire. Et aussi peut être plus de regard sur soi, avec dérision (ou sans parfois) mais plus de remise en question. Quant à ce que je voudrais raconter, j’ai plein de petits papiers avec des bouts d’histoires, ce que je n’ai pas toujours c’est du temps hélas. Alors, pour l’instant, j’accumule les petits papiers, j’espère trouver bientôt le temps de les rallonger. PAMG : Enfin, quelle est pour vous l’œuvre cinématographique pour la jeunesse qui vous a le plus touché, quelle adaptation d’une œuvre pour la jeunesse vous semble la mieux réussie ? M.D.M. : J’ai beaucoup apprécié Tout en haut du monde, une superbe histoire d’aventure féministe, colorée et sincère sans aucun cynisme. Pour l’adaptation cela se jouera entre Fantastique Mr Renard pour sa richesse visuelle et ses dialogues. Exæquo avec Persepolis, une animation faite à la main en noir et blanc un parti pris fort et culotté. Je pense que par son esthétique, le film a amené beaucoup de gens vers un sujet qu’ils n’auraient eu sinon nulle envie d’approcher. www.mathieudemuizon.com - 66 -


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DES ALBUM

SE

TD

ES

L’histoire et la technique

LIVR

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ES SUR LE

C

M INÉ

A


Histoires de films et films d’histoires

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Par Geoffroy Emmanuel Floret Comme d’habitude, il se réveilla bien plus tôt que prévu. Son réveil n’eut pas le temps de sonner qu’un lapin blanc au gilet bleu tout mité, sous un haut-de-forme troué, qui ne cessait de rattraper sa toquante pour ne pas la laisser tomber, avant de l’échapper à nouveau en criant des « En retard ! En retard ! Je suis en retard », disparut par la fenêtre. Il bailla lascivement et descendit les escaliers tordus qui menaient à la cuisine. Devant la grande cheminée qui crépitait à feu doux, il s’installa et pendant que la petite cuiller et le couteau à beurre se disputaient le droit de touiller son thé, le jeune Albus dévora tranquillement un livre moldu qui s’intitulait sobrement « Méliès, 1861-1938, sa vie, son œuvre, sa vision. » Il attacha une attention particulière à une photo on ne peut plus célèbre qui ouvrait le dernier chapitre. On y voyait la lune qui venait de recevoir un bouchon de champagne dans l’œil, ce qui, on le devine, devait fortement l’incommoder. Albus se frotta le quinquet gauche par empathie. Au même moment, Ginny, sa mère, surgit dans la pièce, le regard furibond, les bras chargés de tubes à essai et autres pipettes. Pour éviter Fumseck le phénix, qui voletait sur sa trajectoire, elle dut improviser un roulé-boulé fort artistique afin de rétablir son équilibre. Albus réprima un éclat de rire, comprenant que l’ire qui lui était destinée avant la chorégraphie, allait maintenant se diriger vers son paternel. « Harry ! Je suis consciente de la masse de travail que tu … » Sans demander son reste, Albus fila dans le jardin, prit le portoloin, pour retrouver son meilleur ami secret, Scorpius, dans leur cachette favorite. Ils avaient pris l’habitude de se retrouver dans les cachots de Bran en Transylvanie, dans le château de Dracula. Scorpius était déjà tout à ses expériences. Quand Albus apparut, il resta impassible, absorbé par la dissection de ce qui devait être une chauve-souris. « Tu ne donnes pas dans l’original, mentit Albus, faussement blasé. A ceci près qu’il ne s’agit pas de ce que tu crois. Ah ! Qu’est-ce que je suis sensé croire ?

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Non, assurément, je ne suis pas aveugle ! Je vois bien qu’il s’agit là d’un magnifique spécimen de mégalosaurus sans doute échappé du Monde perdu. Ne fais pas l’idiot ! T’es pas drôle quand tu te prends au sérieux. Pousse-toi un peu. Regarde là. Tu ne vois pas ? Tu as sous les yeux, une aorte de vampire, triple buse ! » Devant son ami époustouflé, Scorpius ne put s’empêcher de libérer un rire mordant, moqueur, victorieux. Albus était d’une légendaire susceptibilité. Les jointures de ses doigts blanchirent sur la couverture du livre qu’il avait apporté. Il allait bouder ou exploser. Déjà les objets commençaient à voler dangereusement autour d’eux et ses phalanges menaçaient de se briser… Il valait mieux calmer le jeu !

« Le top, ce serait d’aller épier un peu dans ses ateliers mais… - Le Retourneur de Temps ne peut pas aller aussi loin dans le passé. Les sorciers ne sont pas des voyageurs imprudents… » Ils restèrent un moment sans parler, coincés. Ils avaient horreur d’être coincés. Ils s’étaient jurés qu’ils ne le seraient jamais, qu’à eux deux, ils auraient toujours la solution... « Eureka ! » s’écria Albus. A suivre...

EPISODE 2

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(ÉPISODE 1)

Albus ouvrit son livre à la page de la photo qui l’avait fasciné. Son ami peu emballé de prime abord, se piqua de curiosité pour Méliès, l’ingénieux moldu.

LE CINÉMA AU PIED DE LA LETTRE

Ce n’est pas une chauve-souris.


NOS ILLUSTRATRICES

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CÉCILE GAMBINI Cécile Gambini est une illustratrice qui surréalise le monde et égrène un univers à la fois poétique, inattendu et même, dans ses opus en littérature générale, cruel. En première de couverture, son interprétation allégorique de la littérature et du cinéma offre un contraste lumineux pour une relation qui se confond dans la chevelure et le vêtement du personnage. Chevelure en pellicule et robe de mots, puis la lumière projette un Jacques Tati sous un parapluie silencieux. Ce qui est émouvant dans cette représentation, c’est le silence, la concentration du personnage. La question est sérieuse, profonde. On retrouve les créatures aquatiques de Cécile Gambini, peut-être dans une réminiscence d’Arizona Dream. On n’est jamais déçu par un livre de Cécile Gambini car elle ne donne injonction à rien, elle peint et dessine des hypothèses et c’est au lecteur de choisir son interprétation. Cette délicatesse toute britannique, ce flegme sensible donne à ses dessins une finesse vulnérable fascinante. Elle écrit et illustre des romans pour la jeunesse mais rédige aussi des romans illustrés. Elle a aussi inventé un personnage concurrent à Hello Kitty, un certain Rocky Cat, sémillant et loufoque. On aime aussi Au Secours Mémé, un petit roman graphique où Cécile raconte, en quelques pages, quatre tranches de sa vie qui touchent et font rire. Elle a la métaphore ironique et le verbe malicieux, Cécile Gambini quand elle parle d’amour, de sexe, de mort et de triste série noire. La vie de Cécile ressemble finalement à ce qu’elle dessine, et inversement. Dalie Son blog : http://pavupapri.blogspot.fr/

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FABIENNE CINQUIN Fabienne Cinquin est d’abord connue pour ses drôleries colorées, ses personnages aux joues rouges et ses compositions qui relient monde végétal et monde animal. Elle amorce depuis quelques années un parcours de représentation vers un univers plus sombre et plus intime. Dans un ouvrage fabuleux, elle élabore un cabinet de curieuses qui figure toute la diversité de son talent. On aime l’inquiétude latente de ses réalisations, les perspectives oniriques qui renvoient à des rêves d’enfants troublés. Dans cette quatrième de couverture, elle choisit aussi une femme qui fixe le regard vers une lumière tamisée. Nonchalamment, accoudée à un cadre qui ne tient rien, elle porte l’élégance de l’attente bienveillante comme un costume ancien. Moderne et surannée, l’interprétation de Fabienne Cinquin me rappelle l’attente du générique de début des films. Ces débuts qui ont disparu pour laisser place à une narration in medias res qui prive parfois le spectateur de ce moment-là. Ses ouvrages offrent la naïveté d’une enfance sournoise et ses œuvres plastiques une inquiétude tendue vers un onirisme singulier. http://fabienne.cinquin.free.fr/cv.shtml

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Dalie


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LAETITIA :

LA FÉE CLOCHETTE

DES PLUMES D’AILES ET MAUVAISES GRAINES !

Laetitia est une jeune femme qui a de l’or au bout des doigts, autodidacte, elle est la plume d’Ailes qui donne réalité aux rêves. Il suffit de lui souffler un désir d’image, un rythme et elle fait une mise en page qui répond audelà de ce que l’on pouvait envisager. Grâce à elle, notre revue est un petit bijou ouvragé, elle imagine et voit les espaces comme personne, capable de chercher pendant des heures la bonne teinte, le meilleur angle. Elle cherche à mettre en valeur chaque article, pour que le plaisir de lire soit aussi un plaisir à voir. Que chaque auteur soit fier de l’écrin dans lequel ses mots vont se glisser. Il est difficile de croire que ce n’est pas son métier, et pourtant Laetitia met en page la revue avec professionnalisme, sans jamais se plaindre de l’exigence du projet. C’est un ange d’amour et de joie. Vaillante et généreuse, elle exprime dans son travail l’amour de l’équilibre et une passion pour la beauté, nous la remercions de son investissement et de son talent. Dalie

Contact : lysiakrea@gmail.com - 78 -


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Par Geoffroy Emmanuel Floret « Galadriel! Les pupilles d’Albus jetèrent des paillettes d’or. Le nez de Scorpius s’en étoila. - Galadriel… l’Elfe ? souffla-t-il. - C’est ça. - Tu es fou. Comment veux-tu qu’on la trouve ? Tu sais bien que depuis son conflit avec le Mordor, elle se cache. Elle ne reste jamais plus d’une lune au même endroit, concéda Albus. Mais moi je sais où elle se trouve. - Alors là tu me court-circuites! Tu le sais comment ? - Quand je lui ai prêté la Pensine de l’école… - Tu as fait ça ! - Une longue histoire… Bref, pour me remercier, elle m’a offert un anneau de géolocalisation. - Un GPS ? - Un GPM. M comme Magie. - Alors on est sauvés. Si tu sais où la situer, moi, je peux fournir le moyen de transport pour la rejoindre. Je connais un fou en Angleterre qui a parié qu’il ferait le tour du monde en moins de quatre-vingts jours. En ballon. - En ballon ? - Il suffira de nous glisser à bord de la nacelle. - Moins de quatre-vingts jours ! En ballon ! Trop facile ! Et si exotique… - Sans magie, Scorpius, sans magie ! Après avoir emprunté la cape d’invisibilité de son père, Albus rejoignit Scorpius à Oxford. Ils embarquèrent de nuit, dissimulés entre deux malles, à bord du ballon qui fut forcé d’atterrir dans le désert d’Arabie, à cause d’une panne due à un improbable problème de surcharge. Ils continuèrent leur - 80 -


A suivre...

EPISODE 3 - 81 -

(ÉPISODE 2)

traversée des terres du milieu à dos de chameaux, dans une caravane conduite par un soldat anglais qui se faisait appeler Sir Lawrence. Puis ils s’enrôlèrent comme mécaniciens pour traverser un océan, à bord du plus grand paquebot du monde, le Titanic, que la curiosité insatiable d’Albus pour les icebergs, eut tôt fait d’envoyer par le fond. Heureusement le Capitaine Nemo leur porta secours et ils continuèrent leur périple à bord du Nautilus. Ils gagnèrent ainsi un temps précieux car pour rejoindre Galabriel réfugiée dans le Royaume de Svalbard, le plus court était de passer par le centre de la terre. C’était le conseil du Jules du capitaine, un certain Verne. Emergés enfin à la surface des ondes, c’est sur le dos de deux oies sauvages qu’ils finirent leur merveilleux voyage, grâce à un vieil ami d’Albus, Nils Holgersson qui voulut bien leur prêter une escadrille. Ainsi ils parvinrent à la forteresse de Iorek Byrnison qui les accueillit fort civilement, avant de les conduire jusqu’aux appartements de Galabriel. Ce fut un choc pour Scorpius qui n’avait jamais admiré pareille créature. « Baisse les yeux, c’est une Haute Elfe, lui souffla Albus. Mais Galabriel ne s’adressa qu’au fils d’Harry Potter. - Tu ne veux pas me reprendre la Pensine, j’espère. Elle m’est encore bien utile. En ce moment nous avons un ado fou en liberté. Il a trouvé un couteau qui entaille la matière et s’amuse à passer d’un monde à l’autre en semant la pagaille… - Non rassure-toi. Mais j’ai une requête à te présenter. Je cherche à rejoindre Méliès. Il est trop loin dans le passé pour que je puisse l’atteindre. - On ne peut pas aller vers le passé sans importuner le présent et détruire les futurs. Tu devrais savoir cela, jeune sorcier. Que lui veux-tu à ce Méliès ? - Utiliser son atelier, comprendre le cinéma… Bientôt nous lui devrons tous beaucoup plus que les lumières... »

LE CINÉMA AU PIED DE LA LETTRE


DES IMAGES ET DES LECTEURS, ECRIRE A PART

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TIR DU CINEMA

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FRAGMENTS D’UN DICTIONNAIRE

AMOUREUX DU CINÉMA par Marie Agullo

BOBINE. Avant l’ère digitale, on enroulait la

pellicule d’un film pour le projeter puis en faire un objet de mémoire. Au temps du Cinéma Paradiso , les pellicules étaient si inflammables qu’on parlait de « film flamme ». Comme le risque d’incendie était grand, il ne pouvait y avoir que quarante minutes de film en cabine, sous la forme de deux galettes. Le petit Chaperon rouge n’avait qu’une galette, à porter à sa Mère Grand. Tire la chevillette et la bobinette cherra. Le loup les a mangés. Aujourd’hui les loups sont à Alep. Ils déchiquètent les fils des Parques qui n’ont plus le temps de tisser. Qui tire le fil d’Ariane dans ce labyrinthe de l’horreur ? Quand Reggiani chantait que les loups allaient entrer dans Paris, à Paname, on en faisait une drôle de bobine. Mais ils sont entrés. Et s’ils revenaient ? La mémoire ne suffit pas à nous protéger de la barbarie. Toutes les pellicules flambent comme des autodafés et les témoignages numériques en surnombre mais de moins de caractères, ne nous embobinent-ils pas, quand même la vérité prend l’allure d’une opinion ? Le film Cinéma Paradiso est de Giuseppe Tornatore (1989). Tire la chevillette, la bobinette cherra est la célèbre formule du conte de Charles Perrault, « Le petit chaperon rouge », paru dans Les contes de ma mère l’Oye en 1697. Les loups sont entrés dans Paris est une chanson d’Albert Vidalie et Louis Bessières interprétée par Serge Reggiani en 1967. Elle a été chantée par Catherine Ringer et Patrick Bruel à la soirée de soutien à Charlie Hebdo et aux victimes de l’attentat du 11 janvier 2015.

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CADRE. C’est ce que voit le cadreur dans l’œilleton de la caméra. Au départ, le mot

servait à désigner une petite fenêtre carrée avant de définir un tableau ou une peinture. Il a failli nommer la lune mais on a préféré la mettre en quartier. Alors au cinéma, on se contente de lui faire border un morceau de réel, ce que l’on veut représenter. Si vous montrez une image fixe sur un écran à des collégiens non initiés et que vous leur demandez de dessiner ce qu’ils voient, vous observerez que la plupart omettent de placer un cadre autour de leur image. Les plus perfectionnistes s’acharnent sur la qualité de leur graphisme, d’autres schématisent plus ou moins les différents éléments de la chose représentée, s’appliquent à respecter leur disposition et l’échelle du plan mais quasiment personne ne pense à délimiter ce qu’ils voient par une bordure. Par là peut commencer toute initiation à la lecture filmique car l’ingénu n’a pas conscience que le cinéma sélectionne ce qu’il donne à voir, qu’il le délimite, qu’il dirige le regard, qu’il l’emprisonne. Filmer c’est d’abord choisir. Et ce que l’on montre par la fenêtre ne cadre pas forcément avec ce qui est tenu hors champ. « Le ciel par-dessus le toit berce sa palme », pleure Verlaine derrière les barreaux de sa prison.

ECRAN. Il désigne la surface blanche sur laquelle sont projetées les images

cinématographiques. Mais dans l’enfance du mot, c’est un simple panneau qui protège quelqu’un de la chaleur d’un foyer. Aujourd’hui on regarde le petit écran, bien à l’abri, à l’intérieur de sa maison délicieusement chauffée et fermée à double tour. Le mot allemand qui lui est apparenté schranke signifie « barrière ». On dit aussi qu’un écran de fumée masque les choses que l’on ne veut pas voir ou que l’on ne veut pas que l’on voie. Par exemple notre confort intérieur nous dissimule facilement les misères extérieures, celles de ceux qui précisément n’ont plus de foyer. Nous sommes donc très bien protégés puisque l’écran peut même servir de blindage contre les radiations, on parle d’écran thermique pour les réacteurs nucléaires. Même si on dit de certains acteurs qu’ils crèvent l’écran, nous ne risquons donc plus rien et au pire, nous pouvons, comme Nougaro, « nous faire du cinéma sur l’écran noir de nos nuits blanches ». Pour rêver jusqu’à l’abyme… Comme Fellini dans Intervista où l’on revoit la belle scène de la fontaine de Trévi.

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films.

Intervista est un film italien de Federico Fellini sorti en 1987. Je veux parler de la séquence où Anita Ekberg et Marcello Mastroianni revoient le célèbre passage de La Dolce vita à la fontaine de Trevi. 27 années séparent les deux

GIRAFE. Elle porte le micro jusqu’à la bouche des comédiens, sans se faire voir

dans le champ. Elle met des patins à roulettes pour se déplacer en studio. Grande perche, elle peut prendre de la hauteur face aux situations les plus embouteillées. Pourtant on compte maintenant moins de 100 000 girafes sur la terre et cet animal vient d’être classé parmi les espèces en voie de disparition. Out of Africa ; out of every where ! Karen Blixen le prévoyait dans La ferme africaine : « Les girafes promenaient leurs belles têtes à droite, à gauche, et paraissaient étonnées (…) Le monde, soudain rétréci, les étreignait. Elles ignoraient encore et ne pouvaient soupçonner la dégradation qui les attendait. C’étaient de jolies bêtes innocentes et fières, des créatures de la plaine, qui ignoraient encore la captivité et tout ce qui l’accompagne : le froid, la puanteur, la fumée, la gale et par-dessus tout, la terrible monotonie d’un monde dans lequel il ne se passe rien. Elles verront, au sortir des rues froides, s’engouffrer des gens aux vêtements lourds, sombres et malodorants qui viendront les voir, tout fiers de leur supériorité de l’homme sur la bête qui ne parle pas. » Et si l’on cessait de peigner la girafe ! Out of Africa , sous-titré en France Souvenirs d’Afrique, est un film de Sydney Pollak sorti en 1985. Il est adapté du roman autobiographique La ferme africaine de Karen Blixen publié en 1937.

LANTERNE. C’est un dispositif de projection

lumineuse, une boîte à lumière. Qu’on ne s’y trompe pas, le cinéma est avant tout une affaire de lumière, lumière artificielle, lumière d’ambiance, lumière incidente ou réfléchie, lumière naturelle ou pas… Fiat lux ! Mais dans le septième art on nous fait souvent prendre des vessies pour des lanternes. Dans le film de Truffaut, Le Dernier métro, descendez à la cave avec Catherine Deneuve, dans cette superbe scène qu’on pourrait appeler un théâtre d’ombres, et qui signe un moment essentiel du film pendant lequel on va découvrir en un long suspense de clair-obscur que se cache - 86 -


dans les profondeurs du théâtre, son mari juif. Alors commence une splendide mise en scène du mensonge et de la dissimulation, voire de la simulation. Les Allemands sous le feu des projecteurs, se sont emparés de la capitale du pays des Lumières. Les Parisiens vont au théâtre «parce qu’ils ont froid chez eux, ils se pressent chaque soir dans les salles de spectacle. Les cinémas et les théâtres font salles combles.» Fallaitil pendre à la lanterne tous ceux qui n’avaient pas renoncé à chanter ou à jouer, à exercer leur métier ? « A la lanterne les collabos, à la lanterne on les pendra ! » Pourtant c’est la collaboration d’un Allemand, le père Kircher, et d’un Français, le père De Châle, qui donna une ancêtre au cinéma, dès le dix-septième siècle. Leur invention devint si célèbre, que Florian en fit une fable. « Le Singe qui montre la lanterne magique » : le singe n’avait oublié qu’une chose, c’était «d’éclairer sa lanterne ». On sait aussi que Voltaire divertissait Mme du Châtelet en improvisant des contes à l’aide d’une lanterne magique ; des contes qu’il finira par écrire. Pendant le siège de Paris, en 1871, elle servait de microscope pour agrandir les messages des pigeons voyageurs. Comme on le voit, pour savoir résister, il faut savoir s’éclairer… Le Dernier métro est un film français réalisé par François Truffaut sorti en 1980.Voltaire est l’auteur de contes philosophiques : Candide, Zadig ou la destinée, L’ingénu , Micromégas sont parmi les plus connus.

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PLAN. Il constitue l’unité de base du langage cinématographique. C’est une prise

de vues, comprise entre la mise en marche de la caméra et son arrêt. C’est le jeu de scène filmé entre les deux mots magiques du tournage, «Action » et «Coupez !». Mais une vie entière peut être racontée dans un film de deux heures. Le sablier en perd le nord, oscillant entre le ralenti et l’accéléré. Le temps peut se dilater ou se contracter vertigineusement. La Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud, en quatre vingt seize minutes, raconte un voyage de neuf mois qui résume quarante mille ans de l’histoire de l’humanité. Inversement, Claude Sautet décrit un accident dans Les choses de la vie, où le personnage joué par Michel Piccoli est montré au ralenti, lors des tonneaux qu’effectue sa voiture, un accident qui est de nouveau dévoilé à vitesse normale, vu de l’extérieur ; en une fraction de seconde la vie d’un homme a basculé et il est plongé dans un coma dont il ne sortira pas. Deleuze théorise sur l’image mouvement et l’image temps… Chaplin disait : « Pour traverser le temps, il faut donner de soi. L’amour est une force comprise par tous les cœurs hors du temps qui passe ». Au cinéma comme en philosophie, et même dans la vie, l’essentiel est de trouver un plan d’enfer pour ne pas rester en plan. La Guerre du feu est un film d’aventure préhistorique francocanadien réalisé par Jean-Jacques Annaud, sorti en 1981. C’est une adaptation du roman éponyme écrit en 1909 par J.-H. Rosny aîné. Les Choses de la vie est un film français réalisé par Claude Sautet et sorti en 1970. Il s’agit d’une adaptation du roman du même nom « Les Choses de la vie » de Paul Guimard datant de 1967. L’image-mouvement et L’image-temps de Gilles Deleuze sont parus aux Editions de Minuit en 1983 et 1985.

« SILENCE ! ». C’est l’ordre donné par le réalisateur avant le tournage d’un plan,

avant que l’on n’entende : « Moteur ! - Ça tourne. – Action. ». « C’est le moment où le silence est si grand que tout peut arriver », écrit Le Clézio dans « Mondo et autres histoires ». Et en effet que n’a-t-on pas fait dire au cinéma, même

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quand il était muet ? Venu du silentium latin, qui au masculin dit l’absence de bruit, de paroles, et au féminin désigne le repos, l’inaction, l’oisiveté (ils sont féministes ces Romains !), le mot est longtemps employé dans les mêmes sens. Puis on progresse. On « est mis au silence » dans les monastères, on « impose silence » à quelqu’un dès le quinzième siècle. On le « réduit au silence » au dix-huitième. Le vingtième siècle triomphera avec l’omerta. Laquelle ? Toutes, des plus intimes aux plus étatiques. « Dans la famille, on tue à force de silences rentrés ou à force d’éviter de poser les bonnes questions. On ne tue pas en vrai. » (Eric Pessan, Muette ) Même sur les armes on met des silencieux. En musique, on fait des pauses et on soupire. Et puis silence radio ! « Pour tout ce qui existe, il est une saison. Oui. Un temps pour détruire et un temps pour construire. C’est cela. Un temps pour garder le silence et un temps pour élever la voix. » (Ray Bradbury, Fahrenheit 451 ) Du silence ou de la propagande, qu’est ce qui est le plus dangereux ? Mondo et autres histoires est un recueil de nouvelles publié en 1978 par Jean-Marie Gustave Le Clézio aux éditions Gallimard. Muette est un roman d’Eric Pessan publié en 2013 chez Albin Michel. Fahrenheit 451 est un roman de Ray Bradbury publié en 1953 aux Etats-Unis chez Ballantine Books. Il paraît en France en1955 chez Denoël. Une adaptation sous forme de BD par Tim Hamilton et traduit par Fanny Soubiran est publiée en 2010 chez Casterman. Fahrenheit 451 est aussi un film britannique de science-fiction réalisé par le cinéaste français François Truffaut, sorti en 1966.

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COMME AU CINÉMA par Karelle Gautron

savoir ce que j’ai commandé ?

Comme d’habitude, impossible de trouver une place pour se garer dans ce quartier bobo ! Evidemment Béatrix1 ne se gare pas ! Béatrix marche ! elle a une conscience écologique, elle ! et un sacré goût pour choisir les restaurants, pensai-je en même temps : « L’odeur de la papaye verte2», quel nom… ça promettait. Pourquoi pas Le Goût de la cerise3, La Couleur de la grenade4 ou la Saveur de la pastèque5 ?

Dans un restaurant comme celui-ci, je redoute le pire… - Du Poulet aux prunes7 C’est bien ce que je craignais ! - Vraiment t’es chiante, jamais contente. C’est ton boulot ? Tu en es où de cette éventuelle promotion ? - Au point mort. En concurrence avec une vipère assassine.8

J’arrivai essoufflée, en retard et j’ose le dire, en colère ! contre moi et mes fichus retards, contre ma sœur, contre ce sacro-saint déjeuner hebdomadaire à la tradition duquel j’avais eu le malheur de souscrire.

- Il faut que tu obtiennes ce poste. Fais du rentre-dedans au DRH, c’est la méthode la plus efficace. Mais pour ça, il faut absolument que tu fasses attention à toi, regarde comment tu es fringuée ! Je t’assure ma chérie, il y a deux choses qui sont sans limite, la féminité… et les moyens d’en abuser.9

Embrassade faussement enjouée, « mais non tu n’es pas en retard, enfin pas plus que d’habitude ! de toute façon, j’ai commandé ». Attitude polie et empressée du serveur me tendant la carte que je refusai d’un geste agacé : « Donnez-moi la même chose qu’elle6 ».

- J’ai peur de ne pas être de taille face à Sofie Fatale10. Toi et moi on peut pas tout miser sur notre physique.11

- Tu ne veux même pas - 90 -


- Oublie que t’as aucune chance, vas-y fonce ! On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher.12

- Maman disait toujours : la vie, c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber.17

- Vraiment, je te remercie, je te trouve encourageante. Et puis un jour je pourrai dire à mes enfants : « Pour mon orientation, j’avais le choix entre pédophile et pute. J’ai choisi pute. »13 T’es au courant qu’on ne suce pas pour un portable ? tu vas me dire « Ouais mais il était beau mon portable. » Si tu commences comme ça, pour un ordinateur, tu fais quoi ?14 Et toi ? tes problèmes de couple ? Vous en êtes où avec ton mari ?

- Je l’emmerde maman ! et arrête de la citer à tout bout de champ, maintenant qu’on peut enfin se passer de ses sermons. - C’est bien là que tu as tort. Elle t’aurait donné de bons conseils. Et d’ailleurs tu ferais bien d’aller voir la mère de ton mari. N’oublie jamais que le meilleur ami d’un garçon est sa mère18. - Tu la connais, elle ne jure que par son fils, si je lui dis quoi que ce soit, elle prendra sa défense.

- Il pense que tout est terminé

-Il faut peut-être que tu entendes que tu as des torts toi aussi. La vérité c’est comme une couverture trop petite. Tu peux tirer dessus de tous les côtés, tu auras toujours les pieds froids.19 Alors, oui, il va voir ailleurs, mais ça ne suffit pas de répéter « La saalope… la saalope… ! Oh, la salope…. »20

- Mais un mariage ne casse pas simplement à cause d’une infidélité, ça n’est que le symptôme d’un malaise beaucoup plus profond ! c’est là-dessus qu’il faut travailler. - Oh tu crois ? eh bien ce symptôme-là il baise [mon mec]. 15Tu en penses quoi ?

- C’est bon j’ai compris. Parle plus bas tout le monde nous regarde.

- De ton mari ? Je te l’ai toujours dit. Je n’ai aucune confiance en quelqu’un qui porte à la fois une ceinture et des bretelles… en quelqu’un qui doute de son pantalon.16

- Quoi ? tu parles du type à l’autre table ? Il ressemble au fils du marchand d’olives 21. [Il doit] être avocat : [il] dégag[e] quelque chose de malin et d’inutile.22

- T’es con. Ce que tu penses de la situation, pas de mon mari.

- Tu as raison, il a une bonne tête de - 91 -


- Ça c’est une métaphore.25

vainqueur.23 Je m’en fous qu’il nous écoute. Vraiment, je ne sais pas ce que ça va donner cette histoire. J’ai presque envie de faire pareil de mon côté, juste pour voir comment il réagit. Avec le premier venu. Tiens avec Gilles, son collègue, il ne peut pas le supporter, tu le verras si tu viens demain à la réception.

- Qu’est-ce que tu racontes ? je ne comprends rien. De toute façon, la majorité des personnes trompées disent que ça ne sert à rien de faire la même chose, enfin si tu tiens à ton couple. - C’est la majorité ! Laquelle d’abord ? Celle qui croyait que la terre était plate ? Celle qui veut rétablir la peine de mort ? Celle qui se met une plume dans le cul parce que c’est la mode ? Laquelle exactement ?26

- A quoi je le reconnaîtrai ? - Un beau brun, avec des petites bacchantes, grand, l’air con.

- C’est bon calme-toi, fais-ce que tu veux, je m’en fous de ton histoire. De toute façon, si votre couple tangue, je me demande bien pourquoi tu continues à aller à toutes ces soirées que tu détestes.

- Ça court les rues, les grands cons. - Ouais ! Mais celui-là c’est un gabarit exceptionnel ! Si la connerie se mesurait, il servirait de mètre étalon ! Il serait à Sèvres !24

- C’est comme ça, c’est le job. Un matin on défend toute la galaxie et à cinq heures, voilà qu’on se retrouve à siroter du Darjeeling avec Marie-Antoinette et sa petite sœur.27 Et puis l’autre sera là. Je me suis dit ce matin que je n’allais pas lui laisser le champ libre. J’ai décidé de me battre. J’aime l’odeur du napalm au petit matin. Ça sent la victoire.28

- Tu peux toujours essayer mais je ne vois pas bien à quoi ça peut servir. - Ecoute, j’ai bon caractère, mais j’ai le glaive vengeur et le bras séculier. L’aigle va fondre sur la vieille buse. - C’est chouette ça, comme métaphore - C’est pas une métaphore, c’est une périphrase.

- Tu la connais ? elle est comment ? - Latifa, assistante technique, une pute… Ecout[e] Thérèse, je n’aime pas dire du mal des gens, mais effectivement, elle

- Fais pas chier !

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se voit lundi et n’oublie pas : « Lundi, c’est ravioli ! »36 alors oublie les fraises sauvages37. On essayera de trouver un restaurant où l’on peut se nourrir. Je jure devant Dieu que je ne connaîtrai jamais plus la faim !38 A propos de ta rivale, j’ai juste envie que tu me dises : « J’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre, et un excellent chianti »39

est gentille29. Je l’ai aperçu de loin. Elle ruminait un chewing-gum. - Le chewing-gum c’est vulgaire, le chewing-gum ça m’exaspère.30 - C’est exactement ce que j’ai eu envie de lui dire : « T’es vulgaire. Irrémédiablement vulgaire. Et non seulement t’es vulgaire, mais t’es ordinaire en plus.[…] Ton seul orgueil c’est ta médiocrité31 ».

- Tiens ça me rappelle quelque chose, non ?

- Je pense que si tu lui avais dit ça, elle t’aurait éclaté de rire au nez en te rappelant qu’elle baise ton mari.

- Je ne vois pas, tu parles de quoi ? la recette ?

- Elle n’aurait pas osé.

- Non, la phrase.

- Les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît.32 Alors tu lui as déclaré la guerre et le plan c’est de le rendre jaloux ?

- Tu vas trop au cinéma ma chérie ! Maintenant, fonce et sauve ton couple.

- Et tu n’as pas peur des conséquences ?

- Merci petite sœur, heureusement que tu es là. Je suis désolée pour tout à l’heure, à propos de ton DRH, tu as toutes tes chances, je ne voulais pas être méchante.

- Franchement, ma chère c’est le cadet de mes soucis.34 Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent35. A partir de maintenant, lui, il va creuser.

- Allez file ! et ne sois pas désolée. L’amour, c’est n’avoir jamais à dire qu’on est désolé.40 May the force be with you.41

- Ça peut marcher, vois-tu j’adore quand un plan se déroule sans accroc.33

- J’adore quand tu as la force de reprendre les choses en main ! J’en oublierais presque que l’on mange dans un restau pourri. La prochaine fois, on - 93 -


• Vous avez trouvé ce texte mal écrit et vous vous demandez pourquoi la couleur de police n’est pas toujours la même ? Allez ! vous avez le droit de relire, c’est un test ! • Vous avez entre 15 et 25 bonnes réponses et certaines répliques vous ont replongé dans vos souvenirs… vous vivez bien sur la planète Terre et partagez, avec beaucoup d’entre nous, cette culture cinématographique dont la qualité est variable mais qui tisse des liens entre nous, vous êtes de votre génération… • Vous avez 41 bonnes réponses : contactez le rédacteur en chef, vous avez toutes les chances de vous entendre avec Karelle, nous vous mettrons en relation.

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(Endnotes) 1 Hommage à la mariée de Kill Bill, Quentin Tarentino, 2003 2 Film de Tran Anh Hung, 1992 3 Film grandissime du regretté Abbas Kiarostami, 1996 4 Film de Sergei Parajanov, 1968 5 Film de Tsai Ming-Liang, 2004 6 Réplique (culte) de Quand Harry rencontre Sally de Bob Reiner, 1989 7 Poulet aux prunes, film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, 2011 8 La mariée, dans Kill Bill, avant de quitter Bill faisait partie du Détachement International des Vipères Assassines 9 Réplique de Jeanne Moreau dans Nikita 10 Sofie Fatale, lieutenant d’O-Ren Ishii, à qui elle a coupé un bras, pour qu’elle lui révèle où se trouvent les autres membres du Détachement International des Vipères Assassines en échange de la vie sauve. Kill Bill 11 Les Bronzés font du ski, Patrice Leconte, 1979 12 Réplique de Michel Blanc dans Les Bronzés font du ski, Patrice Leconte, 1979 13 Le Nom des gens, Michel Leclerc 2010 14 Polisse, Maïwenn, 2011 « - T’es au courant qu’on ne suce pas pour un portable ? - Ouais mais il était beau mon portable. Et pour un ordinateur, tu fais quoi ? » 15 Quand Harry rencontre Sally de Bob Reiner, 1989 16 Frank (Henry Fonda) dans Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968 17 Forrest Gump, réplique de Forrest Gump joué par Tom Hanks, Robert Zemeckis, 1994 18 Psychose, Alfred Hitchcock, 1960 19 Le Cercle des poètes disparus, Peter Weir, 1989 20 La Vie est un long fleuve tranquille Etienne Chatiliez, 1988 21 Le fils du marchand d’olives, film de Mathieu Zeitindjioglou, 2011 22 Pretty Woman, Garry Marshall, 1990 23 Le Dîner de cons, Francis Veber, 1998 24 Françoise Rosay (Pauline) et Jean Gabin (le Dabe) dans Le Cave se rebiffe de Gilles Grangier, 1962 25 Réplique de Charles le Téméraire (Bernard Blier) dans Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. Michel Audiard, 1968 26 Cuisine et dépendances de Philippe Muyl, 1993 27 Toy Story, John Lasseter, 1995 28 Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, 1979 29 Le Père Noël est une ordure, Jean-Marie Poiré, 1982 30 Charlie et la chocolaterie, Tim Burton, 2005 31 Réplique de Jean Yanne à Marlène Jobert dans Nous ne vieillirons pas ensemble, Maurice Pialat, 1972 32 Réplique de Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs de Georges Lautner, 1963. 33 Réplique culte de la série L’agence tous risques créée par Frank Lupo et Stephen J. Cannell en 1983 34 Réplique de Clark Gable dans Autant en emporte le vent, Victor Fleming, 1939 (Frankly, my dear, I don’t give a damn) 35 Réplique de Blondin, alias « Le Bon », dans Le Bon, la bête et le truand, Sergio Leone, 1966, « Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. » 36 Nous ne vous ferons pas l’offense d’identifier cette citation. 37 Les Fraises sauvages, film d’Ingmar Bergman, 1957 38 Autant en emporte le vent, Victor Fleming, 1939 39 Le Silence des agneaux, Jonathan Demme, 1991 40 Love Story, Arthur Hiller, 1970 41 Oui ! nous avons osé !

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Par Geoffroy Emmanuel Floret « Tu parles un langage qui m’est étranger, jeune Potter, mais je vais te conduire chez Lord Asriel. Lui pourra t’aider. » conclut Galadriel. Une incantation plus tard, Albus et Scorpius se trouvèrent sous le dôme de la plus haute tour de Svalbard, là où Lord Asriel faisait ses expériences ésotériques. Il se détourna à peine de ses manuscrits quand les deux sorciers apparurent dans son observatoire. Albus prit la parole : « Monsieur, pardonnez-nous de vous déranger mais nous voudrions… - Voyager dans le temps pour vous faire une toile avec ce vieux cinglé de Méliès, je sais ! Et je suis Lord ! - My Lord… - Ce genre de voyage est proscrit. Il est simple d’en deviner les raisons. Ouvrez n’importe quel roman d’anticipation qui traite de ce sujet et vous serez fixés. - On voudrait juste lui faire une petite visite, pas nous installer… - Vous pouvez effectivement visiter le passé, tel qu’il fut, sans rien déranger. Alors il vous faut prendre le risque de surfer sur la toile et de vous télécharger dans le bon programme. Vous aurez besoin d’un guide. - Surfer… toile… programme… téléchat… J’entrave que dalle, Albus, tu comprends toi ? - Pas mieux ! My Lord, Comment fait-on tout ce que vous dites ? - Vous devez trouver un cyberpirate, et pas n’importe lequel, le plus célèbre de sa génération. - Bien … et c’est qui ? - Morphéus. - Morphéus, répéta Scorpius pour imprimer le nom dans sa mémoire. Et comment on le trouve ce - 96 -


père,

Et les deux amis furent soufflés comme des poussières. Ils se retrouvèrent seuls, restèrent d’abord sans ressource cognitive, au moins cinq longues minutes, hors de tout repère spatial ou temporel, comme hors de leur propre corps… Mais soudain Albus se tapa le front : « Bon Dieu, mais c’est bien sûr ! Le lapin blanc ! Le lapin blanc. Il faut retourner chez moi. - Chez toi ? - Chez moi. Tous les soirs je retrouve ma tocante… - Ta tocante ? - Ma montre… Bref, je la retrouve sur ma table de chevet, comme si elle n’avait jamais bougé… - Pourquoi ? Tu as une montre baladeuse ? - Tous les matins je suis réveillé par un drôle de zigoto qui vient me la chiper avant de s’enfuir par la fenêtre en répétant à qui veut l’entendre qu’il est en retard. Et ce zigoto, c’est… - Un lapin blanc ! Dis donc, c’est zarb, chez toi… - Tu veux qu’on parle des têtes de gourous pygmées empaillées qui, chez toi, servent de portemanteaux ? A suivre... EPISODE 4 - 97 -

(ÉPISODE 3)

Asriel opina du chef et abandonnant les deux jeunes gens, se remit à scruter la carte qui était dépliée sur la paillasse de son laboratoire. Albus osa se racler la gorge. - D’accord. Hum… My Lord… Ok ! My lord... Mais comment fait-on? - Suivez le lapin blanc. »

LE CINÉMA AU PIED DE LA LETTRE

Morphénus ? - Morphéus ! Seul l’Elu peut vous conduire jusqu’à lui. - Evidemment ! Suis-je bête ! Encore un job pour ton Albus. - Arrête ton cinéma, Scorpius, le coupa son ami, qui se tourna respectueusement vers Asriel. My Lord, si je comprends tout, on doit, avant de rencontrer Méliès, trouver Morphéus, et pour ce faire, entrer en contact avec l’Elu. »


LES ZOOMS LITTÉRAIRES ET CINÉPHILES

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IMAGES DE LA FEMME DE DOS OU L’ART DE SE FAIRE DES FILMS

(à propos de Christian Oster, d’Alfred Hitchcock et de quelques autres) par Frédéric Clamens-Nanni En mai 2009, je me tiens sur l’un des nombreux ponts de Burano, île située à proximité de Venise. Mon œil est attiré par une femme d’un certain âge que je vois marcher le long d’un canal. Elle porte une robe rouge, d’un rouge soutenu qui vient compléter un ensemble audacieux de couleurs caractéristique des façades sur cette île. Orange, rose, bleu, vert, rouge…, autant de teintes dont la lumière du soleil printanier sublime l’éclat. Mais ce qui retient surtout mon attention, c’est que je la vois de dos. S’avançant d’un pas régulier et déterminé, elle s’éloigne de moi et s’apprête à rentrer dans l’ombre projetée des façades. Je la prends en photo. Plus tard, je regarde la photo et laisse mon esprit vagabonder. J’imagine la femme poursuivant son chemin jusqu’à une destination que j’ignore – l’intérieur d’une maison probablement – où elle dépose son sachet et continue sa vie loin de mon regard. En somme, je me fais un film malgré moi, je construis un scénario à partir d’une image initiale. En 2013, j’entreprends une thèse consacrée au regard sur la fin du couple chez JeanPhilippe Toussaint, Christian Oster et Jacques Serena, trois écrivains de la même génération nés au milieu du XXe siècle. Alors que le roman sentimental se fonde sur la scène de rencontre, le roman de la fin du couple se focalise – ou, plus exactement, place la focale – sur la rupture : « je songeais que c’en était fini de notre amour, c’était comme si je regardais notre amour se défaire devant moi »1, déclare le narrateur de Faire l’amour, premier volet du cycle de Marie que Toussaint a écrit entre 2002 et 2013. La séparation y est à la fois sentimentale et spatiale. Dans cette perspective, le personnage masculin regarde celle qu’il aime lui tourner le dos, au propre comme au figuré. En témoigne le titre du premier roman de Serena : Isabelle de dos2. Après avoir quitté son foyer sans qu’on en sache la raison, un homme revient chez lui. Il espère renouer avec sa compagne mais en vain : Isabelle, totalement indifférente, lui ouvre 1 2

Jean-Philippe Toussaint, Faire l’amour, Paris, Minuit, 2002, p. 83. Jacques Serena, Isabelle de dos, Paris, Minuit, 1989.

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la porte, se retourne, lui opposant une fin de non-recevoir. Les retrouvailles sont manquées. Dans ce roman, la femme est vue de dos dans le couloir, la cuisine, la chambre, la salle de bains attenante ou encore le jardin. Les images, presque immobiles, se multiplient et constituent autant d’instantanés photographiques. Si, techniquement parlant, la bobine d’un film est une succession de photogrammes (entre 18 et 24 à la seconde), le cinéma n’est pas réductible à la photographie. Celle-ci est un art de l’espace, celui-là est à la fois un art de l’espace et du temps : il développe des images mobiles sous la forme de séquences agencées selon la technique du montage. C’est pourquoi, je laisse de côté ce roman de Serena, dont le titre est pourtant explicitement en lien avec mon propos, pour m’intéresser à l’œuvre de Christian Oster et tout particulièrement au Pont d’Arcueil3. Le livre s’ouvre sur les premiers instants qui suivent la séparation. Le narrateur revient de la gare où il a accompagné Laure. La scène de première vue qui consacre la rencontre au début du roman sentimental traditionnel cède le pas à une scène de dernière vue antérieure à l’histoire racontée. Voilà de quoi frustrer les attentes du personnage qui n’a pas fait le deuil de son amour, et du lecteur, habitué à ce qu’on lui raconte des histoires de couples qui se font au lieu de se défaire. Pourtant, le personnage masculin ne tourne pas la page. La dernière image de Laure lui revient à l’esprit. Il la revoit, une valise à la main, « avec ses airs de [lui] tourner le dos avant de disparaître sur le quai B »4. Cette image resurgit sans cesse dans le récit parce qu’elle obsède le narrateur. Au fur et à mesure, elle se développe un peu à la manière d’une séquence cinématographique. L’homme abandonné se fait un film. Observons tout cela de plus près. Une femme qui marche seule, de dos, sur un quai, une valise à la main. Une telle image mobile me rappelle le premier plan du film d’Alfred Hitchcock, Pas de Printemps pour Marnie, sorti en salle en 1964. Pendant trente secondes environ, le spectateur 3 4

Christian Oster, Le Pont d’Arcueil, Paris, Minuit, 1994. Ibid., p. 25.

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accompagne l’héroïne du regard. La caméra filme d’abord en plan serré son sac à main jaune coincé sous son bras gauche. Le plan s’élargit pour donner à voir le personnage marchant d’un pas décidé. La caméra se déplace à la même vitesse au moyen d’un travelling d’accompagnement puis elle s’immobilise. La femme, quant à elle, s’éloigne avant de s’arrêter sur le quai où elle pose sa valise. Le décor dans lequel elle évolue est structuré à l’extrême. Les trains, les rails, le quai, l’auvent avec ses trois poutrelles forment des lignes convergeant vers un point de fuite que dissimule le corps du personnage, au centre de l’image. Comme chez Hitchcock, le décor dans Le Pont d’Arcueil se caractérise par sa structure géométrique. Le narrateur se souvient de Laure soulevant sa valise, « avant de cheminer le long des wagons puis d’y disparaître, latéralement, coupant court à son amenuisement dans la distance, préfiguration de l’absence soudain biffée par l’alignement du train »5. Le quai et le wagon dessinent à leur tour des lignes qui convergent vers un point de fuite, au loin. Il existe néanmoins des différences notables entre les deux scènes. En bifurquant, Laure se soustrait d’un coup au regard de son ancien compagnon. Dès lors, le dos féminin ne produit pas les mêmes effets. Le spectateur de Pas de printemps pour Marnie reconnaît la silhouette de Tippi Hedren dont le nom est apparu quelques secondes plus tôt dans le générique. Un an auparavant, il l’a vue jouer dans Les Oiseaux. Elle était blonde alors et on sait à quel point le cinéaste était attiré par les actrices blondes. Or la femme qui apparaît à l’écran est très brune. Le spectateur est impatient de découvrir l’actrice, les cheveux noirs. Mais le cinéaste frustre cette attente parce qu’à aucun moment le personnage ne se retourne sur le 5

Ibid., p. 13-14.

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quai de gare ni par la suite. Un peu plus tard, en effet, on revoit l’actrice de dos comme dans la séquence initiale : son sac est une nouvelle fois filmé de près. Le plan s’élargit. La femme avance d’un pas toujours aussi assuré dans le couloir d’un hôtel aux lignes géométriques, accompagnée d’un employé chargé de bagages. Au fond du couloir, elle tourne à droite, se montrant furtivement de profil. Néanmoins, comme elle a les cheveux lâchés, on ne voit rien de son visage. Au même moment, sur la gauche sort de l’une des chambres Alfred Hitchcock faisant son apparition rituelle. Il tourne la tête en direction de la caméra comme pour croiser le regard du spectateur.

Une fois dans sa chambre, la femme est encore filmée de dos. Elle s’affaire, fait ses valises, vide son sac à main jaune rempli de liasses de dollars, glisse dans son portefeuille une nouvelle carte de sécurité sociale sur laquelle figure une autre identité.

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Quand son visage apparaît pour la première fois, elle vient de plonger la tête dans un lavabo rempli d’eau où se dilue une teinture noire. C’est alors une blonde qui se révèle à l’écran, les cheveux mouillés. Marion Holland, dont on n’a vu que le dos, devient Margaret Edgar.

L’omniprésence du dos exprime la facétie du cinéaste qui éveille la curiosité de son public sans jamais la satisfaire. Son apparition dans le couloir n’est pas le fruit du hasard : elle signale que c’est lui le maître du jeu. Le spectateur n’a pas d’autres choix que de s’imaginer le visage de Tippi Hedren avec les cheveux noirs, de se faire un film. Tout au plus la verra-t-il châtain quand elle empruntera une nouvelle identité, celle de Mary Taylor. Chez Oster, le narrateur s’accommode de ce dos qui symbolise pourtant la fin du couple. Il déplore que la disparition de la femme aimée ait été si brutale, hanté par « le souvenir de Laure marchant le long du quai, puis disparaissant dans un bref happement latéral »6. Ainsi, la toute dernière image d’elle est son profil aperçu dans « un quart de tour trop bref »7 au moment où elle pénètre dans le wagon. Ne reste dans la mémoire du narrateur que « l’image lointaine d’une Laure arrêtée dans son triste processus de réduction »8. Certes, la tristesse est causée par la séparation mais la douleur aurait été plus supportable si la femme avait poursuivi son chemin de dos. « [S]on éclipse »9 a-telle définitivement interrompu sa marche ? Pas vraiment dès lors que l’on considère la situation sous un autre angle. Si elle échappe à la vue, nécessairement limitée, la femme refait son apparition dans le champ de vision du narrateur, le terme étant à considérer comme un synonyme du mot « imagination ». Finalement, en prenant ce train pour Rouen, Laure s’engage sur une voie parallèle au quai qui tend vers un point 6 7 8 9

Ibid., p. 24. Ibid. Ibid., p. 45. Ibid., p. 85.

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de fuite par définition inaccessible. Dans ces conditions, la ville normande ne constitue pas une destination. Laure, de dos, continue à cheminer comme si le processus de la séparation était toujours en marche, comme si la rupture n’était pas encore révolue : « Laure […] ne manqua pas de […] poursuivre […] son chemin, dont je m’efforçais toujours de repousser le terme, parvenant à me persuader que, quoi qu’il en fût, elle demeurait habitée par un mouvement qui tout en me mettant à distance lui interdisait le repos. Et je la regardais, comme sur le quai B, s’éloigner dans un décor certes changé mais dont le flou brouillait salutairement tout repère, et où nulle porte, pour l’accueillir, ne s’ouvrait »10. Laure est en quelque sorte condamnée à un mouvement perpétuel. Le narrateur ne se prive pas du plaisir de malmener celle qui l’a abandonné. Mais l’enjeu le plus important ici est de prolonger la séquence : s’arrêter ailleurs signifierait s’installer, donc commencer un nouveau départ. Le personnage masculin n’est pas prêt à se faire à cette idée. Il préfère imaginer Laure disparaissant progressivement jusqu’à devenir une « silhouette [aux] contours eux-mêmes flous »11. Si l’on recourt à l’étymologie, c’est le visage, non le dos, qui se donne à voir. Mais à force de s’imposer à nos yeux – devant un miroir, un écran de télévision ou d’ordinateur, une affiche –, il perd peu à peu son pouvoir de fascination. Le regard glisse, en quelque sorte, sur lui. Il n’en est pas de même du dos qui ne laisse pas indifférent. A la transparence de l’un s’oppose l’opacité de l’autre. En effet, quelles sont les pensées qui animent la dame que je vois de dos à Burano, la brune filmée par Hitchcock ou encore les femmes qui se détournent de leur compagnon ? Le dos, selon Georges Banu, est un « [é]cran obscur sur lequel les suppositions du spectateur, interdit de dialogue direct, se projettent. Mais, comme à l’interrogation du dos on ne pourra jamais répondre par une élucidation complète, cette trouée énigmatique dans l’espace du lisible happe, captive, inquiète »12. En d’autres termes, ce dos sollicite notre capacité à échafauder des hypothèses, à élaborer des scénarios, à nous faire des films. C’est au pied de la lettre que je prends cette dernière expression désormais en songeant à l’adaptation cinématographique de Villa Amalia, roman que Pascal Quignard a publié en 2006. L’histoire est celle d’une femme qui rompt tout lien avec sa vie. Elle quitte son compagnon, vend ses biens, démissionne et s’en va. « Elle se dit : «Je ne sais pas où je vais mais j’y cours avec détermination. Quelque chose me manque où je sens 10 Ibid., p. 147. 11 Ibid., p. 248. 12 Georges Banu, L’Homme de dos. Peinture, théâtre, Paris, Adam Biro, 2000, p. 23.

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que je vais aimer m’égarer» »13. Si, dans le livre, le narrateur ne s’intéresse pas à son dos, il n’en est pas de même dans l’adaptation réalisée par Benoît Jacquot en 2008. A mainte reprise, Isabelle Huppert, qui joue le rôle d’Ann, est filmée de dos. Dans l’esprit du cinéaste, l’envers du personnage exprime ce départ voire cette échappée hors d’un monde devenu intolérable. L’affiche du film donne le ton. Le personnage regarde la mer confondue avec l’horizon. Cette représentation de l’infini témoigne des potentialités inépuisables qu’offrent les images de la femme de dos. Ne considérer que l’endroit, « c’est, selon Philippe Roger, aboutir au calque d’une transparence vide, totalitaire ; c’est dénier aux êtres et aux choses leur part d’opacité, de densité, de vérité ; c’est-à-dire leur envers, leur verso, leur dos »14.

13 Pascal Quignard, Villa Amalia, [2006], Paris, Gallimard, coll. Folio, 2007, p. 109. 14 Philippe Roger, « Faire l’écran », in Benjamin Thomas (dir.), Tourner le dos. Sur l’envers du personnage au cinéma, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2012, p. 42.

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JACQUES MÉNY VU DES TOITS DE MANOSQUE

Entretien avec Jacques Mény Par Alain Tissut Jacques Mény, réalisateur, ancien élève de l’IDHEC, actuel président de l’Association des Amis de Giono, est l’un des meilleurs spécialistes de l’œuvre de cet auteur ; il est le maître d’œuvre des Rencontres Giono à Manosque1, de la Revue Giono et l’éditeur des correspondances de l’écrivain. PAMG : Est-ce par le cinéma que tu es venu à Giono ? JACQUES MÉNY : Incontestablement oui ! Mais cela s’est fait en plusieurs temps de manière à la fois directe et indirecte. Au début des années soixante, j’avais entre 13 et 14 ans quand j’ai vu L’Eau vive puis Crésus, deux films écrits par Giono et dans le cas de Crésus produit et mis en scène par lui. Mystérieusement, ces deux films se sont gravés dans ma mémoire et ne l’ont plus quittée. Je faisais de bonnes études littéraires au lycée – pendant lesquelles, il faut le dire, je n’ai pas entendu prononcer une seule fois le nom de Giono – et sur un bulletin scolaire que j’ai conservé, il m’était même prédit un bel avenir de professeur de lettres ! Mais à la même époque, je voulais déjà devenir cinéaste et « faire l’IDHEC » (aujourd’hui la FEMIS) et j’ai « fait l’IDHEC », où je suis entré en 1966 après une année en classe préparatoire au Lycée Voltaire de Paris. Sorti de l’école de cinéma dans 1

- http://www.rencontresgiono.fr/ - 108 -


l’effervescence de mai 1968, je revenais dans mes Vosges natales avec une caméra de l’école pour commencer un film sur la vie et les pratiques artisanales des hommes de la forêt vosgienne lorsque se produisit le « choc » de ma rencontre avec la prose de Giono. J’avais lu Que ma joie demeure à l’âge de quinze ans, mais le roman ne m’avait pas touché. C’est en découvrant « Hiver », un texte très court recueilli dans L’Eau vive, que j’ai été saisi de stupeur par la capacité de Giono à mettre en mots l’atmosphère particulière de ces hivers montagnards, que j’avais connus pendant mon enfance. Je suis entré dans l’œuvre de Giono par la voie montagnarde, me ruant aussitôt sur Un roi sans divertissement, qui est pour moi un chef d’œuvre absolu. Je me suis mis en tête d’adapter un texte de Giono pour le grand écran. Un homme qui a beaucoup compté dans mon parcours personnel m’y a encouragé : il s’agit de Jean Gruault (1924-2015). Scénariste de Rossellini, Truffaut, Rivette, Resnais, Jean avait dirigé mon mémoire de fin d’études consacré au cinéma didactique de Rossellini. Il adorait les livres de Giono et m’a suggéré de travailler à un projet de film tiré du Déserteur. J’ai commencé à « piocher » Giono en désordre et sans méthode. L’édition de ses œuvres romanesques dans la Pléiade n’avait pas encore commencé à paraître. Mes moyens financiers ne me permettaient pas d’aller à Manosque voir Giono, même si j’en rêvais, et puis Giono est mort en octobre 1970 alors que j’étais en pleine écriture de mon scénario. Je me souviens avoir ressenti sa disparition comme celle d’un proche. En 1971, l’éditeur - 109 -


suisse du Déserteur, que j’avais rencontré à Lausanne, m’a conseillé d’aller voir Aline Giono, héritière littéraire de son père, chez Gallimard où elle travaillait. C’est alors que tout a vraiment démarré, non pas pour le cinéma, mais pour mon parcours de chercheur gionien. Je n’ai pas tourné Le Déserteur, pas plus que mon adaptation suivante du Grand Troupeau, qui avait pourtant bénéficié d’une avance sur recettes et de l’accord de comédiens prestigieux (Charles Vanel, Stefania Sandrelli, Gérard Depardieu, Jean Dasté). Je ne regrette rien et me dis aujourd’hui que j’avais mieux à faire qu’à ajouter un ou deux films à la liste des romans de Giono portés à l’écran. Aline Giono m’avait pris sous son aile, me présentant à Robert Ricatte, Pierre Citron, Henri Godard, qui travaillaient à l’édition de la Pléiade. C’est elle qui m’a suggéré de faire des recherches sur l’œuvre cinématographique de son père, me fournissant beaucoup de textes inconnus et inédits. Ricatte, grand amateur de cinéma, a vu d’un bon œil mon entreprise et l’a soutenue avec toute sa généreuse amitié. Les grands pionniers de la critique universitaire gionienne m’ont donc laissé le champ libre pour ma recherche sur le cinéma de Giono dont on ne percevait pas encore très bien l’importance. Certains amis de Giono considéraient même qu’il s’était fourvoyé dans le cinéma, alors qu’il est évident que cette aventure l’a passionné. Je suis fier aujourd’hui d’avoir donné aux films de Giono la place importante qui leur revient dans l’ensemble de son œuvre. J’ai donc publié, en 1978, un premier livre Jean Giono et le cinéma, réédité et augmenté en 1990 dans une édition de poche. À partir de 1990, j’ai donné régulièrement des communications aux « Journées

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Giono » de Manosque et dans les colloques Giono, ce qui m’a permis d’approfondir certains aspects du travail de Giono pour le cinéma et d’entrer plus avant dans sa création littéraire. De mon goût pour l’œuvre de Giono est née ma passion pour la recherche, restée limitée à son cinéma jusqu’au moment où, en 2005, je suis devenu président de l’association des Amis de Jean Giono. Depuis cette date, mes recherches portent sur tous les aspects de la biographie et de la création de Giono. PAMG : Giono semble entretenir avec la « machine à cinéma » un rapport paradoxal ; est-ce le côté mécanique qui l’inquiète ou l’artifice grossier de décors de carton-pâte ou bien trouve-t-il le cinéma trop dépendant du réel, lui qui affirme ne pouvoir « rien faire » avec lui ? J.M. : L’attrait de Giono pour le cinéma remonte à l’enfance. Imaginez qu’il est né en mars 1895, au moment même où Louis Lumière présentait son « Cinématographe » à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale et projetait son premier film, une Sortie d’usine. Giono n’a que cinq ou six ans quand il découvre la magie de la « photographie animée » à l’occasion des premières projections foraines données dans une épicerie de Manosque. Sans doute est-ce l’une des raisons pour lesquelles il a toujours préféré le cinéma aux autres arts du spectacle, loin devant le théâtre qui l’attirera moins comme auteur et comme spectateur. Giono est un gourmand de cinéma et il verra au moins un film par semaine pendant plus d’un demi-siècle, que ce soit à Manosque, Marseille ou Paris, avec une prédilection pour le cinéma de genre : aventures, policier, burlesque (Chaplin, Marx Brothers, Laurel et Hardy ou Hellzapoppin), fantastique et surtout western : « Je vais au cinéma pour trouver ce que les autres - 111 -


arts ne peuvent me donner, pour voir des mouvements, des paysages,» déclare-t-il au moment où il préside le jury du Festival de Cannes de 1961, où deux palmes d’or sont décernées : l’une à Viridiana de Buñuel ; l’autre à Une aussi longue absence de Marguerite Duras et Henri Colpi. Contrairement à ce qu’il veut bien laisser croire, Giono a beaucoup réfléchi sur le cinéma et il est remarquable qu’un écrivain aussi peu enclin à formuler des réflexions théoriques ne l’ait fait qu’à propos du cinéma dans un article de 1963 : « Écriture et cinéma ». Pendant plus d’un demi-siècle, il aura été le témoin de l’évolution technique et esthétique du « septième art » : des bandes foraines primitives à la sophistication de l’art du muet, de l’arrivée du son à celle de la couleur, puis de l’écran large dont il fera usage dans la plupart de ses films. Fasciné par le lyrisme et la poésie du cinéma muet, il croira longtemps à une spécificité du cinéma et de ses procédés d’expression pour créer une relation dynamique entre le film et son spectateur, en lui faisant partager sa vision subjective de la réalité, en lui donnant à éprouver les émotions et les sensations vécues par les personnages, en l’amenant à participer activement à l’action. Ces préoccupations sont proches de celles des cinéastes français d’avant-garde des années vingt, dont deux furent en relation d’amitié et de travail avec Giono : Alberto Cavalcanti et Abel Gance. Dans son essai Triomphe de la vie, il qualifie de « sauvage » cette conception du cinéma, en marge de la production conventionnelle dominante : un cinéma lyrique et épique où la danse magique des images fait écho à sa propre vision du monde. Jusqu’en 1942, il se maintient dans cette conviction. À partir de 1956, confronté aux réalités du tournage d’un film, il comprendra que le cinéma n’offre pas la même liberté que l’écriture pour inventer des images qui transposent ou reconstruisent le réel et ne considérera plus la pratique du cinéma que comme une autre façon de raconter des histoires. S’il était à son affaire avec le roman, Giono avait compris qu’il ne maîtriserait jamais le « métier » de cinéaste ; mais, comme pour beaucoup d’écrivains ayant rêvé au cinéma dont quelquesuns sont passés comme lui derrière la caméra, son « innocence » vis-àvis d’une technique qui lui était étrangère en fit un inventeur de formes nouvelles. Dans le cas de Giono, il est remarquable que dès 1943, il ait - 112 -


eu l’intuition formulée dans son Journal à l’époque que la couleur au cinéma ne devait pas être décorative mais « dramatique », ce qu’il réalisera vingt ans plus tard dans sa propre adaptation de son livre Un roi sans divertissement. PAMG : Les adaptations par Pagnol des romans de Giono ont-elles contribué à éloigner ce dernier d’un certain cinéma ? J.M. : Les films de Pagnol ne correspondent en rien à l’idée que Giono se fait du cinéma et encore moins à celle qu’il se fait de la manière dont il faudrait faire du Giono cinématographique. Devenu lui-même cinéaste, plus qu’une trahison de ses romans, il leur reprochera l’ « absence de mise en scène ». Giono se sentait certainement plus proche du lyrisme épique d’Abel Gance que du « petit théâtre » réaliste de Pagnol. Mais avant de signer avec Pagnol, en 1932, un contrat pour plusieurs films tirés de ses premiers romans, Giono avait déjà eu d’autres projets cinématographiques. Dès 1929, Gide lui avait proposé d’adapter lui-même son roman Un de Baumugnes, dont Marc Allégret aurait assuré la mise en scène. En 1931, à l’initiative du compositeur Maurice Jaubert et en collaboration avec le cinéaste d’avant-garde Alberto Cavalcanti, il écrit son premier scénario original : Le Signe du soleil. Le film n’est pas tourné, mais Giono n’en abandonne pas pour autant l’idée de se lancer dans le cinéma. En 1932, il envisage d’animer, avec Arthur Honegger, un « collectif cinématographique » destiné à porter à l’écran ses scénarios originaux et des adaptations de ses récits, dont déjà Regain et La Femme du boulanger. Dès ses débuts en littérature, il fut conscient de sa « grande réputation parmi les amateurs de film » et qu’on attendait « avec impatience » son travail dans cette partie. On ne sait pas qu’il a commencé en décembre 1938 le tournage d’un court-métrage, intitulé « Solitude », qui ne sera jamais achevé et dont Marcel Pagnol lui avait fourni les moyens de production. PAMG : Giono a donc consacré une part non négligeable de son temps à cet art ? J.M. :

Absolument ! Si comme beaucoup d’écrivains de sa génération, Giono s’est - 113 -


passionné pour le cinéma, il est l’un des rares à ne pas avoir renoncé en chemin au désir de mettre au service de son imaginaire ce nouvel outil de récit et de création d’images. En 1942, il voulait passer au long-métrage en tournant son adaptation du Chant du monde et envisageait déjà une compagnie de production à son nom. Il ne la créera qu’en 1960, l’abritant sous l’aile de la maison Gaumont, pour réaliser son film Crésus avec Fernandel. Entre 1931 et 1968, il a écrit vingt scénarios plus ou moins développés de courts et longs-métrages (scénarios originaux ou adaptations de ses romans), ainsi que les commentaires de plusieurs courts-métrages. Tous ces scénarios n’ont pas été tournés, mais ils constituent un ensemble passionnant de variantes et de commentaires sur des épisodes, des thèmes, des personnages issus de son œuvre romanesque qu’ils contribuent à éclairer, enrichir, et prolonger. Les deux œuvres majeures de sa filmographie, Crésus et Un roi sans divertissement, n’ont pas eu le succès public escompté au moment de leur sortie, mais ils sont considérés aujourd’hui comme des « films-cultes ». Le temps a rendu justice à la singularité de Giono homme de cinéma. Après la présentation de L’Eau vive – dont Giono avait écrit le scénario – au festival de Cannes de 1958, François Truffaut écrivait : « Giono est l’écrivain qui pourrait apporter le plus au cinéma. » PAMG : Tu as dit aussi que, chez Giono, le cinéma « n’influenc[e] jamais la création littéraire » ? J.M. : Quand j’ai écrit cela, je faisais encore trop confiance aux propos de Giono luimême, qui était dans le déni d’une quelconque influence du cinéma sur son écriture, alors que cette influence était admise et même revendiquée par de nombreux écrivains de sa génération. Aujourd’hui je suis plus nuancé sur cette question. Si l’écriture des premiers romans de Giono ne me semble que très peu influencée par le cinéma,

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bien que la critique ait déjà parlé de cinéma à propos de la structure du Grand Troupeau en 1931, je n’en dirai pas autant des œuvres qu’il conçoit dans les années soixante et de son ultime roman L’Iris de Suse. C’est une époque où la création littéraire de Giono porte la marque de sa lecture de Faulkner, qui était aussi auteur de films. Longtemps linéaire, la narration gionienne est chahutée, à partir de 1946, sous l’influence du Bruit et la fureur, puis d’Absalon, Absalon ! Giono n’hésite plus à télescoper les époques, à user du flash-back, « comme au cinéma » dit-il lui-même. Autre chose qui n’a pas encore été examiné en détail : son « imaginaire du western ». S’il est incontestable que plusieurs de ses romans peuvent nous faire penser au western américain, Giono envisageait délibérément leur transposition cinématographique sur le mode « western », qu’il s’agisse du Chant du monde ou du Hussard sur le toit. PAMG : Reste-t-il des trésors à découvrir concernant Giono cinéaste ou Giono scénariste ? J.M. : Après quarante ans de recherches, il ne semble plus manquer qu’une pièce à l’œuvre cinématographique de Giono, le scénario d’une mystérieuse Femme au paon plusieurs fois mentionné par les documents ou dans des entretiens, mais dont je ne trouve aucune trace. Mais n’a- t-on pas découvert à l’occasion d’une vente récente, qu’il avait écrit en 1955 pour Raymond Rouleau le synopsis d’un film sur la Révolution française, dont personne n’avait jamais entendu parler ! Mon souhait serait qu’à la faveur de la commémoration du cinquantenaire de la mort de Giono en 2020 un neuvième volume de ses œuvres dans la Pléiade réunisse à la fois son théâtre et son cinéma.

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L’ÉCRITURE CINÉMATOGRAPHIQUE DANS Le Rapport de Brodeck par Denys Couturier L’originalité de l’œuvre de Philippe Claudel tient à ce qu’au fil des ans, elle s’est constituée quasiment à part égale aussi bien de créations cinématographiques que de créations romanesques. Aussi bien reconnu pour ses talents de réalisateur (Il y a longtemps que je t’aime en 2008) que de romancier (Les Âmes grises en 2003, Le Rapport de Brodeck en 2008), Philippe Claudel tisse dans ses œuvres des liens étroits, mais ambigus, entre le cinéma et la littérature autour de thèmes fondateurs comme la guerre, la mémoire et le deuil. Pourtant, celui qui enseigne l’écriture scénaristique à l’Institut européen de cinéma et d’audiovisuel de Nancy, refuse, à l’exception des Âmes grises qui sera portée au cinéma par Yves Angelo et dont il signera le scénario, d’adapter lui-même ses œuvres pour le grand écran, partant du principe que chaque genre obéit à des codes et des intentions d’écriture qui lui sont propres : « Je sais d’emblée, lorsque j’écris, s’il s’agira d’un roman, d’une nouvelle, d’un scénario, ou même d’une pièce. C’est immédiat. »1 Toutefois, cette division qui semble nette, n’empêche pas la porosité entre les genres à l’échelle d’un roman tel que Le Rapport de Brodeck, notamment à travers la question des points de vue et de l’organisation de certaines descriptions pour lesquelles des notions d’analyse cinématographique peuvent être convoquées. Il s’agira donc d’étudier 1 - « Entretien avec Philippe Claudel », Revue critique de fixxion française contemporaine, 2012.

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les relations faites d’échos, mais aussi de ruptures, entre cinéma et littérature au sein de l’écriture de Philippe Claudel, en opérant plusieurs rapprochements entre Le Rapport de Brodeck et un autre roman et son adaptation cinématographique, Les Âmes grises. L’écrivain-cinéaste démiurge « Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien ». Ainsi s’ouvre l’histoire de Brodeck, jeune homme aux origines obscures, rescapé des camps de concentration et chargé par son village de rapporter fidèlement les évènements qui ont mené à l’Ereigniës, terme ambigu et mystérieux et qui signifie, d’après le personnage-narrateur, « à peu près « la chose qui s’est passée »2. Au cours du roman, le lecteur voit se superposer deux strates d’intrigue à travers de nombreuses ellipses et des retours en arrière fréquents. La première trame concerne la déportation de Brodeck, dénoncé par les villageois qu’il pensait être ses amis. La deuxième trame narre l’arrivée de l’Andërer, homme étranger au village, jusqu’au meurtre final de ce dernier, l’Ereigniës donc, crime perpétré par ces mêmes villageois qui avaient dénoncé Brodeck. Dans cet incipit déroutant, l’identité du personnage s’affirme tout en affichant une volonté de se disculper. Point de repères liés au fameux cadre spatio-temporel dans les premières pages : le lecteur comprend entre les lignes que l’intrigue se situe dans un village de montagne, isolé « qui est si loin de tout, qui est perdu », au lendemain d’une guerre -que l’on devine être la seconde- d’ampleur mondiale. D’emblée, le texte apparaît comme une «fable»3, une parabole pour reprendre les termes de l’auteur lui-même. Nous voyons ainsi une volonté affichée de 2 - Le Rapport de Brodeck, Philippe Claudel, Le Livre de Poche n°31351, p13. 3 - Brodeck, L’Envoyé des ténèbres, DVD CRDP de Bretagne, 2010.

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la part de l’auteur de s’effacer de son œuvre pour laisser se déployer l’univers de la fable. Pourtant, le rôle de démiurge organisateur du récit apparaît bien à la toute fin du roman, lorsque Brodeck décide de quitter son village et que celui-ci disparaît soudainement : « C’était comme si le paysage et tout ce qu’il avait contenu s’étaient effacés derrière mes pas. Comme si à mesure que j’avançais, on avait démonté le décor, plié les toiles peintes, éteint les lumières. Mais de cela, moi, Brodeck, je ne suis pas responsable ».4 La référence au décor démonté et aux lumières éteintes, tout en amenant le lecteur à s’interroger sur la nature du texte qu’il vient de lire, fait référence au monde de la mise en scène, du cinéma, comme si une entité organisatrice de la genèse présentée reprenait le contrôle, transparaissait derrière les réflexions du personnage, tel le nom du réalisateur qui s’affiche en haut du générique de fin. Les nombreux effets d’écho internes au roman soulignent également la présence d’une main créatrice derrière la fiction. Interrogé sur sa vision du rôle de réalisateur, Philippe Claudel déclare : « J’ai

souvent dit que, beaucoup plus que la littérature, le cinéma est un prolongement des jeux d’enfance il partage la même magie, le même goût pour disposer des personnes dans l’espace et les faire agir en commun dans un univers de fiction (on va faire comme si…). »5 Cette volonté de « faire comme si » est bien présente dans Le Rapport de Brodeck dont les derniers mots comme nous l’avons vu, soulignent le caractère fictif de l’histoire narrée. L’auteur reprend également, dans les ultimes lignes, la phrase initiale mais une légère variation, présente sous la forme d’une simple virgule, « Je m’appelle Brodeck, et je n’y suis pour rien » permet de mesurer toute l’évolution du héros : alors que dans l’incipit l’identité se déployait dans le même mouvement qu’une volonté de clamer son innocence, il en va tout autrement dans l’excipit où l’identité du héros, enfin comprise et assumée par ce dernier, s’affirme distinctement et en rupture avec des actes pour lesquels l’innocence de Brodeck ne fait plus de doute aux yeux du lecteur.

4 - Ibidem, p375. 5 - « Entretien avec Philippe Claudel », Revue critique de fixxion française contemporaine, 2012.

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Points de vue et caméra Subtilement, les codes de la description romanesque croisent également ceux de l’analyse filmique dans différentes scènes du Rapport de Brodeck . C’est par exemple le cas dans le chapitre IX, lorsque Brodeck raconte son arrivée au camp de concentration. Après la sortie brutale du wagon et le traumatisme lié à l’assassinat de son camarade Moshe Kelmar par les gardiens, le personnage voit apparaître l’entrée du camp : « Au bout du chemin et au bout de ma course, il y avait l’entrée du camp un grand portail en fer forgé, joliment ouvragé, comme le portail d’un parc ou d’un jardin d’agrément. De part et d’autre se dressaient deux guérites peintes de rose et de vert pimpant dans lesquelles des gardes se tenaient droits et raides, et au-dessus du portail, il y avait un gros crochet, brillant, semblable à un crochet de boucherie auquel on suspend des bœufs entiers. Un homme s’y balançait, mains liées dans le dos, une corde au cou, les yeux grands ouverts et sortis des orbites… »6 Ce passage, entièrement narré à travers le point de vue de Brodeck, 6 - Le Rapport de Brodeck, p79.

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serait facilement transposable au cinéma car la description semble organisée en plans qui ressemblent à ceux d’une séquence de film : d’abord un plan large, laissant entrevoir un lieu en apparence agréable dont les couleurs et les formes semblent rassurantes, impressions toutefois rapidement démenties par la présence des deux gardes « droits et raides » puis un gros plan sur le crochet, élément saugrenu dans ce qui semblait être un « jardin d’agrément » et enfin un travelling arrière laissant apparaître progressivement, à travers ce qui pourrait être un plan moyen, le corps d’un pendu. Le changement de plans dynamise indéniablement le récit et permet au lecteur de comprendre que l’horreur peut surgir à tout moment, même dans un cadre en apparence rassurant. Cette scène n’est qu’une des nombreuses déclinaisons du leitmotiv qui jalonne tout le roman : la bestialité, l’inhumanité sont toujours là, tapies, prêtes à se déployer. Un autre extrait, organisé selon le même schéma de plans, peut, à l’inverse, montrer que l’amour, à travers la main d’une enfant, permet de lutter contre les ténèbres. Dans le chapitre XXIII, Brodeck doit se rendre à la cabane de Lutz, lieu isolé et dont


le paysage se compose de pâtures et de mares, pour effectuer des mesures pour son travail de garde-forestier. Alors qu’il s’acquitte de sa tâche, il s’aperçoit soudain qu’il n’est plus en mesure de voir Emélia, sa fiancée, et Poupchette, fille née du viol d’Emélia par un soldat allemand alors que Brodeck était interné au camp. Le personnage est alors pris de panique : « J’ai détourné brusquement mes yeux et j’ai cherché au loin les silhouettes de Poupchette et d’Emélia. Mais je ne pouvais apercevoir que les pans écroulés des murs de la cabane. Elles étaient de l’autre côté, invisibles, disparues. […] La cabane n’était pas très éloignée, mais j’avais l’impression que je ne pourrais jamais l’atteindre. Le sol glissait sous mes pas. J’enfonçais mes jambes dans des trous humides, des fondrières, et la vase paraissait vouloir m’aspirer en faisant des bruits qui ressemblaient à des plaintes mourantes. Quand j’ai fini par arriver à la cabane, je n’avais plus de souffle, j’étais épuisé. […]. Et puis, j’ai vu. J’ai vu une petite main passer l’angle du mur et prendre une renoncule, casser sa tige, la saisir, et la petite main est allée vers une autre fleur. Ma peur a disparu aussi vite qu’elle m’avait assailli. Le visage de Poupchette est apparu. »7 Comme lors de l’arrivée au camp, le point de vue interne du personnage permet au lecteur de passer d’un plan large, mais dont la perspective est obstruée par les « pans écroulés des murs de la cabane », à un gros plan sur la main de Poupchette. La narration ménage un court suspens à travers l’absence de complément dans l’expression «Et puis, j’ai vu. » La vision de la main de la fillette est suivie d’un apaisement immédiat chez Brodeck, comme si, symboliquement, cette main ramenait le héros du côté des vivants. Le corps qui apparaît progressivement dans un champ de vision qui s’élargit n’est plus celui d’un pendu déshumanisé mais un signe d’espoir, de vie. En jouant sur la rupture des plans de la description à la manière d’un cinéaste, Philippe Claudel souligne une nouvelle fois le fragile équilibre sur lequel progresse Brodeck. Ainsi, nous avons donc vu que certains aspects de l’écriture du Rapport de Brodeck croisaient ceux d’une écriture plus cinématographique à travers 7 - Ibidem, p. 201-202.

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la mise en évidence des marques signalant la fiction et le jeu des points de vue rappelant les variations d’une caméra. Toutefois, Le Rapport de Brodeck semble presque impossible à adapter au cinéma. Nous allons tenter de voir pour quelles raisons, notamment en comparant ce roman avec Les Âmes grises, œuvre ayant fait, elle, l’objet d’une adaptation cinématographique. Le Rapport de Brodeck, l’impossible adaptation cinématographique ? Dans le dossier de presse consacré au film Les Âmes grises8, Philippe Claudel explique avoir conçu, à la demande du réalisateur Yves Angelo, une version scénarisée qui était prête avant la sortie du roman. Ainsi, contrairement au Rapport de Brodeck, l’œuvre Les Âmes grises a été conçue sous deux formes d’écriture complémentaires qui obéissent chacune à des codes qui leur sont propres. Cela se ressent tout d’abord dans l’ancrage spatio-temporel puisque celui des Âmes grises est un peu plus précis que celui du Rapport de Brodeck : une année est mentionnée dès les premières pages, 1917, mais le lieu reste énigmatique, un village, non loin d’une plus grande ville simplement désignée par l’initiale V. Il est également question d’une « Affaire », évènement mystérieux qui renvoie en réalité au meurtre de Belle du jour, la plus jeune des filles de l’aubergiste Bourrache. Une seule année, sans jour ni mois précis, reste une donnée vague 8 - Dossier de presse disponible à l’adresse suivante : http://pdl. warnerbros.com/wbol/fr/Les_Ames_Grises/espace/les_ames_grises. pdf

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pour ancrage temporel très marqué. Toutefois, cette année-là permet de véhiculer tout un contexte connu du lecteur : la lassitude des populations au front et à l’arrière, les mutineries de plus en plus fréquentes et les attitudes troubles des hommes face à la boucherie qu’est la première guerre mondiale. C’est sans doute par rapport à l’atmosphère liée à ce contexte historique précis que l’adaptation au cinéma des Âmes grises semble plus évidente que celle du Rapport de Brodeck : le réalisateur Yves Angelo montre régulièrement des longues files de soldats en costume bleu horizon, les coups de tonnerre constituent un bruit de fond presque continu qui accompagne les conversations des personnages. À l’inverse, l’atemporalité affirmée du Rapport de Brodeck empêche toute tentative de reconstitution historique clairement marquée. De plus, la nature même du hérosnarrateur du Rapport de Brodeck peut sembler problématique dans le cadre d’une adaptation cinématographique. Même s’il entretient un certain nombre de points communs avec le policiernarrateur des Âmes grises puisqu’ils sont tous les deux en marge, suscitent la méfiance des autres, se montrent impuissants à protéger leurs femmes meurtries et possèdent un enfant qui sera une source d’espoir pour eux, les deux hommes sont présentés différemment et n’occupent pas la même fonction au sein de leurs récits respectifs. Contrairement au Rapport de Brodeck, la narration n’est pas entièrement focalisée sur la quête d’identité du narrateur dans les Âmes grises. Le rôle de la mémoire, même 9 - Le Rapport de Brodeck, p11

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si cette dernière est fragmentaire, est davantage lié à la construction du personnage chez Brodeck que chez le policier. En outre, c’est en écrivant son rapport que Brodeck parvient à mettre en forme, sa vie, ou plutôt ses vies. Le motif de l’écriture qui ordonne, malgré une machine à écrire « éreintée » et « capricieuse »9, est régulièrement présent dans le roman à travers les carnets de Brodeck mais aussi ceux de l’Andërer, de Diodème, l’instituteur ami de Brodeck. Les différents personnages sont souvent vus en train d’écrire, de compiler des informations, d’annoter, de faire des croquis et même si ce motif de l’écriture pourrait être transposé facilement au cinéma, il perdrait toutefois beaucoup de sa force en étant présenté à travers un genre différent de celui auquel il appartient et dont il permet de souligner toutes les potentialités comme nous le prouvent les propos de Brodeck au dernier chapitre du roman : « J’ai laissé la machine dans la maison. Je n’en avais plus besoin. J’écris maintenant dans mon cerveau. Il n’y a pas livre plus intime. Personne ne pourra le lire celui-là. Je n’aurais pas à le cacher. Il est à jamais introuvable. »10 Ayant appris à vivre avec ses peurs, conscient de qui il est, le personnage est alors prêt pour un nouveau départ à la fin du récit. Comme le lecteur qui a cheminé avec lui. Ainsi, à travers la question d’une éventuelle adaptation cinématographique du Rapport de Brodeck se déploient les différentes potentialités de l’écriture de Philippe Claudel : sa capacité à suggérer un cadre qui dépasse la simple reconstitution historique, sa volonté de sonder les mémoires des hommes et de poser la question de la responsabilité des actes mais surtout, et avant tout, l’inventivité d’un auteur capable d’adapter sans cesse son écriture en fonction de l’objet à créer.

10 - Ibidem, 371.

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SCRAT

L’ÉCUREUIL DE L’ÂGE DE GLACE

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Scrat, l’écureuil de L’Âge de glace par Marie Agullo

« Il est devenu en quelques années un personnage culte qui amuse, qui fait rire, mais aussi un personnage « qui fait culture ». Il est porteur d’un récit dans lequel chacun peut se projeter, et qui rassemble tout le monde. » Thibaut de Saint Maurice.1

SON DESIR Le premier film, L’Âge de glace, commence dans un silence blanc, dans un désert à peine mû par une légère pluie de flocons. Une minuscule silhouette grise, insignifiante se rapproche en sautillant. C’est le mouvement qui compte, qui la fait exister. Elle finit par se préciser en traversant le champ deux fois, dévoile une identité ambiguë, un animal à queue touffue, un vivant qui ressemble à un écureuil et à un rat, mais qui tient un gland dans ses deux mains jointes comme s’il était humain, comme s’il tenait un graal. D’abord il suit une ligne droite qu’il trace à peine, sur le sol glacé, en le griffant avec son pied. On n’entend presque rien, que le léger grattement qu’il produit, mais ses regards suspicieux, son long nez frémissant, montrent bien qu’il se méfie. De quoi ? Il se sert de son gland comme d’un outil, il l’enfonce de loin en loin dans le sol gelé comme on enfonce un coin dans le bois qu’on veut fendre. Bientôt il disparaît dans des broussailles dont n’émerge que sa queue dressée en panache, puis son visage réapparaît, tout en alerte, au-dessus de ces herbes qui signalent une autre vie que la sienne dans ce monde nu. Il est un périscope, ses gros yeux globuleux saillent, son museau pointe, ses oreilles se sont mises en mode antennes. On comprend qu’il veut enterrer son fruit, le cacher, pour faire sa réserve de nourriture, de survie. Son corps en mouvement grandit, emplit l’écran. Ses pieds aux griffes verticales, menace le sol blanc qui reste lisse, ses bras

1 Chronique de Thibaut de Saint Maurice dans une émission de France Inter diffusée

le 26 juin 2016 : Pop Fiction d’Ali Rebeihi. Saison 2, épisode 44 : « Les séries télé, usines à rêves ».

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se lèvent, son visage s’allonge en mâchoire de loup ; le gland a grossi pareillement, sa pointe plantée dans la glace, il est devenu une arme. Enfin du fruit sur lequel il saute pour en faire un pieu après l’avoir vissé dans la glace, jaillit la première fracture, un zigzag bleu qui la fend et remplace la ligne de pointillés, jusqu’à devenir une faille qui conduit on ne sait où, qui franchit l’espace, s’enroulant sur une boucle du paysage, comme si l’on allait tourner en rond. Puis l’image se renverse, le bas devient le haut. Un éclair zèbre le ciel rendu. Le craquement s’amplifie. La ligne de fracture monte à l’assaut d’une montagne de glace, sous le regard ahuri de Scrat, immobile comme un spectateur. Alors il disparaît de l’écran. Seule continue la ligne, qui éloigne le silence, et découpe le glacier, jusqu’à son sommet, bien blanc, hérissé sous le ciel bleu. La musique commence, relayant les bruits de silence et de vent. Un effet de contre plongée souligne l’immensité du mirage. Scrat avec son petit gland a déchiré la forteresse blanche qui s’affaisse en son centre, un peu, puis s’écroule sur elle-même. Le gros plan du visage de l’écureuil montre sa sidération. Il n’y croit pas lui-même. Un léger tremblement de sa paupière signe son émotion. Puis il est saisi en plongée, à côté de son gland tout rond et inoffensif, vu du dessus, au départ du zigzag tranchant. Ses yeux plus blancs que la neige et sa queue dressée rehaussent son prestige démenti par l’angle de vue. D’ailleurs il s’envole maintenant et se retrouve arc-bouté furieusement sur son gland qu’il cherche à reprendre à la glace. Toutes ses postures montrent son effort démesuré qui se prolonge. Quand enfin Scrat délivre le gland du sol glacé, il crie victoire, mais aussitôt en avalanche, des glaçons acérés et furieux le poursuivent. Il fuit dans un bruit d’apocalypse. L’espace s’élargit. Un rideau de glace referme le panorama, en un cirque où se retrouve prisonnier l’animal assailli. Une glissade effrénée lui permet de franchir à temps la brèche qui se resserre. Gland en avant, il est éjecté dans l’Azur avec son fruit. Leur chute vertigineuse, gravitationnelle, les sépare. Quand il s’échoue, seul, le gland qui était sa nourriture et son arme de survie est devenu son désir absolu, l’objet d’ une quête qui ne finira plus et se vivra comme - 126 -


un fil rouge tout au long des cinq films de la série, ouvrant et fermant chacun d’eux. Sans qu’il le veuille, la poursuite de son désir le conduira à créer des bouleversements planétaires et même cosmiques le plus souvent catastrophiques. Epicure le défendrait en disant que « personne ne choisit le mal délibérément, mais étant séduit par lui parce qu’il se présente sous la forme du bien, et perdant de vue le mal plus grand qui en sera la suite, (il) se laisse prendre au piège » de son désir. Scrat est un personnage allégorique. Il représente l’homme venu au monde, sans connaître l’univers dans lequel il est plongé, une immensité qui dépasse son entendement et ses propres limites et se montre souvent hostile ou inepte. Mais comme l’écureuil de L’âge de glace, l’homme s’il veut survivre, doit résister.

SES LIMITES Lorsque Scrat retrouve son gland après qu’il croit l’avoir perdu, on voit bien par les caresses éperdues qu’il lui prodigue, qu’il est devenu dépendant de son désir. On pense à Harpagon, chérissant sa cassette. On rit de ses mimiques comme on riait du jeu de De Funès mais l’on pourrait aussi bien pleurer en songeant à l’emprise de cet objet sur un cœur esseulé. En effet Scrat est le seul solitaire de l’histoire, le seul qui soit arrimé à la tyrannique envie de posséder. Le seul qui ne cherche pas la compagnie des autres, le seul qui s’enferme dans une lutte individuelle, le seul même qui se détourne de la tentation amoureuse. Même si dans le troisième film, Scrat rencontre Scratina dont il rêve aussi dans le volume 4, il se montre incapable de céder son gland et reste seul. Les autres vont s’unir au cours des nombreuses péripéties pour s’entraider, vaincre l’adversité et c’est leur union et leur entraide qui vont les préserver de tous les dangers. Mais lui ne fait jamais alliance parce qu’il ne veut rien partager. Et pourtant il est si faible. La première image qui suit le générique le met en contact avec Manny le mammouth, premier protagoniste à partager l’espace avec lui. Mais quel contact ! Scrat se retrouve instantanément aplati comme une crêpe, ressemelant le pied du colosse. On - 127 -


comprend tout de suite qu’on n’en aura pas fini de rire de sa petitesse. Non Scrat ne fera pas le poids. Il rejoint la liste des éternels vaincus du cinéma d’animation dont le destin tragique est irrésistiblement comique par la répétition de leurs malheurs. On le verra foudroyé, catapulté, assommé, congelé, avalé, harponné, aspiré, éjecté, mais il n’apprend rien de ses erreurs. A la fin du premier film, la même cause produit le même effet qu’au début, sauf qu’une énorme noix de coco a remplacé le petit gland et qu’une éruption volcanique est déclenchée par le comportement immuable de Scrat, persévérant dans la même bêtise. Au début de La dérive des continents, on peut le croire aguerri, quelques secondes, et puis non. La nouvelle aventure commence de la même manière que les films précédents. La situation est encore pire. La sottise abyssale de Scrat va le faire sévir depuis le centre de la terre! Il n’a pas lu les maximes d’Epicure, ne sait pas qu’ « aucun plaisir n’est en soi un mal, mais (que) certaines choses capables d’engendrer des plaisirs apportent avec elles plus de maux que de plaisirs ». On ne rit donc pas de l’immoralité de Scrat qui ne s’occupe que de lui-même, mais de sa stupidité sans bornes. Cette bêtise se confirme dès le début du deuxième film. Alors qu’il vient de récupérer son gland, non sans héroïsme, dans un effort inouï, en réussissant une ascension plus que périlleuse, en aplomb du vide, il le reperd aussi vite car il n’a aucune conscience de ses limites et sans réfléchir, prend - 128 -


des risques insensés alors qu’avec un minimum de raison, il pourrait choisir l’esquive pour se tirer d’affaire. Il est assailli par des forces toujours contraires, seul contre tout et même contre lui-même. Mais s’il ne cherche pas à lutter contre ses mauvaises pulsions et ses erreurs, il combat avec persévérance, acharnement, tous les obstacles venus de l’extérieur. Il lutte contre l’eau qui jaillit, contre l’eau qui noie, contre l’eau qui gèle. Il se bat avec des poissons, un aigle… Il poursuit sa quête jusqu’aux sommets et dans les gouffres. Et lorsqu’il arrive au paradis des glands d’or, prêt enfin à cueillir les fruits de la manne céleste, ou lorsqu’il est parvenu au terme de sa chasse au trésor, il est aspiré loin de la félicité dans une sempiternelle dépossession. Scrat est un personnage mythique, un héros qui lutte contre l’adversité sans jamais se rendre. Il ne cède pas à la défaite et retrouve des forces inusables chaque fois que l’épreuve l’a vaincu. Il ne craint rien car il ne sait pas que la mort existe. La fiction ne le tue jamais. Et Ulysse qui a choisi de rester un homme parmi les hommes, plutôt que l’immortalité offerte par une déesse, dirait que ce n’est pas un cadeau acceptable.

SA LIBERTE Scrat est libre d’abord pour de mauvaises raisons, parce qu’il est solitaire, ne se préoccupe pas des autres, n’agit que pour lui-même. Il l’est aussi parce que quelles que soient l’adversité ou la mesure de son impuissance, quelle que soit l’action qu’il accomplit ou qu’il subit, il ressuscite toujours de toutes les destructions. Et c’est bien pour cela qu’il déclenche chez nous un rire compulsif parce que nous ne pouvons pas nous émouvoir sachant que la fiction qui le rend immortel le dérobe à notre empathie. Scrat n’est pas un homme et nous ne pouvons pas souffrir pour lui ou avec lui car il n’est pas de notre essence. Thibaut de Saint-Maurice dit pourtant dans sa chronique, qu’il incarne notre condition humaine parce qu’il y a « dans Scrat quelque chose du Sisyphe qui pousse son rocher, (et que) comme le montre Camus dans son analyse du mythe, l’envers de cette obstination absurde, c’est l’effort permanent et - 129 -


continu » qui conduit à la liberté de l’être... Camus écrit dans Le Mythe de Sisyphe : « La conquête ou le jeu (…), c’est un hommage que l’homme rend à sa dignité dans une campagne où il est d’avance vaincu. Il s’agit seulement d’être fidèle à la règle du combat. » Scrat, est un personnage absurde, oui, mais il l’est aussi au sens philosophique du terme, par sa lutte irréductible contre tous ses ennemis intérieurs ou extérieurs, parce qu’il reste tout entier livré à un présent qui le prive de toute compréhension et de toute anticipation dans les décors qu’il traverse sans les comprendre. Camus écrit : « L’absurde… c’est ce divorce entre l’esprit qui désire et le monde qui déçoit, ma nostalgie d’unité, cet univers dispersé et la contradiction qui les enchaîne(…). Il s’agissait de vivre et de penser avec ces déchirements, de savoir s’il fallait accepter ou refuser. » Scrat ne renonce jamais, accepte tous les défis, dans tous les lieux, contre tous les obstacles, sans se soucier de conséquences. Il incarne l’espoir jusqu’à l’absurde. « Il s’agit de s’obstiner » insiste le philosophe dans son essai. Il dit encore : « L’homme absurde ne peut que tout épuiser et s’épuiser. L’absurde est sa tension la plus extrême, celle qu’il maintient constamment d’un effort solitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi. » Comment ne pas voir dans ce gland éternellement poursuivi et toujours fuyant, le rocher de Sisyphe puni par les Dieux qu’il a osé défier, condamné à l’effort permanent et inutile, puisque lorsqu’il parvient à hisser sa pierre au sommet de la montagne, elle redescend toujours au bas de la pente. Mais Camus dit qu’il faut penser à Sisyphe, non lorsqu’il gravit la côte, mais au moment où, libre pour un moment de l’effort, il la redescend, à la rencontre de son destin immuable. « Il faut imaginer Sisyphe heureux » dit Camus, car « Sisyphe prolétaire des dieux, impuissant - 130 -


et révolté, connaît toute l’étendue de sa misérable condition : c’est à elle qu’il pense pendant sa descente. La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n’est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris. » Le philosophe définit ainsi la révolte métaphysique : « elle est cette présence constante de l’homme à lui-même. Elle n’est pas aspiration, elle est sans espoir. Cette révolte n’est que l’assurance d’un destin écrasant, moins la résignation qui devrait l’accompagner. » Pour appuyer cette leçon de philosophie (ou de sagesse ? ou de vie ?), on peut aussi relire le célèbre poème de Kipling, « Si »:

« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, (…)Tu seras un homme mon fils. » Scrat n’est pas un homme mais il montre que derrière les rires les plus simples et les plus communicatifs peuvent se cacher les plus sérieux des sujets de réflexion. Je pense aussi à la citation de Churchill, « le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ». Cette phrase est d’actualité et devrait donner de l’espoir et du courage à ceux qui se désolent des événements présents quand certains hommes semblent avoir perdu la mémoire, et cherchent des solutions, hors la solidarité et l’abnégation dans le combat.

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Par Geoffroy Emmanuel Floret Pour suivre le Lapin blanc jusqu’au bout de son rêve, Albus et Scorpius durent s’installer avec lui dans le wagon de tête du Midnight Express. Le chemin de fer se tordait et se hérissait en spirales vertigineuses. Ils dégringolaient furieusement, de tempêtes en sirrocos. Le rail fou tordu se précipitait furieux et incontrôlable dans un bruit d’avalanche et un désastre de tornade. Des explosions les plaquaient sur leur siège, enflammaient leurs oreilles, Ils allaient rôtir dans un train d’enfer… Mais soudain alors qu’ils passaient par La porte des Etoiles, ils furent aspirés par le souffle d’un engin spatio temporel en haut d’une pyramide, et plongèrent dans un magma de molécules instables qui s’entrechoquaient avec vigueur pour brasser un cocktail où se diffusaient toutes les senteurs, les arômes, les essences de Jean Baptiste Grenouille qui pensaient ses parfums comme comptent aujourd’hui les hommes de biens, avec « des chiffres... des orages de chiffres... toujours des petites sommes » . Finalement ils s’échouèrent sur une planète occupée par un business man, une sorte de comptable absorbé par l’addition de ses étoiles. La joute verbale entre Scorpius et le notable fut brutale mais de courte durée. Un Renard ayant pris pour fait acquis qu’il mangerait un civet au dîner, le Lapin blanc, déjà en retard, accéléra encore l’allure pour échapper à un sort aussi funeste. Il n’en fut que plus difficile à suivre. Il bondissait, tel un éclair, en virtuose, d’une étoile à l’autre… Il renversa au passage d’une filante, un ivrogne qui pleurait sur son triste destin. Quand Albus et Scorpius parvinrent à sa hauteur, il s’était relevé, titubant et chantant, tout guilleret, un tonitruant : « Ce matin, un lapin a tué un … » Ils n’eurent pas le temps d’entendre la fin de la chanson. Le Renard bondissait sur le lapin. Il allait l’attraper quand ils disparurent tous les deux, enfermés dans une caisse. Le petit garçon qui tenait la boîte bien fermée, était beau comme une promesse. Il sentait le sable et la rose. « Ne vous inquiétez pas, leur dit-il, ils tiendront compagnie à mon mouton. Si tu le dis, rétorqua Albus qui manquait cruellement de souffle.

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chaque fois, mais pour l’heure, il faut se presser. Si on le peut encore, ironisa Scorpius qui serrait sous ses deux mains appuyées, un terrible point de côté. Et on se presse où ? Morphéus vous attend, voyons… Allons… » Il y eut une éclipse de la lumière, un réveil brutal, des tubes, du brouillard, des aiguilles, et après une intense et longue pluie de rayons verts Albus et Scorpius s’éveillèrent tout à fait. Ils se tenaient sur le toit d’un building. En face d’eux, imposant dans son manteau de cuir, le visage obscurci par des lunettes noires, Morphéus les attendait. Pour le détail, à l’arrière plan, un gorille gigantesque se battait avec des avions de guerre. « Te voici donc arrivé, Albus. Te voici arrivé Scorpius. Bienvenue dans cette … Mais ceci (d’un geste, il montra la scène de King Kong) ne représente pas le terme de votre voyage. … Sachez que pour retrouver l’époque de Méliès, et flâner dans son âge, il vous faudra faire un choix. - Bon écoute l’artiste, l’interrompit Scorpius, je ne te fais pas la liste de ce qu’on a dû endurer pour arriver jusqu’à toi. Pire qu’un générique ! Alors sois gentil. Tu mets de côté la dimension hautement mélodramatique, cinématropgraphique du truc, et tu fais ce qu’il faut… Nous, c’est oui ! Quel que soit le choix que tu as à nous proposer. Ras le bol ! On va voir Méliès pour faire plaisir au binoclard, et ensuite bye bye ! The End ! Ce soir y a quidditch ! Sûr ? Sûrs, affirmèrent-ils, en chœur. » A suivre ...

EPISODE 5

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(ÉPISODE 4)

Réalité.

LE CINÉMA AU PIED DE LA LETTRE

Promis, ajouta le Petit Prince. En échange, je te rendrai ta montre, comme


LES BOUTS D’ESSAI DES PLUMES D

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D’AILES ET MAUVAISES GRAINES

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LA RENCONTRE Brève histoire d’une rencontre par Dalie

1895 : LE CINEMA : LA SURPRISE ABSOLUE DU MOUVEMENT Bergson1 utilisa le premier l’image du cinéma pour figurer sa pensée. Il évoque un « artifice » comparable à la connaissance reconstituée dans son devenir, c’est-à-dire dans la projection de son mouvement dans la conscience. Le cinéma permet aussi de lire une part du réel par le biais de l’illusion du mouvement. Le regard distancié de l’œil de la caméra met en scène, grâce au montage, un condensé de réel. Le réel se trouve alors démontré par la fiction. Le cinéma est donc d’abord une preuve fabriquée du réel. En effet, c’est la technique du cinématographe, l’œil et le mouvement, qui sont d’abord le cinéma. L’esthétique, et la vision du réel ne viennent qu’après. Cette prévalence de l’optique va même nier la puissance du verbe. Dieu est mort quand les frères Lumière lancent le cinéma muet. L’analogie, la chronologie, l’existence même de la narration fondatrice de la fabula des hommes apparaissent sans un mot. Les Adam et Eve du cinéma sont des ouvriers qui sortent de l’usine dans un troublant bourdonnement muet. 2 1 2

Bergson Henri, L’Evolution créatrice, Paris, 1945. La sortie de l’usine Lumière à Lyon (1895) - Frères Lumière : https://www.youtube.com/watch?v=EXhtq01E6JI

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L’IMMEDIATETE DE L’IMAGE : SOURCE DE CRITIQUES…LITTERAIRES Les artistes et les écrivains sont fascinés par ces images et ce sont les écrivains qui deviennent les critiques du cinéma. Objet d’observations diverses, de réflexions sur un monde nouveau, le cinéma trouve d’abord son maître étalon dans la littérature. Qu’apporte l’image ou que fait l’image que les mots ne peuvent faire ? La rupture n’a pas lieu, la vieille littérature n’est pas morte et regarde avec un peu de mépris amusé ce mioche imprévisible qui s’agite devant le peuple et les esthètes. Car c’est une première démesure du cinéma : il peut réunir le peuple et les élites devant le même spectacle et à la même hauteur. Le 7ème Art : la machine à maîtriser le Temps. Pourtant, le roman n’influence pas le cinéma, le cinéma possède l’immédiat du fait réel que la littérature a cherché et touché mais n’a jamais pu réaliser. Comme l’explique Bergson3, le langage est incapable de représenter le temps vécu parce qu’il est linéaire. Le temps vécu semblable, aux notes d’une mélodie qui viennent frapper l’oreillle en un flux discontinu et sensible, trouve dans le cinéma une possible interprétation. Le 7ème Art arrive après les autres arts comme une apogée du dire sans les mots. 1929 : LE CINEMA PARLANT ARRIVE : C’EST LA RUPTURE La collaboration entre cinéma et littérature se fonde sur des formes narratives, notamment l’écriture des scénarii, quand, tout à coup, le cinéma parlant rompt la relation maternelle entre les deux arts. Quand le cinéma se saisit des mots, le monde des lettres sursaute. La tentative esthétique est de confondre le réel dans le réalisme et d’écrire un cinéma à la botte du monde. Les écrivains rejettent ce crime de lèsemajesté, le cinéma n’est plus un art, c’est une grimace de singe qui imite son maître. 3

Bergson Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 1889.

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LE CINEMA ACCUSÉ DE SE SOUMETTRE AU REEL ET DE NE RIEN CREER La querelle est en place, il s’agira alors de hiérarchiser, de savoir lequel, de la littérature et du cinéma, est le mineur de l’autre. Les auteurs de cinéma, affranchis d’avoir été ou d’être des auteurs de littérature, peuvent faire leur apparition sous les huées et l’envie des littérateurs. Mais l’aventure du cinéma est une aventure rentable, curieuse et les écrivains collaborent à la réalisation de films ou en réalisent eux-mêmes. Des cinéromans de mauvaises factures nuisent alors à la réputation du cinéma et…de la littérature. Alors, la mort du cinéma est annoncée par les surréalistes déçus de cette soumission larvaire de l’image sonore au réel. RECONCILIATION ET COLLABORATION La dispute ne dure pas. Personne ne meurt et les deux arts se retrouvent après-guerre par le biais du cinéma américain qui relie le réel, la littérature et le cinéma en développant un langage cinématographique affranchi de la littérature tout en gardant un lien sacré avec le roman par le biais de scénarii romanesques. La reconquête d’une relation perdure et l’écriture de l’un et de l’autre cherche de nouveaux modes d’expressions pour révéler des émotions nouvelles. La profondeur de champ donne le vertige, les jeux d’angles et les disproportions sont aussi révolutionnaires que l’invention de la perspective dans l’histoire de la peinture. Enfin, les auteurs de cinéma ont un style, les réalisateurs ont une esthétique et sont reconnus comme des créateurs. La tentation est l’adaptation de roman, qui a le mérite de convier de potentiels spectateurs et de puiser dans des narrations éprouvées par la critique. Le cinéma devient vite une industrie, faire un film coûte plus cher que faire un livre et cet impact du financier va jouer les trouble-fête dans la relation cinéma/littérature qui avait trouvé une exquise idylle patiente et reconnaissante. Le cinéma devient un langage et le cinéma d’art et d’essai garde un lien exigeant et passionnel avec la littérature, tandis que le cinéma populaire vit sa petite routine en adaptations ratées et en simulacres réussis. La littérature va voler au cinéma des techniques qui vont renouveler et parfois même épuiser l’écriture contemporaine : - 138 -


champs/contre-champs, polyphonies et jeux de points de vue donnent aux auteurs des modalités nouvelles qui permettent d’explorer les hors-champs de la narration. ET AUJOURD’HUI ? Le cinéma produit et reproduit, la littérature surproduit, leurs relations sont dépassionnées, les deux arts jouent les mêmes partitions entre une exigence et une ambition créatives et un désir cupide aveugle. On hurle à la mort de la littérature car le cinéma grossit comme un ogre, les formes numériques et l’accès à l’image ayant donné au commun des mortels la possibilité de réaliser et de publier. Les formes modernes se trouvent peut-être dans le court-métrage où les créateurs explorent des esthétiques singulières ou dans les séries où les réalisateurs s’engagent dans des narrations complexes et longues. La littérature reste la principale inspiration du cinéma, la vieille maîtresse, toujours vaillante n’a pas dit son dernier mot..

Premier dessin animé : 1892 Naissance du cinéma : 1895 Premier film de fiction de Georges Méliès, Le voyage sur la lune : 1902 Première apparition de Charlie Chaplin : 1913 Synchronisation avec vitaphone : 1926 Premier film sonore aux Etats Unis : 1927 Le premier film parlant en France : 1929 Un film d’animation des Arbres et des fleurs est le premier film couleur : 1932 Citizen Kane 1941 Le système 3 D : 1952 Premier film en cinémascope : 1953 Le système Dolby : 1972 Le cinéma numérique : 2005 L’expérience Avatar : 2009

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TRAITEMENT DE L’ANTIQUITÉ AU CINÉMA

ET INFLUENCE SUR LA CONNAISSANCE HISTORIQUE.

par Brice Lopez Relecture et corrections : Sonia Lopez.

CHAPITRE 1 : HISTOIRE ANTIQUE ET CINEMA La question de savoir comment l’Histoire est respectée au cinéma a été traitée maintes fois. Cependant, on se pose rarement la question de l’influence que cette vision cinématographique de l’Histoire a pu avoir sur la connaissance et l’enseignement de l’histoire. En effet, nous savons bien aujourd’hui que l’histoire est une science en mouvement et que les nouvelles découvertes amènent de nouvelles visions ; mais le grand public, et parfois les spécialistes, imaginent peu l’importante influence que peuvent avoir certains domaines « artistiques » sur « l’écriture » de l’Histoire. Pour le sujet qui nous intéresse, nous verrons à quel point les artistes du 19ème siècle et du début du 20ème siècle, et notamment les réalisateurs de cinéma, dans un contexte politique particulier, ont largement contribué à « l’écriture » de l’histoire antique et à une certaine vision des combats de gladiateurs. LE CONTEXTE DU 19EME SIECLE. Pour aborder le sujet de l’histoire antique au cinéma, il faut aborder le contexte politique et artistique dans lequel le cinéma va apparaître. Le 19ème siècle connaît un renouveau d’intérêt politique et artistique pour l’histoire antique, dans la suite des découvertes archéologiques de Pompéi et en Egypte. Le monde moderne s’accapare l’antiquité pour l’utiliser, pour certains, comme instrument politique, à l’exemple de Napoléon III qui va utiliser la bataille d’Alésia et les fouilles du site d’Alise Sainte-Reine pour exhorter le sentiment national. Cette période verra la publication de nombreux romans et œuvres « historiques », et un grand intérêt des mouvements artistiques pour l’antiquité, qui y verront un sujet rêvé pour transposer leur imagination. Les sources d’inspiration des réalisateurs de Péplums. Au moment de la naissance du cinéma, l’Histoire est un sujet majeur d’inspiration - 140 -


« artistique » et le cinéma naissant va s’inscrire dans cette mouvance de la fin du 19ème siècle. Les films à sujets historiques sont presque aussi vieux que le cinéma puisque les frères Lumière commandent en 1896 à Georges Hatot le film: Néron essayant des poisons sur un esclave. Ce film est très largement inspiré de l’image que se faisait le 19ème siècle sur l’Antiquité : Locuste essaye, en présence de Néron, le poison préparé une période cruelle et pour Britannicus, Joseph-Noël Sylvestre décadente. On peut donc dire que dès l’origine, les dés sont « pipés » puisque la source historique des films « historiques » sur l’antiquité, n’est pas historique mais artistique ! L’intérêt croissant pour l’histoire antique à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle va donner un incroyable essor au film de genre : le Péplum. Très vite, on voit cette influence prendre le pas sur l’histoire réelle ou même la volonté de chercher la vérité historique. Par exemple : un des premiers péplums muets en 1912 Quo Vadis est un exemple frappant de cette vague « peplumesque » qui déferle sur le monde. Il est librement inspiré d’un roman paru quelques années auparavant (1896 pour sa forme romanesque), roman qui transpose un conflit contemporain russo–polonais dans la période antique sous Néron, et le film s’inspire aussi très largement des tableaux du peintre Gérôme. Le film est donc assez éloigné de la « réalité » néronienne, et pourtant la vision qu’il propose de l’antiquité va perdurer pendant des décennies, et influencer des dizaines d’autres films et séries, certaines de ses scènes devenant même « historiques » et marquant ainsi - 141 -


l’histoire du cinéma. Œuvres et influences des artistes du 19ème siècle sur la naissance du cinéma Parmi les œuvres ayant influencé le cinéma péplum du début du 20ème siècle on trouve : - des œuvres littéraires comme celles de Racine, Flaubert, Sienkiewicz, - ou des œuvres picturales du 19ème siècle, comme celle de J.L Gérôme à laquelle nous nous intéresserons particulièrement. Salammbô de Flaubert, Le Roman de la Momie de Théophile Gautier, Quo Vadis ? de Sienkiewicz, Pollice Verso de J.L Gérôme… autant d’œuvres « historiques » qui ont inspiré les péplums. Entre 1900 et 1960, ce sont des dizaines de films péplums, romans et œuvres historiques qui ont bercé la jeunesse de centaines de jeunes historiens en devenir. Aussi, comment douter que ces œuvres aient grandement influencé leur approche de l’histoire antique, et d’autant plus un sujet controversé comme la gladiature ? Pourtant, les artistes qui ont réalisé ces œuvres originales ne sont pas historiens et n’ont fait qu’une étude partielle et lacunaire des sujets utilisés dans leurs œuvres. Le cinéma propose une vision de « deuxième main » de l’antiquité, les premiers réalisateurs s’inspirant en effet d’auteurs modernes s’inspirant eux-mêmes d’une

Pollice verso, Jean Léon Gérôme, Musée de Phénix, Arizona, USA, 1872.

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histoire hypothétique choisie plus pour la liberté qu’elle laisse en matière de ton et de sujet, que pour en faire un tableau réaliste. Les artistes de cette période, comme ceux des périodes suivantes nous le verrons, utiliseront souvent l’antiquité de façon fantasmée pour mettre en avant des sujets condamnés par la morale de l’époque comme le sexe et la violence. L’exemple de Jean Léon Gérôme, ou comment un artiste peintre a influencé les historiens. L’exemple du célèbre tableau de J.L Gérôme est frappant. Gérôme est un peintre pompier du 19ème siècle très renommé. Voici comment il est présenté sur la fiche descriptive d’une exposition qui lui a été consacrée à Paris au Musée d’Orsay, fin 2010 début 2011 : « Metteur en scène de l’histoire, il a su faire redécouvrir, entre autres, l’Antiquité à ses contemporains par des compositions originales donnant l’illusion du vrai. Ses tableaux et sculptures ont largement contribué à inspirer les cinéastes du début du XXe s. jusqu’à nos jours, mais aussi des dessinateurs de BD. ». Il peint en 1872 un tableau du nom Pollice Verso dont la source historique serait un texte de Juvénal, Les Satires. Nous allons voir comment, en réalité, Gérôme peint une vision toute personnelle de l’antiquité en utilisant le prétexte de ce texte pour peindre, et dépeindre, la décadence romaine. Comme on peut le voir sur le tableau ci-contre, Gérôme peint des Romains au visage haineux et le pouce renversé, geste qui a été interprété comme étant celui qui décide de la mort du gladiateur vaincu. Le deuxième gladiateur est représenté triomphant, le buste fier, un pied sur la gorge du vaincu, et semble attendre le verdict. Cette vision maintes fois reprise par les réalisateurs des premiers péplums et des suivants d’ailleurs, ne correspond en rien aux images archéologiques laissées par les artistes du monde romain. Par exemple, les Romains ne représentent jamais le public, et l’armure que Gérôme fait porter au gladiateur victorieux n’existe

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pas en archéologie. Pourtant, le geste du pouce renversé est entré dans l’Histoire comme étant celui qui décide de la mort d’un combattant pendant un combat de gladiateurs. Alors on peut, de manière légitime, se demander quelles sources le peintre a utilisées pour ce tableau. Comme indiqué plus haut, Gérôme se serait inspiré d’un texte de Juvénal : « munera nunc edunt, et verso pollice vulgus cum iublet, occidunt populariter » traduit par «ces Lampe à huile de Pavrolles, British Museum, I siècle ap J.-C. sonneurs de cor, ils donnent maintenant des jeux, et lorsque le peuple le veut, le pouce renversé, ils tuent pour être populaires.» Gérôme s’est également inspiré d’autres textes antiques pour composer son tableau, et s’il est souvent décrit comme un peintre du réel, c’est un peintre du réel de son temps ! er

Mais revenons au texte de Juvénal : sont traduits par « pouce renversé » les termes « verso pollice » : mais que nous dit le dictionnaire de latin pour le verbe « vertere » ? A l’entrée Verto, i, sum, ere , on trouve la traduction suivante : tourner, diriger. Et que nous montre l’archéologie, très clairement et de façon récurrente comme on peut le voir ci-dessous sur plusieurs sources archéologiques ? La main du gladiateur qui est bien « dirigée », « tendue »vers l’adversaire et non pas « renversée ».

Bas-relief représentant deux essédaires, Musée de Maastrich, 1-10 ap J.-C.

Il est très clair aujourd’hui, et j’enfonce ici volontairement le clou, que traduire « pollice verso » par « pouce renversé » est une erreur, alors que l’archéologie permet, sans dévoyer le texte initial et sans trahir les langues anciennes, de traduire cette expression par la main « tournée » ou « dirigée », ou encore « tendue ». Le véritable problème n’est finalement pas la traduction, qui évolue de façon

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à être plus précise et plus juste grâce aux apports de l’archéologie. Il n’est même pas que Jean Léon Gérôme, avec les connaissances de son époque, ait interprété et peint un « pouce renversé », ni encore que les réalisateurs des premiers péplums se soient inspirés de ce peintre, le problème est par contre qu’historiens et spécialistes des textes anciens aient été influencés par les films péplums au point de perdre tout sens critique. Pour cet exemple précis, ce n’est que depuis très récemment que nous avons réussi à faire passer le message auprès des spécialistes. Pour ce qui est du cinéma, le travail s’annonce long et digne de travaux herculéens…

Mosaïque Astyanax versus Kalendio, Musée de Madrid, IVème siècle ap. J.-C.

LE RENOUVEAU DES FILMS PEPLUMS APPORTE-T-IL UN RENOUVEAU DE LA VISION HISTORIQUE ? Après cette période d’une soixantaine d’années pendant lesquelles le film péplum a connu ses heures de gloire, il y eut une période creuse. Jusqu’au renouveau du genre dans les années 2000. On aurait pu croire que les réalisateurs de notre temps reprendraient à leur compte les nouveautés archéologiques et les nouvelles recherches en histoire antique ou archéologie du geste… Que nenni ! Les références des nouveaux réalisateurs sont et restent les réalisateurs qui les ont précédés. On rentre à ce moment-là dans un phénomène pervers dans lequel des artistes utilisent d’autres artistes

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comme références mais qui, pour se donner bonne conscience, demandent à des historiens de valider leur travail. Historiens bien contents de voir leurs noms associés à des œuvres très grand public, car cela leur permet d’accéder à une notoriété toute nouvelle, loin des habitudes de la profession. Encore une fois, l’histoire du Pollice verso de Gérôme est en ce sens très significative. Le tableau a servi les intérêts de la maison de production Universal Studios qui l’a utilisé pour convaincre Ridley Scott de réaliser le film Gladiator, et lui-même avoue avoir été influencé par les peintres pompiers pour son œuvre. Il est vraiment incroyable de voir que les réalisateurs sont aussi peu regardants avec l’Histoire et surtout sur des éléments a priori plus faciles à reconstituer, car les sources archéologiques directes sont nombreuses, comme les tenues vestimentaires ou les armes pour le combat. Les costumes. Considérant le choix des costumes dans ces péplums, on peut là aussi se poser la question : Pourquoi finalement choisir une trame historique ? Les quelques exemples ci-dessous sont tirés des péplums les plus connus des dernières années, et montrent bien que les réalisateurs n’ont pas tenu compte des sources historiques à leur disposition. Détaillons plus avant deux de ces péplums : La Dernière Légion, Doug Lefler, 2007

Gladiator (2000) : le film met en avant duel emblématique, celui de Tigris contre l’Espagnol : les armures fantaisistes que portent les deux « combattants » n’ont rien d’historique.

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La Dernière Légion (2007) : aucun effort de recherche historique n’a visiblement été effectué pour les tenues.

Spartacus (2010) : Les tenues extravagantes de la série n’ont évidemment rien d’historique. Ben Hur (version 2016) : les tuniques à manches longues cintrées sont inexistantes au Ier siècle après J.-C.

L’Aigle de la neuvième légion (2011) : les casques à bouton sommital sont des casques des Ier et IIème siècle avant J.-C. alors que l’action se situe au IIème siècle après.

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Dans La Dernière Légion, c’est l’histoire du dernier empereur Romulus Augustus qui est mise en avant. Les tenues sont en incohérence totale avec la réalité des 4ème et 5ème siècle de notre ère. A ce titre, l’affiche du film est très parlante : tant les armures, que la tenue féminine, la tenue masculine ou celle du dernier empereur enfant ne correspondent en rien au monde antique du 5ème siècle. Grâce aux travaux des reconstituteurs, nous savons assez bien comment sont vêtus les hommes et femmes de cette époque. Pourquoi autant de désinvolture vis-à-vis de la réalité historique ? Surtout qu’une tenue historique n’enlève rien à l’effet artistique ou onirique que veut donner le réalisateur… Toujours dans le même film, si l’on regarde l’image qui est donnée des « barbares », c’est une reprise des vieux poncifs du 19ème siècle sur les peuples antiques, représentés ici sales et décadents. Cette attitude n’est pas sérieuse et pose réellement la question du pourquoi et du comment on en est arrivés là. Spartacus, Steven S. Denight, 2010 Dans la série Spartacus, plusieurs éléments

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peuvent peut-être nous éclairer sur ce manque de rigueur. Comme nous

l’avons évoqué pour les artistes du 19ème siècle et les premiers péplums, l’histoire antique offre un champ libre à tous les fantasmes. Il y a dans l’imaginaire collectif l’idée que le monde romain est un monde violent et décadent, dans lequel les orgies se succèdent à un rythme effrayant. On peut supposer que les réalisateurs voient dans l’utilisation de cette période la possibilité de placer des scènes violentes et dénudées en « contournant » la morale. On peut voir ci-dessus dans l’image tirée de cette série l’illustration de cette tendance par laquelle il est facile de se dédouaner de voyeurisme en laissant penser que c’est une réalité historique. Pourtant, les tenues féminines sont là aussi complétement issues de l’imaginaire des costumiers et n’ont aucun rapport avec celles des femmes du monde romain. Il s’agit bel et bien ici de montrer une femme « sexy », laissant apparaître des formes souvent généreuses afin de satisfaire un public jeune et masculin. Un « canon de beauté » et une vision de la femme bien loin de celle des Romains. Ajoutez à cela la violence sanglante et supposée des combats de gladiateurs, et vous obtenez le cocktail parfait pour toucher le cœur de cible économique visé, quitte à dévoyer l’histoire. Le combat. Pour finir il y a la technique de combat elle-même, et le fantasme autour du combat. Fantasme qui est bien souvent la cause d’une réalité historique plus qu’approximative dans les films.

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Sur l’image ci-dessous tirée du péplum L’Aigle de la neuvième légion, les soldats placent leur bouclier l’un par-dessus l’autre, à l’image des hoplites grecs, les obligeant à monter leur glaive au-dessus du bouclier, le tout, sans casque. Tout d’abord, les glaives que l’on observe ici sont loin d’être représentatifs des pièces archéologiques découvertes en nombre un peu partout dans le monde. Ensuite, la position des « légionnaires » est éloignée de ce que les textes anciens nous donnent comme informations. Par exemple, Végèce dans De l’art militaire, indique que les légionnaires doivent avoir un espace d’environ 90 centimètres entre eux, afin de pouvoir manœuvrer leurs armes correctement (glaive, bouclier et pilum). Les documents archéologiques nous montrent eux-aussi des postures de garde bien L’Aigle de la neuvième légion, Kevin McDonald, 2011 précises : les légionnaires ont leur arme positionnée sur le côté, dans l’interstice qu’évoque Végèce et qui se situe entre deux légionnaires. De plus la logique martiale n’est même pas respectée, car dans cette posture les combattants sont littéralement bloqués derrière leur bouclier, et ne peuvent pas déplier leur bras avec « efficacité » pour aller frapper leur adversaire. Dans le film Gladiator, les combattants utilisent des armes de poing beaucoup trop longues et escriment arme contre arme, bouclier en arrière, à la manière de l’escrime médiévale. Là encore nous savons, grâce à Végèce entre autres, et grâce à l’expérimentation, que le glaive romain ne s’utilise pas du tout avec ce type de mouvements. Gladiator, Ridley Scott, 2000

Les documents archéologiques sont précis et indiquent une forme de combat très différente :

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bouclier en avant, arme en arrière, combattant protégé par son bouclier, frappant pointe en avant (d’estoc). Pour en finir avec les comparaisons, parmi les images de péplum les plus ridicules, nous avons l’affiche de Centurion. Là, le « centurion » combat avec un glaive tenu à deux mains comme une arme médiévale, alors que les poignées des armes romaines découvertes en archéologie ne permettent pas de tenir l’arme à deux mains… Elles sont bien trop petites ! Finalement, le seul vrai grand point positif des films historiques, c’est de mettre en avant une période historique. La série Rome (John Milius, William J. Mac Donald et Bruno Heller, 2005)

Stèle de Provocator., Grèce, 2010

Centurion, Neil Marshall, 2010

Glaive retrouvé en fouilles an 2011 à Jérusalem.

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donne par exemple une bonne atmosphère de la vie dans la Rome antique. Les réalisateurs pourraient facilement pallier les écueils que nous avons évoqués, en faisant preuve d’un peu plus de bon sens et en décidant par exemple : • d’utiliser des tenues plus proches de celles de la période évoquée ; • de prendre en compte des armes plus justes d’un point de vue archéologique ; • de prendre pour références l’histoire et l’archéologie plutôt que leurs célèbres prédécesseurs. La place particulière du combat de gladiateur dans les péplums. En ce qui concerne plus spécialement le sujet « combat de gladiateurs » dans les péplums, on s’aperçoit que le phénomène est conséquent car il met en avant plusieurs « fantasmes » et des strates d’erreurs. D’abord et avant tout, c’est un sujet déconsidéré par les « historiens » alors qu’il est attractif pour les spectateurs. Ceci constitue le premier problème, car il a été très mal étudié par les historiens qui se sont très souvent contentés de prendre en compte les quelques textes antiques qui évoquent la gladiature au sens large, alors que les réalisateurs de péplums ont souvent utilisé les images de combats de gladiateurs pour attirer un très large public. Je veux rappeler ici qu’il n’y a pas de textes antiques dont le sujet principal soit la gladiature, pas de textes écrits par un spécialiste, par un maître d’armes ou par un combattant lui-

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même. Les textes antiques qui évoquent les combats de gladiateurs sont écrits par des intellectuels, des politiques, des avocats qui « utilisent » le sujet « gladiateurs » pour propager une idée, un concept, un point de vue général sur la société ou sur un individu. Ils ne sont en aucun cas des spécialistes du combat, ils ne décrivent ni la technique de combat ni même le contexte réel de la gladiature. On peut parfois même se demander s’ils ont assisté à beaucoup de combats quand il s’agit par exemple d’auteurs chrétiens ouvertement hostiles et dont la religion interdit d’assister aux jeux païens. On peut comparer cela aux discours de nos hommes politiques qui utilisent des « sports populaires » comme le foot, afin de se rapprocher de leur électorat, mais dont on s’aperçoit bien vite qu’ils sont très loin de la « vérité » du terrain. Les sources littéraires antiques sont donc incomplètes et peu crédibles, utilisées par les historiens modernes comme seules sources d’information et rapidement mises en avant pour porter un jugement de valeur sur la société romaine. Prenons l’exemple de Spartacus pour lequel bon nombre d’historiens et de livres d’histoire affirment son appartenance au monde de la gladiature. Ce sont en réalité les historiens « bolcheviques » qui s’emparent du sujet Spartacus pour en faire un gladiateur qui lutte pour la liberté, et finalement le symbole du peuple opprimé par le « tyran » romain. C’est ici un montage extrêmement politique du sujet, assez éloigné d’un travail impartial d’historien, et donc éloigné de la réalité historique. Il faut souligner que seulement cinq auteurs antiques donnent des informations sur la révolte dite de Spartacus, qu’ils ne sont pas des contemporains de l’esclave rebelle et qu’ils ne sont pas d’accord entre eux, allant jusqu’à placer cette fameuse révolte à des dates différentes, affichant pour certaines plus de 40 années d’écart. Il est donc très difficile pour des historiens d’affirmer que Spartacus était un gladiateur rebelle, et ceux qui le font n’ont pas de sources tangibles sur lesquelles s’appuyer. Quand ces données « historiques » trompeuses se retrouvent malgré tout dans les péplums, elles sont prises pour argent comptant par les spectateurs. Le

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grand public et les passionnés d’histoire pensent acquérir des connaissances historiques en regardant avec avidité ces films « historiques ». Les jeunes gens d’aujourd’hui sont très loin de s’imaginer qu’en regardant la série Spartacus, ils visionnent la vie d’un héros de propagande marxiste, pris pour symbole par les mouvements d’extrême-gauche allemand regroupés sous le nom de Spartakistes dans les années 1918-1919. Pour finir, la gladiature a souvent été choisie comme illustration dans les péplums de la violence et de la barbarie d’une société romaine décadente à nos yeux, permettant ainsi à nos sociétés plus « civilisées » de se placer audessus, voire de s’affranchir. Les films péplums ont souvent associé animaux sauvages, massacres de chrétiens ou de prisonniers de guerre, et combats de gladiateurs dans un mélange des genres dont l’objectif était de pointer du doigt les errances de cette grande civilisation. Le sujet « gladiateurs » a ainsi été traité avec désinvolture, ne prenant en compte ni les bonnes armes, ni les informations archéologiques récentes, ni même la logique martiale ou la visée spectaculaire des combats de gladiateurs dans l’antiquité. Avec l’arrivée de la télévision et des documentaires historiques, le phénomène ne fera que s’amplifier car le cinéma puis la télévision vont chercher des référents historiques peu scrupuleux et dont la validation ne servira qu’à attirer du public. Ces partenariats gagnant-gagnant vont offrir à certains historiens une renommée importante qu’ils n’auraient pas pu acquérir avec leurs travaux d’enseignants-chercheurs. Je vis personnellement ça depuis plus de 20 ans, avec des dizaines de demandes de tournages dont beaucoup n’aboutissent pas car je souhaite imposer des changements de scénarios sur le « dossier gladiateurs », et les réalisateurs préfèrent prendre des « spécialistes » plus conciliants, quitte à composer avec la vérité. Heureusement, partout en France et en Europe, des enseignants et des responsables de sites archéologiques ont choisi de faire appel à nous afin de proposer une vision actualisée de l’histoire des gladiateurs, qui s’appuie sur les dernières découvertes historiques, et des recherches expérimentales innovantes.

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Acta Gladiateur @Eklectique Photo@ – avec Brice Lopez

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TRAITEMENT DE L’ANTIQUITÉ AU CINÉMA

ET INFLUENCE SUR LA CONNAISSANCE HISTORIQUE.

par Brice Lopez Relecture et corrections : Sonia Lopez.

CHAPITRE 2 : HISTOIRE ANTIQUE ET RECHERCHE EXPERIMENTALE En Janvier 2000, avec le soutien du comité scientifique italien, une équipe française crée l’association « Institut Ars Dimicandi France ». Avec sa création, l’Association Institut Ars Dimicandi France obtient la licence concernant toutes les découvertes et toutes les données sur les disciplines de combats antiques reconstituées en collaboration avec les organisations italienne et européenne. En 2003, L’Institut Ars Dimicandi France devient l’Association pour la Connaissance des Techniques Antiques (A.C.T.A) 1. En 2006, pour faire face aux demandes de plus en plus importantes d’animations et de spectacles, une S.A.R.L. est créée à partir de l’association : ACTA sarl est née. Ni un groupe d’évocation historique, ni pour autant une compagnie de théâtre, ACTA Combats Historiques est bien un organisme de recherche crédible et reconnu, unique dans le domaine de l’archéologie expérimentale sur le gymno-gladiateur. NOTRE METHODE DE RECHERCHE. Nos recherches s’appuient sur plusieurs méthodes et protocoles conjoints qu’il s’agit ici de repréciser, voire de définir : archéologie expérimentale, archéologie du geste, expérience de situations données. Il est important avant tout de clarifier certains points. La méthode scientifique de recherche ne doit en aucun 1 - Page facebook : https://www.facebook.com/pages/ACTA-SARL/1415494815332097?pnref=lhc Combat : https://www.youtube.com/watch?v=H8EcBDkIl3M Site officiel : http://www.acta-archeo.com/

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cas être confondue avec les formes pédagogiques issues, parfois en partie, de cette même recherche. Elle offre la possibilité d’une mise en œuvre d’un catalogue de conservation des gestes, dans notre cas « athlétiques ». Elle est complétée par la suite par toutes les formes d’analyse et de déduction propres à l’historien et à l’archéologue permettant ainsi une réappropriation des sources. La méthode de recherche expérimentale n’est en aucun cas une forme de médiation, tout comme une forme de médiation n’est en aucun cas une situation expérimentale, et cela même si certaines découvertes peuvent émerger par sérendipité d’une activité « non » protocolaire. Il est en effet possible de découvrir une nouveauté à partir d’une situation inattendue mettant en œuvre des gestuelles expérimentales, sans pour autant que la situation ne fasse partie du protocole. Par exemple, l’utilisation de gestes précis issus de l’expérimentation lors de médiations peut ponctuellement faire émerger une situation inattendue, fournissant ainsi le point de départ d’une découverte importante. Il faudra néanmoins corroborer cette découverte par un procédé précis. Pour autant, la médiation ne peut et ne doit pas être utilisée comme « moteur » de la recherche scientifique.

Nos recherches s’appuient sur trois grands corpus : • les sources archéologiques directes, dits artefacts, découvertes au fil des siècles par les archéologues ; • les sources archéologiques indirectes composées principalement de l’iconographie et des inscriptions latines et grecques ; • et, pour finir la littérature classique constituant pour nous une source tertiaire..

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Ces trois sources différentes peuvent être étudiées de façon expérimentale par trois méthodes différentes : l’archéologie expérimentale, l’archéologie du geste, l’expérience de situations données.

Archéologie Expérimentale : à partir d’une source directe. L’archéologie expérimentale est un outil scientifique de recherche, son objectif est la restitution du fonctionnement possible d’un objet archéologique. L’archéologie expérimentale est intrinsèquement pluridisciplinaire. Ses résultats sont mis en parallèle et en rapport avec les données archéologiques historiques, afin d’être affirmés ou infirmés. Les résultats de l’archéologie expérimentale servent ensuite à l’historien ou à - 158 -

Lampe à huile, Tongres Museum


l’archéologue pour réduire le champ des possibles du sujet traité. Ils offrent aussi aux pédagogues et aux médiateurs de nouveaux angles d’attaques dans la transmission des données, notamment par son objectif de fonctionnalité de l’artefact, l’archéologie expérimentale produisant des « données gestuelles » reproductibles. L’archéologie expérimentale ne peut donc pas s’entendre sans objets archéologiques directs. Sans cette source directe, dont le fonctionnement constitue le point de départ des recherches, il ne peut y avoir d’archéologie expérimentale. Archéologie du geste : à partir d’une source indirecte. L’archéologie du geste est un outil scientifique de recherches, dont l’objectif est la restitution d’un geste possible issu de l’analyse d’images archéologiques. Elle se différencie de l’archéologie expérimentale par le fait qu’elle trouve ses sources principalement dans l’iconographie. Statuettes British Museum L’archéologie du geste est une investigation du champ des possibles d’un geste, ici « athlétique » s’appuyant sur un corpus iconographique pour la mise en œuvre de tests. Ces résultats offrent la plupart du temps la réfutation d’hypothèses. En effet, l’archéologie du geste permet très souvent de dire ce qui ne semble pas possible de faire dans le cadre de telle ou telle activité représentée sur les images antiques. L’archéologie du geste offre moins de certitudes que l’archéologie expérimentale sur la probabilité quant à la réalisation du geste découvert, mais les documents iconographiques sont plus nombreux et offrent donc plus d’opportunités de recherche. Cette méthode s’avère très utile en complément - 159 -


de l’archéologie expérimentale pour réduire le champ des techniques possibles en les replaçant dans un contexte historique. Les techniques découvertes par l’archéologie expérimentale sont les techniques « possibles » liées à l’artefact, que l’on replace dans le champ d’investigation de l’archéologie du geste. Nous pouvons éliminer les techniques peu ou pas illustrées ou réalisables dans le contexte donné. L’archéologie du geste se confond souvent avec l’archéologie expérimentale. Mais elle répond à des exigences différentes et les gestes

découverts par les deux méthodes sur un sujet commun ne rentrent pas entièrement dans le même champ d’application. Quand l’archéologie expérimentale permet de découvrir tous les gestes possibles d’un « objet archéologique », l’archéologie du geste réduit le champ des gestes possibles en fonction des données iconographiques à sa disposition. Ensemble, elles constituent 90% à 95% de notre base de recherche et permettent de découvrir un arsenal de gestes possibles dans les pratiques athlétiques antiques, que nous plaçons dans notre conservatoire des gestes. L’expérience de situations données. Cette expérience est la plus simple à mettre en œuvre mais elle offre moins souvent des résultats directs probants. En effet, elle consiste à restituer une situation décrite dans la littérature afin de comprendre les enjeux de telle ou telle pratique. Elle se heurte aux doubles contraintes d’interprétation. D’abord, celle de l’auteur qui nous donne les informations initiales à la restitution

Bas-relief Murmillon Grèce

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puis, celle du restituteur qui va devoir interpréter et contextualiser pour réaliser son action. L’expérience de situations données sera éclairante si l’on trouve un grand nombre de situations à expérimenter, ce qui est le cas pour des périodes plus tardives XVème et XVIème siècle par exemple, avec les livres de combat. Pour la période antique, le nombre de descriptions étant limité, son abord ne viendra qu’en bordure des recherches globales. Il est à noter que cette expérience fut pour nous intéressante, par exemple dans les recherches menées sur les disciplines des jeux olympiques. Les trois méthodes sont utilisées à la fois de manière concomitante et successive. Elles servent tour à tour de point de départ ou de confirmation des gestuelles découvertes par ailleurs. L’archéologie expérimentale va définir l’ensemble des gestes liés à un objet archéologique ; l’archéologie du geste va réduire les gestes potentiels de la pratique liée à cet objet, tandis que l’expérience des situations données montrera comment un personnage de cette époque se place vis-à-vis de cette pratique. Le schéma ci-dessous résume de façon simple notre méthode de recherche. Lors de nos recherches et dans la mesure du possible, nous commencerons par utiliser l’archéologie expérimentale, puis l’archéologie du geste et finalement, l’expérience des données originelles afin de répondre à notre question initiale. Mais le point de départ peut être soit:

• l’étude et l’observation des données initiales. Sources archéologiques,… • une problématique issue - d’autres disciplines (histoire, archéologie, littérature,…) - d’une première batterie de tests. - d’un questionnement direct

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Cette première phase va amener une première série d’allers-retours entre les deux éléments : données initiales et problématiques afin de mettre en évidence une hypothèse de gestes techniques à tester. Les hypothèses dégagées le sont soit sur l’expérience et le savoir-faire, soit sur des problématiques interdisciplinaires, le tout combiné à une observation minutieuse et directe des données initiales archéologiques. A partir de ce moment, une batterie de tests sera mise en route. Ces tests sont extrêmement variés et font appel à des compétences particulières. Souvent les personnes servant d’expérimentateurs ne sont pas informées de l’objet réel du test afin de ne pas biaiser les résultats. Cette période est la plus longue. Elle peut durer des années et nécessite elle aussi des allers-retours réguliers vers les données initiales. Il est assez rare qu’un seul type de tests soit suffisant. Après les expériences elles-mêmes, un temps de réflexion et d’analyse des données permet de remettre les éléments à plat, et parfois de prendre en compte les biais qui ont pu fausser les tests. Lors de cette phase, nous avons l’habitude d’accepter a priori tous les gestes comme « justes » ; nous mettons alors en place Tests d’expérimentation, Acta Combats historiques, 2015.

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des exercices pédagogiques pour transmettre ce corpus à un staff « d’élèves » qui sont des cobayes béta. Ils apprennent la totalité des gestes issus des recherches de premier temps, avec la conviction qu’ils sont « justes ». Nous laissons ces « élèves » utiliser cet arsenal lors de duels non chorégraphiés avec ou sans public, lors de cours, stages, spectacles. La grande quantité de combats réalisée par mes « élèves » permet de faire émerger les gestes les plus « efficaces », les plus « probants » les plus possibles, donc les plus historiques. Lors de ces duels, nous prenons bien soin de cadrer la pratique dans un canevas historique probable.

Schéma du processus de l’expérimentation. - 163 -


A partir des ces duels, nous entamons la dernière partie de l’expérience par la validation d’un geste à placer dans le « conservatoire » des gestes

partie est l’occasion d’ultimes allers retours avec les sources et notamment l’expérience des données initiales. En effet, si un geste issu de cet ensemble de recherches s’accorde à une situation type, donnée par un personnage historique, elle peut être validée avec un minimum de doutes. En parallèle, certaines découvertes ou certaines hypothèses peuvent émerger par sérendipité. Une expérimentation ratée peut, quelquefois, nous apprendre davantage qu’une expérimentation réussie. Parfois, des éléments non prévus dans le protocole ou venant d’autres champs de recherche amènent une solution, ou une problématique nouvelle permettant d’avancer, de corroborer ou de réfuter une gestuelle. Les restitutions expérimentales permettent la compréhension des processus de fabrication et d’utilisation d’artefacts antiques.

Photo Acta Combats Historiques. Musée de Nyon 2016

athlétiques antiques. Cette dernière - 164 -

Aucune recherche n’étant justifiable par la seule volonté de confirmer l’existence et le rôle d’une découverte archéologique, cet outil permet


Photos Acta Combats Historiques, Amphithéâtre de Lillebonne 2015.

donc d’infirmer ou de confirmer des hypothèses de travail, de mieux comprendre des processus technologiques et de proposer une nouvelle méthode d’appréhension de l’objet et d’interprétation des données. Elle a avant tout besoin d’objectifs de recherche pour reproduire des finalités fonctionnalistes. Pour ce faire, elle recourt à diverses disciplines qui lui fourniront les informations indispensables à la modélisation la plus plausible. Après une série d’expérimentations, elle procure des réponses aux hypothèses posées par chacune d’entre elles et en soulève de nouvelles. La recherche expérimentale se nourrit des autres disciplines tout en nourrissant celles-ci de ses observations. Il s’agit donc d’un circuit à double sens, qui permet de peaufiner l’analyse des techniques antiques - 165 -

sans omettre leurs implications socioéconomiques. La méthode scientifique de recherche ne doit en aucun cas être confondue avec les formes pédagogiques issues parfois en partie de cette même recherche. L’archéologie expérimentale est un conservatoire des gestes, dans notre cas athlétiques. Elle est complétée par d’autres formes d’expérimentation comme l’archéologie du geste, l’expérience de situations données mais aussi toutes les formes d’analyse et de déduction propres à l’historien et à l’archéologue. Le temps de la recherche expérimentale est extrêmement lent et par définition, infini. Il ne peut pas correspondre de façon parfaite au temps de la médiation et de la pédagogie, mais peut aider à la


modélisation de nouveaux concepts ou outils pédagogiques et de médiation. Nous devons être prudents dans la mise en avant des résultats expérimentaux qui sont régulièrement remis en cause dans l’utilisation en médiation des terminologies employées. CE QUE LA RECHERCHE EXPERIMENTALE APPORTE A LA CONNAISSANCE. Les recherches expérimentales : archéologie expérimentale et archéologie du geste nous éclairent d’un nouvel angle. L’étude historique qui prend en compte principalement les textes comme source première et principale ne donne qu’une vision « plane « d’un objet en trois dimensions ». L’archéologie amène une deuxième dimension, les recherches expérimentales la 3ème dimension nécessaire pour réduire le champ

Schéma de la vision d’un objet 3D en fonction du point de vue

des possibles et se rapprocher de la « vérité » historique. De façon concrète pour la gladiature, nous pouvons affirmer grâce à l’archéologie expérimentale que les gestes utilisés par les gladiateurs du Haut-Empire sont le fruit de l’évolution des gestes permis par l’armement guerrier utilisé dans les premiers temps de la gladiature (rites funéraires), mais placés dans un contexte de spectacle sportif et ludique plusieurs siècles plus tard. Si dans les premiers temps, les gladiateurs s’affrontent avec des armements guerriers, ils vont modifier ces armes pour qu’elles puissent s’adapter au monde du spectacle, que leur utilisation soit lisible pour les spectateurs, mais aussi à un duel où on ne doit pas tuer l’autre, un contexte où le geste doit être contrôlé ; un corpus de gestes très spécifiques à la gladiature va donc voire le jour, des gestes complexes, visuels, permettant aux deux adversaires de devenir davantage des partenaires, un peu à l’image de ce qui se passe dans les matchs de catch. Tout ceci ne s’est évidemment pas fait d’un seul

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coup d’un seul, mais durant une longue évolution qui va s’étaler sur plus de 600 ans. L’arsenal technique découvert par la recherche expérimentale montre bien que l’on est loin de l’image d’Epinal. Les armes de poing des gladiateurs sont courtes voire très courtes. Ce type d’armes favorise les phases de corps-à-corps et si l’on souhaite mettre à mort l’autre, il faudra venir planter l’estoc, c’est-à-dire la pointe de l’arme. Seuls la lance et le trident sont des armes longues, elles favorisent elles aussi l’estoc dans les combats mortels, et ce d’autant plus qu’avec le boulier et les autres protections les zones de touches sont réduites. Pourtant, sur les milliers d’images archéologiques nous montrant des combats de gladiateurs, on n’observe pas distinctement d’armes plantées dans le corps de l’adversaire ; on y voit en revanche nombre de blessures par entaille. En prenant en compte les sources archéologiques sur les armes et armures découvertes, l’expérimentation et l’iconographie abondante, on voit clairement apparaître une forme de combat donc l’objectif n’est pas la mort systématique

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. Oui, des gladiateurs pouvaient mourir au combat mais : 1. Ce n’est pas le combattant adverse qui met à mort le gladiateur. 2. Tous les combats ne se font pas avec des armes « tranchantes et piquantes ». 3. Il y a des combats particuliers avec des armes particulières, qui permettent une mise à mort éventuelle du gladiateur2. 4. Les deux combattants font très souvent partie de la même école, se connaissent et un lien fort les unit au ludus 2. 5. Les inscriptions latines et les textes retrouvés sur différents supports laissent entendre que pour qu’il y ait la mort, il faut que l’un des deux gladiateurs soit au sol. Donc si aucun des deux ne veut se soumettre, on retrouve des « égalités ». Sur le Médaillon de Cavillargues, on retrouve l’inscription STANT MISSI, stantes missi, qui signifie « renvoyés debout ». 6. Cette mort était le choix, accepté par le combattant au préalable, d’une mort rare et donnée sur ordre du producteur du spectacle en fin de combat en cas de soumission, dans des combats prévus à l’avance pour être sine missione (sans soumission).

1 - Ex : I. Cret. IV n°305 2 - Ex : le Médaillon de Cavillargues (voir ci-dessous) qui montre que les deux gladiateurs appartiennent à la même école, CAES, pour Caesaris. Autre exemple : Les inscriptions sur des tombes de gladiateurs montrent qu’elles ont été offertes par les membres de la familia. Mur(millo) Columbus Serenianus XXV nat(ione) Aedus hic adquiescit Sperata conjux.Le murmillon Columbus Serenianus de 25 ans, éduen d’origine, repose ici. Sa femme Sperata a fait élever ce tombeau.CIL XII, 3325. Tr(ax) Q(uintus) Vettio Gracili cor(onarum) trium annorum XV natione Hispan donavit L(ucius) Sestius Latinus D(octor?). Au thrace Quintus Vettius Gracilis, aux 3 couronnes, âgé de 25 ans, de nationalité espagnole, le doctor(?) Lucius Sestius Latinus a donné ce tombeau. CIL XII, 3332.

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On voit donc que la mort est loin d’être systématique et loin d’être l’asservissement barbare d’un condamné par une élite. Je renvoie à ce titre au texte de Sénèque : Lettres à Lucilius, I, 7. Il existe bien des « jeux » barbares où des condamnés sont mis à mort mais ils sont différents des jeux de gladiateurs. Ce sont les ludi meridiani , jeux que l’on pourrait assimiler à nos condamnations à mort mises en scène. Ces données mises à jour régulièrement par nos recherches sur le sujet gladiatorien nous permettent de produire des animations et des spectacles ludopédagogiques. L’objectif est de se servir de l’émotion suscitée par les combats pour provoquer l’intérêt des petits et des grands pour les langues et civilisations de l’antiquité, et leur permettre d’accéder aux dernières connaissances en la matière. Nous participons aussi régulièrement à la production de documentaires, en imposant le plus possible les résultats de nos recherches. Les choses avancent puisqu’aujourd’hui plusieurs thèses universitaires reprennent des données expérimentales produites par notre équipe, et nous sommes souvent cités en référence quand il s’agit de comprendre le fonctionnement d’armes anciennes et la mise en place de combats historiques, ce qui est pour moi, pour mon équipe, une vraie satisfaction.

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C’est une évidence, presqu’un poncif, de dire que le cinéma est avant tout une œuvre de fiction et de divertissement, cependant comme nous l’avons vu depuis sa création le cinéma s’appuie sur des sujets « historiques » et dans ce cas-là, l’auteur, l’artiste, ne peut plus se dédouaner de la réalité historique. Il se doit par honnêteté intellectuelle et par obligation morale à une certaine rigueur. L’utilisation de l’Histoire et très souvent son dévoiement à des fins politiques est bien connue. L’artiste ne peut pas nier la force de conviction d’une œuvre auprès du grand public, d’autant plus quand cinéma, télévision et jeux vidéo supplantent de plus en plus la réalité par la force de leur réalisme graphique . A ce sujet, et pour montrer à quel point cette question est dans l’air du temps, j’ai été interrogé récemment pour la sortie du film Assassin’s creed sur le réalisme des armes utilisées par le héros du jeu vidéo et du film. Jeux vidéo, films, histoire, fantasmes et réalité se mêlent et forment les esprits des jeunes

gens qui les regardent et qui y jouent. De très nombreuses fois lors de mes activités d’enseignant d’arts martiaux, j’ai eu à faire face à des jeunes qui pensaient que les gestes techniques réalisés dans ce type de jeux vidéo étaient réalistes et réalisables en combat sportif réel. Tout ceci pour insister sur le fait que tout média possède de façon intrinsèque une influence pédagogique, et qu’à ce titre les auteurs ne peuvent pas faire l’économie d’une attention scrupuleuse, particulièrement quand il s’agit d’un sujet historique. Nous n’accepterions pas qu’un film sur la seconde guerre mondiale traite avec légèreté l’holocauste, nous devons être tout aussi attentifs sur des périodes plus lointaines comme l’antiquité, qui nous ont permis de nous construire. Cela montre à quel point l’étude de l’histoire, de l’archéologie des textes anciens et des civilisations anciennes est importante. Nous plaçons notre démarche dans ce cadre et nous pensons que mieux comprendre comment combattaient les

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gladiateurs et mieux comprendre ce phénomène, nous amène à mieux comprendre les raisons qui ont poussé des millions de Romains à assister aux jeux, dans des centaines d’amphithéâtres et cela dans tout l’empire romain. Nier l’importance de la gladiature ou la réduire à un simple combat barbare où deux condamnés s’entretuent, c’est nier tout un pan de la société grécoromaine et toute une partie de notre héritage. Pour finir, je pense qu’il est important de mentionner ici une œuvre artistique qui a pris en compte les dernières découvertes archéologiques et expérimentales, il s’agit de la bande dessinée Arelate de Laurent Sieurac, scénariste-dessinateur et Alain Genot, archéologue. C’est une œuvre qui illustre parfaitement la prise en compte par les auteurs de leur devoir éducatif, sans que ce dernier ne remette en question la force narrative et le pouvoir émotionnel de la fiction. Espérons que les scénaristes de films et de jeux vidéo aient à l’avenir le même souci de rigueur et la volonté de mettre un peu plus de la grande Histoire dans leurs histoires… - 171 -


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Bibliographie Sur les méthodes de recherches : G.M. Ackermann, La vie et l’œuvre de Jean-Léon Gérôme (Paris, 1986), Courbevoie, ACR Edition, coll. «Les Orientalistes», 2000 Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, rééd. 1987. Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, 1865, rééd. Paris, Garnier-Flammarion, 1966. Claude Bernard, Principes de médecine expérimentale, PUF, 1947, rééd. Paris, PUF, 1987. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, leçons 1 et 2, 1830, in Auguste Comte, Philosophie des sciences, Paris, Gallimard, 1996. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, 2e éd. 1787, Paris : PUF, 1986. Michel Develay, « Sur la méthode expérimentale », Aster n° 8, 1989. Maryline Coquidé, « Les pratiques expérimentales : propos d’enseignants et conceptions officielles ». Aster n° 26, 1998. Philippe Brunet, « Enseigner et apprendre par problèmes scientifiques dans les sciences de la vie. État de la question ». Aster n° 27, 1998. Pierre Clément, « La biologie et sa didactique, dix ans de recherche », Aster n° 27, 1998. Christian Orange, Françoise Beorchia, Paulette Ducrocq et Denise Orange, « «Réel de terrain», «Réel de laboratoire» et construction de problèmes en sciences de la vie et de la Terre ». Aster n° 28, 1999. Pierre Antheaume, Michelle Dupont et Maurice Maurel, Découverte du vivant et de la Terre, Hachette Éducation, 1995. (ISBN 978-2-01170439-9) Jean-Yves Cariou, « La formation de l’esprit scientifique -trois axes théoriques, un outil pratique : DiPHTeRIC ». Biologie-Géologie n° 2-2002, APBG. http://www.ldes.unige.ch/ reds/partenair/doc_37.pdf Champclaux C. et Tahir Meriau L. Le Péplum, édition Le Courrier du Livre, 2016. http://libertephilo.forumactif.org/t149-pollice-verso http://www.class.ulg.ac.be/ressources/dossiers.html#r10

Contacter ACTA : http://www.acta-archeo.com/contact.html Contacter ACTA pour demander un devis : http://www.acta-archeo.com/demander-un-devis. html Boutique historique : http://boutique-historique.fr/ Les WEBS DOCUMENTS : http://arenes-webdoc.nimes.fr/fr/construire/batir/jour-de-gloire/lesusages-de-l-amphitheatre/ Un WEB DOCUMENT sur les gladiateurs : http://arenes-webdoc.nimes.fr/fr/construire/batir/ jour-de-gloire/les-gladiateurs/

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LA LITTÉRATURE AU CINÉMA Une promenade littéraire et cinéphile par Laurent Chamalin1 À quoi sert le cinéma, s’il vient après la littérature ? Jean-Luc Godard C’est quoi la littérature au cinéma ? Un film envahi de livres ? Un héros écrivain ? Un film divisé en chapitres ? Un film dont on aurait lu le livre ou dont on aimerait découvrir le livre après ? Un film poétique, théâtral ? Un film où la voix d’un narrateur raconterait une histoire pendant qu’on regarderait les images ? Et si c’était un peu tout ça ? Ou bien une autre chose encore ? L’ADAPTATION Ça commence par un souvenir de lycéen. Alors que je lisais peu, préférant le cinéma et la télévision, c’est un professeur de Français qui, avec Madame Bovary, évoquait le film de Chabrol en d’incessants allers-retours entre les mots du roman et les plans du film. Les deux se mêlaient à mon imaginaire pour former un étrange film-livre. La même année, le Thérèse Desqueyroux de Mauriac en poche, je décidais lors d’une rétrospective Georges Franju d’aller voir le film éponyme. Je réalisais que littérature et cinéma cohabitaient intimement et m’offraient de doubler mon plaisir de lecteur-spectateur.

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http://chamalin.net/

L’adaptation littéraire est aussi vieille que le cinéma — regardez Le voyage

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dans la lune que Jules Verne inspire au magicien Méliès dès 1902. Les deux arts chemineront dès lors, souvent pour le meilleur. Chez Stanley Kubrick avec Shining où Jack Torrance, romancier en panne d’inspiration, glisse peu à peu vers la folie. Un bel exemple de film qui « dépasse » le livre, car Kubrick se sert du roman de King plus qu’il ne l’adapte pour réinventer le genre du thriller. On n’en attendait pas moins du cinéaste qui mit à l’écran Arthur C. Clarke, Burgess ou encore Schnitzler avec autant de maestria. Dans Le temps retrouvé, Raoul Ruiz réussit le pari de nous plonger dans la tête de Marcel Proust. Chaque plan ou mouvement de caméra nous offrent à voir la fluidité de la pensée et les souvenirs de l’auteur de La Recherche. Le cinéaste « interprète » le style littéraire pour le réinventer superbement dans son propre style cinématographique. J’ai été moins convaincu par L’écume des jours où Michel Gondry a tenté, par ses fameuses trouvailles visuelles, de conter les aventures de Colin et Chloé. La créativité de Vian subtile et drôle, faite de mots-valises, de syntaxe bricolée, et l’imaginaire qu’elle a produite dans l’esprit de plusieurs générations se retrouvent ici

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seulement illustrées. Je veux signaler enfin le film de Spike Jonze, Adaptation, qui malgré son titre, n’en est pas une mais un scénario original de Charlie Kauffman. Dans l’histoire, Charlie Kauffman lui-même, se heurte à la difficulté d’adapter le roman Le voleur d’Orchidées, tandis que son frère jumeau Donald, choisit les facilités de recettes scénaristiques efficaces. Le film de Jonze, que je recommande, oppose deux visions de l’écriture et une réflexion originale sur le passage de l’écrit à l’écran. L’ECRIVAIN ET LE CINEMA La littérature au cinéma, c’est aussi la figure de l’écrivain. Qu’il soit reconnu ou incompris, l’écrivain est le créateur torturé, névrosé (avec toute une panoplie de clichés) dont le destin chaotique mène l’intrigue. En mal d’inspiration (Belmondo dans Le Magnifique ou Luchini dans La Discrète) il joue des tours au réel et pimente son œuvre. Manipulateur du récit (Sharon Stone dans Basic Instinct), ou victime (James Caan dans Misery, séquestrée par sa plus grande fan, la terrifiante Kathy Bates), il est présent dans tous les genres. Héros perdu (Barton Fink des frères Coen), « fantôme » broyé par un système qui le dépasse (The Ghost Writer) l’écrivain se confie (Le journal de Bridget Jones), fanfaronne (Gilderoy Lockhart dans Harry Potter et la Chambre des secrets) ou rumine ses éternels échecs (Hipolito dans Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain).

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La vie d’écrivains réels inspire aussi de nombreux films. Je pense à de belles réussites comme Sagan chez Kurys, Virginia Wolf dans The Hours de Stephen Daldry, T.S. Eliot chez Jane Campion (Bright Star), Reinaldo Arenas chez Schnabel (Avant la nuit) ou encore un William Burroughs hallucinant chez Cronenberg (Le Festin Nu). Deux vies d’écrivains que je trouve magnifiquement traitées : Le Scaphandre et le papillon, du cinéaste et plasticien Julian Schnabel, est l’adaptation du livre de Jean-Dominique Bauby. L’auteur, rédacteur en chef de Elle y relate sa vie jusqu’à son attaque cérébrale, puis l’expérience du locked-in syndrome, état d’un corps éteint qui ne répond plus au cerveau. Son seul moyen de communication avec le monde est le clignement de son œil gauche, grâce auquel il va échanger et « dicter » son livre. Le sujet rare, est bouleversant, la mise en scène de Schnabel nous place au plus près de ce que ressent Bauby et la performance des comédiens font de ce film un chef d’œuvre. Un Ange à ma table, est le fruit de la belle rencontre de deux artistes néozélandaises. Jane Campion a trouvé le sujet parfait, en relatant la vie de l’écrivaine Janet Frame, être introvertie grandissant dans le cercle familial qui - 177 -


lui sert de cocon. À chaque drame qui survient dans sa vie (de son internement en hôpital psychiatrique à la mort tragique de ses sœurs) Janet se voit sauvée par sa propre écriture. Jane Campion réalise un film singulier et poétique dans sa forme, juste et poignant, à l’image des nombreux écrits intimes ou autobiographiques de sa compatriote romancière. Au-delà de la biographie, le cinéma aime évoquer les œuvres littéraires et leurs auteurs : Zweig dans le ludique The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson ; Kafka dans le film kafkaien de Soderberg, ou The Pillow Book qui évoque les Notes de chevet de la Japonaise Sei Shonagon chez Peter Greenaway. Les écrivains ont pris l’habitude de passer derrière la caméra. On pense souvent à Guitry, Pagnol et Cocteau dont la carrière fut double. On pense surtout à Marguerite Duras, écrivaine autant que cinéaste et scénariste avec notamment India Song. Georges Perec quant à lui porta à l’écran son propre roman Un homme qui dort, et écrivit les dialogues de Série Noire, film d’Alain Corneau. Aujourd’hui Philippe Claudel (Tous les soleils), Christophe Honoré (Les Bien-aimés) ou Eugen Green mènent également la double activité d’écrivains et cinéastes. CINEMA D’AUTEUR Le cinéma « d’auteur » apparaît à bien des égards proche de la création littéraire. Un travail de solitude, tout du moins au début, et la nécessité d’inventer un langage, par les mots et par l’image. Les exemples ne manquent pas, d’Arnaud Desplechin (Trois souvenirs de ma jeunesse) à Jeanne Labrune (Sans queue ni tête) ou Valérie Donzelli (Marguerite et Julien) en passant par les expérimentations de Chantal Akerman (Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles), Alain Cavalier

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(Le Filmeur), et dans l’œuvre d’Agnès Varda, ou plus récemment de Valérie Mrejen. Le cinéma étranger n’est pas en reste. Certains films d’Almodovar (La fleur de mon secret), Woody Allen (Manhattan), Manoel de Oliveira (Un film parlé) ou Nuri Bilge Ceylan (Winter Sleep) sont par leur thème et leur narration, proches de problématiques littéraires. Mais la liste serait longue et j’ai tellement de films à découvrir encore.

évidemment chez Rivette et Truffaut. Ce dernier parlait des cinéastes comme de « véritables écrivains de cinéma ». Des cinéastes-écrivains-critiques avec un rapport à l’écrit fort, des références à la littérature classique ou plus contemporaine (Hiroshima mon amour). Éric Rohmer (Conte d’hiver) se considérait comme l’adaptateur de sa propre œuvre. Ainsi les histoires de ses films existaient-elle d’abord sous une forme littéraire.

Il faut évoquer la Nouvelle Vague tant ce mouvement a filmé des personnages qui écrivent et lisent tout le temps : chez Godard, Resnais, Chabrol, et

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La filmographie de Truffaut est parcourue par le livre. De Adèle H. à L’amour en fuite (Antoine Doinel romancier), de Farhenheit 451 où l’on brûle les livres, à L’homme qui aimait


les femmes et les confidences de Charles Denner. La voix d’un narrateur invisible (voix off) est aussi un procédé cinématographique très littéraire et abondamment utilisé. Ma mémoire a retenu celle de Jean-Claude Brialy dans la version française du Barry Lindon de Kubrick, et qui lui donne des allures de conte philosophique. Le cinéma flirte également avec son vieux cousin, le théâtre. Lorsque le décor devient plateau comme dans Dogville de Lars Von trier, ou quand on « joue » dans la vie comme à la scène, dans La Belle personne de Christophe Honoré, Alceste à bicyclette de Philippe Le Guay et dans les films de Bertrand Blier aux dialogues mémorables. Littérature et cinéma font bon ménage. Et, depuis Madame Bovary au lycée, je garde une affection et une attention toute particulière pour ces films où le livre, l’écrit, les auteurs sont, de près ou de loin, présents à l’écran. Pour reprendre la question « Que serait la littérature au cinéma ?» Voici un ultime choix de films non exhaustif et subjectif. • Un film envahi de livres J’aime ces scènes qui se passent dans de grandes bibliothèques américaines. De Vive l’amour à Gone Girl en passant par Ghostbusters ou Diamants sur canapé. • Un héros écrivain Robin Williams dans Le Monde selon Garp de George Roy Hill, mon préféré. • Un film poétique Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry. • Un film théâtral Molière d’Ariane Mnouchkine. • Un film divisé en chapitres Into the wild de Sean Penn ou Breaking the Waves de Lars Von Trier. • Un film où la voix d’un narrateur raconterait une histoire Immédiatement je pense à la voix d’Agnès Varda. • Un film dont on aurait lu ou dont on aimerait découvrir le livre C’est avec Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud que j’ai découvert et aimé ce roman passionnant, puis l’œuvre d’Umberto Eco. Et si c’était un peu tout ça, la littérature au cinéma ? Ou autre chose encore ? Je me souviens maintenant qu’un de mes tout premiers films vu enfant commence par un livre qui s’ouvre sur les mots « Il était une fois... ». Vous vous souvenez ? J’adore les films qui commencent ainsi.

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DE LA PLUME À L’ÉCRAN… REGARD SUR LES SÉRIES par Jérémy Vallade La littérature, art ancestral, a su laisser une empreinte indélébile en accompagnant les siècles passés, en planant au-dessus des époques, laissant toujours derrière elle un héritage, une trace historique, culturelle et artistique. Toutefois, cette dernière n’est plus seule depuis bien longtemps…et nous pourrions même dire qu’elle a généreusement fait des émules ! A travers ce papier, nous croiserons deux arts, voire trois et nous verrons que l’écriture ne se cantonne pas qu’aux « traditionnels » bouquins. Vous savez, ceux que vous refusiez en bloc de lire en pleine crise d’adolescence…puis ceux que vous avez appris à apprivoiser avec les années jusqu’à les chérir et à en faire vos compagnons du soir pour les plus rêveurs d’entre nous… Je ne suis pas venu avec mon armure et mon épée, prêt à affronter tous ceux qui ne considèrent pas les séries télé en tant qu’œuvres artistiques à part entière. Non, ici, ma plume suffira… Ce sera une plume empreinte de passion, d’émotions et de positivisme.

HISTOIRES SOCIALES Commençons par faire honneur à chacun de nous. Oui, je vous parle des hommes et des femmes. Vous savez, ces gens qui possèdent tous un cœur, une âme, des qualités et comme toujours, beaucoup de défauts. Il y a plusieurs manières de parler d’eux, de la plus lissée à la plus écorchée. Je vais tenter de vous exposer ces deux extrêmes avec deux séries télévisées. A noter, que l’ensemble des séries étudiées à travers ces lignes ont toutes un homologue littéraire. Commençons par cette série que beaucoup, à raison, considèrent comme la meilleure jamais créée. Je vous parle, si vous ne l’aviez pas deviné, de The Wire. Cette pépite télévisée s’est éteinte somptueusement en 2008 - 182 -


après cinq saisons comprenant de nombreuses scènes d’anthologie… le genre que l’on regardera avec une flamme toujours aussi forte des décennies durant mais aussi le genre de scènes que l’on décrypte à l’université, et ce même en France1. The Wire a la particularité d’être une série télé avec un récit littéraire, à de nombreux égards. Cela s’explique très probablement par le parcours du créateur de la série, j’ai nommé le grand David Simon. La série dont je vous parle est en réalité une adaptation fictionnelle de Baltimore, œuvre de ce même David Simon. Cet homme de talent est donc passé de la plume à l’écran. Son livre, paru en 1991 en anglais a été traduit en français et édité par les éditions Sonatine pour notre plus grand plaisir en 2012. Le pavé de quasiment 1000 pages n’a en apparence rien d’une œuvre fictionnelle. C’est tout simplement l’enquête ultime d’un journaliste au Baltimore Sun (David Simon) qui a décidé de suivre pendant une année entière les inspecteurs de l’unité « homicides » d’une des villes américaines où le taux de criminalité est très haut. Que ce soit à travers la fiction ou le livre, David fait preuve d’une vision si différente de celle que l’on perçoit tous les jours en allumant notre téléviseur et en regardant le JT de 20h ou Les Experts. Ici, il n’y a pas de stéréotypes, de jugements de valeur ou de « polissage » bien conforme au grand public. On rencontre des humains de toutes sortes, avec empathie. C’est clairement le maître mot pour définir Simon et son travail. A travers les cinq saisons de son œuvre adressée au petit écran, il a délivré une image parfois triste, d’autres fois moins mais toujours réaliste de la société américaine. L’écriture de la série, bien souvent dickensienne, 1 - http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/06/05/a-l-universite-de-nanterre-la-serie-thewire-passee-au-crible_1712421_3246.html

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a permis au créateur de The Wire d’humaniser son oeuvre et de faire prendre conscience à tous que chacun de nous doit être traité avec bienveillance. De l’inspecteur usé, rafistolant tant bien que mal ses peines journalières à travers un verre de Jameson au drogué du coin de la rue de Fayette, se picousant en cherchant sans cesse à revivre cette première fois, cette première sensation qu’il ne retrouvera jamais. The Wire fait le portrait d’une société en dérive. Nous venons de voir un traitement brut, sans filtre de la vie en société. Difficile par moments… Pas pour tous les âges non plus. C’est pour cela qu’il ne faut pas oublier les autres séries qui peuvent également nous faire passer un message, de manière plus légère. Mais les moyens importent peu finalement… C’est le résultat qui compte. Et dans cette catégorie, j’appelle la célèbre série télévisée et littéraire destinée à un public plus jeune (quoique…) : Gossip Girl. Une fois de plus, c’est l’œuvre littéraire de l’américaine Cecily von Ziegesar qui a inspiré les créateurs de la production télé. La littérature est une infatigable source d’inspiration pour les acteurs du Cinéma, que ce soit sur grand ou petit écran. Bien que le thème soit moins profond et fourni que celui de David Simon, il reste très intéressant et surtout très symptomatique de la société capitaliste dans laquelle les enfants grandissent… Dans Gossip Girl, le lecteur/téléspectateur se retrouve au cœur de la grosse pomme et suit les destinées d’adolescents héritiers d’immenses fortunes ayant pour terrain de jeu l’Upper East Side, quartier le plus huppé de New-York ! « Sex, drugs and rock and roll » est un peu le crédo dans cet univers où l’on retrouve par ailleurs une famille dissonante, venant de Brooklyn mais fréquentant les mêmes écoles privées, les mêmes fêtes, les mêmes personnes mais ne partageant pas vraiment les mêmes valeurs. C’est cette cohabitation qui est explorée à travers l’écriture de la série, qui lui donne une dynamique - 184 -


si particulière. C’est toujours elle qui nous montre que le monde n’est pas uniquement fait de manichéisme, que les humains changent parfois en gardant le meilleur de leur univers, en l’offrant aux autres et en se mêlant à eux.

DES HÉROS ? Passons désormais à des récits différents, des récits construits autour d’un personnage central, un héros en quelque sorte. Sans ce dernier, les œuvres n’existeraient tout simplement pas. La dualité étant intéressante à mon sens, ce sont encore deux œuvres (ou quatre, plutôt, entre lecture et télévision) qui vont être passées au crible. Action ! La première, Dexter, constitue un terrain d’études extrêmement intéressant. Le roman, Ce cher Dexter, de Jeff Lindsay a servi de support à la célèbre création diffusée sur Showtime aux USA jusqu’en 2013. Dans le livre, on retrouve une narration particulière, à la première personne. C’est Dex’ qui vous parle directement, Dex’ le tueur en série, Dex’ l’homme qu’on ne sait pas définir… Entre bourreau et super-héros, que choisir ? Voilà tout l’intérêt de la série et du livre. Chacun répond à cette question avec sa sensibilité, son vécu, et son idéologie de la justice notamment. Le personnage clive, c’est certain. La narration à la première personne dans le livre et le héros (ou bourreau, selon…) qui vous parle directement en cassant le quatrième mur dans la série sont autant d’éléments rendant cette œuvre psychologique si spéciale, si mémorable. Elle a marqué pour moi un tournant dans ma vie, elle m’a appris à nuancer, à comprendre qu’il existe - 185 -


quelque chose entre le bien et le mal, que tout comportement humain ne peut être jugé…que tout cela est beaucoup trop complexe pour être apprécié à sa juste valeur. Un modèle de réflexion ; plus que du divertissement, bien plus… La seconde est une série toujours en cours, une de celles qui a séduit sans mal mon porte-monnaie pendant mon mois d’essai Netflix, à son arrivée en France en septembre 2014, déjà ! Nous allons donc parler d’un des fleurons du service de VOD par abonnement ; Orange is the New Black. La série est tirée de l’autobiographie de Piper Kerman, renommée Piper Chapman à la télé. Le livre diffère de la série sur quelques points mais le fond reste le même. Nous suivons le parcours d’une prisonnière condamnée pour un trafic de drogue quasiment « bénin » à côté des peines encourues par ses camarades de prison… Là où la série TV prend tout son sens, c’est en mettant des images derrière les mots. Certains livres, aussi intéressants qu’ils soient, ont une tare ; l’absence d’images et de son. Ce n’est que mon point de vue et certains penseront que c’est justement la plus belle mission des livres ; titiller l’imagination du lecteur. Néanmoins, un univers tel que l’univers carcéral a besoin de ces images, de ces visages, de ces musiques pour que l’on - 186 -


ressente réellement la souffrance des détenues, l’incompréhension parfois, les moments de joie (il y en a aussi…) jusqu’à l’instant tant attendu de la libération… Une délivrance pour beaucoup mais pas pour toutes…et c’est justement là ou les images et la musique font corps pour vous émouvoir ! Au-delà de l’encre sur une feuille blanche, où différemment, de manière plus viscérale sans doute.

HISTOIRES FANTASTIQUES Troisième et dernière étape de notre voyage croisant littérature et cinéma, le fantastique. Tout ce qui découle de l’imagination ; toujours irréel mais bien souvent réaliste. Comment ne pas citer l’ouvrage de George R. R. Martin dès lors que l’on croise littérature et séries télévisées, ce serait un peu comme oublier J. K. Rowling en croisant littérature et cinéma. George a sans doute une des œuvres les plus massives dans le genre « fantasy » : Game of Thrones. La série télévisée comptera au moins huit saisons et il y a de l’autre côté sept tomes de prévus dont cinq déjà parus. Je ne suis pas un adepte de l’œuvre de Martin, enfin… Je n’ai pas encore eu le temps de m’y plonger pour être plus franc avec vous. Le temps étant sans doute l’éternel ennemi de tout passionné, quelles que soient ses passion(s). Mais, de mon expérience avec Game of Thrones, je peux d’ores et déjà vous - 187 -


affirmer que l’univers est incroyablement riche. Nous sommes dans ce cas face à une machine à rêve (tant de décors et de paysages somptueux, de dragons, …) et à cauchemar (tant de rivalités, de sexe et de méchanceté). Avec ces caractéristiques, le combat était déjà gagné d’avance pour le créateur. Des livres qui captivent le lecteur grâce aux multiples batailles couronnées de succès (ou pas) mais souvent accompagnées de morts tragiques des personnages principaux (auquel on s’attache, évidemment). Le pitch est donc un vivier inépuisable pour un spectacle audiovisuel taillé « grand huit » ! Vous n’avez plus qu’à bien roder le home cinéma, monter les basses et faire chauffer la télé, sans oublier le popcorn. Je ne partirai pas sans évoquer The Walking Dead, autre grosse machine à succès, mais autre série qui a su me toucher au plus profond de mon âme, Au début du papier, je parlais de deux, voire trois arts. Le troisième est là : la bande dessinée. On ne peut pas le confondre aux autres livres. La BD est d’une certaine manière une projection sur papier. C’est sans doute pour cela que les cinéphiles apprécient bien souvent cet art. Robert Kirkman, scénariste et créateur du comics est également aux commandes de la série TV. Il est donc évident qu’il peut jouer avec la dynamique de chaque support, susciter des attentes dans l’un et y répondre dans l’autre. Avec le temps, la série se distingue des planches, mais ce n’est pas un mal. Le risque de redite est occulté et permet de tenter les amateurs de bulles d’allumer leur télé et inversement. L’univers est ici post-apocalyptique, les Etats-Unis sont ratissés par une épidémie de mort-vivants. On dirait facilement que Kirkman a opté pour la facilité, les zombies étant légion ces temps-ci…mais ce n’est

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absolument pas le cas. Les zombies ne sont qu’un prétexte finalement, l’intérêt de l’œuvre réside dans les relations humaines en situation de crise, d’événements catastrophiques, irrémédiables et sans issue apparente. L’image doit être indispensable finalement, puisque les deux formats choisis en font l’apologie. C’est tout à fait explicable, il faut que le lecteur ou le téléspectateur voit la détresse dans les yeux des protagonistes, la colère et parfois l’espoir. Cet espoir qu’il faut garder pour survivre, rêver d’un monde différent, se projeter là où c’est quasiment impossible de le faire. Toutes ces difficultés sont abordées avec brio à travers un comics écrit et dessiné de main de maître et une série pas très bavarde, mais assez cruelle sans pour autant priver le spectateur d’une étoile dans le ciel. (celle qu’il ne faut pas lâcher des yeux quand elle apparait !) Etablir un rapprochement entre différents médias n’est jamais facile à faire, il faut marcher à pas de loup pour ne pas brimer les adeptes de l’un et plutôt les amener à découvrir l’autre. S’il y a finalement une chose que j’ai apprise avec le temps, et cela me paraît encore plus évident après ce parcours, c’est que la littérature et la « science de l’image et du son » ne peuvent plus être écartées, opposées ou pire, hiérarchisées. En 2017, et ce sera sans doute encore plus flagrant dans les années à venir, l’image doit être perçue comme un outil incroyablement fort pour aider quelqu’un à s’épanouir, à s’ouvrir au monde qui l’entoure et donc à la littérature si le sujet ne l’intéressait pas plus que ça auparavant. C’est ce que je retiens de mon expérience personnelle, et c’est ce que j’ai envie de transmettre aux autres. Ne mettez pas le voile de la « culture de misère » sur votre télé, soyez simplement acteurs, choisissez ce que vous allez regarder, et je vous assure qu’avec un tout petit peu d’efforts, vous trouverez des œuvres d’une richesse narrative sans fin !

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12 RAISONS D’ÉTUDIER LES SÉRIES AU COLLÈGE ET AU LYCÉE

PAR PLUMES D’AILES ET MAUVAISES GRAINES Avec Twin Peaks on entre dans un univers onirique capable d’expliquer le surréalisme en une minute et de montrer comment la télévision est devenue cinéma avec l’agent spécial Dale Cooper. Parce que rien ne vaut les Soprano, pour comprendre la crise d’adolescence et ses interrogations sans fin. Les déboires psychologiques de Tony et la présence de son psy le Docteur Melfi donnent une épaisseur à la question du mal. L’expérience de la profondeur, c’est l’expérience du temps. donc Baudelaire en perspective des Sopranos. Au lycée, avec True Detective, les lycéens vont découvrir ce qu’est un showrunner. Ils auront l’insigne plaisir à comparer le rythme de la série avec les feuilletons du XIXème siècle. L’humour noir et la réflexion gothique seront au cœur de l’expérience Six feet under. Le quotidien d’une famille de croquemorts dans la capitale du déni de la mort : Los Angeles. Métaphysique et questions sociales avec Leftovers, où l’absence développe une philosophie du vide et du plein que l’on peut aisément retrouver dans une littérature dystopique depuis la Ferme des animaux, jusqu’au 2084. Critique des mysticismes fanatiques en sus. Pour travailler sur de beaux portraits féminins, rien de telle qu’une prison de femmes. Un roman autobiographique et une série réalisée par une femme de talent Kenji Kohan qui a relancé les abonnements de Netflix : Orange is a new black Parce qu’elle est unique et réécrit fidèlement la saga qui l’inspire, Game of Thrones est un modèle unique tant par la précision de son univers que la complexité de son intrigue. Et après, on dira qu’il faut simplifier pour expliquer…700 techniciens créent un cinéma qui prend à la littérature sa durée et à la peinture un

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travail sur la lumière extraordinaire. Avec cette série, en extrait ou en images, on peut tout étudier, depuis l’épopée en passant par la tension narrative et le sens de la surprise. Il paraît que Barack Obama insistait pour voir les épisodes avant tout le monde. A la tête de cet empire, George Martin auteur et scénariste qui projettent les arcs narratifs aux coshowrunners de la série passionne des millions de téléspectateurs dans le monde. Avec Downton Abbey, on peut comprendre l’univers de Proust même si le mélodrame ne raconte rien de la recherche esthétique de l’auteur français. Avec Mad Men, c’est l’avènement de la société de consommation et la fonction poétique du langage. On peut même au passage travailler sur le design des années 50. Dans une époque similaire une réécriture formidable du roman de Stephen King, 22.11.1963 Avec House of Cards, c’est Vautrin lui-même qu’il faut convoquer sans oublier les modes de narrations intersubjectifs qui donnent un récit polyphonique passionnant. La série permet d’aborder le portrait, l’art narratif, la question du héros, la dramatisation d’un récit, la discontinuité du récit, l’écriture des dialogues, le genre, le style. Intégrer son étude en classe devient plus que nécessaire !

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PETIT VAGABONDAGE DANS LES LIVRES D’IMAGES, LES FILMS ET MES SOUVENIRS par Sophie Zuber 1 - Histoire sans paroles Au programme de la salle de cinéma, La Lanterne, salle Art et Essai classée Recherche, un film tchèque pour enfants : La Carpe, de Jiri Hanibal. Un film en noir et blanc, dont la version originale sous-titrée effare les enseignants qui installent juste leurs classes de maternelle et découvrent alors la VO. Les sous-titres ne seront pas lus, expliquai-je (je suis la programmatrice cinéma et j’accueille le public), mais le contexte du film sera donné aux enfants : c’est le 24 décembre, pour le repas de Noël, on mange une carpe qu’il faut aller acheter au marché. Ludwig y accompagne son papa qui est le gardien d’un gymnase avec piscine. Ils la rapportent vivante et la mettent « en attendant » dans la baignoire ! Tout au long de la projection, des commentaires filent entre les rangs, des rires, de petits frémissements de peur liés surtout à la musique, aux cadrages qui rendent certains éclairages mystérieux voire un peu effrayants. Les enfants suivent facilement le déroulement de l’histoire : Ludwig, une fois ses parents endormis, joue longuement avec la carpe dans la baignoire, mais, constatant que l’eau chaude ne convient pas au poisson, il l’emporte jusqu’à la piscine où son père, réveillé, accourt et tentera en vain de la repêcher Et là, ellipse. La caméra nous promène, comme au tout début du film, à travers la ville enneigée. Les petits spectateurs s’agitent, questionnent : C’est fini ? C’est fini ? Et j’entends une voix claire annoncer « Et le lendemain matin… ». C’est une petite fille qui ne quitte pas l’écran des yeux et attend, confiante, la suite. « Sa maman lui lit beaucoup d’histoires », me précise l’enseignante à qui j’ai demandé si elle avait remarqué l’attention de cette petite spectatrice de 5 ans. - 192 -


2 - Multiplier les liens

3 - Se questionner

La salle de cinéma est partie prenante d’une Maison des Jeunes et de la Culture où je suis aussi bibliothécaire. J’ai l’habitude de multiplier les liens possibles entre les livres pour enfants et les films programmés : expositions dans le hall du cinéma ou à la bibliothèque, « rondes de livres » sur le pays d’origine du film, sur le thème, présentation du roman dont est tiré le scénario, etc. La réflexion de l’enfant me conforte dans la richesse de passer d’un média à l’autre pour mieux percevoir le temps, l’espace.

Ma place d’animatrice cinéma se précise au cours des nombreuses discussions après le film dans la salle ou dans la classe : donner aux enfants les informations qui leur sont nécessaires mais surtout les renvoyer sans cesse à ce qu’ils ont vu et entendu. On nomme les personnages, on re-décrit les scènes, on se questionne, les enfants se répondent entre eux, défendent leur point de vue, argumentent. Est-ce que la fillette malade de Le petit prince a dit, de Christine Pascal, va guérir ou mourir ? « Elle va guérir, parce que l’écran devient tout clair.

Mais quelques mois plus tard, la ressortie du film de Lamorisse, Le Ballon rouge, m’incite à la prudence. Quand les petits montmartrois se cachent au coin d’une maison, j’entends un commentaire (les enfants parlent beaucoup au cinéma) : « c’est les voyous ! » Or absolument rien ne permet de cataloguer ainsi ces enfants qui jouent. Je vérifie le texte de l’album tiré du film, resté accessible pendant tout le temps où le film, lui, ne l’a pas été, et c’est le mot employé dans le texte pour raconter la scène. Voilà un album qui me gêne car il téléguide le regard.

– Non, elle va mourir, t’as pas vu comme le père il était en colère et serrait le coussin ?». Et Pinocchio (celui de Comencini), « il est garçon dans son corps, mais il est encore marionnette dans sa tête, ça se voit qu’il est tout surpris quand il fait pipi. - Mais heureusement qu’il était redevenu en bois quand il s’est brûlé les pieds, ça lui a fait moins mal… - Je n’aime pas ton film » me reproche une spectatrice de 10 ans qui vient de voir avec sa classe de CM2 Un monde à

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part, de Chris Menges : elle ne supporte pas l’engagement de la mère dans la lutte contre l’apartheid et la solitude de sa fille le temps de son emprisonnement. Pendant une heure les discussions et les échanges vont se multiplier dans la classe. Elle revient me trouver : « Tu sais, je n’aime toujours pas ton film mais je comprends pourquoi tu dis que c’est un bon film. - Mais regarde devant toi ! », un petit garçon apostrophe Charlot qui n’a pas encore trouvé le Kid abandonné au coin du trottoir par les voleurs de voiture… Toutes ces réactions « à chaud » témoignent du cheminement constant entre le vu, le ressenti, l’envie de donner aux images et à l’histoire l’éclairage qui leur plaît le mieux. Et c’est là que proposer beaucoup d’albums pour accompagner les films que les enfants allaient découvrir s’est révélé d’une richesse incomparable.

4 - Entourer le film de livres Un projet Littérature de jeunesse–École et cinéma a pu fonctionner plusieurs années consécutives, à l’initiative de la cellule d’action culturelle de l’Inspection Académique de Seine et Marne. Il concernait plusieurs groupes scolaires (classes maternelles et élémentaires inscrites au dispositif national École et Cinéma) et s’est construit en partenariat avec l’ARPLE – Association de Recherche et de Pratique sur le Livre pour Enfants - où je suis toujours lectrice et formatrice. Objectifs : lire dans la classe des albums en lien avec un film pour établir des parcours aussi libres que possible, en donnant - 194 -


aux uns et aux autres toute leur place et leur indépendance ; voir un film pour ce qu’il est et l’entourer de livres qui ont « un petit quelque chose à voir » avec lui pour enrichir le regard. Ma double compétence de bibliothécaire et de programmatrice de cinéma m’a bien facilité les choix. Des albums, des documentaires sur le cirque, sur le cinéma, sur Charlot pour accompagner Le Cirque, de Charlie Chaplin, bien sûr, mais aussi des histoires de jalousie, de solitude, de poursuites ! Rencontrer les enfants avant qu’ils aient vu le film permet de créer un horizon d’attente, sans rien déflorer de l’histoire elle-même puisque les livres ne la racontent pas. Venir après la projection ravive leur vision du film, sans davantage en ressasser l’histoire ; cela développe les fils rouges qu’ils imaginent entre film et livre, film et film, livre et livre, liens entre des images qui sont de véritables citations, analogies, thèmes en écho, liens entre les différentes œuvres d’un même auteur (et les bibliothèques de la région ont été littéralement dévalisées). C’est ainsi qu’ils ont voulu se faire lire tous les albums de Claude Ponti quand ils ont reconnu une petite Alice nageant dans l’océan de larmes dans Pétronille et ses 120 petits après avoir vu le film Alice de Jan Svankmajer. De même pour les Anthony Browne avec la référence explicite à Lewis Carroll dans Marcel rêve. Au fil de leurs découvertes, les enfants ont fait des propositions pour ajouter des titres : excellente occasion d’argumenter ses raisons et ses choix et de constater, nous les adultes, la pertinence des liens qu’ils ont trouvés.

5 - La Belle, La Bête et Chloé J’ai eu la chance d’être le témoin du cheminement intellectuel et sensible d’une fillette de presque 6 ans (appelons-la Chloé). Elle a vu avec sa classe la Belle et la Bête de Jean Cocteau. Je suis venue avec différentes versions du conte, des albums (Chien bleu de Nadja, Mystère d’Anne Brouillard…) et surtout le très gros album richement illustré des photos du film juxtaposant les - 195 -


réflexions d’Henri Alekan, le récit par Cocteau du tournage, le conte de madame d’Aulnoy avec les gravures de Gustave Doré (éditions du collectionneur). Chloé s’installe, feuillette, nomme les personnages, commente les images, s’arrête sur la Belle. « Attends, m’intime-t-elle, je vais te montrer quelque chose qui ressemble ». Et elle va chercher dans la caisse de livres de la classe un documentaire sur Vermeer (la classe a fait une sortie au musée quelques semaines plus tôt et des livres d’art ont été mis à disposition des enfants). Je m’attends à ce qu’elle s’intéresse à La Laitière, mais pas du tout, elle cherche la page du Géographe et s’attarde sur l’éclairage venu de la fenêtre : « Tu vois, là, c’est pareil. Mais c’est pas du cinéma, c’est de la peinture. » Et puis, elle se penche, attrape Chien bleu et me demande de le lui lire. « Ça aussi, c’est de la peinture, mais en livre ! -J’aime bien cette histoire, ça finit bien. » Et elle se saisit de Mystère, j’ai compris, je lis. Après un temps de silence : « Tu sais pourquoi ce livre-là, il me fait penser à la Belle et la Bête ? » Je ne sais pas, bien sûr, j’attends. « C’est parce qu’il me fait peur ! » Chloé n’a pas tous les mots pour expliquer son ressenti, mais elle va à l’essentiel ! Quand il est possible de laisser dans la classe les livres découverts dans ce temps de lecture - et cela a pu se faire pendant quatre années où l’éducation nationale en a financé l’achat - ils vont être souvent repris, relus, beaucoup plus que n’importe quels autres, témoignent les enseignants, le film reste alors beaucoup plus longtemps « vivant » : on en parle encore, on se raconte ses scènes préférées, on pose encore des questions, on joue avec les personnages. Cette capacité à faire des liens, mise en pratique par ces allers-retours livre et cinéma, les enfants l’ont spontanément appliquée à d’autres domaines, dans d’autres activités, culturelles ou scolaires. C’est comme cela qu’ils se construisent leurs propres références. - 196 -


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Apprendre à lire les images

Les enfants vivent dans un monde d’images mais ils ont aussi besoin d’apprendre à les lire, à les analyser pour les comprendre et pouvoir prendre de la distance, qu’elles soient cinématographiques et surtout télévisuelles. Lire une image se fait en un dixième de seconde, mais la comprendre dépend des liens qu’on peut faire avec son propre vécu, nous sommes très inégaux devant l’image. Celle du livre nous donne du temps pour être regardée, celui que nous choisissons de lui donner ; celle du film, nous n’avons pas choisi sa durée, sa disparition de l’écran. Mais plus nous avons l’habitude de regarder des images, plus vite aussi nous les décryptons.

7 - Comment donc former son regard et son esprit critique ? Puisqu’il s’agit d’aider à acquérir des outils d’analyse de l’image et d’apprendre la grammaire cinématographique, s’appuyer sur les albums jeunesse devient pratiquement incontournable tant les illustrateurs usent des codes cinématographiques, tout en restant bien sûr dans les contraintes de l’album. Cela permet de mettre en parallèle les moyens spécifiques de chaque support, de découvrir et analyser les sensations, les idées que l’illustrateur (dans le livre), le réalisateur (dans le film), ont su faire passer selon le cadrage, le plan, l’angle de prise de vue utilisés. Comment sont donnés le temps, l’espace ? Comment se glissent les indices, se prépare un gag ? Effet de zoom ou de panoramique, champ et contre champ, plongée et contre plongée, caméra subjective, point de vue peuvent se « lire », avec toujours les particularités propres à chacun des supports. Certains albums, plus que d’autres, se prêtent à ce jeu même s’ils n’ont pas été créés pour cela, mais surtout il faut que cela reste comme un jeu car il ne faut pas transformer la lecture en pensum –. À travers la ville, de Sara, Loup, de Douzou, - 197 -


Perdu, d’Antonin Louchard, sont des perles qui renouvellent notre manière – à nous aussi adultes – d’entrer dans une histoire. Mettre les enfants en contact avec ces albums, sans les étourdir d’explications pédagogiques, c’est ouvrir leur regard tout simplement par imprégnation.

8 - Livres d’images et films d’animation De nombreux réalisateurs de films d’animation partent d’un album paru en littérature jeunesse. On peut préférer l’un ou l’autre. Quand je regarde Le Bonhomme de neige, film de Dianne Jackson (1982) ou quand je lis l’album éponyme de Raymond Briggs (Grasset Jeunesse, 1978), j’éprouve deux vrais bonheurs de lecture complètement différents. D’abord l’histoire. Un petit garçon fait un bonhomme de neige. Il se relève la nuit venue et l’invite à rentrer lui faisant les honneurs de sa maison, monde tout nouveau que le bonhomme explore avec la même curiosité qu’un enfant (jouer avec l’interrupteur, essayer les habits des parents endormis...). Après un festin nocturne, le bonhomme de neige entraîne l’enfant dans le ciel jusqu’au bord de la mer. Le jour va se lever, vite il faut rentrer, l’enfant retrouve son lit. À son réveil, dehors, le bonhomme de neige a presque fondu. L’histoire sans texte (et c’est là une de ses grandes qualités) avance en petites vignettes juxtaposées dans les pages, chacune étant comme un arrêt sur image. L’intervalle entre elles crée des ellipses qui donnent son rythme à la narration, tout comme les variations de taille des illustrations de Briggs, jusqu’à deux grandes doubles pages, apportent immédiatement un espace d’aventure et d’inconnu. - 198 -


Dans le film de Dianne Jackson, le plaisir est différent : l’action se développe jusqu’à un voyage au Pôle Nord où nos deux héros rencontreront le Père Noël, aussi rebondi et rubicond que le Sacré Père Noël, autre album de Briggs auquel sans doute elle fait un joli clin d’œil. Au matin, quand le bonhomme de neige aura fondu, l’enfant trouvera dans la poche de sa robe de chambre l’écharpe que le Père Noël lui avait donnée : alors, il n’a pas rêvé ? L’animation prend toute sa place sur le grand écran du cinéma, tout particulièrement dans les parties ajoutées par la réalisatrice à l’histoire : la traversée de la forêt à moto avec le pinceau de lumière du phare jouant sur les troncs d’arbres, les faisant apparaître et disparaître comme par magie, le voyage jusqu’au Pôle qui permet de très beaux survols. Ici, c’est la fluidité du mouvement qui comble le regard, son accomplissement (on a le temps de regarder) ; la musique bien sûr participe aussi de l’enchantement (le film est sans paroles). La longueur du film est parfaite pour les très jeunes spectateurs qui, séduits par son humour et touchés par sa poésie, ne demandent qu’une chose en sortant : revoir le film. Aujourd’hui c’est facile de remettre le DVD pour répondre à ces - 199 -

« encore » si fréquents des jeunes enfants. J’ai aimé proposer une fois dans la salle de cinéma la re-projection immédiate d’un court métrage canadien – et c’était possible car il était en 16 mm, donc facile à rembobiner – la qualité d’attention, l’émotion ont immédiatement grandi, c’était presque magique. Ce n’est pas pour rien que tant d’enfants petits réclament la relecture immédiate d’un album aimé car c’est la sécurité du texte inchangé qui les rassure, le plaisir d’anticiper, de savoir ce qui va se passer qui les comble jusqu’à ce qu’un jour ils soient rassasiés ! Les images animées du cinéma et les images des albums peuvent en se complétant favoriser chez l’enfant un


appétit de nouvelles découvertes et une attitude active dans la quête et la construction du sens, favoriser des échanges autour de référents culturels communs. Avec des effets parfois étonnants d’efficacité. Une élève montre le texte qu’elle a écrit à la monteuse qui anime un atelier de cinéma : sans virgules, sans points, il est incompréhensible. La monteuse lui suggère de structurer ses phrases : « Si tu mets un point, c’est comme un cut. - Ah, ça sert à ça, alors j’ai compris ! » Apprendre autrement… J’ai essayé de partager cette conviction tout au long des formations qu’il m’a été demandé d’assurer auprès d’enseignants, de bibliothécaires, de programmateurs et d’animateurs de cinéma. Et bien sûr dans toutes les animations de lecture auprès des enfants. Qu’y a-t-il de plus merveilleux que partager son plaisir d’ouvrir les yeux et les oreilles pour accueillir toutes sortes d’histoires ? RÉFÉRENCES DES ALBUMS : La Lanterne, Courbevoie (92) À travers la ville, de Sara, Épigones Loup, de Olivier Douzou, Le Rouergue Perdu, Antonin Louchard, Albin Michel Jeunesse (coll. Zéphyr) Le Bonhomme de neige, Raymond Briggs (Grasset Jeunesse, 1978). Choisir cette édition, les deux suivantes sont des adaptations ou exploitations sans intérêt, l’une même avec un texte qui casse l’imaginaire.

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BIOGRAPHIE DE SOPHIE ZUBER PAR ELLE-MÊME J’aime les histoires, en lire, en raconter, en écouter, en regarder. Formatrice en littérature de jeunesse à l’ARPLE, Association de Recherche et de Pratique sur le Livre pour Enfants depuis sa création (1984) et lectrice, j’ai mis en place des actions de découverte du plaisir du livre pour les parents et les enfants dans des écoles maternelles et élémentaires de zones prioritaires. Je suis secrétaire de rédaction des Sélections guides de lecture de l’ARPLE. Programmatrice dans une salle de cinéma Art et Essai classée Recherche pendant 15 ans, j’y ai accueilli des enfants de 4 à 13 ans et participé à la Commission Cinéma et Enfants de l’AFCAE, Association Française des Cinémas d’Art et Essai. Membre fondateur de l’UFFEJ, Union Française du Film pour l’Enfance et la Jeunesse, j’ai assuré pour 0 de Conduite, sa revue trimestrielle, la rubrique régulière « Étonnons-nous » consacrée au regard des enfants sur des films. http://arple.net/

ARTICLES PUBLIÉS -Voir un livre, lire un film, in La Revue des Livres pour Enfants, n°140, été 1991 -Du petit et du grand écran, in Images en Bibliothèques, juillet 1991 -Rubrique régulière Étonnons-nous, articles et bibliographies, in Zéro de conduite, revue trimestrielle de l’UFFEJ de 1990 à 2012 -Le cinéma, ça fait lire, in Lecture Jeunesse, n°72, septembre 1994 -Cahier de notes sur : dossier pédagogique du film Katia et le crocodile, pour le dispositif national École et Cinéma, les Enfants du IIème siècle -Des livres pour enfants et des adolescents non lecteurs, in Dire Lire, journal de l’Union Régionale de Lutte contre l’Illettrisme en Picardie, avril 1995 -Le cinéma d’amateur, un intérêt universel ? Ou à quoi sert la Cinémathèque de Bretagne ?, in Zéro de Conduite n°26-27, 1997 -Choisir des livres pour les tout petits, in Petite Enfance Éveil aux savoirs, GPLI, nouvelle édition 1997 -Apprendre le cinéma aussi dans les livres, in Zéro de Conduite, n°64, hiver 2006-2007 Cinéma et album jeunesse, in La Lettre de l’enfance et de l’adolescence, GRAPE, n°71, février 2007 Sélections ARPLE de 1984 à aujourd’hui : http://www.arple.net Bibliographies de livres « Autour des films » accessibles sur http://ecolecine77.pagesperso-orange.fr/ Maternelle et cinéma http://www.enfants-de-cinema.com/maternelle/Maternelle_et_cinema/Page_accueil. html

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LE CINÉMA ET LA LITTÉRATURE D’UNE JEUNESSE

HISTOIRE D’UNE PASSION par Clémentine Pillon-Vallée La forme de cette chronique peut surprendre, la majorité de ce travail donnant à lire des extraits d’autres que moi. Il faut comprendre que je me conçois d’abord comme une passeuse de mots, d’histoires. Je ne suis pas écrivain mais lectrice. Passionnément lectrice ! Et, professeur dans le secondaire, mon cheval de bataille est avant tout de faire en sorte que les adolescents deviennent et demeurent lecteurs. Naturellement ma pratique d’enseignante me conviait plutôt à transmettre des textes classiques. Cependant, j’ai rapidement constaté que les élèves déjà en difficulté en primaire, ne parvenaient plus à suivre dans le secondaire, lassés par des pratiques de lecture qui mettaient en avant leurs fragilités au lieu de s’apparenter à un moment de découverte et de plaisir. Alors, au lieu de partir des textes que je connaissais, j’ai décidé de me pencher sur ce qu’ils aimaient: littérature jeunesse, romans d’horreur, mangas, science-fiction, histoires d’amour... Le coup de cœur a été immédiat ! J’ai ainsi créé le site http://www. deslivresetvous.eu afin de partager autour de ces lectures jeunesse (+ de 1100 en 4 ans). Le choix du support numérique me semblant adapté et pertinent pour un public d’adolescents constamment connecté.

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La littérature jeunesse actuelle n’est en rien comparable avec celle que j’ai connue enfant avec par exemple la bibliothèque verte ou rose. Plus variée, elle aborde tous les sujets, tabous ou non, et s’adresse aux plus jeunes ainsi qu’aux adultes, comme nous l’avons vu dans Quelques minutes après minuit. La dimension « lecture-plaisir » ne dessert nullement le fond culturel et éducatif des ouvrages. Au travers des romans jeunesse précédents, il est possible de se plonger dans l’histoire du cinéma et ce, dans des romans s’adressant aux enfants dès le CM (Mademoiselle Alice), en lisant un roman graphique où l’image prime sur le texte ( L’invention d’Hugo Cabret) ou encore en plongeant dans une intrigue policière (La bobine d’Alfred ) ! Lorsque j’ai effectué ce travail de recherche sur le cinéma dans le roman jeunesse, je n’éprouvais que peu d’appétence pour les vieux films. Trentenaire, originaire d’un petit village picard m’amenant à faire 30 minutes de route pour aller au cinéma, je ne suis pas familière de cet art. De la même manière, le petit écran n’est entré dans ma vie qu’une fois adulte. Ma seule fenêtre sur le monde ayant toujours

été la littérature. Pour le coup, je ne me sentais pas légitime dans l’écriture de cette chronique, si ce n’est de par mes connaissances en littérature jeunesse. Et puis j’ai lu les ouvrages évoqués. J’ai vu les films cités dans chacun des romans, ceux de Mademoiselle Alice, de Méliès, d’Hitchcock… et, comme je suis tombée amoureuse de la littérature jeunesse, me voici désormais avide d’en apprendre plus sur les grands classiques du cinéma, ces films qui font référence et sont constitutifs de notre culture ! Spontanément parler du cinéma dans le roman jeunesse rappelle que la vulgarisation de cette littérature encore récente et dont l’essor date d’Harry Potter doit beaucoup aux adaptations cinématographiques. Ainsi, la littérature jeunesse (« Young adult ») entretient des liens étroits avec le grand écran qui met sur le devant de la scène les gros succès littéraires du moment tels que Hunger Game, Nos étoiles contraires ou plus récemment Miss Peregrine et les enfants particuliers. Paradoxalement, alors que le cinéma s’inspire fréquemment des romans jeunesse, peu d’entre eux choisissent le 7ème art comme sujet principal. Ainsi, les

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ouvrages sur ce thème sont rares, et ceux qui en parlent se penchent plutôt sur l’origine du cinéma ou le choisissent comme décor. À travers quatre ouvrages à destination des plus jeunes nous reviendrons donc sur la place du cinéma dans la littérature jeunesse, son histoire et la façon dont les écrivains peuvent être intégrés à la réalisation d’adaptations cinématographiques.

Mademoiselle Alice qui inventa le cinéma de Sandrine Beau (illustrations de Cléo Germain). La bobine d’Alfred de Malika Ferdjoukh. L’invention de Hugo Cabret de Brian Selznick. Quelques minutes après minuit de Patrick Ness et le supplément sur « les secrets du film ».

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INVENTION DU CINEMA : Ecrire pour la jeunesse signifie que l’on s’adresse à des enfants, adolescents, ou à la rigueur de jeunes adultes. Pour ce public, le cinéma a toujours existé. Y aller n’a rien d’exceptionnel d’autant plus que le grand écran s’invite chez nous par le biais du petit. Alors qu’en classe, nous étudions les grands classiques

de la littérature, qu’en est-il de l’histoire du cinéma ? Des premiers films ? Comment les auteurs rendent-ils compte des débuts du cinéma ? Mademoiselle Alice qui inventa le cinéma, Sandrine Beau – Cléo Germain, Premiers romans BELIN Résumé :Sandrine Beau qui est entre autres réalisatrice de films, auteur de scénarios, animatrice radio et auteur, choisit ici de réhabiliter Alice Guy, première femme à réaliser des films. Ce personnage réel, « oublié » des historiens du cinéma, tourne son premier film intitulé « La fée aux choux » en 1896. Embauchée par monsieur Gaumont comme sténodactylographe, Alice, seulement âgée de 22 ans, va rapidement comprendre les possibilités qu’offre le cinématographe des frères Lumière. Alors que les scènes déjà filmées sont d’une banalité confondante, la jeune femme va créer de brèves histoires et devenir officiellement « Directrice du service des théâtres de prise de vues du Gaumont ». Au travers de ce récit adapté aux jeunes lecteurs, nous sommes témoins des commencements du cinéma, de la création des premiers studios d’enregistrement, et des trucages et techniques de tournage. Ce récit alternant le point de vue d’Alice et d’un jeune garçon qui fait partie de ses comédiens, donne à voir les étapes de fabrication d’un film et la manière dont l’héroïne a imaginé les premiers effets spéciaux.

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EXTRAITS COMMENTÉS Découverte du cinématographe : « Quelques mois plus tard, le 22 mars 1895, je fais une découverte encore plus incroyable : la photographie vivante. Les frères Lumière viennent d’inventer le cinématographe ! En compagnie de mon patron, j’ai la chance d’assister à la projection de leur premier film, « La Sortie de l’usine Lumière ». Pour la première fois, les spectateurs présents voient des images en mouvement : pendant quelques secondes, ils observent stupéfaits, des ouvriers et des ouvrières qui quittent leur travail et franchissent le grand portail des usines. Comme eux je n’en reviens pas. Je suis ébahie et émerveillée par cette vie en mouvement projetée devant nous, sur un simple drap de toile. » « La fée aux choux », première histoire racontée au cinéma : « Et là, comme par magie, une histoire s’impose à moi ! Une saynète toute simple, mais qui sera surement plus amusante qu’un simple défilé d’ouvriers. Ça commence comme ça : un couple qui veut un enfant voit débarquer dans son jardin une fée. Cette fée découvre, caché derrière un chou,

un bébé ! Sauf que dans le jardin il y a plusieurs choux et derrière chaque chou, la fée déniche un nouveau bébé ! J’imagine aussitôt la tête du couple, les regards effrayés du mari, la mère débordée par tous ces enfants qui surgissent. Et la fée, tout à son affaire et très fière d’elle. Je vois aussi les visages souriants des spectateurs, même si je n’ose pas encore vraiment y croire… Premiers effets spéciaux : « Un jour, un de mes techniciens a malencontreusement éteint sa caméra. On ne s’est d’abord rendu compte de rien. Mais quand nous avons visionné le film, l’actrice avait l’air d’avoir bondi subitement de son fauteuil à son lit ! C’était si drôle que j’ai aussitôt imaginé une histoire avec un personnage qui disparaissait et réapparaissait dans des endroits incongrus. Gros gros succès que ce procédé-là. » En 1909, Alice Guy a réalisé pas moins de 400 films ! Elle est « celle qui a voulu mettre de la couleur dans ses histoires » et qui a réussi en faisant colorier ses bobines de films. Elle est aussi la première à ajouter du son à ses historiettes. En 1907, elle partira avec son mari caméraman à la conquête de l’Amérique où elle créera

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ses propres studios avant de divorcer et de tomber dans l’oubli. Quelques citations pour réhabiliter Alice Guy : « On a souvent contesté à Alice Guy le mérite d›avoir été, après Louis Lumière, la première personne au monde à réaliser des films, donc la première cinéaste, sans distinction de sexe. Aujourd’hui, il est rigoureusement établi que, contrairement aux affirmations hasardeuses de certains spécialistes de la question, Alice Guy a réalisé sa Fée aux choux au début de l’année 1896, quelques semaines avant l’entrée en lice de Georges Méliès. » (Charles Ford, historien du cinéma) « Alice Guy était une réalisatrice exceptionnelle, d›une sensibilité rare, au regard incroyablement poétique et à l’instinct formidable. Elle a écrit, dirigé et produit plus de mille films. Et pourtant, elle a été oubliée par l’industrie qu›elle a contribué à créer ». (Martin Scorsese, New York, octobre 2011) LE CINEMA DANS LA FRANCE DES ANNEES 1930 L’invention de Hugo Cabret, Brian Selznick, BAYARD Jeunesse Résumé : Hugo Cabret est un adolescent livré à lui-même. Orphelin, il vivait avec son oncle lorsque celui-ci disparait. Afin d’éviter un placement, le garçon va rester seul dans son logement, prenant en charge les responsabilités de son parent, horloger dans la gare Montparnasse. Pour survivre dans le microcosme de la gare, Hugo se nourrit de petits larcins tout en n’ayant qu’un objectif en tête : réparer l’automate sur lequel travaillait son père avant sa mort. Le garçon est persuadé qu’une fois l’objet restauré, celui-ci sera en mesure de lui délivrer un message de son défunt père… Seulement afin de se fournir les pièces nécessaires, Hugo vole le matériel d’un vieux marchand de jouets qui n’est autre que le fameux Georges Méliès ! Ce roman graphique qui se déroule dans le Paris des années trente est un magnifique hommage au septième art ! Les illustrations de l’ouvrage en noir et blanc nous plongent dès les premières pages dans l’ambiance de l’époque et fonctionnent comme un story-board. Superbe !

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Le cinéma, un monde d’images : Dès le début de la lecture, la forme graphique du roman s’impose pendant les quarante-cinq premières pages comme le découpage d’un film, dans lequel images en noir et blanc suppléent au récit (il n’y a d’ailleurs aucun texte avant la page quarante-six, si ce n’est le titre du chapitre). Ces illustrations permettent au lecteur de se mettre à la place du réalisateur dans le choix des plans et le rendent actif en tant que lecteur-spectateur dans la construction du sens. Plans larges, moyens, gros plans, points de vue, transitions… évitent ici un texte descriptif qui ralentirait l’action. Le choix du noir et blanc renforçant le sentiment d’assister au ralenti à un film muet des années 30.

Le cinéma : un lieu. Le roman L’invention d’Hugo Cabret entretient un lien étroit avec le cinéma où le personnage principal et son père allaient régulièrement. Le cinéma y est d’abord décrit comme le souvenir positif d’un lieu où père et fils partageaient la même passion. Ensuite, lorsque le héros y retourne avec ses amis, c’est le déroulement des séances en France dans les années trente qui est exposé (cf. deuxième extrait) avec premièrement les actualités, puis un dessin animé et enfin un film, le tout entrecoupé d’intermèdes musicaux. L’évocation des applaudissements du public souligne l’ambiance bon enfant et bruyante des salles à l’époque.

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EXTRAITS COMMENTÉS « Tu aimes le cinéma Hugo ? Mon père m’y emmenait chaque année pour mon anniversaire. Quels films tu as vus ? demande Isabelle. Hugo les regarde tour à tour en pensant à ces séances de cinéma avec son père. Ils aimaient tellement se retrouver ensemble dans la salle obscure. Enfin il se décide à répondre : La dernière fois, nous avons vu un film avec un homme accroché aux aiguilles d’une horloge géante. Ah ! Monte là-dessus ! s’exclame Isabelle. Avec Harold Lloyd. C’est très chouette ! » « Le grand écran blanc est constitué comme une feuille de papier vierge pour Hugo. Le merveilleux bourdonnement du projecteur le réjouit. Viennent d’abord les actualités, de petits films de quelques minutes sur les événements du monde entier. Il y a un sujet sur la Dépression américaine, un autre sur l’Exposition coloniale qui ouvrira à Paris dans quelques mois – très intéressé, Hugo doute cependant de pouvoir y aller. Il y en a encore un sur la politique en Allemagne et, enfin, un dessin animé intitulé Quel bazar !, dans lequel, à la nuit tombante, un allumeur de réverbères passe devant une horlogerie où tout est vivant. Pendules, montres, réveils dansent sur un air classique. Hugo songe que ce film aurait plu à son père. A la fin, la musique se déchaine tandis que deux réveils se disputent. Le rideau se referme, le public applaudit, et le projectionniste change les bobines. Au bout de quelques instants, le rideau s’ouvre de nouveau pour le long métrage – Le million, de René Clair. Il y est question d’un artiste peintre, d’un billet de loterie égaré, d’un malfaiteur, d’un manteau prêté, d’un chanteur d’opéra ; le meilleur moment est une séquence de poursuite inimaginable. Emerveillé, Hugo se dit que toute bonne histoire devrait se

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terminer par une poursuite époustouflante. » : Spectateurs et réception des films : Les personnages du roman évoquent naturellement les grands noms du cinéma des années 30 et l’on pense aux films à succès tels que Ce crétin de Malek, de Buster Keaton, The Kid, de Charlie Chaplin ou encore La Règle du jeu, de Jean Renoir. Les personnages secondaires d’Isabelle et d’Etienne échangent avec passion à leur propos, donnant envie de redécouvrir ces grands classiques !

et Buster Keaton. »

« Tout en marchant, Isabelle parle à Hugo des films qu’elle aime – des comédies, des dessins animés, des westerns avec un acteur nommé Tom Mix. Il y a aussi une actrice appelée Louise Brooks dont elle a imité la coiffure. Il y a des films d’aventures, des énigmes policières, des histoires d’amour, de la fantaisie pure. Elle cite des noms comme Charlie Chaplin, Jean Renoir

Brian Selznick nourrit également sa fiction de passages documentaires. Le roman utilise la mise en abyme en citant des extraits d’un documentaire fictif intitulé « L’invention des rêves : histoire du cinéma à ses débuts », de René Tabard. Le lecteur apprend en même temps que le personnage principal feuillette les pages de l’ouvrage, les débuts du septième art et l’accueil réservé par les spectateurs de l’époque aux premières projections. « En 1895, l’un des tous premiers films présentés au public fut L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Comme le suggère ce titre, il s’agissait d’un train entrant en gare. Mais quand, à l’écran, le train parut foncer droit vers la salle, les spectateurs se croyant en danger hurlèrent et s’évanouirent. Personne n’avait encore rien vu de tel. » Georges Méliès : Appréhender le monde du cinéma signifie également intégrer les multiples évolutions de cet art. Du muet au parlant, du noir et blanc à la - 210 -


couleur, de la pellicule au numérique, ou plus récemment avec l’émergence de l’image de synthèse, le 7e art est en constante mutation. Ces changements impliquent d’évoluer continuellement que ce soit en tant que comédien ou réalisateur. Ainsi Buster Keaton, star du cinéma muet, évoqué par le personnage d’Isabelle, n’est plus à la page avec le cinéma parlant. Georges Méliès, va lui aussi être confronté à ces changements. Cinéaste ayant tourné plus de cinq cents films, reconnu comme l’inventeur du premier film de science-fiction, il ne peut malgré tout rivaliser avec les grosses productions américaines émergeantes ; il sera ruiné en 1925 puis contraint de devenir vendeur de jouets à la gare Montparnasse. Ce n’est qu’un an plus tard, lorsque Léon Druhot directeur du « Ciné journal » entend un cafetier s’adresser à Georges Méliès que sera entreprise la réhabilitation de celui que l’on considère comme l’inventeur du spectacle cinématographique. Brian Selznick s’inspire librement dans son roman de la biographie de Georges Méliès, faisant de sa rencontre avec le héros une opportunité de mettre en valeur le génie créatif du réalisateur. « L’idée d’aller au cinéma lui rappelle une anecdote que son père lui a racontée : dans sa jeunesse, quand les films étaient encore une nouveauté, il était un jour entré dans une salle obscure et, sur un écran blanc, il avait vu une fusée voler tout droit dans l’œil de la lune. Son père avait déclaré que c’était une expérience extraordinaire, comme de voir ses rêves en plein jour. » « Le film préféré de son père s’appelait Le voyage dans la Lune. Le cinéaste Georges Méliès a commencé sa carrière comme prestidigitateur et propriétaire d’un théâtre donnant des spectacles de magie à Paris. Ses liens avec le monde de l’illusion lui ont permis de comprendre très vite ce que l’on pouvait faire avec ce nouveau mode d’expression qu’était le cinéma. Il fut parmi les premiers à démontrer que les films ne reflètent pas nécessairement la réalité. Il ne tarda pas à se rendre compte que le cinéma avait le - 211 -


pouvoir de capturer les rêves. On attribue à Méliès la mise au point du trucage dit de substitution, qui permet de faire apparaitre ou disparaitre des objets à l’écran comme par enchantement. Et le cinéma en fut transformé à jamais. » Est-il utile de préciser qu’un tel roman ne pouvait qu’encourager une adaptation cinématographique ? L’invention de Hugo Cabret a été adapté au cinéma en 2011 par l’un des cinéastes américains les plus importants de sa génération, Martin Scorsese, dont c’est le premier film pour enfant. Celui-ci vaudra à son cinéaste cinq Oscars et un Golden globe en 2012 ! ALFRED HITCHCOCK ET LE CINEMA HOLLYWOODIEN DES ANNEES 60 La bobine d’Alfred, Malika Ferdjoukh, L’Ecole des loisirs. Résumé : Malika Ferdjoukh est une grande passionnée de cinéma américain et de comédies musicales qui écrit des séries pour la télévision en plus d’être écrivain. Dans ce roman elle a choisi pour personnage principal, Harry, fils d’un cuisinier français talentueux féru de cinéma. Quand ce dernier est embauché par l’actrice Lina Lamont, ni une ni deux notre héros part pour la «cité des anges» à Hollywood! L’actrice américaine chez qui ils vivent est une grande amie d’Alfred Hitchcock et lorsque le maître du suspense cherche un cuisinier pour le tournage secret d’un film, c’est tout naturellement qu’elle lui offre les services de son cuistot personnel ! Seulement Harry n’est pas convié et son père ayant signé une clause de confidentialité, c’est de manière clandestine que l’adolescent va pénétrer dans les studios d’enregistrement, rencontrer le cinéaste et assister aux différentes étapes de fabrication du film... Par l’intermédiaire du héros, le lecteur est projeté dans la deuxième moitié du XXe siècle dans l’usine à rêves hollywoodienne» et va vivre des aventures hitchcockiennes!

Alfred Hitchcock : La première rencontre du héros Harry avec Alfred Hitchcock souligne l’importance du réalisateur dans le monde du cinéma. Le cinéaste ayant prêté son nom à une émission télévisée intitulée « Alfred Hitchcock présente » (1955-1962), son visage est devenu familier pour ceux comme Harry qui en connaissent le célèbre générique avec la silhouette ombrée du maître du suspense. « Le gros homme en complet noir jaillit de la brume, tel un - 212 -


fantôme hors de l’écran de télé. Il n’était pas haut mais sa face large arriva sur moi en gros plan, si proche que je pus distinguer les veinules rouges de ses joues bedonnantes. Je serais tombé dans les pommes si Gustave Bonnet, mon père, n’était pas apparu. C’est mon fils. C’est Harry, monsieur Hitchcock. Votre fils Harry, monsiou Bonnette ? répéta le plus célèbre metteur en scène du monde en agitant son gros index pâle sous ma narine. « What the trouble with that Harry ? » Il articulait en chuintant, comme si l’intérieur de ses joues lui emplissait la bouche. Il est… euh, il vient, euh, m’aider. Oh ! Perfect. Dites-loui jouste de me couire pas des œufs. Je déteste. Sinon je l’enferme dans le stioudio toute le nouit, attaché à le caméra. C’est compris ? Ce visage remarquable, le visage de Monsieur Hitchcock, je l’avais tellement vu, comme le monde entier l’avait vu mille fois vu, sur les magazines, aux actualités Gaumont, à la télévision, que j’étais presque étonné que le mien lui fût totalement inconnu ! » . De plus, la filmographie du cinéaste est constamment rappelée dans ce roman au travers tout d’abord des titres des chapitres tels que Les Oiseaux, Les Enchaînés ou Fenêtre sur cour et des clins d’œil dans le texte, par exemple quand Hitchcock demande à Harry « What’s the trouble with that Harry ? » . Tournage, costumes et décors : Malika Ferdjoukh s’inspire dans son intrigue des techniques et effets spéciaux réellement utilisés par le réalisateur dans ses films. Ainsi, dans le film Joies matrimoniales, Soupons Suspicion, 1941, Hitchcock expliquera qu’afin que le verre de lait supposément empoisonné soit d’une blancheur inquiétante, il avait fait placer une source lumineuse directement dans le verre. De la même manière dans l’extrait qui suit, les jeux de lumière permettent au réalisateur de créer un personnage féminin fantomatique.

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EXTRAITS COMMENTÉS « Une de ces trouvailles insensées dont le maitre a le secret, me glissa Bertani. Genre « robe couleur du Temps », tu vises ? Hors du temps, faudrait dire. Comment il appelait ça… ? « Un gris qui n’accroche pas la lumière pour que le fantôme soit une chimère sans ombre », dit Miss Head, répétant avec respect la parole du tyran. Quant à sa dernière exigence… vous n’êtes pas au courant ? Le chef lumière m’a fait coudre un néon dans l’ourlet. Dans l’ourlet ? dis-je, croyant avoir mal compris. Dans l’ourlet ? répéta Bertani, incrédule. « Afin que le fantôme diffuse une lumière bleue et ne donne pas la sensation d’un corps solide mais… d’une présence. » Au caméraman de jouer maintenant. » Acteurs et techniciens venaient de répéter, inlassablement, depuis trois heures. La séquence à filmer semblait compliquée, et tout le monde la redoutait. M. Hitchcock avait une affection particulière pour les plans longs, et celui-ci devait durer huit minutes, sans coupure. Personne ne devait se tromper. […] La suite fut une sorte de ballet complexe, quasi baroque. Des machinistes en sueur poussaient l’énorme caméra entre des murs qui se relevaient brusquement, la

glissaient vers une table qui s’ouvrait en deux pour laisser le passage, puis se refermait derrière. Les acteurs se déplaçaient selon des chiffres au sol ; tout en poursuivant leur dialogue ils posaient un objet sur le guéridon surgi de nulle part à la dernière minute, ils tournaient autour de cloisons qui tournaient avec eux, une armée de techniciens postés de l’autre côté […]. Jamais il ne met l’œil à la caméra, tu as remarqué ? chuchoté quelqu’un près de mon oreille. […] Le film est déjà tout entier dans sa tête. Chaque plan est dessiné. Chaque image […] » Comme Hitchcock manipulait les spectateurs dans ses films, Malika Ferdjoukh se joue du lecteur dans ce roman. Celui-ci s’identifie naturellement à Harry, cet adolescent qui veut être dans le secret du tournage. Il est d’abord le « voyeur », celui qui entre par effraction dans les studios ; il devient ensuite le « témoin » de la fabrication d’un film, avant que sa curiosité ne le transforme en « criminel » et « voleur » quand il dérobe la fameuse bobine. Une fois la bobine disparue, le lecteur se trouve face à un récit qui comporte tous les ingrédients du film hitchcockien : jolies filles inaccessibles, confrontations avec des gangsters et même course poursuite et enquête policière !

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Les amoureux d’Hitchcock, seront également sensibles à l’hommage que lui rend Malika Ferdjoukh. Elle sème de faux indices, utilisant le fameux « Mac Guffin » du maitre, ou encore reprend le thème du « faux coupable » pour créer une atmosphère digne des films qui l’ont inspirée. Impossible de résister au visionnage des œuvres d’Hitchcock à la fin de ce roman ! ADAPTATION D’UN JEUNESSE AU CINEMA

ROMAN

Dès les débuts du cinéma, les producteurs se sont tournés vers les auteurs afin de rédiger les scénarii, d’autant plus que le succès d’un livre est déjà un gage de la réussite à venir du film. Si la littérature jeunesse est encore relativement récente, sa relation avec le cinéma l’est tout autant ; mais ce qui vaut pour la littérature générale est aussi vrai pour la jeunesse et les auteurs précédemment cités, scénaristes et/ou réalisatrices comme Sandrine Beau ou Malika Ferdjoukh confirment le lien étroit qu’entretiennent les auteurs avec le 7e art.

devient adulte, confronte l’auteur aux questions existentielles relatives à cet âge. Les adultes sont souvent surpris de voir que les jeunes lecteurs aiment les romans sombres, ne les épargnant pas, refusant les réponses toutes faites sur des sujets comme le deuil, la violence, l’amour ou la haine. De la même manière, les adaptations de romans jeunesse au cinéma frappent par la dureté de leurs thèmes et leur capacité à toucher un vaste public composé aussi bien d’adolescents que d’adultes. Quelques minutes après minuit, Patrick Ness, Gallimard.

L’essor des adaptations de romans jeunesse au cinéma vient également des sujets traités dans ces ouvrages. Etre auteur de romans jeunesse ne signifie pas uniquement écrire « pour » les adolescents mais également écrire « sur » l’adolescence. Cet âge transitionnel de mutation dans lequel peu à peu l’enfant - 215 -


Quelques minutes après minuit de Patrick Ness fait partie de ces ouvrages qui ne craignent pas de réveiller nos plus grandes angoisses. L’ouvrage illustré par Jim Kay donne vie aux monstres qui peuplent les cauchemars du héros ; or l’adapter en film sous-entendait être à la fois respectueux de l’intrigue, mais aussi rester cohérent avec l’univers surnaturel mis en images par l’illustrateur. Résumé : Depuis que sa mère est malade, chaque nuit Conor reçoit la visite d’un monstre terrifiant. Le matin au réveil, alors qu’il voudrait croire qu’il ne s’agit que d’un cauchemar, des indices prouvent que le monstre est bien réel... Conor ne s’en sort plus : la santé de sa mère se dégrade, il est harcelé au collège et ses nuits sont de plus en plus perturbées. Le monstre le hante désormais constamment, faisant de sa vie déjà compliquée un véritable enfer. Pourtant, un soir la créature affirme qu’elle va lui raconter trois histoires et qu’ensuite ce sera à Conor de raconter la 4e, dans laquelle il devra révéler la vérité, sa vérité, celle qu’il craint le plus. Un roman fantastique superbe dont les illustrations sont aussi effrayantes que le texte est beau.

Le choix du roman par le réalisateur Juan Antonio Bayona Quelques minutes après minuit fait partie de ces rares romans qui marqueront les esprits. L’histoire explore tant de pistes différentes que tous les lecteurs peuvent s’y reconnaître. « Le thème de la puissance des histoires est au cœur du récit, et c’est ce qui me touche le plus, je pense. Comme le dit le monstre dans le livre : « Les histoires sont des créatures sauvages. Quand tu les libères, qui sait ce qu’elles peuvent déclencher ? » En tant que réalisateur, c’est à cela que je consacre mon temps : invoquer des désastres, jouer au mythomane qui ne fait que raconter des histoires fictives, convaincu qu’un bon mensonge est le meilleur moyen d’éclairer les zones d’ombre et de parler des mystères que sont nos propres vies. » - 216 -


Du roman au scénario, par l’auteur, Patrick Ness

fallu que je me demande comment restructurer l’ensemble pour que cela tienne dans un espace plus restreint, et quelles astuces cinématographiques utiliser pour faire passer des idées qui ont besoin de plusieurs paragraphes pour être développées à l’écrit. »

« Je resterai toujours avant tout un romancier, parce que, dans un roman, on prend toutes les décisions, pour le meilleur ou pour le pire. On est entièrement responsable de ce qu’on fait, et le résultat en est une expression cent pour cent personnelle. C’est à la fois une grande liberté et un grand défi : quelle tyrannie que tous ces choix ! C’est difficile mais vraiment gratifiant, et j’adore ça.

Rester fidèle à l’univers créé par l’illustrateur Jim Kay, la fabrication du monstre : « Les dessins à l’encre de Jim Kay ont inspiré le personnage incroyablement réaliste en images de synthèse que l’on voit à l’écran. Pour mieux comprendre cette créature étrange et issue de la nature, J.A. Bayona a contacté l’illustrateur et lui a demandé de développer ses dessins du monstre afin de voir exactement comment il était fait. […]

Les scénarios, eux, ressemblent plutôt à des jeux de logique : un film ayant au mieux la durée d’une longue nouvelle, comment saisir l’essence d’un roman et faire passer tout ce qu’il contient dans un temps aussi réduit ? Ce genre de défi peut vraiment encourager la créativité. […]

Des dessins préparatoires aux images de synthèse ont été réalisés à partir des illustrations de Jim Kay. Tout en demeurant fidèles à la vision originale de l’illustrateur, ces croquis ont poussé plus loin l’étude de la créature. »

Plus encore qu’un roman, un film est un voyage entre un point A et un point B : chaque élément doit mener quelque part. Par bonheur, Quelques minutes après minuit est un livre court, avec une structure qui conduit naturellement quelque part. Conor écoute la première histoire, intervient dans la deuxième ; il participe à la troisième en tant qu’homme invisible ; et c’est lui qui raconte la quatrième. Nous faisons donc le chemin avec lui, et c’est ce qui fonctionne le mieux au cinéma. Il a seulement

Jim Kay : « Bayona ne m’a donné aucune instruction spécifique concernant les nouveaux portraits du monstre. Il m’a juste demandé de faire d’autres dessins et de détailler plus précisément son apparence. C’était très étrange en tant qu’illustrateur d’albums, car dans un - 217 -


livre, on peut délibérément éviter de montrer trop de choses, laisser seulement entrevoir des détails. » Choisir les acteurs qui interpréteront les personnages principaux du roman… Généralement la littérature jeunesse met en scène des personnages principaux relativement jeunes, approximativement l’âge des lecteurs. Au cinéma, faire tourner des mineurs est plus complexe, or l’enjeu est de taille puisque le rôle principal repose sur un acteur néophyte. Le sujet du livre est dur : cancer de la mère, harcèlement scolaire, deuil... En tant qu’adultes nous avons tendance à vouloir protéger nos enfants et croyant bien faire, à refuser d’envisager notre propre mort. Lewis MacDougall a parfaitement intégré cette dualité. Interview de Lewis Mac Dougall, interprète du personnage de Conor : « Le film parle de la mort de la mère de Conor et j’ai perdu ma propre mère il y a un an, même si c’était dans des circonstances différentes. Je pense que l’un des principaux problèmes de Conor, c’est que son entourage ne lui dit pas la vérité. Il ne sait pas vers qui se tourner, et c’est le monstre qui finit par remplir cette mission. Dans mon cas, mon père a toujours été honnête à propos de la maladie de ma mère. » Le film Quelques minutes après minuit est une adaptation fidèle du roman tant du point de vue de l’intrigue que de son esthétique. Il me semblait essentiel de présenter un ouvrage adapté au cinéma dans lequel auteur et illustrateur avaient été associés au travail de réalisation, afin de modifier le texte uniquement de manière à ce qu’il s’accorde au mieux avec le genre cinématographique. Nul appauvrissement ici, au contraire !

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FLORILÈGE DES ENFANTS DE LA DIVERSITÉ DANS

LE CINÉMA ET LA LITTÉRATURE JEUNESSE par Béatrice Diarra Petit test : citez des œuvres de littérature jeunesse dont le héros ou l’héroïne est un enfant d’origine étrangère. Vous avez une minute. Alors, vous avez pensé à qui ? A L’Enfant noir, de Camara Laye que vous avez découvert à l’école ? Au petit Joseph, le héros d’Un sac de billes ? A un Gone du Châaba qui après avoir eu ses entrées dans les ministères en a claqué la porte avec fracas ? D’autres titres vous sont sans doute venus à l’esprit, mais il est probable que tout comme pour moi, il ait fallu vous creuser un peu la tête. Et pour cause, les enfants d’origine étrangère apparaissent peu dans les romans pour la jeunesse. La littérature destinée aux adolescents présente quelques héros d’origine arabe ou juive, quelques enfants noirs, pratiquement aucun enfant tzigane ou venant de Turquie ou des pays de l’Est. Quant aux jeunes d’origine asiatique, ils figurent presque exclusivement dans les œuvres traduites du japonais ou du coréen. Les thèmes abordés dans ces ouvrages sont très différents de ceux qui sont d’ordinaire traités dans ce type de littérature. Soit ces héros sont dépeints comme des victimes de la colonisation, de l’esclavage ou de l’Holocauste, soit ils sont présentés au bled, en exil, en quête identitaire, en banlieue, bref en marge de la société française. Ce sont généralement des jeunes cabossés aux prises avec la misère et dont les préoccupations diffèrent totalement de celles des adolescents « de souche ». - 220 -


L’enfant noir, l’enfant juif Ailleurs Les enfants noirs, principalement des garçons, sont souvent présentés in situ dans des pays africains. Les très beaux albums de Thierry Dedieu, Yakuba, dont les dessins ressemblent à des batiks, parlent de l’initiation d’un jeune guerrier africain. Lettres d’Afrique, nouvelles d’Outremer donnent la parole à des enfants du continent africain mais aussi de Martinique ou des îles grenadines. L’enfant noir, de Camara Laye, est un récit autobiographique qui relate la vie d’un jeune guinéen dans les années 50. L’existence y est plutôt douce et ce roman, dont a été expurgée la question de la colonisation, lui a valu de sévères critiques dans l’article intitulé « Afrique noire, littérature rose » de la revue Présence africaine. Au-delà de la polémique, ce livre effectivement lisse et rédigé dans un style médiocre, a le mérite d’être un des premiers de la littérature jeunesse à parler du parcours d’un enfant africain et c’est sans doute pour cette raison qu’il a été beaucoup étudié dans les collèges français.

Avant Quelques romans osent néanmoins traiter de la colonisation, thème très peu abordé dans la littérature française à destination des adultes. C’est le cas de Rêves amers de Maryse Condé où l’on suit à travers un récit bref et incisif le destin de Rose Aimée exploitée en Haïti par l’horrible Madame Zephyr qui la traite en esclave. L’enfant du zoo, de Daenincks, est - 221 -


rentrent d’Indochine croisent ceux qui transportent des soldats vers l’Algérie en guerre pour son indépendance. Ethnocentrisme, sentiment de supériorité des colonisateurs, attitude hostile vis-àvis des « colonisés » en métropole, autant de questions souvent éludées que la bande dessinée pose avec acuité, preuve que la littérature jeunesse peut traiter en profondeur des thèmes restés tabous. D’autres romans français préfèrent se centrer sur la ségrégation aux EtatsUnis. Entre blues et jazz, humiliation et héroïsme, Bluebird, de Tristan Koëgel, Le rêve de Sam de Florence Cadier, Dans une version pour jeunes de Cannibales, les griffes du Klan de Stéphane Tamillon, qui n’édulcore pas pour autant les campent des enfants noirs victimes de abominations de l’exposition coloniale de discrimination et en lutte pour les droits 1931. civiques. Ces deux romans mettent sans concession Ces romans de la négritude jouent un rôle l’accent sur l’exploitation d’enfants important dans la prise de conscience auxquels toute humanité est déniée et que des exactions subies par les peuples l’on traite en animal ou en en objet. réduits à l’esclavage ou mettent le focus La bande dessinée Nos ancêtres les sur un passé colonial somme toute assez pygmées, également de Daenincks, proche et souvent méconnu. Force est de illustrée par Jacques Ferrandez, met en constater néanmoins que le jeune d’origine scène au milieu des années 50, deux africaine a une place plus réduite dans les enfants dont les parents sont sénégalais romans se situant dans le contexte de la dans un Marseille où les bateaux qui France actuelle. Comme si son statut était - 222 -


principalement celui de l’ailleurs ou de l’avant. Ce constat est encore plus flagrant pour l’enfant juif qui est presque exclusivement présenté sous l’Occupation. Le devoir de mémoire s’exprime dans une pléiade de livres poignants. Des dizaines d’ouvrages sont consacrés à leur persécution dans les années 40. La Chanson d’Hannah, de Jean Paul Nozière, La Promesse, de Yaël Hassan, De trop longues vacances, de Jean-Jacques Greif, Voyage à Pitchipoï de Jean-Claude Moscovici, Chante Luna, de Paule Bouchet, Un sac de billes, de Joseph Joffo - pour ne citer qu’eux – peignent à la fois l’horreur subie par ces enfants, filles et garçons, et la force de vie qui les anime, comme en témoignent les titres. L’effroi s’accompagne toujours du mouvement de vie. Au-delà de témoignages sur la guerre, ce sont aussi des récits sur l’enfance et son pouvoir extraordinaire, sa vitalité magnifique. Ces jeunes livrés à eux-mêmes dans leur cavale ou dans les camps, égarés seuls dans des lieux hostiles, affrontent des monstres : les nazis. La portée symbolique du conte où s’expriment les peurs enfouies et les dangers potentiels se concrétise alors dans une réalité atroce qui n’en paraît que d’autant plus incompréhensible. Puis l’enfant juif disparaît dans la France contemporaine. On retrouve au milieu des années 60 un petit Moïse, dit Momo dans Monsieur Ibrahim et les fleurs du coran, pâle réplique de La Vie devant soi de Gary dont le Momo était lui, musulman. La somme d’ouvrages sur leur sort sous le nazisme ne fait que davantage retentir leur criante absence dans les œuvres se situant à notre époque. Bien plus encore que l’enfant noir, l’enfant juif semble ne pas avoir d’existence aujourd’hui. Le regard - 223 -


qu’on lui porte reste englué dans un passé abject, figé dans l’Histoire de la Shoah mais il semble ne plus avoir d’histoire propre ici et maintenant. Est-ce parce qu’il est considéré comme parfaitement intégré qu’il ne mérite plus qu’on s’intéresse à lui ?

Racines La quête identitaire Une étoile dans le cœur, de Louis Antyana est une exception suffisamment rare pour être mentionnée. Damien, un jeune francocongolais découvre qu’il est juif après le décès de son père et il subit conjointement racisme et antisémitisme.Le propos peut sembler chargé mais les questions identitaires du jeune homme et sa révolte qui se traduit de manière percutante dans un style vif, sec et saccadé en font un livre à part et important. Alors que près d’un tiers des mariages en France sont mixtes, ce qui est très important au regard d’autres pays, notamment anglosaxons, où le melting pot n’est que de façade ; alors que le métissage touche un nombre conséquent d’enfants français, il est surprenant d’observer que ce thème est éludé de la littérature pour adolescents - tout comme celui de l’adoption d’ailleurs - tandis que ces sujets apparaissent dans des albums pour petits. Plus curieux encore, la quête identitaire semble se confondre avec la seule quête du père, généralement noir africain, comme si le noir incarnait encore une telle étrangeté qu’il faille repartir à la reconquête du continent subsaharien. La question des origines se concentre dès lors sur la recherche de la figure paternelle comme dans Sarcelle- Dakar d’Insa Sané - 224 -


ou sur les souffrances liées à l’absence du père, comorien, dans Les Copains, le soleil et Nabila de Florence Hinkel. Dans Adama ou la vie en 3D de Valentine Gobyle, un jeune homme accompagne son père au Mali pour en savoir plus sur sa culture. C’est au voyage inverse auquel on assiste dans la littérature sur l’exil.

L’adolescent en exil La littérature jeunesse manifeste un intérêt constant pour les jeunes immigrés des années soixante à nos jours. Au rythme des guerres qui secouent la planète, des catastrophes écologiques et économiques, des familles ou des enfants des quatre coins du monde arrivent en France. Il est important de souligner que la littérature jeunesse qui n’offre quasiment aucune place dans la France contemporaine aux enfants venus de l’est et d’Asie, leur consacre ici quelques belles pages. Cette présence qu’elle leur reconnaît enfin et l’accueil bienveillant qu’elle leur réserve sont à saluer. Le déracinement, la barrière de la langue, l’adaptation à une autre culture, le processus d’intégration mais aussi la désillusion, le sentiment de rejet, sont abordés de manière réaliste et variée.

XXe siècle : France, terre d’asile Les premiers ouvrages sur l’exil commencent avec les départs liés à la décolonisation du Maghreb dans les années 60 comme dans La Tarte aux escargots de Brigitte Smadja où Lili, juive de Tunisie cherche à comprendre les mœurs bizarroïdes des jeunes français dont certains la rejettent à son arrivée. Dans Le Gone du Châaba, autobiographie d’Azouz Begag, l’enfant s’évade par la lecture des conditions de vie miséreuses de son bidonville lyonnais. Lui, est plutôt en butte aux préjugés des jeunes de son clan qui l’accusent de ne plus être un Arabe et le voient comme un traitre lorsqu’il devient le deuxième de sa - 225 -


classe. Malgré tout, grâce à l’école française qui joue encore son rôle d’ascendeur social, il parviendra à la réussite que l’on connait. Les Cahiers de Leïla, journal intime fictif de Valentine Goby, parle de la désillusion d’une jeune Kabyle qui quitte l’Algérie pour Billancourt où son père est ouvrier chez Peugeot. Dans Thiên An ou la grande traversée de Valentine Goby, on suit le périple pour la France, d’un jeune boat people vietnamien en 1979 pour rejoindre la France. L’Enfant multiple, d’Andrée Chédid, qui conte l’exil d’Omar-Jo, devenu orphelin pendant de la guerre du Liban, est sans doute le chef d’œuvre du genre. Cet excellent roman, plein d’inventivité et de tendresse, garde une résonnance exceptionnelle dans l’actualité. Le petit garçon, dont le prénom composé renvoie à ses racines musulmane et chrétienne, prouve l’union possible de ces deux religions même s’il voit sa vie brisée à cause d’une guerre où les deux communautés se déchirent. Malgré sa vie qui bascule, la résilience d’Omar-Jo est extraordinaire. Ce roman préfigure l’arrivée actuelle de nombreux mineurs isolés que la littérature jeunesse relaye fortement.

XXIè siècle : La loi de la jungle Sur leur longue route vers l’émigration, des adolescents ont dû surmonter la faim, la maladie, la corruption, la cruauté des passeurs, parfois les dangers de la mer. Thierry Lenain dans Moi Dieu merci qui vit ici suit le trajet vers la France d’un - 226 -


jeune angolais. Miettes de lettres d’Anne Thiollier se concentre sur le racisme subi par une jeune chinoise en métropole depuis 3ans. Arrivés en France, ces adolescents sont confrontés à la morsure du rejet qui ne se manifeste pas seulement dans des attitudes hostiles mais aussi et surtout à travers la menace constante de l’expulsion qui les contraint à vivre dans une insécurité de tous les instants. Les Deux vies de Ning, de la Chine à Belleville, de Goby, et Tu peux pas rester là de Jean Paul Nozière se concentrent sur l’angoisse qui mine deux enfants chinois sans papiers. La clandestinité est un thème récurrent comme en attestent les titres. Le Voyage clandestin de Loïc Barrière, Ibrahim, clandestin de 15 ans d’Ahmed Kaoulaz , Un clandestin au paradis de Vincent Karle, Le Passager clandestin de Dominique Delaye, relaient le parcours de mineurs isolés venus d’Algérie, du Soudan, d’Afghanistan, de Tchétchénie, qui doivent se battre au quotidien pour trouver une place en France. L’exploitation subie par certains de ces jeunes est évoquée dans Petite Poche de Yann Mens où l’héroïne roumaine est vendue à un esclavagiste des temps modernes qui la force à être pickpocket dans le métro. Jeanne Failevic dans Pas d’école pour Fatoumata, signe un roman sur l’élan de solidarité autour d’une jeune sénégalaise. Au lieu de représenter une menace abstraite, les réfugiés s’incarnent ici dans des personnages vulnérables et sensibles, qui peuvent faire changer le regard porté sur eux et permettre une prise de conscience des difficultés de tout exil. - 227 -


Ces œuvres sont d’utilité publique à l’heure où l’arrivée de migrants suscitent des craintes obscures voire un rejet de plus en plus violemment exprimé. Par ailleurs, elles pointent un délitement des valeurs de la France qui respecte de moins en moins les droits supérieurs de l’enfant.

La banlieue, c’est pas rose Mais c’est en banlieue que l’on trouvera surtout l’enfant d’origine étrangère, le plus souvent un garçon d’origine arabe, avec une foison d’ouvrages se déroulant dans les cités. Les titres, Balle perdue, de Mouloud Akkouche, Une gauloise dans le garage à vélo (Florende Thinoux), Hip Hop Connexion (Karim Mandari), Momo des coquelicots (Yaêl Hussun), Il faut sauver Saïd (Smajda ) donnent le ton. Les topoï développés dans ces romans en font un genre à part entière : le roman de banlieue. Des thèmes récurrents y sont développés : la misère sociale, la violence, la dégradation des HLM , le désœuvrement, les parents dépassés, les difficultés à l’école, la délinquance, la montée de l’intégrisme.

No future Les dérives des jeunes des cités sont une source d’inspiration intarissable avec pléthore d’ouvrages qui se penchent sur le sujet. Clichés et stéréotypes se bousculent à qui mieux mieux et des sauvageons sont examinés sous toutes les coutures. Il faut quand même reconnaître que certains de ces romans sont bons. C’est le cas de Balle perdue de Mouloud Akkouche où se mêlent les destins de trois habitants de Montreuil. Préjugés de classe, solitude et désenchantement font de ce roman à tiroirs un roman noir sur toute la ligne. Twist again de Sylvie Allouche est tout aussi sombre, Aziz et Mourad après avoir assisté à la démolition de leur barre d’immeuble à la cité des fleurs trouvent une arme à feu qui les amène évidemment au drame. Pour l’auteure, « ils vivent au jour le jour, et pour la plupart, - 228 -


n’ont aucun projet d’avenir. Grandir dans une cité « difficile » n’est pas anodin et on n’en sort pas indemne. » La messe est dite. Ce couperet pessimiste et généralisant marque au fer rouge une génération que le déterminisme social bloquerait à coup sûr. Le message adressé à cette jeunesse ne leur ouvre guère de perspectives. Tout aussi désespérants, Feux, mortelle rhapsodie, de Jocelyne Sauvard, Hip hop connexion, de Karim Madani, Gueule de bois et Du plomb dans le crâne d’Insa Sané tournent autour des mêmes poncifs . Pour s’évader de leur béton maussade, les héros ont une passion commune pour la musique, réduite au rap bien évidemment. Galère, deal, bidouille, magouille, échauffourées avec la police, l’ultra violence du fond et de la forme mènent inéluctablement à la mort. C’est l’overdose ! Ces tragédies modernes, au canevas identique, qui tendent à faire passer le déterminisme social pour un fatum exempt de catharsis, sont tendancieuses. Pris indépendamment, chacun de ces titres peut avoir son intérêt mais la redite du même schéma mortifère finit par faire croire que ces cas ultra-minoritaires sont la norme. Au lieu de sensibiliser à la vie multiforme des quartiers défavorisés, tant de noirceur finit par ériger un mur infranchissable entre deux sociétés que tout oppose. Il est évident qu’après un tel florilège, l’image du jeune de banlieue, prisonnier de la délinquance et promis à une mort prématurée, n’en sort pas grandie.

La banlieue, c’est morose ? Heureusement, la vision dans les ouvrages destinés aux jeunes ados est plus contrastée et apporte quelques nuances optimistes. Albert le toubab, de Yaël Hasan raconte les relations houleuses entre un vieil immigré portugais et Memouna, la fille de sa femme de ménage - 229 -


sénégalaise. Les préjugés anti racaille du bonhomme se confrontent à ceux de la gamine qui le considère comme un « toubab » mais les clichés de part et d’autre s’effondrent au fil de la rencontre. Florence Thinard dans Une gauloise dans le garage à vélo, joue également avec humour sur le renversement des stéréotypes : des jeunes de cité prennent sous leur aile Chloé, une petite fille dont le père « bien » français est en prison. D’autres enfants s’en sortent grâce à la lecture ou grâce à l’école qui restent les meilleurs moyens de les extraire de leur milieu. L ’ a l b u m Shéhérazade de Béatrie Fontenel est particulièrement créatif. La fillette déborde d’imagination et réinvente sa banlieue en la teintant des couleurs féériques des mille et une nuit ou en la transposant au Moyen Age. Le pouvoir des mots lui permet de ne pas se laisser plomber par la grisaille ambiante. Les antiennes habituelles, ascenseur en panne, cages d’escalier taguée, caïds agressifs, sont transcendés par l’art qui transfigure le réel et rend son quotidien supportable. Le petit Momo, (héros de la trilogie Momo des coquelicots, Momo, petit prince des bleuets et Des lauriers pour Momo) tout comme le personnage de - 230 -


Il faut sauver Saïd de Brigitte Smadja sont des garçons très attachants. Momo qui rêve d’être écrivain se lie d’amitié avec un vieil homme et son avenir est plein de promesse. Les deux garçons adorent chercher des mots dans le dictionnaire. Quel dommage que ces deux romans soient parasités par l’omniprésence des frères aînés, caricatures insupportables de petites frappes en pleine poussée intégriste ! Il semble difficile d’échapper au glissement vers les stéréotypes. Il n’en reste pas moins que l’ouvrage de Smadja, pose des questions intéressantes sur le sentiment d’appartenance à la France et sur un système scolaire à deux vitesses. Saïd essaie de s’accrocher dans son collège de ZEP mais le chahut constant l’empêche de se concentrer. On sent le gamin à bout de forces.

Ouesh ta race ! On souhaite à Saïd de ne pas devenir comme le héros de Feux, mortelle rhapsodie qui se définit ainsi : « Black +5. Nul en orthographe. Toujours du rouge sur la copie. Autant dire du sang sur la page. Je n’ai jamais aimé apprendre. Ou jamais pu. Sauf le poème d’un gars de mon âge. Le lascar Arthur ». Il est difficile de traduire à l’écrit le langage parlé, a fortiori de transcrire avec authenticité l’argot urbain. Il est encore plus compliqué de donner à cette langue une dimension littéraire. Le Livre Boumkeur de Rachid Djadami, paru dans une édition pour adulte (Seuil) mais accessible aux grands ados, y parvient dans un cri, une éructation même, scandée sur un rythme infernal à la manière d’un bon slam. Le style de Akkouche ( Balle perdue) qui ne cherche pas à pasticher la langue des jeunes, trouve également une petite musique personnelle agréable à entendre. D’autres auteurs, comme Smadja, ont un style sobre pour notre plus grand bonheur. Quant à ceux qui s’essaient à singer le parler des cités, ils virent souvent au grotesque. Ces écrivains, généralement plus de prime jeunesse, restent bloqués sur un antique verlan appliquant strictement l’inversion des syllabes alors que de multiples procédés linguistiques - 231 -


interviennent dans la verlanisation actuelle. Ils balancent quelques expressions toutes faites, souvent devenues caduques car la langue attribuée aux cités - qui pour le coup passe la barrière du ghetto pour se retrouver dans la bouche de la jeunesse dorée - est une langue en mouvement perpétuel qui se renouvelle chaque jour. Au mieux, on a l’impression de lire une parodie des premières chansons de Renaud, excellente photo d’époque figée dans une langue désormais morte, statufiée dans le Grévin du XXème siècle dont la resucée aujourd’hui frôle l’académisme. Au pire on tombe sur une prose, faite d’un sabir codé, d’une syntaxe boiteuse et d’une ponctuation aléatoire, qui se veut à la pointe de la culture « street » mais frôle le degré zéro de l’écriture. Je vous laisse juges : Hakim de Hip hop connexion, menotté dans une voiture de police suit la conversation des « keufs » : « ça plus ça pète plus ça m’arrange parce que j’adore serrer les voyous, j’te jure je kiffe (…) Je lui ai piqué son tosma, on a le t-shi, on le tèj dans le 9-2 le gars ». Heureusement

pour Hakim, la création l’aide à s’évader : « j’adore le rap, crache sur les watts, ma banque, la BAC. Gratte le chômage, la feuille, mes couilles. Prépare la sortie, la bouteille, les touilles ». Tsen, un des rares asiatiques à apparaître dans la France d’aujourd’hui et dont la mère chinoise est morte à cause de l’opium, vit lui aussi entre drogue et violence. Voici ce qu’il dit dans La Charme, de Jean-François Chata : « En fait, si t’as une chance de mourir en cité, c’est plutôt d’ennui, de manque de thunes, et la cervelle bouffée par le béton. Moi je dis, et je sais que si tu crèves c’est du gris que t’as partout autour de toi, et qui finit par t’entrer dans la peau. Comment je vois les choses, c’est que jusqu’à vingt ans, ou un peu plus si t’es résistant, t’essaies de déconner, de mettre une pincée de dawa pour te montrer à toi-même que tu bouges encore ».

Les banlieues, lieux communs Certains jeunes lecteurs de banlieue apprécient certainement ces romans où ils peuvent retrouver en partie leur vécu. Espérons que la violence qui y est dépeinte au marteau piqueur exerce un

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effet repoussoir plutôt que fascinant. Pour ceux qui vivent ailleurs, la plupart de ces ouvrages ne fait que renforcer l’image négative de ces supposées zones de non droits, périphéries dangereuses où rôde la mort, si étrangères qu’elles en deviennent exotiques et dont on n’a pas envie de franchir la frontière. Si quelques-uns de ces ouvrages véhiculent des valeurs humanistes et portent un regard bienveillant et compréhensif sur leurs protagonistes, l’omniprésence de jeunes d’origine étrangère englués dans des problèmes de banlieue face à la quasi absence de ces mêmes jeunes dans des contextes différents ou tout simplement en butte aux nombreuses autres questions liées à l’adolescence interroge. A quelques exceptions près, soulignées ci-dessus, ces romans, qui au demeurant partent sans doute de bonnes intentions, ancrent inconsciemment mais sûrement les stéréotypes. L’enfant d’origine étrangère, surtout s’il s’agit d’un garçon arabe, vit invariablement, en banlieue, c’est son milieu naturel. Il semble impossible de lui ouvrir d’autres espaces.

La somme de ces gamins dans des cités, face au néant d’autres vies possibles pour eux, finit par assommer. Que dit ce néant ? La littérature jeunesse ne serait-elle qu’un dérisoire bout de miroir se promenant sur le bitume ? Ghettoïserait-elle le héros d’origine étrangère ? Les maisons d’édition ne seraient-elles que les porte-parole des peurs véhiculées à hue et à dia par les médias ?

Un parcours initiatique dans l’impasse Quelle projection, quel modèle, quel repère le jeune lecteur français issu de l’immigration peut-il trouver ? Comment s’étonner que certains ne se sentent pas français alors que l’image qui leur est renvoyée est enfermée dans un système univoque : celui des tours vouées à l’implosion, celui d’un horizon emmuré par les marqueurs sociaux. Comment peuventils se projeter différemment alors que les représentations qui sont faites d’eux les excluent de fait des préoccupations adolescentes basiques dont ils ne partageraient pas les troubles intenses et douloureux, le bouillonnement émotionnel

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constant, les élans et le tourments, les questions vertigineuses, les frissons délicieux. Ils ne se sentent pas français. On ne les sent pas français. Pas vraiment, pas totalement, pas inconditionnellement. En tout cas, pas dans les livres.

Pages blanches Si beaucoup de romans de littérature jeunesse parlant de jeunes d’origine étrangère sont de qualité, l’impression qui domine, c’est que trop d’ouvrages ont tendance à réduire les personnages à leur seule origine. Pauvres petits choses dont la psychologie se réduit souvent à peau de chagrin, centrée qu’elle est sur la misère sociale, la discrimination, le racisme, l’exclusion. Ces fléaux sont d’ailleurs condamnés sans faille. Aucun doute là-dessus. Et pourtant dans leur répétition, dans la rengaine des mêmes représentations, dans leur bonne volonté même, ces livres bien involontairement, discriminent, stigmatisent, excluent. Ces enfants, définis par leur seule origine accolée à un milieu social incarnent des archétypes, des figures de papiers sans épaisseur dont des pans entiers de leur personnalité ont été gommés.

Entendons-nous bien, je ne reproche pas à ces œuvres d’exister bien au contraire, ce qui m’interroge c’est l’unicité de ces choix, l’absence d’autres points de vue. La lutte pour la liberté est présente, c’est indéniable. La fraternité est à l’œuvre, certes. Ne boudons pas ces actes d’écriture sincères et utiles. Mais quid de l’égalité ? La conscience de l’altérité est constante. L’esprit de solidarité aussi. On plaint celui qui souffrait au temps des colonies ou sous le nazisme, on est rempli de compassion pour celui qui souffre ailleurs ou pour l’exilé, on crie à l’injustice pour celui qui souffre dans sa cité. Tout cela est juste et bon. Le constat n’en demeure pas moins terrible : l’autre né ici, l’autre vivant ici, n’est envisagé comme un égal qu’à de rares exceptions près. On éprouve de la compassion pour lui parce qu’il est malheureux, parce qu’il est différent, mais on ne le considère pas tout à fait comme un semblable, en tout cas on ne l’écrit pas comme un semblable. Pourtant, ces enfants d’origine étrangère, si pareils aux autres et si singuliers, non pas en raison de leurs racines mais en tant qu’êtres humains –truisme évident mais

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tellement négligé qu’il semble nécessaire de le rappeler - , et bien ces enfants-là vivent des vies bien différentes et bien plus riches que celles que nous propose la littérature jeunesse. Il faudrait qu’intimité et fait sociétaux puissent se développer conjointement pour redonner à certains héros cette densité et cette profondeur qui leur manquent tant. La plupart des enfants d’origine étrangère ne répond pas à l’image qui est donnée d’eux dans la littérature. Ces enfants existent autrement. Vous les connaissez. Ce sont les enfants de vos amis, de vos cousins, de vos collègues, de vos voisins, ce sont parfois vos enfants.

une bonne partie de la population. Il serait temps de faire une vraie place à tous ces enfants multiples. De belles pages restent à écrire.

7È ART ET ESSAI TRANSFORMÉ

Filmographie comparée La Haine, film coup de poing de Kassovitz, l’un des premiers à briser le tabou du malaise des cités suite au meurtre de Makomé M’Bowolé dans un commissariat.

Il serait temps d’élargir leur territoire, de les faire respirer dans des campagnes, des hameaux, des villages, des centres villes, où on les trouve dans la vraie vie. Il serait temps, sans faire d’angélisme pour autant, de montrer d’autres trajectoires, souvent faites de belles réussites et de petits bonheurs qui correspondent mieux à la diversité des situations. Il serait temps de parler du métissage, véritable exception française, qui touche

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Le film témoigne du multiculturalisme de la génération black-blanc beur, mais il est surtout politique, radical, la lutte des classes s’exprime dans la haine du flic, représentant d’une société injuste. Malgré ses excès, la niaiserie du trio, presque des ploucs à la découverte de Paris, offre des respirations comiques en contrepoint de leurs flambées de violence. Ce coup de maître n’a pas pris une ride en 20 ans et reste un film mythique pour les adolescents d’aujourd’hui. En revanche, d’autre avatars de La Haine comme Ma 6-T va cracker n’évite pas l’écueil de la caricature, qui sans la soupape du second degré est trop grossière pour être convaincante. De loufoquerie en transgression foutraque, ses émules politiquement incorrects de Kourtrajmé offrent de vrais bols d’air. Leur court-métrage Hommage au film La haine, filmé au pied d‘une tour montre avec irrévérence l’impact de cette œuvre sur des jeunes venus du monde entier et donne le ton de cette nouvelle vague underground. Le collectif décide de montrer la jeunesse de banlieue sous un jour humoristique en surfant sur des clichés dont ils se jouent. Ça fait du bien ! Romain Gavras ou Mouloud Achour entre autres, filment caméscope à l’épaule la jeunesse des banlieues de l’intérieur. La valeur documentaire de

ces courts-métrages est certaine mais le spectateur n’est pas appelé à s’apitoyer sur ces personnages, il a aussi le droit de s’en moquer comme dans Barbichette ou Le Chat de la grand-mère d’Abdelkrim. Le jeune de banlieue n’est plus alors la victime d’un système, il redevient un être humain à part entière dont les travers ou les qualités peuvent être croqués de manière décomplexée et politiquement incorrecte. Sans se prendre au sérieux, ces films rappellent cette évidence rassurante, le jeune des quartiers sensibles est avant tout un individu sensible. Ouf ! La vie est belle dans La cité rose, de Julien Abraham. La mère africaine de Mitraillette, le héros mignon au débit ultra-rapide, est bibliothécaire et parle à la perfection la langue de Molière. Le cinéaste contourne les idées reçues, autant qu’il les détourne à travers le personnage de Djibrill qui transforme toute critique en propos raciste ou qui les retourne : les asiatiques sont tous vus comme des Chinois, « tous les mêmes, des bouffeurs d’insectes ». Le récent Bandes de filles, de Céline Sciamma en est le pendant féminin dont les clichés ont été retravaillés tant sur la forme, où les paysages urbains se transforment presque en tableaux abstraits, que sur le

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leurs racines, leur milieu. Extrêmement féminines, elles n’en restent pas moins des guerrières, des amazones qui ne baissent par la garde, des affranchies. Le film suit le point de vue de Marieme qui veut poursuivre des études générales pour être « comme tout le monde ». Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’elle troque son nom pour celui de Vic. Clin d’œil à l’héroïne de la Boum ? Abréviation de la victoire . Leur énergie tourne parfois à la rage et permettra à Vic de sortir du chemin qui lui était tracé. Le déterminisme social peut être déjoué, c’est possible, c’est montrable, c’est rassurant. fond dont certains poncifs ont été bannis. Par exemple, à la différence de leurs homologues masculins, elles ne sont pas condamnées d’écouter le sempiternel rap auquel elles préfèrent l’électro-pop. Ce film fait enfin entrer dans la lumière la gente féminine des cités, que l’on entrevoit dans le huis clos confiné de l’école, mais jamais dans cet espace public qu’elles doivent lutter pour s’approprier tout autant dans la vraie vie que dans la production cinématographique. Il était temps. Leur vie est un combat, elles résistent à la brutalité des garçons, sont en rébellion contre les contraintes associées à leur sexe, - 237 -


Entre les murs de Laurent Cantet, bien meilleur que le livre de Bégaudeau, jette un regard franc et sans complaisance sur la vitalité d’une jeunesse dont l’appétit pour les mots compense les incivilités et se révèle porteur d’espoir. Les joutes oratoires battent leur plein et la confrontation entre langue normative de l’école et celle de la rue est jubilatoire, L’Esquive de Kéchiche, encensée par la critique, est prometteuse dans son parallèle entre Marivaux et les amours contrariées du héros n’échappe pas à une succession de clichés.

Nanars D’autres films à forte audience, s’acharnent à extirper les jeunes de leur cité pour le meilleur et surtout pour le pire. Neuilly sa mère qui exfiltre Sami de son quartier pour le faire vivre chez des crétins nantis de l’ouest parisien est manichéen à souhait dans l’affrontement de deux clans caricaturaux. Camping à la ferme, de Jean-Pierre Sinapi, scénarisé par Begag, propulse dans la France profonde une série de délinquants en TIG. Dans cette vision optimiste du choc des cultures, les préjugés de part et d’autre finissent par être dépassés même si les clichés émaillent le film de bout en bout, mais comme il ne se prend pas au sérieux, certaines scènes hilarantes font oublier ce défaut auquel échappent difficilement ce type d’œuvre. Dans 16 ans ou presque, l’apparition de quelques très beaux métisses dont la présence n’est que décorative peine à faire gober le discours démagogique d’un navet qui se veut djeun et hype. A toute épreuve, d’Antoine Blossier joue la carte de la mixité plus pour le box office que par conviction profonde. Un fumiste plutôt couard fait appel à ses amis « rebeus » Yanie et Fati et à Scarface, un petit caïd pour braquer les sujets du bac. Mention nulle. Au moins, dans Pas plus que nos 18 ans, variation blanche et huppée du même thème, les - 238 -


cancres ont le courage de faire leur coup fourré tout seuls. Juste une pensée pour le jeune acteur Samir Seghim qui se voit peu ou prou toujours cantonné aux mêmes personnages. Il endosse encore le rôle du gentil petit arabe dans Michou D’Auber, de Thomas Gillou, où il est recueilli par Georges et Gisèle (Depardieu et Nathalie Baye) pendant la guerre d’Algérie. Les bons sentiments et le casting de choc ne font pas oublier le propos atterrant du film, Georges ne peut être raciste puisqu’il aime un Arabe, Messaoud, rebaptisé Michou pour ne pas choquer le villageois. Samir Seghim est un acteur attachant mais il grandit, souhaitons lui de ne pas jouer que des flics ou des voyous car le cinéma français a du mal à inventer d’autres rôles aux personnes issues de l’immigration.

Autres regards Ça arrive quand même un peu. Parfois. Le titre malheureux Et toi t’es sur qui ? de Lou Doillon met en scène le vaudeville amoureux du jeune Vincent, un Noir qui tombe amoureux de Juliette qui en aime un autre. Il est amoureux et cela remplit sa vie. Point barre. Dans Les Beaux gosses, Riad Satouf filme les émois sentimentaux et l’éveil à la sexualité d’Hervé et Camel, dont seul le nom renvoie à ses origines et qui incarne simplement un jeune français - 239 -


en proie aux troubles de son âge. Merci Riad ! La Cour de Babel, film documentaire qui suit sur une année une classe d’accueil restitue de manière bouleversante la réalité des primo-arrivants.

Côté court Mais c’est du côté du court-métrage que l’on verra les meilleures trouvailles. Si les thèmes liés à l’immigration reviennent, les points de vue diffèrent et les angles d’attaque sont orignaux. Ainsi Aïssa de Clément Trélian, présente une jeune fille à l’hôpital. On découvre que l’examen médical a pour but d’estimer l’âge de cette clandestine. Au-delà de la question souvent traitée du droit d’asile, c’est surtout l’intrusion impudique dans son corps que le médecin déconstruit cliniquement qui glace le sang. Dans Le Mozart des pickpocket, on se moque de Philippe et Richard qui veulent faire d’un petit roumain recueilli malgré eux un voleur. Le décalage des clichés réjouit. Dans Petite lumière, d’Alain Gomis, Fatima s’interroge sur la lumière dans son frigo. Le monde disparaît-il quand elle ferme les yeux ? Le film suit les interrogations existentielles de la fillette, Le film d’animation Le Mouton, de Zeina Abirached, suit à travers des lignes graphiques magnifiques le parcours d’une petite fille qui ne s’accepte pas telle qu’elle est.

Hors compétition Mais à mon sens, les deux plus grands films français mettant en scène des enfants d’origine étrangère sont Persepolis et Mustang qui jouent hors catégorie à plus d’un titre. D’abord, ils ont été filmés en France car leurs réalisatrices ne pouvaient tourner dans leur pays. Ensuite, ces deux films sont des hymnes à la liberté, à la puissance solaire de l’adolescence quels que soient les problèmes auxquels elle est confrontée, la guerre chez Satrapi où la grande - 240 -


Histoire croise l’histoire personnelle, la toute puissance du père chez Deniz Ergüven. Les drames individuels font écho aux problèmes politiques. L’appétit de vivre, la soif de liberté, l’esprit de rébellion construisent des figures d’adolescentes qui par leur profondeur et leur complexité renvoient à des figures universelles.

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POURQUOI EST-CE COMPLIQUÉ LES NOIRS ET LES ARABES DANS LA LITTÉRATURE ET LE CINÉMA ? par Dalie « Des fois, j’me sens pas à ma place. Eux et moi, on n’est pas pareil ».

Telle est la réplique de Steve Tientcheu dans le documentaire écrit et réalisé par Alice Diop. Steve est inscrit dans un cours d’art dramatique parisien, un cours prestigieux, son rêve est de jouer Danton. Et on lui réplique que Danton n’était pas noir. Malgré tout, il participe au cours, invité et toléré, moqué et encouragé. Steve Tientcheu n’avoue à personne dans sa banlieue qu’il veut devenir comédien. Le magnifique documentaire d’Alice Diop montre comment les préjugés persistent, comment la figure du Noir peut difficilement être une figure artistique et littéraire, comment les frontières du corps de l’Autre qui n’est pas blanc demeurent infranchissables. Mais, à la fin, face à l’héroïsme ordinaire de la transgression de Steve Tiencheu, on demande, voire, on s’insurge : comment pourrait-on faire pour que Danton soit noir ? La littérature par le cinéma peut-elle quelque chose ? L’image des Noirs, des Arabes, que l’on euphémise et généralise souvent sous le terme de « diversité » incluant par-là d’autres minorités qui ont leur problématique propre, est une image héritée d’une histoire du cinéma et de la littérature. L’apparition des Noirs et des Arabes dans le cinéma et la littérature écrit et réalisé par/pour des hommes blancs s’appuie sur une logique de représentation de l’autre aux multiples facettes. - 242 -


L’autre : une carte postale L’autre, pour apparaître comme autre doit se situer dans un habitat qui lui est propre. Depuis l’exotisme de l’orientalisme qui nécessitait palmier, baobab, tente, hutte, pagne, chameau, chèche et bijoux colorés (l’Autre de là-bas) jusqu’aux tours de banlieues, à l’urbanité identitaire de ces lisières aussi inquiétantes que les jungles d’antan, l’Autre requiert une couleur locale, repérable, identifiable pour créer l’effet de réel, le seul capable de dire la vérité de l’Autre. L’atmosphère réclame le décor adéquat qui fait écho à tous les médias auxquels on ajoute toujours les mêmes bandes-sons : musique tribale, derbouka, rap américain ou français, rythmique qui font osciller la tête de bas vers le haut… Si l’on trouve dans le fameux Tintin au Congo, les pires représentations coloniales attachées à une époque où le sang des insurgés est encore fumant, les auteurs d’origine étrangère portent une écriture revendicatrice et militante qui joue des mêmes effets de réels que ceux d’Hergé. La nécessité de dénoncer des réalités insupportables inscrit alors les personnages noirs ou arabes dans un milieu défini, ces mêmes auteurs regrettent d’ailleurs que le milieu de l’édition ne leur donne pas ou peu le loisir de proposer d’autres thématiques comme le note Nathalie Thiery. Elle explique que les représentations des enfants noirs sont plus nombreuses dans « un contexte non-occidental » renvoyant à une « Afrique intemporelle » dont le caractère rural n’empêche pas les problématiques de l’enfance occidentale (Noël, perte d’un doudou). Cette représentation a beaucoup de succès comme le célèbre Kirikou.

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L’autre : un fantasme et un mystère Même si le cinéma et les littératures représentent de plus en plus des hommes et des femmes issus de la diversité, les fantasmes et les mystères du passé demeurent, comme si l’on ne devait jamais abandonner les représentations collectives du XIXème siècle, comme si le cliché et le stéréotype étaient un clin d’œil nécessaire à la représentation et au récit de l’Autre. La première fixation concerne le corps et la sexualité. Les femmes orientales et les femmes noires accusent toujours une beauté exceptionnelle, un sourire éclatant, un visage aux proportions idéales. Comme pour les publicités l’Oréal, une femme représente toutes les autres dans leur érotisme animal et atavique. On retrouve aussi une répartition très clivée sur le rôle des femmes : la Mama, la femme soumise, la femme rebelle. Le corps de l’autre fascine dans ses différences qui sont sublimées ou au contraire décriées. Les hommes quant à eux offrent fantasme de puissance, agilité, force. La couleur de la peau interroge le rapport entre l’âme et l’être. L’autre se cache si facilement dans l’ombre qu’il devient facilement cet être retors, mystérieux, dangereux auquel on ne peut pas se fier. Ce mystère de l’ombre, c’est aussi celui de la magie et de la mort, ce dernier thème pourtant tabou apparaît, tout comme la vieillesse, plus naturel dans une Afrique fantasmée. Dans les représentations culturelles se jouent aussi une chorégraphie des doubles qui peut apparaître comme positive. Pourtant elle met en lumière des ressorts que l’on retrouve dans une idéologie prospère : le double qu’est l’Autre, est souvent un double inversé, il porte en lui une hostilité naturelle, innée. Il représente le repoussoir : celui que le « je » ne doit pas devenir. Le double souvent chromatiquement assombri représente l’insoutenable corruption de l’être.

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L’autre : un sauvage intolérable Parce que l’Autre est violent génétiquement, son monde est violent, il crée de la violence et ne semble pas pouvoir s’échapper de la violence. Il a aussi le goût du crime, il aime tromper et tricher, il a ça dans le sang, comme le rythme et le mysticisme malfaisant. L’image du sauvage, ancrée dans l’imaginaire depuis les fameuses expositions coloniales perdure dans des formes urbaines inscrites dans une logique mafieuse. Et il est parfois difficile pour les enfants issus de cette diversité de s’identifier en dehors de ces représentations. Les termes, comme « Babtou », lexicalisés, représentent l’Autre, le blanc. Et les comportements se clivent dans cette séparation entre le Blanc et l’Autre. L’Autre ne devant pas trahir sa nature propre et adopter les rituels et valeurs du « Babtou. »

L’autre : un colonisé et un migrant La vulnérabilité et l’infériorité de l’Autre se confondent dans un questionnement paradoxal. Les représentations de la colonisation sont rares, ceux sur l’immigration et les migrants eux sont plus nombreux. La mission coloniale resurgit dans les figures d’hommes ou d’enfants blancs qui sauvent ou aident l’Autre pour l’élever vers une égalité hypothétique et utopique. Ceux qui ne se laissent pas aider peuvent rapidement apparaître comme des ingrats qui cherchent leur égalité dans des revendications indues.

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L’Autre ne comprend pas la liberté telle qu’elle doit être du point de vue de celui qui a toujours été libre. La vision de l’Autre comme inculte et primitif tend à disparaître, même si l’on peut regretter que les modèles intellectuels soient peu présents parmi les figures de l’Autre, mais demeure cette suspicion de ne pas savoir exactement ce qui est juste et bon. Le migrant ne semble pas comprendre la crise économique et les difficultés sociales du pays dans lequel il demande le droit d’asile… Entre un misérabilisme parfois inconfortable et une dissymétrie entre phénotypes tout aussi inconfortable, la littérature et le cinéma pour la jeunesse cherchent encore à dire la diversité. « Il n’y a rien de plus pathétique pour un peuple que d’être obligé de revendiquer le simple droit à l’existence. Quand un peuple est acculé à crier sa fierté, c’est qu’il ne l’a justement pas encore acquise. »1

L’autre : un coupable qui se croit victime et une victime qui se croit coupable Cette figure du coupable souvent schématique perdure dans des représentations culturelles anciennes qui font toujours fureur, les éditeurs sont sensibles à la loi du 16 juillet 1949 révisée en novembre 1954, qui interdit la publication d’ouvrages de nature « à inspirer ou à entretenir des préjugés ethniques .» Mais l’Autre est souvent comme cet acteur Eric Oswald Stroheim, qui jouait toujours le rôle de l’espion coupable, solitaire et dangereux. Sous les traits de l’Etranger, il était surnommé « l’homme que vous aimerez haïr. ». La culpabilité rend invisibles ceux que l’on ne veut pas voir ou au contraire les force à des incarnations de coupables. Mais ce jeu-là possède aussi une double-face, car la 1

Kelman Gaston. Je suis noir et je n’aime pas le manioc, Pocket, 2010.

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notion de « victimisation » se substitue au statut de victime. La quantification de la souffrance est dépendante d’un point de vue. Reconnaître une victime de soi, c’est se reconnaître coupable, mieux vaut alors atténuer le degré de « victimisation ». Dans le même temps, c’est le seul statut offert à ceux qui ne doivent pas en espérer plus. Le serpent se mord la queue et c’est bien désagréable.

L’autre : un idéal en attente Reste le changement. Si l’Autre change ? Alors c’est le miracle attendu. Le changement est un chemin qui mène l’Autre vers soi, qui lui permet de se rapprocher d’un idéal, d’un modèle : le « je ». Souvent représenté comme une métamorphose, le changement de l’Autre en possible soi devient le refus de l’hybridité d’une nature multiculturelle pour obliger l’Autre à faire un choix. Choix qui s’avère éthique, nécessaire, vital, juste et bon. Si la rhétorique politique préfère « l’intégration » ou « l’assimilation » , les représentations montrent souvent la métaphore d’un animal dompté, dressé, d’un animal convaincu de sa sauvage différence et qui renonce à elle pour se rapprocher d’une norme fixée à l’extérieur. Les différences sont minorées pour garder une stéréotypie apparente. L’Autre devient acceptable, il demeure un problème, une problématique, car autour de lui se greffent des questions sociales insolubles, mais il est acceptable quand il rejette ce dont il a l’air ou plutôt ce dont il a l’air et qui fait peur. Le renoncement à une part de soi de l’Autre, soulage.

L’autre : un sauveur On retrouve aussi beaucoup dans les modèles fictionnels ou réalistes l’image de la surpuissance de l’Autre : l’image de sa résilience en fait le prototype du martyr ou l’archétype du symbole. L’Autre souffre, sa souffrance est un spectacle qui sauve les bons sentiments et qui sauve – quand il survit – les valeurs d’un monde qui a besoin, finalement et après - 247 -


tout, de croire en la bonté rousseauiste. L’Autre est un sauveur : quand il est sauvé, quand il se sauve, quand il s’en sort et même quand il meurt… s’il s’est bien battu. La chèvre de M. Seguin ne nous contredira pas : Blanquette aime sa liberté, elle l’aime tellement qu’elle échappe à la sécurité de l’enclos de M. Seguin pour mourir dans la gueule d’un loup maître des libres montagnes… Les enfants craignent la scène du loup et ne voient pas forcément la violence exercée par M. Seguin sous couvert de protection.

L’Autre : un fait politique, un problème social Le discours politique a influencé l’expression artistique, l’éloge du métissage a théorisé le « vivre ensemble » mis à mal par les récents évènements tragiques vécus dans le monde comme l’expression d’une impossibilité de côtoyer ou de vivre avec l’Autre. Si la littérature jeunesse, toujours et souvent novatrice, propose des universels singuliers qui n’ont rien d’une glorification naïve des bons sentiments, le cinéma, lui, traine à dire l’Autre et les autres dans un nuancier proche de la réalité. Le discours de l’Autre pour qu’il reste vendeur doit cliver, doit fournir des clés de lecture immédiate. Et c’est une lutte pour les créateurs de sortir des clichés sociaux, du politiquement correct pour raconter, dire l’Autre dans sa vérité. Que peuvent la littérature et le cinéma ? Que peuvent-ils pour déjouer l’écueil du stéréotype ? La dénonciation, la rationalisation sont incapables de lutter contre des représentations qui structurent les désirs plus ou moins conscients des uns et des autres. L’art ne peut résoudre des questions posées et déjà résolues par

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la peur de l’Autre. La stupidité et l’ignorance sont beaucoup plus puissantes à trouver des réponses acceptables que la littérature et le cinéma. Que peuvent alors cinéma et littérature ? La réponse est double, elle a même été testée pour d’autres éléments du réel : on a réussi avec la violence, le sexisme, le mal, l’injustice…. Le premier procédé est connu de toutes les agences de communication et même de toutes les structures de propagande depuis l’aube des temps : pour lutter contre la discrimination de l’Autre il faut banaliser sa présence. A la télévision, dans les arts, la politique, l’édition, non seulement les rendre visibles mais les rendre banals. Il ne s’agit pas de nier les différences mais de ne pas les considérer comme déterminantes et toute puissantes envers et contre tout. Le second procédé consiste à proposer des œuvres qui questionnent, qui amènent à l’expérience de l’Autre, là où on ne l’attend pas. Seules les œuvres qui interrogent peuvent obtenir de modifier le réel.

Le Pari d’Orphée C’est le pari d’Orphée qu’il faut faire, dussions-nous en pâtir un peu aussi, nous les médiateurs du livre. Soyons terriblement exigeants avec la création, l’ordre des choses, la nature et la société. Dans l’approche de l’altérité, il ne faut pas chercher l’œuvre idéale, mais apprendre à lire en elle les stéréotypes et leur sournoise figure. Il s’agit de croiser les lectures et d’offrir aux lecteurs de multiples facettes qui font un nuancier salvateur.

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Sans complaisance, avec intransigeance, il s’agit d’apprendre à se distancier des formes du réel présentes dans les œuvres et faire le choix de la comparaison raisonnable, celle qui ne fantasme pas, celle qui prend à hauteur de livre ce qu’est la littérature et à hauteur d’image ce qu’est le cinéma : un monde d’invention qui peut éventuellement amener à s’interroger, non à formuler des réponses. Un dernier mot pour certains organisateurs de kermesse de fin d’année en maternelle : est-ce que ce serait possible, s’il vous plaît, d’arrêter de mettre des faux-pagnes en papier crépon aux enfants et, sous couvert de multiculturalisme, de faire croire qu’en Afrique les gens sont tous noirs, nus, joyeux et que leur plaisir est d’aller chercher de l’eau au puits, de danser, de taper sur des tambours et d’écouter des histoires sous un arbre ? Ditesleur, par exemple, qu’en Afrique, il y a la Wifi…

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Bibliographie Marie-Rose Abomo-Maurin, Maurice Amuri Mpala-Lutebele, Humberto Luiz Lima de Oliveira. Voix et images de la diversité, Que peut la littérature ? Collection Comptes rendus. Edition l’Harmattan, 2013. Michele Bacholle-Boškovic, Des minorités plus visibles : réflexions d’auteurs jeunesse, Raison Publique N° 13, PUPS, 2010. Accessible en pdf : http://www.academia.edu/10269069/Des_minorit%C3%A9s_plus_ visibles_R%C3%A9flexions_d_auteurs_jeunesse Nathalie Thiery, L’Enfant noir d’ici et d’ailleurs, quelles représentations de la diversité dans les albums pour la jeunesse ?. 2016. <hal-01367661> Douglas Virginie, Littérature pour la jeunesse et diversité culturelle, L’Harmattan, 2009. Boyer Henri ( sous la direction) Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, Tome 5, Expressions artistiques. Edition L’Harmattan, 2007. Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Grasset, 1999. Albert Memmi, Portrait du colonisé, Portrait du colonisateur, Gallimard, 1985. Audrey Bonnet, Pocahontas princesse des deux mondes, Histoire, mythe et représentations, Collection « Le monde Atlantique », Les Perséides, 2006. M. Laronde, Autour du roman beur. Immigration et identité, Paris, L’Harmattan, 1993 http://www.filmsdocumentaires.com/films/4270-la-mort-de-danton

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QUELQUES EXEMPLES DU NUANCIER DE L’AUTRE, POUR INTERROGER LES REPRÉSENTATIONS ET LES RÉALITÉS PAR BÉATRICE DIARRA ET DALIE

L’effet carte postale : les contes et les légendes. Les maisons d’édition classent ces ouvrages dans l’ailleurs, un ailleurs fantasmé et mystérieux qui fait figure de géographie locale et mondiale.

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L’Autre, cet espace de curiosité et de création

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L’Autre et l’Ailleurs, comme démesure d’un réel violent et sauvage

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L’Autre, ce coupable qui s’ignore ou et/ou cette victime qui se croit coupable

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L’Autre comme victime rÊsiliente

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L’Autre : un fait politique et un problème social

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L’Autre : un colonisÊ et un migrant

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La résistance au cliché, les jeux de point de vue. Comment la modification du point de vue modifie le réel et donne une lecture Autre du réel.

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L’Autre : l’idéal et le symbole. A l’état de symbole, l’Autre est circonscrit et parfois n’envisage l’émancipation que comme un hasard providentiel.

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De la littérature au cinéma : du singulier vers l’universel singulier. Ecrire l’Autre c’est se lire soi-même dans sa singularité et dans sa capacité à devenir

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LEPar CINÉMA PIED DEFloret LA GeoffroyAU Emmanuel LETTRE Trinity et Néo(ÉPISODE apparurent comme4) par enchantement au

côté de Morphéus. Nos deux héros s’offrirent encore le luxe d’être surpris. Pourtant ils s’y connaissaient en matière d’enchantement. Trinity leur tendit un verre d’eau et Neo sortit deux pillules rouges d’une petite boîte qu’il prit dans une poche de sa veste en cuir. Rebelote ! Eclipse de lumière. Eveil brutal. Piqûres. Vapeur. Gelée. Trou noir. Des myriades d’étincelles et... Sous les yeux émerveillés d’Albus, apparaît l’atelier de Méliès. Tous les décors, les costumes, une foule de dames qui peignent les pellicules une par une, pour que naisse la couleur… Monsieur Méliès en personne qui hurle derrière son bureau. Et derrière la fenêtre ouverte, le tout Paris qui va bon train. Les deux amis passèrent la journée à regarder, à s’émerveiller d’une ville et d’une époque qu’ils ne connaissaient pas et à éviter les chats car Albus avait bien spécifié au départ qu’il « aimerait être une petite souris pour mieux observer ». S’il avait su ! Scorpius le ramena sur terre en lui faisant valoir qu’ils allaient être en retard pour l’entraînement. Albus se résolut à quitter l’atelier pour rejoindre le lieu de rendez-vous qu’ils avaient fixé avec Morphéus. Mais ce n’est pas Morphéus qui les y attendait. C’était un homme de belle prestance, au visage durci par des lunettes noires et une forte mâchoire, puissant dans son costard sombre. « Qui … Qui êtes-vous? demandèrent les deux sorciers. M. Potter, M. Malefoy, veuillez m’accorder un moment, je vous prie. Je suis l’agent Smith. Vous êtes entrés en contact direct avec - 262 -


« Je peux cependant remédier à cette situation… … Aidez-moi à traquer ce pirate du net et à le traduire en justice et je vous rebrancherai, ce qui vous permettra de retourner à votre Réalité. Ou alors, nous vous laisserons errer à jamais dans le cyberespace. » Les jeunes gens s’observaient, muets. Attendant sans doute que le réveil sonne. Durant l’éternité pendant laquelle ils mesurèrent la complexité de la situation, un large sourire sans joie fendit le visage de l’agent Smith. Et c’est à cet instant précis, qu’au loin, très loin derrière eux, ils entendirent : « En retard ! En retard. Toujours en retard… Pas le temps. En retard… »

Fin. Note de l’auteur : Ce texte a été pensé et écrit en juillet 2016, avant que ne paraisse le dernier livre de JK. Rowling, « Harry Potter et l’enfant maudit » et avant qu’on ait découvert le film inédit de Méliès. Prague redécouvre un film de Georges Méliès que l’on croyait perdu www.lefigaro.fr › CULTURE 11 oct. 2016 - Par AFP agence , Inès Daif; Publié le 11/10/2016 à 18:16 ... Match de prestidigitation du réalisateur français Georges Méliès sorti en 1904 est réapparu à la faveur d’un don ...

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(ÉPISODE 5)

Albus et Scorpius pâlissaient à vue d’œil. Avaient-ils tout perdu, leur famille, leur école, leurs amis, le quidditch ? Ils ne retrouveraient jamais leur monde ? Mais que deviendrait le monde sans eux ? Un territoire moldu sans les sorciers ? Que deviendrait le Réel sans échappatoire ? Que serait-on sans le secours de l’imaginaire ? De l’utile, du rationnel, du pragmatique… Oh quel mot affreux ! Plus d’enchantement ? Plus de rêve ? On ne serait plus capable de sublimer le réel ? A quoi ressemblerait l’Espace-Temps, la belle étoffe déformable d’Einstein sans mystère, sans fantaisie, sans poésie ? Un décor littéralement nu et raide, sans histoires et sans cinéma ? Cette perspective vertigineuse les liquéfiait. Ils se sentaient fondants comme la banquise.

LE CINÉMA AU PIED DE LA LETTRE

le terroriste connu sous le nom de Morphéus. Et maintenant vous voulez retourner dans votre réalité. Mais sachez, jeunes gens, que pour vous implanter dans son programme, il vous a déconnecté de la Matrice. Ce qui empêche pour vous tout retour dans votre monde.»


FESTIVALS, LITTÉRATURE ET CINÉMA

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FESTIVAL LITTÉRATURE AU CENTRE Ça Tourne !

par Sylviane Coyault, Présidente de Littérature au Centre d’Auvergne Les rencontres Littérature au Centre, organisées chaque année fin mars début avril, fédèrent dans la Cité, sous la bannière de la littérature, des écrivains, des universitaires, des critiques littéraires, des éditeurs, des libraires, des artistes. Adossées à la recherche universitaire contemporaine en littérature, elles se donnent pour objectif de faire partager une lecture vivante au public le plus large possible (tous âges et tous milieux socioculturels). Elles concernent aussi tout particulièrement les élèves, les étudiants, les professeurs (de la maternelle à l’université), les bibliothécaires, les journalistes. Ces rencontres, adossées à une librairie éphémère et liées à la formation, consistent généralement en conférences, tables rondes suivies de séances de dédicaces, lectures et spectacles (avec des artistes professionnels), ateliers… « Littérature au Centre 2017 : Ça tourne ! Les rencontres LAC 2017 confrontent l’écriture et le cinéma selon les perspectives les plus variées possibles : adaptations d’œuvres littéraires, expérience d’écrivains réalisateurs, utilisation des techniques de cinéma dans les romans, biopics d’écrivains ; usage du témoignage et de la fiction dans les deux arts… Autour de la Présidente d’honneur, Marie-Hélène Lafon, seront présents 18 auteurs, des cinéastes, scénaristes, spécialistes de littérature et cinéma et, comme chaque année, des comédiens, musiciens, vidéastes pour mettre la littérature en musique, en images, en spectacle. Les rencontres ont été conçues en partenariat avec d’autres manifestations clermontoises dont la Semaine du cinéma hispanique, la Semaine de la poésie, des cinéclubs et cinémas clermontois, la médiathèque Croix-de-Neyrat, le collège Gérard Philipe, le lycée Blaise Pascal, et de nombreux autres partenaires… Des revues littéraires font aussi leur cinéma, comme Terres d’encre, (SUC), Plumes d’ailes et mauvaises graines. Les rencontres impliquent également les étudiants de l’université Clermont Auvergne – de licence, masters – et des associations étudiantes… À eux tous, au bureau de LAC d’Auvergne, aux équipes des différentes structures impliquées, et aux nombreux bénévoles : un grand merci ! Et… Que la fête commence ! » Editorial du programme 2017

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LES ÉCRIVAINS INVITÉS, LES ŒUVRES À LIRE, François BEGAUDEAU (1971, Luçon) Écrivain, critique littéraire et de cinéma, essayiste, dramaturge, auteur de BD, il utilise l’humour dans un objectif pédagogique. L’éducation est au centre de son troisième roman, Entre les murs, qu’il participe à adapter au cinéma en 2008. Ce film, dans lequel il joue le rôle d’un professeur de collège en ZEP, obtient la Palme d’or au festival de Cannes. Bibliographie : Antimanuel de littérature, Bréal, 2008, Deux singes ou ma vie politique, Verticales, 2013, Molécules, Verticales, 2016.

Didier BLONDE (1953, Paris) Auteur passionné de fantômes, d’intrigues et d’enquêtes, il privilégie les thèmes du souvenir et de la mémoire, propices à l’univers cinématographique. Il intervient dans Arsène, le documentaire de Lucien Dirat et Nathan Miller sur Arsène Lupin (Arte, 2000). Il est consacré par le prix Renaudot de l’essai en 2015 pour Leïlah Mahi 1932. Bibliographie : Faire le mort, Gallimard, 2001, Le Lieu du crime, La Pionnière, 2009.

Stéphane BOUQUET (1968, Paris) Écrivain, scénariste et critique de cinéma, il a également participé, en tant que danseur, à une création chorégraphique de Mathilde Monnier (2002). Mais il est avant tout poète. Pour lui, écrire est la tentative de répondre des questions très simples : qu’est-ce qu’une vie, une juste vie, et comment la vivre ? Et comment être vraiment vivant ? Bibliographie : Le Mot frère, Champ Vallon, 2005, Les Amours suivants, Champ Vallon, 2013, Vie commune, Champ Vallon, 2016.

Philippe CLAUDEL (1962, Dombasle-sur-Meurthe) Auteur de nombreux romans, nouvelles et pièces de théâtre, il est aussi scénariste et réalisateur de plusieurs films dont Il y a longtemps que je t’aime, qui a reçu le César du Meilleur premier film. Il a participé en 2005 à l’adaptation de son roman Les âmes grises. En littérature comme au cinéma, dans une atmosphère souvent sombre, il met au premier plan la psychologie des personnages. Bibliographie : Les Âmes grises, Stock, 2003, Le Rapport de Brodeck, Stock, 2007. Filmographie : Il y a longtemps que je t’aime, 2008, Une Enfance, 2015

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À REGARDER, À SAVOURER : Marie DARRIEUSSECQ (1969, Bayonne) Psychanalyste, romancière, elle a la particularité d’écrire depuis l’âge de six ans. Ses personnages, saisis de l’intérieur avec une grande finesse psychologique, bousculent les lieux communs sur la sexualité, le rôle de la femme. Elle est lauréate du prix Médicis en 2013 pour son roman Il faut beaucoup aimer les hommes. Bibliographie : Truismes, P.O.L, 1996, White, P.O.L, 2003, Clèves, P.O.L, 2011.

Pierre GARRIGUES (1952, Oran) Poète, il est aussi professeur à l’université de Tunis. Sa poésie s’inscrit avec prédilection dans l’espace méditerranéen et prouve que les formes fixes n’ont rien perdu de leur éclat. Bibliographie : Fragments du désamour, L’Harmattan, 2004, De l’usage variable des cafés tunisois, Encres vives, 2006 ; Les Rivages de mémoire, L’Arrière-Pays, 2006.

Christophe HONORE (1970, Carhaix) Il s’adresse principalement dans ses romans à un jeune public en abordant notamment les thèmes du suicide, du SIDA et de l’homosexualité. Réalisateur et critique de cinéma, il adapte en 2002 son roman Tout contre Léo et en 2016 Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur. Bibliographie : Tout contre Léo, L’École des Loisirs, 1996, Un enfant de pauvres, Actes Sud, 2016. Filmographie : Ma mère, 2004, La Belle personne, 2008. Maylis de KERANGAL (1967, Toulon) Romancière et éditrice de littérature de jeunesse passionnée de lectures, elle reçoit en 2010 le prix Médicis pour Naissance d’un pont. Anton Tchekhov lui inspire le titre de Réparer les vivants, sur le thème du don d’organes. Récompensé par de nombreux prix en 2014, ce roman a fait l’objet d’adaptations au théâtre et au cinéma en 2016. Bibliographie : Dans les rapides, Verticales, 2007. Corniche Kennedy Verticales, 2008.

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Marie-Hélène LAFON (1962, Aurillac) Présidente d’honneur de l’association LAC Auteure d’une vingtaine de romans et nouvelles, elle met en scène, dans un décor essentiellement rural inspiré de sa région natale, des personnages dotés d’une réelle présence corporelle, tels des acteurs devant une caméra. L’adaptation télévisée de son roman L’Annonce, où domine la gestuelle, est proche de son écriture. Bibliographie : Les Pays, Buchet/Chastel, 2012, Joseph, Buchet/ Chastel, 2014, Histoires, Buchet/Chastel, 2015.

Fabrice COLIN (1972, Paris) Écrivain, scénariste, il est passionné par la fantasy, la science-fiction, l’univers du polar. Auteur de romans pour adultes et pour la jeunesse, il écrit aussi des nouvelles, des scénarios de BD, des dramatiques radiophoniques pour Radio France. Il est directeur éditorial des éditions Super 8. Bibliographie : Neuvième cercle, Mnémos, 1997, La fonte des rêves, J’ai lu, 2003), CyberPan, Paris, Mango Jeunesse, 2003, Grand Prix de l’Imaginaire 2004, La poupée de Kafka, Actes Sud, 2016.

. Christine MONTALBETTI (1965, Le Havre) Romancière, nouvelliste et dramaturge, elle décrit minutieusement dans ses œuvres paysages et objets du quotidien. Son écriture très visuelle apparente ses romans à de véritables scénarios dans lesquels à l’histoire s’ajoutent des précisions sur les décors et les objets. Son roman Western est un pastiche humoristique du genre cinématographique éponyme. Bibliographie : Le Cas Jekyll, P.O.L., 2010, La Vie est faite de ces toutes petites choses, P.O.L., 2016. Marie NIMIER (1957, Paris) Marie Nimier met son expérience au service de nombreuses formes de création artistique : romans, pièces radiophoniques, œuvres pour la jeunesse, chanson. Son écriture imagée a permis l’adaptation cinématographique par Irène Jouannet de son roman L’hypnotisme à la portée de tous sous le titre Dormez je le veux. La sortie du film Barrage, dont elle a co-écrit le scénario, est prévue cette année. Bibliographie : La reine du silence, Gallimard, 2004, La Plage, Gallimard, 2016.

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Pierre PRESUMEY (1952, Le Puy) Professeur de lettres classiques, poète et traducteur, il est passionné par l’Italie et la littérature antique, il a écrit sur les bêtes, la mémoire, le rugby et le cinéma : il a publié Lotte a les yeux bleus à propos de La Grande Illusion, de Jean Renoir. Bibliographie : Le Grand garçon, Pré#carré, 2010, Bêtes, Hauteur d’homme, 2013, Tout ce qu’on peut, Hauteur d’homme, 2015.

Thierry RENARD (1963, Lyon) Auteur d’une trentaine de recueils poétiques, il travaille à la diffusion de la poésie contemporaine : dans des maisons d’édition, à l’espace Pandora de Vénissieux, en tant que président de la Semaine de la poésie de Clermont-Ferrand. Formé au théâtre, il est aussi performeur. Il a participé en 2015 à l’hommage collectif à Pasolini : Un printemps sans vie brûle (éd. la passe du vent). Bibliographie : Canicule et vendetta, Le bruit des autres, 2013, Œuvres poétiques t.1, La Rumeur libre, 2016. Olivia ROSENTHAL (1965, Paris) Romancière et dramaturge, elle explore la nature humaine jusque dans ses instincts primaires et s’interroge sur l’émotion que l’art peut provoquer ou sur l’influence du cinéma dans notre vie. Certaines de ses nouvelles donnent naissance à des courts-métrages : Les Larmes, Tous les adultes ne sont pas méchants. En 2016, elle publie Toutes les femmes sont des Aliens autour de quelques films fondateurs. Bibliographie : Les Félins m’aiment bien, Actes Sud, 2004, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, Verticales, 2012.

Jean-Luc SEIGLE ( Puy-de-Dôme) Romancier, scénariste (pour le cinéma et la télévision) et dramaturge, il est cofondateur de la revue Synopsis et du conservatoire d’écriture. Bibliographie : En vieillissant les hommes pleurent, Flammarion, 2012, Excusez-moi pour la poussière, Flammarion, 2012, Je vous écris dans le noir, Flammarion, 2015. Scénarios : Pourquoi maman est dans mon lit ? de Patrick Malakian, 1994, Les Convoyeurs attendent de Benoît Mariage, 1998.

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Tanguy VIEL (1973, Brest) La plupart de ses œuvres reposent sur un suspense, des procédés et des motifs, comme le hold-up ou le mythe du gangster, qui rappellent les polars cinématographiques. De nombreuses références au cinéma ponctuent son œuvre : L’Absolue perfection du crime fait écho au film Le Crime était presque parfait de Hitchcock. Bibliographie : Black note, Edition de Minuit, 1998, La Disparition de Jim Sullivan, Edition de Minuit, 2013.

Éric VUILLARD (1968, Lyon) Écrivain, scénariste et réalisateur. Il admire la beauté du monde et interroge la violence des hommes. Son œuvre romanesque permet de vivre l’Histoire, les guerres, la prise de la Bastille au plus près des protagonistes et de leurs actions. Le Chasseur, Michalon, 2000, Tohu, Léo Scheer, 2005, 14 Juillet, Actes Sud, 2016. Films : La Vie nouvelle, 2002, Matéo Falcone, 2008. En savoir plus, participer, suivre l’actualité : https://litteratureaucentre.wordpress.com/

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Contact et informations Littérature au centre d’Auvergne 29 boulevard Gergovia 63000 Clermont-Ferrand Tel. 06.87.53.35.09 lacdauvergne@gmail.com http://www.litteratureaucentre.net/ Service Université Culture Tel. 04.73.34.66.03

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FESTIVAL PLEIN LA BOBINE Le Festival international du cinéma jeune public du massif du Sancy Plein la Bobine, un rendez-vous à ne pas manquer tous les ans à la Bourboule. Prochain Festival : du 27 mai au 2 juin 2007! Interview de GUILLAUME BONHOMME

PAMG : Quels sont les enjeux de votre Festival ? Plein la Bobine permet à ses spectateurs, et notamment aux jeunes publics, de bénéficier d’une programmation cinématographique de qualité adaptée à l’âge de chacun, tout en les faisant profiter d’ateliers pédagogiques, de rencontres avec les artistes invités, d’expositions liées au cinéma ou à la thématique de l’année (Duos / Duels en 2017). PAMG : Quels sont les secrets de votre Festival ? Plein la Bobine, c’est avant tout le festival des enfants. L’association travaille avec de nombreux groupes d’enfants tout au long de l’année scolaire. Certains seront de véritables petits professionnels du cinéma durant la manifestation : trois classes jury remettent leur prix aux films en compétitions, un groupe de graines de programmateurs présente un programme sélectionné par leurs soins, une classe presse endosse le rôle de journalistes au cœur de l’évènement tandis qu’un plateau télé réalise interviews et reportages. Depuis 2016, une école de musique monte et compose un ciné-concert présenté lors de l’ouverture ou la clôture du festival. Ainsi, Plein la Bobine implique les enfants et leur permet de s’approprier leur festival.

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PAMG : Quelle est l’empreinte de la littérature dans le cinéma d’animation ? De nombreux courts métrages, notamment en direction des plus jeunes, sont des adaptations de livres jeunesse ou de contes. Primés en 2016, La soupe au caillou est un bon exemple d’adaptation de grande qualité d’une œuvre littéraire jeune public, de même que La Moufle, un conte prisé des enseignants. Mille-pattes et Crapaud, en sélection officielle de Plein la Bobine en 2014, représente, quant à lui une adaptation réussie d’un conte peu connu dans notre culture. Depuis 2014, la collection « En sortant de l’école » connaît un beau succès : avec déjà trois saisons autour de Jacques Prévert, Robert Desnos puis Guillaume Apollinaire, des étudiants en écoles de cinéma d’animation françaises adaptent en courts métrages les œuvres de ces poètes. PAMG : Comment travaillez-vous avec le monde scolaire, quels sont pour vous les enjeux de l’éducation à l’image ? Entre quinze et vingt classes, dites «classes à projet» sont chaque année suivies durant l’année scolaire afin de préparer leur rôle lors du festival. Cela représente un travail de fond, fait de nombreuses interventions et d’un suivi attentif des élèves, parfois sur plusieurs années. Au-delà de cette intense activité en milieu scolaire, les propositions éducatives de l’association Plein la Bobine bénéficient pour une part importante à des jeunes en zone rurale, plus éloignés de l’offre culturelle que peut offrir une agglomération par exemple. Le festival et sa tournée régionale Plein la Bobine en Balade participent à une dynamique de territoire et veut favoriser cet accès de tous à la culture.

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PAMG : Quelles sont les attentes des enfants qui fréquentent le Festival ? Nous pensons que les enfants doivent être considérés comme des spectateurs à part entière, et qu’il nous faut faire appel à leur intelligence, leur humour et leur grande liberté d’esprit. C’est l’exigence que se fixe l’équipe de Plein la Bobine dans sa programmation, et qui nous permet de défendre des films «jeunes publics» comme des œuvres à part entière, à même de satisfaire petits et grands. Les retours très positifs que nous recevons de nos publics nous confortent dans cette direction, et nous pensons que nos jeunes spectateurs sortent enrichis des séances de films, rencontres avec les auteurs ou ateliers pédagogiques que nous leur proposons. PAMG : Si vous deviez conseiller des adaptations, des films pour une médiathèque idéale, quels seraient vos choix ? Pour ce qui est des courts métrages, c’est tellement vaste ! Peut-être pourrions-nous vous faire partager des coups de cœurs récents : La Chasse au dragon d’Arnaud Demuynck, Compte les moutons de Frits Standaert, et du côté du long métrage : Ernest et Célestine de Stéphane Aubier, Vincent Patar et Benjamin Renner.

PAMG : Comment s’annonce la prochaine édition ? Cette année Plein la Bobine fêtera sa 15e édition avec une thématique Duos / Duels des plus stimulantes : duel de programmateurs jeunes publics, duos d’illustrateurs côté exposition... et bien entendu toute une programmation centrée sur cette thématique.. Nous abordons cet anniversaire avec enthousiasme et serons ravis de vous accueillir nombreux à La Bourboule du 27 mai au 2 juin ! Plus d’info, ici : http://www.pleinlabobine.com/

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GUILLAUME BONHOMME, ANNE LEYMARIE, MANON GUERIN, ET SÉBASTIEN MAURAS

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LES CONSEILS DES LIBRAIRES, LECTEURS ET CINÉPHILES

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LES CONSEILS DE MORGANE DE LA LIBRAIRIE

IL ÉTAIT UNE FOIS À BILLOM Billom, en voilà un bel endroit pour venir flâner. Si vous avez un peu de temps avec vous, vous pouvez même venir pousser la porte de la librairie « Il était une Fois », pour quelques minutes ou quelques heures. Parfois même vous trouverez là un auteur, un illustrateur ou un éditeur venu prendre un café et discuter. Morgane et Cyril vous accueillent, vous conseillent ou vous laissent fureter dans les étagères. Des albums pour petits et grands, des Morgane MERLE BARGOIN romans, des bandes-dessinées, des livres sur la région… un peu pour tous les goûts. Librairie Il Etait Une Fois, 4 rue Antoine Moillier 63160 Billom 04 73 68 34 98 - contact@librairie-iletaitunefois.fr 14 nouvelles publiées en 1921 par Louis Delluc, journaliste, écrivain et grand critique et théoricien du cinéma. Il évoque avec humour et poésie les coulisses du tournage d’un art en plein essor au sortir de la guerre, mettant en scène un banc de poissons interloqués observant une caméra sous-marine, un chat amoureux de son ombre en vedette d’un documentaire ou encore un homme jaloux d’un téléphone. La jungle du cinéma de Louis Delluc aux éditions du Sonneur. Paru en septembre 2016. Qui sait aujourd’hui que Céline, Malraux, Sagan ou encore Giono au-delà d’être de grands auteurs se sont frottés au monde du cinéma ? Parfois scénaristes, dialoguistes et même réalisateurs, ils ont fait ce pont avec le 7e art à la rencontre du succès ou dans l’indifférence générale mais dans tous les cas avec passion. Un livre qui nous plonge intimement dans les liens entre littérature et cinéma.

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La quête d’un ex-agent du FBI pour le compte du plus grand collectionneur du monde de films d’horreur et de science-fiction. M. Mc Kenzie devra mettre la main sur l’ultime pièce qui manque à cette collection : une copie de Londres après minuit, réalisé en 1927 par Tod Browning et perdu depuis qu’un incendie a réduit en cendres un entrepôt de la MGM en 1967. Basé sur un très bon travail de documentation ce roman retrace une partie de l’histoire du cinéma et interroge sur le lien entre cinéma et mémoire. Une enquête passionnante. Londres après minuit de Augusto Cruz publié en folio chez Gallimard en décembre 2016. « On appelle « New Hollywood » cette jeune génération politisée de réalisateurs, notamment par la guerre du Vietnam, qui a pris d’assaut à la fin des années 60 les inaccessibles grands studios d’Hollywood. Ce véritable essai en bande dessinée nous éclaire sur cet âge d’or et revient sur les points communs qui lient les oeuvres de Scorsese, Coppola, Altman, Peckinpah, Romero, Woody Allen et bien d’autres... » Éditions le Lombard Le nouvel Hollywood de Jean Baptiste Thoret aux éditions du Lombard, paru en mai 2016

Un beau petit roman sur l’histoire d’Alice Guy qui réalisera plus de 400 courts-métrages destinés à faire vendre les premiers appareils de projection de la maison Gaumont. Elle restera pourtant méconnue dans l’histoire du cinéma alors que cette jeune passionnée et pionnière aura contribué à la naissance du cinéma et à sa démocratisation. Une belle manière également de mettre en lumière l’ambiance et l’effervescence de cette époque. Mademoiselle Alice qui inventa le cinéma de Sandrine Beau aux éditions Belin, paru en avril 2016.

L’aventure de Noémie qui décide de participer au casting d’un tournage ayant lieu dans son village et qui, prise pour l’un des rôles principaux, va découvrir les coulisses du cinéma. Un court et beau roman sur l’affirmation de soi et la magie de la découverte des dessous du 7e art. Noémie superstar ! de Anne-Laure Bondoux aux éditions Syros, paru en janvier 2017.

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LES SUGGESTIONS D’EMILIE GUITREAU Parfois, des films peuvent donner naissance à des albums jeunesse, comme les Disney®. Parfois, à l’inverse, des albums peuvent engendrer des films, souvent d’animations - comme Le Gruffalo, La sorcière dans les airs, Monsieur Bout de bois (édités chez Gallimard jeunesse), ou Les Trois Brigands (édité chez École des Loisirs) – ou s’en inspirer largement – comme le film d’animation Le Petit Prince paru en 2015. Il arrive aussi que l’univers cinématographique s’invite dans les albums jeunesse, sans lien avec un film déjà existant. Ce sera sur ces derniers que nous nous attarderons. A l’affiche en jeunesse : On tourne ! De : Jean-Charles Sarrazin et Cathy Bernheim, Editions : Ecole des Loisirs, collection Archimède. Avis Spectateurs : **** 4,2 Synopsis et détails : Virgile, un petit garçon dont les parents travaillent dans le milieu du cinéma, se réveille en pleine nuit. Il se rend alors compte que sa maison a été investi pour un tournage auquel participe son père et sa mère. Un bel album pour expliquer les métiers du cinéma à partir de 3 ans. Kiki en Amérique De : Vincent Malone et Jean-Louis Cornalban Editions : Sarbacane. Avis Spectateurs : *** 3,8 Synopsis et détails : Kiki et ses amis arrivent en Amérique ! Après quelques aventures, dont un passage en prison, voilà que notre héros déjanté décroche un premier rôle au cinéma.Il va alors vivre une vie de star avec tout ses revers... George le dragon De : Geoffroy de Pennart Editions : École des Loisirs, collection Kaléidoscope. Avis Spectateurs : ***** 4,6 Synopsis et détails : Au grand malheur de Georges le dragon, la princesse Marie et le chevalier intrépide décident de se marier. Il est temps pour notre dragon de partir et de les laisser roucouler. En voulant prendre le train, Georges va se faire repérer par un réalisateur et devenir acteur ! Le succès est immédiat. Seulement, assez rapidement, sans savoir pourquoi, il deviendra incapable de cracher du feu, ce qui risque de ruiner sa carrière...

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Poka et Mine au cinéma De : Kitty Crowther Editions : Ecole des Loisirs, collection Pastel. Avis Spectateurs : *** 3,8 Synopsis et détails : Poka veut emmener la petite Mine au cinéma, mais cette dernière insiste pour amener également ses peluches qui n’ont jamais été dans une salle cinéma. Une nouvelle aventure touchante des deux mouches. Louise de New York l’actrichanteuse De : Jean Poderos et Gaia Guarino Editions : Courtes et Longues Avis Spectateurs : *** 3,8 Synopsis et détails : Louise sait danser, chanter, faire des claquettes et jouer la comédie : c’est une actrichanteuse ! La pétillante petite fille va donc tout naturellement se présenter à une audition pour un premier rôle dans les studios d’Hollywood. Le chien et la lune De : Alice Barberini, Editions : Ane Bâté Avis Spectateurs : **** 4,2 Synopsis et détails : Un chien de cirque tombe en amour devant un élément de décor de cinéma laissé à l’abandon : une lune en plâtre. Il va alors décider de la garder . Les illustrations de cet album sont superbes. On est touché par son réalisme et son expressivité. Et surtout, on aime l’hommage fait au début du cinéma français et plus particulièrement au film de 1902 Voyage dans la lune du réalisateur français Georges Méliès.

Bonne séance à tous ! Emilie GUITREAU / Libraire rayon JEUNESSE emilie.guitreau@lesvolcans.coop

80 Bd Francois Mitterrand 63000 Clermont-Ferrand Tel. 04.73.43.66.56 Fax. 04.73.35.17.70

La librairie SCOP Les Volcans est une librairie généraliste indépendante qui a la particularité d’être un lieu bien ancré dans la vie des clermontois vu qu’avec sa petite quarantaine, elle a vu grandir beaucoup de clermontois ; mais elle se distingue aussi par sa reprise par douze employés sous forme de SCOP (société coopérative et participative) il y a un an et demi. Maintenant l’équipe comprend environ 35 salariés. Elle a un rayon jeunesse important, tenu par deux libraires passionnées, Stéphanie et Emilie. Vous y trouverez bien sûr du livre sous toutes ses formes : livre-tissus, albums, romans, documentaires, pop-up... mais aussi du jeu.

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JULIEN ET HARRY POTTER LECTEUR ET CRITIQUE ( CM2 ) Les livres de Harry Potter développent l’imagination parce qu’en lisant les livres on s’imagine les décors, les personnages, les animaux … Alors que dans les films on n’a pas besoin de se les imaginer, et on est des fois étonné de voir des décors ou des personnages complètement différents de ce que l’on croyait. Des fois dans les films, on saute ou on modifie des passages comme dans le tome 4 après que les 4 champions apprennent en quoi consiste la 3ème tâche, Victor Krum retient Harry pour parler avec lui. Ils parlent et se baladent en même temps. Quand soudain ils tombent sur le corps inanimé de M.Croupton, Harry court chercher un professeur tandis que Victor reste sur place, quand Harry revient avec Dumbeldore et d’autres professeurs, Victor est assommé et le corps de M.Croupton a disparu. Dans le film Harry se balade avec Hermione et Hagrid et il découvre le corps inanimé de M.Croupton. Je trouve qu’en français le film n’est pas très bien parce que les voix ne sont pas belles par exemple dans le 4ème tome ( Harry Potter et la coupe de feu ) les élèves de l’école de Beauxbatons sont françaises et on ne voit pas la différence de voix . Le troisième film de Harry Potter (Le Prisonnier d’Azkaban ) est le mieux fait de tous les films car il ressemble beaucoup au livre. Les animaux sont bien représentés par rapport au livre. Je vous conseille de lire toute la série « Harry Potter » et après de regarder les films car si on regarde les films en premier, on a plus d’imagination.

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SUGGESTION D’ADAPTATIONS CINÉMATOGRAPHIQUES POUR LE LYCÉE DE FLORENTIN FELLER Jean COCTEAU La Belle et la Bête LePrince de Beaumont Conte, Merveilleux 1946 Alfred HITCHCOCK Rébecca Daphné du Maurier Drame 1940 Elia KAZAN Un tramway nommé désir Tenessee Williams Mélodrame 1951 Louis MALLE Zazie dans le métro Raymond Queneau Comédie, enfance 1960 René CLÉMENT Plein soleil Patricia Highsmith, Monsieur Ripley Drame, thriller 1960 Blake EDWARD Diamants sur canapé Truman Capote Comédie 1961 François TRUFFAUT Fahrenheit 451 Ray Bradbury Science-fiction 1966 Stanley KUBRICK 2001 : l’odyssée de l’espace Arthur C. Clarke Science-fiction 1968 Jacques DEMY Peau d’âne Charles Perrault Conte, Merveilleux 1970 Steven SPIELBERG Les Dents de la mer Peter Benchley Horreur, suspens 1975 Brian de PALMA Carrie Stephen King Drame, Horreur 1976 Ariane MNOUCHKINE Molière Biographie, Histoire 1977 Ridley SCOTT Blade Runner Philip K. Dick Science-fiction 1982 J.J. ANNAUD Le Nom de la rose Umberto Eco Histoire 1986 Stephen FREARS Les Liaisons dangereuses Choderlos de Laclos Sentiments 1988 Claude CHABROL Madame Bovary Gustave Flaubert Drame, Sentiments 1991 J.J. ANNAUD L’Amant Marguerite Duras Sentiments 1992 Sydney POLLACK La Firme John Grisham Thriller 1993 Patrice CHÉREAU La Reine Margot Alexandre Dumas Drame, Histoire 1994 Neil JORDAN Entretien avec un vampire Anne Rice Drame, Fantastique 1994 Claude CHABROL La Cérémonie Jean Genet Drame, Fait divers 1995 J.P. RAPPENEAU Le Hussard sur le toit Jean Giono Drame, Histoire 1995 Baz LUHRMANN Roméo + Juliette William Shakespeare Drame 1996 Curtis HANSON L.A. Confidential James Ellroy Policier, Thriller 1997 Ang LEE Tempête de glace Rick Moody Drame 1997

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Barry LEVINSON Sphère Michael Crichton Fantastique 1998 David FINCHER Fight club Chuck Palahniuk Thriller, Satire 1999 Sofia COPPOLA Virgin Suicides Jeffrey Eugenides Drame, Adolescence 1999 Danny BOYLE La Plage Alex Garland Drame, Voyage 2000 Steven SPIELBERG Minority report Philippe K. Dick Anticipation, Sciencefiction 2002 Terry ZWIGOFF Ghost world Daniel Clowes BD, Adolescence 2002 David FRANKEL Le Diable s’habille en Prada Lauren Weisberger Comédie 2006 Guillaume CANET Ne le dis à personne Harlan Coben Thriller 2006 Régis WARGNIER Pars vite et reviens tard Fred Vargas Thriller 2007 Gus VAN SANT Paranoid Park Blake Nelson Drame, Adolescence 2007 Marion LAINE Un coeur simple Gustave Flaubert Drame 2007 Claude MILLER Un secret Philippe Grimbert Drame, secret de famille 2007 Christophe HONORÉ La Belle personne La Fayette, La Princesse de Clèves Comédie dramatique 2008 Jan KOUNEN 99 francs Frédéric Beigbeder Comédie, Satire 2008 Rithy PANH Un barrage contre le Pacifique Marguerite Duras Drame, Biographie 2008 Mona ACHACHE Le Hérisson Muriel Barbéry Philosophie, réalisme 2009 Zabou BREITMAN No et moi Delphine de Vigan Enfance, famille, réalisme 2010 Cary FUKUNAGA Jane Eyre Charlotte Brontë Drame, Romantisme 2011 David FINCHER Millenium Stieg Larsson Thriller 2011 Pedro ALMODOVAR La Piel que habito Thierry Jonquet, Mygale Thriller, fantastique 2011 Jacques AUDIARD De rouille et d’os Craig Davidson Drame 2012 Margaret WILLIAMS Hamlet William Shakespeare Drame 2015 Justin KURZEL MacBeth William Shakespeare Drame 2015

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Littérature et cinéma, quand les professeurs en parlent sur les réseaux sociaux à la demande de Plumes d’Ailes et Mauvaises Graines J’aime

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GL. M. Oh mon dieu... mais c’est un sujet infini. Adaptations réussies voire TRÈS réussies pour moi : Sa Majesté des Mouches de Golding / PeterBrook, et Shining de Stephen King / Kubrick. Idem pour 2001 et L’Odyssée de l’espace et La Planète des singes mais ce n’était pas difficile.... J’aime celles qui adaptent le livre et le processus d’écriture : De sang-froid/ Truman Capote» ou Mrs Dalloway/ The Hour.

Florentin Feller Les derniers Burton sont vraiment des daubes d’une laideur infinie...

Ladie Merilin Si tu pars avec une perspective historique, ça peut être intéressant. J’aime beaucoup les adaptations de Jean Delannoy, c’est mon côté kitsch, avec notamment La Princesse de Clèves ou La Symphonie pastorale ! L’adaptation était dans l’air du temps. D’ailleurs les adaptations de Renoir - bien qu’en noir et blanc S. N. J’ai adoré The Hours !!! fonctionnent très bien, je songe à La Ladie Merilin Sinon paradoxalement, Bête humaine. les adaptations pas réussies sont aussi d’excellents supports pédagogiques, je Ladie Merilin Il y a aussi les adaptations pense à l’horrible Madame Bovary de de bandes dessinées, par exemple Chabrol ou aux diverses daubes sur Le Nausicaa et la vallée du vent, Gen d’Hiroshima, Ghost in the shell et Rouge et le noir... l’immonde truc que veut nous pondre Florentin Feller c’est vrai qu’on peut Besson... ajouter The Hours et De sang-froid qui .M. Vi Je n’ai pas aimé Tess mais j’adore sont de bonnes adaptations... Breakfast at tiffany’s. Les adaptations des A. R. Le dernier Tim Burton sur Miss Jane austen par la BBC sont discutables Pérégrine et les enfants particuliers : (mais Colin Firth est magique en Darcy). noms des personnages échangés, et Je rejoins les collègues sur The Hours quelle perte en richesse d’univers par que j’ai adoré. rapport aux romans. Une déception pour moi. Mais film apprécié par mon Ladie Merilin Il y a Lost in la mancha compagnon qui n’avait pas lu les livres. une mise en abyme malgré elle, délire ! J’ai une tendresse pour La Mouette et Le Ladie Merilin Généralement Tim Buron chat qui lui apprit à voler. adapte mal : je trouve ses adaptations de Roald Dahl très décevantes et ne Mathilde Vi Ah et Audrey Tautou en parlons pas d’Alice, un scandale, il vaut Thérèse Desqueyroux, j’ai trouvé que ça allait pas mal. Le Lion de Kessel par Alain mieux le Disney !! - 292 -


Delon, mon dieu quelle horreur !! Mais les gamins adorent voir le lion et les paysages du Kenya. Penelope Carmona Dans les ratés Tristan et Iseult. Il n’y a ni l’épisode de l’épée chauffée à Blanc ni mm le philtre d’Amour, c dire... Ladie Merilin Et la fin... au secours ! Seni Diham Je me base sur ce film pour apprendre à mes élèves à repérer et analyser les éléments qui font d’un film une bonne ou une MAUVAISE adaptation Bérengère Kugiya J’adore l’adaptation du Procès de Kafka par Orson Welles. Quelques changements, mais très bien faits. Armelle Ribiere Idem ! La parabole de la porte de la loi est top !!! Armelle Ribiere Dans les flop : l’adaptation de 2005 d’Orgueil et Préjugés ! Des raccourcis à n’en plus finir. Alors que la serie de la BBC est top ! Penelope Carmona Je n’ai pas aimé non plus Camille Claudel (Une femme d’Anne Delbée): Adjani joue les folles dingues alors que dans le livre, c’est plutôt une femme terrienne qui pète les plombs et c’est d’autant plus fort. Par contre, j’ai adoré Les Brumes d’Avalon. Florentin Feller J’avais pas mis La Reine Margot, qui est peut-être un peu trash pour des ados... Ladie Merilin J’adore ce film ! Je n’aime pas Adjani et pourtant, elle joue mon - 293 -


personnage préféré de la littérature dans un daube filmique, l’adaptation d’Adolphe de Benjamin Constant.

me dire «ok on regardera Sacré graal plutôt».

Ladie Merilin J’aime bien les adaptations de Joe Wright moi... Anna Karenine etc. Par Seni Nesaoui Je valide aussi La contre je n’aime pas du tout reine Margot ! Baz Luhrmann... Emmanuelle Lachaume et Juce Contrevent J’adore Joe avez vous des titres de Péplum Wright ET Baz Luhrmann. en tête que vous avez trouvés Ladie Merilin Baz Luhrmann affreux ou bons? fait mal aux yeux je trouve, il y Ladie Merilin Bon mais ce n›est en a «trop» pour moi. pas un péplum, Jules César car Juce Contrevent Je peux Marlon est si beau *soupir*. comprendre, même si c›est ce Bérengère Kugiya Troy, le film que j›aime justement. américain qui a oublié que les dieux avaient un rôle primordial Ladie Merilin Et puis il y a la dans l’Iliade. Mais j’avoue que nouvelle vague : Fahrenheit 451, Le Mépris, La religieuse, tout n’était pas à jeter. Hurlevent... Yo Noctalis Daube Thérèse Ladie Merilin Et mes Raquin avec Simone Signoret programmes de terminale L : Juce Contrevent Flop La Visconti, Frears etc. Boussole d’Or, adaptation de la merveilleuse trilogie de Philipp Ladie Merilin J’aime les films Pullmann (Les Royaumes du qui font connaître au grand public des romans d’exception, Nord). je pense à l’adaption de Cuaron Ladie Merilin Haha et Perceval Les Fils de l’homme, La Route de le gallois >< McCarthy (auteur également de No country for old men), Aurélien Mérard Avec Auprès de moi toujours de Lucchini ? Kazuo Ishiguro... Ladie Merilin Oui ^^

Seni Diham Et dernièrement le Silence d’un Scorsese Mathilde Vi J’ai dû voir les trois en état de grâce et qui a premières minutes avant de parfaitement su s’emparer - 294 -


du chef d’œuvre monstrueux de Shūsaku Endō. Il y a eu une précédente adaptation assez convaincante en 71 (Chinmoku) mais un poil moins inspirée. C’est aussi intéressant de croiser les différentes adaptations littéraires. Magali Perri Le Guépard Seni Nesaoui Adaptation hollywoodienne de Thérèse Raquin (renommé «en secret») : flop intersidéral, qui garde le côté sulfureux mais élude totalement les détails qui font tout, comme la fascination presque hallucinatoire autour de la cicatrice de Laurent. Mais Jessica Lange joue admirablement bien la mère de Camille. Loucine Dessingy Bram Stoker’s Dracula (Coppola) = magnifique ; Le Portrait de Dorian Gray (A. Lewin) = majestueux ; Les Liaison dangereuses (S. Frears) = puissant ; Des souris et des hommes (G.Sinise) = fidèle et émouvant ; Le nom de la Rose (J-J Annaud) = bonne rep onne représentation de l’univers médiéval ; Othello (O.Wells) = sublime ; Songes d’une nuit d’été (M. Hoffmann) = un peu trop rocambolesque mais.. ; L’Amant (J-j Annaud) = aucune dimension littéraire, grosse déception ; Les Diaboliques (Celle qui n’était plus) = grandiose ; The Misfits (J. Huston) = grande énigme : la présence de Marilyn est toujours un dilemme ... ; QUO VADIS (A. Mann) = vibrant ! ; La Guerre des Boutons (Y.Robert) = pétillant ! .... Bérengère Kugiya J’ai adoré les Liaisons Dangereuses de Frears aussi. C’était magnifiquement bien joué, et j’ai trouvé que ça rendait très bien l’atmosphère du XVIIIème siècle. Bérengère Kugiya Et Romeo + Juliet avec DiCaprio? Je l’ai vu il y a des années de cela mais j’avais trouvé que le transfert dans le monde moderne était assez bien réussi. Maintenant, j’ai dû voir ça pendant mes années collège, donc je ne suis pas à même d’en dire plus !

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© Fabienne Cinquin


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