Mirages n°2

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Sandrine Estrade Boulet Lumière


« Pour écrire ce qui va suivre, j’utilise pour la première fois des souliers vernis que je n’ai jamais pu porter longtemps parce qu’ils sont horriblement étroits. Je les chausse d’ordinaire juste avant de commencer une conférence. La contrainte douloureuse qu’ils exercent sur mes pieds accentue au maximum mes capacités oratoires. Cette douleur fine et écrasante me fait chanter comme un rossignol ou un des chanteurs napolitains qui portent, eux aussi, des souliers trop étroits. L’envie physique viscérale, la torture envahissante que provoquent mes souliers vernis m’obligent à faire jaillir des mots des vérités condensées, sublimes, généralisées par la suprême inquisition de la douleur subie par les pieds. » Salvador Dali, Journal d’un génie, mai 1952

sommaire du deuxième numéro page 4 page 5 page 6 page 8 page 10 page 12 page 16 page 18 page 19 page 20 page 22 page 24 page 27 page 28 page 30 page 31 page 32

Museum of everything Jan Fabre à Bruxelles Lorene Abfayer Rentrée littéraire de janvier 2013 Portfolio: Romain Colliez Séraphine de Senlis Interview de Louise de Ville Nath-Sakura Haine 7 Islande Portfolio: Grégoire Lesourd Retrouvailles (nouvelle) Conte d’hiver (nouvelle) Il a d’abord fallu (poème) Artistes Rédacteurs & crédits Manifeste

mirages fanzine artistique deuxième numéro édition limitée /200


regards sur l'hiver culturel

Museum of Everything ¿ÊÈÆÊĩÜ IJà »âËǾºÇ ·ÄÊÁºË¶Ç¹ §¶ÈŶ¾Á ¥¶Ç¾È ãº Å¶Ç ¥¾ºÇǺ ¥ÄÁ¾¼Äú

A Dali, qui veut jouer la folie, répondent des gens qui ne jouent pas. Ces artistes à l’esprit aussi rebiqué que la moustache du surréaliste utilisent leur originalité comme moteur. Ils la chevauchent, et elle les entraîne jusqu’aux confins de la conscience. The Museum of Everything nous invite à découvrir un art entièrement libre et affranchi des règles stériles du marché de l’art. Dans une ancienne école désaffectée, boulevard Raspail, à Paris, ce collectif a installé plus de 700 œuvres d’artistes ayant une perception décalée et représentants de l’art outsider. Pas de blabla, de toile vierge additionnée de commentaires, ces épouvantails effrayent le public ! Ici, l’art est brut, il frappe au cœur. Nous découvrons des artistes autodidactes, des créateurs marginaux enfermés dans leur bulle, pour qui l’art est simplement un défouloir. Selon la formule de Marc-Olivier Wahler, l’ancien directeur du Palais de Tokyo, ce musée ambulant expose des artistes inconnus qui créent « sans intention, sans formation et sans célébration ». L’exemple d’Henry Darger est emblématique. Traité de fou depuis sa plus tendre enfance, mis à l’écart, interné, coupé du monde extérieur, il trouve une échappatoire dans la création. Sur son lit de mort, on retrouve une somme considérable de documents : plus de 19 000 pages de textes et de dessins intitulé The Story of the Vivian Girls. Cette série d’image accompagnée d’un roman est sans doute l’une des œuvres les plus perturbantes de ce curieux musée. En effet, les Vivian Girls sont des jeunes filles prépubères affublées d’organes génitaux masculins. Ce curieux choix peut s’expliquer de manière tragique par la vie de Darger. Durant son enfance, ce dernier a été attouché dans un pensionnat et ses tortionnaires le forçaient à enfiler des vêtements féminins. L’art a eu un véritable rôle cathartique pour Darger qui a consacré sa vie à cette œuvre clandestine afin de tenter d’évacuer son mal-être. The Museum of Everything permet d’avoir accès à des œuvres totalement inédites en France, il bâtit une sorte d’histoire de l’art alternatif, construit en marge. La muséographie est orchestrée de manière à dérouter le visiteur, il en faut pas s’attendre à quelque chose de chronologique ou d’ordonné. En une vingtaine de salles, nous faisons face à trois siècles d’art libre. De la représentation de Dieu par un rescapé de la Shoah à la minutie démentielle des cathédrales mécaniques par un homme ne communicant que par le biais de sa femme, on est immédiatement happé par un contenu aussi foisonnant qu’intéressant. A chaque pièce, une nouvelle surprise, un nouveau choc. La disposition des salles paraît être à l’image de leur esprit si particulier. En outre, le concept est assez plaisant, l’entrée est libre et le visiteur est invité à donner ce qu’il lui paraît juste. Ce collectif est itinérant et se déplace à travers toute l’Europe. Dépêchez-vous, il reste à Paris jusqu’à fin février ! Pieter Brueghel l’Ancien


Jan Fabre

Le portrait du diable ¿ÊÈÆÊĩ¶Ê ¶¾ ºÍÅÄȾɾÄà ¹ºÈ ·ÇÄÃÏºÈ ºÉ ¸¾ÇºÈ ¹º ¶Ã ¶·Çº ¶Ê ¢ÊÈ⺠ÇÄζÁ ¹ºÈ º¶ÊÍ ÇÉÈ ¹º ºÁ¼¾Æʺ Ü ÇÊͺÁÁºÈ Å¶Ç ¢¶éÁÎÈ ºÁºÊÍ ¡¶Ã˶Á

Visiter le musée des Beaux Arts de Bruxelles est une des choses les plus agréables que l’on puisse faire en Belgique, avec la dégustation de gauffres chaudes et de bandes dessinées colorées. Le musée compte parmi ses chefs d’œuvre la très émouvante Chute d’Icare (1558) de Pieter Brueghel l’Ancien, et le très drôle Le Roi boit (vers 1640) de Jacob Jordaens, deux œuvres qui montrent l’absurdité de la vie, son ridicule mais aussi sa beauté. Imaginez-vous donc au milieu des plus belles peintures du Nord datant de plusieurs siècles déjà, imaginez les débauches de natures mortes – où l’on sera amusé de la présence de gauffres et de crèpes, comme un joyeux goûter d’enfants – et de portraits de nobles oubliés. Et alors que votre esprit est tout à la contemplation d’un art du passé, paf, surprise, l’art contemporain brandit son poignard glacé au détour d’un couloir… Il s’agit d’une enfilade de portraits sculptés du plasticien Jan Fabre, acteur retentissant de la scène théâtrale actuelle, qui a fait pleurer d’exaspération de nombreux critiques au festival d’Avignon. Et Jan Fabre est aussi un artiste belge très connu, donc la signature est celle d’un art soigné mais fou, mélant les formes anachroniques d’un art classique aux bizarreries de l’art contemporain. Alors on marche dans cette enfilade de portraits, qui ressemble vaguement à ce qui pourrait être le couloir avant l’Enfer. Les portraits sont déformés par de drôles d’attributs, une immense corne émergeant du front, des dents de vampires, des lunettes de soleil, une langue longue et effilée qui sort de la bouche maléfiquement, mais surtout des cornes, des cornes inventées, des cornes de béliers, de rhinocéros, des bois de cerf… Agressif, le portrait de Jan Fabre est un autoportrait toujours réinventé, toujours déformé, diabolique et animal. On frémit. Et pourtant, il y a quelque chose de tout à fait fascinant dans

Jan Fabre

chacun de ces portraits. L’exécution est remarquable et ne peut que faire penser aux portraits sculptés de Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783) exposés au Louvre en 2011. Messerschmidt a produit des dizaines de têtes déformées par des expressions accentuées, de véritables passions dignes des plus grandes psychoses. Les historiens de l’art ont imaginé mille folies et mille histoires psychologiques pour expliquer une telle inspiration… Au delà de l’explication, le geste est beau et le résultat jouissif. Les portraits de Messerschmidt et de Jan Fabre, en exagérant les expressions, sont la catharsis de nos sentiments, et on a envie d’ouvrir grand la bouche, de fermer fort les yeux pour rider notre visage, de grimacer, de tordre nos yeux… Et ces sculptures le font pour nous. Oui, en marchant entre toutes les têtes de Jan Fabre, tous ses visages, on s’excite de voir tous ses travestissements, toutes ses métamorphoses. Nous explorons les coulisses de l’esprit de l’artiste, l’artiste qui se regarde et se voit à travers le prisme de son esprit fou. « Je me regarde souvent dans le miroir pour me dessiner. Et chaque fois, je vois quelqu’un d’autre » : mais il est dingue, schizophrène, qui est cet homme avec qui personne n’aimerait se retrouver seul dans le noir ? En tout cas, méfions-nous, cet homme-là a des cornes et des dents acérées, il semble sur le point d’attaquer. Et il se pourrait bien que nous aussi. Au passage, quand vous en aurez terminé avec le couloir de l’Enfer et retrouvé vos esprits, allez voir les représentants belges de l’Expressionisme (exposition Le choix des conservateurs : expressionnisme et expression, jusqu’au 26 mai, toujours aux Beaux Arts de Bruxelles) et découvrez le très bon Gustave de Smet, aux figures très douces qui rappellent Gauguin et aux atmosphères délicates, ce qui entre en conflit avec l’Expressionisme sans pour autant le trahir… Et c’est excellent.

Franz Xaver Messerschmidt

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Drôles d’oiseaux Féministes portraiturées

ÍÅÄȾɾÄà ¹ºÈ ¹ºÈȾÃÈ ¹º ¡ÄǺú ·»¶ÎºÇ ¶Ê¼½ÉºÇÈ Ä» ºÂ¾Ã¾ÈÂ Ü Á¶ Á¾·Ç¶¾Ç¾º «¾ÄÁºÉɺ ¶Ã¹ ¸Ä Çʺ ¹º ½¶ÇÄÃú ¥¶Ç¾È ãº Å¶Ç âÃâ¹¾¸Éº ¶ÉÉãǺ

Dans une librairie, on vend des livres : jusque-là, rien d’étonnant me direz-vous. Mais dans certaines, comme à Violette and co, on expose aussi des travaux d’artistes. Ce lieu où peuvent se retrouver « filles et garçons manqués » accueille des artistes contemporain-e-s, telles Emilie Jouvet, photographe et réalisatrice, ou La Choriza, illustratrice. L’étage se transforme alors en galerie d’art actuel. Qui plus est, au vu de la fréquence des expositions, la librairie en question n’a rien à envier aux galeries officiellement répertoriées. En réalité, les expositions se succèdent, sans temps mort. La dernière en date, Daughters of Feminism, semble avoir trouvé son public. L’exposition des dessins de Lorene Abfayer a en effet été prolongée. Les oiseaux chimériques de l’artiste, épinglés sur les murs blancs, ont tout l’air d’avoir choisi l’endroit adéquat pour se poser après une longue migration au pays des rêves. La création de portraits de ces « filles du féminisme », comme les Pussy Riot ou Beth Ditto, chanteuse du groupe Gossip, permettent à l’artiste d’enrichir sa galerie imaginaire de bêtes curieuses – définitivement non répertoriées par Charles Darwin. L’année dernière, elle avait déjà montré ses créatures au public, jusqu’alors jalousement gardées dans une ménagerie toute personnelle. L’événement avait eu lieu à la Galerie Rue de Beauce pour une exposition monographique joliement intitulée Birds don’t cry. Travaillant toujours sur le même motif de figures mi-humaines, mi-volatiles, ses « hybribirds » comme elle les appelle, Lorene Abfayer a recréée toute une galerie de portraits… pour le moins inattendus. Du plumage bleu-gris de l’émouvante et mélancolique Virginia Woolf, au regard d’aigle de Judith Butler en passant par l’élan de Grisélidis Réal ; étrangement, on les reconnaît toutes pourtant, jusqu’à Angela Davis et son superbe dynamisme. Un sourire s’esquisse, plus loin, devant la tête de chouette dont l’artiste a coiffé Claude Cahun, elle-même artiste à la frontière du genre, et qui a réalisé tant d’autoportraits. Le portrait de l’écrivaine Violette Leduc, devenue mi-femme, mi-chauve-souris se révèle lui aussi particulièrement amusant. Ce regard que l’artiste pose sur ces grandes figures féminines,

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regard parfois irrévérencieux, gagne en authenticité. Au lieu d’être un hommage classique, cette série de portraits de personnalités engagées devient une façon de se les réapproprier. Une intimité intellectuelle devient possible grâce aux images... Étrange court-circuit entre la science et les sensations, on vous l’aura dit. Le trouble naît devant ces aquarelles d’une rare poésie, et en les voyant, on a envie de dire avec Beatriz Preciado, que « l’art n’est que l’inscription de l’amour dans la matière par l’invention des formes ». La vérité d’un caractère, d’un tempérament ou d’un esprit révolutionnaire est ici rendue avec talent. La façon si personnelle que possède Lorene Abfayer de présenter le genre humain dans toute sa biodiversité, riche de nuances, sonne particulièrement juste. Elle a le don de renouveler le genre du portrait psychologique. L’essence même de la nature d’êtres exceptionnels transparaît à travers son trait, délicat et nuancé. Les couleurs qu’elle sélectionne pour faire vivre leur ramage vous surprennent comme un coup d’éclat, renouvelé à chaque portrait. Nez-ànez avec les œuvres, toutes réalisées sur le format d’une feuille Canson, le spectateur en est frappé. Hors-catégories, les êtres auxquels l’artiste donne vie le sont assurément. Celle qui a toujours revendiqué travailler à déconstruire les genres, féminin et masculin, à remettre en jeu les identités normées ne pouvait trouver sujet plus proche de ses préoccupations. Après tout, esquisser le portrait de Judith Butler, tel qu’elle le fait, grâce à une silhouette « infra-espèce » (terme de Beatriz Preciado) n’est-il pas la meilleure façon d’illustrer ce trouble dans le genre que la philosophe a théorisé ? Plein d’expositions tout aussi passionnantes devraient venir faire leur nid dans les mois à venir, au 102, rue de Charonne. La prochaine, Il était un alter-ego, se déclinera en une série de peintures et gravures érotiques de Melissa Streicher, Si l’expérience vous tente, n’hésitez pas à faire un tour chez Violette and co : vous serez bien accueillis dans ce lieu qui reste la librairie féministe de référence de Paris.

Lorene Abfayer ŶĚůĞƐƐ ĚƌĞĂŵƐ͕ Ă ƚƌŝďƵƚĞ ƚŽ ĞƚŚ ŝƩŽ


Lorene Abfayer Closer, a tribute to Virginie Despentes and Beatriz Preciado

Lorene Abfayer We can do it, a tribute to all the women in the world


Heureux les lecteurs en hiver

ºÊǺÊÍ ÁºÈ ½ºÊǺÊÍ ¹º ®¶È¾ö §ºÏ¶ Á¶Â¶ǾÄà ù¾¼Ä ¹º ¶É½ºÇ¾Ãº ÊÈ鼃 ¶ÁÁ¾Â¶Ç¹ Å¶Ç ¢¶éÁÎÈ ºÁºÊÍ ¡¶Ã˶Á

Les deux écrivaines Catherine Cusset et Yasmina Reza livrent pour la rentrée littéraire de l’hiver 2013 deux galeries de portraits, deux romans dont les chapitres portent les noms de personnages, deux cheminements dans des univers intimes et des histoires d’amour compliquées. Au contraire des portraits de Jan Fabre dont nous parlions en page 5, ces deux livres n’inventent pas des histoires fantastiques aux visages qu’ils décrivent, mais s’enfoncent dans un quotidien blafard pour Yasmina Reza et un voyage révélateur de tourments pour Catherine Cusset. Yasmina Reza commence Heureux les heureux avec les courses de Robert Toscano au supermarché. Avec un rythme haletant, peu ponctué et haché, Reza nous expose directement un épisode éclairé au néon, une dispute conjugale autour d’un fromage, un morbier qui pose problème : « Depuis quand tu manges du morbier ? Qui veut manger du morber ? J’ai dit, arrête Odile. – Qui aime cette merde de morbier ?! » Tout de suite, l’atmosphère pue et met mal à l’aise, le lecteur se retrouvant d’emblée témoin d’une histoire banale que n’importe qui aurait tue, par honte. Dévoiler les travers de la vie et de la poursuite du bonheur à travers des petites choses dérisoires : telle est la mission acide du livre de Yasmina Reza. Mission, ou plutôt prétexte à cette course emballée, aux chapitres courts, aux changements brusques de situations. Les vies des personnages s’entremêlent, ils sont tous plus ou moins liés sans l’être jamais vraiment, et le lecteur prendra plaisir à déméler la pelotte de laine qui fait le charme de l’esthétique de Reza. Impitoyable et presque cruel, le récit prend garde aux détails crus qui prennent l’avantage sur le fond de l’histoire, éteignant ainsi toute flamme sensible pour se concentrer sur la pourriture qui recouvre la confiture.

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Le lecteur ne s’attache pas aux personnages qui ne l’attendrissent pas ; il les observe comme on observe des expériences sur des souris, leurs actes sont des réactions et leurs pensées sont la révélation du mal profond qui les hante. La distance qu’instaure Reza entre le lecteur et le personnage est ce qui fait le génie d’Heureux les heureux : l’individualisme et la solitude de chacun se heurte l’un à l’autre, et le constat est froid.

Indigo de Catherine Cusset est un livre bien différent et tout à fait délicieux, qui raconte le voyage en Inde de quatre Français réunis pour un festival culturel. Le voyage en Inde est, comme on peut s’y attendre, une révélation pour chacun d’entre eux qui change le cours de leur vie, et la colore d’indigo… Comme la pluie qui est, au cinéma, souvent le signe d’une transition et de changement, le voyage est en littérature le révélateur de notre identité, de nos limites et de notre infinie liberté. Catherine Cusset utilise avec brio ce topos et offre un roman passionnant, souvent surprenant et plein d’odeurs colorées. Elle décrit l’Inde à travers l’œil occidental, sans prétention à rendre la véritable atmosphère qui règne dans ce pays, en le passant au filtre du regard des personnages. Regard mais aussi expérience de la différence, expérience de la chaleur, de la pauvreté, des arnaques, des Indiens, des Intouchables… Mais surtout, elle choisit ce cadre dépaysant pour organiser le changement dans la vie des personnages à travers des échanges inattendus, des baisers surprenants et des explications inédites. Ce livre est très humain, très sensible, au contraire de celui de Yasmina Reza : ce diptyque de portraits offre au lecteur l’espoir et la désillusion, l’amour et le désamour, la surprise et le tristement banal et met en lumière deux visions de la littérature, qui se complètent et font toute la richesse de la rentrée littéraire 2013.

Vincent Van Gogh



L’ a r t d a n s les marges Romain Colliez

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Séraphine de Senlis Un tremblé d’émotions ¥º¾ÃÉÊǺ ºÉ ɺÍɺ Å¶Ç ¨¶Ã¹Ç¾Ãº ÊɾÃ

Au début du XXème siècle, suivre son désir et devenir artiste, quand on est une femme, modeste de surcroît, est une gageure. Mais la rencontre autorise tout, et Séraphine en fit une en la personne du collectionneur allemand Wilhelm Uhde, chez qui elle faisait une heure de ménage chaque matin, durant l’année 1912, à Senlis. Au cours d’un dîner chez des petits bourgeois locaux, Uhde fut séduit par une nature morte représentant des pommes. Apprenant que la toile appartenait à sa femme de ménage, il l’encouragea à travailler, lui procura du matériel, et par la suite exposa ses tableaux. Et ainsi elle devint peintre. Tout comme les artistes du Moyen-Age, elle prit le nom de la ville où elle habitait, et devint, pour le monde de l’art, Séraphine de Senlis. C’est donc sur les pas de Séraphine de Senlis, et de tout l’imaginaire qu’elle suscite, que cet article propose de vous emmener. « L’écrire » est une tentative fictionnelle de connaître la recette de ses couleurs, lesquelles irradient ses œuvres d’une lumière divine ; « voir ses œuvres » – lesquelles sont exposées au musée d’Art et d’Archéologie de la ville de Senlis et au musée Maillol à Paris – offre une plongée dans un univers singulier et étonnant, et « la filmer » se présente comme la nécessité de mettre au jour la relation privilégiée que la peintre entretenait avec la nature, et son influence sur ses peintures, dans le film Séraphine de Martin Provost, sorti en 2008.

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L’écrire…

Etendue sur l’herbe, humide de rosée matinale, elle les guette. L’un deux s’approche. Se mettent alors en mouvement les doigts qui, lentement glissent et s’avancent vers la proie, prennent place autour, et l’enserrent aussitôt. Déséquilibrée par la pression, la victime chancelle. Puis, doucement une des mains relâche son emprise, et, dans un rapide retour en arrière part chercher les instruments ; après avoir posé le réceptacle, la main libérée s’arme de l’outil, et tranche le cou ainsi présenté. Entendre le glouglou chaud sur les mains enfin assagies, voir entre deux productions son flux abondant remplir l’écuelle, et sous les ongles demeurés intacts, seulement les restes du forfait. Garance, l’herbe se teinte, suspendues, quelques gouttes de vie. Et déjà vers la victime abandonnée et exsangue, perfidie du crime, s’approche une mousse laiteuse de germes. Au creux de cette suspension du temps, dans cet ajournement qui fait s’écouler dans un autre commencement la matinée finissante, la proximité automnale autorise encore le soleil à s’élever, et lui permet de répandre sa douce chaleur ouatée. Dans cet entre-deux, ce clair-obscur méridien, riche de ce rapt, elle se presse de rentrer, car, de ce précieux liquide arraché, elle tissera la trame de la pâte, au liant visqueux et vineux elle y ajoutera une texture opaque faite de terres brûlées et de végétaux broyés, et ce faisant dans l’onctuosité du mélange ainsi opéré, voracement, s’y confondront les mains faméliques. Le fond alors savourera cet empattement généreux, et les mains repues l’apaiseront enfin.

Voir ses œuvres…

Les Grenades (1925) sur un fond bleu ciel, comme surgies de nulle part, quatre grenades ceintes d’un halo feuillu. Enveloppées dans la chaleur d’une bigarrure mordorée, les cœurs noirs de ces fruits troués d’une tache d’un jaune lumineux guettent l’occasion pour s’extraire de cette gangue, comme si ces grottes cachaient un animal sauvage effrayé prêt à bondir. Ce sentiment sourd qu’un désir ne demande qu’à sourdre se perçoit également dans Les Chardons (vers 1920). Sur un noir, un de ces noirs qui vous fait penser à l’origine de toute chose, sept fleurs, dont les intérieurs frémissent de lumière, et dont la couronne de feuilles, prolongements diaprés dans un camaïeu vif de jaunes, tentent d’attraper le spectateur. Un chatoiement de couleurs pour un tremblé de vie. Plus calme et fouillant déjà vers d’autres expériences, Les Cassis (vers 1920) figurent, sur un brun chaud, un ensemble de quatre fruits dans des tons verts et miellés contenu par des branches riches de cassis scintillants et de feuilles duveteuses. Cette appétence à remplir l’espace, à l’instar des peintres du Moyen-Age, annonce semble-t-il les œuvres à venir. Attenant à ces toiles d’une force d’aspiration sans précédent, d’autres tableaux de l’artiste dévoilent une expérience hors du commun. L’explosion florale et chamarrée de Fleurs et Fruits (vers 1920) ou Grappes et Feuilles roses (vers 1925-1930) provoque, chez le spectateur, une fragmentation intime, une mise en lambeaux de la psyché, laquelle souscrit au retour à l’antre première. Cette déflagration de l’intime est rendue possible par la proposition foisonnante et luxuriante dans la diversité du motif floral, et par l’irisation de la lumière qui éclate des œuvres comme dans L’Arbre du paradis (vers 1929). L’irrigation du tableau est également un thème cher à l’artiste, ses arbres ou bouquets jaillissent du bas de la toile et échappent ainsi à l’étouffement secret auxquels ils étaient destinés ; cet élan se manifeste avec toute sa puissance dans L’Arbre de vie (1928).


Et la filmer…

Premier plan, un arbre plein centre, et telle une enfant défiant les lois de la pesanteur, Séraphine assise sur une branche, et les mots de Beckett qui reviennent. Au cours d’un entretien donné à Charles Juliet, l’écrivain avait évoqué une conférence du pédiatre et psychanalyste Winnicott, à laquelle il avait assisté, et qui parlait du cas d’une jeune fille que le médecin n’avait pas pu sauver. Elle n’avait rien si ce n’est qu’elle n’était pas née. L’évocation de l’idée de non-naissance avait résonné en lui, et il expliquait son acte d’écriture comme la tentative de se mettre au jour, enfin. Séraphine et la nature, un retour à la matrice première... Loin d’être engloutie par les frondaisons, le corps de Séraphine s’entrelace avec elles. Au creux de cet environnement maternel primitif et bienveillant, le film donne à voir la jouissance d’un corps en harmonie avec lui, pissant, mangeant, se nettoyant, et s’abandonnant à une effusion de tendresse à son égard, car celui-ci comble la totalité des besoins vitaux de l’artiste en devenir. La justesse de cette relation archaïque est rendue possible grâce au jeu tout en humilité de la comédienne, Yolande Moreau, laquelle retranscrit à merveille cette entente des sens, laissant voir la peintre et non une comédienne interprétant une peintre. Séraphine, peindre la nature, une tentative d’émancipation.... Et puis de ses longues et indispensables promenades à travers la nature, Séraphine recueille les irremplaçables pigments nécessaires pour peindre. Avec ses miscellanées, dont la recette demeure jusqu’alors inconnue, elle compose des toiles, dites de style naïf, aux motifs floraux, et ainsi se met au monde. La première œuvre en témoigne, Les Chardons (vers 1920) jaillissant d’un noir soutenu, un jaune vampirisant explose, assoiffé d’exister. Le temps de la peinture a donc permis à Séraphine de s’extraire du corps-nature pour tenter la rencontre avec l’autre, et la réalité qui la terrorisait tant. Cette percée n’est advenue que grâce à la détermination d’un corps désirant, acceptant les corvées de lavages afin de récolter l’argent pour acheter le matériel. Inlassablement en mouvement, ce corps est au service de la nécessité d’assouvir le dessein... de se mettre au jour, enfin. Séraphine et le surcroît d’émotions, un impossible contenant... Mais le manque était trop résistant, et la faille trop profonde pour concéder à Séraphine la joie de revenir à la réalité. Le travail des couleurs, seul, n’a pas suffi pour contenir l’absence, et la déshérence de cet être, à la recherche d’amour, s’est imposée. Enfin, tout cela n’est que fantasme, rêverie sur l’envoûtement, et le charme qu’une œuvre peut engendrer sur l’imagination humaine. La réalité est beaucoup plus douloureuse, Séraphine de Senlis touchée d’altération mentale, fut internée en 1932, avec un diagnostic sans appel : « idées délirantes systématisées de persécutions, hallucinations psycho-sensorielles, troubles de la sensibilité profonde… ». Elle mourut le 18 décembre 1942, à 78 ans. On l’enterra dans la fosse commune. Et ce n’est qu’en 1945, sur l’initiative de Uhde, qu’une première grande exposition lui fut consacrée à la Galerie de France.

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Séraphine Louis (dite Séraphine de Senlis) Les Grappes de raisin, vers 1930


Louise de Ville

La diplomate sans-culotte ¥ÇÄÅÄÈ Çº¸Êº¾ÁÁ¾È Å¶Ç ¶ÇɽâÁâÂÎ ¡¶¼Ãº¶Ê

Nous avions rendez-vous à Belleville, avec la belle Louise. Juger une femme à son sac à main n’est ni très correct, ni très pertinent, mais le fourre-tout kaki à l’effigie de Mao, d’où dépasse une cravache couverte de strass roses, qui pend à son bras en dit long sur sa propriétaire. Louise de Ville est une étoile montante de l’effeuillage néoburlesque à Paris. Originaire de Louisville, dans le Kentucky, qui lui a donné son nom de scène, elle a débarqué à Paris en même temps que ce genre nouveau et hybride. Sur scène, elle se dénude lors de performance où se mêlent érotisme et humour, esthétique rétro et satire sociale.

Louise de Ville photographiée par Gilles Rammant

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MIRAGES - Comment devient-on performeuse burlesque ? Louise de Ville - J’ai commencé dans le Kentucky en 2004, quand j’ai rejoint la troupe « Grotesque Burlesque ». On faisait des shows contre la guerre en Irak et le capitalisme devant un public très populaire qui n’avait pas l’habitude de ce genre de spectacle associé à ce genre de message. On s’amusait bien. C’est là que j’ai appris à enrober mon message dans de l’érotisme pour le rendre plus esthétique et plus accessible. J’appelle ça en anglais « Pretty Propaganda ». C’est ce qui fait la différence avec le strip-tease, qui est en fait un détournement du burlesque d’origine. Au XVIIIe siècle, le mot désignait des pièces écrites pour des hommes et jouées par des femmes avec des allusions coquines, mais aussi des idées et de l’humour. Mirages - Pourquoi être venue en France ? Louise de Ville - A vrai dire, j’ai débarqué à Paris à vingt ans dans l’idée de finir mes études de sciences politiques et de devenir diplomate. Je voulais plus tard aller résoudre des conflits avec une ONG en Afrique francophone. Et puis j’ai passé une audition dans une troupe de néo-burlesque, comme hobby. On était en 2005, et la mode commençait à arriver des Etats-Unis, notamment grâce à Dita Von Teese et ses pubs pour Perrier. Les opportunités se sont multipliées et je me suis aperçue que la jeune scène française me permettait de me faire un nom en tant que jeune artiste burlesque avec quelque chose à dire. Tandis qu’aux Etats Unis les places étaient déjà prises.

Mirages - Ton entourage a compris quand tu a intégré ce milieu ? Louise de Ville - Pas tout de suite. Je suis née dans une région des Etats-Unis qu’on appelle la « ceinture biblique », dans une famille traditionnelle et religieuse. Mais avec le temps et l’éloignement, ils s’y sont fait. Maintenant pour Halloween je reçois toujours un colis avec des faux-cils, des bas résilles fluo, etc... Ma grand-mère m’a même envoyé un soutien-gorge réversible avec des cœurs. C’est un soutien silencieux, et je crois qu’ils sont heureux de me savoir heureuse. Leur grande difficulté, c’est de me voir comme une femme sexuée. J’ai grandi dans les années 80, quand la beauté du corps féminin était confisquée par la publicité, qui imposait ses critères. Et ces critères excluaient les femmes d’une certaine couleur, d’un certain poids, d’un certain âge... Je fais partie d’une génération qui a réhabilité ces types-là, qui a repris possession de son corps. Moi j’aime les « queers ». Mirages - C’est quoi au juste un « queer » ? Louise de Ville - Hmm... C’est quelqu’un qui ne rentre pas dans les catégories de stéréotypes hétéronormatifs, disons. C’est ce que je montre dans « Betty speaks », l’un de mes spectacles. Betty est un parfaite femme au foyer américaine des années cinquante, mais elle est rattrapée par ses désirs, même s’ils ne cadre pas avec le modèle qu’elle veut suivre. Mirages - Au fond, tu défends un droit à la différence. Qu’estce que tu penses du débat actuel sur le « mariage pour tous » ?

Mirages - Pourquoi cette forme très particulière ? Louise de Ville - D’abord parce que j’aime ce qui est érotique. J’ai appris le français dans les romans cochons de Anaïs Nin et George Bataille, qui m’a appris ce que veut dire « faire la minette ». Et puis c’est un médium très efficace. Une forme courte, deux à cinq minutes pour raconter une histoire. On joue beaucoup sur les stéréotypes, comme dans le vaudeville. Mais le genre duquel je le rapprocherais le plus est celui des mystères de saints médiévaux. Il s’agissait de raconter la vie des saints aux masses à travers des images fortes visuellement, sur le parvis des églises après la messe. Et bien c’est ce que fait le burlesque en jouant dans des bars et des festivals. Mirages - Et quel est ton message ? Louise de Ville - Je défends ce que Caroll Queen appelle un féminisme du sexe. Par le spectacle, je bouscule des tabous qui pèsent sur le sexe féminin, j’encourage à communiquer ses désirs, en confiance. Si on a confiance en soi sur un sujet aussi intime, je crois qu’on peut l’avoir dans tout les autres domaines de sa vie. C’est le sens des soirée auxquelles je participe chaque mercredi : nous ouvrons la scène à des novices qui veulent se lancer et apprivoiser leur corps par la performance.

Louise de Ville - J’a été vraiment choquée. Je me souviens avoir étudié la question de l’union civile pour un devoir scolaire dans le Kentucky. Pour la jeune homosexuelle américaine que j’étais, je croyais que la France était tellement évoluée. Je n’étais pas préparée à une telle agressivité. Un jour j’ai participé à une manifestation en France, avant le débat, où il s’agissait de s’embrasser pour protester contre l’homophobie. Et j’ai été confrontée à des fachos catholiques qui sont venu nous piétiner, au sens propre. Je pense que ce problème concerne la loi, pas l’Eglise, et je suis choquée de voir combien la bigoterie est mobilisée. C’est la même chose que la lutte pour les droits civiques contre le racisme en Amérique dans les années 60 : des gens qui refusent à d’autres l’égalité des droits. Et à ceux qui me sortent l’argument des enfants, qui souffriraient d’avoir des parents homosexuels, je dois leur dire que ces enfants dont ils parlent existent déjà, et qu’ils sont heureux. Après le succès de « Porte-Jarretelles et Piano à Bretelles », Louise de Ville remontera en mai 2013 son spectacle « Betty speaks ».


Nath-Sakura Iréels portraits

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La photographie comme un miroir : ce cliché (oui, bon) un peu éculé paraît difficile à appliquer aux œuvres de Nath-Sakura. Quelle réalité prétendent réfléchir ces portraits aux couleurs iréelles, posés jusqu’à l’extrême, et dans lesquels le fétichisme n’est jamais loin ? Au cœur du travail de la photographe, il y a l’idée que les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles devraient l’être. Nathalie Balsan-Duverneuil est née de parents inconnus, et de sexe masculin. Désormais installée à Montpellier, elle partage sa vie entre son travail de journaliste au Midi Libre et son activité de photographe, et ce après une thèse en philosophie politique. Naturellement, dans ses photographies, c’est le thème de l’identité qui s’impose. A l’heure où une tendance fétichiste / sado-masochiste vient s’imposer jusque dans les grandes surfaces avec le best-seller Cinquante nuances de Grey, Nath-Sakura fait de la sexualité un miroir : derrière les artifices qui rappellent les extravagances de David LaChapelle, il y a toujours quelqu’un. Des côtes qui apparaissent sous une tenue de latex, ou un regard dans lequel on décèle une profondeur derrière un graphisme un peu lisse. En s’affranchissant parfois du studio pour shooter en plein air, elle donne à son érotisme une portée onirique qui fait son identité. Les modèles sont pris sur une mer d’huile ou dans les paysages du Midi. Dans cet espace, les artifices du fétichisme prennent une autre dimension. La nature est presque plus retouchée que les corps, rappellant que rien n’est jamais acquis, que rien n’est jamais binaire. Les photographies de Nath-Sakura s’emploient à créer des passerelles entre les genres et les catégories. Elle se réclame d’Helmut Newton : on retrouve dans ses portraits le même alliage de défiance et de fragilité. Les corps sont vulnérables mais les regards sont perçants. Artiste transexuelle et homosexuelle, son travail s’intéresse aux corps des femmes, et à son corps de femme. Le portrait devient alors recherche d’un idéal, par-delà les genres et les canons traditionnels. La retouche n’est pas un trompe-l’oeil correctif, mais une modification assumée. Assumer, au risque d’être détestée, c’est bien ce qui anime Nath-Sakura. Il y a de l’outrance dans ses choix, que d’aucuns qualifieront d’extrêmes, de puissants, ou de mauvais. Tout est possible, sauf la fadeur.

Nath-­‐Sakura

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Haine 7

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Le froid fait à peine son entrée dans le grand bal hivernal de Paris. Pourtant, le ciel de la capitale ne l’a pas attendu pour nous gratifier de son air maussade, pour déverser sa morosité, nous faisant les otages impuissants de sa tristesse. La grisaille s’installe, se fait de plus en plus pénetrante et un beau matin, nous voilà possédés par la mélancolie et l’ennui de l’hiver. Durant ces longs mois, il nous faut lutter contre l’austérite citadine et un plafond nuageux annihilant tous rêves d’horizons lointains, ne pas succomber à l’abattement et garder dans les yeux et dans l’âme, la chaleur, la gaieté des beaux jours. A ce jeu là, chacun son remède ; vacances au soleil, après-midi entre ami(e)s, week-end au fond du canapé devant la cheminée... Au fond du canapé soit, mais cocooner utile, ce serait mieux, non ? Et pour cela, quoi de mieux qu’un bon livre ? La maison d’éditions Antidata propose le petit bijou qu’il nous faut : Haine 7 est une nouvelle sombre, sortant de l’imaginaire rock’n’roll de son auteur, Jean-Luc Manet. Ce dernier serait plutôt critique rock avant d’être un écrivain génial, sa passion pour la musique l’ayant d’abord amené à travailler pour divers magazines (Les Inrocks, Best...) avant de travailler les mots, ceux avec lesquels il avait envie de nous faire partager ses propres histoires. Et « travailler », c’est bien de cela dont il s’agit ; Jean-Luc Manet travaille la langue francaise, travaille les mots, travaille les sons, avec une facilité déconcertante. Il n’est pas auteur, il est jongleur. Il jongle avec les rythmes et les sonorités langagières pour obtenir un texte d’où émane une musicalité qu’envieraient nombre de compositeurs. Il compose alors une mélodie mécanique, stridente, grise, parfois dérangeante, illustrée par des références rock ponctuant le texte en fil rouge. Quoi de plus normal pour un critique rock, me direz-vous ? N’empêche que cela ne fait que renforcer la sensation que la musique imprègne chaque mot, page après page. Comme si le London Calling des Clash avait imposé sa vélocité au texte. Comme si l’ambiance pesante dans laquelle campent l’histoire et les personnages n’était qu’un relent du son lourd et garage des Jim Jones Revue. Les sons éclatent, se répondent, s’entrechoquent et les mots font de même. Décriés à la façon d’un Iggy Pop, comment pourrait-il en être autrement ? Comme pour contrebalancer cette musique âpre et anarchique, le titre : Haine 7... Se remémorer les paroles aux couleurs soleil et vacances que nous chantait Trenet à propos de cette même route triste et sale dont nous parle Manet. Tout un paradoxe. Qui entretient l’univers dans lequel Manet nous entraîne, sans que nous soyons capable de lui résister... Résultat : une nouvelle rugueuse, bruyante, où les mots s’écoutent et s’avalent goulument. C’est avec beaucoup de talent et d’ingéniosité que Manet nous sert une histoire aussi rude et froide que peut l’être le son du Metallic KO des Stooges. Une histoire simple. Mais quand celle-ci est racontée de façon aussi pertinente, acérée et sagace que le fait l’auteur, rien d’autre n’est nécessaire au plaisir du lecteur. La nouvelle est agrémentée des dessins d’Emmanuel Gross, dont les coups de crayons ou de pinceaux viennent souligner la perfection de la partition jouée par les mots de Manet, pour faire de cette nouvelle un moment de délice... Adieu ciel gris de Paris, adieu déluges de pluie ; ce week-end, je pars en voyage sur la Haine 7...


Islande Voyage en terre du Nord Å¶Ç ½ÁÄâ ºÇ˾Ä

L’Islande : Terre du Nord, Terre du Froid et de la Glace, île perdue qu’un œil inattentif passant sur la mappemonde pourrait survoler sans la voir. On l’imagine petite, on l’imagine hostile. On voit les rochers, les falaises escarpées à la manière de ces paysages torturés qui inspirent Friedrich, on voit la pluie, la neige, la glace, les glaciers, le blanc, le gris, le noir. On devine la bise glacée, le vent stupéfiant, et la langueur d’un soleil paresseux qui refuse de se lever, laissant un pays plongé dans une obscure lumière, ni tout à fait le jour, ni tout à fait la nuit. Un fait divers a remis l’Islande au goût du jour il y a quelques années : comme un courant d’air qui vous rappelle que vous avez laissé la fenêtre ouverte, l’Islande s’est rappelée à l’Europe en crachant une fumée si opaque que le trafic aérien en a été suspendu. Or l’Islande n’est rien de tout ça. Terre du Nord, du Froid et de la Glace, elle l’est assurément. Mais c’est avant tout une terre qui bouge, une entité qui vit, un géant qui remue ! A cheval entre la plaque américaine et la plaque eurasienne, l’Islande vibre. Chaque année, les plaques se frottent, se trémoussent, se chahutent et cela provoque l’éveil d’un volcan, les crachats continuels des geysers et la fumée des cheminées. Le diamètre de l’île ne cesse d’augmenter et les terres habitables s’agrandissent avec les coulées de lave, d’autant plus que les glaciers titanesques qui recouvraient le sol fondent à vue d’œil. Comme un explorateur découvrant l’Atlantide perdue, on chausse ses lunettes de soleil, enfile ses chaussures de randonnée, sac à dos, carte, bouteille d’eau, et naviguons

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au milieu des icebergs ! La réalité est toute autre. Entre paysages désertiques, montagnards, bucoliques ou balnéaires, tout est ravissement. Les coulées de lave ont formé les grandes étendues rocailleuses qui s’étendent d’un bout à l’autre de l’horizon, avec pour seul repère, un grand volcan au loin. Comme un mirage, plus vous vous en approchez, et plus il semble s’éloigner. Quand enfin vous arrivez à ses pieds, le sol est toujours chaud. Les crevasses fument encore et la lave brille au soleil. Puis, en l’escaladant : la surprise, le choc. Frappé d’étonnement, on découvre les lacs volcaniques aux mille couleurs, aux mille odeurs dans un silence religieux, comme si le monde avait cessé pour un instant de tourner, les animaux de vivre et les oiseaux de voler, pour vous laisser en tête à tête avec l’une des plus remarquables des créations de la nature. Ici on ressent toute la puissance créatrice qui existe en ce monde, sous nos pieds et autour de nous. La nature est à la fois sanctuaire et sanctifiée. On se tourne vers elle avec dévotion, on l’admire craintivement et on reste coi devant sa beauté. A l’inverse, en traversant les terres fertiles de l’Islande, on se balade comme dans une campagne sauvage, les farfadets en moins et les elfes en plus. Les arbres font défaut : où que l’on aille, l’œil n’est jamais arrêté par quoi que ce soit. L’œil est libre, l’œil revit, l’œil s’échappe, s’envole loin et se perd… Jamais on n’a éprouvé ça, ce sentiment de plénitude, de liberté juste en regardant l’horizon. Les marins de jadis peut-être, quand ils partaient à l’aventure. Ou les premiers


hommes qui admiraient le continent africain en se levant. On marche dans les herbes hautes comme un enfant et dont la douce marée vous lèche les jambes. Leurs froufrous bercent, détendent, apaisent. Finalement, ce n’est plus le temps qui s’arrête, mais l’homme qui prend son temps. Dans un paysage comme celui-là, chaque parcelle de peau respire. Et au détour d’un fourré, qui sait s’il n’y a pas de belles rencontres. Après les prés viennent les crevasses. La terre, séparée en deux par un tremblement a ouvert les portes du péché ultime, du plaisir typique sur lequel les touristes n’osent pas se jeter et réservé aux connaisseurs : les crevasses d’eau chaude. Parfois à des températures dangereuses, la plupart du temps difficile d’accès, sous le niveau de la terre là où le plafond fait de grosses pierres menace à tout instant de vous tomber sur la tête, ces lieux magiques aux vapeurs embuées font frétiller la peau, suer les orteils et l’on ne se sent soulagé que déshabillé et définitivement mouillé, la tête en dernière de préférence, le fond étant rarement visible et la distance peu envisageable. La montagne, ou plutôt la rocaille incommensurable, constitue une autre facette de l’Islande. Au cœur de Landmannalaugar, à l’intérieur des terres, les collines se parent d’or, de vermeille, d’émeraude, de gemme et de topaze. Il semblerait qu’un arc-en-ciel soit tombé et que ses couleurs se soient accrochées de toutes leurs forces à ces falaises de pierre pour ne pas tomber. C’est un pays à part, mystérieux, où les paysages ressemblent à ce que nous connaissons tout en étant différents.

Une atmosphère étrange plane sur ces formes, ces couleurs, ces silences constants, comme si l’on était seul au monde. Les plages même ne sont pas les mêmes. Le sable noir, étincelant de noirceur, scintille comme une nuit étoilée à même le sol, que l’on foule sans trouver ni astre, ni diamant. Mais le véritable joyau de l’Islande c’est peut-être son eau. Elle reste une île où la glace est reine. Les glaciers ont beau fondre, les icebergs se décrocher et remonter à la surface comme des bouchons de champagne, l’eau est omniprésente. Entre la mer du Nord frigorifiante et les Blue Lagoon naturels à l’eau voluptueuse, les cascades éblouissent. Vapeur d’eau spumescente, bruit assourdissant et arc-en-ciel en pagaille, tout est subjuguant. Il faut batailler avec les cars de touristes pour les approcher, néanmoins certaines sont bien cachées et leur beauté n’en est que plus saisissante. Comme si d’un coup de point, Loki avait fendu la montagne pour libérer les fleuves, l’eau surgit de la fonte des glaciers en cascades écumantes, violentes, passionnées et torrentielles. L’Islande grandit l’âme, frappe l’esprit, stimule l’imagination et ravit l’œil autant que tous les autres sens. C’est tout à la fois la Terre du Milieu de Tolkien, le merveilleux de Narnia, le mystère de Lewis Caroll, la brutalité et la douceur, la subtilité et les découpes grossières, l’ardeur et la sensibilité. Pays des rêves, pays du voyage et de l’aventure, pays de la terre, de la pierre, de l’eau, du ciel, du sang, de l’humus, de la vie et de la mort. L’Islande, île à la hardiesse splendide et impitoyable.


PLASTIQUE CORPS Grégoire Lesourd

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Retrouvailles Gilles Celeux

Marion exulte. La revoilà à Londres après quatre ans. Ce printemps, elle retrouve les sensations fortes qu’elle avait ressenties lorsqu’elle avait débarqué pour prendre son premier emploi. Il règne la même tiédeur inattendue sous un soleil éclatant sans la moindre menace d’averse… Marion est envahie par les souvenirs heureux. Son séjour à Londres d’un an fut la période la plus heureuse de sa vie. Elle y allait pour décrocher un poste de styliste stagiaire qui tint les promesses les plus folles qu’elle s’était faite. La maison de couture était tenue par une bande de jeunes plutôt délirants ; speedés mais décontractés et sympathiques au possible. Ils dépensaient tous les jours une énergie énorme et rechargeaient leurs batteries le soir dans les pubs ou dans des soirées bruyantes et souvent surprenantes. Marion n’avait jamais rien connu de pareil, elle côtoyait chaque jour plus de monde qu’elle ne fréquentait à Paris en trois mois. Elle n’arrêtait pas de faire la connaissance de têtes nouvelles et découvrait des tas de choses. Elle habitait chez Élodie, la copine qui lui avait déniché son stage, un appartement de trois pièces assez petit mais près de centre (appartenant aux riches parents d’Élodie), ce qui était un privilège énorme dans cette ville encore plus chère que Paris. Ce qui émeut Marion, avant tout, c’est son arrivée à Londres un jour comme aujourd’hui avec le même beau temps fragile. Elle avançait ravissante, tirant sa valise dans Oxford Street à la recherche de l’immeuble d’Élodie. Enjouée, elle aborda un jeune homme de son anglais approximatif pour lui demander son chemin. Il lui répondit en français et se proposa de l’accompagner. Elle se rendit compte immédiatement qu’elle plaisait beaucoup à ce grand garçon dégingandé. C’était Benoît et ce fut son boyfriend durant tout son séjour londonien. Ce disant, je dis peu. Benoît fut le grand amour de sa vie. Leur liaison coïncida à peu près au séjour londonien de Marion. Les choses changèrent lorsqu’elle quitta Londres à la fin de son stage d’un an. Elle devait rentrer en France et pensait revenir rapidement. Mais les choses ne se passèrent pas ainsi. Marion ne trouva pas d’emploi à Londres et, sans qu’il y eût de crise violente, leur couple se délita. Benoît fut obligé, à son tour, de quitter Londres pour Hambourg. Son entreprise l’y envoyait pour une mission de durée indéterminée. Leur amour ne résista pas à cet éloignement. Les voyages Paris-Hambourg coûtent cher et les courtes retrouvailles rompent le charme. Il en persistait une impression d’irréalité et les séparations poignantes à l’issue du séjour laissaient un arrière-goût désagréable. Pour se consoler et se distraire, ile eurent des aventures et leur couple n’y résista pas. Du fait de leur éloignement, la rupture n’eut pas une violence proportionnée à l’intensité de leur amour. Aussi les rancœurs s’effacèrent vite et ils pensaient l’un à l’autre souvent et avec douceur. Pourtant Marion répugnait à retourner à Londres, bien qu’elle en eût plusieurs fois l’occasion. Cette ville était trop liée à son bonheur passé et qui était bien perdu. Quatre ans après, elle avait fini par se laisser tenter et retrouvait avec émotion la ville de la période la plus intense de sa vie. Elle marchait dans les rues, portée par ses souvenirs qui affluaient sans lui laisser de répit et la ramenait toujours à Benoît. Elle baignait dans une mélancolie euphorique, sentiment insolite et curieux que la vue toujours renouvelée des rues de son passé entretenait avec une vivacité extrême. La rue était grouillante de monde et au feu rouge les gens s’entassaient sur les deux trottoirs d’Oxford Street. Marion était au premier rang pour traverser à 24


l’endroit même où elle avait interpellé Benoît quatre ans plus tôt pour demander son chemin. Juste avant que le flot de voitures ne s’écoule, elle observa le groupe de piétons qui lui faisait face. En plein milieu de la première rangée, elle vit Benoît qui dépassait ses voisins d’une tête… Oui Benoît… Lui aussi vit Marion au même instant. Ils étaient abasourdis de se rencontrer là où ils s’étaient connus. Mais surtout ils comprirent que chacun pensait à l’autre intensément en déambulant dans Londres et qu’ils s’étaient retrouvés. Ils se regardaient les yeux brillants et tout leur être était envahi de tendresse. Ils étaient en lévitation, euphoriques et follement amusés d’être séparés par la rue, empêchés de bondir vers l’autre par la circulation. L’attente du plaisir est plus grande que le plaisir même… Ils riaient maintenant, savourant cette séparation superficielle qui allait bientôt se terminer. Marion était prise de vertige ne pouvant pas détacher son regard de celui de Benoît. L’osmose de ces deux amoureux malgré la dizaine de mètres qui les séparaient était émouvante et fascinante. Soudain, Marion fut prise d’une impulsion irrésistible. Par jeu, elle voulait être la première à rejoindre Benoît. Ayant aperçu que la circulation s’atténuait, elle jeta un rapide coup d’œil à gauche et se précipita sur la chaussée. La camionnette la percuta de plein fouet. Le choc fut si violent que la foule poussa un cri d’horreur qui glaça les passants éloignés du carrefour. Je crois bien que Marion n’expira pas tout de suite et qu’elle eut le temps de voir le visage de Benoît penché sur elle, image même du désespoir et du malheur.


Levalet  Les  dormeurs


Conte d’hiver Marc Senet

Pierre déambulait dans les rues immobiles de l’hiver. Il avait la trachée obturée et n’arrêtait pas de tousser et de renifler pour relâcher le nœud qu’il avait à la gorge en l’écartant et le resserrant par à-coups. Il tenait son ventre vide d’une main crispée. Il avait l’impression que son estomac se déroulait à l’infini, dégorgeant dans des gargouillis semblables à ceux d’un évier qu’on expurge à coup d’acides puissants. Il n’avait pas mangé ce midi et il avait faim mais il ne se voyait pas avaler quoi que ce soit. Il avait fêté Noël dans l’excès et, pendant les longs repas de famille, les plats s’étaient enchaînés sur des après-midis entiers. Peut-être était-ce ces souvenirs égoïstes et gourmands, peutêtre était-ce la faim, peut-être était-ce la maladie, qui le firent compatir pour un pauvre clochard affalé contre la bouche d’aération fumante d’un restaurant de luxe. Il ne gagnait pas énormément de sous lui-même et ne donnait jamais aux mendiants, s’excusant intérieurement de ne pas pouvoir donner à tout le monde, mais cette fois, il allait le faire, il savait qu’on fond de sa poche trainait un billet de 5 euros. Dormir dans se froid, ne manger qu’un maigre repas par jour, trainer sèchement ses os sur les pavées, la vie de cet homme devait être dure. Quand il l’approcha, il vit qu’il était endormi. Son souffle était court. Il avait l’air bien mal en point. Il se dit qu’il se réveillerait surement au milieu de l’après-midi quand la température se serait adoucie. Il glissa donc le billet sous la joue du dormeur, et partit sans un bruit. Un air satisfait illuminait à présent son visage. Il rejoignit un ami dans un café quelques rues plus loin. Il eut la modestie de ne pas lui faire part des preuves récentes de sa générosité. Quand le miséreux ouvrit les yeux, il sentit le billet de 5 euros qui lui caressait doucement le visage et le saisit dans ses mains. Il le tendait devant lui comme touché par la grâce de Dieu. Cela fit sourire un passant. Pourtant il ne pouvait pas saisir toute l’ironie de cette scène. Comment aurait-il pu savoir qu’après avoir mangé le dernier repas que lui permettrait cette fortune soudaine, il attraperait la mort ? Une maladie contagieuse de provenance inconnue eut son rôle à jouer dans ce triste événement. Son système immunitaire affaibli ne put rien.

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Philippe  Lobgeois



Artistes

Nous avons voulu ce numéro 2 plus riche en découvertes artistiques, ce qui nous a amené à convier plus d’artistes dans l’aventure... Tout d’abord, vous avez pu découvrir en couverture la jeune artiste Aline Robin, et ses fauves rugissants. Son art bondit et vous saute à la gorge, animal et vivant, fort et lumineux. Les tigres sont comme répétés comme les traces d’un tampon qu’un enfant aurait martelé sur la feuille. On aime cette poésie de la répétition et de l’animal, esthétique simple. Après Aline Robin, vous avez tourné la page et êtes tombés sur Sandrine Estrade Boulet, une artiste / illustratrice fascinante, une fabricante d’air frais pour les yeux, qui photographie des vues a priori sans intérêt, pour ensuite leur ajouter des détails souvent cocasses ou poétiques, pour former ce qu’elle appelle la « réalité augmentée », sa « rêvalité ». Quand on l’interroge, elle cultive le mystère : qui te dit que ce n’est pas moi qui suis allée peindre sur le mur le motif ? Effaçant la frontière entre le réel et le fantasme, son art est joyeux comme les bulles du Champagne ! Pieter Brueghel l’Ancien nous a offert le fond de nos actualités hivernales, en souvenir de la magnifique exposition de l’hiver dernier à Vienne, sur l’hiver en peinture... Car qui a mieux peint l’hiver que lui et la génération d’artistes qui l’entourent ? Les champs blancs et les arbres noirs et découpés ont marqué notre vision esthétique de l’hiver, à jamais. C’est à Van Gogh, grand lettré, que nous empruntons ensuite une magnifique nature morte de livres. Mais peut-on faire une nature morte avec des objets aussi vivants ? Justement, cette peinture semble mouvementée, les livres dansent et les couleurs sont chaudes. Magnifique ! Romain Colliez est étudiant en Histoire à la Sorbonne, et dessine dans les marges à chaque cours. Quand on l’interroge, il explique qu’il n’arrive à dessiner qu’en faisant autre chose en même temps. Cancre génial ou artiste marg-inal, on a aimé ses motifs fantastiques placés aux côtés de notes sérieuses. Sandrine Autin est une de nos rédactrices à l’esprit le plus fertile : c’est donc avec enthousiasme que nous avons reçu sa proposition d’accompagner son article sur Séraphine de Senlis d’une des peintures que l’artiste lui avait inspirées... Nous parlons dans notre manifeste de l’absence de mots pour décrire l’impression esthétique : répondre à l’esthétique par l’esthétique est un bon moyen de parvenir à communiquer l’abstraction de ce qu’on peut ressentir devant une toile qui nous touche. Bravo Sandrine ! Gilles Rammant est le photographe qui nous a permis d’illustrer notre interview de Louise de Ville : son portrait est remarquable et rend un hommage grandiose à la magnifique Louise de Ville. Grégoire Lesourd est un jeune photographe que nous aimons beaucoup : ses photographies sont pleines de silence et d’attente et le regard du spectateur devient une cérémonie qui parcourt l’image... On aime tout particulièrement cette série de photographies à la géométrie troublante et mystérieuse... Nous sommes particulièrement heureux de compter parmi les artistes du numéro 2 Levalet, un jeune street artist qui travaille le collage. Ses Dormeurs sont une idée de génie qui accompagne particulièrement bien la nouvelle de son ami Marc Senet ; ils transforment une triste banalité en motif esthétique surprenant et, dans le fond, assez rieur puisque il a pris pour modèles ses propres amis... Enfin, Philippe Lobgeois nous offre un magnifique dessin. En le regardant, on entend le vent souffler, la solitude de la femme, sa peur, son effroi. L’image est forte et sensible... Et notre cœur bat plus fort.

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Mirages numero 2 hiver 2013

Retrouvez Mirages en couleurs sur miragesfanzine.tumblr.com Directrice de la publication & rédactrice en chef : Maïlys Celeux-Lanval Conception artistique: Maïlys Celeux-Lanval, conseillée par Sylvain Azzi Rédacteurs: Sandrine Autin Gilles Celeux Maïlys Celeux-Lanval Bénédicte Gattère Chloé Kervio Barthélémy Lagneau Maya Lanval Malory Pacevicius Pierre Poligone Jules Santucci Darmanin Marc Senet

Artistes: Sandrine Autin Sandrine Estrade Boulet Romain Colliez Grégoire Lesourd Levalet Philippe Lobgeois Gilles Rammant Aline Robin

Ecrivez-nous à l’adresse miragescontact@gmail.com ISSN en cours Imprimé en France

Crédits: page 1: © Aline Robin, Sans titre de la série Grand Fauves, feutre sur papier, 2012 page 2: © Sandrine Estrade Boulet, Lumière page 4: © Pieter Brueghel l’Ancien, Chasseurs dans la neige, 1565, Vienne, Kunsthistorisches Museum page 5: © Jan Fabre + © Franz Xaver Messerschmidt, Homme de mauvaise humeur, 1771-1783, Paris, musée du Louvre page 6: © Lorene Abfayer, trois dessins pour l’exposition Daughters of Feminism, encre sur papier Canson, 2012 page 9: © Vincent Van Gogh, Nature morte aux livres et à la rose, 1887, Van Gogh Museum, Amsterdam page 10: © Romain Colliez, cinq dessins sans titre, encre sur papier, 2012 page 12: © Sandrine Autin, Hommage à Séraphine de Senlis (détail), acrylique sur papier kraft, 2m x 1m50, 2012 page 15: © Séraphine de Senlis, Les Grappes de raisin, Huile sur toile, 146 x 114 cm, vers 1930, Collection Dina Vierny page 16: © Gilles Rammant, Louise de Ville page 18: © Nath-Sakura page 20: © Chloé Kervio, Islande, 2012 page 22: © Grégoire Lesourd, Trois photographies de la série Plastique corps page 25: © Maïlys Celeux-Lanval, Londres, 2011 page 26: © Levalet, Les Dormeurs, 2012, encre de chine sur papier sur mur, Paris page 29: © Philippe Lobgeois


Manifeste Le plaisir comme intelligence. Le plaisir n’a rien à voir avec les idées. L’art est plaisir, l’art n’a rien à voir non plus avec les idées, il n’a rien à voir avec les -isme, il n’a rien à voir avec les étiquettes, l’art est vivant, il palpite, l’art explose et nous éclabousse, et la théorie repart déçue, car l’art lui échappe. Parler de l’art pose la difficulté intime au rédacteur de poser des mots étriqués sur l’infiniment séduisant, repoussant, étonnant. On ne saurait parler avec exactitude du charme indicible d’une couleur… Mais c’est justement ce charme de l’émotion, ce courant d’air qui inspire

Mirages. La volonté de créer un journalisme esthète et informel a fait naître l’idée d’un journal des arts qui ferait partager autre chose que de l’information. La transmission de données a ses limites, mais on ne peut arrêter la créativité qui se trouve dans chacune de nos sensibilités. Car le meilleur moyen de s’enrichir est d’écouter ce que peuvent nous offrir les sentiments des autres, les rédacteurs de Mirages se proposent de vous parler de ce qui les a fait vibrer, pleurer, sourire. Nous vous ferons saliver, dans l’espoir de vous donner envie d’aller voir ce dont nous vous parlerons et de vivre, à votre tour, votre propre expérience.

Mais de quoi parlerons-nous ? Pour répondre à cette question, posons-en une autre : qu’est-ce que l’art ? L’art est un tableau, une statue, un film, un tag, mais l’art est aussi niché ailleurs, dans cette faille qui fait la beauté de toute une journée. Une bonne tartine de confiture dégustée avec une jolie copine sur une jolie place, c’est de l’art. Mais bien sûr ! Il suffit de le voir ! Mirages vous parlera de ses balades, de ses dîners, de ses expositions bien sûr, de pièces de théâtre, en somme, de tout ce qui nous a paru chouette, et que nous avons passé au filtre d’un œil esthète. Nous vous ferons envie, car notre motivation n’est pas de garder nos textes dans nos calepins, mais de faire participer le monde entier à nos plaisirs.

Redéfinir le sens du mot art, lui faire prendre l’air, et ce grâce à un journalisme contemplatif et amoureux, voilà la volonté de la revue d’art Mirages.


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