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ibilka

le magazine

NUMÉRO 14 – 2017 negu/hiver

Barcus

Aux confins d'Euskal Herri, ce petit village de moins de 700 âmes occupe une place particulière dans l'imaginaire basque. Il est un peu le Conservatoire de l'identité souletine

L'Arboleda

Les stigmates de la nature, dans cette banlieue de Bilbo, témoignent des tortures auxquelles la terre fut soumise pendant des siècles pour l'extraction de minerai. Matéo, ancien mineur, nous raconte.

Guernika

Il y a 80 ans, le 26 avril 1936, la Légion Condor bombardait Guernika. George L. Steer, reporter de guerre anglais, arriva le premier sur les lieux.

Pont de Biscaye

Il relie Portugalete à Getxo et il fut le premier pont transbordeur construit au monde. Un endroit unique, comme d'autre au Pays basque que nous vous ferons découvrir.


t e x t e Txomin Laxalt / photographie musée Basque

La hache,

l’outil du quotidien

Aizkora, eguneroko tresna Nahiz eta egunero ez den gehiago erabilia, lan txikietarako, herri kiroletan eta gure sinboloen liburuan aizkorak presentzia atxikitzen du.

des nôtres ! », nous préférons les vers plus enlevés il nous souvient, enfant, dans la maison de la jota navarraise : « Si las hachas ya no suenan/ familiale de Maule (Mauléon), alors Hay silencio en Irati/Los valientes almadieros/Por el que l’orage grondait, de notre aitañi rio ya no bajan », parce qu’avant les stridulations (grand-père) se précipitant dans la agressives de la tronçonneuse, seul l’écho des chocs cour pour y planter en son mitan, sourds de la cognée, en une association heureuse aizkora (la hache : aizkora, de aiz du fer et du bois, venait troubler la quiétude de pierre et gora, haut), symbole d’Ortzi nos forêts. À ce titre les aizkolaris (bûcherons) de le dieu du tonnerre. Un immémorial itzaltzu (Nafarroa) étaient passés maîtres dans l’art comportement longtemps demeuré de l’abattage des arbres. mystérieux mais renvoyant à ce qu’en Aizkora ou, à travers l’histoire, une bien curieuse disait Philippe Oyhamburu dans son destinée. D’abord arme et outil, les vascons l’utilisèrent livre L’Irréductible phénomène basque sans doute au fond du ravin d’ibañeta (Roncevaux), * : « Des mots actuels comme aizkora sus à l’ost franc, ce 15 août 778. Remisée au magasin (hache), aitzur (pioche), aixturrak des armes réformées, jusqu’au crépuscule des années (ciseaux) aizto (couteau), azkon (dard), contiennent cinquante, elle fit partie de la panoplie d’ikazkiña tous la racine aitz (pierre), prouvant une contem(charbonnier) comme elle demeure poranéité évidente de l’euskara avec l’attribut du Zulatzaile (sapeur) l’âge de pierre. » Notre aitañi et son Mots-clés/Hitz gakoak lors de la célébration de gorpuzti paratonnerre de fortune, démonCouper : moztu eguna (Fête Dieu). L’avènement traient de merveilleuse façon la force Manche : eskuleku de la ville l’abandonna définitide la mémoire collective. D’Ortzi, le Fil : aho vement au seul défi, récupérée dieu du tonnerre, il n'en aura jamais par les jeux dits de force basque. rien su comme il aura ignoré qu’au Aiguiser : zorroztu Prémices d’embellie certaine après sommet de nombreuses montagnes des années de cieux chargés, aizkora s’efface des d’euskal herri, des haches y sont plantées à demeure. murs de la cité quand, associée au caducée, elle Ainsi, au sommet de l’Aizkorri (gipuzkoa, 1 531 m), appelait à la lutte armée. elle n’inspire plus que le le bien nommé, illustration parfaite d’un étonnant poète, ainsi Fermin Muguruza qui invite à l’aiguiser syncrétisme, la hache païenne y côtoie l’ermitage métaphoriquement, aizkorak zorroztu, s’agissant chrétien et, chaque année, monté du sanctuaire de défendre l’euskara. Raison est enfin donnée à d’Arantzazu, un moine franciscain vient bénir aitañi, il n’y a plus que la foudre qui a vraiment à l’ensemble pour protéger les bergers des pâturages craindre d’elle. d’Urbia du vent, de la foudre et des tempêtes. À la terrible phrase de Sorj Chalandon venant en ouverture de son livre témoignage Retour à Killy(1) L’irréductible phénomène basque : Éditions entente (1980) begs (2) et à laquelle aizkora me fait souvent songer : (2) Retour à Killybegs : Éditions grasset « Savez-vous ce que disent les arbres quand la hache entre dans la forêt ? Regardez ! Le manche est l’un


Éditorial

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Les chemins de la mémoire

Société éditrice : BAMI Communication Rond-point de Maignon, Avenue du 8 mai 1945 BP 41 - 64183 Bayonne bami-communication@bami.fr Directeur de la publication : Jean-Paul Inchauspé Coordination : Jean-Paul Bobin bobinjeanpaul@gmail.com

Textes : Txomin Laxalt, Jean-Paul Bobin Direction artistique : Sandrine Lucas atmosphere2@gmail.com

Fabrication : Patrick Delprat Iru Errege Le Forum 64100 Bayonne N° ISSN 2267-6864 Photos : DR. : p. 18-19-21-22 Couverture : Santiago Yaniz Aramendia

D

ans la banlieue de Bilbo, les blessures de la terre témoignent des stigmates de la mémoire ouvrière du siècle dernier, celle des mineurs qui, souvent au risque de leur santé et parfois de leur vie, extrayaient le minerai de fer. Matéo, 83 ans, se souvient : « Il fallait quatre heures pour percer un mètre ». Aujourd'hui, seules la nature et une poignée de survivants de cette épopée industrielle semblent se souvenir de ces grandes heures de l'histoire industrielle de la Biscaye balayée par l'amnésie sociale et les voiles de titane du Guggenheim. Par contre, c'est la grande histoire, celle qui s'écrit avec une majuscule qui est convoquée pour évoquer le 26 avril 1937. Ce lundi, c'était jour de marché à Gernika lorsque les avions de la Légion Condor bombardent la ville. Le journaliste George Steer, arrivé sur place le lendemain témoigne : « Gernika, la ville la plus ancienne des Basques et centre de sa tradition culturelle, a été totalement détruite hier après-midi suite aux bombardements aériens des troupes insurgées. Le bombardement de ce village exposé, éloigné de la ligne de front, dura exactement trois heures et quart. » À l'opposé, l'anecdote historique islandaise prête à sourire. Près du cercle polaire, cette petite nation d'à peine 350 000 habitants a décidé, elle aussi, de panser ses blessures et, enfin, de proscrire de son code pénal, 300 ans après l'y avoir inscrit, un décret du XVIIe siècle qui permettait de tuer en toute impunité les personnes d'origine basque ! Les conflits entre baleiniers n'ont plus lieu d'être… En Soule, à Barcus, le petite communauté s'évertue, quant à elle, à faire vivre les traditions notamment celles de la danse et de la pastorale, à les entretenir pour les transmettre aux jeunes générations. Amnésie, commémoration, abolition, transmission…, les chemins de la mémoire se perdent dans d'étranges et tortueux méandres du temps, ciment entre hier, aujourd'hui et demain. C'est avec un plaisir renouvelé à chaque numéro que je vous invite à les découvrir et je vous donne rendez-vous au mois de mai pour de nouvelles et belles rencontres avec notre Pays basque. Jean-Paul Inchauspé, Directeur de la publication


PORTRAIT

t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e Cédric Pasquini

Lucien

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Etxezaharreta euskara dena errateko


PORTRAIT dates clés

1957

1981

1982

1990

Depuis 1997

Entrée en 6e au Lycée de Bayonne, premier Spoutnik.

24 décembre, lancement de Gure Irratia.

Février, premier numéro de la revue Maiatz.

Naissance de Euskaldunon egunkaria.

Émission hebdomadaire Gure bazterrak.

l’euskara pour tout dire Lucien Etxezaharreta-k euskara bihotzean dauka. Bere bizitza eskainia du frogatzen edozein hizkuntzak mundua konta dezakela.

L'

alchimiste aurait-il pu dégauchir meilleur endroit que le cœur de Bayonne pour y poser son athanor ? Au débouché d’une de ces rues dont on pressent le silence, où les rares commerces ne sauraient porter d’autres noms que ceux d’échoppes, le magazine Maiatz opère ses transmutations. Lucien Etxezaharreta (Urkodoi/Urcuray, 1946) officie au creuset. Dans un monde où l’étiquette fait foi, dans la rubrique profession, il serait bien difficile de définir sa qualité. Éditeur ? Si nous osions la comparaison, Lucien ferait immanquablement songer à Maurice Nadeau, quêteur obstiné de talents et dont chaque publication de La Quinzaine littéraire relevait du prodige. Journaliste ? Nous renvoyons à Maratila, sa chronique quotidienne du quotidien en langue basque Berria. En posant en quelque 1 500 signes, exercice journalistique aussi universel que difficile, un regard décalé sur le monde, il a rejoint le cercle envié de ceux dont on ne manque pas le billet. Et d’expliquer ce qui lui apparaît comme une évidence : « L’euskara est apte à exister, il est une langue sociale permettant des échanges ». L’euskara, Lucien Etchezaharreta s’en est nourri dès la mamelle, ancre neuronale d’un vaisseau amiral que sept ans d’un rude internat au lycée de Bayonne n’auront pas réussi à faire déraper. « Par bonheur, d’extraordinaires professeurs m’ont permis d’avoir accès à la culture française dont je me suis nourri. » Son passage à l’Université de Sciences de Pau (1965) où il décrochera une licence de physique, le met en contact avec Jean-Louis Maitia, figure de la culture, mort tragiquement en 1996, « une rencontre déterminante », souligne-t-il. L’heure est aux émancipations des peuples du monde, aux métamorphoses dans l’Hexagone, avec comme effet induit en Euskal herri, une autre perception du pays. « Nous vivions une crise morale après le constat d’état d’abandon de la langue, l’exil des jeunes, un tourisme non maîtrisé ; une prise de conscience par le biais de la culture s’imposait. »

Rencontres sur le terreau fertile de l'euskara Fort d’une première expérience acquise dans la rédaction de Ikasle (1967), un journal destiné aux étudiants, Lucien participe à l’aventure d’Amaia (1968). Participant de l’embellie, le mouvement se révélera un véritable atelier de formation culturelle. Une parenthèse de six ans dans l’enseignement précède un fécond intervalle parisien (1972-1981) durant lequel il travaille comme documentaliste au Conservatoire National des Arts et Métiers, « un lieu passionnant marqué par l’empreinte du monde du travail et la tradition syndicale », point d’orgue d’un voyage initiatique. S’impose alors la décision d’une irréversible immersion dans le

maelstrom culturel, favorisée par son embauche dans l’équipe de Gure irratia (1981), la première radio en langue basque. Un grand œuvre collectif ou le fruit de rencontres et d’amitiés nouées sur le terreau fertile de l’euskara et nourries par la volonté plazara jalgitzea (qu’il gagne la place publique), pour évoquer le vers fameux de Bernard Detxepare. Aux côtés de l’infatigable chanoine Lafitte, bien sûr, mais aussi de tous ceux qui se sentaient l’âme novatrice « et pressentis aptes à pouvoir écrire », rappelle Lucien. Sa préface du premier volume des écrits de l’indomptable Eñaut Etxamendi sonne comme un manifeste : « Herri >> leun ordenatu bat aipatua eta goraipatua zuten ordu arte idazle kasik guziek. (Jusqu’ici presque tous les auteurs s’attachaient à célébrer un pays bien lissé) ». Un cénacle éclot en 1982 ; ce sera la revue Maiatz. Elle réunit non point quelque élite d’une littérature basque mais des auteurs écrivant en basque : Aurelia Arkotxa, poète topographe d’un improbable planisphère, l’imprévisible Itxaro Borda mais aussi Auxtin Zamora, Mayi Pelot, Henriette Aire, Manex Pagola, Txomin Peillen, Jean-Louis Davant, enfin tous ceux que rongeait l’envie de déserter une commode Euskal Arcadie. « En faisant exister des mondes par la création littéraire nous donnions une nouvelle vie à l’euskara. » Lucien Etxezaharreta c’est aussi une voix, celle de Gure bazterrak une rando ethnographique proposée une fois la semaine sur les ondes de Gure Irratia. Un modèle de reportage radio où, s’immisçant dans les propos de bergers ou de voisins, les bruits parasites aussi variés que le fredon d’une source, les bêlements de brebis mercurielles ou dans les lointains, le bronze fêlé d’une cloche, loin de troubler ses descriptions avisées, concourent à brosser un saisissant paysage sonore. Habitant le XVIIeᵉsiècle, le qualificatif d’Honnête homme lui aurait sis ; hôte du XXIe, arguant des mots de son pays, Lucien ne se prétend que témoin du monde.

Un cénacle éclot en 1982, ce sera la revue Maiatz.

Mots-clés/Hitz gakoak Langue : hizkuntza Éditeur : argitaratzaile Écrivain : idazle Talent : dohain


village/Barkoxe

Barcus

sur cet air dÊlicieux‌ Bere bizkortasuna, Barkoxek bere kultura eta bere nortasunik ateratzen du. Herri atipiko horren bisite proposatzen dizuegu.

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village/Barcus

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Polo Garat

Barkoxe, ahaide delizius hontan…

Quand au mois de mars l’été bat son plein hémisphère sud, à Buenos Aires, on s’abandonne volontiers aux terrasses. L’historique Avenida de Mayo déroule ses 1 500 m depuis le Congrès pour s’achever au niveau de la Casa Rosada, le palais présidentiel. Au n° 825, le célébrissime Café Tortoni y déploie ses ors. Le vin de Mendoza que nous dégustions comme on conclut un pèlerinage, en une déroutante odyssée spatio-temporelle, nous renvoya vers Barkoxe (Barcus). C’est en 1858 que Jean Touan (Barkoxe, 1818 -Buenos Aires, 1872) ouvrit l’établissement qui verra défiler les plus grands noms de la culture internationale, politiques et conspirateurs de

Conservatoire Davantage qu'un simple village souletin, Barcus est le conservatoire de l'âme du Pays basque. Notre photographe, Polo Garat, enfant du village, a su en saisir, avec talent, les moindres frissons.

tous poils, dont l’Amérique latine ne fut pas chiche. À partir de 1872, ce sera un autre Barkoxtar, Célestin Curutchet, qui régnera sur les marbres et les colonnades du plus porteño des bistros souletins. Quant à l’histoire de Léon Uthurburu (18031860), un autre enfant de Barkoxe, elle est encore plus édifiante. Comme nombre de jeunes Basques, il s’embarque vers l’Amérique du Sud, y fait fortune et devient vice-consul de France à Guayaquil (Équateur) à l’heure où le continent tente de forger son unité. Le Souletin aide de ses deniers le dictateur Flores et son bras armé, le général Villamil lesquels, ne pouvant s’acquitter de leurs dettes, lui cèdent l’île Floreana située dans


vILLAGE/BArkoxE

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La txula, pelote très basse sur mur du fond, est un must réclamé par le public

Qui le savait ? Barcus est bel et bien le plus occidental de tous les villages d'euskal herri, avec sa façade sur le pacifique !


village/Barcus

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Du pain social Mathieu Garat, jeune boulanger de Barkoxe, est convaincu de son rôle social. Chaque jour il effectue une tournée de 100 km autour du village pour distibuer un peu de… pain social.

Produits locaux Pierre Chilo et sa très réputée table à la cuisine inventive, n'accueillent pas que des gastronomes de passage avides de produits locaux, elle est aussi le lieux de rendez-vous des jeunes de Barcus.

l’archipel des Galapagos. Cousu de pesos, Léon Uthurburu s’en revient à Barkoxe et, à sa mort, lègue les deux tiers de l’île au village. Barkoxe, vétilleuse quant aux destinées des terres communales, essaya bien de récupérer son bien. Peine perdue, ou le godalet de terre contre la diplomatie internationale de fer ! Il n’empêche, Zuberoa a bien une façade sur le Pacifique. Cette longue introduction pour souligner combien Barkoxe, 699 habitants, est un village atypique possédant une identité affirmée sans doute due à sa situation en limite de Euskal herri. Pas moins de quatorze quartiers – une ode à l’architecture souletine et à une vocation agricole – essaiment le territoire de la commune, se faufilant entre des coteaux boisés, flirtant avec les limites floues d’un Béarn que bornent les placides eaux du Joos et un complexe maillage de ruisseaux et rus. Son voisinage avec Eskiula (Esquiule), la commune souletine sise administrativement en Béarn, lui assigne la lourde charge de dernier poste avant nouveaux horizons.

La Coutume de Soule La quiétude des jours ouvrables ne doit pas occulter une activité tournée essentiellement vers l’élevage ovin – la commune compte soixante-quatre exploitations agricoles – mais aussi, pour nombre de Barkoxtar, vers le bassin économique d’Oloron Sainte-Marie, le premier voisin. Néanmoins, les fondamentaux services de proximité sont bien présents dans le village. Passé la place, endroit névralgique – ici se donne pherediküa de la mascarade – où se font face le fronton, l’église, la mairie et l’auberge, nous faisons halte à la boulangerie-pâtisserie. Mathieu Garat n’avait que 19 ans et demi quand il décida d’en rallumer les feux sur les conseils avisés de

Agora Le fronton souletin, c'est un peu l'agora des Grecs, le lieu de rassemblement social, culturel du village, celui où se rencontrent les générations, où se transmettent les traditions.

Poète Patrick Kanpo Queheille (cicontre), poète et unique employé municipal de Barkoxe, veille autant sur l'apparence physique de la commune que sur sa vitalité culturelle.

son parrain, meilleur apprenti de France en cuisine, chez Chilo, l’emblématique restaurant : « Tu cherches un joli métier ? Boulanger à Barcus ! ». À l’heure du jaune partagé dans l’atelier, dans les fragrances de la dernière fournée et du russe, une de ses spécialités – à Barkoxe, il clôt joliment tout repas dominical – Mathieu évoque quelquesunes de ses initiatives qui participent d’une forme de solidarité villageoise. Un métier passion qui le contraint à ne pas compter les heures : « Un choix assumé pour jouer l’irremplaçable rôle socio-économique du boulanger dans un village, d’ailleurs tous les jours nous assurons 100 km de tournée. ». Barkoxe c’est aussi un attachement sans faille au pastoralisme. On est tout aussi attentif à tzintzarrada (l’assortiment de sonnailles) et au fardage des brebis montant à l’estive qu’à la pérennité du plus vieil office de Zuberoa. Faut-il rappeler que la Coutume de Soule, établie en 1520, n’est pas un texte vain, cinq cents ans après sa rédaction elle gère encore les rapports sociaux et établit, pour tous les Souletins, la liberté personnelle comme le libre usage des terres. C’est dans cette lignée que s’inscrivent Beñat Biscay et sa compagne Véronique Carriorbe. Titulaires d’un BTS agricole, ils n’ont jamais envisagé un autre métier que celui de berger. Quand, de mai à octobre, l’estive ne les retient pas du côté d’Arrazolatze (Irati), ils veillent, quartier Chapelle, à fleur de coteau, sur leurs 260 brebis et 35 vaches. « Barcus n’a rien perdu de sa dynamique agricole, d’ailleurs, quatorze exploitants ont moins de 35 ans et, depuis un an et demi, cinq se sont installés », souligne Beñat avec enthousiasme. Nous assistons en famille à un double agnelage, l’occasion d’aborder avec Véronique les questions d’organisation surtout avec trois enfants. « Dans la pure tradition du


vILLAGE/BArkoxE

Ce dynamisme qui caractĂŠrise le village, c'est en grande partie dans son patrimoine culturel qu'il le puise.

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village/Barcus

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Berger, bergère Véronique Carriorbe et Beñat Biscaye, son compagnon, n'ont jamais envisagé un autre métier que celui de berger, dans la plus pure tradition pastorale souletine.

Chez Sylvain Pas de village sans son bistrot, cet endroit rare, ce quai du départ vers d'uniques et impossibles voyages. Chez Sylvain (ci-dessous) en est l'illustration.

Tradition La tradition n'est pas cette pensée nostalgique dans laquelle certains tentent de l'enfermer, c'est une racine qui permet à toutes les générations d'éclore.

Ensemble Culture et sport - surtout rugby - , deux mondes qui se sont longtemps côtoyés et que le spectacle estival, écrit par Parick Kanpo, devrait réconcilier

kayolar souletin, les tours de rôle permettent d’avoir du temps libre et de s’autoriser quelques jours de vacances », explique-t-elle. Une solidarité pastorale que tient à évoquer Beñat : « Il y a aussi ces deux mercredis par mois où nous nous retrouvons entre bergers pour un casse-croûte chez Sylvain Lechardoy ou chez Chilo, afin de parler de nos problèmes comme de nos projets. » Chez Sylvain comme Chilo, les deux auberges incontournables, participent de l’indispensable lien social. Chez le premier on y prend l’apéro de fin de semaine, comme on y abaisse tardivement le rideau après la mascarade traditionnelle quand le second relève de l’institution sur la route gastronomique du Pays basque. L’ancienne auberge familiale est devenue l’excellente table que l’on ne présente plus : « Un pari que l’on a su gagner, à partir de l’héritage culinaire familial », confie Pierre Chilo, lequel a su être prophète en son pays ; à Barkoxe, un événement familial ne saurait être célébré ailleurs que chez lui et une fois par mois, c’est encore là que les Barkochtarrak viennent affermir un répertoire, pourtant déjà riche, de chants.

Patrimoine culturel Ce dynamisme qui caractérise le village, c’est en grande partie, dans son exceptionnel patrimoine culturel qu’il le puise. Nous avions tenu à aller sur ce coteau isolé où, dans un embrouillamini de ronces – à l’image de sa vie – achève de se déliter la maison de Pierre Topet Etxahun, meurtrier par passion, taulard, tricard, routard – il fit Saint-Jacques et Rome avant l’euro balisage – mais koblakari (poète) avant tout. Les magnifiques bertset (vers) de ce Villon local mâtiné de Rimbaud, trahissent un écorché vif, un mal aimé : edertasünez pobre sortü nintzelako (Parce que je suis né pauvre en beauté), ainsi qu’il l’affirmait. Quoiqu’il s’en défende, « je préfère le devoir de transmission », Patrick Kanpo Queheille vient dans la filiation du poète maudit, de Bernard Mardo, rejeté pour avoir épousé une bohémienne, ou d'Alexis Etxekopar Attuli. Tous, en célébrant la vieille langue,

ont désigné Barkoxe – depuis la guerre, elle a monté six pastorales et s’honore d’une remarquable école de danse – comme un « Conservatoire » de la tradition dans le sens le plus noble du terme. Danseur exceptionnel, auteur de pastorales avec son complice Fabien Lechardoy errejent (metteur en scène) de légende, Patrick Kanpo (nom de la maison familiale) Queheille, unique employé municipal, veille autant sur l’apparence physique de la commune que sur sa vitalité culturelle. « Une force que l’on tire aussi de l’euskara que l’on pratique au quotidien, ce n’est pas un village qui est en train de mourir » assène-t-il. Une vie associative forte tant au niveau de la culture que du sport, essentiellement le rugby : « Deux mondes qui se sont longtemps juste côtoyés et qu’il fallait impérativement réunir. » Patrick s’y attache qui prépare pour l’été un de ces spectacles dont il a le secret. S’y mêleront quelques endosses du quinze de l’Avenir de Barcus et les orfèvres du frisat (entrechat) de l’association Etxhahun, autour de trois événements forts de l’histoire du Pays basque : Orreaga (Roncevaux, 778), la douloureuse jacquerie souletine de Matalas (1661) et Gernika (1937) : « Il ne suffira pas d’être présent sur scène au jour du spectacle mais à différents niveaux, de s’impliquer autour de ces épisodes durant toute l’année », prévient-il. Un décalage dont le vieux Topet aurait fait son moût : Ahaide delizius hontan, bi berset gei tit khantatü (Sur cet air plaisant j’ai bien l’intention de vous chanter deux vers)…

Mots-clés/Hitz gakoak Poète : koblakari Exploitation agricole : etxalde Pastoralisme : artzaingo Spectacle : ikuskizun


mémoire industrielle

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Santiago Yaniz Aramendia

Trapagaran, burdineko gizonezkoen harana

Trapagaran

La vallée des hommes du fer Bilboko ezkerreko ertzean, Galdames eta Trianoko mendiak altxatzen dira. Burdinaren ustiapenari esker, nonbait Bizkaiko herriburuaren zain elikagarria izan zen.

Cicatrices Seuls, les guerres et les gisements miniers marquent la terre de cicatrices indélébiles, comme ici, dans le massif sis sur la rive gauche du Nerbioi, proche de Bilbo.


mémoire industrielle

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our embrasser Bilbo du regard, il ne saurait exister de meilleur endroit que les Monts de Triano et Galdames. Un panoramique exceptionnel qui, en se déployant depuis la Punta Galea jusqu’au moutonnement des toits du quartier historique, imposerait au passage de Barakaldo et Portugalete, l’indispensable lecture d’une complexe articulation industrielle. Une perspective qui ne saurait mieux définir l’essence même de la capitale biscayenne.

Aussi vrai que seuls, avec les guerres, les gisements miniers marquent la terre de cicatrices indélébiles, pas un des quelque vint-deux sommets entre 887 m (Eretza) et 514 m (Argalario) qui, rive gauche du Nerbioi, ourlent le massif, n’a échappé au pic et à la dynamite. Une longue, douloureuse et passionnante histoire qui raconte comment, pour son seul profit, l’homme rendit possible la rencontre improbable de la ville avec la campagne. Trapagaran, une vallée fertile, aujourd’hui asséchée qui, tel un fleuve torrentueux, de La Arboleda à Gallarta et d’Ortuella à Trapagaran, par


mĂŠmoire industrielle

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MÉMoIrE INdUStrIELLE

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Les agriculteurs de la zone s'arrondissaient les fins de mois avec l'extraction facile d'un minerai affleurant, proprité de tous, selon la coutume.

Zone de loisirs Sur 135 hectares, les anciennes mines sont devenues des lacs artificiels et l'ensemble de la zone un espace dédié au sport et aux loisirs. Barrenador Le foreur avec sa barre à mine était l'ouvrier le mieux payé, le seigneur de la mine. C'est devenu une spécialité vizcayenne des épreuves de force basque.

formidables ponts roulants, ingénieux et acrobatiques téléphériques, irrigua Bilbo de minerai de fer, son oxygène, son plasma vital, son principe existentiel.

Une montagne étêtée Sinueuse, l’étroite nationale abandonne Portugalete l’industrieuse pour s’élever en suivant une pente de 7,5 %, taillant dans une végétation généreuse. Les pimpantes maisons destinées davantage à la villégiature de fins de semaine, ont beau alterner avec quelques baserris, on subodore vite qu’ici, ces derniers n’ont eu qu’un rôle secondaire. Les terrasses qui apparaissent sur les pentes n’ont aucun lien avec ces étagements caractéristiques relevant de l’aménagement fonctionnel de l’agriculture d’altitude. La terre laisse apparaître ses os couleur rouille, non point du caillou rond, du rocher familier à la texture granitique, karstique ou schisteuse, tels qu’on peut habituellement les rencontrer en Pays basque mais cette hostile roche hybride aux arêtes vives, ni tout à fait minérale, pas encore métal. À l’infini, la montagne s’encave dans des cirques artificiels taillés de gradins géants comme autant de stades démesurés qui n’auraient épargné aucune colline, ménagé le moindre pâturage, le plus modeste coteau. Le relief l’a cédé à la béance. Une montagne étêtée par les hommes Aux saisons intermédiaires, les pelouses,

en regagnant sur l’homme, tempèrent la rudesse d’une montagne étêtée et les remontées lacustres d’anciens puits de décantation confèrent au paysage des allures d’irlande. L’été, sous un soleil sans pardon, les scarifications se font plus vives. Câbles détoronnés ou achevant de funambuler vers la ría, wagonnets stationnés à perpétuité sur des rails, fours délités, gueules de puits plongeant vers des entrailles désormais stériles, composent les éléments d’un attachant décor.

Privatisation au XIXe siècle Un siècle après J.-C., Pline l’Ancien évoque déjà la grande montagne de fer près de la mer Cantabrique et les chroniques médiévales l’exploitation du fer dans les monts Triano. Tout se passa plutôt bien durant des siècles au nom de l’usage et de la coutume faisant du filon la propriété de tous. Les agriculteurs de la zone s’arrondissaient les fins de mois avec l’extraction facile d’un minerai affleurant et que les attelages acheminaient ensuite vers les nombreuses forges de la ría. Tout se gâte à l’aube du XiX e siècle. La Junte de gernika s’efforce de maintenir un équilibre entre l’usage et les nouveaux intérêts économiques qui se profilent en europe. en 1849, une nouvelle réglementation d’état autorisant la privatisation va déposséder les communes intéressées et limiter, avant de l’interrompre, la libre exploitation. L’autorisation d’exploitation donnée aux entreprises étrangères va sonner le glas d’un mode de vie. Avec l’avènement de la révolution industrielle, quelques grosses compagnies basques dont Ybarra (40 % des mines de Biscaye) et étrangères, vont se partager le gâteau au prix d’une douloureuse fracture sociale. en 1876, on extrait 100 000 tonnes de minerai par an, en 1899, 6 496 000 tonnes, 25 000 ouvriers y sont à la peine. en 1885, en France, Émile Zola publie Germinal. À cinq kilomètres de Trapagaran, La Arboleda est aujourd’hui une paisible commune perchée sur les flancs de la montagne arasée. Son environnement, son architecture et surtout ses gens, résumeraient l’histoire de la vallée ; du reste, le gouvernement d’euskadi l’a déclarée Patrimoine culturel (Kultura ondasun). Le style des maisons ne rappelle en rien celui de la province mais réunirait plutôt un échantillon de ce que l’on peut rencontrer dans le reste de la péninsule, comme si chacun avait reconstitué ici des allures du sol abandonné, rappel de la plus importante émigration espagnole qui multiplia par sept la population de la vallée à la fin du XiXe siècle. La mémoire est encore vive d’une saga qui


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MÉMoIrE INdUStrIELLE

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« Le pire, pour la femme du mineur c'était, en se levant, de constater qu'il pleuvait ; c'était un jour sans salaire, parfois 160 jours par an. »

Mateo À 83 ans, Mateo, l'ancien mineur, se souvient des conditions de travail dans les mines ! Les « trésors » de la terre hématite rouge, sidérite pailletée, limonite citronnée, tels sont les trésors qu'il s'est agi d'extraire et de descendre vers Bilbo, un siècle durant.

s’est achevée à la fin des années soixante. Nous y avions croisé Tasio venu à seize ans de son extremadura natale, comme tant d’autres de galice ou de Castille, poussé par la faim et l’espoir d’une vie meilleure. « Le boulot ne manquait pas, aussi vu les conditions de travail dans les mines, j’ai préféré embaucher aux Altos Hornos de Vizcaya », nous explique-t-il en désignant la ria ; « je ne l’ai pas regretté. » et de nous expliquer qu’il ne voulait surtout pas loger dans les terribles barracones où s’entassaient dans des conditions d’hygiène déplorables, plus de cent mineurs. Le témoignage de Mateo, 83 ans, avec qui nous avions partagé un verre au bar Carmen, nous transporta vers les mines où, dès l’âge de 15 ans, il charge le minerai — trois wagons de deux tonnes par jour, jusqu’à cet été de 1961, quand, à 28 ans, il est victime d’une mauvaise blessure à la jambe : « de mauvais soins, la chaleur, la gangrène s’y est mise et on m’a amputé », nous explique-t-il, en tapant de la main sur la prothèse. Au vu de notre émotion, il croit la tempérer en nous rappelant que son père a eu moins de chance, écrasé par un wagonnet. S’ensuit un incroyable dialogue avec le jeune serveur du bar, ancien harri zulatzaile, barrenador ou foreur en français, une spécialité vizcayenne des épreuves de force basque qui naquit dans les années 30 dans le village minier voisin d’Ortuella, réminiscence d’un dur labeur. Le foreur équipé de sa barre à mine était un peu l’ouvrier-seigneur, le mieux payé, celui qui prenait, avec l’étayeur, le plus de risques. Jusqu’à la généralisation de la foreuse pneumatique, les foreurs équipés de leurs barres de 12 kg, se devaient, par équipes de deux et huit heures durant,

de pratiquer un trou régulier de 4 à 5 m de profondeur pour y placer les bâtons de dynamite. « Il fallait jusqu’à 4 heures pour percer un mètre ! », précise Mateo, « souvent vers la voûte ou latéralement, quand aujourd’hui dans sa version sportive, c’est une simple frappe verticale et pourtant épuisante d’une durée de 20 minutes ! », complète le serveur, admiratif. hématite rouge, sidérite pailletée, limonite citronnée, goethite anthracite, voilà les trésors qu’un siècle durant il s’est agi d’extraire et de descendre vers Bilbo, par tous les temps malgré la vermine, la chiourme du tout-puissant capataz (contremaître), les accidents fréquents et les épidémies récurrentes. Dolores ibarruri, plus connue comme La Pasionaria, originaire de la vallée, fille et femme de mineur, écrira dans le journal El minero vizcaino (1918) : « Le pire pour la femme du mineur c’était, en se levant, de constater qu’il pleuvait ; c’était un jour sans salaire, parfois 160 jours par an. »

Première grève générale Sur la coquette place de La Arboleda, au-dessus du bar La Lonja, se trouve le siège de la section du Parti Socialiste qui vit le jour en 1888, l’une des premières de la péninsule car, on s’en doute, les luttes sociales furent titanesques. C’est dans la vallée, en mai 1890, qu’eut lieu la première grève générale. Les cinq autres qui se succédèrent jusqu’en 1911 furent violemment réprimées, le prix à payer pour obtenir dix heures de travail par jour, des améliorations des conditions de logement et de travail, de menues augmentations du salaire journalier. Après le premier conflit mondial la production chuta par épuisement du gisement pour n’atteindre que 1 487 308 tonnes en 1969. Les emblématiques Altos Hornos de Vizcaya, s’éteignirent définitivement en 1990. Bilbo s’est débarbouillé du noir, la fleur de titane du Gugghenheim a joliment éclos sur le pavé des docks. Au-delà de sa seule muséification, en œuvrant à la réhabilitation d’une noble activité défunte, le patrimoine industriel a aussi valeur de reconquête.

Mots-clés/Hitz gakoak : Mine : meategi Fer : burdin exploitation : ustiapen Foreur : harri zulatzaile


HIStoIrE

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t e x t e Txomin Laxalt

george Lowther Steer kazetariak, hasieratik bukaeraren arte, euskadin gerla segitu du. Bere liburua, El àrbol de Gernika, lekukotasunik hoberenetako bat geratzen da.

Le JOUR OÙ geRNiKA BRÛLA geORge L. STeeR, geRNiKA eRRe ZeN egUNeAN

i

l est deux heures de l’après-midi, ce mardi 27 avril 1937, quand george Lowther Steer (Cambridge, Afrique du sud, 1909 – Rangoon, Birmanie, 1944), pénètre dans gernika (Bizkaia) en flammes. Laconique, le fil d’agence était tombé la veille, alors qu’il dînait au restaurant Torrontegi de Bilbo en compagnie de quelques autres correspondants de presse : gernika est en flammes. L’article qu’il envoie ce jour affirme : « Gernika, la ville la plus ancienne des Basques et centre de sa tradition culturelle, a été totalement détruite hier après-midi suite aux bombardements aériens des troupes insurgées. Le bombardement de ce village exposé, éloigné de la ligne de front, dura exactement trois heures et quart, durant lesquelles, une puissante escadrille de trois types d’avions allemands accompagnés de bombardiers Junkers et Heinkel, ne cessèrent de lancer des bombes de quelque 500 kg, auxquelles il faut ajouter plus de 3 000 projectiles incendiaires… Les chasseurs, pendant ce temps, piquèrent vers le centre de la ville pour cribler les civils réfugiés jusque dans les champs. » Curieux personnage que george L. Steer dont on dit que sa fonction de reporter se doublait de celle d’agent de l’Intelligence Service britannique. Journaliste pour The Times, il est présent sur le conflit en Pays basque depuis août 1936, soit quelques jours après le coup d’État fomenté par les militaires contre la République. g.L Steer est le premier journaliste sur les lieux de ce que l’on considère comme le premier bombardement d’une population civile dans l’histoire. Son témoignage, infirmant

Correspondant Reporter de guerre pour le compte du Times, george Steer a couvert les conflits partout dans le monde.

Bilbo 1937 Défilé des soldats basques, gudaris, devant le gouvernement basdque, à Bilbo en 1937.


HIStoIrE

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Ville de la paix L'œuvre d'henry Moore, dans le parc des Peuples d'europe, symbolise gernika comme ville de la paix.

celui des franquistes prétendant que les Basques eux-mêmes ont incendié la ville, est bouleversant, d’autant plus qu’il a découvert le peuple basque auquel il voue une grande admiration tout comme à José Antonio de Aguirre, le premier lehendakari du jeune gouvernement basque (7 avril 1936). « Dans le monde moderne, le Basque défend simplement la liberté de classes, la camaraderie et la loyauté ; il défend l’humanisme jusque dans les hasards de la guerre et il lui déplaît de combattre au nom de quelque doctrine extrémiste ou violente qui soit… C’est pour sa liberté que le Basque lutta et perdit. », écrit-il dans une somme consacrée au conflit en euskadi, The tree of Gernika, (El àrbol de Gernika, Txalaparta éditions. L’ouvrage, à notre connaissance, n’existe qu’en anglais et en espagnol, N.D.L.R). est-ce un hasard si le sous-titre du livre est : Essai sur une guerre moderne ? george L. Steer couvrira l’ensemble du conflit en Pays basque, jusqu’à la chute de Bilbo en août 1937, et de quelle magistrale façon car pour ne pas faire partie de la caste des correspondants de presse cramponnés aux bars des grands hôtels no man’s land, ses récits relèvent du vécu. Steer est dans les tranchées aux côtés des gudaris de l’eusko gudarostea (armée basque) comme sur les barricades auprès des miliciens républicains en bleus de chauffe. C’est vrai que le journaliste – il fut expulsé d’Abyssinie alors occupée par les troupes de l’italie mussolinienne – s’est déclaré farouchement antifasciste et n’aura de cesse de dénoncer le danger qui plane sur l’europe et dont l’espagne fera les premiers frais. On le suit lors de la terrible bataille d’irun, sur les hauts de San Marcial, un fort Alamo gipuzkoan, et pendant l’héroïque fuite vers hendaye : « les miliciens commencèrent à se retirer par le pont international… certains couraient d’autres se traînaient, les balles des factieux arrivaient de toutes parts… Ceux qui désiraient continuer le combat furent regroupés à la gare d’Hendaye

dans l’attente d’un train spécial qui les mènerait à Barcelone. » On l’accompagne sur le front de Bizkaia, jusqu’à la chute de Bilbo, le 19 juin 1937. Sans relâche Steer accompagne les troupes et c’est toujours l’occasion de tracer de piquants portraits, de l’anonyme homme de troupe au prestigieux officier, de l’ecclésiastique disant la messe pour les gudaris avant l’assaut sur le front des intxorta ou de l’infirmière volontaire en première ligne. Des récits d’autant plus poignants qu’ils nous renvoient vers des lieux, des montagnes, des ports, des villes qui nous sont familiers et dont on a oublié qu’ils furent le théâtre d’une sanglante tragédie. The tree of Gernika s’achève sur cette phrase : « Des siècles de lutte, d’aventures sur les cinq fougueux océans, ont fait du Basque un homme d’une infinie réserve de résistance et de silence. Ses épaules restent libres du fardeau de tout régime. Sa condition morale ne dépend d’aucunes constitutions écrites mais seulement de son Histoire et sa préhistoire. » Ce témoin parmi les hommes que fut george L. Steer, mourra en 1944, sur le front de Birmanie, victime de sa profession, un modèle du genre.

george L. Steer couvrira l'ensemble du conflit en Pays basque, jusqu'à la chute de Bilbo en juin 1937.

Mots-clés/Hitz gakoak : guerre : gerla Massacre : sarraski Témoignage : lekukotasun Tranchée : lubaki


INtErvIEW

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photo emmanuel Grimault

inTerVieW

JEAN-PAUL dUBoIS iL n'Y A qu'Au PAYs BAsque que Je suis Bien

L'auteur deL'Éloge du gaucher, Tous les matins je me lève, Maria est morte, Le cas Sneijder, nous entraîne avec La Succession, son dernier roman, dans un va-et-vient entre Miami, la cesta punta et sa drôle

BioGrAPhie Jean-paul dubois est né à Toulouse, en 1950. Tour à tour, journaliste à Sud ouest, au Matin de paris, grand reporter au nouvel observateur et romancier depuis1984. il a publié quinze romans et a été lauréat du prix Fémina, en 2004, pour une Vie française et prix alexandre-Vialatte 2012 pour Le cas Sneijder. Quatre de ses romans, kennedy et moi, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, Le cas Sneijder et Vous plaisantez, Monsieur Tanner ont été adaptés au cinéma.

ibilka : Vous avez dit qu'une fois un livre terminé, vous vous interrogez sur sa genèse. d'où vient celui-ci ? Jean-Paul Dubois : Ce sont des éléments disparates. Le suicide du type qui saute avec les mâchoires scotchées et les lunettes, c'est une histoire vraie qui était arrivée à New York ; l'image ne m'a jamais lâché. La deuxième chose, c'est peut-être une rencontre, il y a 25 ans, avec un médecin aux États-Unis, qui aidait ses patients à mourir et militait pour cette cause. et puis ce sont les petits trucs de la vie de chacun, le petit chien que je trouve… C'est plus simple de parler des choses qu'on connaît bien, qu'on aime bien. il y a une corrélation entre l'histoire et celui qui écrit. Pourquoi la pelote ? Parce gamin au Pays basque, j'y ai joué. Ma mère m'avait acheté un petit chistera et je jouais sur les frontons, à hendaye ou Saint-Jean-de-Luz. et puis, le hasard a fait qu'à 42 ans, je suis allé à Miami. À l'aéroport, on vous distribuait des dépliants sur le Jai alai de la ville. Je n'en croyais pas mes yeux de voir que le petit sport basque avait, ici, une telle importance, qu'il y avait des joueurs professionnels.

livre, la descente de Bidart quand vous tournez la tête à droite que vous avez le vent de la mer qui s'engouffre, l'odeur, c'est magique. Socoa, la maison dont je parle existe, c'est la dernière avant le fort et elle a toute une histoire. Partout, je collectionne de petits endroits comme ça. et il y avait la piscine d'eau de mer du centre de vacances SNCF, elle me faisait rêver quand j'étais gosse. elle existe encore, je l'ai vue, il y a trois jours. J'y suis tout le temps, j'y passe six mois de ma vie. Je traîne à Saint-Sébastien, je vais acheter des petits gâteaux chez Oiartzun ; je vais au marché à irun, ce n'est pas original, mais c'est très agréable de le faire. C'est devenu à la mode aujourd'hui, mais lorsque j'étais petit, ma mère allait faire son marché à irun. J'ai acheté mes premières cigarettes à irun, des Bisonte, il y avait un bison dessiné sur le paquet. donc, Paul Katrakilis, héros de votre roman que sa mère amenait au Pays basque… C'est tout à fait vrai, le Jaizkibel, Pasajes, le parador du Jaizkibel j'y allais avec mon père, c'était magique, non pas >> pour y manger, mais la terrasse gigantesque avec un point de vue sur tout le Pays basque, la montagne, la mer, la Bidasoa. De toute façon, concernant le Pays basque, je ne suis pas objectif, je ne lui trouve aucun défaut. Je le connais comme ma poche, je le sillonne en scooter.

il y a une corrélation entre l'histoire et celui qui écrit

Vous décrivez si bien ce milieu, qu'on a l'impression que vous avez baigné dedans ? Non, je ne connais pas le milieu professionnel, mais la cesta punta c'est très lisible, même pour un ignorant comme moi qui ne suis pas un technicien du jeu. et puis il y a beaucoup de documentation sur le jeu et sur le jeu en Amérique du Nord. Sûrement ai-je dit des conneries, mais j'ai tout fait pour ne pas le faire. il faut avoir à l'esprit son seuil d'incompétence. Lors d'une séance de signatures, à Bayonne, Serge Cami, champion de cesta punta (lire Ibilka n°13) m'a dédicacé l'un de ses gants et j'étais très ému.

dans La succession, au-delà de la pelote, le Pays basque aussi est très présent. on le retrouve dans plusieurs de vos romans. C'est un endroit important pour vous ? il n'y a que là que je suis bien. Ce que je raconte dans le

Vos romans et celui-ci n'y échappe pas, sont baignés par la mélancolie ? Les histoires que je raconte, sont des histoires lourdes, des parts sombres d'une vie, donc le ton est adapté, même si on me dit que c'est souvent drôle. Moi, je ne m'en rend pas compte, je suis toujours surpris quand on me dit qu'il y a des trucs drôles. C'est aussi plus facile de raconter la part sombre d'une vie que quelque chose d'heureux. un endroit que vous aimez au Pays basque ? hendaye, Socoa et Bayonne. J'adore être à Bayonne, c'est une ville tordue, mais je l'aime et j'aime l'Aviron.


culture

Les différents chemins du destin « Cela faisait trois ans et demi que j'appartenais à la troupe de professionnels de cesta punta de Miami et, en aussi peu de temps, j'avais vu le monde changer, le nôtre en particulier. » Paul Katrakilis, son diplôme de médecin en poche – comme son père – est recruté au Pays basque pour rejoindre le milieu des pelotaris professionnels OutreAtlantique. « Ce furent des années merveilleuses. Quatre années prodigieuses durant lesquelles je fus soumis à un apprentissage fulgurant et une pratique intense du bonheur. » Pour autant, Paul n'est pas dupe : « Nous étions les petites mains, les petits gants de l’entreprise, la classe ouvrière d’un drôle de monde, qui partait chaque jour au labeur avec son casque de mineur coloré et son étrange outil de travail dont l’âme était gainée de châtaigner

coupé à la lune descendante et le corps, d’une armure blonde tressée d’osier ». La vie et le destin familial de Paul l'entraîneront dans un va et vient entre Miami et Toulouse, entre le poids de l'héritage familial, le devoir et le rêve d'une vie et d'un amour impossible. Malgré les apparences, ce n'est pas un livre sur la pelote mais un roman sur le destin, celui qui nous choisit et auquel on se résigne davantage par complicité et abnégation que par lâcheté et qui montre que le bonheur peut parfois prendre des Tao bien curieux.

Édité en 1955, cet ouvrage rare était épuisé depuis longtemps. Saluons l'excellente initiative de la maison d'édition Iru Errege qui nous permet de le redécouvrir et, avec lui, de mieux appréhender l'histoire de l'immigration basque avec, pour guide, le père Adrien Gachiteguy qui tente de répondre à une question : s'agissait-il d'un véritable Eldorado ? En parcourant ces vastes territoires, il est allé à la rencontre de nombre de ces déracinés et a raconté leurs histoires. Aussi passionnant qu'émouvant. Les Basques dans l'Ouest américain, Adrien Gachiteguy. Éditions Iru Errege. 15 €. Contact : patrick.delprat@cegetel.net

L

e musée de Bilbo rend hommage à la collection d'Hermann et Magrit Rupf, deux collectionneurs suisses qui, parmi les premiers, se sont intéressés à l'art du début du XXe siècle. L'exposition présente 70 œuvres phares de l'art de la première moitié du siècle, notamment de Picasso, Derain, Braque, Kandinsky, Paul Klee, Fernand Léger ou Juan Gris… Musée Guggenheim, jusqu'au 21 avril.

Il a longtemps été l'un des acteurs du littoral, faisant partie du paysage, ancré presque, le long de la Côte des Basque et devant la Grande Plage à Biarritz, acagnardé dans quelque recoin de falaise entre Guéthary et Saint-Jeande-Luz. Il appartient à l'histoire du surf, autant que l'histoire du surf fait partie intégrante du Pays basque. C'est bien sûr le mythique Combi Wolkswagen, symbole de la liberté et bien plus qu'un simple véhicule, un réel art de vivre, auquel ce livre dresse un émouvant hommage qui parlera aux plus anciens d'entre nous. Combi Love, un art de vivre. Glénat. 35 €.

La Succession, Jean-Paul Dubois, éditions de l'Olivier. 19 €

Les Basques dans l'Ouest américain

Collection Rupf au Guggenheim

Éloge du Combi roman >>>

lectures/expos

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Donostia 2016, bilan mitigé

Le 31 décembre, Donostia a transmis le flambeau de capitale européenne de la culture à Paphos la ville chypriote et à la danoise Aarhus. Malgré les quelque 3 000 événements organisés, le bilan reste en demi-teinte, dû pour grande partie à l'absence d'événements majeurs et à une mauvaise lisibilité de la programmation. La capitale du Gipuzkoa n'aura pas su profiter de l'événement au même titre que Lisbonne (1994), Liverpool (2008), Lille (2004) ou Marseille (2013) pour affirmer son rôle à l'échelle européenne. Un rendez-vous en partie manqué.

Frontons du monde

Parmi l'ensemble des symboles de l'identité basque, le fronton occupe une place à part, un peu comme un référent métonymique. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si les Basques de la diaspora n'eurent de cesse d'en ériger partout où ils s'installaient. C'est justement l'objet de ce site collaboratif de recenser et de géolocaliser les frontons du monde entier, constituant ainsi une base de données la plus exhaustive possible. Chacun peut la consulter et surtout l'enrichir soit de commentaires, soit de nouveaux frontons découverts au fil de ses voyages. Une belle façon de partager ses coups de cœur et ses connaissances. frontons.net

Pantxoa Carrère, Anaitasunean

Hona hemen Pantxoa Carrere kantariaren bakarkako lehen diska, Anaitasunean izenekoa. Nahiz eta Peio eta Pantxoa, bikote enblematikoa desagertu, Pantxoak, bere ibilbidea bakarrik segitzen du. Diska horretan autore famatuek sinatutako testuak atxemanen dira : Daniel Landart, Manex Pagola, Etxahun Iruri, Léon Saint Esteben, Xalbador. Pantxoak idatzi ditu musikak. Diskaren bi kantutan, seme alabek, Naia eta Ugo lagunduta dago. Anaitasunean – Elkar.


mémoire

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t e x t e Txomin Laxalt

ien, si les Basques ne partent pas, vous recevrez 30 ducats, si l’attaque se passe bien, par contre 110 ducats… Si quelqu’un était tué dans l’affaire, la famille recevra 200 ducats. », annonce à ses nervis le sheriff islandais Ari Magnusson, personnage historique que ressuscite Iñaki Petxarroman (Lasarte-Oria, 1973) dans Kearen fiordoa (Elkar, 2015), un livre document. Le 22 avril 2015 le gouvernement islandais, à l’ébahissement du monde, abrogeait une effarante loi en vigueur depuis 1615, laquelle autorisait l’assassinat des Basques dans le district des fjords occidentaux. L’invraisemblable édit renvoyant au temps de la saga des baleiniers, on peut s’étonner qu’un écrivain ne se fût pas emparé plus tôt de l’avatar. Iñaki Petxarroman, journaliste au quotidien Berria, s’est chargé de rallumer avec maestria les feux de l’un des plus cruels épisodes de leur histoire que les Basques eurent à connaître à des semaines de navigation de la terre natale. À l’essai historique, l’auteur a préféré le roman, rédigé en euskara, une façon d’entretenir une atmosphère, de camper le décor islandais ô combien hostile, aussi déroutant que l’émission fulgurante des geysers, où des brumes enveloppent, comme des linceuls, une contrée cernée par une mer couturée d’icebergs guillotines où les froids sont plus tranchants que les harpons des baleazale (baleiniers) et dont les noms évoquent tous les dieux du Walhala : Drangajokull, Trekyllisvik, Reyjarfjordur, et Eyjar ou Aedey de sinistre mémoire. En fait, si ce n’est l’histoire d’amour agrémentant le récit, Iñaki Petxarroman n’a rien eu à inventer ; les archives, basques comme islandaises, ne dissimulent rien de l’effroyable événement, ni les noms des protagonistes, ni les dates, ni le prix de la forfaiture. Le livre est d’abord l’occasion d’accompagner, depuis Donostia, les trois navires : Trinitea, Esperantza, Gauerdiko argia, fleurons de la flotte baleinière pour la campagne baleinière islandaise de 1615. De faire connaissance avec quelquesuns des quatre-vingt marins dont les noms sont conservés dans les rôles d’équipage, tous originaires des ports du Gipuzkoa et même du Labourd. Se détache surtout le nom

B

Le fjord de la

fumée

Les marins basques furent, selon certaines sources, les premiers Européens à s'organiser pour la chasse à la baleine dans l'Atlantique Nord. (Carte ci-dessous)

du capitaine Martin Villafranca, 27 ans à l’heure des faits. Rien ne laissait présager le drame, si ce n’est un changement d’attitude vis-à-vis des pêcheurs basques de la part de Christian IV, souverain de Norvège et Danemark qui, depuis peu, règne aussi sur l’Islande. Pourtant tout se passait plutôt bien : « Nous avions l’autorisation de pêcher en échange de 1 000 ducats et d’une baleine », signale le capitaine Martin Villafranca après les premiers incidents. Des hivers rudes, un début de famine frappant la population islandaise, suffisent à empoisonner les relations, même si ces dernières, signe d’authentiques échanges, se font dans ce pidgin basco-islandais, dont aujourd’hui on conserve un dictionnaire. « Zer ju presenta for mi ? Presenta for mi ollara, presenta for ju dirua. » (Qu’avez-vous à me proposer ? Contre une volaille je vous paierai) propose Martin au vieillard, précisant qu’ils ont faim et qu’ils voudraient passer la nuit dans sa maison, écrit Iñaki Petxarroman. Aux premiers flocons de septembre annonciateurs du retour vers Donostia, une épouvantable tempête détruit les trois navires, disloquant les barils d’huile de baleine accumulée en huit mois de pêche ainsi que le précieux stock de fanons. Sans armes ni réserves de bouche, les équipages se dispersent par groupes et, vivant de rapines, tentent à marche forcée de gagner un port afin d’embarquer, et c’est la curée. Une irrationnelle haine va s’attacher aux baleiniers basques traqués par le shériff Ari Magnusson, le gouverneur Andres Adal Mundursonn et une population hystérisée par les prêches de pasteurs luthériens, « suivant ainsi l’ordre donné par Christian IV d’emprisonner les pêcheurs basques selon la loi danoise et s’il le fallait, d’utiliser la violence sans l’ombre d’une hésitation. » Le capitaine Martin Villafranca et trente et un de ses compagnons surpris dans une cabane de pêcheurs, seront sauvagement assassinés après énucléation, éviscération, émasculation et jetés à la mer. Le 22 avril 2015, jour de l’abrogation de la loi funeste, le député général du Gipuzkoa, Martin Garitano et Illugi Gunnarson, ministre de la Culture islandais ont inauguré à Holmavik une plaque commémorative. À leurs côtés, Xabier Irujo, descendant direct de l’un des trente-deux marins assassinés et aussi Magnus Raffson, descendant de l’un des auteurs du massacre. En pidgin basco-islandais Bienvenue se dit : Ungetorre ; un mot qui, en Islande, a enfin repris tout son sens pour les Basques du monde.

KEAREN Fiordoa

1615-ean, Christian IV erregearen aginduz, lege batek islandiarrei baimena ematen zien Euskaldunak hiltzeko. Iñaki Petxarroman-ek, gai horri buruzko liburu hunkigarri bat proposatzen digu.

Mots-clés/Hitz gakoak : Fanon : bale bizar Baleinier : baleazale Iceberg : izotzmendi Massacre : sarraski


tABLE

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t e x t e Txomin Laxalt / p h o t o g r a p h i e s Céderic Pasquini

L’Épicerie, une table d’hôtes L’ÉpiCerie, goMiTen Mahai baT

L’Épicerie, Luz del sur jatetxe atipiko bat da. Badira hiru urte Philippe- eta Sonia-k bezeroen ahosabaia loriatzen dituztela gomiten mahaiaren inguruan eserita. a rue Saint-Jacques. L’une des rues qui respire le plus à l’âme de Saint-Jeande-Luz, évoquant le grand chemin de Compostelle et bien évidemment le bienheureux abandon de l’étape. Mais point n’est besoin de se sentir l’âme pèlerine pour faire halte au n° 58, l’envie d’une parenthèse gourmande suffit. Atypique, surprenante L’Épicerie, parce qu’elle ne répond pas aux canons du restaurant traditionnel. imaginez un restaurant qui n’aurait qu’une table ! Mais ici, ce meuble, le plus convivial entre tous, ne saurait répondre mieux à la définition de table d’hôtes et jongler merveilleusement avec ce curieux mot de la langue française qui définit à la fois celui qui reçoit et celui qui est reçu. Philippe et Sonia, en vous accueillant, vous dirigent donc vers l’épicentre de l’établissement, cette table unique laquelle, que vous veniez seul ou en couple, deviendra tablée. Un concept que Philippe explique avec humour mais lucidité : « Le synonyme même de la convivialité, du partage ; nous nous sommes rendu compte que souvent l’usure inhérente aux vieux couples engendre parfois des tête-à-tête silencieux, quand la table d’hôtes favorise le contact et crée fatalement une ambiance. » Nous l’avions donc testée à l’heure apéritive propice à la dégustation de quelques boquerones, piquillos farcis et au coup d’œil quelque peu inquisiteur sur un environnement explicite quant au nom complet de l’établissement : L’Épicerie, Luz del sur (lumière du sud). Philippe qui, bien qu’opérant aux fourneaux, en bon hôte, ne dédaigne pas s’enquérir de son… hôte, évoque volontiers une précédente vie ibérique : « Nous y avons noué de solides amitiés entre autres dans le milieu des producteurs. Certains et pas des moindres, à l’annonce de notre projet, y ont adhéré avec enthousiasme ainsi Joselito. » vous ne trouverez pas ailleurs le jambon Joselito, un pata negra bellota

L

que l’on peut qualifier de joyau gastronomique issu des cochons noirs de Salamanque. Nous avions partagé une tortilla à la morue, goûteuse et onctueuse à souhait et quelques chipirons, il fallait bien une mise en bouche hautement luzienne. Pas le moindre doute quand à la traçabilité du contenu de votre assiette, les murs de L’Épicerie parlent pour elle, déclinant en conserves maison, tout ce que Philippe accommode avec, un must, la possibilité pour le client d’en acquérir : confits des Landes, bien sûr mais aussi piquillos de Lodosa, artichauts de Tudela, asperges de Navarre, des huiles d’olive de Catalogne et d’Andalousie, un bain de soleil péninsulaire. Pas question de quitter le port luzien et un thon façon tataki (19,50 ᵉ) s’imposait, un tourbillon d’épices en bouche sans jamais dénaturer le goût du scombridé familier : « Grillé vite fait, passé aux trois poivres, vert, rose et noir et à peine soumis au sésame », explique Philippe qui n’hésite pas à vous >> confier la recette : « Parce qu’il n’y a pas de secret de cuisine, seulement des produits frais et une façon de personnaliser les plats. » vous auriez pu tout aussi bien vous abandonner à un cochon de lait (23,50 ᵉ) ibérique. Philippe nous a confié qu’il envisageait de lui octroyer un petit frère venu de Bigorre qu’il verrait bien, déjà, accommodé, il n’en saurait être autrement, avec du Tarbais. Question vin, pas d'hésitation, comme la table, il est unique : un rouge Trasluz (20 ᵉ) de derrière les fûts, dans lequel on retrouve toute la puissance gustative du Rioja. Quant à la formule entrée, plat, dessert (14 ᵉ), elle décline ce que la maison offre de meilleur. Un mot sur le dessert que l'on vous recommande, ceux qui ont une amatxi d’origine outre-Bidasoa apprécieront : la lechefrita, un sommet sucré à base de farine cuite, de lait et de sucre qui charme les papilles et ravive les souvenirs d’enfance. il résumerait en fait la philosophie de L’Épicerie : un peu comme à la maison.

entrée, plat, dessert à 14 €

Mots-clés/ Hitz gakoak : Table : mahai hôte : gomit (qui est reçu) hôte : gomitatzaile (qui reçoit) Thon : hegaluze

L’épicerie, Luz del sur – 58, rue SaintJacques, SaintJean-de-Luz Tel. : 05 59 24 78 58


LIEU

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t e x t e Txomin Laxalt / photos santiago Yaniz Aramendia

Bakarrik zortzi badira munduan zehar. Portugaletekoa, ez da bakarrik dotoreena baina egunero erabilia da errexki pasatzeko Nerbioko alde batetik bestera.

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l n’en existe que huit au monde, les ponts transbordeurs sont rares. en Angleterre, ceux de Newport et Middlesbrough sont toujours en service tout comme ceux de Osten et Rendsburg en Allemagne. Le pont transbordeur de Portugalete ou pont de Biscaye fut le premier au monde et, depuis son inauguration, le 28 juillet 1893, mis à part la parenthèse 1937-1941, sa nacelle n’a jamais cessé, entre les rives de Portugalete et getxo, d’acheminer un flux ininterrompu de passagers et de véhicules. 200 personnes et six voitures peuvent embarquer à chacune des 320 navettes quotidiennes d’une durée de six minutes. en 2015, ce sont quelque 3 179 305 personnes et 484 375 véhicules qui

nouvelle conception de la rigidité des poutres latérales et surtout son invention des câbles toronnés à torsions alternatives redonneront un second souffle à cette technologie. Au-delà du seul défi architectural, Palacio anticipa sur son temps, ayant prévu après un voyage en hollande, que les progrès de la vapeur permettraient d’assécher les marais, lesquels laisseront place à la très chic commune de getxo. L’assentiment immédiat de la bourgeoisie de la capitale biscayenne, le financement assuré en grande partie par un tisserand bilbotar, Don Santos López de Letona permirent l’ouverture du chantier en 1888. Trois ans, 730 000 mille tonnes de fer laminé, 88 200 kg de câbles d’acier, 10 629 rivets, 31 041 vis, seront nécessaires à la construction de cet arc de triomphe à la civilisation industrielle avec tout ce que cela impliqua à Bilbo : naissance des grandes compagnies minières, des hauts fourneaux, des chantiers navals, l’apogée des familles d’armateurs et des compagnies sidérurgiques basques. Ses tours hautes de 65 m soutiennent la passerelle traversante longue de 160 m dominant le fleuve à 45 m, permettant ainsi aux troismâts barques d’aller s’amarrer aux quais de Bilbo ville. Les structures des deux tours sont assurées par 2 x 4 câbles tendus comme des nerfs, ancrés aux quais. Ni soudée, ni rivetée, la passerelle supérieure à laquelle est suspendue la nacelle, gravite littéralement entre les deux tours, grâce aux 70 câbles dénommés pendules qui la (re) tiennent, d’où le nom de pont suspendu. Depuis son inauguration, en 1893, le pont a connu quelques innovations, sa nacelle a été modernisée ; en 2010, il a été repeint en rouge Somorrostro (le noir absorbant plus de radiations thermiques). Lors de la terrible inondation de 1983, seul le pont suspendu de Portugalete permit d’assurer une liaison entre les deux rives du Nerbioi. Un monument sans doute aussi cher au cœur des Bilbotarrak que le théâtre Arriaga ou la vierge de Begoña.

Le PONT SUSPeNDU De

PORTUgALeTe PORTUgALeTeKO ZUBi eSeKiA l’ont emprunté. Ce prodige de fer classé en 2006, par l’UNeSCO, au Patrimoine mondial de l’humanité, offre la caractéristique de n’être pas seulement un monument pour touristes mais un véritable outil du quotidien permettant aux usagers de passer d’une rive l’autre du Nerbioi (Nervión) en économisant les 20 km de trajet routier. On doit cette œuvre maîtresse à un concepteur de génie, l’architecte Alberto Palacio y elissague. Ce Saratar, par sa mère, fut passionné par toutes les sciences, de l’architecture à l’astronomie en passant par la médecine. La fin du XiXᵉ et l’avènement de la révolution industrielle sonnent l’heure des grands chantiers. Bilbo, corps et âme impliqué dans ce nouvel âge du fer, adhère au projet de Palacio souhaitant relier les deux rives du Nerbioi à l’endroit où elles sont les plus resserrées, grâce à un pont transbordeur. Pour sa réalisation, on s’adresse à l’ingénieur français Ferdinand Arnodin, le spécialiste des ponts à câbles du moment, une technique pourtant abandonnée, suite à l’effondrement des ponts de chaînes d’Angers (1850) et de La Roche-Bernard (1852). Sa

Mots-clés/Hitz gakoak : Pont : zubi Suspendu : esekia Câble : kable Navette : hara honako ibilgailu


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