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Soth Polin "Ma vie s'écoulait comme une lente hémorragie. Elle se vidait de sa substance dans une espèce de fuite en avant. Chaque journée passée était pour moi comme un délabrement continu: une page envolée, une pièce perdue, fané, emporté au hasard des vents sans retour ...

Vénérable Som LE VENERABLE SOM (1852-1932)

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"Non, cette formation intellectuelle, cette lucidité fondamentale, je n'étais pas fait pour. Elle m'était un fardeau qui m'entraînait encore plus irrésistiblement sur une pente glissante qu'aucune volonté ne saurait faire dévier. J'aurais pu peut-être m'en sortir, devenir bon vivant. c'est-à-dire fonctionnel, si j'étais resté un simple et besogneux laboureur de Prey Vèng ma province natale. Maintenant, il était déjà trop tard. Ma vie était ainsi faite, salement empoisonnée. Mon savoir, c'était d'être conscient qu’au bout de mon chemin. il y aurait quelque chose de sinistre, une échéance pire que la mort et la vieillesse, une haine fantastique dirigée contre moi-même…. » ………………………. KHING Hoc Dy Ecrivains et expressions littéraires du Cambodge au XXème siècle-1993

Né en 1852 au village de Kompreauv, dans le canton de Si thor Kandal de la province de Prey Veng, il fit ses études dans la pagode de son village. A l’âge de quinze ans, le jeune Som prit l'habit jaune comme novice, sàmaner. A vingt ans il fut ordonné moine, Bhikkhu, et continua ses études à Phnom Penh pendant plusieurs années. Puis il retourna à son village natal où il devient chef de la pagode Kompreauv. Il mourut en 1932 à l'âge de quatrevingts ans. Son chef-d'oeuvre est le roman Dum Dãv (Tum Teav) composé en vers de sept syllabes en 1915, d'après une histoire ancienne que l'on retrouve également dans ¬la chronique royale et dans une version orale. Ce roman versifié décrit la société khmère entre le XVIe siècle et le milieu du XIXe siècle. Le thème central de cette œuvre, le pivot de la narration. est l'amour pur, fidèle et magique des deux personnages principaux, d'une inspiration proche de Tristan et Iseut. Les obstacles qui s'interposent entre le jeune bonze Dum et la belle Dàv sont les obligations du noviciat et la différence des classes so¬ciales. Le bouddhisme jouait un rôle très important dans la vie quotidienne des Khmers avant le Protectorat français. La pagode était le centre culturel et un lieu de formation professionnelle. Dum apprend à cette école la Loi bouddhique, le dhamma, les préceptes moraux et aussi les métiers d'artisan, de commerçant et d'artiste... Cela prouve que le clergé bouddhique participait activement à la vie économique et sociale de l'époque. Le roman de Dum Dàv a une valeur culturelle à l'échelle nationale. Il nous fait une description des bonzes, du petit peuple, des bourgeois, des mandarins et jusqu'au souverain; il nous initie ainsi à la vie de toutes les couches sociales, aux moeurs et coutumes et à l'administration du pays khmer traditionnel. C'est un véritable miroir de l'ensemble de la société khmère. Introduit dans le programme de l'enseignement secondaire en 1958, le ro¬man de Dum Dàv fera sentir son influence dans les romans modernes, les films, les pièces de théâtre et les écrits politiques. Les écrivains modernes khmers et les critiques littéraires établissent souvent des parallèles entre Dum et Dàv, Roméo et Juliette, Paul et Virginie. Voici un extrait dé crivant la démarche des entremetteuses envoyées par le gouverneur Arajùn afin de demander la main de la belle Dàv pour son fils unique: "Nous sommes chargées par le gouverneur de prendre "contact avec vous. Nous sommes animées d'un aimable "sentiment; si notre présence n'est pas conforme aux "règles et si elle n'est pas compatible avec notre "coutume, nous vous prions de bien vouloir nous pardonner. "Notre gouverneur et sa femme nous ont demandé de vous "apporter ces

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"Elle était faite d'une série ininterrompue pouvaient guère se rattraper, s'accumulant de jour en jour, comme des plaies intérieures qui suppuraient tout doucement mais demeurai inguérissables. C'est ainsi que chaque matin, je me réveillais avec le sentiment pénible d’être en miettes, et je me voyais telle une sangsue au bord de la mare enfant s'amuse à morceler, à découper. Et je passais mon temps à me reconstituer, à me ramasser, comme la sangsue. Tâche vaine. "Pourtant, j'aurais dû être blindé contre le contact hideux du quotidien, par mon éducation à l'occidentale: une profonde compréhension par la lecture des grands philosophes. Quand on accepte la vie, quand on consent qu'elle vaille et qu'elle ne vaille pas - en même temps – la peine ¬d'être vécue, cela nous aide à nous défendre n'est-ce pas? Mais non, cette intelligence artificielle que je croyais une cuirasse, n'était qu'une mince pellicule, un vernis trompeur qui éclatait à la moindre secousse, et me blessait d'autant plus cruellement que j'avais tendance à m'y fier sans mesure : en quelque sorte écorché par ma carapace. Par exemple, je me suis n'être jamais étonné de rien d'être toujours égal à moi-même, quoi qu’il arrive: voeux pieux! éternel rebondissement, une permanente douleur continuelle. Et j'étais désarçonné à tous les coups laissais échapper ce qu'il y avait de plus pur et les plaisirs charnels de ma jeunesse. Je pensais, méditais, cherchais une issue, tournais en rond, me retrouvais finalement écoeuré, frustré, ranci, plus vulnérable et plus nu encore devant la société et la nature. Dopé par une culture mal assimilée, j'étais devenu un corps étranger dans mon propre milieu, un type non fonctionnel.


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