Flydoscope

Page 42

Part 1 // Articles

C

FR

atherine Lorent est de ces artistes qui aiment brouiller les pistes et qui ne sont jamais là où on les attend : dessin, peinture, installations, musique, histoire de l’art, création d’expositions… Vivant à Berlin, l’artiste luxembourgeoise poursuit ses recherches musicales en tant que multi-instrumentiste (guitare électrique, basse, clavier et harmonium) et travaille comme artiste plasticienne indépendante. Née en 1977 à Munich, elle a étudié la peinture à la Staatliche Akademie der Bildenden Künste à Karslruhe de 1998 à 2003, avant d’entreprendre des études d’histoire et d’histoire de l’art aux universités de ParisSorbonne, Heidelberg et Luxembourg. Elle y a soutenu une thèse en histoire de l’art sur la politique culturelle des nazis. « Mon travail de thèse et mes recherches musicales m’ont tenue à l’écart du milieu de l’art au Luxembourg qui ne me connaît pas réellement », constate-t-elle. Catherine Lorent a représenté le Luxembourg lors du Prix Robert Schuman 2011 et a reçu la même année le Prix Révélation au Salon du Cercle artistique du Luxembourg. Côté musique, elle a étudié la guitare à l’âge de 15 ans et le piano à 25, parallèlement à la composition. Une formation qui lui apporte cette double casquette de plasticienne et musicienne. Elle a monté le groupe Gran Horno où elle assume le rôle de multi-instrumentiste et propose des performances avec d’autres artistes et musiciens. « Gran Horno, c’est ce grand fourneau où l’on jette tous les styles pour qu’ils fusionnent », explique-t-elle. L’année dernière, Catherine Lorent exposait au Centre des arts pluriels d’Ettelbruck et au centre d’art Nei Liicht de Dudelange. Ces deux expositions étaient révélatrices des différents aspects du travail de l’artiste. Ainsi, pour Ettelbruck, elle avait proposé une installation interactive, Réminiscences censu­ rées, où le visiteur se promenait entre des objets détournés de leur usage premier et se confrontait, notamment à travers une bande-son déroutante, à sa propre mémoire. Quatre pianos,

42

des coffres, des post-it et des feutres attendent le visiteur et c’est son déplacement qui enclenche la mise en activité du dispositif. Entre surréalisme et maniérisme À Dudelange, la démarche tenait plutôt de la rétrospective. Acedia présentait des dessins, des peintures et des sculptures autour de ce péché qu’est l’acédie. Dans la religion catholique, l’acédie est un mal de l’âme qui s’exprime par l’ennui, le dégoût pour la prière, la pénitence, la lecture spirituelle. Ce concept

réalisme et maniérisme baroque, contiennent une critique sociétale et institutionnelle véhiculée par une douce, mais ferme ironie. Ces deux exemples récents éclairent bien les ingrédients du travail de Catherine Lorent : de l’interactivité, de l’ironie, des références historiques, un grand soin dans la mise en scène, du son en plus des images, des dimensions multiples… Ses œuvres apportent une dose d’interrogation et de réflexion en même temps qu’elles jouent de la séduction décorative. Le baroque n’est pas loin : l’ornement, la démesure et

contemporain, mais aussi au bannissement du baroque dans l’histoire de l’art, notamment à Venise ou à Berlin. L’artiste a choisi des éléments qui sortent habituellement du champ de l’art « noble » : dessins monumentaux, décors scéniques et instruments de musique. « Ce sont des médias souvent relégués au rang d’ornement ou d’adjuvant des œuvres majeu­ res », détaille-t-elle pour mieux justifier son titre. Elle mélange des éléments généralement opposés : formes abstraites et figuration, culture élitaire et références pop, improvisation

ART CONTEMPORAIN

Baroque’n’roll La Biennale de Venise est certainement un des événements marquants du calendrier de l’art contemporain. Le pavillon luxembourgeois accueillera cette année l’artiste Catherine Lorent et son installation Relegation, à la Ca’ del Duca. Texte : France Clarinval | Photo : David Laurent / Wili

English, read page

44...

moral et psychologique a pris des sens très différents selon les cultures dans lesquelles il est utilisé. L’artiste le détournait en l’appliquant à l’art et lui donnant un concept esthétique. On y voyait par exemple des dessins de sphinges, griffons, licornes et autres motifs baroques plongés dans l’obscurité, éclairés seulement par des UV, façon ex-voto. Des sculptures et des toiles utilisant une technique de « copiercoller » complétaient l’exposition. De l’histoire, Catherine Lorent a retenu l’héraldique dont elle reprend les thèmes dans des dessins colorés de grands formats. Elle ajoute des références à l’histoire de l’art et des éléments de l’actualité contemporaine et nous confronte à des œuvres où animaux fantasmagoriques et paysages oniriques se mêlent à l’iconographie contemporaine. Ses dessins, oscillant entre sur-

les ors devaient renforcer la foi et éblouir le chrétien. L’artiste fonctionne de la même façon : elle révèle les contradictions du style de vie occidental moderne avec des œuvres d’une grande force plastique et sonore qui touchent le spectateur à travers différents sens. Le visiteur est généralement amené à laisser libre cours à sa créativité et à réinterpréter de manière subjective l’idée de l’artiste.

et concept rigoureux. Les dessins qui ouvrent l’exposition sont appelés Séismes et montrent des guitares électriques prises dans un tremblement qui les fragilisent. Lorsque le visiteur traverse l’étroit couloir, il déclenche les amplificateurs et se trouve pris dans un environnement de sons de guitares. « En déambulant dans l’expo­ sition, c’est l’action du visiteur qui contrôle un champ électroma­ gnétique qui met en marche les

Action du visiteur Pour son installation à la Ca’ del Duca, le pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise, Catherine Lorent poursuit son travail pluridisciplinaire et met en relation l’histoire de Venise, son architecture et l’expérience sensorielle du visiteur. Relegation, le titre de son installation, renvoie au rejet que peut susciter l’art

Catherine Lorent, inséparable de sa guitare électrique Gibson. Catherine Lorent is inseparable from her Gibson electric guitar.

FLYDOSCOPE // 2013 — \2

06_042-045_ART3_LuxAmbassadors.indd 42

13/5/13 11:06 AM


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.