Livret Histoires et Chansons

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Histoires & Chansons originales


© LTE Editions 2009


Sommaire Ces histoires ont été créées à partir de témoignages de jeunes et ont été validées sur le terrain. L’histoire du ventre qui parle traite du racket du point de vue de l’agressé et de l’agresseur. Elle s’adresse plutôt aux jeunes de collèges ou de fin de cycle primaire. Le conte Quand le loup redevint homme traite lui des phénomènes de bandes. Il tente d’analyser pour quelles raisons la violence surgit parfois sur certains territoires. Il s’adresse plutôt à des publics plus âgés. Mais à vous de voir... Les chansons quant à elles parlent d’estime de soi, de la peur du regard des gens, des préjugés, des murs que l’on peut construire entre nous et de la difficulté à vivre et à se construire dans un environnement difficile. Ces chansons particulières ont été créées avec des jeunes et des moins jeunes. Ce sont eux qui les interprètent. Quelques clés de lecture et commentaires à propos de ces histoires et chansons vous sont proposés à chaque fin de chapitre. Pour finir, vous trouverez à la fin du CD un épilogue en forme de clin d’oeil.

LES HISTOIRES P02 > L’histoire du ventre qui parle

Le récit de Pavel, le racketté Le récit de Dimitri, le racketteur P10 > Conte « Et le loup redevint homme » (piste 01 du CD) P14 > Quelques clés de lecture

LES TEXTES DES CHANSONS P18 P18 > Dur de constuire sa vie (piste 02 du CD) P19 > Les étiquettes (piste 03) P20 > Comme si (piste 04) P21 > Fier de mes mains (piste 05) P22 > Courage (piste 06) P24 > J’ai bien failli me perdre en route (piste 07) P26 > Quelques commentaires

En bonus : l’épilogue en forme de clin d’oeil (piste 08)

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L’histoire du ventre qui parle

Le récit de Pavel (le racketté)

Pavel, 14 ans vient d’emménager avec ses parents dans la ville de Moscou. Il est très impressionné par le flot des voitures, le brouhaha de la foule. Les coups de klaxon intempestifs le font sursauter à chaque instant. Ça le change de son village de montagne. Là-haut, tout était si paisible. Et puis le ciel était d’un bleu si profond, si intense. Il aimait contempler les sommets enneigés qui dominaient le plateau tout en écoutant les cloches des vaches qui tintaient au loin. Il se sentait bien. Mais il fallait s’y faire, il n’y avait plus assez de travail pour tout le monde. Et c’est le cœur déchiré que ses parents s’étaient finalement résignés au départ. Aujourd’hui, pour Pavel, c’est le jour de la rentrée dans son nouveau collège. Au moment de partir, ses parents lui disent : « Sois prudent, et n’oublie pas de mettre ton bonnet. Tu sais combien il est important pour nous ». Pavel n’est pas emballé par cette perspective. Lors de ces rares incursions en ville, il a pu vérifier en effet qu’aucun garçon de son âge ne portait ce genre d’attribut. Mais bon, pour faire plaisir aux siens, il le met. Il n’a pas fait cent pas dans la rue qu’il entend derrière lui : « Vise-moi ce tableau mon pote ! T’as vu l’allure ? Hé, bouffon, attends-nous ! ». Il se retourne et voit deux jeunes à l’air goguenard qui l’interpellent. Dans sa montagne, il n’a pas l’habitude de croiser ce genre de personnage, aussi il ne se méfie pas. Il s’arrête gentiment. à peine arrivé à sa hauteur, le plus méchant des deux lui file une baffe qui lui fait décoller son bonnet de la tête puis il rajoute d’un ton mielleux : « Hé Dugenou, on ne t’a pas appris la politesse ? On se découvre devant ses aînés ! ». Et paf, d’un grand coup de pied, il envoie valdinguer le bonnet dans le caniveau. Pavel est comme tétanisé. dans sa montagne, à part chez quelques chiens errants, il n’a jamais croisé une agressivité pareille. En repartant, les deux lascars le menacent : « Demain, c’est trois euros sinon… ! ». Ils n’ont pas besoin d’en dire plus. Pavel a compris. Cette perspective va le hanter toute la journée. Il ne prêtera aucune attention aux instructions données par ses nouveaux professeurs. Il n’établira pas non plus de contact avec ses camarades de classe. Il ne peut pas car il ne pense qu’aux retrouvailles du lendemain. rien qu’à cette idée, son estomac se noue. Le soir, ses

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parents l’interrogent sur sa journée. Sa mère en outre l’interpelle à propos de l’état déplorable de son bonnet. Pavel baisse la tête. Il ne sait quoi répondre. Il a honte. Honte d’avoir pris en douce trois euros dans le porte-monnaie de sa mère. Honte aussi de son manque de réaction devant l’agression. Il s’en veut… Alors il se tait. Ses parents n’insistent pas et mettent son silence sur le compte de la fatigue. Pavel lui, va se coucher pour échapper au flot de pensées sombres qui l’envahit. Le lendemain, toujours muni de son maudit bonnet, il part en avance pour gagner la station de bus suivante afin d’échapper aux voyous. Malheureusement, ces derniers qui n’en sont pas à leur coup d’essai ont flairé la combine et l’ont devancé. Ils ne vont pas lâcher comme ça un pigeon pareil ! Et c’est ainsi que Pavel, après s’être pris un bon bourre-pif d’entrée pour avoir tenté de leur échapper est sommé de donner ses trois euros. Les jours passent, les semaines, les mois sans que rien ne vienne interrompre ce petit manège. Chaque matin, c’est la même chanson : « donne tes trois euros ou… ». Ils n’ont même plus besoin de menacer, il leur suffit de tendre la main. Ah si, tout de même ! En février, le racket est passé de trois à cinq euros. Mais à part cette petite augmentation, pour le reste, rien ne change. Du moins, en apparence… Car dans la tête de Pavel, ça bouillonne. Il est en train de devenir fou à cause de ce racket. Il en veut aux voyous bien sûr, mais surtout à lui-même. Il ne sait que faire pour sortir de cette impasse. Dès qu’il tente de raisonner, tout se mélange. Les idées s’emmêlent dans sa tête, elles s’emberlificotent, se contredisent l’une l’autre. Il ne voit plus clair Pavel, il perd les pédales ! Ce qui devait arriver arriva. Un jour, il tomba malade. Il eut un mal de ventre si fort et si violent qu’il resta cloué au lit pendant des semaines. Et tandis qu’il tombait malade, il perdit simultanément la parole. Au début ses parents ne s’inquiétèrent pas. Le mal de ventre, ça lui était déjà arrivé à d’autres occasions et puis c’était passé comme c’était venu. Mais là, c’était autre chose. Parfois, son ventre s’agitait, grondait, secoué par des spasmes imprévus et violents comme s’il y avait un volcan à l’intérieur. Et puis soudain tout retombait, c’était apparemment l’accalmie, sauf que Pavel lui, souffrait de plus en plus, parlait de moins en moins. Il finit par ne plus parler du tout. Les docteurs qui se penchaient à son chevet étaient perplexes. Ils avaient beau coller leur stéthoscope sur le ventre de Pavel, ils ne trouvaient pas l’origine de ce mal. Ils firent faire à Pavel des tas d’examens, mais rien n’y faisait. La maladie était toujours là. Les parents de Pavel finirent par s’affoler. Anton son père, qui n’était pas du genre bavard prit la parole un soir devant son fils et sa femme : « Je suis inquiet pour ta santé mon fils. Demain, je retourne au pays chercher Alexandre Baraka. Vous vous souvenez de lui ? Au village certains disent qu’il est un peu fou parce qu’il lit dans les nuages, parle aux arbres et aux animaux. On dit que c’est un sorcier. Pour ma part, chaque fois que je lui ai amené une bête malade, il me l’a guérie. J’ai toujours eu confiance en cet homme. Je suis sûr qu’il peut nous aider ». La mère acquiesça. Son mari en prenant cette décision la soulageait d’un grand poids car elle sentait l’urgence de la situation. Pavel, d’un bref mouvement de sourcil et d’un hochement de tête fit comprendre à ses parents qu’il partageait leur avis. Anton fit comme il avait dit. Il retourna dans ses montagnes et se mit

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en quête du guérisseur. Il ne passa pas par son village, car son temps était compté. Il fila droit vers le col des Ours où il savait qu’il avait des chances de le trouver car cet endroit regorgeait de plantes médicinales. Il marcha des heures et des heures et finit par le débusquer assoupi, adossé à un grand chêne. Il réveilla doucement le vieil homme et lui exposa son problème. Alexandre se souvenait d’Anton, ainsi que de son fils Pavel. Il aimait bien cet homme un peu rude, pas causant mais profondément honnête. Il savait à quel point Anton avait souffert d’avoir dû vendre ses bêtes lorsqu’il avait quitté le village pour la grande ville. Il connaissait également son garçon pour l’avoir croisé parfois sur les chemins escarpés, marchant seul, un peu perdu dans ses pensées. Oui, cette famille le touchait. Il accepta donc la proposition du père et descendit avec lui à Moscou. Arrivé au chevet du garçon, Alexandre l’ausculta rapidement. Il sentit la boule dans l’estomac du gamin, mais loin de l’inquiéter au contraire, cette nouvelle sembla le rassurer. Il se releva en souriant, fit un clin d’œil à Pavel et dit : « T’inquiète pas, je crois que je devine. C’est ton ventre qui parle à ta place, n’est-ce pas ? ». Pavel haussa les sourcils pour lui faire comprendre qu’il ne savait pas. Alexandre poursuivit : « T’es tombé sur le bon cheval mon garçon, je suis un excellent traducteur de ventre ! ». Pavel ne put s’empêcher de sourire. Le vieux sorcier demanda alors à la mère de faire chauffer un peu d’eau dans une casserole. Quand l’eau fut chaude, il prit quelques plantes dans le petit sac qu’il portait toujours autour du cou et les jeta dans l’eau bouillante. Il tendit la tisane à Pavel en disant : « Comme ton ventre a manifestement beaucoup de choses à dire, je lui donne cette potion pour qu’il s’exprime le plus clairement possible. Ce sont des plantes qui vont l’aider à se détendre ». Pavel la but sans se faire prier. Ils attendirent un petit quart d’heure que la tisane fasse effet. Soudain, le ventre se mit à chantonner. Il commença par émettre quelques glouglous légers, qui peu à peu s’amplifièrent pour former une véritable symphonie. Alexandre s’écria : « Ça y est, c’est le moment ! Vite, un crayon et des feuilles s’il vous plait ». La mère s’empressa de lui donner ce qu’il réclamait. Il mit son oreille sur le ventre et commença à écrire. Au début, les lettres apparurent dans le désordre, et tout ça semblait n’avoir ni queue ni tête, mais soudain, elles se mirent à danser puis à s’agencer les unes aux autres pour finir par former des mots puis des phrases qui avaient du sens… un sacré sens même ! « J’en peux plus de ces lascars qui me harcèlent tous les jours. Ils me traquent comme si j’étais un animal. Mais ce sont eux les chacals ! Pourquoi sont-ils aussi méchants, hein, vous pouvez me le dire ? J’en ai marre aussi de vous mes parents ! D’abord à cause de ce foutu bonnet que vous m’obligez à porter. Je ne peux plus le voir en peinture. C’est à cause de lui que tout a commencé et que je suis la risée du collège. Même quand je ne l’ai pas, on dirait que je le porte ! Et puis vous êtes tristes, vous faites toujours la tête depuis notre départ. Je vous préviens, moi je ne veux pas porter le chapeau ! Je ne veux pas entendre dire que si on est parti, c’est à cause de moi, à cause de mes études, et patati et patata... Vous croyez quoi, que je suis content d’être ici ? ! Moi aussi, j’ai la rage d’être parti de notre village. Ici ça pue, c’est moche ! Ici, moi je me sens complètement largué !

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apprendre à vivre ensemble / l’HISTOIRE du ventre qui parle...


J’ai un autre reproche à vous faire. Vous ne voyez rien ! Vous êtes aveugles ma parole, aveugles et sourds. Pourtant les signes sont là, non ? ! Mes silences à table, mes mauvaises notes, ce refuge dans ma console, et cet attrait nouveau pour les jeux vidéo violents… Mais le pompon si j’ose dire, c’est votre argent qui disparaît sans que cela vous étonne. Cinq euros par jour ! Tout de même ! Vous ne roulez pas sur l’or que je sache ! Il vous faut quoi pour comprendre ? J’en ai marre des profs également. Ils ne voient rien, eux non plus. Ils ont toujours l’air si occupé. J’ai bien essayé parfois de leur parler, mais ce n’est même pas la peine ! Bon, bon, faut pas que je leur mette tout sur le dos aux adultes, car tout ça, c’est aussi de ma faute. Je ne sais pas aller vers les autres. J’ai peur de leur regard, de leur jugement. Je suis trop timide, et si compliqué. Je ne dis jamais rien à personne, je voudrais toujours qu’on me comprenne, qu’on me devine. J’ai honte d’être sans défense à ce point. C’est comme si j’étais paralysé par la peur. Moi, j’aimerais devenir comme Jean-Claude Van Damme ou Mike Tyson. Il paraît qu’eux aussi au départ se faisaient chahuter par les garçons de leur âge. J’aimerais aussi pouvoir rire de moi, avoir de la répartie et des réponses qui fusent comme des balles. Comme Djamel Debouze ! J’aimerais tant savoir me défendre. Des fois, je me dis aussi que je suis maso, car faut être maso pour retourner tous les jours à un rendez-vous quand on sait qu’on va se faire tabasser, humilier, racketter. Non, décidément, je ne comprends rien à ce monde, ni à moi-même d’ailleurs ! ».

Ainsi parla le ventre… Il dit tout ça et bien d’autres choses encore qu’il serait trop long de rapporter ici. Quand il eut fini de parler, le silence se fit autour du lit de Pavel. Tout le monde était ému. Et en tout premier lieu Pavel naturellement. Il n’avait plus du tout mal au ventre, il était guéri car il avait trouvé les mots. Enfin ! Il commença à pleurer, d’abord doucement, puis de plus en plus fort. C’était comme un barrage qui cédait, un barrage qui libérait peu à peu un torrent de larmes contenues depuis bien trop longtemps. À la fin, Pavel poussa un immense soupir. C’était un soupir qui venait de loin, un soupir comme une renaissance. Tout le monde se mit à rire autour de lui. L’heure était à la fête désormais. Les parents ne savaient comment remercier le vieux sorcier, mais celui-ci leur répondit que le sourire de Pavel lui suffisait amplement. La maman prépara un bon repas et la soirée se prolongea tard dans la nuit. Dans les jours qui suivirent, Pavel reprit rapidement des forces. Il avait encore beaucoup de choses à dire à ses parents, mais cette fois-ci, il ne passa plus par l’intermédiaire d’Alexandre. Il n’avait plus besoin de traducteur. Inutile de vous dire que lorsque Pavel a revu nos deux lascars, ça n’a pas traîné, il leur a lancé un : « tout ça c’est terminé désormais ! ». Et à la manière dont il l’a dit, à sa façon de se tenir droit, au regard assuré qu’il leur a lancé, ils comprirent aussitôt qu’ils n’avaient plus affaire à la même personne !

FIN

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L’histoire du ventre qui parle Le récit de Dimitri (le racketteur)

Dimitri est un drôle de gars. Depuis qu’il est tout petit en effet, il a un gros problème : il ne supporte pas qu’on le dévisage. Dès qu’il croise le regard d’un passant, il réagit au quart de tour et dit : « qu’est-ce t’as, t’es pas content ? ». Et si l’autre s’avise de lui répondre, il l’insulte ou le frappe. Oui dimitri est à cran. Avec ses potes du quartier, quand ils se baladent en ville, ils roulent des épaules, parlent fort, intimident ceux qui les croisent. Et à ce petit jeu-là, Dimitri n’est jamais le dernier. Mais s’il doit se rendre seul au centre ville, ça l’angoisse. Il se sent tendu. Il marche vite, jette des coups d’œil rapides de droite à gauche pour vérifier qu’on ne le regarde pas. Il n’aime pas croiser les adultes avec leurs yeux inquisiteurs. Il n’aime pas non plus le regard de ces adolescents sages et studieux qu’il rencontre parfois en ville et qui paraissent si sûrs d’eux. Il ne sait pourquoi, mais ça le met en colère. Alors parfois, avec un pote, il en attrape un comme ça pour lui faire voir. Il a l’instinct du chasseur et sait jauger ses futures victimes en un clin d’œil. Ce matin-là, avec son pote Yvan qui le suit toujours, il sort de son immeuble quand il aperçoit le jeune Pavel. dimitri n’en croit pas ses yeux. Il ne pensait pas que ça existait encore ! à son port de tête, au bonnet ridicule qu’il porte, aux sursauts qu’il fait au moindre coup de klaxon, Dimitri a su de suite que ce serait du gâteau. Alors il s’avance vers lui, l’apostrophe vertement et le frappe pour l’intimider. En deux coups de cuillère à pot, l’affaire est conclue : pour avoir le droit de passage sur ce territoire, Pavel devra payer, sans quoi… dimitri n’a même pas besoin de préciser ses menaces. Mais à force de chercher des embrouilles, de se faire virer de tous les établissements où il passait, la justice s’est intéressée à lui. Toutes ces plaintes, ces bagarres, ça finissait par bien faire ! Alors, on lui a collé un éducateur pour le surveiller. Un teigneux qui le suivait à la trace et lui demandait des comptes. dimitri ne pouvait pas le voir. Il ne supportait pas ses remarques. Un soir il l’a semé dans les rues de Moscou. Mais depuis, il est seul et s’il est vrai qu’il n’a plus personne sur le dos, les heures sont parfois longues loin de son quartier. Sans son pote Yvan, sans ses amis de la cité, il ne se sent pas très bien. Et puis sa famille lui manque, surtout son petit frère Igor qu’il aime tant. Un soir, tandis qu’il errait dans la ville, perdu dans ses pensées, il tomba nez à nez avec Pavel. Ça faisait un moment qu’il ne l’avait plus croisé, et il s’était récemment posé des questions sur son absence prolongée. Sa première réaction fut de lui sauter à la gorge pour le détrousser ! Mais, mais, mais… quelque chose avait changé en Pavel. d’abord,

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il avait grandi. Ensuite, son regard n’était plus fuyant. Et puis il se tenait droit. C’étaient de tous petits signes, mais ils inclinaient notre lascar à rester prudent, à se tenir à distance. En fait c’était comme si rien n’avait vraiment changé, mais que tout avait changé en lui. D’ailleurs, lorsque Pavel lui dit d’un ton assuré : « Désormais, le racket, c’est terminé ! Tu entends, ter-mi-né ! ». Dimitri se rendit à l’évidence. C’était clair comme de l’eau de roche, ce mec n’était plus le même ! Pavel semblait désormais beaucoup mieux dans sa peau et bien plus armé pour la vie. En voyant cette transformation, Dimitri se frotta le menton : « Hum », se ditil, « qu’est-ce que c’est que ce micmac ? ». Alors pour une fois, laissant tomber son ton agressif, il demanda calmement à Pavel : « j’aimerais bien discuter cinq minutes avec toi. Tu veux bien ? ». Pavel acquiesça. Ils entrèrent dans un petit café de la ville, s’installèrent à une table et passèrent commande de deux cafés. Dimitri entra immédiatement dans le vif du sujet : « Oh mec, comment t’as pu changer à ce point ? ». Pavel répondit : « c’est à cause d’Alexandre, un vieux sorcier qui habite dans la montagne, pas très loin de mon village natal. C’est un homme étrange, un peu mystérieux. Il sait parler aux oiseaux, connaît les plantes qui guérissent et il sait aussi faire parler les ventres ». « Qu’est-ce que tu racontes ? » s’écria Dimitri, « les ventres ne parlent pas ! ». « Si si », rétorqua Pavel, « avec lui, même les ventres les plus durs se mettent à parler. Crois-moi, j’en parle en connaissance de cause ! ». Pavel se mit à lui raconter son histoire depuis le début. Le départ du petit village de montagne pour la capitale, la peine de sa famille de tout quitter. Il évoqua aussi son étonnement à l’arrivée ainsi que l’histoire de ce bonnet qu’il mettait pour faire plaisir à ses parents, et puis naturellement il évoqua leur rencontre... En l’écoutant, Dimitri ne se sentit pas fier. C’était comme s’il réalisait pour la première fois la portée réelle de son acte et le mal qu’il avait fait. Pavel poursuivit en racontant sa maladie, la panique de ses parents et finalement l’arrivée d’Alexandre Baraka. Il lui raconta la scène au cours de laquelle son ventre s’était mis à parler parce que lui ne pouvait rien dire tant les mots étaient restés bloqués au fond de sa gorge. Il lui raconta son soulagement après, le mieux-être qui s’était installé peu à peu et le regard des autres qui avait changé dans la foulée. Au collège, en effet, plus personne ne s’avisait désormais de lui chercher querelle. Au contraire, on le sollicitait pour lui demander son avis ou pour régler un conflit. Plus Dimitri l’écoutait, plus il était passionné par cette histoire. Car lui aussi avait souvent mal au ventre. Il se sentait souvent incompris et lorsque cela se produisait, il rentrait alors dans une rage folle. Mais personne autour de lui ne tentait de le comprendre. Et puis, il n’arrivait pas à dire ce qui lui faisait de la peine, ce qui le mettait en colère. Il se sentait bloqué, prisonnier de ses réactions. Alors il demanda : « tu crois que je pourrais le voir, ton Alexandre ? Tu accepterais de me le faire rencontrer ? ». Pavel répondit : « je veux bien essayer de lui parler de toi ». Depuis sa guérison, Pavel était resté en contact avec le vieux sorcier. Un lien fort d’amitié s’était tissé entre les deux. Alors, à chaque fois que le vieil homme descendait dans la capitale pour faire quelques courses, il en profitait pour rendre visite à l’adolescent. Cela tombait plutôt bien, la prochaine visite d’Alexandre était justement prévue pour la semaine suivante...

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Quelques jours plus tard donc, Pavel retrouva Alexandre Baraka au rendez-vous habituel : square Raspoutine, sur le banc qui se trouvait juste en dessous de l’énorme chêne plusieurs fois centenaire. Pavel aimait bien cet endroit car la présence du vieil arbre avait quelque chose de rassurant et d’apaisant pour lui. Très vite, le jeune garçon aborda le sujet de de Dimitri. Il raconta l’histoire de A à Z, du racket initial jusqu’à leur dernière rencontre dans les rues de Moscou. Alexandre semblait très intéressé par le cas de ce Dimitri. Il confia à Pavel : « tu sais, en venant te voir, il a quand même fait sacrément preuve de courage ! Il a su mettre sa fierté dans sa poche, et pour un gars bagarreur comme lui, ce n’est pas rien ! ». Pavel était d’accord, il mesurait l’ampleur du pas accompli par Dimitri mais il lui en voulait encore de tout le mal qu’il lui avait fait auparavant. Malgré tout, il était quand même décidé à lui venir en aide. Il appela comme convenu Dimitri sur son portable pour lui annoncer la bonne nouvelle : Alexandre était prêt à le rencontrer et lui fixait rendez-vous l’après midi même dans le petit appartement qu’il louait près du centre. Dimitri, en apprenant que la rencontre aurait lieu dans quelques heures seulement en fut tout chamboulé. « Ouah », dit-il, « tout ça est très rapide. Je ne suis pas prêt moi et puis j’ai peur de... ». Pavel rétorqua : « c’est toi qui voit » et il raccrocha. Dimitri ne savait plus quoi faire. Y aller ? Ne pas y aller ? Attendre la prochaine fois ? Il hésita pendant un long moment. Et puis soudain, ce fut comme une évidence. Cela faisait trop longtemps qu’il galérait. Malgré sa peur, il décida de tenter l’aventure. C’est ainsi qu’il se retrouva à l’heure dite devant la porte de l’appartement d’Alexandre Baraka. Au moment où il appuya sur la sonnette, ses jambes flageolèrent. Le vieil homme ouvrit la porte en lui faisant un large sourire. Dimitri fut rassuré par ce signe de bienvenue. Il le fut doublement quand il aperçut Pavel derrière le sorcier. Il pénétra donc dans la petite pièce et à l’invitation d’Alexandre s’assit sur le petit lit. « Tu permets que je t’ausculte ? », demanda le vieil homme. Dimitri acquiesça. En palpant le ventre de l’adolescent, Alexandre sentit tout de suite la boule dans l’estomac. Elle était particulièrement dure. Pas de doute, cela devait faire un sacré bail que le gamin gardait enfermés ses tourments. Il était urgent d’agir ! Il fit comme il avait fait avec Pavel. D’abord il mit à chauffer de l’eau dans une casserole. Puis il sortit quelques feuilles secrètes du petit sac qu’il gardait toujours autour du cou et les jeta dans l’eau bouillante. Quelques minutes plus tard, il tendit la tisane à Dimitri en disant : « ton ventre est très dur. Il faut qu’il se détende un peu. C’est pour ça que je t’ai préparé cette infusion spéciale ». Dimitri avait désormais totalement confiance. Il but la potion sans se faire prier. Ils attendirent une petite heure que la tisane fasse effet. Soudain là encore, comme pour Pavel, le ventre de Dimitri se mit à chantonner. Il commença par émettre quelques gargouillis qui soudain devinrent plus profonds, plus sourds, plus fréquents. Ils s’amplifièrent jusqu’à former un vacarme assourdissant. Alexandre s’écria : « Ça y est Pavel, c’est le moment ! Vite, un crayon et du papier s’il te plait ». Pavel s’empressa de lui donner ce qu’il réclamait. Alexandre mit son oreille sur le ventre et commença à écrire. Au début, les mots qu’il écrivait étaient incompréhensibles, incohérents mais petit à petit, comme avec Pavel, ils se mirent à s’organiser pour former des phrases très très intéressantes.

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apprendre à vivre ensemble / l’HISTOIRE du ventre qui parle...


« J’en ai assez de passer mon temps à me battre, à chercher des embrouilles. Mais c’est comme si je ne savais rien faire d’autre, comme si j’étais en prison à l’intérieur de moi. D’ailleurs, je vais finir par y aller pour de vrai, en prison, si je continue, je le sais bien. En vérité, je ne sais pas quoi faire de ma peau. J’ai tout le temps les nerfs à vif. Si j’ai la haine, c’est parce que moi aussi, j’ai dû déménager à Moscou. J’avais 6 ans, je m’en souviens comme si c’était hier. C’était un matin d’hiver, il faisait super froid. On nous avait parqués dans ce quartier où il n’y avait que des gens du Caucase comme nous. Ma mère, ça l’avait complètement minée de quitter sa terre natale. Elle était perdue. Je me souviens qu’elle passait des heures à regarder par la fenêtre tristement, comme si elle n’était plus vraiment avec nous. Faut dire, elle avait laissée toute sa famille là-bas et chez elle la famille, vous savez, c’est quelque chose ! Moi aussi, il me manque mes oncles et tantes du côté de ma mère. Ils sont plein de joie de vivre. Les frères et soeurs de mon père par contre, je ne les ai jamais vus. En parlant de mon père, je me rappelle très bien d’un soir. C’était quelques mois après notre arrivée. A la fin du repas, il s’est mis soudain à nous parler des réflexions qu’il subissait régulièrement de la part de certains passants du centre ville : « rentre chez toi, sale étranger. Ne viens pas nous polluer ! ». Je me souviens qu’il avait les larmes aux yeux en racontant ça mon père. C’était la première fois que je le voyais pleurer. Ça m’avait choqué. Je me souviens que quelque temps après, il est tombé gravement malade. Je ne sais pas si ça a un rapport direct avec cette histoire. Faut dire que mon père, il a aussi des soucis importants avec sa famille. Ils ne veulent plus le voir depuis qu’il s’est marié avec ma mère. Je ne sais pas pourquoi. Il garde toujours tout pour lui, mon père. Tout ce que je sais, c’est que depuis qu’il a cette maladie, ce n’est plus le même homme. Alors oui, c’est vrai, depuis j’ai la rage. Surtout contre les Moscovites... et contre la famille de mon père aussi. »

Ainsi parla le ventre de Dimitri. Il dit tout ça et bien d’autres choses encore qu’il serait trop long de rapporter ici. Quand le ventre eut fini de parler, le silence se fit autour du lit de Dimitri. Tout le monde était ému. Alexandre à qui cette histoire rappelait étonnamment sa propre histoire mais aussi Pavel, qui se sentait d’un coup beaucoup plus proche de son ancien bourreau, et naturellement Dimitri. Ce dernier eut soudain envie de pleurer. Son premier réflexe fut bien entendu de se retenir mais les larmes coulaient toutes seules. C’était comme un barrage qui cédait, et qui libérait le torrent de larmes retenues trop longtemps. À la fin, Dimitri poussa un gros soupir et tout le monde se mit à rire autour de lui. Alexandre fit remarquer à quel point les histoires humaines étaient semblables finalement, pour peu qu’on dissipe quelques préjugés. Dimitri et Pavel semblaient d’accord avec cette conclusion. Alexandre repartit le soir même dans ses montagnes. Pavel et Dimitri quant à eux rentrèrent dans leurs quartiers respectifs en promettant de se revoir très bientôt. Une amitié était sur le point de naître.

FIN

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Quand le loup redevint homme... Conte à écouter piste 01 du CD

L’HOMME : « Pardon ma petite dame, je cherche le quartier de l’Este-

rel à Aumoncourt. vous connaissez ? » LA PETITE DAME : « Le quartier de l’Esterel, le quartier de l’Esterel… non. désolée. vous n’auriez pas un nom de rue, ou un indice, quelque chose, un commerçant ? » L’HOMME : « On m’a parlé de la rue des buissons, de l’avenue du bois dormant. » LA PETITE DAME : « non mais attendez un peu, vous êtes sûr qu’il existe vraiment votre quartier parce que, à vous écouter, on se croirait plutôt dans un conte de Perrault ! » L’HOMME : « Ah ben tiens, maintenant que vous le dîtes : l’école maternelle s’appelle justement l’école Charles Perrault ! » Un ton plus bas : « On m’a dit aussi qu’il y avait un rond point qui s’appelait le rond point du Saut du loup…» LA PETITE DAME : « non ! » L’HOMME : « On m’a dit aussi qu’à la tombée de la nuit, une horde de loups sort du bois environnant. Et que quand ils sortent, et bien les habitants se dépêchent de rentrer chez eux et de s’enfermer à double tour. » Au loin, on entend des hurlements de loup et des claquements de porte. LA PETITE DAME : « Ouh lala, mais ça fait peur votre histoire ! » L’HOMME : « Pourtant, ce ne sont encore que de jeunes loups, paraitil, et ils ne sont pas très nombreux, une vingtaine pas plus ! On m’a dit qu’il y en avait des tout-petits parmi eux. » LA PETITE DAME : « Mais qu’est-ce qu’ils font ces petits loups ? » L’HOMME : « Eh bien, comme tous les loups, ils marquent leur territoire. Mais comme le leur est petit, au bout d’un moment, ils tournent en rond et commencent à faire des bêtises. Ils se disputent, se chamaillent pour trois fois rien, quelques sous, une histoire de réputation. Ils font du bruit aussi, tapent dans les rideaux de fer des magasins, jouent avec la peur des gens. Parfois, aussi ils sortent en bande pour attaquer d’autres jeunes loups sur d’autres territoires. Ça les occupe paraît-il. Certains, les plus durs, peuvent se montrer vraiment méchants. » LA PETITE DAME : « Mais c’est terrible, c’est complètement fou comme jeu ça ! C’est disproportionné, c’est… Ils ne savent pas parler ? »

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APPrEndrE à vIvrE EnSEMbLE / qUAnd LE LOUP rEdEvInT HOMME...


L’HOMME : « Non, c’est comme ça. Ils ont perdu l’habitude de parler.

Ils savent se moquer, injurier, hurler, taper, cracher, intimider ça oui, et plutôt bien même ! Mais parler non, ils ne savent plus. Faut dire aussi, ça fait longtemps que personne ne leur adresse plus la parole. » On entend les cris des loups au loin. LA PETITE DAME : « Dîtes monsieur… ? » L’HOMME : « Oui ? » LA PETITE DAME : « J’ai une petite question. » L’HOMME : « Je vous en prie, je vous écoute. » LA PETITE DAME : « Comment est-ce qu’ils sont arrivés les loups ? » L’HOMME s’emporte : « Ouh la la, mais c’est que ce n’est pas une petite question ça madame ! On ne devient pas un loup comme ça, par hasard du jour au lendemain. Il faut tout un ensemble de choses ! D’abord pour que les loups fassent leur apparition, il faut un territoire. Un endroit si possible à l’écart. Tenez, l’Esterel, pour ça c’est l’idéal ! Il fait partie d’Aumoncourt, une petite bourgade peuplée de gens aisés, qui habitent en général de belles résidences… » LA PETITE DAME : « De jolies maisons fleuries avec de beaux jardins ». L’HOMME : « Tout à fait ! Et puis tout au bout de cette ville, là-bas, au fin fond, il y a ce quartier isolé avec ces tours, ces immeubles. Un endroit pour des gens disons, moins… » LA PETITE DAME : « Moins aisés. » L’HOMME : « Pour que les loups viennent, il faut aussi des murs. » LA PETITE DAME : « Des murs ? » L’HOMME : « Oui des murs. Des murs invisibles mais qui existent pourtant dans la tête des gens. Des murs entre le quartier et le reste de la ville. Des murs entre les jeunes et les adultes, des murs entre les communautés aussi parfois. Des murs de silence, d’incompréhension qui peuvent devenir avec le temps des murs de haine. Oui. Il faut des tas de murs pour que les loups arrivent. Mais pour que les loups envahissent un territoire, il leur faut bien entendu des agneaux ! » LA PETITE DAME : « Des agneaux ?! » L’HOMME : « Et bien oui, il n’y a pas de loups sans agneaux, vous ne le saviez pas ? ! » LA PETITE DAME : « Ben si mais c’est dans les histoires, ça ! » L’HOMME : « Parce que pour que les loups s’emparent comme ça d’un territoire, il faut leur avoir laissé le champ libre depuis longtemps. Ça ne se fait pas en un jour ces choses-là ! » LA PETITE DAME : « Mais… mais… Mais c’est qui ces agneaux ?! » L’HOMME : « Et bien des gens comme vous et moi. » LA PETITE DAME : « Moi ? ! » L’HOMME : « Oui, vous. Un peu tout le monde en fait. Des gens qui ont peur, qui se sentent seuls, abandonnés, et qui à force ont fini par se taire et se retrancher chez eux. » LA PETITE DAME s’emporte : « Oui mais c’est normal d’avoir peur, bon sang ! Mettez-vous à leur place ! Les loups sont sans pitié, ils vous infligent de sacrées morsures vous savez. Ils sont plus forts, ils sont plus cruels, ils sont plus nombreux ! » L’HOMME : « Ce n’est pas une histoire de force ou de méchanceté.

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C’est une histoire de peur. Parce que vous savez, les loups aussi ont peur. » LA PETITE DAME : « Oh ben c’est la meilleure ça, tiens ! Les loups ont peur ! Non mais n’importe quoi ! Qu’est-ce que vous me racontez là ?! » L’HOMME : « Vous n’avez jamais croisé de loup solitaire ? » LA PETITE DAME : « Ben si, une fois ou deux, dans la rue. » L’HOMME : « Et alors ? Vous n’avez pas remarqué à quel point ces loups pourtant si agressifs quand ils sont en bande, deviennent timides, fuyants quand ils sont seuls ? » LA PETITE DAME : « Peut-être ? Oui, mais... Tiens c’est vrai, maintenant que vous le dîtes… » L’HOMME : « Et même que si vous tentez d’aller vers lui, vous allez voir, il y a de fortes chances pour qu’il se carapate en vous voyant ! » LA PETITE DAME : « Mais… mais pourquoi ? » L’HOMME soudain très grave : « Parce que le loup a peur. Il a peur de l’homme, de son regard, peur du contact. Alors pour se protéger, il hérisse son poil et montre les dents. Comme il n’a pas les mots, il hurle, il cogne. Pour ne pas être dévoré, c’est lui qui dévore. Il faut savoir aussi que le loup ne s’aime pas, car souvent la horde le pousse à aller plus loin qu’il ne le souhaite en vérité. Quand il devient cruel comme ça, juste pour obéir à la loi du groupe, au petit matin, seul, devant sa glace, je peux vous dire qu’il ne se sent pas fier. » LA PETITE DAME interloquée : « Mais… mais comment savez-vous tout cela monsieur ? » Grognements LA PETITE DAME inquiète : « Vous… vous allez pas me dire que …? » L’HOMME dans un grognement : « Ah votre avis ?! » LA PETITE DAME affolée : « Oh non, ne me dîtes pas que vous en êtes un ?! » Grognements plus forts, terribles LA PETITE DAME terrifiée : « Oh non, ne me croquez pas s’il vous plait, je vous en supplie ! » L’HOMME dans un grognement : « Du calme, du calme ma petite dame » LA PETITE DAME terrorisée : « Oui… » L’HOMME : « Je vous rassure, du loup, il ne me reste que ces quelques grognements poussifs au fond de la gorge, et puis aussi ces deux canines. » LA PETITE DAME impressionnée : « Ouh lala, mais elles sont grandes ! » L’HOMME : « C’est pour mieux vous manger mon enfant hahaha !!! » LA PETITE DAME à nouveau terrorisée : « Vous m’avez fait peur ! » L’HOMME : « Je plaisante bien sûr ! Bon, mais c’est vrai, je continue à aimer la viande, le rosbif notamment, bien saignant. Mais pas plus de trois kilos par semaine. » LA PETITE DAME affolée : « Ben dîtes donc, tout de même, ce n’est pas rien ! Que... quand ben, je veux dire... Comment vous êtes-vous transformé ? Comment vous êtes-vous métamorphosé ? » L’HOMME : « Quand j’étais jeune, à plusieurs reprises, je me suis senti rejeté, méprisé, traité comme un chien par les humains ! J’ai fini par en avoir le cœur sec, tout froid. En chemin, j’ai croisé d’autres enfants comme moi qui avaient la rage au ventre. Ensemble, livrés à nous-mêmes, on a fini par devenir de jeunes loups cruels, mordants.

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apprendre à vivre ensemble / Quand le loup redevint homme...


Un jour, alors que je me trouvais seul, un homme âgé est venu vers moi. C’était un matin, je m’en souviens bien. Au début, en le voyant, mon premier réflexe a été de le mordre et de me sauver ventre à terre, mais il est revenu tout doux, tout doux. Il me souriait et il y avait de la bonté dans son regard. Ça a pris des semaines. Un jour, je me suis rapproché. Peu à peu, à force de revenir chaque matin, de me parler tout doux, tout doux, il a fini par m’apprivoiser. Et c’est ainsi que j’ai repris confiance. Oui, c’est grâce à ce vieil homme que j’ai posé mon masque de loup ma petite dame ! » LA PETITE DAME : « Quelle belle histoire… ! » L’HOMME : « Sans lui, voyez-vous, je ne sais pas ce que je serais devenu. » LA PETITE DAME : « Alors, vous croyez que c’est en faisant comme ce vieil homme, en allant à leur rencontre qu’on pourra peut être… » L’HOMME : « Oui parler, c’est la seule solution. Essayez, vous verrez. » LA PETITE DAME : « Parler avec eux ? Non mais ça va pas, non. C’est impossible de parler avec des brutes pareilles vous savez ! » L’HOMME qui monte le ton et se fâche : « Et vous croyez que c’est mieux d’avoir à choisir éternellement entre le clan des loups et celui des agneaux ? Comme s’il y avait un camp qui était gagnant ! De toute façon, qu’on soit loup ou agneau, on est prisonnier et on vit dans la peur ! Vous savez, parfois, il suffit d’un déclic ! Je connais un quartier où les adultes, lassés de vivre constamment dans la peur se sont rassemblés pour dire : stop, ça suffit ! Et rien que le fait de dire ça tous ensemble, vous ne pouvez pas savoir comme ça leur a fait du bien. » LA PETITE DAME : « Et ça a changé ? » L’HOMME : « Très vite ! Les loups ont disparu en quelques semaines et la joie de vivre est revenue ! Je vous l’ai dit, les loups arrivent quand il y a des murs, des murs de peurs, de silence. Si on décide de se parler, de faire tomber les barrières, ils s’en vont, ou plus précisément, ils reviennent parmi nous, parmi les hommes. Petit silence. Oh ! Oh ben tiens ça y est, regardez, je viens de trouver le quartier de l’Esterel sur mon plan ! » LA PETITE DAME : « Et bien c’est pas très loin en fait ! » L’HOMME : « Non, c’est à deux pas. » LA PETITE DAME : « Dîtes, notre discussion m’a donné envie de... » L’HOMME : « De quoi ? » LA PETITE DAME : « De découvrir ce quartier. Ça ne vous dérange pas si je vous accompagne ? » L’HOMME : « Ben non, bien au contraire mais dîtes, maintenant qu’on se connait un peu, appelez-moi par mon petit nom, c’est Georges ! » LA PETITE DAME : « Appelez-moi Simone ! » L’HOMME : « Oh comme c’est charmant ! Dîtes Simone, montez, et puis si j’ose dire, en voiture Simone ! »

FIN

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QUeLQUeS CLÉS De LeCTUre Le récit de Pavel

dans cette histoire, c’est le ventre qui, de façon métaphorique, vient parler à la place de Pavel. Il lui ouvre les yeux ainsi qu’à ses proches. Après avoir parlé, Pavel n’est plus le même. beaucoup de situations conflictuelles, si elles étaient mises en mot, se désamorceraient rapidement. C’est le cas aussi dans cette histoire. Pavel est coincé parce qu’il ne parvient pas à parler de ce qui lui arrive. Il n’a pas pas les mots pour décrire ce qu’il vit, il n’a pas d’interlocuteur, il est seul avec tout ça. Au niveau de ses parents Peut-être ne leur parle t-il pas pour les protéger, car il sait que le choix de quitter leur terre natale a été douloureux pour eux et qu’il ne veut pas réactiver cette plaie. Il peut aussi avoir peur d’être mal jugé par les siens, ou que son père le traite de mauviette. Peut-être également a-t-il peur que ce soit l’escalade, que ses parents s’y prennent mal avec les racketteurs et fassent pire que mieux. d’une certaine façon, Pavel porte le chapeau. Le bonnet est donc ici une forme de métaphore de « ce chapeau » qu’on lui fait porter, au sens propre comme au figuré. Il représente en effet du point de vue des parents l’attachement à la terre qu’ils ont quittée récemment. Ils chargent donc leur enfant de cette mission symbolique forte en l’obligeant à porter cet attribu. Et ce faisant, le bonnet le stigmatise d’emblée aux yeux des autres jeunes de la ville. C’est donc bien aussi en partie à cause de ce bonnet (et de ce qu’il représente) que Pavel devient bouc émissaire. Et ce sont paradoxalement les racketteurs qui viendront lui révéler ce blocage, et lui permettre d’en prendre conscience pour en sortir. Mais si les autres (parents, bonnet, agresseurs, l’indifférence générale également) sont en partie responsables de cette situation, Pavel y a également sa part. Il est en fait paralysé devant l’agression, comme Mowgli par le serpent Kaa. Il est prisonnier de sa peur, sans ressources. Ses agresseurs le constatent d’emblée et en profitent jour après jour, mois après mois. quelqu’un d’autre aurait peut-être eu comme premier réflexe de crier, d’appeler à l’aide un passant. Ou de répondre aux agresseurs en leur faisant comprendre qu’il n’était pas prêt à se laisser maltraiter de la sorte. Il aurait pu également en parler à ses parents immédiatement. Ici, ce qui fait que la situation va devenir difficile, c’est que les agresseurs ont vite fait de comprendre que Pavel n’a pas les ressources propres pour aller chercher de l’aide et interrompre le processus. Plusieurs signes leur permettent de mesurer que ce jeune homme est une « proie » idéale : son bonnet, qui lui donne l’air décalé, ridicule, son attitude corporelle hésitante, craintive (il baisse les yeux) et le fait qu’il soit isolé.

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APPrEndrE à vIvrE EnSEMbLE / qUAnd LE LOUP rEdEvInT HOMME...... APPrEndrE LECTUrEHOMME... dES HISTOIrES APPrEndrE à à vIvrE vIvrEEnSEMbLE EnSEMbLE/ /qUELqUES qUAnd LECLéS LOUPdE rEdEvInT


Au-delà, la vraie question qui se pose est de savoir pourquoi Pavel accepte de vivre tous les jours un tel calvaire ? Pourquoi n’en parle t-il à aucun des adultes qui gravitent autour de lui ? Heureusement, un jour, c’est le déclic. Placé devant la maladie, la famille prend conscience de l’urgence de la situation (ou autrement dit, il faut que Pavel tombe malade pour que ses proches réagissent et prennent conscience du malaise profond dans lequel se trouve leur enfant). Eux qui étaient aveugles aux malheurs endurés par leur fils, se ressaisissent : c’est le père avec l’assentiment de la mère qui va chercher celui qui est susceptible de guérir leur fils, et il ne se trompe pas dans son choix, preuve que c’est une bonne fée (l’intuition) qui guide ses pas ! dans l’histoire, c’est le ventre qui va parler à la place de Pavel, c’est lui qui va faire le tri entre ce qui est de sa responsabilité et celle des autres (agresseurs, parents, profs…). Il le fait grâce au bon traducteur, au sorcier. Lui, c’est le bon génie de l’histoire, celui qui permet au héros d’accéder à un autre niveau de conscience. Il va lui permettre de mettre en mots ce malaise diffus. Une fois la situation mise en mots, elle se débloque, car elle est comprise et reconnue. Il y a prise de conscience. à cette étape, Pavel a dissocié ce qui dans cette affaire lui appartenait (en terme de responsabilités) et ce qui ne lui appartenait pas (le chapeau qu’on lui faisait porter). Il rend à César ce qui appartient à César. Après, il n’est plus la même personne.

Le récit de Dimitri Pour représenter le parcours de dimitri, on peut s’appuyer sur la frise du Schdong. On est vraiment dans le cas d’un jeune qui se construit une carapace pour ne pas trop souffrir au départ. Ce faisant, il devient peu à peu de plus en plus dur avec les autres. Il a des comptes à régler dont certains sont légitimes d’ailleurs. Seulement, comme il les règle sans discernement, de victime il a tendance à devenir bourreau. Au niveau de ses parents On voit que ses blessures sont en rapport étroit avec celles de ses parents. Qu’elles soient d’origine sociales et culturelles (racisme, rejet de la part des habitants du centre ville) ou familiales, les blessures de sa famille, il les fait siennes, les prend à son compte, devenant en quelque sorte l’avocat de ses parents. On peut imaginer tout d’abord que ce jeune est profondément affecté par la tristesse de sa mère depuis son arrivée à Moscou et qu’il a été lui même très touché par cette séparation avec les frères et soeurs de sa mère qu’il aimait tant. Du côté de son père, on ne sait pas pourquoi en fait sa propre famille l’a rejeté depuis qu’il s’est marié avec la mère de dimitri. Il y a manifestement des non-dits importants qui expliquent cette coupure familiale. En tout cas, Dimitri qui est un jeune très sensible « porte » sans aucun doute cette blessure, au moins à un niveau inconscient.

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En conclusion, dimitri est sans doute un jeune à fleur de peau qui a été témoin de la peine de ses parents, qui en a été bouleversé, et qui de ce fait s’arroge symboliquement le rôle du « défenseur » de cette famille. Et comme il arrive parfois, celui qui se sent rejeté, humilié (ou qui a vu ses ascendants rejetés, humiliés) finit par rejeter à son tour... Cela ne signifie pas pour autant que son agression sur Pavel soit excusable. Tenter de comprendre ne signifie pas justifier. Comparaison de ces deux versions Il peut être intéressant d’amener les jeunes à comparer les deux versions, afin de montrer que Pavel (le racketté) et dimitri (le racketteur) ont finalement des blessures et des histoires qui se ressemblent beaucoup plus qu’on ne le suppose au départ. L’un et l’autre ont des parents qui ont dû fuir leur terre natale. L’un et l’autre ont vécu un démenagement brutal et mesuré le poids et le prix de cet arrachement pour eux-mêmes mais aussi pour leurs parents. Ils portent d’une certaine façon cette blessure. L’un et l’autre sont des jeunes à fleur de peau, très sensibles finalement. C’est dans leur réaction qu’ils diffèrent, l’un est plutôt bourreau, l’autre victime (tout en sachant qu’il arrive fréquemment qu’on passe d’un rôle à l’autre). Catherine Carpentier, chargée de l’expérimentation des outils auprès des publics adultes et adolescents « L’expérimentation avec des collégiens et de jeunes adultes m’a permis de mesurer que la dimension symbolique de cette histoire permettait d’aborder en groupe un sujet délicat de ce type quel que soit l’âge. Non seulement elle permet de libérer la parole mais elle permet aussi de dépasser le registre victime/bourreau pour nous interroger sur nos responsabiltés respectives : adultes, victime, agresseur. En réagissant d’abord à l’histoire, ceux qui avaient vécu des situations analogues ont osé en parler, ont réfléchi à ce qui les avait empêché de demander de l’aide. Quant à ceux qui sont plutôt dans le rôle de l’agresseur, la manière de travailler la question sans en rajouter dans la culpabilisation mais plutôt en leur en permettant de se mettre à la place de l’autre ouvre là aussi bien des perspectives ».

Le conte Quand le loup redevint homme Les loups arrivent quand les hommes ne se parlent plus, quand chacun à tendance à se replier sur soi. Ils sont un miroir de ce que nous sommes devenus et de la société que nous avons bâtie. Une société fondée sur le chacun pour soi, sur l’apparence, qui crée des préjugés et nous éloigne progressivement les uns des autres. Symboliquement, dans les contes, le loup représente la part d’ombre, d’inconscience qui est en chacun de nous. Plus on la refoule, moins on la reconnaît, et plus elle a de chances de surgir un jour. Le loup/monstre qui sommeille en nous se réveille quand nous n’avons plus les mots pour dire ce que l’on ressent. Trop de non-dits, d’humiliations, de blessures qui ne sont pas guéries... Et quand nous n’avons plus les mots pour dire individuellement ce que nous sommes, alors nous

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APPrEndrE à vIvrE EnSEMbLE / qUELqUES CLéS dE LECTUrE dES HISTOIrES


avons tendance à nous regrouper, par la force des choses, pour survivre, pour exister. Et c’est le groupe qui devient notre identité, qui nous constitue, qui fait barrage entre l’extérieur et nous. C’est lui qui nous protège, mais également qui finit par nous dicter ses propres règles et nous emmener parfois bien au-delà de ce que nous souhaiterions au fond de nous-mêmes (phénomènes des bandes dans les cités). Ces bandes de jeunes qui font régulièrement l’actualité représentent donc d’une certaine façon ce que nous sommes devenus. Ils sont notre miroir. Des personnes qui ne parlent plus aux autres, qui défendent leur territoire, leur intérêt particulier. des personnes qui sont souvent sur la défensive, qui acceptent difficilement les remises en cause. des personnes qui ont beaucoup de peurs par rapport aux autres. Et ces peurs entraînent des préjugés, qui à leur tour entraînent des risques de malentendus et de conflits. C’est comme ça que peu à peu se construisent les murs qui peuvent devenir avec le temps de véritables forteresses. Mais devant ces murs qui nous séparent (entre communautés, entre voisins, entre collègues, entre conjoints...), notre premier réflexe est souvent d’accuser l’autre. Et c’est ainsi qu’on passe souvent beaucoup de temps à se renvoyer la balle comme par réflexe, sans avancer d’un pouce. Ainsi, pour désamorcer cette violence latente, il nous faut peut-être commencer par admettre qu’on a contribué nous aussi à la construction de ces murs. nous le savons bien, il suffit parfois juste de reconnaître sa part de responsabilité pour désamorcer immédiatement un malentendu ou une source de conflit avec autrui. « Parler, oui parler, c’est la seule solution », comme il est dit dans le conte. Afin de nous rendre compte qu’on partage bien plus de choses qu’on ne le croit (valeurs, principes éducatifs...). Et lorsque chacun fait un pas l’un vers l’autre, des dynamiques de changement émergent, des brèches s’ouvrent...

Les chansons

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Dur de construire sa vie

Piste 02 / chanson interprétée par Jean-Christophe

Dans mon quartier, la vie n’est pas facile, Chômage, délinquance et toutes sortes de deals... Au début de ma vie, j’avais toutes sortes d’amis Avec mes potes, mon hobby, c’était de traîner et de chercher des ennuis Les journées passent, les gosses se lassent Toujours en place sur la place du tierquar On se cherche des couilles, on s’embrouille On démarre au quart de tour. Merde, je voulais pas que le coup parte ! (on entend un coup de feu) Vingt-deux beleck, la BAC arrive, vite les sraabs, dispersion Un signe suffit, rendez-vous au Pisseur. Une heure après, fumant la cigarette, je suis seul et mes potes sont pas à l’heure Alors commence le malheur... Refrain Dur de construire sa vie, quand on vient d’un quartier dur Il faut que je sois fier de moi, à l’heure du bilan Libre de mon choix, se reprendre, c’est le challenge ! Mais chienne de vie, destin merdique, manque de chance, que faire, le fier ! Ça va trop loin, ça va trop vite Il faut arrêter là et mettre des limites Pour tout recommencer, sortir de la galère Faut changer d’air et mettre des barrières Plutôt que d’aller à droite à gauche Je file tout droit, je rêve d’embauche Et là commence le bonheur... Refrain J’ai besoin de bosser pour me sentir bien Pour être bien dans ma peau, besoin d’être réglo J’ai besoin de trimer, d’être fier de mes mains C’est ma façon à moi de me récupérer : bosser, suer, en mettre un coup ! Ouais, je veux du travail et je le revendique ! À celui qui me traite de bijha ou de balance J’applique la technique du self défense Je le nique, je le nique ! Et je le revendique ! Bosser, suer, en mettre un coup ! C’est ma façon à moi de me récupérer. Refrain

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apprendre à vivre ensemble / les chansons.


Les étiquettes

Piste 03 / chanson collective

Moi, je me sens différente parce que personne ne me comprend / Moi, on m’a collé une étiquette de délinquant, pourtant j’suis qu’en sixième ! / Moi, j’ai jamais été dans un groupe même à la maternelle / Moi je bosse pas bien puisque je suis perturbé. J’ai tout le temps envie de parler / Je crois aussi que c’est un peu à cause de moi si j’ai pas d’amis, parce que les livres ils ont remplacé les amis / C’est à moi de progresser, c’est pas à eux de faire des efforts / Faut pas faire d’études pour devenir écrivain ? Parce que les études, moi, j’aime pas trop en fait, j’ai pas envie qu’on me traite d’intello. Intello. Trop gentil. Trop violent. Trop petit. Trop... Bouffon ! Trop seul. Trop perturbé. Bon à rien. Bâtard. Trop gentil. Trop violent ! Trop grand. Handicapé. Trop grosse. Fils de… Pouilleux ! Trop bronzé !

Refrain : Les étiquettes, les étiquettes, les étiquettes, ça colle ! Je me rappelle c’était l’année dernière / En cinquième, la galère ! Les grands t’avaient montré du doigt / Parce que tu n’aimais pas te battre Ils t’ont collé des tartes / Et ils t’ont dit n’importe quoi ! Refrain : Les étiquettes, les étiquettes, les étiquettes, ça colle ! À mon tour ! Depuis que je suis au collège / J’ai bien vu le sortilège On est tous là à cataloguer, à s’observer / Comme si on avait besoin de haïr Comme si on avait besoin de réduire l’autre pour exister Refrain : Les étiquettes, les étiquettes, les étiquettes, ça colle ! Moi des fois, je pense pas comme ça / J’ai le doute au fond de moi, oui le doute On est plus compliqué qu’on en a l’air / Et sans vouloir toujours faire de mystères C’est vrai que chez nous, parfois, c’est pas la joie… C’est vrai ça, on a pas que l’école à penser ! Refrain : Les étiquettes, les étiquettes, les étiquettes, ça colle ! Hé mate la meuf !Vise-moi ce look et puis sa tête Cette fille-là, elle est pas nette / Elle est pas là pour s’amuser, ahah haha Des fois, c’est la réputation du frère ou de la sœur qui t’ont précédé qui compte Si ça s’est bien passé, cool, sinon, ahah haha Hé, c’est la même chose pour les profs ! Trop sévère. Serpent à lunette. Grosse vache ! Chanson interprétée par Hélène, Alexis, Anthony, Aurélie, Zakaria, Vanessa, Monsieur Lemor, Yves, Bastien, Marion, Karim, Samuel, Kévin, Corentin, Emmanuelle, Jason (tous élèves et professeurs du collège Camille Claudel de Villeneuve d’Ascq).

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Comme si

Piste 04 / chanson collective

J’ai débarqué en France il y a moins d’un an Moi ça fait 8 ans ! Où sont les repères ? J’ai pas les mots De petits boulots en petits boulots, je ne sais plus où j’en suis Où sont les repères ? Atterrissage forcé au CIDF Pas facile d’être jeune ! Echec scolaire répété Y’a des réflexions, des mots qui tuent ! Y’a pas que les mots ! Où sont les repères ? Que vais-je devenir ? Pas facile de savoir ce qu’on veut ! Problèmes familiaux Moi, je ne sais pas quoi faire Moi, je cours tout le temps Moi, j’ai peur des autres, de leur regard Moi, je suis mon pire ennemi Bagarres, rebellions ! À force, je me suis renfermée sur moi-même Faut pas se laisser faire, faut persévérer ! Ouais mais pour aller où ? Refrain Moi j’ai envie de rien, j’ai pas de compte à rendre, c’est comme si Comme si j’avais peur d’apprendre Je trace mon chemin, loin des mains qui se tendent, c’est comme si Comme si j’avais peur de bien faire Comme si je méritais de vivre ces galères En fait, j’en ai eu des possibilités, mais à chaque fois que je risquais d’y arriver, je laissais tomber. C’est comme si j’avais peur de réussir, c’est comme si j’avais peur de grandir, c’est comme si... Refrain

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apprendre à vivre ensemble / les Chansons


J’étais l’enfant non désirée, le mouton noir, comme dirait Andersen Le vilain petit canard, le vilain petit canard Aussitôt mise au monde, aussitôt rejetée Pour me faire accepter, moi j’ai trop souvent dû m’oublier Refrain Vivre vite dans l’urgence, vivre vite dans le brouillard, le cœur blessé Vivre vite, fracassée, mais vivre vite ! Pas facile de savoir ce qu’on veut / Tenir tête, dire non, ça oui ! Mais pour le reste, mais pour le reste… / Qui es-tu pour me faire la leçon, toi l’ancien ? Tu t’es parfois conduit comme un bouffon alors, sois modeste, sois modeste ! Je sens qu’il faut que je passe à l’action mais je suis bloquée aux articulations C’est comme si… Besoin d’aide... C’est comme si... Un déclic, un regard, un sourire, un geste qui m’encourage à l’avenir Besoin d’aide Un temps de pause, juste pour moi, pour comprendre qui je suis Refrain Je me sens mieux, j’ouvre la fenêtre, je ferme les yeux Du sang neuf coule dans mes veines Aujourd’hui, je m’en vais dire adieu, adieu à cette peine Adieu à tout ce qui m’enchaîne Refrain Allez, il est temps de sortir du trou noir, sortir du désespoir et sourire à la vie Ici, j’ai appris beaucoup de choses, déjà à être moins timide Ça y est, j’ai trouvé les mots ! / Maintenant moi, j’ai moins peur des autres Aujourd’hui, je sais mieux qui je suis / Fini les petits boulots, j’ai trouvé mon projet / À la vie !

Interprètes : Kadidja, Imen, Soraya, Linedy, Jessica, Sylvie, Virginie, Céline, Madouda, Juliette, Angélique L, Angélique B, Audrey, Laetitia. Toutes étaient en formation D.I.P (Dispostitf d’Insertion Professionnelle) au C. I. D. F de Tourcoing.

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Fier de mes mains

Piste 05 / chanson collective

Heureusement qu’il y a mes mains / Et quand je pense qu’hier, on me traîtait de vaurien / Heureusement qu’il y a mes mains / Heureusement qu’il y a mes mains Elles m’apaisent, elles me rassurent / Je sais que je peux compter sur elles / Elles me redonnent confiance / Je suis fier de mes mains / Elles m’ont rendu un avenir /Moi de toutes les matières, c’est le ciment que je préfère ! / Ouais c’est pas un travail de novice, le métier de poseur de carreaux Refrain Je suis fier de mes mains, je suis fier de mes mains (bis) Et quand je pense qu’hier, vu mes retards scolaires On me traîtait de vaurien Ouais, je vous le dis enfin, je suis fier de mes mains Leçons, devoirs, grammaire, géo, moi j’en ai pris des pelles et des râteaux Je me rappelle, je tenais pas en place, on m’avait mis au fond de la classe J’étais largué dès le collège, face au regard des professeurs Je me sentais comme pris au piège, peu à peu gagné par la peur Lire écrire, je le sais bien, dans ce domaine, j’ai des lacunes Mais les sacs de ciment que je soulève me paraissent légers comme des plumes Heureusement qu’il y a mes mains, elles m’apaisent elles me rassurent Je sais que je peux compter sur elles, pour éviter d’aller dans le mur. Refrain Moi je leur dois une fière chandelle, elles m’ont redonné le sourire Elles m’ont rendu la vie plus belle, elles m’ont tendu un avenir Devant les leçons de grammaire, j’avais la curieuse impression De parler une langue étrangère, et même de passer pour un con Ouais c’est vrai mon sraab, les professeurs quand ils nous causent Ils nous parlent de valeur comme le respect, mais jamais ne se remettent en cause Quand ils nous piquent, qu’ils nous agressent, avec leur petites réflexions Ils ne voient pas comme ils nous blessent, ils ne voient pas l’humiliation

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apprendre à vivre ensemble / les chansons


Moi, j’ai des pattes de boxeur, on dit que j’ai de sacrées paluches Je ne sais pas cueillir des fleurs, et je suis moins drôle que Coluche Mais devant vous moi je l’affirme, le travail ne me fait pas peur Voyez d’ailleurs comme je trime, pour devenir un bon carreleur Refrain Moi de toutes les matières, c’est le ciment que je préfère Voyez comme il est résistant ! Il me ressemble un peu, fait preuve de caractère, avec lui je ne prends pas de gants / Mais si d’aventure on le malmène, il se rebelle et il se tend Il se tend et il devient même, dur comme la pierre avec le temps Ouais, le ciment, belle matière, il épouse la forme du sol D’abord on le nivelle à coup de truelle, on en prend soin, on le cajole Il faut surtout qu’il soit bien lisse, avant de le mettre au repos Ouais c’est pas un travail de novice, le métier de poseur de carreaux Moi dans le carrelage, ce que je préfère C’est assembler les formes et les couleurs Quand je fais ce boulot, je sais pas pourquoi J’oublie tous mes soucis et mes malheurs (bis) J’adore poser la mosaïque, c’est beau... J’aime bien aussi dessiner des motifs Moi j’suis un bosseur, j’aime bien le carrelage J’aime bien le métier de carreleur C’est un métier dans lequel on travaille au niveau des fondations On travaille aussi les finitions / Le fond et la forme ! Ouais c’est pas un travail de novice, le métier de poseur de carreaux Refrain Interprètes : Gaëtan, Mohamed, Cédric, Jérôme, Christopher, Frédéric, Pascal, Hocine Arnold, Tiffany, Jimmy (élèves d’un lycée professionnel en section carrelage).

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Courage

Piste 06 / chanson collective

Avant, quand je montais dans la voiture, j’étais comme un animal, mes yeux étaient tout petits. Je me sentais toute perdue, maintenant, j’ai des yeux grands ouverts, je suis fière ! Avant je sais pas lire les panneaux, maintenant je sais me repérer.

Avant, j’étais perdue, partout j’étais perdue ! Dans la rue, je cherchais mon chemin, dans le bus, dans un grand magasin, au conseil de classe de mon fils, quand j’allais au médecin, à la Poste, partout j’étais perdue. Avant, j’avais peur, peur de sortir, peur de tout. Je me sentais toute petite. Avant, j’étais perdue. Avant j’avais honte je n’osais pas parler, j’avais les pieds lourds. Je restais chez moi toute seule, des heures entières à ne rien faire... Des heures entières ! Refrain : Alloua alloua courage, un mot après l’autre Allez allez courage, on apprend à lire ! Alloua, alloua courage, un jour après l’autre. Allez allez courage ! Et ça fait plaisir ! Avant à la mort du mari, devant tous ces papiers, j’étais perdue, alors j’ai proposé à une femme diplômée de remplir mes papiers. En échange, j’ai fait nounou gratis. Avant j’avais peur de trahir ma pensée, j’avais peur de mal me faire comprendre. C’est pas facile de parler français, y’a des choses qu’on comprend, et y’a des choses non. Je n’osais pas parler français ! Refrain Maintenant, fini la honte ! Et puis un jour, poussée par mes enfants, par mon mari, poussé par le mektoub, j’ai atterri ici. J’ai frappé à la porte, ils m’ont dit : « prends ton temps, on va t’apprendre ». Je me suis assise, j’ai vu d’autres femmes comme moi, quelques hommes aussi. On a parlé, je n’étais plus toute seule. Avant j’étais toute seule, toute seule avec mes enfants, y’avait personne. Ici c’est une famille ! J’ai même vu qu’il y avait aussi des jeunes Français qui ne savaient pas lire. Ça m’a fait du bien, pour nous les Français, ils savent toujours mieux que nous ! Refrain Moi, j’adore apprendre, quand je travaille mal, je ne suis pas contente de moi, je réagis comme une écolière ! / J’apprends comme ça, quand mon bébé sera plus grand, je le suivrai quand il fera ses devoirs / J’apprends pour aider mes futurs enfants, pour me débrouiller tout seul / Moi, dans un an, je saurai lire et écrire le français couramment ! / Au métro, je connais les stations, je sais où je descends, je suis fière ! / Moi, j’ai l’impression d’avoir grandi de dix centimètres ! / Moi, je reprends confiance, je suis fière ! / Moi aussi ! Interprètes : un groupe de 13 femmes et 2 hommes en cours d’alphabétisation avec Gilberte leur formatrice au CUEEP de Tourcoing.

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apprendre à vivre ensemble / les Chansons


J’ai bien failli me perdre en route

Piste 07 / chanson interprétée par Luc Scheibling

J’ai bien failli crever, me perdre en route / à cause de mon histoire J’avais fermé toutes les écoutes / je ne voulais rien savoir Je menais l’existence d’un zombie / sombrant peu à peu dans l’oubli Je sentais bien comme un problème / oh ce désespoir Et cette colère fallait bien qu’elle me vienne / de quelque part Comme un pantin je me débattais / sans savoir ce qui m’animait Refrain : Hey putain quelle histoire, hey, que mon histoire ! Je me pensais possédé / et je crachais ma haine Ecorché vif, moi j’écorchais / ceux qui m’aimaient quand même À force, à force de jouer au con / je l’étais devenu pour de bon Refrain : Hey putain quelle histoire, que mon histoire ! Ouais, comme un pantin je me débattais sans savoir ce qui m’animait, Sans savoir qui tirait les fils de ma vie... Au départ, une famille comme tant d’autres, Ça part d’un bon sentiment, la pudeur qu’on l’appelle. Mon cul ! D’abord on masque sa souffrance par politesse ou par ignorance, Peu à peu, on en crève, on devient fou en silence. Mais trois générations plus tard, elle te pète à la gueule ta souffrance. Tout explose, c’est une bombe à retardement ! Tes gosses hurlent, se mettent la gueule dans le mur, dans le mur ! Ouais, le fardeau s’alourdit, de jour en jour la note augmente, c’est mathématique ! Il en faut du courage pour soulever les pierres, extirper les fantômes Soulever ces tonnes de secret, de silence. Pousse ton cul ! Laisse-moi voir qui je suis, d’où je viens ! On ne sait pas ce que l’on porte. On va chercher l’ennemi en face, mieux vaut se regarder dans la glace. Faut faire le tri, balayer devant sa porte ! Pourquoi le monde serait-il fou si je ne l’étais pas ? C’est mon histoire, mais c’est l’histoire du monde, des hommes… J’ai bien failli me perdre en route / à cause de mon histoire J’avais fermé toutes les écoutes / je ne voulais rien savoir Je menais l’existence d’un zombie / sombrant peu à peu dans l’oubli Refrain : Hey putain quelle histoire, que mon histoire !

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QUeLQUeS CommeNTaireS Les chansons

> Dur de construire sa vie

Cette chanson illustre parfaitement la frise du Schdong car elle évoque entre les lignes le poids du groupe, de l’environnement et la difficulté qu’on peut avoir en tant que jeune à se construire quand on vient d’un quartier sensible. « J’ai besoin de bosser pour me sentir bien, pour être bien dans ma peau, besoin d’être réglo » dit Jean-Christophe. Elle parle aussi d’ambivalence entre le désir de bien faire, de se tenir dans le droit chemin et les tentations qu’on peut avoir ou les pulsions qu’on peut ressentir qui nous mènent parfois à commettre quelques petits dérapages...

> Les étiquettes

Cette chanson montre à quel point il est important de lutter contre ce penchant naturel que nous avons (qu’on soit jeune ou adulte) et qui consiste à étiqueter l’autre, à le stigmatiser. En effet, ce besoin de coller des étiquettes mène au bout du compte à l’exclusion, à l’enfermement, au sentiment d’injustice qui peut déboucher sur de la haine et de la violence. Personne n’aime se sentir réduit, caricaturé, enfermé dans un rôle, et pourtant nous avons tous tendance à le faire pour les autres... Etiqueter un élève par exemple, le réduire à sa seule note est une violence importante qui lui est faite et qui laisse des traces. On peut être cassé par ce genre de remarque (cf la chanson « Fier de mes mains »).

> Comme si

Cette chanson parle avant tout de blessures (familiales, sociales...) qui occasionnent souvent une perte de l’estime de soi avec tout ce que cela implique comme conséquences. Là encore le lien avec notre deuxième partie (frise du Schdong) est évidente. Comment retrouver cette estime de nous-mêmes, comment pouvons-nous renouer avec le désir de bien faire, d’avancer, quand on a été fracassé. Le refrain illustre à lui seul toute la problématique de ces jeunes qui ont décroché à un moment de leur parcours. « Moi j’ai envie de rien, j’ai pas de compte à rendre, c’est comme si j’avais peur d’apprendre. Je trace mon chemin, loin des mains qui se tendent, c’est comme si j’avais peur de bien faire ». On voit bien le lien qui existe entre dévalorisation de soi et une forme de repli. On voit également qu’il suffit parfois d’un rien pour repartir, pour rebondir : un regard, un geste, une remarque positive. Un peu d’attention, d’amour quoi, dans ce monde de brutes ! On mesure donc à travers ces temoignages, l’importance de notre rôle en tant qu’adulte auprès de ces jeunes qui ont décroché à un moment de leur vie.

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APPrEndrE à vIvrE EnSEMbLE / qUELqUES CLéS CLéS dE dE LECTUrE LECTUrEdES CHAnSOnS


> Fier de mes mains

En définitive, cette chanson parle du même thème que la précédente. En effet, juste derrière la première phrase du refrain clamée par ces jeunes carreleurs : « je suis fier de mes mains » , il y a : « et quand je pense qu’hier, on me traitait de vaurien ». On voit bien là encore (et c’est confirmé par les couplets qui suivent) que la souffrance d’avoir été repéré, étiqueté comme élève en difficulté durant leur scolarité reste très forte pour ces jeunes et a laissé des traces durables au niveau de leur amour propre. Il faut imaginer en effet ce que peut ressentir un « mauvais élève » qui a du mal à comprendre l’enseignement de ses profs lorsqu’il se compare à certains de ses camarades qui comprennent tout très vite et collectionnent les bonnes notes... Et si d’aventure, l’enseignant en rajoute et le blesse devant ses camarades, ça peut déboucher sur des sentiments de violence, d’amertume. Il arrive aussi parfois malheureusement que cette étiquette de vaurien soit déjà employée dans l’entourage familial... Dans ce cas là, il devient très difficile pour le jeune de se dégager de ce marquage, et de se (re)construire une bonne image de soi à l’extérieur.

> Courage

Cette chanson a été créée avec un groupe de femmes et d’hommes (il y avait 13 femmes et 2 hommes) qui étaient en cours d’alphabétisation au CUEEP de Tourcoing, et qui étaient tous originaires du Maghreb. Je me souviendrai toute ma vie de cette rencontre car au départ, les femmes étaient très méfiantes, n’osaient pas me regarder. Elles disaient ne pas vouloir parler d’elles, de leur trajectoire. Mais Gilberte, leur formatrice a insisté. Pour ma part, j’ai commencé à parler de mon propre parcours, de mes difficultés, ensuite je leur ai fait écouter deux chansons que j’avais réalisées avec deux personnes âgées et qui étaient assez pittoresques. Elles se sont mises à rire en les écoutant. Peu à peu la glace s’est rompue. L’une d’elles a commencé à parler de son histoire, de son isolement, de ses difficultés à se déplacer dans une grande ville quand on ne sait pas lire les panneaux, du sentiment de honte qu’on peut parfois éprouver quand on se sent étrangère, différente. Les autres se sont complètement reconnues dans son témoignage et se sont mises une par une à témoigner également. C’était très fort. Chacune et chacun avait l’impression de pouvoir enfin sortir du silence, de l’isolement. Chacun a pu constater qu’il n’était pas seul à vivre ce qu’il vivait. Nous avons très vite construit la chanson sur ce thème. Ensuite elles l’ont partagée avec l’ensemble des autres stagiaires et formateurs du CUEEP. Il fallait les voir quand elles se sont levées face aux autres, c’était quelque chose d’incroyable. Elles étaient debout. A la suite de cette chanson, devant les effets générés : progrès dans l’apprentissage, confiance, fierté, changement de comportement visible, Gilberte, leur formatrice a interpellé le CUEEP pour demander à ce qu’on réfléchisse ensemble sur ce qui s’était passé. De là est né progressivement le projet de transfert de la démarche de LTE au sein de ce centre de formation pour adultes...

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> J’ai bien failli me perdre en route

Cette chanson m’a été commandée par deux réalisateurs de France Télévision (Philippe Bigot et Corinne Glowacki). Ils souhaitaient bâtir leur documentaire* de 52’ comme une comédie musciale, à partir des chansons réalisées dans le cadre de Laisse Ton Empreinte. J’ai donc écrit cette chanson pour que le spectateur puisse comprendre les raisons profondes qui m’ont amené à créer ce projet ainsi que les liens symboliques qui au fond m’unissent avec les autres interprètes de ces chansons particulières. Nous avons choisi de mettre cette chanson dans cet outil précisément pour ces mêmes raisons.

Eléments d’explication sur ces chansons particulières Création d’une chanson LTE Le groupe ou la personne se raconte, il s’agit de son histoire, en aucun cas, elle ne doit en être dépossédée, c’est pourquoi elle valide chaque étape du processus de création (la structuration du récit, les liens qui peuvent être faits entre les différents éléments du récit de vie, la musique et la mise en forme artistique…). Elle va jusqu’au bout du processus, puisque c’est elle naturellement qui interprète sa chanson. Au final, il reste une trace unique, une empreinte de ce moment de création partagée qu’on peut ensuite faire écouter à d’autres pour partager son histoire. À ce jour, plus de 100 chansons individuelles* et collectives ont été créées. Elles l’ont été dans le cadre d’un véritable partenariat avec des structures sociales, des établissements. L’effet déclencheur de ces chansons Au delà de l’impact de la chanson sur l’interprète et sur son entourage, nous avons pu constater à de maintes reprises que ces chansons, quand on les présente à d’autres, ont un réel pouvoir déclencheur. Celles et ceux qui les écoutent se sentent en effet souvent interpellés par le témoignage fort et authentique de ces interprètes qui leur ressemblent. Cela leur donne à leur tour l’envie de se dire, de témoigner. On peut donc utiliser également les chansons proposées dans ce CD dans le cadre d’espace de parole thématique pour amener le public à s’exprimer sur certains des thèmes forts qui émergent de ces chansons. A vous de voir... * Film « Des chansons pour tout dire » de 52mn, produit par VF Production et FR3 Région, diffusé sur France 3 Région et la Cinquième

* Dans ce manuel, nous ne présentons que des chansons collectives, à l’exception de la chanson de Jean-Christophe et de l’auteur de ces lignes. Il faut savoir que nous avons par ailleurs à notre disposition des chansons individuelles qui témoignent de façon souvent extrêmement forte et touchante de parcours de vie. Cependant, il ne nous semble pas judicieux de les diffuser dans ce cadre-là. Si vous souhaitez avoir plus de renseignements sur notre association, notre démarche ou nos différentes interventions, vous pouvez vous rendre sur notre site internet : www.laissetonempreinte.fr

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apprendre à vivre ensemble / quelques clés de lecture des Chansons


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« Quand j’étais jeune,

à plusieurs reprises, je me suis senti rejeté, méprisé, traité comme par les humains ! J’ai fini par en avoir le cœur sec, tout froid. En chemin, j’ai croisé

un chien

d’autres enfants comme moi qui avaient la rage au ventre. Ensemble, livrés à nous-mêmes, on a fini par devenir de jeunes loups mordants.

cruels,

Un jour, alors que je me trouvais seul, un homme âgé est venu vers moi. C’était un matin, je m’en souviens bien...

»

LAISSE TON EMPREINTE contact@laissetonempreinte.fr www.laissetonempreinte.fr Auteur des histoires et des chansons > Luc Scheibling avec la participation de JB Hoste pour la bande sonore du conte, la musique de l’épilogue, ainsi que pour les arrangements des chansons Comme si et Les étiquettes Ce manuel pédagogique est édité par Laisse Ton Empreinte grâce au soutien de la Fondation SFR et des partenaires de l’association : le Conseil Général du Nord, le Conseil Régional Nord-Pas de Calais, l’ACSE, la ville de Roubaix. Merci à la Malterie pour son soutien. Merci aussi à Fleurus’ Copy pour sa disponibilité.


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