L'Officiel-Levant October/November Issue 92

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Levant

Numéro 92 Octobre - Novembre 2019

L’IMAGINATION AU POUVOIR Ahmad Kontar Bahij Jaroudi Ziad Abi Chaker Khansa














Tod’s Boutique: 142, Foch Street, Downtown Beirut - Tel: +961 1 970313



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Levant

N °   9 2 — O C T O B R E N O V E M B R E 2 019

ÉDITEUR

TON Y SA L A ME GROUP TSG SA L Rédaction RÉDAC TRI CE EN CH EF

FIFI A BOU DIB

R É D A C T R I C E E T C O O R D I N AT R I C E

SOPHIE NA H A S Département artistique

D I R E C T R I C E D E C R É AT I O N

MÉL A NIE DAGHER DIRECTRICE ARTISTIQUE

SOPHIE SA FI Contributeurs PH OTO

TON Y ELIEH, J ULES FAUR E , BACH A R SROUR RÉDAC TI O N

M A R IE A BOU K H A LED, PHILIPPINE DE CLER MON TTONNER R E , L AUR A HOMSI, M A R I A L ATI, M Y R I A M R A M A DA N, NA SR I SAY EGH, JOSÉPHINE VOY EU X STYLISME

SELIM BOUR DOUK A N, CLÉMEN T GUINA M A R D I L L U S T R AT I O N E T G R A P H I S M E

M A R ION GA R NIER , M A R I A K H A IR A LL A H Production DIRECTRICE

A N NE-M A R IE TA BET Retouche numérique

FA DY M A A LOUF Publicité et Marketing DIREC TEUR GÉNÉR AL COM MERCIAL ET M ARKETIN G

MELHEM MOUSSA LEM

C O O R D I N AT R I C E C O M M E R C I A L E

R AWA N MNEIMNEE

C O O R D I N AT R I C E M A R K E T I N G

M AG A LY MOSL EH Directeur Responsable

A MINE A BOU K H A LED Imprimeur

53 DOTS DA R EL KOTOB



Direction

Directeur de création

Photographes

Jean-Marie Delbès

Evan Browning

Directrice de la publication, Marie-José Susskind-Jalou Gérants, co-présidents des boards exécutif et administratif Marie-José Susskind-Jalou et Maxime Jalou Directeur général, directeur des boards exécutif et administratif Benjamin Eymère Directrice générale adjointe, membre des boards exécutif et administratif Maria Cecilia Andretta (mc.andretta@jaloumediagroup.com) Assistante de direction Céline Donker Van Heel (c.donkervanheel@jaloumediagroup.com)

Danny Lowe Rédacteur en chef magazine

Daniyel Lowden

Baptiste Piégay b.piegay@jaloumediagroup.com

Isaac Marley Morgan

Rédactrice en chef mode

Auteurs

Anne Gaffié a.gaf fie@jaloumediagroup.com

Yamina Benaï

Cécilia Poupon Éditeur délégué

Membre du board exécutif Emmanuel Rubin (e.rubin@jaloumediagroup.com)

Publicité

Yale Breslin

Directrice commerciale Anne Marie Disegni (a.mdisegni@jaloumediagroup.com) Directeurs de publicité Stéphane Moussin (s.moussin@jaloumediagroup.com) Marina de Diesbach (horlogerie) (m.diesbach@jaloumediagroup.com)

Nora Bouazzouni Rédacteur en chef horlogerie

Adrian Forlan

Hervé Dewintre

Lionel Froissart

Administration et finances Directeur administratif et financier, membre du board administratif Thierry Leroy (t.leroy@jaloumediagroup.com)

Hervé Gallet Directeurs artistiques

Jean-Pascal Grosso

Hortense Proust

Pierre-Olivier Marie

Louis Ziéglé

Fabrizio Massoca

Secrétaire général, membre du board administratif Frédéric Lesiourd (f.lesiourd@jaloumediagroup.com) Directrice des ressources humaines Émilia Étienne (e.etienne@jaloumediagroup.com)

Lionel Paillès Chef de rubrique photo

Élie Robert-Nicoud

Pascal Clément

Céline Van Heel

p.clement@jaloumediagroup.com

Bertrand Waldbillig

Responsable comptable et fabrication Éric Bessenian (e.bessenian@jaloumediagroup.com) Diffusion Lahcène Mezouar (l.mezouar@jaloumediagroup.com) Trésorerie Nadia Haouas (n.haouas@jaloumediagroup.com) Abonnements ABOSIRIS, BP 53, 91540 Mennecy, France. Tél. : +33(0) 1 84 18 10 50 ou www.jalouboutique.com

Iconographe

Vente au numéro France VIP, Laurent Bouderlique — Tél. : 01 42 36 87 78 International Export Press, Carine Nevejans — Tél. : 33 (0)1 49 28 73 28

Anaïs Boileau Secrétaire générale de la rédaction

International et marketing Management international et marketing, Flavia Benda (f.benda@jaloumediagroup.com) International editorial et archive manager, Nathalie Ifrah (nathalie@jaloumediagroup.com) Manager publicité internationale, Carlotta Tomasoni (c.tomasoni@jaloumediagroup.com)

Françoise Emsalem f.emsalem@jaloumediagroup.com

Chef de produit diffusion, Jean-François Charlier (jf.charlier@jaloumediagroup.com) International marketing specialist et strategic planner, Louis Du Sartel (l.dusartel@jaloumediagroup.

Secrétaire de rédaction

com) Graphiste marketing et projets spéciaux Anaëlle Besson, Assistant marketing Antoine Diot (a.diot@jaloumediagroup.com)

Jeanne Propeck j.propeck@jaloumediagroup.com

Publications des Éditions Jalou L’Officiel de la Mode, Jalouse, La Revue des Montres, L’Officiel Voyage, L’Officiel 1000 Modèles, L’Officiel Hommes, L’Officiel Art, L’Officiel Shopping, L’Officiel Chirurgie Esthétique, L’Officiel Allemagne, L’Officiel Hommes Allemagne, L’Officiel Argentine, L’Officiel Brésil, L’Officiel Hommes Brésil, L’Officiel Chine, L’Officiel Hommes Chine, L’Officiel Hommes Corée, La Revue des Montres Corée, L’Officiel Espagne, L’Officiel Hommes Espagne, L’Officiel Voyage Espagne,

Directeur de la production Joshua Glasgow j.glasgow@jaloumediagroup.com

L’Officiel Art Espagne, L’Officiel Inde, L’Officiel Indonésie, L’Officiel Italie, L’Officiel Hommes Italie, L’Officiel Kazakhstan, L’Officiel Hommes Kazakhstan, L’Officiel Lettonie, L’Officiel Liban, L’Officiel Hommes Liban, L’Officiel Lituanie, L’Officiel Malaisie, L’Officiel Maroc, L’Officiel Hommes Maroc, L’Officiel Mexique, L’Officiel Moyen-Orient, L’Officiel Hommes Moyen-Orient, L’Officiel Pays-Bas, L’Officiel Hommes Pays-Bas, L’Officiel Pologne, L’Officiel Hommes Pologne, L’Officiel Russie,

Productrice Éléonore Jalou e.jalou@jaloumediagroup.com

L’Officiel Voyage Russie, L’Officiel Singapour, L’Officiel Hommes Singapour, L’Officiel St Barth, L’Officiel Suisse, L’Officiel Hommes Suisse, L’Officiel Voyage Suisse, L’Officiel Thaïlande, L’Officiel Hommes Thaïlande, L’Officiel Turquie, L’Officiel Hommes Turquie, L’Officiel Ukraine, L’Officiel Hommes Ukraine, L’Officiel USA, L’Officiel Hommes USA, L’Officiel Vietnam www.lofficiel.com — www.jalouse.fr — www.larevuedesmontres.com — www.jaloumediagroup.com

Stagiaire Alessia Ubbidini

Fabrication Impression, suivi de fabrication et papier par Valpaco, 3, rue du Pont-des-Halles, 94150 Rungis. Imprimé sur des papiers produits en Italie et en Finlande à partir de 0 % de fibres recyclées, certifiés 100 % PEFC. Eutrophisation : papier intérieur Ptot 0,023 kg/tonne papier couverture Ptot 0,006 kg/tonne.

Édité par LES ÉDITIONS JALOU Siège social : 128, quai de Jemmapes, 75010 Paris. Téléphone : 01 53 01 10 30 Fax : 01 53 01 10 40 w w w.jaloumediagroup.com L’Of ficiel Hommes is published monthly — Total : 8 issues, by les Éditions Jalou including L’Officiel Hommes+ published t wice a year – March and October

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Photogravure Cymagina — Distribution MLP Dépôt légal août 2019 Commission paritaire N° 0419K89063 — ISSN 1777-9375 Édité par les Éditions Jalou SARL au capital de 606 000 € représentée par Marie-José Susskind-Jalou et Maxime Jalou, co-gérants, filiale à 100 % de la société l’Officiel Inc. S.A.S. Siret 331 532 176 00095

Fondateurs GEORGES, LAURENT et ULLY JALOU † Directrice de la publication Marie-José Susskind- Jalou



Sommaire 44

L’édito

50

News

56

Rien ne se perd

58

Son succès tient à un fil

59

Antipasto

60

Tendances

64

Coup double

65

Must-have

66

Nécessaire superflu

74

Entre les mains d’Osama Al-Chabbi

78

Chic-Abloh

82

Hermès, l’esprit du temps

84

Docteur mode

88

Millennialissimo

106

Ahmed Amer et la mode engagée

112

Comme une ombre

116

« Maison du mec » pour être soi

118

L’année du zèbre

128

Ahmad Kontar, un cri du corps

148

Ziad Abi Chaker transforme les déchets en ressources

150

Chacun cherche sa (bonne) cause

152

Recycle Beirut donne l’exemple

154

Du gâchis alimentaire il fait table rase

158

De l’autoroute au jardin

162

Une Karya en un clic

166

Picasso au Liban, l’expo-événement 40



170

Écrire l’histoire à travers le bâti

174

Khansa, un artiste hors genre

178

Bahij Jaroudi, poète de l’ennui

182

Lara Tabet, profession photographe-légiste

184

La force légère de Tarek Elkassouf

186

Alko B rêve en solo

188

Atelier 130 : ce fut comme une apparition

190

Les flèches à l’encre de « Nougat »

194

Sur les vagues sonores de Jack Sleiman

196

Ali Al-Masri calligraphe polyvalent

200

Devoir de voir

201

Sous les pavés, de belles pages

202

Quand le tennis est une histoire de famille

204

Quand rugissent les Italiennes

208

Tony Breiss, de l’idée à l’illusion

210

Ça pétille, à Wata-El-Joz !

214

Ses racines dans la cuisine

216

Le pain prend de la graine

218

Des images à croquer

222

Le coin des bons copains

226

Beit El Hamra, le charme des fifties ressucité

228

Lost, un boutique hôtel à Gemmayzé

232

Singapour, reine de la street food

238

Adresses

240

Hors les murs 42



ÉDITO

L’IMAGINATION AU POUVOIR Dans les années 1950, le contexte post-guerre, la guerre froide, les troubles persistants n’avaient pas encore permis à l’industrie de la mode de se développer de manière consistante. Bien sûr, Dior venait d’introduire le « New Look » et la haute-couture dictait de loin quelques inspirations populaires. Mais chez le commun des mortels, les mères de familles se procuraient des tissus et confectionnaient elles-mêmes les vêtements de leurs enfants ou confiaient cette tâche à une couturière. Dans les milieux bourgeois, à Beyrouth, les hommes se faisaient faire costumes et chaussures sur-mesure et ce n’était pas vraiment un luxe. L’industrialisation à outrance qui a commencé à s’emballer dès les années 1960 a perverti le comportement des consommateurs. Voilà plus de 50 ans que nous sommes conditionnés à jeter, changer, nous lasser, nous débarrasser dans tous les domaines possibles et notamment la nourriture, les vêtements et les appareils domestiques. L’ingénieur Haroun Terzieff avait déjà averti, en 1977, contre le schéma létal de l’effet de serre issu du dérèglement industriel, sans être pris au sérieux. A présent que nous y sommes, nous n’avons pas d’autre choix que faire machine arrière. Au-delà de l’inquiétude pour un avenir hypothéqué, on peut voir dans cette urgence une chance pour l’imagination. Face à l’impasse écologique, l’ingéniosité et la créativité humaines ne sont pas désarmées. Contre la mode de masse, voici le retour à la fripe qui s’appelle aujourd’hui « vintage ». Chacun s’habille comme il veut avec ce qu’il peut. On ne se conforme plus aux vieux diktats sociaux. On mélange héritage, trouvailles et pièces de créateurs. On privilégie les étoffes dont la fabrication respecte la nature et les ressources, ainsi que les fibres et pigments naturels. Rarement nos choix vestimentaires n’ont aussi bien reflété notre véritable identité. Dans ce numéro automnal de L’Officiel Levant, nous vous invitons, à travers les initiatives des nouveaux héros de la Terre et de l’environnement, à assister en direct au changement du monde. Qu’on se le dise, l’imagination est au pouvoir. Elle commence aussi dans nos vestiaires. Et ça fait du bien.

Fifi Abou Dib

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Aïshti by The Sea, Aïshti Downtown, Aïshti Verdun



149 SAAD ZAGHLOUL STREET, NEXT TO AÏSHTI DOWNTOWN T. 01 99 11 11 EXT. 525 AÏSHTI BY THE SEA, ANTELIAS T. 04 71 77 16 EXT. 233




NEWS

Auteure F.A.D. Voyage gastronomique en pays basque

L’hôtel Phœnicia Intercontinental de Beyrouth, en plus d’une escale luxueuse, sait aussi se transformer, le temps d’un éblouissement gastronomique, en destination enchantée. C’est ainsi que son restaurant Eau de Vie offrait, du 26 au 28 septembre, une expérience des raffinements de la cuisine basque orchestrée par le chef étoilé Michelin Fernando Canales. Personnalité médiatique, auteur de livres de cuisine, Canales dirige au Pays Basque son restaurant Etxanobe où il se fait fort d’offrir à ses hôtes un absolu festival des papilles basé notamment sur le poisson et les fruits de mer, principales spécialités locales. Pour relever encore davantage ces deux soirées d’exception, la chanteuse et danseuse de flamenco Pilar Andujar, dite « La Gipsy », avait mis le feu aux sens. Pour couronner le tout, l’exposition « Routes phéniciennes » en 20 affiches, organisée à l’initiative du Conseil de l’Europe dans le cadre de l’hôtel, offrait aux participants une évasion entre histoire et géographie à la suite de ces grands navigateurs qui, partis du Liban, ont favorisé à travers les échanges culturels et commerciaux l’apparition d’une civilisation méditerranéenne dont on trouve les traces jusqu’en Espagne. Phoenicia Beirut, Minet El Hosn, Beyrouth, +961 1 369100

Quand Zegna définit l’homme

Ermenegildo Zegna, 62 Rue Abed el Malek, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 99 11 11 ext.222 Aïshti by the Sea, Antelias, L1, +961 4 717 716 ext.218 50

Photos DR

Le mot dièse #whatmakesaman lancé par Zegna la première semaine de septembre n’attend évidemment pas de réponse absolue à une interrogation aussi vaste. Qu’est ce qui fait l’homme ? Si la marque qui habille ses contemporains avec autant d’élégance depuis des décennies en connait un rayon sur la masculinité, elle n’en reste pas moins à l’écoute de toute nouvelle définition qui lui permettrait de répondre aux attentes de l’homme moderne. Car le vêtement et le style sont aussi la définition d’un état d’esprit. C’est dans cette optique que Zegna a lancé une campagne sous forme de plateforme, ouvrant un dialogue autour de la notion de masculinité. Parallèlement, des tee-shirts frappés du hashtag #whatmakesaman sont proposés dans tous ses points de vente dans le but de soutenir l’éducation de jeunes défavorisés. Cette campagne est incarnée par deux grands artistes, l’acteur américain Mahershala Ali et le chanteur, auteur et entrepreneur chinois Nicholas Tse.


NEWS

Le lyrique et le prosaique

Entre le grandiose et le décrépi, qu’est ce qui est prose, qu’est ce qui est poésie ? C’est une des interrogations que suscite la première exposition muséale au Moyen Orient d’Urs Fischer, un des artistes les plus célébrés de sa génération. A partir du 20 octobre, le créateur suisse de 45 ans donne à voir à la Fondation Aïshti une grande série d’œuvres, récentes ou appartenant à la fondation, dans lesquelles prédomine le thème de la décomposition et de la transformation. Vanités des temps modernes, les petits bronzes monochromes, les sculptures de cire et sculptures cinétiques, les peintures, dessins et installations, d’Urs Fischer invitent le visiteur, avec une variation d’échelle du plus petit au plus monumental, à une réflexion sur la tension entre ordre et désordre ainsi que sur l’instable beauté des matériaux les plus humbles. Basé à New-York, Urs Fischer appartient à une lignée de sculpteurs contemporains tels que Claes Oldenburg, Martin Kippenberger et Isa Genzken, inlassables explorateurs de l’usure. La pièce maîtresse de l’exposition est une installation figurant un orage, composée de milliers de gouttelettes d’eau peintes une à une et suspendues du plafond de l’espace central. De même, une immersion totale dans l’œuvre de l’artiste est favorisées par un immense « papier peint » de milliers de dessins issus du projet « Headz », une collaboration au pied levé réalisée en 2018 avec Spencer Sweeney et Brendan Dugan. Cette anthologie est la cinquième exposition majeure de la Fondation Aïshti issue de son propre fonds depuis son ouverture en 2015, après les thématiques New Skin; Good Dreams, Bad Dreams et The Trick Brain, ainsi que le récent projet intitulé Trance, curaté par l’artiste Albert Oehlen autour de ses propres œuvres et pièces de sa collection privée. Aïshti by the Sea, Route côtière, Antelias, +961 4 717 716

Moncler Genius poursuit son tour du monde

Photos DR

Contrairement à la tradition qui veut que chaque maison de mode soit dirigée par un même créateur, Remo Ruffini, le président de Moncler, a décidé de faire de la division « Genius », de la marque un champ d’expérience pour plusieurs directeurs artistiques invités à créer des capsules tout au long de l’année. Cette saison, on aura l’opportunité de découvrir les propositions de Veronica Leoni et Sergio Zambon lancées simultanément le 29 aout avec une célébration prévue dans plusieurs villes du monde. Ces « génies » de l’année en cours que sont Veronica Leoni et Sergio Zambon offrent chacun leur vision d’un homme Moncler inspiré, créatif, urbain mais avide de grands espaces, entre doudounes en doublures de vestes de ville et blousons en laine bouclée, tartans décolorés ou filet de pêche. Les accessoires ont été créés en collaboration avec la marque milanaise de bagages et accessoires de luxe Valextra. Notamment de grandes besaces et valises de week-end dont la sobriété a été chahutée par la signature Moncler. 137 Rue El Moutran, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 911 111 ext.120 Aïshti by the Sea, Antelias, L1, +961 4 717 716 ext.202 51


NEWS

A la recherche de la quintessence

Beauté et confort sont les deux principes sur lesquels se base Corneliani pour définir le luxe, l’un n’allant pas sans l’autre. Toujours fidèle à un classicisme rigoureux, la marque masculine n’hésite pas à faire trembler ses propres lignes pour réinventer la quintessence d’un langage stylistique simple et contemporain en y introduisant le vocabulaire déconstruit et dynamique d’un nouvel art de vivre. Tissus double-face, cachemire raffiné, cuirs surlignés de shearling, cols détachables pour les blousons aviateurs, peaux vernissées pour les blousons biker, vaste proposition de maille pour des pulls extrêmement doux et légers, la collection automne hiver 2019-20 est complétée par une nouvelle ligne capsule. Celle-ci, intitulée « Style et liberté », explore un vestiaire sports et loisirs introduisant des sweat-shirts en cachemire, des sweats à capuches en soie lainée, des bombers et des survêtements en tri-acétate ornés d’écussons et déclinés dans une élégante palette de bleu, de gris et de vert, le tout complété par de nouvelles baskets et un nouveau sac de gym. La marque introduit aussi, cette saison, des vêtements connectés parmi lesquels un manteau et un blouson contenant des écouteurs sans fil et un chargeur. Une valise à roulettes équipée d’un GPS fait partie de la gamme. Corneliani, 225 Rue Foch, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 991 111 ext.500 Aïshti by the Sea, Antelias, L1, +961 4 717 716 ext.217

Belvest, loin des jeux de mots, c’est cette marque italienne dont on parle d’initié à initié, et qui donne dans l’ultime, que ce soit au niveau des coupes et des étoffes ou de la culture et de la polyvalence. Avec pour icône Bruce Chatwin, le célèbre auteur de « In Patagonia », écrivain voyageur, amoureux des arts et de la fête, Belvest décline cet hiver des manteaux napoléoniens, des cardigans double-face, vichy d’un côté, Prince-de-Galles de l’autre, blazers réversibles, cabans à poches nylon inspiré des équipements d’explorateurs, sublimes vestes de costume sans coutures d’une légèreté inédite. La marque qui met en avant la culture, l’intelligence, le voyage, l’élégance et la qualité, propose des étoffes écologiques, des pigments naturels, une vigogne exceptionnelle dont la fibre offre plusieurs niveaux de souplesse et de douceur, des chemises fil-à-fil, de nouvelles coupes de pantalons dans une palette du vert-de-gris au bleu céruléen, et réussit encore à surprendre avec des effets minimalistes. 137 Rue El Moutran, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 911 111 ext.120 52

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Comme un carnet de voyage


NEWS

L’art sort du bois

« Minjara », ce mot qui couvre en arabe la menuiserie et la marqueterie traditionnelles, n’est plus un mot du passé. Grâce à un programme de développement du secteur privé au Liban financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France, en partenariat avec l’Association des Industriels Libanais et Business Incubation Tripoli, Minjara est un nouveau label qui ressuscite la tradition menuisière de Tripoli (Liban Nord). A la fois une marque, une signature de qualité et une plateforme de services, Minjara associe designers et artisans dont le savoir-faire a permis la création d’une première collection « Minjara Editions ». Jolie manière de redonner vie aux fabricants de meubles tripolitains dont le métier fait partie de l’histoire du vieux souk, cette collection créée par 10 designers libanais en collaboration avec 9 artisans a été exposée à Beit Amir, rue d’Amérique, à Beyrouth, du 24 au 26 septembre, dans la foulée de la Beirut Design Week. Sous la direction artistique de Hala Moubarak, les créateurs Samer Alameen, Architecture et Mécanismes (Céline et Tatiana Stephan), Ahmad Bazazo, Sahar Bizri, Borgi Bastormagi (Nada BorgiEtienne Bastormagi), Waldemar Faddoul, MAD (Marie Lynn et Anthony Daher), Elie Metni, Mohasseb + Asli et Thomas Trad, ont confié l’exécution de leurs projets à Jamal Bitar, Mohamad El Kout, Jamal Korek, Mohamed Masri, Elie Mouchaham, Jihad Toros, Aram Okajian, Lévon Okajian et Vahé Okajian. A l’arrivée, la qualité, la beauté et l’inventivité des bancs et tables de jeu, sièges et objets conceptuels, luminaires et art de la table, chariot, paravent et même foulard à ornements de bois promettent un bel avenir à ce label équitable aux racines lointaines. minjara.com

La plus futuriste

Née en 1975 sur l’île de Majorque, la chaussure Camper a été créée pour répondre au perfectionnisme d’un cordonnier espagnol qui s’est formé auprès des plus grands chausseurs anglais. Au désir d’excellence qui a prévalu à ses origines fait écho, depuis le départ, une fascination pour le design, l’art et les aspirations des générations que Camper continue d’accompagner. Pour l’automne hiver 2019-20, le directeur artistique de la marque, Romain Kremer, a conçu pour le modèle phare un nouvel habillage futuriste, inspiré de l’univers des rallyes automobiles. Gratifiée d’éléments aérodynamiques, cette nouvelle collection s’aligne sur une nouvelle époque où l’homme et la machine sont de plus en plus fusionnels. Avec sa silhouette avant-gardiste et ses coloris audacieux, la Camper de cette saison est proche d’un objet design sculpté à la gloire des moteurs les plus puissants. Attention, indice d’octane élevé ! Photos DR

Camper, Rue Souk El Tawileh, Beirut Souks, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 991 111 ext.568 Aïshti by the Sea, Antelias, GF, + 961 4 717 716 ext.106 53


NEWS

Nous sommes tous Sergent Pepper

Accompagnant la sortie en salle de « Yesterday », le film inspiré des Beatles, Stella McCartney, la fille de Paul qui s’est, depuis, fait un prénom, lance une collection dans l’esprit euphorique et généreux d’un des groupes de rock les plus célèbres de tous les temps. Follement seventies et colorée à vif et à souhait, la collection « All together now » décline une petite série de tee-shirts et sweats illustrés dans la pure esthétique psychédélique de slogans tels que « All you need is love », ou plus sobrement, mais en six langues « All together now ». On retiendra aussi un manteau envahi d’une collection de badges de coupe 60’s calqué sur celui que portait Paul McCartney, ainsi qu’une ligne de manteaux multicolores en fausse fourrure (sa signature), imitant celui que porte le personnage de Blue Meanies dans le film d’animation Yellow Submarine. 137 Rue El Moutran, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 911 111 ext.120 Aïshti by the Sea, Antelias, L1, +961 4 717 716 ext.113

« Dans ma première collection pour Burberry, je commençais tout juste à écrire mon alphabet pour la maison. Il s’agissait pour moi d’identifier de nouvelles lettres et de nouveaux codes. Désormais, ces lettres, je les assemble pour commencer à écrire mon livre et former le premier chapitre d’une nouvelle ère pour Burberry. » C’est en ces termes que Riccardo Tischi, le directeur artistique de Burberry, décrit le nouveau souffle qu’il a décidé d’apporter depuis son arrivée en mars 2018 à la vénérable maison britannique fondée en 1856. Son interprétation des codes identitaires de Burberry est en elle-même une révolution discrète, orientée vers un décloisonnement entre générations. La collection automne hiver 2019-20 explore les nombreuses facettes de la culture britannique et la manière dont celles-ci coexistent au quotidien, reflétant un art de vivre inclusif, toutes barrières abattues. Célébrant l’importance de l’expression de soi par-delà les identités respectives, la campagne de cette collection a été shootée dans la mer par les photographes Danko Steiner et Nick Knight. Intitulée « Tempest », en référence au climat anglais, mais aussi à Shakespeare, elle réunit une brochette de mannequins vedettes, parmi lesquels Gigi Hadid et Freja Beha Erichsen, pour souligner la force d’être soi aussi instable et mouvant que soit l’environnement. 137 Rue El Moutran, Centre-ville, Beyrouth, +961 1 911 111 ext.455 Aïshti by the Sea, Antelias, L1, +961 4 717 716 ext.216

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Par delà les barrières


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FOCUS

RIEN NE SE PERD Auteure F.A.D

Plus aiguë que jamais, la crise des déchets, notamment plastiques, est en train de transformer radicalement production et consommation. L’industrie du vêtement, l’une des plus polluantes au monde, est la première concernée par ces nouveaux réflexes qui ouvrent une ère où les ressources habituelles sont remises en question et progressivement abandonnées. Le plastique tel qu’on l’utilise aujourd’hui, directement issu de l’industrie pétrolière, vit clairement ses dernières années. Ce produit fabuleux qui a introduit dans notre décor les couleurs et les formes les plus improbables depuis les années 1950 est aujourd’hui le principal responsable de notre désenchantement. Les vortex de plastique et les quasi-continents de déchets au milieu des océans ne peuvent plus être ignorés. Ils détruisent faune et flore, tuent les oiseaux, les poissons et les mammifères marins et transforment l’environnement humain en cauchemar. Or l’avantage de ce matériau est qu’il est réutilisable et malléable à souhait. Il suffit d’en organiser la récupération après usage et de l’acheminer vers les plants de reconversion. L’une des plus géniales réalisations de cette industrie de seconde main est la création d’une nouvelle fibre qui peut aussitôt réintégrer le cycle de la production, que ce soit dans l’industrie textile ou celle des équipements. A l’évidence, la crainte des prochaines années ne doit pas être l’épuisement des ressources mais leur vaine accumulation. Car les ressources existent, à condition de regarder dans d’autres directions. Comme il est prévu que l’humanité consomme de moins en moins de viandes, il sera de moins en moins toléré que

le cuir soit le principal matériau utilisé dans la fabrication de chaussures, sacs et autres accessoires et ameublements. C’est ici qu’intervient l’agro-industrie, proposant plusieurs alternatives écologiques au cuir animal parmi lesquelles le Piñatex, tissu réalisé à partir de fibres d’ananas, traditionnellement utilisé dans la fabrication de tuniques aux Philippines. Une autre initiative qui se développe rapidement est la création par Orange Fiber, en Italie, d’une étoffe à base de déchets d’agrumes récupérés dans les usines de jus d’agrumes. On ne boudera pas non plus la soie de bananier et le cachemire de soja, sans compter les nombreuses expériences actuellement en cours pour réaliser des tissus à base de marc de café, résidus de vin rouge et autres denrées insolites. Parallèlement à ces expériences industrielles dont on n’a pas fini de découvrir les promesses, le bon vieux « vintage » est encore la manière la plus créative et sans doute la plus glamour de s’habiller sans ajouter du déchet au déchet. Les grandes enseignes ellesmêmes s’inspirent des tendances urbaines pour ressusciter les associations hétéroclites issues du chinage : retour du pied-depoule (ou houndstooth), du pull jacquard inventé par les grandsmères pour faire passer les trop longues soirées d’hiver, des ensembles en vieux linge de maison ou en tissu de rideaux façon Sound of Music, des broderies florales rétro en perles de verre, des rapiéçages qui n’ont rien à voir et des associations brutales. Par-delà les soucis environnementaux, il y a une infinie créativité, une joie pure à s’habiller de telles trouvailles en les combinant avec audace. Le vintage est un art qui d’un même geste protège le paysage et y installe des souvenirs heureux. 56

Photos DR

S’habiller vintage n’est plus cette fantaisie pour originaux qui rêvent d’habiter des époques révolues et chinent ce qu’ils peuvent dans les brocantes et surplus. S’habiller recyclé, notamment chez les équipementiers qui transforment en baskets, tenues de gym et maillots de bain des tonnes de bouteilles en plastique, apporte de la cohérence à l’harmonie que l’on recherche sur les tapis de yoga.


FOCUS

Burberry

Gucci

Dior

Prada

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STYLE

SON SUCCÈS TIENT À UN FIL Partie d’Italie il y a déjà un bon moment, la maison Loro Piana a fait de longs détours par la Chine avant de devenir une marque française. Et, pour les plus chanceux, de finir dans nos placards.

Référence absolue en matière de cachemire, la marque Loro Piana, rachetée en 2013 par LVMH, est une institution italienne dont la réputation a depuis longtemps traversé les frontières. Mais on oublie souvent combien son succès d’estime tient à peu de choses, en volume s’entend. Car c’est elle qui détient le graal en matière de cachemire. Une fibre parmi les plus fines au monde (15 microns), produite en infime quantité (250 grammes par tête et par an, 150 après nettoyage), une seule fois par an et au bout du monde, dans la région désertique du Alashan, en Mongolie-Intérieure, au Nord-Est de la Chine. Autant dire que le voyage ne fut pas de tout repos au début du xixe siècle, date de la création de l’entreprise textile familiale. Il a fallu en peigner des chèvres sauvages Capra Hircus pour récolter entre mai et juin de chaque année uniquement

la sous-couche de laine rendue exceptionnelle par les conditions climatiques (les variations de température et de saisons confèrent à la fibre des propriétés isolantes hors du commun). Et on ne parle même pas des têtes de troupeau les plus jeunes, dont les 80 grammes (30 après nettoyage) peignés un seule fois à l’âge de six mois, donnent le précieux baby cachemire. Jusqu’au milieu des années 2000, les éleveurs locaux mélangeaient encore les deux récoltes, et il a fallu dix ans à Loro Piana pour convaincre les bergers chinois de séparer les fibres. Un travail titanesque, que la marque soutient à coups de subventions, de prix et d’antennes locales à Pékin, Hong Kong et Oulan-Bator. Avec une seule bonne raison au bout de la chaîne : plus la fibre tricotée sera fine, plus vous aurez chaud. CQFD. 58

Auteure Anne Gaffié / Photo DR

Manteau en cachemire “Castle Bay” de la collection Loro Piana automne-hiver 2019/2020.


STYLE

ANTIPASTO Vous ne connaissez sans doute pas son nom, et pour cause, il vient à peine de faire ses premiers pas dans la mode masculine. Pourtant Marco de Vincenzo est l’Italien du moment. Un homme à suivre de près.

Auteure Anne Gaffié / Photo DR

Première collection homme de Marco de Vincenzo, printemps-été 2020.

Ce n’est sûrement pas un hasard si le groupe français LVMH détient depuis cinq ans 45 % du capital de la marque italienne du designer Marco de Vincenzo. Alors que la marque passe aujourd’hui à la vitesse supérieure en annonçant une nouvelle joint-venture en vue du renforcement de ses stratégies commerciale et internationale, il est grand temps de s’intéresser de près aux

créations de ce jeune quadra passé par la maison Fendi avant de créer sa marque éponyme en 2009. D’autant qu’il vient de présenter sa toute première collection homme lors d’un premier essai très personnel et concluant. Sa mode à l’esprit à la fois facile à vivre et raffiné devrait rapidement faire parler de lui. À retrouver sur les stoyaks dès janvier 2020. 59


TENDANCES

Soit un multiple de soi Dans ce monde déboussolé, on a toujours besoin d’un peu plus de soi-même. La mode de l’hiver révèle notre complexité et nous offre des signes extérieurs de richesse intérieure.

Palm Angels

Gucci

Auteure F.A.D Illustration MARION GARNIER Hermès

Dsquared2

Burberry

Heron Preston

Balenciaga

Fendi Loewe

Off-WhiteTM

Photos DR

Balenciaga

Off-WhiteTM Prada

Alexander McQueen 60

Loewe


TENDANCES

La gloire de nos pères Ils étaient fous, ils étaient beaux, ils avaient réinventé la liberté. Nos pères avaient l’art de lancer les révolutions avec de petits chocs visuels, une couleur surprenante ou un imprimé insolite. Burberry

Burberry Dolce & Gabbana

Balenciaga

Fendi

Gucci

Gucci

Kenzo

Gucci

Loewe Gucci

Alexander McQueen

Stella McCartney

Fendi

Prada

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TENDANCES

Laissez-moi feuler Trophée de chasse, parure du guerrier africain, le léopard qu’on offrait aux dames prête désormais les motifs de sa robe à nos manteaux et accessoires. Prêts pour la parade des grands fauves ?

Valentino

Celine Saint Laurent

Moncler

Burberry

Hermès Alexander McQueen

Celine

Bottega Veneta

Versace

Saint Laurent

Saint Laurent Burberry Prada

Celine 62

Photos DR

Diesel


HUGO BOSS AG PHONE +49 7123 940 BOSS.COM


STYLE

COUP DOUBLE

Repérée sur le podium du défilé Dior signé Kim Jones, la nouvelle ligne de souliers bien nommée “Evidence” apporte sans conteste la preuve du talent de son créateur. Le coup de cœur est immédiat à la vue du détournement des grands classiques, “customisés” de

guêtres en nylon amovibles qui leur apportent d’un seul geste un esprit hybride et utilitaire. Les trois modèles formels – les Chelsea Boots, les bottines et les derbys – passés à la moulinette créative confirment ainsi l’esprit néo-tailleur de cette superbe collection. 64

Auteure Anne Gaffié / Photo DR

Outre l’immense avantage de proposer deux paires de chaussures en une, la collection “Evidence” signée Dior synthétise très justement la grande tendance néo-tailleur de l’hiver.


STYLE

Must-have Dernière “masterpiece” maroquinière en date chez Bottega Veneta, le sac “Arco” ré-interprète avec talent les codes de la maison italienne. Et il s’annonce d’emblée comme l’un des incontournables de l’hiver prochain.

Auteure Lucie René / Photo DR

Lancé en exclusivité début avril à l’occasion du Salon international du meuble à Milan, le sac “Arco” ouvre le bal de la collection pre-fall 2019 imaginée par Daniel Lee, le directeur de création en place depuis bientôt un an chez Bottega Veneta. Et cet “Arco”-là, seulement disponible en coloris naturels, ne manque pas d’arguments pour gagner ses galons de it-bag de la saison. Sa taille tout d’abord, puisque le modèle XXL, baptisé “Arco 75”, en fait le sac week-end masculin par excellence. Sa forme aussi, orthogonale, dont l’effet souple et déstructuré est rendu possible par une construction intérieure sans doublure. S’il existe en cuir de veau satiné Palmellato, on retiendra surtout l’autre version bimatière qui alterne cuir et suède (ci-contre), dont le tressage surdimensionné renouvelle l’emblématique “Intrecciato”, signature de la marque. La décontraction du sac “Arco” semble inversement proportionnelle à la complexité de l’assemblage réalisé : plus de 100 pièces sont nécessaires à sa fabrication. 65


NÉCESSAIRE SUPERFLU Juste pour la beauté des lignes et des matières. Pour ce sentiment qu’elles nous donnent d’être uniques dans un monde où tout se ressemble. Pour la vitesse qui est peut-être cette immobilité illusoire du temps. Photographie Tony Elieh Direction de création Mélanie Dagher Direction artistique Sophie Safi Lieu INFINITI Showroom Chiyah

Sac, PRADA. Voiture Q50, INFINITI.


Sac, BURBERRY.


Sac, TOD’S.




Sneakers, BOTTEGA VENETA.


Mocassin, HERMÈS.


Sneakers, DIOR.


STYLE

Osama Al-Chabbi Précurseur et audacieux, Osama Al-Chabbi est le nouveau modeur dont la scène people et artistique moyen-orientale sollicite les conseils. Coordinateur de mode, il compose, adapte, recrée du style avec les éléments à sa portée. Auteure JOSÉPHINE VOYEUX

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Photos Prod Anztoulis

STYLE

C’est un destin particulier que celui d’Osama Al-Chabbi. Son nom ne vous dit peut-être rien, il était encore complètement inconnu il y a quelques mois seulement, mais son œil avisé ainsi que ses goûts éclectiques et audacieux lui ont permis de se faire remarquer par les plus grandes marques et les artistes influents de la région en un temps record. Professionnel de la mode, Osama Al-Chabbi a ainsi travaillé ces deux dernières années en tant que coordinateur et styliste éditorial pour Prada, Level Shoes, Nike, Bvlgari, ou encore Farfetch. Il a notamment habillé et conseillé des personnalités publiques telles que les membres du groupe Mashrou’ Leila, la designer passionnée de chaussures Amina Muaddi, l’influenceuse aux 2,2 millions d’abonnés sur Instagram Hala Abdallah, ou encore sa consœur Rania Fawaz. En quelques mois seulement, le jeune homme, originaire d’une petite ville située à une vingtaine de kilomètres de Lyon, en France, est ainsi parvenu à pénétrer les réseaux de la mode les plus selects du Moyen Orient. Et à s’imposer comme le coordinateur de mode du moment. Quel est le donc le secret d’une telle ascension? Osama Al-Chabbi, 24 ans, s’est installé à l’âge

de 22 ans à Dubaï. Sur le papier, rien ne le prédestinait à une carrière dans la mode. Le jeune homme avait jusque-là étudié les langues et la communication à l’université Jean Moulin dans l’ancienne capitale des Gaules, mais de son propre aveu, il a toujours été créatif et eu un attrait prononcé pour l’art. Enfant, il avait toujours un crayon à la main et croquait tout ce qui l’entourait. Adolescent, son coup de crayon ne laissait aucun de ses professeurs d’école insensibles, mais c’est adulte qu’il a pris conscience de l’évidence. Il évoluera nécessairement dans un domaine créatif, dans la mode très certainement, industrie qui l’obsède depuis de nombreuses années. Mais il ne sera pas styliste ou créateur. La suite, Osama Al-Chabbi l’a écrite tout seul. A 22 ans, le jeune homme prend son destin en main. Courageux et ambitieux, il fait ses bagages pour quitter son pays natal. Direction, les Émirats Arabes Unis pour tenter sa chance et percer dans la mode. Le nouveau coordinateur de mode en vogue n’est cependant pas arrivé les mains vides sur la péninsule arabique. « Mon approche est influencée par mon héritage culturel et 75

l’ensemble des cultures au sein desquelles ma créativité s’est développée », assuret-il. Osama Al-Chabbi a grandi en France certes, mais dans une famille tunisienne qui n’a jamais perdu le lien avec le pays de ses ancêtres. D’après lui, la Tunisie a fortement influencé sa sensibilité artistique. « J’allais à Tunis deux à trois fois par an, poursuit-il. Cela a contribué à développer mon univers visuel et artistique de manière conséquente : je suis un alliage entre des influences urbaines, fruit de ma culture occidentale, et un background nord-africain plus traditionnel ». Et c’est aujourd’hui cela, le credo du jeune styliste éditorialiste : faire valoir sur le marché de la mode son identité plurielle, au carrefour de l’Occident et de l’Orient, au carrefour de l’extrême contemporanéité et des traditions. Osama Al-Chabbi ne le cache d’ailleurs pas. La clé de son succès, c’est sûrement sa propension à jouer avec les codes. A les manipuler pour les détourner sans pour autant les annihiler. Il prend des risques mais conserve un esprit pragmatique dans sa manière de composer les looks et penser la direction artistique des campagnes de mode. En clair, Osama


Al-Chabbi est avant tout guidé par un sens artistique aiguisé et un œil avisé. « Je m’intéresse au rapport des gens aux vêtements, tente-t-il d’expliquer. Ce n’est pas le vêtement en lui-même qui compte mais la manière dont il est porté ». Le jeune modeur fonctionne également au coup de cœur : sa marque de fabrique, c’est la spontanéité. « J’aime les éléments répétitifs qui créent et personnalisent un style, continue-t-il. J’apprécie particulièrement les femmes de caractère et de pouvoir comme Victoria Beckham, Carine Roitfeld, et Cheikha Moza et la sophistication et le détail chez les hommes ». D’après lui, ce qui compte, c’est arborer un look flexible tout en jouant avec les codes. Il aime les femmes en costume d’homme et les mecs avec un mini sac à la main. « Ce n’est pas un message révolutionnaire, reconnaît-il mais il faut remettre les choses en perspective ! La mode c’est fun, il faut savoir déconner ! ».

Photo Prod Anztoulis

Joueur, curieux, et impétueux, Osama Al-Chabbi n’a pas peur de se planter. Il fonce sans jamais perdre de vue son objectif, dans l’espoir de l’atteindre. La recette pour le moment semble fonctionner. Mais acharné et très ambitieux, le jeune amoureux de la mode ne compte pas en rester là. Il voit grand et rêve aujourd’hui de faire encore plus de stylisme et de shooting photo, tout en rejoignant une publication au Moyen-Orient. Partager sa vision de la mode reste son leitmotiv, et le faire en tant que franco-tunisien, une satisfaction. « Des maghrébins dans la mode, il n’y en a pas des masses, cela me semble donc important en termes de représentation ». Osama Al-Chabbi, retenez son nom, il y a fort à parier qu’il se répande comme une trainée de poudre au sein de la planète mode dans les années à venir. @osamachabbi 76


LE CHOIX D’ OSAMA AL- CHABBI

Prada

Maison Margiela

Loewe

Kuboraum Jacquemus Sunnei

Loewe

Sunnei

Alyx

Loewe

JW Anderson Retrosuperfuture

Prada Homme Plissé Issey Miyake

Photos DR

Loewe

Acne Studios Burberry

Jil Sander


STYLE

Si sa ville natale de Chicago est depuis toujours dans le cœur du créateur Virgil Abloh, la “windy city” sait aussi lui rendre la pareille. Cette admiration réciproque a donné lieu à plusieurs “happenings” estivaux disséminés dans la ville… ainsi qu’à une exposition d’exception au musée d’Art contemporain, qui résume le parcours incroyable de cet enfant du pays devenu star internationale. Auteure ANNE GAFFIÉ

CHICABLOH

Élevé en banlieue de Chicago, dans une famille d’immigrés ghanéens, le touche-à-tout Virgil Abloh, à qui tout semble réussir, a fait des études d’ingénieur en génie civil et d’architecture avant de se tourner vers la mode. Titulaire d’un Master Degree de l’Illinois Institute of Technology, il commence sa carrière dans l’industrie musicale aux côtés de Kanye West, chez Donda, où il s’occupe du merchandising, du packaging et du design de scène. On lui doit notamment la pochette minimaliste de Yeezus, sixième album de Kanye West, sorti en 2013, dont le design réduit à une stricte épure est resté dans les annales. En 2015, il lance sa marque Off-White, avant d’intégrer la maison Louis Vuitton trois ans plus tard en tant que directeur artistique de la ligne homme. Il

faut aussi compter avec ses nombreuses collaborations, de Nike à Ikea en passant par Rimowa, Evian ou Pioneer, qui font de lui l’une des machines à contrats les plus “bankable” du moment. À 39 ans, ce créateur multitâche, également DJ professionnel à ses heures, possède un catalogue créatif à rendre jaloux plus d’un de ses contemporains. La ville de Chicago a tenu à rendre hommage à Virgil Abloh, promu exemple à suivre pour la jeune génération bouillonnante, en lui consacrant une rétrospective inédite au MCA, le musée d’Art contemporain de Chicago. Parce que, sans nul doute, ce culte du streetwear et de la culture contemporaine américaine qui signent le style Virgil Abloh viennent de là, de Chicago. L’exposition “Virgil Abloh, Figures of Speech” 78

Photo Eugene Shishkin

Virgil Abloh, Chicagoan revendiqué et célébré par sa ville à l’occasion de l’exposition “Virgil Abloh, Figures of Speech”.


STYLE

Sans nul doute, ce culte du streetwear et de la culture contemporaine américaine qui signent le style Virgil Abloh viennent de là, de Chicago.

Photo DR - Courtesy of Nike

Ambiance industrielle pour le “NikeLab Chicago Re-Creation Center c/o Virgil Abloh”.

retrace, en vingt-cinq années et sept tableaux, son parcours artistique qui se déroule dans un superbe espace immersif, signé Samir Bantal, architecte et directeur du AMO, le studio de recherche du cabinet d’architecture hollandais OMA de Rem Koolhaas. Focus donc sur ses réalisations en mode, art et design, fruits du perpétuel croisement entre les disciplines, incarnation de cet art du “cross-over” qui le voit fédérer artistes, musiciens, designers et architectes. On y trouve les temps forts de sa carrière, de ses collections, de ses shows, de ses sets musicaux, de ses meubles design, de ses réalisations graphiques désormais cultes… “Une telle exposition, dans un musée comme celui-ci, représente une étape importante dans sa carrière”, estime son curator Michael Darling. Après l’exposition, les visiteurs peuvent faire une halte à la boutique pop-up “Church & State”, qui vend une collection inédite en édition limitée et des rééditions des best-sellers Off-White aujourd’hui épuisés. Parallèlement, un concours de projets artistiques baptisé “Design Challenge” est ouvert au jeune public de 14 à 21 ans sur le thème “Take something boring or broken and turn it into something extraordinary”. À l’expostion s’ajoutent deux collaborations de prestige installées en ville le temps d’un été. La première est réalisée pour Nike, marque avec laquelle Virgil Abloh entretient des relations très productives. Le “NikeLab Chicago Re-Creation Center c/o Virgil Abloh”, situé sur Michigan Avenue, a été conçu comme un lieu dédié à la jeune génération, et voué à dynamiter l’énergie artistique et culturelle de la ville. Il a 79

hébergé pendant deux mois des pièces exclusives, des “drops” (collections limitées), des happenings et des ateliers tenus par dix créatifs locaux, le tout “curaté” par Virgil Abloh. Un scénario conçu en deux volets : un “Mentorship Program” de huit semaines d’expérience immersive menant à la réalisation d’un projet, avec pour idée de révéler au monde entier l’impact culturel d’une ville comme Chicago et la pépinière de talents qu’elle abrite. Et un “Reuse-a-Shoe Program”, une installation qui permet à tous les curieux de venir découvrir le programme “Nike Grind” qui, depuis vingt-cinq ans déjà, recycle d’anciennes paires de baskets en nouveaux matériaux et produits. Une partie des bénéfices est allée à la création d’un terrain de basket signé Virgil Abloh pour la ville de Chicago, en prévision de la NBA All-Star 2020. La seconde collaboration, évidente elle aussi, s’est faite avec la maison Louis Vuitton, qui a profité de l’arrivée en ville de son nouveau directeur artistique pour y installer un pop-up store estival – “Chicago Residency” –, résidence temporaire proposant une collection capsule de vêtements et accessoires en édition limitée radicalement orange, une couleur qu’affectionne le créateur. Et qui tel un trait de Stabilo vient parapher ce parcours d’exception. L’exposition “Virgil Abloh, Figures of Speech” du MCA se tient jusqu’au 22 septembre à Chicago, puis tout l’hiver au ICA de Boston, au High Museum of Art d’Atlanta et au Brooklyn Museum de New York. Et si c’est trop loin, il reste l’impressionnant catalogue édité par le MCA pour l’occasion, une monographie de 500 pages et 2 000 illustrations.


Photos Nathan Keay, © MCA Chicago - Virgil Abloh, You’re Obviously in the Wrong Place, 2015/19. Courtesy of the artist - Hanna García Fleer - “ADVERTISE HERE,” 2018. Acrylic on canvas. Courtesy of the artist


Vu à l’exposition “Virgil Abloh, Figures of Speech” : un panel de réalisations aussi éclectiques que créatives.


STYLE

HERMÈS, L’ESPRIT DU TEMPS Issue de l’univers du voyage, de l’équitation, de l’aventure et du grand air, la maison Hermès, qui plonge ses racines dans la première moitié du 19e siècle, a bâti sa réputation sur un raffinement qui ne se réduit ni à la perfection du savoir-faire ni au luxe des matières. Hermès c’est un esprit à part dans l’univers de la mode. C’est une infinie curiosité du monde et de l’humain, un intérêt passionné pour les métiers de la main et une sensibilité qui rejoint le mental élégant et fairplay du sport. Tout cela s’exprime dans une esthétique où « le beau est la splendeur du vrai », sans concession pour l’authenticité et la qualité des matériaux, la délicatesse des constructions, des finitions et surtout des palettes. Ici les couleurs sont reines, leurs nuances et leurs contrastes inimitables et le vocabulaire qui les désigne, puisé au dictionnaire de la nature. On n’achète pas un article Hermès, on l’adopte et on le laisse vivre avec soi et resplendir avec le passage du temps. Dans le débat sur l’épuisement des ressources, la qualité est un argument clé pour les tenants d’une production durable.

Parka matelassée en toile cosmos déperlante, cigare. Chemise ajustée, patte zippée en popeline unie, noir. Tee-shirt col roulé en coton uni, feuille. Pantalon Luxembourg élastiqué en flanelle de laine, noir. 82

Photos DR

Auteure F.A.D


STYLE

Caban en veau Club, sauge. Pull col camionneur en Séoul vertical, cachemire 1 fil, colvert. Tee-shirt col roulé en coton uni, colvert. Pantalon Chicago, poches zippées, en serge de coton compacte, noir. 83


STYLE

DOCTEUR MODE Auteure MARIA LATI Glamour, cool, second-hand, unique, masculine ou féminine, en jeans ou pas, appelez-la comme vous voulez, la Denim-cut-jacket d’Eric Mathieu Ritter pour Emergency Room redéfinit la mode. 84


Photos Dunia Chahine

STYLE

Dans la boutique Emergency Room à Mar Mikhaël, une parka au tissu récupéré sur un ancien parasol publicitaire pour une marque de bière, des vestes en denim vintage brodées de franges, de paillettes ou en patchworks vitaminés, ou une robe d’un flamboyant tissu jacquard, chacune des pièces exposée est unique. Le designer Eric Ritter, s’affranchit des catégories classiques de la mode et donne aux vêtements un second souffle pérenne. Pour concevoir ses collections, Eric commence par écumer les marchés pour y choisir vieux vêtements, nappes, draps, ou trouver des chutes de tissus récupéré chez les stockistes des grandes marques qui ont laissé là un dernier bout de rouleau. L’œil avisé, il a le chic pour dénicher le détail qui viendra transformer un vieux vêtement défraichi en pièce ultra hype. Un foulard en soie vintage ou des franges de rideaux intactes apporteront une touche funky à cette veste en tissu ou jeans délavé de grande marque. Ses artisans repérés à Tripoli, les couturières que Ritter forme à l’atelier Tara W Kheit de la fondation Safadi ou les frères chemisiers Mehwi, qui réalisent les broderies et les coupes audacieuses imaginées par Emergency Room sont aussi mis en avant par ce label qui se veut tout en transparence. Au départ, Eric Ritter avait pourtant choisi de masquer les visages des mannequins, mais pour les deux dernières collections, des personnalités de tous âges, genre, morphologie, religion ou sexualité, campent les récits qui font de Beyrouth et du Liban des symboles de la diversité. La propre grand-mère du créateur passe avec élégance d’un short en tissu de rideaux vintage à un kimono en soie fine ou une robe en taffetas restructurée qui joue sur les volumes. Les vêtements unisexes d’Emergency Room, un tantinet plus masculins pour la dernière collection capsule composée de chemisiers en popeline et drap de coton aux motifs Sponge Bob ou Star Wars, et sarouels en trompe l’œil taillés dans des chemises inversées, refusent de se prendre trop au sérieux, comme un défi à une vision un peu machiste de ce à quoi un homme devrait ressembler. 85

Eric poursuit brièvement une formation classique dans la mode. Diplômé d’Esmod à Beyrouth, il s’envole à Paris pour un stage chez Rabih Kayrouz, avant de rejoindre à Beyrouth l’équipe studio chez Zuhair Murad pendant un an. Très vite, le jeune designer cherche à donner un sens à son travail, et lâche un instant la mode pour s’engager avec l’ONG Tara W Kheit, à Tripoli. Mais la mode a vite fait de le rattraper, et il est sollicité pour créer une collection qui donnera du punch au travail des brodeuses de l’association. Les premières pièces sont accueillies avec succès et la collaboration se poursuit. Confronté à la réalité de la « capitale du Nord » qui oscille entre dynamisme et chaos, Eric cherche une solution pérenne pour soutenir les couturières avec qui il a tissé des liens forts, mais aussi donner une chance aux vêtements en déshérence qui abondent sur les marchés. Il y a un an, il lance son label éponyme et s’installe dans une boutique conçue par son ami architecte Naji Raji, à l’image de la marque ; un polissage parfait pour mieux faire ressortir le brut. Le carrelage sur le trottoir se prolonge à l’intérieur et lors des lancements de nouvelles collections, la baie vitrée s’ouvre et la frontière avec l’extérieur s’estompe. Dans un coin, un chariot de supermarché, sur une table, un empilement de boites à pizzas en carton recyclable, qui servent d’emballage pour les vêtements, ironisent sur notre frénésie de consommation. L’un des murs a conservé son aspect défraichi avec ses trous et clous creusés au fil du temps tandis que les autres brillent de leur blancheur, tout comme les vêtements dont les détails vintage sont mis en valeur par la touche fraîche du designer. Eric laisse des finitions en suspens, des coutures qui pourront être revisitées à une époque future. Il y a urgence dit-il pour sauver ces vêtements et tissus intemporels, aux antipodes de la fast-fashion qui nous pousse à fabriquer toujours plus au lieu de valoriser les pièces qui autrefois étaient destinés à durer. emergencyroombeirut.com


Photo Dunia Chahine

STYLE

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Fakhry Bey Street, Beirut Souks, Dowtown Beirut Aïshti by the Sea, Antelias


MILLENNIAL ISSIMO MILLENNIAL ISSIMO

Industrieuse de tradition, influente de réputation, séductrice par nature, la mode masculine italienne n’a de leçons à recevoir de personne. Seule petite ombre au tableau : l’effritement de sa toute-puissance créative, mise à mal ces dernières saisons par un vieillissement de ses institutions, une fashion week en perte de vitesse et un business mondial tendu. Pour les marques qui savent combien il est aujourd’hui capital de se remettre en question afin de rester bien placé dans la course, la tension est palpable et les prises de position décisives. Toutes s’essayent à de nouvelles stratégies pour séduire leur future clientèle, cette désormais fameuse génération des millennials. Interrogations, réinventions, engagements, refontes de l’image, nouveaux messages… Au pays des beaux parleurs, la communication fait feu de tout bois pour conquérir ces consommateurs d’un nouveau type.

MILLENNIAL ISSIMO MILLENNIAL ISSIMO

Photo DR

Dossier réalisé par ANNE GAFFIÉ


Détail de la collaboration entre Fila et MSGM dans les backstages du défilé automne-hiver 2019/2020.


MODORAMA

MSGM

SIGNE

Six ans seulement après y avoir fait ses premiers pas, le créateur Massimo Giorgetti revient au Pitti Uomo pour célébrer les dix ans de sa marque, et rappeler à quel point son aventure est belle. Retour sur l’heureux destin de celui qui, avant bien d’autres, a senti le vent tourner. Un exemple de réussite commerciale pour la jeune génération.

style qui a fait le succès de sa marque : jeune, frais, positif, énergique. Avec une identité très simplement mais précisément définie, proche de l’esprit streetwear. Et ce, bien avant que les tendances actuelles ne lui donnent raison. Une empreinte souvenir de l’ADN de la marque, comme dit l’intéressé, mais aussi une carte pour l’avenir, qu’il décrypte pour nous en exclusivité. L’Officiel Hommes : Dix ans, c’est déjà beaucoup, mais c’est aussi relativement jeune pour une marque aussi bien établie. Comment expliquez-vous cette maturité ? Massimo Giorgetti : Si je regarde en arrière, je confirme que la route fut longue, mais pas si éprouvante que cela. L’enthousiasme et l’énergie des premiers temps sont toujours là. La marque a grandi de façon saine et solide, consolidée en grande partie grâce à mes ­business-partners et au fonds d’investissement Style Capital, qui nous a rejoint il y a un an. Nous travaillons sur de nombreux nouveaux projets, et chacun d’entre eux est un défi très excitant. Je suis très confiant pour les dix prochaines années. Aviez-vous dès le départ prévu de vous adresser aux nouvelles générations ? Absolument. La jeunesse a toujours été une source d’inspiration première. Elle est affranchie des schémas pré-établis, douée d’un champ de vision à 360°, curieuse de nouvelles expériences. Quand j’ai lancé MSGM en 2009, presque personne en Italie n’en avait saisi tout le potentiel. Les logos, les matières dites faciles comme le jersey, la polaire ou le denim ne faisaient pas partie des standards formels établis par la tendance minimalisme rigoriste des années 1990, qui selon moi ne correspondaient plus aux attentes de la 90

jeune clientèle à laquelle je souhaitais m’adresser. Je me souviens encore des réactions interloquées à la présentation de ma première collection, pour laquelle j’avais fait intervenir un jeune artiste milanais qui customisait en live mes créations. Quelle est la meilleure façon de parler aux jeunes ? Être en contact permanent avec mon public. Celui de mon équipe, dont l’âge moyen est de 26 ans, celui de la rue, mais aussi les réseaux sociaux, qui, pour le meilleur et pour le pire, sont une source d’inspiration inextinguible. Faites-vous partie de ceux qui pensent que, pour parler aux millennials, il faut investir stratégiquement, autant sur le produit que sur la communication et le marketing ? Oui. Je suis persuadé que l’on ne peut plus aujourd’hui penser l’un sans l’autre. Création et promotion d’une collection partent d’une seule et même idée globale, d’une même vision personnelle et d’une même identité de marque. La créativité d’une maison passe aussi bien par ses produits que par son message, ses packagings, ses boutiques. Tous sont aussi importants les uns que les autres. De quoi sera faite la prochaine décennie MSGM ? Voulez-vous grandir avec la communauté Alpha ? C’est l’idée pour la conquérir. Encore faut-il ne pas laisser ses aînés sur le bord de la route. N’oublions pas qu’ils ont été là dès le début et qu’ils sont restés fidèles à la marque. C’est un signe qui ne trompe pas, et qui tend à prouver que, jusque-là, nous avons bien fait notre travail.

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Avec sa marque MSGM, dix ans cette année, l’italien Massimo Giorgetti est l’un des rares “jeunes” créateurs indépendants italiens à avoir le vent en poupe, et il est relativement à l’abri des vicissitudes du marché. Les chiffres sont là : 51 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018, 21 % de progression par rapport à l’année précédente, 32 boutiques dans le monde, 43 prévues à la fin 2019, 600 points de vente multimarque, un nouveau flagship milanais de 300 m 2 , le lancement d’une ligne d’activewear annoncée pour février 2020 et un plan d’accélération à l’international… on est loin d’un bilan en demi-teinte. Fondée à l’origine avec le soutien de Manifattura Paoloni, qui produit les collections et détient toujours 49 % du capital, l’entreprise de Massimo Giorgetti (19 % des parts) a en 2018 ouvert son capital au fonds italien Style Capital à hauteur de 32 %, visant les 100 millions de chiffre d’affaires dans les quatre ans à venir. Pour quelqu’un qui, au départ, avait failli abandonner le menswear face à un marché alors plutôt sartorial, et avant que la bascule ne se fasse positivement en 2013, le parcours fait figure d’exemple. Et l’ascension est d’autant plus remarquable que le créateur, et chef d’entreprise par la force des choses, a tenu seul pendant neuf ans les rênes de l’affaire, de la création au développement de la marque, toujours au contact des fournisseurs, des distributeurs, aux quatre coins de la planète. Aujourd’hui recentré sur la création, celui qui a grandi dans le sérail mode près de Rimini, une ville où ses parents possédaient un atelier de broderies et son oncle, un laboratoire textile, met plus que jamais son amour du sportswear casual au centre de ses créations. C’est d’ailleurs ce qui saute aux yeux dans la collection anniversaire présentée au dernier salon Pitti Uomo, dont il était l’invité spécial, célébrant le


Coulisses du défilé printemps-été 2020, anniversaire des dix ans de MSGM, à Florence.


PRADA PASSE AU VERT En touchant à son emblématique nylon noir, la marque entend frapper fort les esprits pour marquer son entrée en mode responsable. Baptisée “Re-Nylon”, cette matière écoresponsable inédite alimente une nouvelle collection, mais aussi tout

Pour la première fois de sa longue histoire, Prada s’engage de façon très concrète dans le développement durable et la protection de l’environnement. Ces premiers pas en mode responsable signent une nouvelle étape cruciale pour le groupe italien, qui a toujours eu pour principe de prendre les devants, repensant régulièrement les codes de l’entreprise et encourageant une certaine vision du luxe, à l’aune d’une éthique avant-gardiste, expérimententale et progressiste. Avec “Re-Nylon”, c’est tout un programme de création et de réflexion qui se met en place autour de l’iconique nylon maison qui, fin 2021, ne sera plus produit qu’en matériau 100 % recyclé. Baptisée Econyl et élaborée en partenariat avec le producteur italien de fil textile Aquafil, cette toute nouvelle matière, issue d’un procédé technique de dépolymérisation et de re-polymérisation (comprenez purification et recyclage) des déchets plastiques collectés dans les océans, devrait permettre à court terme de créer indéfiniment de nouveaux produits sans avoir à recourir à de nouvelles ressources. Et, à en juger par les

chiffres, le jeu en vaut la chandelle : 10 000 tonnes de fil Econyl, c’est l’équivalent de 70 000 barils de pétrole évités, soit une réduction des émissions de CO 2 de l’ordre de 57 100 tonnes. Si toutes les entreprises emboîtaient le pas de Prada en choisissant le fil Econyl, l’impact du nylon synthétique sur le réchauffement climatique serait réduit de 80 %. Si l’on ajoute qu’un pourcentage des ventes de cette collection capsule sera reversé à un projet lié au développement durable, qu’un partenariat avec l’Unesco a été signé pour le développement d’activités éducatives autour du thème de l’économie circulaire et que des vidéos de sensibilisation ont été produites en collaboration avec National Geographic, on se dit que cette initiative qui surfe sur la tendance du “cradleto-cradle” (recyclage à l’infini) mérite d’être soutenue, aussi vertueusement stratégique soit-elle. La première collection est lancée autour de six grands classiques de la marque, pour homme et femme : le sac-banane, le sac épaule, le tote bag, le duffle ainsi que deux sacs à dos. À vous de jouer.

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un programme, pour une vision à long terme.


Le mannequin australo-soudanais Adut Akech Bior, dans une sĂŠrie de sensibilisation produite en partenariat avec National Geographic, au Cameroun.


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En backstages, les masques de la collection Gucci podium automne-hiver 2019/2020.


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GUCCI LA MISE EN ABYME

La sortie de la collection “Gucci Manifesto” marque un sommet en matière de marketing. Il n’y avait guère que cette machine de guerre italienne pour oser une telle comm’, au-delà de seulement pouvoir. Mais jusqu’où ira donc la marque délirante ?

“Gucci Manifesto” s’affiche sur les murs de Hongkong, dans le cadre des “Art Wall Series” de la marque.

Connaissez-vous beaucoup de maisons de mode qui peuvent se vanter de célébrer la sortie d’une collection par le lancement d’une autre collection off qui lui réponde en clin d’œil ? Et sans même prendre en compte des considérations financières, mais plutôt des considérations stratégiques. La marque Gucci nous a habitués ces dernières années à mener la danse en matière de tactique créative et de méthodes de communication originales, moteur d’une industrie du luxe qui doit de plus en plus imposer une image forte, patrimoniale, culturelle, artistique et surtout visionnaire pour se maintenir à flots. Gucci fait donc figure d’autorité dans ce domaine depuis 2015, et doit cette gloire au tandem à succès Alessandro Michele, le directeur de création, et Marco Bizzarri, le président. Et si le premier déborde d’idées, le second sait comment les faire passer. “Le cœur de notre stratégie, explique Marco Bizzarri, c’est la créativité. Alessandro a créé une nouvelle demande pour un nouveau luxe. Et la culture est au cœur de notre modèle, qui ne peut donc pas être copié.” Passer la barre des dix milliards d’euros de chiffre d’affaires, même sans date butoir, exige de se donner tous les moyens afin de tenir un tel rythme de croissance sans faiblir. Avec la sortie fin juillet de la collection “Gucci Manifesto”, c’est une nouvelle démonstration de marketing offensif qui s’est imposée. En vente en même temps que la collection du podium automne-hiver 2019/2020, cette capsule très spéciale “a pour 95

vocation de synthétiser le message” lancé lors de la première collection, en éditant trois produits, tous imprimés des fameux masques fantasmagoriques et slogans “The mask as a cut between visible and invisible” vus au défilé. La fameuse “expérience client” Tee-shirts, sweat-shirts et hoodies, dont certains édités en exclusivité pour la vente en ligne sur le site de la marque, ont leur propre packaging, boîte noire codée de rouge pour le e-shop, de blanc pour les boutiques. Autant dire des collectors à destination de la grande communauté maison. L’application Gucci (une référence dans son domaine, disponible sur App Store) y consacre même une section, permettant d’essayer virtuellement les masques en réalité augmentée et de s’immortaliser avec ces filtres ultratendance en selfies photos et vidéos. Gucci met donc en œuvre la fameuse “expérience client”, dont la jeune génération raffole. Et comme si cela ne suffisait pas, la collection “Gucci Manifesto” s’expose en ville comme autant d’œuvres d’art, de Milan à New York en passant par Mexico ou Hongkong, dans le cadre des “Art Wall Series” lancées par Gucci en mai 2017 (des espaces publicitaires de 176 m2 mis régulièrement à la disposition d’artistes contemporains invités par la marque, tels que Marina Abramovic ou Ignasi Monreal). Les codes du luxe 2018 ont pris un coup de vieux.


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VERSACE SON IMAGE Comment cette armada du luxe a-t-elle pu revenir sur le devant de la scène en seulement quatre saisons et faire que les gamins de 20 ans aient une furieuse envie de la porter ? À première vue, la recette semble éculée : il s’agit de ressortir les grands standards qui ont fait les riches heures de la marque dans les années 1990. Mais n’est pas roi en son royaume qui veut. Car tout est question de stratégie maîtrisée. Donatella Versace nous décrypte en personne sa dernière campagne de pub gagnante.

La mise en scène : iconique Nous avons voulu créer une atmosphère totalement industrielle et décadente. Un peu comme si la nouvelle génération retournait dans le passé de la marque et investissait un entrepôt abandonné pour y découvrir des trésors enfouis, restés intacts. Une façon pour moi d’insister sur la dichotomie de cette c­ ollection automne-

hiver 2019/2020, où s’affrontent univers du luxe et du grunge, deux stéréotypes emblématiques pour nous. Quand la couture rencontre les épingles à nourrice et ourlets inachevés : toute la célébration de l’iconographie Versace. La collection : remasterisée Cette collection sonne un peu la fin d’un chapitre ouvert il y a quelques saisons, sur l’exploration de la notion contemporaine de masculinité et de la grande liberté qui en découle aujourd’hui. On oscille entre virilité et sensualité, on casse les genres. Le stylisme reprend tous ses droits, et l’interprétation personnelle est la bienvenue. J’aime l’idée que l’on puisse s’acheter certaines pièces seulement, ou au contraire un total-look. Dans les deux cas, on y retrouve ce mélange de raffinement et de streetwear, une sorte de nouveau classique. Du pur ADN Versace remasterisé. Le message : réappropriation ! Si la mode est un éternel recommencement, celle des années 1980 et 1990 marque aujourd’hui au fer rouge la jeune généra96

tion. Je vois chez ces jeunes, notamment à travers les questions que beaucoup me posent sur les réseaux sociaux, une réelle fascination pour nos anciennes collections. C’est un peu comme si elle découvrait de vieux trésors ! Et c’est incroyable de penser que c’est la première fois de leur vie qu’ils voient réellement la marque, et surtout qu’ils la désirent autant ! C’est ce qui m’a poussée à repenser les codes Versace pour eux, afin qu’ils les comprennent et se les approprient facilement. Le statut : en réflexion Donatella Versace : Notre rôle de créateurs a considérablement changé. Il ne s’agit plus seulement pour nous de proposer un nouveau produit, un défilé ou une campagne, mais de réfléchir à la façon dont nos créations peuvent interagir avec ceux qui les portent. La mode est un langage qui permet aux individualités et aux communautés de s’affirmer. De voir audelà des conventions. C’est pour cela que cette campagne présente un personnage et non un groupe (ce qui a longtemps fait la spécificité des campagnes Versace, ndlr).

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Le photographe : un ami Donatella Versace : Steven (Meisel, ndlr) est tout simplement le maître. J’ai eu la chance de travailler avec les plus grands tout au long de ma carrière, mais il est celui avec qui chaque nouvelle collaboration est différente de la précédente. Comme un nouveau chapitre de l’histoire de la marque que nous ouvrons et écrivons ensemble. J’avais 25 ans quand je l’ai vu travailler pour nous la première fois, et ça ne s’oublie pas ! Je me tenais discrètement à l’écart dans un coin, et je l’observais en silence. C’était une source d’inspiration et d’enrichissement que je ressens encore aujourd’hui. Sauf que, entre-temps, il est devenu un de mes amis les plus chers !


Les coulisses de la collection automne-hiver 2019/2020.


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Lors du défilé automne-hiver 2019/2020, des détails de la collaboration avec Undercover.


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VALENTINO SOIGNE SES COLLAB’ Le système des collab’ séduit les marques de luxe depuis longtemps. Elles sont le gage de retombées commerciales de compétition, d’un bon supplément d’âme et d’une belle image véhiculée par les réseaux sociaux. Encore faut-il choisir le bon duo pour remplir le contrat ! Il suffit de prendre exemple sur la maison Valentino, dont les collaborations bien senties font toujours recette. Après Moncler l’hiver dernier, c’est au tour des marques Birkenstock et Undercover d’avoir les faveurs de Pierpaolo Piccioli cette saison. Car si le directeur artistique de Valentino connaît bien sa maison, il possède également sur le bout des doigts sa communauté de fans, galvanisée ces dernières années par un Après Moncler sérieux l’hiver dernier, upgrade c’est au des tourpièces des marques iconiques Birkenstockde et Undercover la marque, d’avoir à commencer les faveurs de Pierpaolo par ses Piccioli baskets cette saison. vendues Car si le audirecteur kilomètre. artistique Il de n’est Valentino pas connaît biend’en sa maison, il possède également sur le bout des doigts sa communauté de difficile conclure que les collab’ réussies sont toujours le fans, galvanisée cesdirect dernières années par un des pièces iconiques de la chemin le plus à la caisse. Etsérieux pour upgrade peu qu’elles soient éditées en série marque, à commencer limitée, c’est par seslebaskets rush vendues assuré.auUne kilomètre. stratégie Il n’estàpas l’image difficile des d’en “drops” conclure que (bombardement les collabs’ réussies sont court toujours dans le chemin un lieu le de plusvente direct àéphémère la caisse. Et d’une pour peupièce qu’ellesàsoient shopper) éditées en utilisés série limitée, dansc’est l’univers le rush assuré. streetwear, Une stratégie queà Jun Takahashi, l’image des “drops” (bombardement le fondateurcourt de ladans marque un lieu de japonaise vente éphémère Undercover, d’une pièce àdoit shopper, ndlr) utilisés l’univers streetwear, que Jun Takahashi, le fondateur de la connaître pardans cœur. marque japonaise Undercover, doit connaître par univers cœur. C’est donc forts de la somme de leurs singuliers et de leurs C’est donc forts de la somme de leurs univers singuliers et expériences respectives, qu’ils expériences respectives qu’ils ont dessiné à quatre mains une série

de graphismes où l’on retrouve le regard décalé d’Undercover sur la rue à travers les époques et les styles, et le travail d’atelier de Valentino avec le traitement des motifs intarsias, les broderies, les jacquards… Et Pierpaolo ne lésine pas sur les compliments au sujet de son alter ego : “Jun Takahashi a métamorphosé la philosophie ont dessiné à quatre du streetwear mains une série endeélevant graphismes un sujet où l’onàretrouve la baseletrès regard concret décalé à un niveausur d’Undercover plus la rue conceptuel à travers les époques et sophistiqué. et les styles,Undercover et le travail d’atelier est capable de Valentino avec lepreuve traitement motifs intarsias, les broderies, les jacquards… Et Pierpaolo de faire dedespoésie et de délicatesse, même dans les pièces le plus ne lésine courantes pas sur les compliments : d’une garde-robe “Jun Takahashi quotidienne. a métamorphosé J’aime la philosophie le goût du et la visionende streetwear élevant Jun un et sujet j’aime à la base la façon très concret dontà un il niveau joue et plus interagit conceptuelavec et sophisles tiqué. Undercover est capable de preuve de poésie et de délicatesse, dans les éléments graphiques. Il faire y a toujours quelque chose à même découvrir, pièces le plus courantes d’une garde-robe quotidienne. J’aime le goût et laégalement vision de Jun son travail n’est jamais prévisible.” Une rencontre appréciée et j’aime la façon par dont lail jeune joue et interagit génération, avec les éléments séduite graphiques. par l’inspiration Il y a toujours couture quelque chose des à découvrir, années 1990 son travail den’est lajamais collection prévisible.” Valentino Une rencontre et également l’esprit appréciée par lasijeune génération, par l’inspiration couture des années 90 de la streetwear tendance duséduite moment d’Undercover. collection Valentino et l’esprit streetwear d’Undercover si tendance du moment.


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FENDI SUR LE TOIT Avec “F is for… Fendi”, la maison de luxe italienne a instauré un dialogue offline et online avec la jeune génération. Et s’est positionnée dans la course aux millennials.“Doodling Fendi Roma”, dernier opus produit et orchestré par la marque, force un peu plus le trait.

Lancée en février 2017, “F is for… Fendi” est une plate-forme numérique de communication communautaire permettant à la marque italienne d’offrir un nouveau format média à la jeune génération. Et donc de parler la même langue avec ses futurs clients. Plus précisément, ce “digital hub” indépendant et créatif est chargé de faire le lien entre l’univers purement mode et d’autres champs artistiques, comme la musique ou l’art contemporain. Une sorte de laboratoire qui met en actes ce mantra : “Concevoir, créer et faire partager des expériences online et offline personnelles et uniques avec la jeune génération du monde entier.” Si tant est que la jeune génération respecte l’ADN de la marque et en fasse bien évidemment sa promotion. À l’exemple de Sam Cox, aka Mr Doodle, troisième artiste en date convié à être filmé et à performer sur le toit-terrasse du quartier général romain de Fendi. Qui ne connaît pas l’illustrateur londonien à succès de 25 ans, ou au moins ses réalisations (il possède depuis plusieurs années déjà une fâcheuse mais

talentueuse tendance à “doodliser” tout ce qui lui passe sous le marqueur, que ce soient des murs, des immeubles, des meubles, des véhicules…) a forcément plus de 30 ans. Ce petit prince du street art bien en phase avec les millennials a donc relevé le défi lancé par Fendi : pratiquer sur place – en 48 heures de performance et à raison de quatre marqueurs par jour – une incontinente création qu’il définit lui-même comme “Obsessive Compulsive Drawing”, dessinant en noir et jaune personnage après personnage, avant de les faire tous se connecter ensemble, au millimètre près. “Doodliser, c’est toujours sympa, reconnaît-il, mais doodliser sur ce roof-top, c’était incroyable !” La rumeur dit d’ailleurs qu’il a largement outrepassé la surface qui lui était impartie (un comptoir en verre miroir) pour déborder sur le toit, puis à l’intérieur du bâtiment, le Palazzo della Civiltà Italiana. Sans oublier un sac “Peekaboo”, best-seller Fendi, qui a eu droit lui aussi à une sauvage customisation. Impératifs commerciaux obligent. 100

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Détournement par Mr Doodle d’un grand classique, le “Peekaboo”.


Vue aérienne du toit du quartier général de la marque à Rome, après le passage de Mr Doodle.


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Ambiance underground et industrielle pour la prĂŠsentation Moncler Genius automne-hiver 2019/2020.


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MONCLER CASSE LA BARAQUE

Il y a presque deux ans, la marque fut la première à oser reconsidérer l’intégralité de son fonctionnement afin de mieux répondre à l’époque. Le pari était fou, mais les premiers résultats lui ont donné raison, et en font aujourd’hui un modèle du genre.

Difficile de résumer un projet d’une telle envergure. Lorsqu’en février 2018 l’entrepreneur italien Remo Ruffini, directeur général et propriétaire de la marque grenobloise depuis 2003, a présenté pour la première fois l’opération “Moncler Genius”, l’annonce a fait l’effet d’une bombe. Prétendre repenser l’ordre établi depuis des décennies dans l’industrie de la mode en “disruptant” le système, afin d’être en mesure de mieux répondre aux attentes des générations à venir, semblait hérétique. Tout ça autour d’un seul maître mot : inclusivité, ce concept nouveau qui consiste à fédérer une communauté en y intégrant un maximum de clients potentiels qui s’y reconnaîtront. Le chantier s’annonçait dantesque, à la hauteur des ambitions de la maison, qui ne cachait pas sa volonté d’ouvrir une nouvelle ère. “Future Starts Now”, avertissait la baseline de sa comm’. Pour mettre en route ce programme, la stratégie globale de l’entreprise a été bouleversée, à partir de deux décisions empiriques : un, il faut oublier le rythme des saisons ; deux, il faut refuser le principe d’un seul designer star. Au motif qu’il est impossible de séduire les millennials comme avant, eux qui aujourd’hui ne vibrent qu’à coups de capsules (ou drops), de storytelling, de digital first, d’expérience client… Il faut leur parler autrement, en réinventant toute la chaîne de A à Z – ses canaux de production, de distribution, de communication –

avec flexibilité et réactivité. “Un véritable bond en avant”, avait prévenu Remo Ruffini, et un travail à mener sur le long terme. Et pourtant ! Moncler Genius est parti sur les chapeaux de roues, conforté par des résultats financiers immédiats (plus de 20 % de croissance du chiffre d’affaires en 2018), et établi sur un seul et même principe fédérateur : “One House, Different Voices”, qui une fois rodé semble aujourd’hui presque une évidence. Une sorte de plate-forme de créateurs prestigieux, travaillant tous pour une même marque à l’élaboration de dix collections capsules – cette année, pour l’homme, on retiendra les collections de Craig Green, de 1017 Alyx 9SM, de Fragment Hiroshi Fujiwara et de Palm Angels –, distribuées au compte-goutte à raison d’une par mois tout au long de l’année (début octobre sort la collection 7 “Moncler Fragment Hiroshi Fujiwara”) et visibles sur des canaux online et offline. Ajoutez à cela l’idée du “Moncler Genius Building”, adresse physique mais éphémère et nomade où, en collaboration avec la ville de Milan, le féru de mode peut découvrir une fois par an en février, lors de la fashion week, un espace exceptionnel, où l’esprit maison devient une expérience inédite à ne manquer sous aucun prétexte, et vous aurez en substance l’âme de ce que la marque appelle sa “république de l’imagination”.


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ERMENEGILDO ZEGNA SUR LE LONG TERME Publication d’un manifeste, campagne institutionnelle, programme de création responsable, signature du Fashion Pact… La maison italienne prend position pour l’avenir et confirme un siècle d’engagements dans l’industrie du luxe.

La maison Ermenegildo Zegna possède des valeurs historiquement solides, et elle est plus que centenaire. Comment tirer parti de cette longévité pour parler à la jeune génération ? C’est indéniablement un avantage. Depuis le premier jour (soit depuis 110 ans, ndlr), ­l’entreprise a toujours été un modèle d’implication et d’engagement – social, environnemental – selon le credo de son fondateur, Ermenegildo Zegna, qui était

incroyablement précurseur (bien avant la responsabilité sociétale des entreprises, ou RSE, et autres développements durables, ndlr). Il disait que la meilleure façon de faire des produits de qualité était de s’assurer qu’ils soient réalisés dans de bonnes conditions de travail, dans un environnement protégé. Logements, école, parc naturel d’Oasi Zegna… La petite ville de Trivero était déjà, au début du xxe siècle, une référence en matière d’engagement. Depuis, la maison a toujours veillé à garder son ouverture d’esprit sur ces sujets sensibles, aujourd’hui au cœur des enjeux économiques contemporains. Donc je pense que la longévité, l’expérience et l’héritage d’une entreprise comme Ermenegildo Zegna sont un atout plutôt qu’un frein à une évolution rapide et efficace dans ce domaine. Certains vous diront qu’un manifeste, aussi engagé soit-il, ce ne sont jamais que des mots. Des actes concrets sontils engagés ? Bien évidemment. Nous sommes dans l’action au quotidien, bien au-delà des simples mots. Avoir constamment en tête de nouveaux projets fait partie de la dynamique ­Ermenegildo Zegna, surtout en matière de développement durable. Mais ces programment existent ! Qu’ils soient sociaux, comme ce programme éducatif que nous soutenons actuellement en reversant les dons de la vente des tee-shirts “#WhatMakesAMan”, ou qu’ils soient 104

environnementaux, telle cette opération de reforestation, ou encore ce gros effort d’investissements réalisé l’an dernier pour l’achat de nouvelles machines de production capables de retraiter les textiles recyclés dans le cadre de notre programme créatif “Use The Existing”… Pour votre campagne publicitaire, vous avez mis en scène des quadragénaires plutôt que des représentants de la jeune génération. Pourquoi ce choix ? C’est un point important, sur lequel nous n’avons pas encore eu l’occasion de nous exprimer. Pour cette nouvelle campagne, capitale sur le plan stratégique, nous voulions avant toute chose collaborer avec des amis de la maison. Il y avait quelque chose de très organique. Il n’était pas concevable de travailler sur ce projet avec des équipes inconnues, qui seraient passées là une saison avant de disparaître. Nous préférons la durée. Le choix de l’acteur américain Mahershala Ali en est l’exemple parfait. Je l’ai rencontré il y a trois ans dans notre boutique de Los Angeles et j’ai été immédiatement séduit et impressionné par son grand sens du style, sa passion pour le sur-mesure et son intérêt pour la marque ! Nous sommes depuis restés en contact et nous l’habillons même régulièrement pour la cérémonie des Oscars. Bref, pour ce casting, nous avons chez Ermenegildo Zegna dressé une liste de personnes (des amis, des clients de la maison), bien loin de considérations d’âge. Ce qui nous importait,

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L’Officiel Hommes : Le nouveau manifeste de la maison, publié début septembre, annonce une “étape importante pour le futur de la marque”. Pourquoi maintenant ? Alessandro Sartori : Aujourd’hui, il est capital pour nous de penser et d’agir bien au-delà de la mode, en fédérant d’autres domaines : c’est la teneur de ce message. Dans ce Manifesto, notre directeur général Gildo Zegna l’affirme : “Nous voulons être dans notre temps, instaurer de nouvelles frontières pour la marque et prendre position pour un monde meilleur.” Mais pour savoir où l’on va, encore faut-il savoir d’où l’on vient et qui l’on est. C’est valable pour l’entreprise, mais aussi pour nos clients. L’individualité et la personnalité sont à nos yeux des valeurs contemporaines capitales. Notre priorité est d’instaurer une conversation à ce sujet, avec notre langage, notre grammaire, et le fait que nous connaissions très bien nos clients, notamment grâce à notre service sur mesure, est un atout.


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Le manifeste #WhatMakesAMan s’affiche sur un mur de New York.

c’était qu’ils soient proches de la maison, de nos valeurs et du concept de la campagne que nous leur avons présenté en détail. Il fallait de l’authenticité pour faire passer un tel message. Dès la mise en ligne des posts de la campagne accompagnés du hashtag #WhatMakesAMan, les réseaux sociaux ont commenté le Manifesto, et pas toujours en bien. Cela vous surprend-il ? Pas tout à fait. Nous aimons cette idée d’avoir ouvert une porte sur la discussion, la réflexion, et – qui sait ? – le changement. C’est ce que nous souhaitions. Les avis sont partagés, c’est vrai, mais en majorité très positifs. Surtout, ils suscitent beaucoup d’échanges sur les réseaux, ce qui est finalement assez drôle et plutôt bon signe. La mode responsable est chez vous aussi un sujet d’actualité, et vous avez l’an dernier lancé le programme de création “Use The Existing”. Pouvez-vous nous le présenter ? “Use The Existing” est une petite partie de la collection podium que nous avons lancée cet hiver à titre expérimental et qui

se révèle déjà concluante, avec une clientèle très réceptive. L’idée, atypique pour le secteur, est de créer des vêtements à partir du recyclage de matières naturelles, et non synthétiques ou plastiques comme le font les autres marques engagées dans le combat. Cette démarche est très novatrice, et nous souhaitons qu’elle soit rapidement élevé au rang d’exemple. Ce défi du zéro déchet nous tient véritablement à cœur. C’est même un cheval de bataille prioritaire de notre stratégie globale et de notre implication pour une mode responsable. L’entreprise a l’énorme avantage d’avoir un mode opérationnel totalement vertical, ce qui est le cas de très peu de maisons de luxe dans la mode. Nous maîtrisons toute la chaîne, du sourcing des matières premières aux quatre coins du monde (Australie, Nouvelle-Zélande, ­Mongolie, Pérou, Afrique du Sud…) à leur collecte, leur acheminement, et jusqu’à l’approvisionnement des boutiques, en passant par le studio de création et les ateliers de Trivero, dans le Piémont, dans le nord de l’Italie. Nous contrôlons vertueusement tout le circuit, avons l’expérience et les moyens pour le faire. Et ça ne s’arrête pas 105

à l’achat d’une machine, c’est tout un état d’esprit au sein de l’entreprise. Ermenegildo Zegna fait partie des 32 entreprises de l’industrie de la mode et du luxe (soit 147 marques) qui ont récemment signé le Fashion Pact lancé par François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering. Le fait d’être ainsi officiellement engagé dans le développement durable change-t-il la donne ? Pour être tout à fait honnête, le sujet a alimenté pas mal de conversations en interne pendant le mois d’août ! Il est certain que nous allons devoir être opérationnels très rapidement, mais nous sommes prêts. L’intégration verticale de l’entreprise, dont je parlais tout à l’heure, avec cette structure et ce fonctionnement déjà établis depuis longtemps chez Ermenegildo Zegna, en témoigne. Un simple exemple, très concret : certaines de nos usines fonctionnent avec une électricité que nous n’achetons pas, mais qui est produite sur place de façon hydraulique, et donc renouvelable, en totale autonomie. Nous avons beaucoup d’idées comme celles-là à partager avec les membres du Fashion Pact.


STYLE

AHMED AMER ET LA MODE ENGAGÉE Auteure F.A.D

Il fait mode de tout bois ou plutôt, de tout bois il fait une mode. Ahmed Amer est un créateur atypique tel qu’en produit abondamment la jeune scène libanaise. Son parcours, de l’architecture d’intérieur à la couture, en témoigne. Illustrateur, « perfomer », architecte de silhouettes, il est avant tout activiste, et tout ce qu’il crée est message.

À peine obtenu son diplôme en architecture d’intérieur à l’Université libanaise, Ahmed Amer ne peut se résoudre à abandonner son rêve de devenir créateur de vêtements. C’est ainsi qu’il se tourne vers Creative Space Beirut, une structure d’enseignement gratuite dédiée à la mode qui célèbre cette saison ses dix ans d’existence. Créée à Beyrouth par Sarah Hermez avec l’aide de Caroline Simonelli, son professeur et mentor, CSB reflète l’esprit polyvalent de sa fondatrice, elle-même diplômée en mode à Parsons New York avant d’enchaîner avec des études en média et cultures à Eugene Lang. L’idée de CSB lui est venue avec l’envie de partager et de transmettre, et la conviction ferme et profonde que l’instruction doit être accessible à tous. Pari gagnant puisque, à peine sortis de l’atelier, les étudiants cartonnent. Il n’est que de citer, parmi eux, Roni Hélou, récemment lauréat du concours Fashion Trust Arabia. Ahmed Amer, pour sa part, n’est pas en reste. Sa collection de diplôme, présentée en 2017 rue Foch, dans un espace guérilla transformé en grotte, montre déjà l’activiste qui perce sous le créateur, l’illustrateur qui s’en donne à cœur joie sur les tissus du couturier et l’œil de l’architecte dans la rigueur des patrons. Cette collection, baptisée Corruption, est déjà un manifeste à part entière : des personnages obèses sont brodés sur de sublimes ensembles monochromes inspirés du kimono. La corruption, source de l’injustice sociale, est ici dénoncée à travers l’un des signes de richesse extérieure les plus évidents : le vêtement. Suivront d’autres projets et collaborations, notamment la création des costumes de scène de Ali Chahrour pour une chorégraphie présentée à l’Institut du monde arabe à Paris, ainsi que des performances d’illustration spontanée lors des concerts de Vladimir Kurumilan. La singularité et la maîtrise d’Ahmed Amer lui attirent le désir de labels établis qui lui proposent la création 106


ENVIRONNEMENT

Illustrations Ahmedamer

de capsules. Ainsi du multimarques de luxe Santiago pour lequel il crée une collection, entre vêtements et tableaux brodés, intitulée Your Inner Mairmaid Breezes In. Cette collection, suivie d’une capsule pour Black Velvet, inaugure un nouveau combat en faveur de l’autonomisation et du renforcement des femmes. Ils se traduisent en robes et tailleurs-pantalons sublimement coupés et brodés, de motifs marins pour les premiers et de graffitis déjantés pour les seconds. Faciles à porter, les blazers déstructurés se nouent avec une ceinture, et les robes, fluides, soulignent une féminité puissante et résolue. Le créateur nous en dit davantage. Parlez-nous de votre parcours Je suis un créateur de mode et illustrateur indépendant. En tant que créateur de mode, je développe des lignes de prêt-à-porter selon un processus organique plutôt que structuré. Ces collections comprennent des tenues pour hommes et femmes, et pour les deux à la fois. Mes collections sont toujours inspirées par les personnes qui m’entourent, par des événements, positifs ou négatifs, qui se produisent dans ma vie personnelle et/ou par les problèmes de société qui nous concernent en tant que citoyens au Liban. Non seulement je travaille à la création de mes propres lignes, mais je cherche aussi continuellement à collaborer avec des boutiques et d’autres créateurs de mode. Je m’efforce également de travailler avec des artistes de la scène libanaise (par exemple des danseurs, des metteurs en scène) pour lesquels je crée des costumes qui correspondent au thème et à la vision de leurs performances. En tant qu’illustrateur, je crée des illustrations qui me permettent de transmettre un message à travers mes créations de mode. Illustrer est une technique essentielle que j’ai développée et enseignée 107

au fil de mon parcours et qui m’a aidé à réaliser ma vision en matière de mode. C’est la base de mon travail. De plus, je travaille actuellement en tant qu’instructeur en illustration de mode chez Creative Space Beirut. Je collabore également avec des musiciens lors de performances au cours desquelles je réalise en direct des esquisses de mes illustrations inspirées par leur musique». Que représente pour vous Creative Space Beirut ? Quand je repense à CSB, le premier mot qui me vient à l’esprit est « chez moi ». Mon parcours de trois ans à CSB a été pour moi l’expérience de toute une vie. Au cours de ces trois années, j’ai appris tout ce qui m’a aidé à devenir la personne que je suis aujourd’hui. J’ai travaillé sur moi-même en tant que personne, développé mes compétences en tant qu’illustrateur et designer, et développé ma marque. Je considère CSB comme un navire qui m’a rempli d’une immense énergie créative et nourri mes rêves d’une manière que j’essaie encore de comprendre. La particularité de ce navire est que tout le monde y contribue, et les résultats changent la vie de chacun, à chaque fois. J’ai l’impression d’avoir mûri à bien des égards. CSB m’a permis de me sentir prêt à assumer mes responsabilités en tant que designer. À quel moment avez-vous décidé de vous servir de la mode comme manifeste et véhicule d’idées ? Auparavant, je travaillais dans une ONG avec laquelle je m’occupais de différents problèmes de société (par exemple la violence, la corruption, le droit d’expression). Ces problèmes m’ont vraiment touché et j’ai ressenti le besoin de les aborder et de garder le message vivant au cœur de la vie quotidienne des gens. Tout au long de mon parcours à CSB, j’ai appris que je pouvais


STYLE

projections du chaos dans lequel nous vivons. Elles véhiculaient des images d’êtres peu attrayants, sourires narquois et membres envahissants. Ces êtres ressemblaient aux facteurs de corruption que nous avons appris à reconnaître. Je les ai utilisés pour montrer comment ces images de corruption étaient partout et dans tout, en particulier à travers les tenues blanches sur lesquelles elles ont laissé, à mon avis, un impact clair et mémorable.

Comment s’est développée l’idée de votre première collection ? Le thème de cette collection évolue autour de la structure corrompue de ce pays, toute de violence, de destruction et de violation des principes. Je me suis interrogé sur la solution qu’on pourrait apporter à ce désastre structurel et ses ramifications. J’ai décidé d’y faire face à travers la satire. J’ai imaginé un monde où chaque individu serait connecté, à travers une puce, à une « puce matricielle » qui récompenserait ou punirait leurs actes. Ma vision était constituée d’un code de quatre couleurs, chacune représentant une certaine énergie : rouge pour la joie, noir pour le besoin de changement, olive pour la sagesse et la stabilité, blanc pour la pureté et la transparence. Mon dernier modèle était d’un blanc troublé, symbole de l’impossibilité de rêver de transparence et de pureté tant qu’aucune action n’est entreprise pour y parvenir. La solution est dans la prise d’initiatives et non dans la passivité du rêve. Les illustrations / broderies étaient des

Plutôt illustrateur ou plutôt styliste ? Je joue les deux rôles, en fait, simultanément. Chacune de mes compétences nourrit l’autre. En tant que styliste, je suis continuellement à la recherche d’une manière de transmettre un certain message ou une inspiration. Mes illustrations m’aident à le visualiser. Vous avez collaboré avec Ali Chahrour sur les costumes de sa chorégraphie « Leil». Quelles ont été les difficultés de cette expérience ? Que vous a-t-elle apporté ? Transmettre un concept qui n’était pas forcément le mien a constitué pour moi toute une nouvelle expérience. En même temps, j’essayais d’intégrer mon propre concept dans les costumes de scène réalisés pour Ali Chahrour. Il y avait un défi à concevoir des costumes qui devaient refléter à la fois la personnalité de chaque danseur et l’idée générale du chorégraphe. Il y avait un autre défi qui consistait à faire en sorte que les costumes soient puissants sans faire de l’ombre aux autres éléments de la mise en scène (éclairage, scénographie…). Il a 108

fallu pour cela travailler non plus en solo, mais en collaboration continue avec toute l’équipe en prenant en compte les souhaits et la vision de chacun. Quelle est votre vision de la mode des prochaines années ? La mode est en évolution continue. Elle est mieux comprise par le public comme support de messages, comme une manière d’attirer l’attention sur les problèmes de notre époque et même comme moyen d’expression de soi. Je voudrais contribuer à ce que les gens perçoivent le vêtement non seulement comme un objet de mode et de couture, mais aussi comme un moyen puissant de transmettre quelque chose. Qu’est-ce qui vous stimule ? Les relations, la famille, la beauté des liens entre familles. La beauté et la difficulté des relations humaines. La manière dont naissent l’amour et l’amitié. Votre projet en cours ? Je travaille actuellement sur ce qu’on pourrait appeler une marque « d’art de vivre». Il s’agit d’un ensemble de projets pour lesquels je souhaiterais collaborer avec des concepteurs d’objets, de produits, de meubles et de luminaires de manière à ce qu’il en ressorte un ensemble reflétant notre identité en tant que créateurs beyrouthins. J’aimerais ainsi utiliser la méthode avec laquelle je crée moi-même mes collections pour concrétiser cette idée. @ahmedamerofficial

Photo George Rouhana; Modèle Mayssa Najm

faire passer la mode au niveau supérieur et transmettre un message à travers le vêtement. J’ai également choisi le prêt-à-porter car il peut être porté à différentes occasions. Les messages que je souhaite transmettre par le biais de mes vêtements et collections de mode sont des messages sur lesquels je souhaite sensibiliser en permanence. Je voudrais que les gens transmettent ces messages tant dans leur vie quotidienne qu’au cours de nombreux événements quotidiens.


Photos Elias Abkar; Modèle Vladimir Kurumilian

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COMME UNE OMBRE La parfumerie parle de sillage, invite à suivre la senteur irrésistible dont on peut tomber amoureux. Mais le parfum reste cette enveloppe invisible, ombre, nuage insaisissable qui nous raconte sans rien dire.

Photographie Tony Elieh Direction de création Mélanie Dagher Direction artistique Sophie Safi


Eau de parfum “Iris Cèdre”, PRADA. Page de gauche: eau de parfum “Y”, YVES SAINT LAURENT.


Eau de toilette “CH Men Privé”, CAROLINA HERRERA. Page de droite: eau de parfum “Wood Neroli”, BVLGARI.



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« Maison du Mec » pour être soi

« J’ai baigné depuis tout petit dans le commerce de détail, mon grand-père était tailleur sur-mesure, poursuit le jeune créateur. Il m’a toujours intrigué, il a éveillé ma curiosité… J’ai eu l’envie de créer ma propre marque très jeune mais j’ai attendu le moment opportun pour franchir le pas. Il m’importait beaucoup d’être suffisamment mur pour le faire ». Avant de concrétiser son rêve et créer sa propre enseigne de vêtements, Joseph Achajian a ainsi travaillé dans le visual merchandising au Liban puis dans le management du département créatif à l’« Agence », l’un des

premiers incubateurs de mode en Arabie Saoudite. Responsable des études de marché et des tendances à Riyad pendant près de trois ans, il a acquis de solides bases avant de lancer en août 2018, sa propre marque, « Maison du Mec »…et réaliser, à 33 ans, les pièces vestimentaires qui lui trottaient dans la tête depuis longtemps. Résultat : chaque vêtement est abouti. Réfléchi et dessiné dans les moindres détails, il renferme sa propre histoire. Inspirés du quotidien et des tendances artistiques qui traversent le monde de la mode, les articles estampillés « Maison du Mec » possèdent une dimension particulière. A la fois originaux, avant-gardistes et confortables, ils apportent allure et prestance en conférant vécu et profondeur à chaque tenue. La veste « wrap tuxedo » à titre d’exemple, à mi-chemin entre le costume et le kimono, sort des sentiers battus en mariant les matières et les styles. « C’est une des pièces que j’aime le plus, souligne le jeune créateur. Je suis très heureux de l’avoir conçue, elle a cette faculté de faire ressortir de la foule tout homme qui la porte ». Le crop-top de la toute nouvelle marque libanaise est tout aussi atypique. Très graphique, il redéfinit le port du costume chez l’homme. Après des années de blazers, la création de ce top offre un nouveau souffle à la veste. « Sa conception s’est faite de manière simple et sophistiquée, estime Joseph Achajian. Elle s’inscrit parfaitement dans un style que je définirais comme un décontracté formel ». 116

Photos second:three

« Maison du mec » vient tout juste de souffler sa première bougie. La marque de prêt-à-porter libanaise pour hommes n’en est qu’à ses balbutiements. Pourtant, avec sa patte minimaliste et avant-gardiste, elle semble déjà apporter une nouvelle respiration au monde de la mode. En combinant des coupes simples, des lignes architecturales et des finitions aussi précises que techniques, « Maison du Mec » rhabille en effet la nouvelle génération, en lui offrant une silhouette contemporaine certes, mais également et surtout intemporelle. L’allure est ainsi graphique, allongée et élégante, et confère à ses modèles charisme et confort. « Maison du Mec est une marque brute et sans vergogne », assure son fondateur Joseph Achajian, un jeune homme qui a grandi à Mar Mikhaël, à Beyrouth où il a étudié la biologie et travaillé dans la vente au détail avant de partir à l’étranger étoffer son expérience et développer ses connaissances.


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Auteure JOSÉPHINE VOYEUX Minimaliste, novatrice, atypique, « Maison du Mec » cette nouvelle marque de prêt-à-porter 100% masculine, lancée au Liban en 2018, pensée et conçue par Joseph Achajian, 34 ans, revisite les codes de la mode en s’affranchissant des normes et conventions. Avec audace, force et caractère.

Entre smokings, kimonos et pochettes ultra avant-gardistes, géométriques et graphiques, « Maison du Mec » redéfinit sans détour les codes de la mode. Elle s’affranchit des conventions rigides du prêt-à-porter pour apporter tout en douceur une touche décalée et personnalisée à ses clients. La cible est large: le dynamique directeur artistique de la marque affirme créer des habits pour des hommes de tout âge et de toutes origines. Sa marque, désormais disponible au Department store du centre commercial ABC à Achrafieh, est également distribuée à travers le monde via un service de livraison international. « Maison du Mec » s’adresse simplement à une clientèle non conformiste… à ceux que Joseph Achajian qualifie d’ « explorateurs urbains ». Et c’est sûrement là le secret de la marque de fabrique de « Maison du Mec ». Son impertinence et son outrecuidance. Peu importe la norme édictée par la société, la toute nouvelle marque masculine 117

libanaise n’a pas peur d’innover et de créer pour repenser notre façon de vivre à travers notre garde-robe. S’habiller, c’est aussi s’affirmer. Trouver et assumer sa singularité. Et cela, Joseph Achajian l’a bien compris. « Maison du Mec porte un message fort, martèle-t-il. La marque s’adresse à chaque individu qui a été limité dans l’affirmation de ses ambitions et de ses talents pour coller aux diktats de notre société et du marché. Sans vergogne, soyez-vous-mêmes, entourez-vous des bonnes personnes et comme si de rien n’était, découvrez votre propre voie ». Un brin insolente mais décidément courageuse, « Maison du Mec » ne propose pas uniquement de rhabiller la jeune génération. Son discours est aussi puissant que militant. A travers des vêtements atypiques et ultracontemporains, elle semble offrir à ses contemporains l’opportunité de mieux se connaître et de s’écouter.

@maisondumec


L’ANNÉE DU ZÈBRE

Au regard des arbres, on n’est jamais qu’un zèbre de plus. Comme eux debout, comme eux rhabillés au gré des saisons, nous remuants, eux immobiles, nous inventons nos vies, ils changent. Mais pour que rien ne change. Photographie Bachar Srour Stylisme Selim Bourdoukan Direction de création Mélanie Dagher Direction artistique Sophie Safi


Chemise, FENDI. Pantalon, DIOR.


Sac, BURBERRY. Veste et jeans, GUCCI.



Manteau, CORNELIANI. T-shirt et pantalon, GUCCI. Page de droite: bonnet, OFF-WHITE. Veste, BURBERRY. T-shirt, DSQUARED2.




Veste, BURBERRY. Pantalon et sac, GUCCI.


Pull et sneakers, BALENCIAGA. Pantalon, OFF-WHTE. Banane, DIOR. Modèle, CARLO KASSABIAN.



AHMAD KONTAR, UN CRI DU CORPS

Photographie JULES FAURE Stylisme CLÉMENT GUINAMARD ET TIPHAINE MENON Direction de Création MÉLANIE DAGHER Direction Artistique SOPHIE SAFI Set design NICOLA SCARLINO


Jusque-là, on avait cru que le nombre d’or était une vue de l’esprit, une conception artificielle de la beauté basée sur des proportions quasi introuvables dans la nature. Or voici qu’apparaît dans le paysage de la mode un jeune Syrien, rescapé d’une longue traversée vers la France, doté d’une plastique si rare qu’on imaginerait, en le voyant, le Discobole de Myron prendre vie. Ce corps sculpté par le foot, le basket et le breakdance fait de lui un mannequin vedette, d’abord pour GmbH puis Jacquemus et Hermès. Mais à 23 ans, Ahmad Kontar est bien plus qu’une belle image. Il a le rythme, l’intelligence de l’espace, et cette immense et si rare humanité dans le regard. Son corps est aussi un cri. Il nous raconte.


Chemise, pantalon et chaussures, GUCCI.



Veste et chemise, GIVENCHY.


Originaire de Syrie, vivant en France, que vous a apporté votre enfance syrienne, quels souvenirs en gardez-vous ? Beaucoup de souvenirs… J’en évoquerais principalement un avant et un après, deux périodes, la première étant celle de mon enfance, avant la révolution et la guerre en Syrie. A cette époque, notre vie était relativement stable. J’ai grandi dans une ambiance familiale chaleureuse. Nous subissions peu de contraintes tant que nous ne nous mêlions pas de politique. C’est du moins ma vision d’enfant de notre vie d’alors, je ne donne pas ici mon avis d’adulte. La fratrie s’entendait plus ou moins bien avec un père, architecte, à cheval sur la discipline, très exigeant mais motivant en termes d’éducation. Notre mère, psychanalyste, était travailleuse, tolérante toujours à notre écoute, rationnelle et motivante elle aussi. Tous deux ont toujours été présents pour moi et pour ma sœur jumelle Sara avec laquelle j’ai traversé cette période main dans la main. Notre vie modeste nous suffisait largement. Sara et moi-même avions la possibilité de faire ce que nous voulions, tant que nous ne faisions de mal à personne ou à nous-mêmes. Durant la guerre les choses ont radicalement changé … Quand et comment êtes-vous arrivé à Paris ? Comment se sont déroulés vos premiers mois dans cette ville ? Arriver à Paris fut une des grandes épreuves que j’ai eues à vivre avec Sara. Notre traversée a duré deux mois à travers sept pays, à pieds, en bus, en train ou par bateau. Dès le lendemain de mon arrivée, j’ai commencé à travailler mon français. Je voulais apprendre la langue le plus vite possible, malgré la fatigue et la frustration dues au trajet que nous avons parcouru, car je me suis

rapidement rendu compte que l’aventure, contrairement à ce qu’on pouvait croire, venait juste de commencer. Ensuite, entre les démarches administratives et les cours de français à la Sorbonne, la vie a pris un rythme trop rapide qui ne nous a pas laissé suffisamment de temps pour réaliser ce qu’il nous arrivait, où nous nous trouvions. J’étais donc en rupture avec la réalité et j’avais l’impression de vivre une sorte de rêverie… Auriez-vous pensé un jour devenir mannequin ? Quels étaient vos plans au départ ? Honnêtement non. Arriver ici, apprendre le français, reprendre mes études de manière générale…c’était un peu difficile d’avoir tout de suite des plans déterminés. Mon premier plan, c’était de trouver un plan pour ma nouvelle vie et ne pas rester sans rien faire. Par la suite, mes voies se sont précisées petit à petit, à mesure que j’explorais la société qui m’entourait et accumulais des connaissances sur son fonctionnement …. Comment a commencé pour vous cette carrière ? Une personne qui m’arrête dans la rue et me demande si cela m’intéresserait de faire du mannequinat … Comment se sont passées vos premières expériences ? Qu’est-ce qui vous a le plus enthousiasmé, qu’est-ce qui vous a déçu ? J’étais dans une phase de transition dans ma vie, et ce métier est arrivé au milieu de cette phase où effectivement je n’arrivais pas vraiment à bien raisonner, surtout parce que je sortais d’une opération à l’épaule … Je ne me rendais pas compte de ce qui se


Jeans et bandana, DES JACQUERIES. Page de droite: Chemise et jeans, DES JACQUERIES.



passait autour de moi. C’était comme si je vivais en permanence dans un rêve ou un cauchemar et que je risquais de me réveiller à n’importe quel moment. Du coup ma première expérience avait été très perturbée, avec beaucoup de flash-backs de ma traversée avec ma sœur jusqu’en France, et des comparaisons de situations, de regards qu’on portait sur moi. Ce qui m’a le plus enthousiasmé : Le seul fait de me trouver dans ce milieu suscite mon enthousiasme. Savoir que je peux donner quelque chose qui pourrait être enrichissant, et découvrir une autre facette de moi. Ce qui m’a déçu : Je n’ai pas vraiment eu de déception, j’ai été frappé par certaines réalités.

plus, a permis à mon corps de se sculpter indépendamment de ma volonté. Mon physique n’est que la suite logique de ce processus et non un objectif de départ.

Votre plastique, en particulier votre buste, enflamme l’industrie de la mode. Comment s’est-elle construite ? Comment l’entretenez-vous ? Avoir une passion dans la vie, dans mon cas le break-dance et le basket, et le fait d’aimer énormément ce que je fais sans en avoir jamais assez et en voulant toujours

Combien de temps pensez-vous exercer ce métier ? Quel est votre plan B ? Aussi longtemps que je prendrai plaisir à le faire et que je serais capable de donner quelque chose. Mon plan est de finir mes études (ndlr : Ahmad Kontar est étudiant en kinésithérapie à Rouen) et voir où me mènera ce métier par la suite.

Qu’est-ce qui, à votre avis, vous distingue de vos confrères dans ce milieu ? Je crois que nous avons chacun une histoire qui lui est propre, une histoire unique et qui nous distingue de toute autre histoire. En ce qui me concerne, je pense avoir de la chance que l’on s’intéresse à la mienne Comment vous habillez-vous en dehors des défilés et des shoots ? Je m’habille normalement. Je pense avoir un style, mais après, c’est aux gens en face d’en juger.


Veste et pantalon, WALES BONNER.



Manteau, GMBH. Chemise et pantalon, SEAN SUEN Page de gauche: cardigan, DRIES VAN NOTEN.


Veste en cuir, ISABEL MARANT HOMME. Page de droite: pull et pantalon, DRIES VAN NOTEN. Chemise, MAISON MARTIN MARGIELA.



Manteau, SEAN SUEN. Chemise et pantalon, ROCHAS. Page de droite: costume, VIVIENNE WESTWOOD. Mules, WALES BONNER.



Pull, MAISON MARTIN MARGIELA. Page de droite: chemise et jeans, DES JACQUERIES. Assistant photographe, GUILLAUME NOE MASSON. Mise en beauté, MARIANNE AGB.



7FO R A L L M A N K IN D.C O M BEIRUT SOUKS, SOUK EL TAWILEH T. 01 99 11 11 EXT: 560 AÏSHTI BY THE SEA, ANTELIAS T. 04 71 77 16 EXT: 263 ALSO AVAILABLE AT ALL AÏZONE STORES IN BEIRUT, DUBAI, AMMAN



CEUX QUI CHANGENT LE MONDE

ZIAD ABI CHAKER TRANSFORME LES DÉCHETS EN RESSOURCES

Greenwalls, contre la laideur des jungles de béton, les sacs en plastique sont recyclés en panneaux végétalisés. Ici, un mur de l’HôtelDieu à Achrafieh.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous convertir et investir dans l’industrie du recyclage ? Je n’ai jamais considéré ce travail comme un « investissement». À 19 ans, une sorte d’épiphanie m’a conduit à adopter une philosophie de vie qui consiste à ne pas nuire à l’environnement et donc à ne nuire à aucun être vivant. Mon expérience en ingénierie industrielle m’a appris à concevoir des processus financièrement viables et pas nécessairement très rentables. Ainsi, la majeure partie du travail que nous effectuons 148

Photo DR

Parlez-nous de votre parcours Je suis ingénieur. J’ai étudié l’ingénierie environnementale et industrielle à l’Université Rutgers, dans le New Jersey, aux États-Unis. Depuis 1991, tout mon travail repose sur le principe qui consiste à considérer les déchets comme une ressource et non comme un problème. En spécialité « Déchets solides » j’ai eu la chance de faire mon apprentissage avec plusieurs professeurs convaincus par cette philosophie. J’ai commencé Cedar Environmental en 1991 alors que j’étais encore étudiant en 2e année, et je suis rentré à Beyrouth en 1996 pour approfondir le travail et l’expérience que j’ai acquis aux États-Unis.


CEUX QUI CHANGENT LE MONDE

Ingénieur environnemental et industriel, Ziad Abi Chaker joint ses multiples compétences sous le label Cedar Environmental pour traiter les déchets de manière profitable. Jouant la viabilité financière contre la rentabilité, il nous parle de sa philosophie, assurant que les solutions techniques sont faciles à trouver, rapides à appliquer, à condition d’être soutenues par une volonté politique. Auteure F.A.D

chez Cedar Environmental est financièrement viable et doit en même temps avoir un impact positif sur la protection de l’environnement. Je pense que si le monde entier se trouve dans un «mauvais» environnement, c’est que la plupart des gens considèrent le travail environnemental sous l’angle de la «rentabilité» et en déduisent que s’il n’est pas suffisamment rentable, il n’est pas viable. Je considère la pollution plastique comme un exemple frappant à cet égard. Vous avez été primé à plusieurs reprises. Parlez-nous de vos principales inventions. Mon premier brevet concernait une technologie permettant d’accélérer le compostage des déchets organiques. Ma deuxième invention était basée sur une technologie permettant de recycler les sacs en plastique dans les panneaux «ECOBOARDS». La troisième permettait de traiter les déchets d’abattoirs et les transformer en engrais de haute qualité. Je travaille actuellement sur une technologie à faible coût pour traiter les eaux usées. Le plastique est-il toujours « maléfique » et l’usage du bois et du fer « écologique » ? Je pense que le plastique est un matériau fantastique, ce sont les humains qui le gèrent mal. Ils ne connaissent pas sa valeur réelle. Parmi certaines de ses meilleures propriétés, le plastique peut durer 500 ans et est totalement imperméable à l’eau. Dans toutes mes recherches et mes travaux de développement, j’ai toujours gardé cela à l’esprit pour créer des matériaux durables. Le bois et l’acier ne sont pas aussi écologiques que le prétendent les gens. Après tout, nous coupons davantage d’arbres pour fabriquer du bois, puis nous replantons, et nous extrayons également l’acier à un rythme malsain. Dans mes usines, j’essaie surtout de réduire au maximum l’utilisation d’acier et de bois et de compter davantage sur les plastiques « recyclés ». Qu’est-ce qui a conduit le Liban, en dehors des questions politiques et communautaires dont nous ne parlerons pas

ici, à cette inextricable crise de déchets à laquelle il fait face aujourd’hui ? Tous les problèmes commencent de manière technique et peuvent être résolus rapidement. Cependant, une fois que la politique est impliquée, les choses commencent à se compliquer. Puisque vous ne voulez pas parler de politique ici, je ne le ferai pas alors, mais vos lecteurs devraient savoir que le principal problème de la crise des déchets est politique et NON technique. Existe-t-il des déchets « sexy » ? Hummm, question amusante. Au cours de mes 30 années de travail dans ce domaine, personne ne m’a jamais posé cette question. Sexy est très subjectif je suppose. Ce qu’une personne trouve sexy, une autre peut le trouver odieux. En gardant cela à l’esprit, je pense que les déchets alimentaires sont vraiment sexy, car ils se transforment en un super engrais nutritif qui maintient la vie en vie… La solution par les incinérateurs est-elle la pire ? Pourquoi semble-t-elle la plus favorisées aujourd’hui ? Comment la contourner ? Oui, pour le type de déchets que nous avons au Liban, rien ne pourrait être pire qu’un incinérateur. Utiliser des incinérateurs est très polluant et très coûteux. Ce n’est pas le public qui le souhaite mais bien sûr nos politiciens, pour toutes les raisons évidentes. Cependant, je doute fort que cette mesure soit menée à bien, car aucune communauté n’acceptera jamais un incinérateur dans son voisinage en l’absence de confiance totale envers les autorités. Quels sont vos projets pour le futur proche ? Je travaille actuellement sur l’extension de l’infrastructure de traitement des déchets plastiques pour la fabrication de produits durables, ainsi qu’à la finalisation de la conception d’un système de traitement des eaux usées biologique à faible coût. cedarenv.com

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CEUX QUI CHANGENT LE MONDE

CHACUN CHERCHE SA (BONNE) CAUSE Auteure AUDREY LEVY

De Jeff Bezos (Amazon) à Sergey Brin et Larry Page (Google) en passant par Mark Zuckerberg (Facebook), les grands patrons se sont mis à la philanthropie. 150


CEUX QUI CHANGENT LE MONDE

Photomontage Hortense Proust

Les GAFA (Google Apple Facebook Amazon), après avoir conquis le monde, vont-ils investir le champ de la philanthropie avec le même appétit ? Pas si sûr.

En 2015, l’annonce provoquait un petit séisme sur la planète 2.0 : dans un communiqué, Mark Zuckerberg, tout juste papa, faisait part de son intention de vendre 99 % de ses actions Facebook – soit 45 milliards de dollars – à la Chan Zuckerberg Initiative, la fondation créée avec sa femme pédiatre. Tout affolée, la Toile bruissait de folles rumeurs. À commencer par celle-ci : grisé par le succès, le milliardaire s’apprêterait à vendre Facebook, dont le chiffre d’affaires, en hausse de 54 %, frôlait les 28 milliards de dollars... Il n’en était rien. Comme d’autres avant lui, il plaçait ses dividendes dans un tout autre business : la philanthropie, nouvelle lubie des jeunes entrepreneurs. Les big boss en fin de carrière, qui jadis injectaient dans de bonnes œuvres le capital lié à la vente de leur entreprise, sont désormais talonnés par leurs rejetons ! En 2014, les trois plus importants donateurs américains n’étaient autres que… des trentenaires. Self-made-men, ils ont fait fortune du côté de la Silicon Valley, dans l’internet et les nouvelles technologies, et sont de plus en plus riches. C’est de là que provenait, en 2014, la moitié des 10 milliards de dollars versés par les 50 grands philanthropes américains. Et si de Jeff Bezos (Amazon) à Sergey Brin et Larry Page (Google), ils s’y sont tous mis, c’est parce qu’aux États-Unis, la culture du “give back” est avant tout une histoire d’éducation. Et de tradition : “Le capitalisme philanthropique découle de l’église calviniste qui voit dans la richesse obtenue par l’entrepreneur un signe de prédestination divine, explique Antoine Vaccaro, président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie. En mettant une partie de leur réussite au profit de causes charitables, ils rendent ainsi

à la société ce qu’elle a pu leur donner.” Cette tradition remonte au xixe siècle, avec l’émergence des grandes fortunes liées aux révolutions industrielles, de Rockefeller à Vanderbilt en passant par Carnegie, qui édictait ses règles dans un “Évangile de la richesse”.“Refusant de donner aux pauvres, il orientait ses dons vers des lieux, comme les universités, qui permettaient de s’élever”, poursuit-t-il. Altruisme intéress Sauf qu’avec la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale, le mécanisme s’est grippé. Et lorsque Roosevelt a adopté un texte, imposant à 85 % les revenus des grandes fortunes, c’en était fini. Jusqu’à ce que, en 1984, Ronald Reagan le remette en cause. Résultat, “entre 2000 et 2010, on assistait à un nouveau ruissellement de la richesse, avec 24 milliards de dollars versés par des fondations anglo-américaines, dont 11 milliards par Bill Gates”. Le patron de Microsoft relançait la mode, consacrant 95 % de sa fortune à sa Bill & Melinda Gates Foundation, mieux dotée que l’Organisation Mondiale de la Santé. Et lorsque, en 2010, il a lancé The Giving Pledge (avec son acolyte Warren Buffet qui léguait à la Fondation Gates 80 % de sa fortune, soit 31 milliards de dollars), invitant les milliardaires à y consacrer la moitié de leur argent, il a été rejoint par 400 fortunés dans le monde. Parmi eux, le cofondateur d’Intel, Gordon Moore, ou le fondateur français d’eBay, Pierre Omidyar. Reste qu’avec ces actes d’altruisme intéressé, qui assurent d’importantes déductions d’impôts et la reconnaissance sociale, l’idée que le secteur privé peut prendre le relais de l’État agite désormais les esprits. Pour sauver le monde, chacun s’est entiché d’un sujet d’intérêt 151

général. La priorité pour Bill Gates ? C’est la santé. Et ce fléau qu’il tente d’éradiquer : la rougeole. Après sa campagne de vaccination, financée par sa fondation, l’épidémie qui tuait 2 millions d’enfants dans le monde, est “tombée” à 200 000 morts par an. Si Elon Musk (Space X) rêve d’inscrire son nom dans l’histoire de la conquête spatiale, à coup de prouesses que seule la Nasa réalisait jusqu’ici, Mark Zuckerberg, lui, ne jure que par l’éducation, secteur le plus efficace, selon lui, pour sortir l’humanité de la misère. “Lorsque ces capitalistes philanthropes s’attaquent aux fléaux mondiaux, à partir de profits réalisés par leurs activités misanthropiques, cela pose question, estime Antoine Vaccaro. Surtout quand ils ont contribué aux ravages d’un capitalisme débridé, faisant fi des réglementations anti-monopole.” On taxe les autres de pingrerie ? C’est vrai qu’avec son Grand Livre de la philanthropie selon Steve Jobs, composé de 50 pages... blanches, le créateur d’Apple a défrayé la chronique. Son successeur Tim Cook compte bien redorer son blason, investissant à tout-va dans les fonds de lutte contre le sida ou d’aide aux migrants. On reproche à Jeff Bezos son absence du Pledge ? Il dit rechercher l’efficacité du côté des modèles à but lucratif. Cette génération aime gérer ses fondations comme une entreprise et ses activités charitables comme ses affaires, appliquant les mêmes méthodes. Leurs mots d’ordre ? Les résultats et le retour sur investissement. Dans le caritatif lucratif, Google aurait trouvé la formule avec google.org, une division philanthropique qui finance des start-up à coups de 100 millions de dollars par an et qu’elle équipe en produits. “Business is business”, même chez ces bons Samaritains.


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RECYCLE BEIRUT DONNE L’EXEMPLE Auteure MYRIAM RAMADAN Le nom de Kassem Kazak n’est pas de ceux qui s’étalent dans les médias et sur les réseaux sociaux. En revanche, son entreprise « Recycle Beirut » effectue un travail de fond pour recycler les déchets et procurer des emplois aux réfugiés tout en produisant de l’énergie propre.

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Photo DR

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Le débat sur le recyclage au Liban n’est pas près de s’achever et ne devrait surtout pas l’être. On ne pourra jamais assez parler, assez faire, assez créer, assez éveiller dans ce domaine. Les déchets ne cessent de se répandre. L’environnement et les citoyens sont en train, comme toujours, d’en payer le prix. Plus besoin d’avancer des chiffres, plus besoin de parler du manque de civisme. Mais au moins, contentons nous d’apprécier les efforts fournis en ce sens par des compagnies privées et des individus, qui eux ne se découragent pas mais bien au contraire choisissent de persévérer encore et de plus belle dans ce combat.

Recycle Beirut récupère des matières non organiques auprès d’entreprises, d’immeubles résidentiels, de plusieurs ambassades et organisations dans les régions de Beyrouth, du Metn et de Baabda. C’est à l’entrepôt, sis à Ouzai, que les déchets sont triés et compressés pour être ensuite envoyés à différentes fabriques à travers le Liban. Selon Kazak, « Au Liban, il n’y a ni processus approprié de gestion des déchets ni culture de recyclage, qu’elle soit publique ou individuelle. Il ajoute que la « panique » apparente des gens face au mot « ordures » correspond à l’absence d’une mentalité de recyclage.

Parmi eux, Kassem Kazak, PDG et fondateur de Recycle Beirut. Il est né à Dubaï de parents palestiniens, et son père travaillait dans ce pays en tant qu’aide- soignant dans l’armée des EAU. Sa famille est rentrée vivre au Liban lorsque Kassem était adolescent. Il a poursuivi des études en informatique et ingénierie des réseaux à la Beirut Arab University. Il a fondé Recycle Beirut en 2015 alors que la crise des déchets était à son apogée. Grâce à Recycle Beirut, environ trois tonnes de déchets recyclables sont quotidiennement soustraits à leur destin inévitable d’être brûlés ou jetés dans une décharge, ou pire, dans la mer, dans les voies d’eau ou dans les forêts.

Réduction des déchets et production d’énergie propre Recycle Beirut ne se contente pas uniquement de ramasser les déchets afin de les recycler, mais fait aussi en sorte que son entrepôt soit « vert » et ceci grâce a Firebird Energy (compagnie sœur de Recycle Beirut). Cette société s’efforce de résoudre le problème de l’alimentation en électricité dont souffre le Liban. Comme chacun sait, le réseau du pays est vieillissant, et son approvisionnement en combustible domestique insuffisant. Les milliers de générateurs diesel ont du mal à combler ce déficit, et ces générateurs sont un problème en eux-mêmes pour maintes raisons. Dans ce contexte, et depuis trois ans, Firebird Energy s’efforce de franchir cet obstacle. La solution proposée est un micro réseau solaire. Celui-ci, indépendant du réseau, utilise des panneaux solaires afin de produire de l’électricité. Recycle Beirut est une entreprise « propre » et « verte » car, depuis quelques mois déjà, elle tire son électricité de ce réseau solaire. Selon Kazak, si Firebird Energy était investie de cette mission, elle pourrait résoudre une grande partie des défaillances du système électrique. Le Liban (entre autres pays de la Méditerranée) bénéficie d’une énergie solaire importante. Un tel micro réseau solaire pourrait offrir un avantage considérable car il améliorerait la qualité de l’air, et aurait pour résultat éventuel de réduire le taux élevé de cas de cancers et de maladies respiratoires.

La particularité de Recycle Beirut Reycle Beirut emploie principalement des réfugiés (palestiniens et syriens entre autres). Comme mentionné plus haut, Kazak étant luimême palestinien, il a tenu à fournir aux plus démunis des emplois dans le secteur de l’économie verte. Le fondateur affirme que Recycle Beirut contribue à la stabilité sociale de la communauté des réfugiés tout en aidant à réduire les impacts négatifs de la crise des déchets en cours au Liban. L’entreprise emploie des trieurs de matériaux, des travailleurs d’entrepôts, des responsables d’opérations, des chauffeurs et des coordinateurs de sensibilisation. Recycle Beirut a réussi à offrir une solution partielle à deux problèmes fondamentaux : la crise des réfugiés et celle des déchets. 153

recyclebeirut.com


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DU GÂCHIS ALIMENTAIRE IL FAIT TABLE RASE Propos recueillis par BAPTISTE PIÉGAY

Trois étoiles au Michelin, meilleur chef au monde selon le classement 50 Best, révélé au plus grand public par la première saison de Chef’s Table sur Netflix, Massimo Bottura s’est attaqué en 2015 au scandale du gaspillage alimentaire, aspirant à transformer ce désastre (éthique, écologique) en initiatives vertueuses.

Milan, Paris, Rio, Londres… Déjà quatre Refettorios, ces restaurants solidaires où cuisiniers-stars comme bonnes volontés anonymes viennent accommoder des produits qui partaient à la benne. Entre vertu et pédagogie, le projet de Massimo Bottura jette une lumière crue sur notre mode de consommation et propose de repenser notre rapport à l’alimentation et à la préparation des produits jugés périmés. L’Officiel : Quel était le point de départ du projet Refettorio ? Massimo Bottura : En 2014, j’ai eu une intuition. À l’occasion de l’Exposition universelle qui s’est tenue à Milan, en 2015, j’ai voulu donner une réalité tangible à mon projet, rendre visible l’invisible en construisant un espace – le Refettorio Ambrosiano – où des personnes vulnérables socialement se sentiraient accueillies, et où l’on pourrait mettre à profit les rebuts alimentaires, une ressource précieuse en général négligée.

Le thème de l’Exposition était “Feeding the Planet, Energy for Life” (Nourrir la planète, de l’énergie pour la vie). Un tiers de la production alimentaire est jeté chaque année, alors que près d’un milliard de personnes souffrent de malnutrition, notre réponse à l’enjeu de nourrir la planète a été de créer le Refettorio Ambrosiano. L’étymologie du mot refettorio (réfectoire) prend ses racines dans le latin reficere, qui signifie refaire mais aussi restaurer. Après cette expérience, ma femme Lara et moi avons décidé de continuer dans cette voie et de créer Food for Soul, une organisation à but non lucratif, ou plutôt un project culturel ainsi que j’aime à l’appeler. À travers Food for Soul, notre but est de transformer les gens, des lieux, et le rapport à la nourriture, pour aider à construire une culture valorisant le potentiel de toutes choses. Comment choisissez-vous les lieux ? Le critère essentiel, c’est de trouver des partenaires qui partagent notre vision 154

et notre éthique, qui nous rejoignent parce qu’ils comprennent parfaitement notre travail et veulent apporter leur contribution active. Nous allons là où nous pouvons avoir un impact culturel, c’est pourquoi trouver le bon partenaire opérationnel est si important. Cela nous aide à trouver les bons relais locaux et à nous implanter. Au-delà de l’établissement des réfectoires solidaires, quels sont les champs d’action   de Food for Soul ? Créer de la culture. Nous aspirons à mettre en lumière les potentiels de chacun et à mettre les individus en relation pour établir une communauté culturelle. Avec chaque Refettorio installé, nous plantons une graine de culture, pour que pousse un mouvement global, où les gens seraient réunis par le pouvoir de la beauté. Notre projet “Learning Network” s’appuie sur l’ambition de développer une communauté réunissant des partenaires opérationnels de Food for Soul, et


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Photos Simon Owen Red Photographic - Angelo Dal Bo

Depuis 2017, le Refettorio Felix sert des déjeuners gratuits et antigaspi aux plus démunis, dans le quartier de Kensington, à Londres.

Le Refettorio Gastromotiva, fondé en 2016 à Rio de Janeiro, premier Reffettorio ouvert à l’international, après l’expérience milanaise de 2015.

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“Quand nous avons ouvert le premier Refettorio, j’ai appelé quelques amis pour leur demander d’y cuisiner. Tous se sont montrés immédiatement enthousiastes. J’ai alors compris que nous n’étions pas seuls. Beaucoup de chefs veulent s’impliquer et faire quelque chose de concret pour aider et faire la différence. Jusqu’à présent, plus de 340 chefs ont collaboré avec Food for Soul à travers le monde.” Massimo Bottura

de créer un espace pour dialoguer et échanger des informations, tester des théories. Ce programme nous permet d’avoir plus impact lorsque nous ouvrons un nouveau Refettorio, et d’améliorer ceux déjà en place. Combien de chefs sont impliqués ? Quand nous avons ouvert le premier Refettorio, j’ai appelé quelques amis pour leur demander d’y cuisiner. Tous se sont montrés immédiatement enthousiastes. J’ai alors compris que nous n’étions pas seuls. Beaucoup de chefs veulent s’impliquer et faire quelque chose de concret pour aider et faire la différence. Jusqu’à présent, plus de 340 chefs ont collaboré avec Food for Soul à travers le monde, et certains sont présents régulièrement. La problématique du gaspillage   alimentaire va bien au-delà du monde   de la restauration, comment faire   pour s’y attaquer ? Chacun peut faire quelque chose depuis sa propre cuisine, en partageant notre démarche. L’effet d’entraînement fera le reste. Notre livre de recettes, “Le pain est d’or” (paru en mars 2018, aux éditions Phaidon), donne les recettes réalisées dans le Refettorio Ambrosiano par près de 60 cuisiniers qui ont réalisé des recettes incroyables uniquement avec des matières premières

qui auraient été jetées si nous ne les avions pas récupérées. Le livre raconte également les difficultés inhérentes à cette démarche, mais aussi son potentiel incroyable. Tout le monde peut l’imiter, au quotidien, il suffit seulement d’un peu de créativité. Le combat contre le gaspillage alimentaire commence dans nos placards. Comment travaillez-vous sur le long terme, une fois passées les ouvertures et retombés les échos médiatiques ? Nous avons la chance d’être associés à des partenaires qui croient en ce projet depuis ses prémices. Nos associés opérationnels, techniques et financiers, nous permettent de maintenir à flot, de manière pérenne, nos restaurants solidaires. Ces espaces sont aussi mis à contribution pour accueillir des événements, des ateliers, des cours. Certains employés de ces associés sont aujourd’hui bénévoles, impliqués dans nos restaurants. Cela nous permet d’offrir une croissance organique à nos projets, de les développer, et de les inscrire dans la durée. Vous l’avez évoqué : il est essentiel de mener ces combats chez soi. Mais l’école, et les cantines scolaires, sont capitales aussi. Avez-vous des idées dans ce sens ? Les enfants sont notre avenir. Ils sont curieux, attentifs, et apprennent 156

vite. Nous avons l’opportunité de leur montrer une voie où ils peuvent s’engager pour devenir des adultes responsables. Nous aimerions travailler à l’avenir avec des institutions académiques, peut-être sur des programmes de recherche. https://www.foodforsoul.it

M ais aussi… Dans la mouvance antigaspillage, deux applications se distinguent : The Food Life (créée par Marc Simoncini, sous l’impulsion d’Arash Derambarsh, élu à Courbevoie, et l’un des principaux responsables de la loi antigaspillage votée le 3 février 2016) met en relation les grandes surfaces et les associations caritatives pour prolonger la vie des invendus. On estime que 7,1 millions de tonnes de produits alimentaires sont jetés en France chaque année, dont 67 % par les particuliers, 15 % par les restaurants et 1 % par les commerces. En février 2019, The Food Life recensait 6 191 supermarchés et plus de 500 associations. Lancée en 2016, l’application Too Good to Go, imaginée par la centralienne Lucie Basch, venue de Nestlé, où elle vit à l’œuvre la folie de la surproduction, repose sur un principe évident : que ce qui devait être jeté à la fin de la journée soit vendu à très bas prix. Quelque 3 000 commerçants associés, et un million de comptes actifs plus tard, sa start-up, présente dans huit pays, enregistre une croissance mensuelle de 45 %.


BARBARA PALVIN & DYLAN SPROUSE

148 SAAD ZAGHLOUL STREET, DOWNTOWN BEIRUT / AÏSHTI BY THE SEA, ANTELIAS / ABC VERDUN


ÉCO -TOURISME

De l’autoroute au jardin Auteure MARIA LATI Halte verte à Bio Attitude, dans le village de Qattine, lieu insoupçonné à moins de 10 kilomètres de l’autostrade de Jounieh, pour passer la nuit dans un écrin paysager.

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Attablé dans le jardin, entre lavande, romarin, citronniers et massifs de rosiers, du miel frais et quelques biscuits posés sur la table, Alain Joseph explique son concept de Bio Attitude, soit la vie en harmonie avec la nature. Les oliviers qui occupent le terrain depuis des centaines d’années cohabitent avec de nouveaux arrivants rapportés de Pistoia, en Toscane. Une fois les olives cueillies, elles sont pressées sur place et l’huile est servie au petit-déjeuner, les weekends, avec laitages, man’ouchés et légumes bio du jardin. Il y a aussi le miel, produit par les abeilles qui butinent sur les kilomètres de verdure environnants avant de rentrer dans les quelques cent cinquante ruches qui leurs sont destinées. L’eau de la rivière qui traverse le terrain se déverse dans un bassin naturel où l’on peut se baigner après une bonne marche dans la forêt. Forêt ou l’on pourra emprunter, avec un peu de chance, un vieil escalier datant de l’époque romaine que les mules gravissaient pour transporter des marchandises d’un village à l’autre. Déjà un potager et une ferme s’esquissent sur les terres qu’Alain Joseph envisage de transformer en domaines d’écotourisme avec des sentiers de randonnée, des activités de jardinage, un restaurant farm-to-table, une salle polyvalente et même une serre hydroponique pour pouvoir cultiver ses légumes en hivers. Le tout sera alimenté par des panneaux photovoltaïques dont cet architecte de métier a déjà choisi le design : invisibles et intégrés dans l’environnement. Depuis cet été 2019, deux bungalows en pleine forêt accueillent les visiteurs en quête de sérénité. On s’y réveille avec le gazouillis des oiseaux et quelques rayons de soleil qui s’immiscent discrètement à travers les arbres. Alain envisage de construire de nouveaux bungalows sur ses terres ainsi que des chambres d’hôtes près de sa maison. 159

Depuis 1515, les ancêtres d’Alain Joseph, des cheikhs de la montagne de la famille Hobeiche, habitent ce terrain en bordure d’une forêt qui abrite des hyènes et autres animaux. Son grandpère, Sheikh Youssef Hobeiche, protégeait la région et s’acharnait à stopper les projets de carrières qui ont déjà entamé une partie de la montagne. Aujourd’hui Alain a repris le flambeau pour entretenir l’immenses forêt environnante. Après avoir travaillé de longues années à Paris, l’architecte décide de rénover la maison de Qattine où il vient respirer l’air pur avec sa femme et ses filles. C’est pendant les travaux de rénovation, il y a sept ans, que l’architecte installe deux bungalows afin que sa famille puisse continuer à passer son temps libre dans ce bol de verdure. Dotés d’un confort simple, les bungalows en verre baignent dans la nature, on s’y endort à l’abri en regardant les étoiles et l’on se réveille entre les chênes et les oliviers, pour ensuite prendre une douche dans une cabine entièrement immergée parmi les arbres. Cette philosophie d’harmonie avec le vert environnant, Alain y tient. Il préserve chaque arbre et restaure les terrasses de pierre construites par ses ancêtres pour apprivoiser la montagne et pouvoir y habiter. Les pièces un brin colorées de sa maison sont aménagées avec des meubles datant des années trente à soixante, ayant appartenu à ses aïeuls et les nouvelles salles qui viennent agrandir la demeure s’intègrent tant et si bien dans ce contexte que la rivière continue de s’écouler sous la cuisine et les vieux murs de pierre y sont protégés. En mettant en valeur l’héritage de ses ancêtres, Alain Joseph nous offre un aperçu de ce Liban d’antan, vert et fier de son histoire, dont on entend souvent parler avec nostalgie. @bioattitudelebqattine


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ÉCO -TOURISME


T H E O R I G I N A L A M E R I CA N B RA N D AÏSHTI BY THE SEA ANTELIAS | 04 717716 EXT 232 AÏSHTI DOWNTOWN BEIRUT | 01 991111 AÏSHTI DUNES CENTER VERDUN STREET | 01 793777


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UNE KARYA EN UN CLIC Auteure MARIA LATI

Le Liban, on en parle toujours comme d’un petit pays que l’on peut traverser en quatre heures du nord au sud. Mais entre une extrémité et l’autre il existe d’innombrables haltes à découvrir et l’application Karya se propose de nous y accompagner.

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CEUX QUI CHANGENT LE MONDE

Envie de visiter ce petit vignoble dont le vin vous titille d’un festival à l’autre, sans que l’on se souvienne jamais de prendre un numéro de téléphone pour y réserver un déjeuner ou même savoir si c’est faisable ? Vous partez à cinq heures du matin pour faire découvrir Tripoli à des amis ou des proches venus de l’étranger, mais où les emmener savourer une bonne pâtisserie en déambulant dans les rues du souk ? Karya propose de combler la distance entre la capitale et tous ces recoins du Liban qui regorgent d’adresses à découvrir. Sur l’application mobile de Karya, on navigue par région : Bekaa, Nabatieh ou encore Akkar, et par catégorie : manger, passer la nuit ou sortir. Que l’on cherche à visiter des châteaux, des sites religieux, des grottes, des stations de train abandonnées ou s’achalander chez de petits producteurs et gouter au street food, les adresses sont recensées avec tous les détails de lieux, d’ horaires et de prix et l’on peut réserver directement à travers l’application. Des expériences insolites sont aussi proposées sur l’application et mise à jour avec des nouveautés, comme la visite du souk de Tripoli avec passage chez le boucher pour gouter un foie de mouton, ou « asbeh » frais. À Assia, s’essayer à la poterie et observer cet art en voie de disparition prendre forme sous les mains de Sana, la potière. Une journée à Baalbeck : des ruines des temples majestueux, en passant par l’hôtel Palmyra, plus que centenaire, pourquoi ne pas se recueillir sur le site de Sayyida Khawla, avant de passer par le souk pour gouter la meilleure sfiha de la ville ? Il y a un an, Serge Atallah décide de lancer son projet pour réorienter le feu des projecteurs sur toutes ces initiatives qui commencent à se multiplier un peu partout au Liban, hors de la capitale, restaurants, maisons d’hôtes, activités en plein air et

lieux abandonnés remis en valeur qui font revivre les régions et villages libanais. Il est rejoint par sa sœur Magalie, experte en marketing multimedia, son ami Nicolas Gholam et Michel Feghali, développeur informatique, qui travaillait avec Nicolas sur la gestion de Souk el Tayeb. Un réseau d’agents se met ensuite en place, chacun responsable d’une région. Ils se rendent d’un village à l’autre pour visiter et documenter toutes ces adresses qui viendront alimenter le carnet de Karya. En juin, une version beta de l’application mobile est lancée lors de l’édition 2019 du Garden Show et les premiers adhérents, quelques mille deux cents utilisateurs inscrits, sont encouragés à envoyer leurs commentaires pour améliorer la plateforme. Depuis, Karya a lancé son application mobile avec un contenu de découvertes mis à jour régulièrement. En parallèle, trois autres aspects du projet Karya continuent de prendre forme. L’un des leviers, l’accompagnement d’évènements à travers le Liban, a déjà été expérimenté cet été pour la municipalité de Qartaba, et Karya veut compléter concerts et autres festivals organisés par les municipalités en proposant des journées pleines, avec visites de sites, déjeuners dans la région, transport à partir de Beyrouth et billetterie. Un autre aspect que Karya cherche à mettre en valeur est la vente de produits de petits producteurs locaux en ligne. Forte de son expérience sur le terrain, l’équipe commence à mettre en place son réseau pour acheminer les produits frais à travers le Liban. Enfin Karya assure aussi un service de consulting pour de petites entreprises rurales et des associations qui cherchent à développer leur concept, leur activité et leur portée, afin d’insuffler du dynamisme dans tous les recoins du Liban.

Photos DR

karyaleb.com

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CAMPER Beirut souks, Souk El Tawileh Street Beirut central district T. 01 99 11 11 ext. 568 Aïshti by the Sea, B1 Level , Antelias, T.04 71 77 16 ext.271



EXPOSITION

PICASSO AU LIBAN, L’EXPO-ÉVÉNEMENT

Inaugurée en grande émotion le 27 septembre dernier au Musée Sursock, l’exposition « Picasso et la famille » est sans conteste l’expo-évènement de l’année 2019 ! Organisée avec le soutien du Musée national Picasso-Paris et grâce au mécenat de Danièle de Picciotto, cette proposition explore les rapports du grand maitre espagnol à la notion de noyau familial. Réunissant dessins, gravures, peintures et sculptures, l’exposition survole 70 ans de création au travers d’une sélection d’œuvres marquant des points d’orgue dans la longue vie de cet artiste de génie. Rencontre avec Zeina Arida, directrice du Musée Sursock.

Auteur NASRI N. SAYEGH

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EXPOSITION

Pablo Picasso Françoise, Claude, Paloma: la lecture et les jeux. Paris, 16 janvier 1953 Eau-forte, aquatinte et grattoir sur cuivre. IIIème état. Épreuve tirée par Lacourière, 33,5 x 48,4 cm Musée national Picasso-Paris Dation Pablo Picasso, 1979. MP3009 © RMN-Grand Palais © Succession Picasso 2019

Une première au Liban, la visite de Picasso à Beyrouth. Que représente cette évènement pour vous et pour votre musée? Comme vous l’avez bien dit, c’est une exposition-événement. Nous n’avons pas de doute que l’exposition attirera un grand nombre de visiteurs, et nous espérons fidéliser dans la foulée un nouveau public qui reviendra souvent voir les expositions du Musée Sursock et assister à nos programmes parallèles. L’exposition « Picasso et la famille » est un bel exemple de partenariat entre deux musées, le musée national Picasso-Paris et le Musée Sursock. Et c’est en partie parce que le Musée Sursock a réussi le pari de s’équiper dans les standards internationaux et d’instaurer des procédures et méthodes de travail professionnelles que cette exposition peut avoir lieu aujourd’hui au Liban. Cet été nous avons également eu la possibilité « d’exporter » une de nos productions dans un grand musée français. Le MUCEM à Marseille a repris l’exposition de photos « la Fabrique des illusions» dont le commissariat d’exposition était assuré par François Cheval et Yasmine Chemali..Au-delà de la fierté de pouvoir aujourd’hui montrer des œuvres originales de Picasso au Liban, cette exposition marque une certaine continuité avec l’histoire puisque, je le rappelle, le Musée Sursock avait organisé en 1964 une exposition de sculptures de Rodin, qui avait eu beaucoup de succès et avait attiré un grand nombre de visiteurs. « Picasso et la famille », un titre, une émotion. Qu’aborde cette exposition ? Le thème a été choisi par le Musée Sursock et proposé en 167

l’occurrence par la Co-commissaire Yasmine Chemali (qui assure le commissariat avec Camille Frasca du Musée Picasso) parce qu’il permet de raconter à la fois l’œuvre de l’artiste et sa vie intime. Ce thème nous permet de présenter au public une variété de travaux exécutés sur une période de 70 ans ; des peintures à l’huile, des œuvres graphiques et des sculptures dans des matériaux différents. Les œuvres explorent les rapports de Picasso à la famille, de la maternité aux jeux d’enfants, et racontent les mystères de l’enfance ainsi que les difficultés de la vie. Combien d’œuvres du grand maitre espagnol se déplacent-elles vers notre rive de la Méditerranée ? Vingt œuvres au total, dont dix peintures à l’huile, quatre œuvres graphiques et six sculptures. Une belle sélection qui couvre chronologiquement presque toute la carrière de l’artiste, puisque nous présentons d’une part une des premières peintures à l’huile réalisée par le peintre à 14 ans, « La fillette aux pieds nus », tableau longtemps invisible pour cause de restauration, et d’autre part une œuvre produite un an avant la mort de l’artiste. Quelles en sont les chefs d’œuvres ? Mise à part «La Fillette aux pieds nus» que je viens de citer, nous recevons par ailleurs «Maternité», révélé à l’exposition d’Avignon en 1973, une des dernières représentations du thème de la maternité chez Picasso. La sculpture portant le titre «Femme à l’enfant», œuvre en tôle pliée, datant du début des années 60, magnifique dans sa légèreté et fragilité, ludique et étonnante. Le tableau «Mère et


EXPOSITION

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1- Pablo Picasso Le Peintre et l’enfant Mougins, 21 octobre 1969 Huile sur toile, 130 x 195 cm Musée national Picasso-Paris Dation Jacqueline Picasso, 1990. MP1990-36 © RMN-Grand Palais © Succession Picasso 2019 2- Pablo Picasso Mère et enfants jouant Vallauris, 14 juin 1951 Huile sur panneau de contreplaqué, 73 x 91,5 cm Musée national Picasso-Paris Dation Jacqueline Picasso, 1990. MP1990-24 © RMN-Grand Palais © Succession Picasso 2019 168


EXPOSITION

Ci-contre: Pablo Picasso Maternité Mougins, 30 août 1971 Huile sur toile, 162 x 130 cm Musée national Picasso-Paris Dation Pablo Picasso, 1979. MP226 © RMN-Grand Palais / Adrien Didierjean © Succession Picasso 2019

enfants jouant», huile sur contreplaqué, datant du 14 juin 1951, dans laquelle Picasso imite le dessin d’enfant en simplifiant le trait et en utilisant des couleurs primaires. Et enfin «Le peintre et l’enfant», une très grande toile des dernières années de Picasso (il a presque 90 ans lorsqu’il peint cette toile en 1969). Qui est Picasso pour vous ? Picasso est l’un des plus grands artistes du XXème siècle et de l’histoire de l’art. Un avant-gardiste qui a inspiré un grand nombre d’artistes notamment modernes, à travers le monde et dans le monde arabe bien entendu Je ne connais pas beaucoup d’amateurs d’art qui n’apprécient pas son œuvre. Pour ma part, il m’a toujours fascinée. Zeina Arida, vous êtes aux commandes du Musée Sursock depuis 2015. Quel bilan tirez-vous de ces quatre ans ? Il faudrait poser la question à la communauté artistique et au grand public ! Le bilan est certainement positif, considérant que le Musée a retrouvé une place primordiale sur la scène artistique au Liban et dans la région. Mais je dirais que ce n’est que le début, parce qu’il nous reste beaucoup de programmes et d’idées à développer. Les 4 dernières années nous ont permis d’asseoir le Musée dans le paysage culturel, mais nous avons encore beaucoup à faire pour le pousser encore plus loin et y attirer encore plus de visiteurs. Comment se porte le Musée Sursock aujourd’hui ? Face aux difficultés financières que traverse le pays, je dirais que le Musée se porte plutôt bien grâce à l’appui, en 2019, de particuliers généreux tels que Danièle Edgar de Picciotto, mécène de l’exposition Picasso, et Philippe Jabre qui a soutenu la production de l’exposition sur Baalbek présentée cet été. Cependant le Musée 169

a un grand challenge à affronter, celui de rassembler autour de lui une plus grande communauté d’individus prêts à le soutenir financièrement. Nous travaillons actuellement sur un programme d’amis et de sponsors du Musée que nous lançons en même temps que l’exposition Picasso et qui proposera des catégories de soutien allant de 225 000 LL à 7 500 000 LL. En parallèle à ce cercle d’amis du Musée, nous lancerons aussi un programme de «patrons» ou sponsors, qui permettront au Musée de lever de plus grands montants, pour les programmes et expositions, et nous poursuivons la recherche de sponsors et de partenaires, banques et compagnies. Et qu’en est-il de « l’après Picasso » ? Quelles sont les grandes lignes de la saison 2019-2020 ? Le 17 octobre, Home Works Forum 8 ouvre ses portes à Beyrouth et présente une série de projets d’artistes, commissions, conférences et tables rondes. Le Musée Sursock accueille et aide à organiser une des expositions principales de cette biennale, intitulée «At the still point of the turning world, there is the dance», et dont le commissariat d’exposition est assuré par Carla Chammas et Rachel Dedman. En juin 2019, nous présentons le travail de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, (Prix Marcel Duchamp 2017) pour un projet qui oscille entre archéologie et science-fiction. Et enfin nous terminerons l’année avec une nouvelle édition du Salon d’automne, que nous espérons surprenant, comme d’habitude, peutêtre encore plus? Et enfin, si je vous dis Beyrouth, que me répondez vous en un seul mot ? Action ! Dans le bon et le mauvais sens...

Jusqu’au 6 Janvier 2020. sursock.museum


ARCHITECTURE

ÉCRIRE L’HISTOIRE À TRAVERS LE BÂTI Auteur NASRI N. SAYEGH De la nature, de l’émotion, de la poésie, de l’imaginaire, de l’histoire, de la philosophie, de la liberté… l’architecture de Maroun Lahoud est un traité d’arts appliqués aux paysages du Liban. Saint d’esprit, son trait croque tantôt des lieux de culte et tantôt, artiste, dessine des temples d’art. L’esquisse et la signature océaniques, Maroun Lahoud nous ouvre ses carnets et nous convie à feuilleter ses sources inspirations. Rencontre en art premier et bâti.

Maroun Lahoud, certaines de vos réalisations semblent embrasser le paysage, jaillir de la nature, émaner des éléments. Comment procédez-vous ? Quelles sont vos lignes directrices – et intuitives ? L’émotion avant toute chose, parce qu’une intervention qui touche les gens se légitime à tous les plans. Mais l’émotion exige de l’honnêteté par rapport au « déjà là », physique, socio-politique et historique. L’exercice consiste à témoigner de l’époque, à cristalliser nettement une situation, aussi complexe qu’elle soit, et à tenter de raconter une histoire juste, d’autant plus qu’au Liban l’histoire ne s’écrit que par le bâti. L’architecture porte cette lourde tâche d’embrasser les hommes au-delà de leurs croyances et appartenances, pour instaurer et perpétuer un langage universel dans l’écriture de l’histoire. Mon approche, comme pour certains de mes

confrères, relève du combat au quotidien pour porter la fragilité de notre métier et de l’engagement à révéler des poésies insoupçonnées dans notre paysage. D’où vient l’Église Saint-Elie ? De quelle intuition ? De quel désir ? La reconstruction de l’église Saint-Elie intervient à un moment clef de l’histoire d’après-guerre du Liban, lors des « accords de réconciliation » (Mousalaha) entre druzes et chrétiens dans la région du Chouf. Au delà de l’architecture, ce projet traite de l’espace public, redéfinit la notion du sol commun et ouvert à tous, pour une meilleure cohabitation des différentes ethnies religieuses, au cœur de la région la plus meurtrie du Chouf lors de la guerre de la montagne. Le projet offre une plateforme qui s’ouvre sereinement sur le paysage, un édifice adoptant les caractéristiques fondamentales de l’église maronite, et un

socle ancré dans le contexte par les pierres qui proviennent du site, de l’ancienne église mais surtout des débris des maisons détruites pendant la guerre. Je voulais absolument que les villageois participent à cette célébration du renouveau, fassent leur deuil avec leur passé en incrustant à jamais un fragment de leur histoire dans leur sol natal. Pourriez-vous nous en dire davantage sur votre proposition pour les « Réserves Ouvertes » de la Collection Saradar ? Le site du projet se situe dans la région verdoyante de Mar Chaya. C’est un délicat entrelacement d’ombre et de lumière, de terre et de ciel, de terrasses de culture et de pins parasols, caractéristiques emblématiques du paysage de la région. Le projet tend à capter exactement cette même situation naturelle, et à l’imprimer à l’intérieur, pour intégrer fondamentalement


ARCHITECTURE

Photos DR

la Collection Saradar dans le patrimoine paysager du Mont-Liban. Les Open Storages ou « Réserves ouvertes» se développent sur 4 niveaux enterrés, soigneusement hermétiques aux éléments. En surface, on reproduit le naturel comme pour mieux dissimuler le trésor en dessous. On habite le site : sa nature, ses matières, et ses vues au lointain. La pierre préexistante des terrasses est réutilisée pour transformer non seulement le site en lieu, mais aussi le lieu en site. Une promenade piétonne sculpte la topographie selon les lignes de force des terrasses avoisinantes, et transforme les terrasses de culture en culture en terrasse. Quelles sont vos sources d’inspiration dans l’histoire de l’architecture - en particulier - et des arts en général ? Il est vital pour un architecte d’évoluer dans un environnement stimulant, d’accroitre ses connaissances et sa culture, et de nourrir sa pratique de toutes les formes de création, de l’art contemporain au cinéma d’auteur en passant par la danse ou encore le théâtre. Je suis moi-même entouré d’artistes de tous horizons qui apportent très souvent

un regard critique et constructif sur mon travail. Pour ce qui est des références architecturales, je suis très sensible aux architectures dans les climats extrêmes, où l’ingéniosité et l’esthétique ne font qu’un, ou encore les plans urbains ou les monuments des grandes civilisations antiques qui, malgré le passage du temps, gardent une clarté spontanée de leur raison d’être. Il y a là sans doute beaucoup d’enseignements à tirer sur la dimension fondamentale de l’architecture comme socle de l’humain, et où ne subsiste que l’essentiel. Mais cela n’enlève rien à la noblesse du travail de recherche et d’expérimentation, indispensables pour l’évolution du métier et des pratiques urbaines et citoyennes. Quel est – s’il en est - votre manuel d’architecture (ou ouvrage d’art) de chevet ? Nombreux sont les grands classiques de philosophes et de théoriciens de l’architecture, comme Derrida, Bachelard ou Virilio, qui ont accompagné ma formation et mon activité, mais le plus important à mon sens reste le manuel 171

encore à rédiger pour l’architecture au Liban. Nous vivons dans une époque sans précèdent dans laquelle nos villes subissent de véritables mutations destructrices et irréversibles : l’espace public se fait de plus en plus rare, l’échelle humaine en milieu urbain est en voie d’extinction et les anciennes bâtisses laissent place à des tours sans âme. Architectes, nous ne pouvons nous contenter d’être de simples témoins de cette situation. Il est de notre devoir d’assurer une urbanité où il fait bon vivre, travailler et se divertir. Il est de notre responsabilité de créer le support d’une vi(ll)e sociale, mixte, riche et épanouie, respectueuse de l’héritage d’époques glorieuses puis meurtries, qui ont fait du Liban un champ d’exploration architecturale au potentiel exceptionnel. Quelles sont les musiques, les sons qui accompagnent votre pratique ? La musique rythme mon quotidien. Difficile de la cantonner à un genre en particulier même si ça tourne la plupart du temps autour du rock. Ça va des Pink Floyd à Alain Bashung en passant par Joy Division, mais aussi des contemporains comme les


ARCHITECTURE

Qu’est Beyrouth pour vous ? Beyrouth est une catastrophe romantique, un potentiel en veille. Le cas de Beyrouth est certes particulier mais non isolé, les plus grandes métropoles occidentales ont toutes connu des périodes de latence, le XXème siècle en est le meilleur témoin. Cocteau disait: « Ce que l’on te reproche, cultive-le, c’est toi-même », dans ce sens il est capital pour Beyrouth, et même pour le Liban entier, de s’alimenter de ses démons et de tirer profit de la singularité de sa condition, pour proposer des solutions tout aussi singulières, afin d’assumer pleinement une identité propre. Evidemment il s’agit d’un travail de longue haleine et qui passe par tous les métiers. Auriez-vous des recommandations en ce qui concerne l’architecture au Liban? Le Liban n’a pas besoin d’architecture, évidemment dans le sens tristement attribué à notre métier et qui consiste à réduire l’acte de bâtir à une simple esthétisation de l’enveloppe extérieure. Le Liban a besoin d’architectes, engagés, responsables et honnêtes, protecteurs du patrimoine d’aujourd’hui et garants du patrimoine de demain. Plusieurs actions laissent présager un renouveau cathartique, tel que le combat contre l’obsolescence des règlementations de la construction, ou encore contre le

consensualisme niais qui consiste à emprunter des modèles génériques, architecturaux ou urbains, venus d’ailleurs, assimilés à des recettes de réussite clefs en main, et qui ne font qu’accroître la dévalorisation de nos richesses. Il s’agit également de se soucier du développement durable du territoire, de renforcer les organismes de contrôle en les dotant de plus de pouvoir et de lois claires pour faire face à la dilution jour après jour de notre héritage et de nos savoir-faire… Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet du cimetière multiconfessionnel ? Il s’agit d’une intervention sur deux cimetières juxtaposés, chrétien et druze, dans le Chouf, et qui consiste à en faire un seul lieu, défini, déterminé et voulu. C’est la réconciliation ultime. Ce travail expérimental a débuté par une série d’écrits sur l’espace commun et qui commence tout juste à se concrétiser sur le sol, après concertations avec les élus de la localité. En effet, comme il est fréquent à la campagne, les dernières demeures occupent les marges des villages, souvent laissées-pour-compte. Il me semblait intéressant de tester, surtout dans cette région-là, un nouveau protocole d’entente qui s’exprime naturellement par l’action, philosophique puis architecturale, et qui fédère les différents protagonistes autour de notions des plus universelles. Il ne s’agit pas uniquement de pleurer les morts, mais simplement de célébrer la vie.

marounlahoud.com 172

Photos DR

White Stripes ou les Black Keys, qui ne cessent de se réinventer et de s’aventurer en milieu inconnu en proposant de nouvelles sonorités…


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MUSIQUE

KHANSA, UN ARTISTE HORS GENRE Masculin, féminin, occidental, oriental, musicien, chanteur, danseur, autant d’étiquettes que Khansa transcende, refusant tout ce qui rétrécit le monde, abattant les cloisons et poussant à l’infini l’espace de la scène où il gage le seul enjeu qui en vaut la peine : sa liberté d’artiste. Auteure MARIE ABOU KHALED

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Photos Adnan Kaysi, Khabberni Keef-Khansa; DR

MUSIQUE

Par quoi avez-vous commencé : chanter ou danser ? J’ai commencé par suivre les cours de musique à l’école. Je participais à tous les récitals. J’étais toujours prêt à agripper le micro et gesticuler ! J’étais très intéressé par la scène. A l’université, j’ai rencontré ma prof de chant actuelle, Layla Dabaghi. Elle est comme une mère pour moi et a joué un rôle de mentor dans ma carrière. C’est elle qui m’a encouragé à tout apprendre plus sérieusement : chant, danse, théorie... elle m’a orienté vers les bons cours pour nourrir ma passion. Elle m’a donné des ailes ! Après l’avoir rencontrée, j’ai commencé à participer à des pièces de théâtre. Au bout de quatre années d’études cahotiques avec plusieurs changements de parcours, j’ai abandonné mon diplôme pour me consacrer à ma carrière musicale. Ma professeure m’a encouragé à postuler à Londres pour apprendre l’art du musical theatre, mais ce n’était pas ce à quoi je me destinais, j’avais d’autres plans. J’ai commencé les cours de ballet. Cela m’a transformé, j’avais un poids différent, un corps différent. Je me suis vraiment poussé autant que possible pour arriver au résultat d’aujourd’hui. J’y croyais tellement fort ! Aujourd’hui je sais bien mieux où je vais, et je sais ce que j’ai à dire. C’est en grande partie grâce à elle. Quel est le message que vous voudriez faire parvenir ? Je n’ai pas de message particulier, mais je sais que j’ai toujours 175

besoin de m’exprimer ! (rires). A travers ma musique, ce sont des expériences que je partage. Il y a certaines choses que je trouve difficiles à aborder de façon directe, alors je les exprime à travers mon travail, à travers mon propre kaléidoscope, et c’est au spectateur de s’identifier ou pas, ressentir ou pas. Quelle a été votre première expérience sur scène ? Je m’en souviens très bien ! Je me souviens surtout du sentiment qu’elle m’a procuré. Je devais avoir 9 ou 10 ans. C’était pour le spectacle de fin d’année de l’école, et chaque élève était chargé de représenter un pays. Pour mon numéro, j’avais préparé un flamenco endiablé. J’avais des chaussures qui ressemblaient à des claquettes, et je portais un chapeau. J’ai fait des séries de pirouettes à toute vitesse, mon cœur battait si fort ! Le public m’acclamait. J’ai reçu tellement de compliments après, alors que tout ce que j’avais fait était d’improviser comme si j’étais le plus grand danseur flamenco de tous les temps. Après ça, tous les professeurs demandaient à m’inclure dans leurs performances de fin d’année. Je me souviens d’un autre événement hilarant : le spectacle de fin d’année des scouts. J’avais créé une chorégraphie accompagnée d’un lip-synch sur la première chanson de Nancy Ajram ! Je l’imitais de tout mon cœur, avec perruque et le reste. Tous les parents, dont les miens, voyaient ça pour la première fois, et ça a dû


Quel est votre dernier travail et quelle place tient-il dans votre évolution ? Je suis toujours dans une phase où je découvre qui je suis et à quel style musical je veux appartenir. J’ai réalisé qu’il n’y a pas un genre spécifique qui me caractérise. Mon identité seule parle pour elle-même, et je peux diversifier mon empreinte sonore à ma guise. En fait, le titre que je viens de sortir, Khabberni Keef (« Dis-moi comment ») est une chanson que j’interprète en concert depuis déjà deux ans. C’est une chanson que j’ai écrite moi-même et co-composée avec un producteur. En ce moment, mon but est d’enregistrer les chansons que j’ai l’habitude de chanter en live, afin de les rendre accessible à mon public. Je voudrais que ces enregistrements soient atemporels, des classiques. En général je m’entoure de musiciens que je choisis en fonction de l’espace où je me

produis. Pour le dernier show que j’ai donné à Milan, j’étais tout seul. J’ai hâte d’atteindre le moment où je pourrai donner mon concert avec toutes les chansons déjà publiées, pour que les gens puissent écouter la musique et interagir davantage avec la performance. Mon approche est la suivante : J’écris une chanson, je construis une maquette avec un producteur, je la joue en spectacle plusieurs fois, et quand le cheminement s’est fait dans mon cœur et dans ma tête, j’immortalise la chanson à travers un enregistrement. J’aime bien cette approche parce qu’elle me permet de roder la chanson et surtout de la tester sur mon public. On me demandait souvent où écouter telle chanson en ligne, et maintenant qu’elle y est, bien travaillée et soignée, les gens vont pouvoir la connaitre et chanter avec ! Je pense que quand on est généreux avec son public, quand on veut vraiment entendre ses critiques et interagir avec lui, il ne peut qu’aimer le résultat final. Cette dernière chanson a un son assez pop, mais ce qui vient après sera plus sombre, révélant un côté plus complexe de ma personnalité. En fin de compte, je suis flexible, un show man qui fait ce qui est adéquat pour le spectacle en question. Je vais peut-être un jour sortir une chanson regaton ! 176

Quel est votre processus lorsque vous écrivez une chanson ? Est-ce que la danse inspire la chanson ou l’inverse ? En général j’emploie une technique qu’on appelle « tchékhovienne », comme au théâtre : on joue en exagérant les actions physiquement, et puis une fois sur scène, on fait transparaitre ces actions à travers le texte seul. C’est comme ça que j’aime écrire : j’aime partir des grandes lignes de la danse et puis en faire émerger l’écriture. Parfois c’est l’inverse, mais en tout cas la danse fait toujours partie de la conception. Je ne veux pas rester sur scène droit comme un piquet. Je pourrais le faire, mais alors cela ferait partie du mouvement; une immobilité voulue, conçue comme un mouvement à part. En visualisant ma façon de bouger, j’improvise un scat qui me donne une mélodie, et puis les mots commencent à se manifester. Enfin, je rencontre mon co-compositeur et on commence à intégrer ses notions de théorie, et on pousse la chanson à l’étape supérieure. La première version est créée pour une performance en live, et nous commençons ensuite à réfléchir : comment cela peut-il devenir un enregistrement à part, comment rendre cette chanson intemporelle, comme je l’ai dit plus haut. Ça prend beaucoup de temps.

Photo Salwa Eid

être un moment très étrange. A la fin, j’ai enlevé ma perruque et je l’ai lancée vers le public. Tout le monde applaudissait. C’était l’une des expériences les plus amusantes de ma vie. J’étais trop innocent pour penser à quelque répercussion possible. Je le faisais pour m’amuser, ça me procurait de la joie, et je ne m’en serais privé pour rien au monde.


MUSIQUE

Des collaborations qui vous tiennent à cœur? Les jeunes designers libanais. C’est toujours génial car ils ont tous une très belle énergie. Quand on est focalisé sur son travail au point de ne plus voir clair, une telle collaboration apporte un rafraichissement vital, un changement de perspective, une leçon importante, c’est pourquoi j’aime travailler avec différents designers pour mes performances dès que j’en ai l’occasion. Il y a Eric Ritter de Emergency Room, Anis Ezzedine, et en ce moment je travaille avec Second Self.

mondains et à la télé. Tahia Carioca et la danseuse libanaise Amani ont eu une très grande influence sur moi.

Photo Merass Sadek, Shubbak Festival, London

D’où vient l’inspiration des paroles de vos chansons ? D’un peu partout. Je prends beaucoup de notes, en me promenant, les mots me viennent à l’esprit. Parfois ils n’ont aucun sens, mais à mesure que je les mets ensemble, un fil conducteur apparaît. Je suis influencé par ce que disent les gens, par un poème, un fait divers. Qui étaient les héros de votre enfance ? Je suis passé par beaucoup de phases. Les icônes arabes typiques: Sayed Darwish, Oum Koulthoum, Abdelwahab, Abdelhalim, Warda, Asmahan, Sabbouha, Wadih el Safi... et puis de l’autre côté, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong... Dans la pop, j’adorais les divas : Whitney Houston surtout. Pour ce qui est de la danse, j’aimais J-Lo, Shakira (j’adorais !) je ne comprends toujours rien à ce qu’elle dit, mais quand elle a commencé, pour moi c’était quelque chose ! Un événement. J’avais aussi un grand amour pour la danse du ventre, il y en avait toujours dans les événements

Quelle a été votre meilleure expérience de contact avec vos fans? Je n’ai pas de fans, j’ai des supporters ! Une fois une dame m’a dit que ma vidéo l’a aidée à avoir une conversation avec sa grand-mère qu’elle n’avait pas pu avoir pendant des dizaines d’années. Je ne pouvais pas arrêter de penser à ce qu’elle m’avait confié. Je me suis dit « c’est pour ça que je dois continuer à faire ce que je fais ». Je ne fais pas de la musique exclusivement pour ça, mais c’est bon de savoir que mon travail a une telle influence. À Londres quelqu’un est venu me dire que je suis une source d’inspiration. Je suis heureux qu’on apprécie mon travail alors que j’en suis encore à mes premiers pas. Un plat préféré ? J’aime la cuisine saine, savoureuse et faite avec de bons ingrédients frais. Je n’ai pas trop de préférences à part ça. Je suis toujours en train de suivre un régime, je crois même que j’ai toujours suivi un régime. Je mange parce que je dois manger, et si c’est bon, c’est un plus. Ce qui me donne vraiment du plaisir, c’est le popcorn. Le simple popcorn salé… mais c’est obsessionnel ! Quand j’en mange, c’est au moins trois paquets. J’adore aussi les bananes. Je cuisine un peu, je pense que ce que je fais de mieux c’est les banoffee pies, mais je n’en mange plus !

khnsa.com 177


ANIMATION

BAHIJ JAROUDI, POÈTE DE L’ENNUI Auteure MARIE ABOU KHALED Bahij Jaroudi est un animateur et illustrateur libanais. De son coup de crayon incisif, il décline les scènes du quotidien monotone et en révèle des pépites d’absurdité comique. Le tout est exacerbé par le son de sa guitare flamenco suave et mélancolique, en décalage total avec l’image. Ce curieux ménestrel des vicissitudes nous fait part de son regard unique sur la vie, qu’il met en scène en un one-man-show immersif – et addictif.

les visages, les immeubles, tout. En termes de situations et de narration, j’ai toujours eu un humour un peu absurde, je ne sais pas où j’ai pu attraper ça. Je trouve simplement la vie absurde : les choses normales sont drôles, rien qu’un employé qui s’ennuie derrière son bureau ou les gens ennuyeux qui ne se rendent même pas compte qu’ils s’ennuient à mort.

Avez-vous aussi gardé votre regard d’enfant sur le résultat final ? Je suis très critique envers mon travail. J’ai tendance à détester mes dessins rétrospectivement : une ou deux semaines après, j’y suis allergique. J’espère que c’est parce que j’ai fait des progrès entre-temps ! En tout cas, j’aspire à m’améliorer constamment. Je me lance des défis pour rester inspiré, en modifiant ma façon de penser. Dessiner c’est penser, alors dès que je détecte une tendance dans mon travail, j’essaie d’en sortir consciemment : en tentant une nouvelle forme, une nouvelle ligne, d’autres couleurs, ou en regardant d’autres références. Je ne veux pas que ce soit facile. Les formes m’exaltent. Je ne saurais pas définir ce qui m’est plaisant esthétiquement, ça peut être un gribouillis comme un détail élaboré. Ça n’a rien de rationnel, c’est très émotif. Je ressens d’intenses émotions par rapport aux formes.

Un sujet favori ? Les personnes âgées. C’est très apaisant. J’adore dessiner leurs rides. Ils peuvent être méchants, mignons, tout ce qu’on veut. J’ai l’impression qu’on peut leur faire faire et dire n’importe quoi, ça n’offense personne. D’un côté on ne fait plus trop attention à leur impact, parce que leur vie touche à sa fin, on se dit « il/elle ne changera jamais à cet âge », et d’un autre côté ils n’ont rien à perdre donc ils sont authentiques, ils s’expriment dans toute leur gloire. J’aime aussi dessiner les couples. J’ai toujours porté un regard très cynique sur les relations amoureuses, j’aime bien m’en moquer! Mais aujourd’hui je suis moi-même dans une très belle relation alors je ne le fais plus (rires). Peut-être que mon cynisme vient de mes parents, ils s’entendent très bien et sont totalement habitués à vivre ensemble, je trouve cela très riche en enseignements sur la nature humaine. En fait, je suis cynique à propos de tout ! Je ne veux pas adopter d’opinions communes, alors j’ai souvent des réactions d’opposition. Si tout le monde pense noir je veux penser blanc, juste pour narguer. J’en suis totalement conscient.

Ou trouvez-vous l’inspiration ? Je regarde tout autour de moi, j’observe les gens – ce n’est pas très poli ! Rires. Je suis quelqu’un de très visuel. Je m’attarde sur

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? En ce moment je travaille sur mon long métrage d’animation, dont je ne peux rien dire de plus. Par ailleurs, je travaille constamment 178

DR Bahij Jaroudi

Comment avez-vous choisi cette profession ? La raison pour laquelle je me suis intéressé à l’animation est qu’elle allie dessin et musique, les deux choses que j’aime faire par-dessus tout. Dessiner est un plaisir pour moi, je dois passer à l’acte tous les jours pour être bien. Enfant, j’étais toujours surexcité par une feuille de papier et de quoi dessiner. C’est l’un de mes premiers souvenirs. Mes plus beaux cadeaux étaient de nouveaux crayons, de nouveaux pinceaux. Face à la page blanche, aucune angoisse : j’étais comblé par l’idée de toutes les possibilités qu’elle m’offrait. J’ai la chance d’avoir conservé ce sentiment jusqu’à ce jour.


ANIMATION

Ils ont finalement trouvé mon travail un peu trop adulte pour leur jeune public, bien qu’il ne comprenne ni violence ni nudité, mais c’était peut-être trop mature. À présent, je les envoie à des festivals. En tout cas, le tout est en ligne et accessible sur mon compte Vimeo.

sur des projets personnels : tous les jours, je dessine quelque chose pour moi. La plupart du temps je finis par le partager sur mes réseaux sociaux. Je le fais pour résister à l’attitude « je ne veux pas que les gens voient mon travail », qui peut être tentante. Je n’aime pas particulièrement les gens, mais je veux qu’ils voient ce que je fais ! C’est un dilemme. Je déteste l’admettre, mais il est important pour moi que mon travail soit vu. Dernier dessin ? En ce moment je fais beaucoup d’écriture en arabe, je teste de nouvelles façons d’écrire. Mon grand-père était calligraphe. Il était paralytique, et devait travailler de son lit. Je passais de longues heures à le regarder à l’ouvrage. Ces moments m’ont profondément marqué. Vous travaillez en équipe ? Je travaille toujours seul. Ce n’est pas commun chez les animateurs. L’animation est très collaborative dans sa nature. J’ai choisi le mauvais métier ! J’aime contrôler de tous les aspects. Je considère mes films d’animation comme une forme d’art, dans le sens où il s’agit de « manifestes » personnels, presque d’une forme de résistance. Si je ne travaillais pas seul, j’aurais le sentiment que le résultat n’est pas suffisamment personnel. Le dernier film que j’ai fait comme ça, « The Extremely Little Red Riding Hood » a été projeté à plusieurs festivals, en Russie, en Pologne… il va bientôt être projeté à « Beirut Animated », avec la série « Sensible Tales » qui m’a été commandée par Cartoon Network. J’ai fait 5 épisodes très personnels, car les commanditaires voulaient de l’animation dite « de créateur ».

Une journée typique dans votre vie ? Je dessine au moins 4-5 heures par jour, je joue de la guitare 1-2 heures, je vois des films, je lis. En ce moment je lis Fernando Pessoa, « Le Livre de l’Intranquillité » parce que je reviens du Portugal. C’est très beau. Un film préféré ? Je suis de plus en plus sélectif avec les films que je vois, les effets spéciaux ne m’impressionnent plus, je n’aime pas la poudre aux yeux. Je dirais « Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence », un excellent film de Roy Anderson. Il est très difficile à décrire : philosophique et existentiel mais à la fois plein d’humour caustique. Les personnages ont des vies complètement mornes, et l’histoire est centrée sur deux types qui essaient de vendre des gadgets, comme des poulets en plastique, ces choses destinées à être drôles et qui ne le sont pas. Ils ont l’air totalement déprimés. Magnifique film, très bien fait. Un animateur que vous admirez ? Je suis plus influencé par les réalisateurs et les illustrateurs que par les animateurs. J’adore l’illustrateur anglais Ronald Searle ainsi que Edward Gorey, André François, Sempé, et Saul Steinberg qui sait exprimer tellement de choses avec très peu de lignes.

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ANIMATION

Photos Bahij Jaroudi

Et la musique, quel rôle joue-t-elle dans votre processus créatif ? J’essaie autant que possible de composer et d’enregistrer la musique de mes films moi-même. Je l’ai fait pour mes trois derniers films et pour « Sensible Tales ». Parfois, la musique vient avant le dessin, et parfois l’inverse. Pour mon premier courtmétrage, réalisé alors que je faisais mon master à Londres, j’ai choisi un morceau de musique que j’aime, et l’ai « habillé » de séquences d’animation, image par image (une technique qu’on appelle « frame-by-frame ») un peu l’équivalent de l’improvisation en animation. La musique était Granada, d’Albeniz, jouée à la guitare et enregistrée par moi-même. Le sujet de l’animation était mon interprétation de la culture espagnole, dans tout ce qu’elle comporte comme arts : musical, visuel, culinaire et autre. Je suis amoureux de la culture espagnole. Deux de mes artistes préférés sont Picasso et Miró. Le flamenco me fait ressentir des choses que je ne trouve nulle part ailleurs, c’est très brut, très expressif. J’aime parfois être agressif dans mon trait, attaquer la feuille de papier, et cette musique fait écho à ce genre de pulsion en moi ! @bahijjaroudi

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Lara Tabet Profession, Photographe-Légiste Auteur NASRI N. SAYEGH Beyrouthine, Arlésienne, Parisienne, Docteure Lara Tabet – car l’artiste est aussi pathologiste clinique – nous dévoile quelques pans de ses recherches en sciences photographiques. Entre futurisme et lyrisme, il n’y a qu’un sas que nous franchissons ; celui de l’imaginaire. Débridé. Vertigineux. Rencontre du huitième type.

Lara Tabet, qu’est-ce-que « .DNA » l’œuvre que vous avez présentée à Arles ? J’ai été commissionnée parmi d’autres artistes par la Fondation arabe pour l’Image qui souhaitait montrer une collection particulière, le spécimen 0069fa07324. L’AIF voulait « activer l’archive » car selon elle, celle-ci n’est pas immuable. L’objet photographique peut être activé, avoir une vie. J’ai tout de suite été intéressée par la question de la préservation de l’image dans l’ère digitale et j’ai pensé à l’ADN comme vecteur et porteur d’informations. On l’utilise aujourd’hui comme un disque dur. L’ADN synthétique, que nous fabriquons nousmêmes, est un code qui peut contenir des informations, une molécule très compacte dans laquelle nous pouvons enregistrer énormément de données tout en ayant l’avantage d’être reproductible à l’envi. Un tout petit tube peut contenir de multiples téraoctets de renseignements, et ce même ADN peut être stocké dans du tissu humain ou animal. La question est de savoir comment entreposer ces informations dans le corps de l’homme. Beaucoup ont d’ores et déjà été emmagasinées lors de protocoles expérimentaux ; la célèbre chronographie d’Eadweard Muybridge, « Saut d’obstacle, cheval noir » y figure déjà. Mais quel est le but de ces protocoles expérimentaux ? L’idée c’est que dans le futur proche, les données numériques puissent être entreposées dans des molécules vivantes. Pour ce qui est de l’image, mon hypothèse de départ est que si l’objet photographique est un véritable objet et non seulement une image, il n’est donc pas suffisant de préserver la donnée-image, mais plutôt de tenter d’entrecouper toutes les données qui sont relatives à la physicalité de l’objet. Dès lors, tous les microscopes sont bons – optique, à fluorescence, et autres - pour scruter les possibles de cette image-objet. Pour Arles, j’ai donc choisi une photo albumine. Mon choix était

assez arbitraire, le sujet de l’image n’étant pas au centre de mes préoccupations mais plutôt sa matière. L’albumine est un matériau vivant, une protéine qui peut comprendre une multitude d’informations relatives à l’histoire, l’évolution de la photo. Mais cela peut aussi valoir pour les négatifs qui sont en acétate ou même pour le simple papier. Sous le crible du microscope, cette recherche crée de nouvelles images. Images microscopiques, images microbiologiques, images donnant à leur tour de nouveaux indices relatifs à l’objet. Toutes ces images, en plus de l’image originelle, sont alors transférées en code ADH qui consiste en 4 lettres « A.C.T.G » pour une future et éventuelle synthèse sous forme de molécule. J’expose enfin un carnet de recherche qui décrit toutes ces démarches et tous les échanges en cours avec d’autres chercheurs, notamment Nick Goldman de l’Institut Européen de Bioinformatique. Tout cela ressemble à un vertigineux roman d’anticipation… faites-vous œuvre de futur ? Mon idée, mon questionnement est le suivant : comment préserver une image d’archive avec les limites de l’ère digitale ? Comment avoir une idée globale de cet objet quand sa physicalité n’est plus ? Comment préserver ces informations pour le futur, pour une civilisation qui viendrait après la disparition de cet objet ? Comment celle-ci peut-elle avoir une image véridique de ce qu’un jour fut cet objet ? Le code aujourd’hui généré serait alors décodé. J’encode aujourd’hui l’image-texte pour qu’elle soit décodée dans le futur et tout cela sans passer par la physicalité de l’objet. Je souhaite ainsi créer un protocole de préservation de ces images ; en extraire l’histoire, le vécu, Une certaine quête de la méta-image ? Tout à fait. 182


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Derrière ces protocoles scientifiques semble pourtant sourdre une forte charge poétique. Oui. Je parle beaucoup de préservation de la mémoire. Dans mon carnet je cite beaucoup les écrits de Borges. Dans « Fictions », il y a une nouvelle, « Funes ou la mémoire » qui raconte l’histoire d’un homme atteint d’hypermnésie. Il se souvient de tout, enregistre tout ! Cette nouvelle m’a énormément marquée. D’où vous vient cette « monomanie » de l’investigation ? Je suis fascinée par ce qui est par-delà l’image, par-delà ce que l’on voit. Pénétrer dans la substance même de l’image à travers son analyse élémentale. Tenter d’en extraire de nouvelles données. Le microscope électronique peut voir l’invisible. Des images qui semblent provenir d’un autre monde. C’est aussi une certaine fascination du langage, son décryptage et la préservation de toutes ses formes. Ossatures d’images et de langages. Un alphabet si je puis dire. Inventer une banque d’informations destinée au futur. Il ne s’agit pas d’une dématérialisation de l’image. Au contraire, c’est une sorte de lyrisme que de vouloir à tout prix se dire que la matérialité est encore possible et de vouloir la préserver dans un monde qui se dématérialise de jour en jour. Peut-être une forme de romantisme ?

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Vous faites donc dans la science-romantique ? (Rires). C’est un mot qui fait peur, le romantisme. Mais oui, c’est un peu ça au final. Des sciences-romantiques ! Sacrée Prix du Musée Sursock en janvier dernier lors du XXXIIIème Salon d’Automne, encensée lors de la 50e édition des Rencontres de la photographie d’Arles cet été pour «.DNA » sa dernière création, la photographe libanaise Lara Tabet est actuellement exposée à la Biennale des photographes du monde arabe contemporain. ltabet.com

1. Micrographie électronique montrant des fibres de cellulose et des moisissures 2. Vu au microscope optique (grossissement x20) 183


ARCHITECTURE

La force légère de Tarek Elkassouf Auteure JOSÉPHINE VOYEUX Avec de multiples prix remportés à travers le monde, le jeune architecte-urbaniste-designer libanais Tarek Elkassouf s’est rapidement forgé un nom sur la scène internationale. Aujourd’hui installé entre Beyrouth et Sydney, le jeune homme, continue de révolutionner ses trois disciplines sur les deux hémisphères…

Un artiste aux multiples casquettes Pour rappel, Tarek Elkassouf, avait commencé par aménager le restaurant l’Olivier, un temps perché dans les montagnes libanaises au cœur d’une forêt. Il est également le constructeur de la T House, une maison de 250 mètres carrés, située dans le nord-ouest du Liban et pensée pour une famille australo-libanaise. Mais Tarek Elkassouf ne dessine pas uniquement des édifices. Son nom est aussi associé, depuis quelques petites années et à l’échelle internationale, à ce qu’on appelle le « collectible design » soit les objets et

meubles contemporains de grande facture, produits en édition limitée. Particulièrement en vogue, ces objets offrent une alternative séduisante à la production de masse, ouvrent la voie à plus de singularité et permettent à l’art de se revisiter à travers le prisme de l’artisanat. Un artiste sur le fil A 34 ans donc, le jeune architecte-designer et urbaniste semble avoir trouvé le parfait équilibre, entre la conception macro et le design micro, entre le dessin et la conception, l’artisanat et le haut-de-gamme, l’hémisphère nord et l’hémisphère sud… Basé entre Sydney et Beyrouth, il a trouvé son équilibre en suivant les migrations du soleil et de la lumière. Son studio, à son image, est sur le fil. Il repose sur un savant équilibre entre ses trois disciplines. Son art n’est pas un médium mais une vision. « Je perçois la vie en termes de pureté des lignes, de formes géométriques, expliquet-il. Je suis parfois contraint de bouleverser et d’adapter cette symétrie par le biais de distorsions pour défier la perception des limites. Je ne sais jamais quelle sera 184

la forme finale quand je commence à créer, mon seul objectif reste de ne pas en perturber la pureté ». Un artiste fécond à la recherche de réponses Tarek Elkassouf se distingue surtout par son approche brute, géométrique et acérée. Tantôt chef de chantier à la tête d’un projet d’aménagement urbain, tantôt designer ou concepteur de meubles, Tarek multiplie les projets autant que les casquettes. En avril dernier, il présentait à White Walls à Beyrouth sa dernière exposition « Ode To Marble » - une collection de meubles et de luminaires fonctionnels qui questionnent la matérialité des minéraux. Le marbre et les pierres dans ce travail interagissent et semblent dialoguer. Ils flottent puis se fondent les uns dans les autres, se répondent les uns aux autres. « J’ai exploré à travers cette exposition la relation entre la machine et le savoir artisanal ancestral : la plupart des objets ont été réalisés avec des machines à la pointe de la technologie mais dans chacune des créations, l’acteur clé est toujours resté l’artisan », précise Tarek Elkassouf.

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Diplômé en architecture et aménagement urbain de l’Académie libanaise des beauxarts (ALBA),Tarek Elkassouf est ce jeune créateur-designer libanais de 34 ans dont on lit régulièrement les louanges dans la presse internationale et locale, ou découvre les créations dans les galeries libanaises ou les salons d’art contemporain régionaux, comme la Beirut Design Fair ou la Dubaï Design Week. Exposé à ce jour dans plus de vingt foires internationales, son travail ne passe pas inaperçu.


ARCHITECTURE

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Ses pièces préférées, dans cette collection « Ode To Marble», sont les ‘Melting Lamps’ – une exploration, explique-t-il du surréalisme à travers le design. Les propriétés physiques de la matière sont ici travaillées et revisitées à tel point que le verre donne l’impression de fondre à travers un bloc rectangulaire de marbre Nero Marquina. L’effet est troublant, liquéfiant, et le résultat est éminemment contemporain. Une fois encore, le travail du jeune créateur interpelle : il semble davantage le fruit d’une expérimentation que d’un résultat cherché. « J’essaie de créer des pièces, des sculptures capables de défier la gravité, explique Tarek ElKassouf. Je fais appel à des technologies spécifiques pour les maintenir dans des positions presque impossibles, mais elles restent centrées sur l’humain. Pourquoi créer de la beauté si celle-ci ne peut être accessible ? ». Un art engagé et engageant Que ce soit à travers la conception de bâtiments, ou la création d’objets de design, Tarek Elkassouf relève systématiquement le défi d’offrir une expérience sensorielle à son public. Un voyage à la fois visuel, olfactif et tactile. « Les œuvres d’art sont une expérience cognitive, résume-t-il. Elles permettent à chacun de prendre conscience du temps présent ». Sur un fil, plié, replié, en équilibre et à la frontière entre deux monde, l’art de Tarek Elkassouf est finalement une ode à la vie. Une continuelle expérimentation pour mieux saisir les contradictions et l’essence de notre monde: la rencontre entre deux matières, deux idées, deux designs extrêmement opposés, soutenus par des appuis très fins mais d’une résilience à toute épreuve, en dépit des apparences.tarekelkassouf.com 185


MUSIQUE

Salim Naffah, alias Alko B est de retour avec un nouvel album aux accents doux amers. Le multi-instrumentaliste suave et mélancolique nous a retrouvés sur sa vespa rouge, en chemin vers le boulot, pour nous parler de son dernier album Dreaming is Not For Two. Auteure MARIE ABOU KHALED 186

Photo Mohamad Abdouni

ALKO B RÊVE EN SOLO


MUSIQUE

Parlez-nous de votre dernier album, Dreaming Is Not For Two, comment se distingue-t-il du premier ? Bien que quelques morceaux aient été écrits en concomitance avec la sortie du premier album, le son est très différent. Il respire bien plus que le premier, a plus de nuances. Je crois qu’en écoutant l’album précédent, on se rendait vite compte que c’était un premier album, et je crois que ce dernier album est bien plus mature dans son approche. Lors de ma première expérience en studio, j’utilisais plus de références, voulant me rapprocher de tel ou tel genre. Cette fois, je suis entré en studio avec le simple but de donner à la chanson la juste touche nécessaire. Par exemple, une des chansons avait toujours été jouée en live avec guitare et batterie, mais en studio je me suis rendu compte qu’il lui suffisait d’un piano et d’une voix, alors c’est ce que j’ai enregistré. Par ailleurs, le premier album avait été enregistré sur cassette, une expérience de bricolage très enrichissante mais qui, rétrospectivement, ne valait pas l’effort technique et la prise de risque. Le digital me permet de faire de l’overdubbing (ndlr : superposition de plusieurs couches instrumentales) avec plus de flexibilité, plutôt que de ne pouvoir faire qu’une seule prise définitive. Ce dernier album est le fruit de deux séries de 4-5 sessions d’enregistrement avec Fadi Tabbal: une première, à chaud, en juin 2018, et une deuxième en juin 2019 avec du recul et une vision plus claire de ce qu’il fallait faire. Je crois que je me suis bien rapproché d’un son distinctif qui me caractérise, mais il faudra peut-être 3 ou 4 disques pour y arriver pleinement ! Y a-t-il un lien entre le titre de l’album, «Dreaming Is Not For Two» et le fait que vous préférez travailler seul ? Je pense que oui, c’est un trait de ma personnalité qui vient du fait que je suis fils unique je crois. On accepte sa solitude au bout d’un moment ! Et à partir de ce moment, ça s’applique à toutes les situations de la vie : manger seul, dormir seul, écrire seul, travailler seul. Ne pas vraiment avoir le sens de l’équipe ; ne travailler en groupe que quand c’est vraiment nécessaire. Par nature, je ne vais pas vers les activités collectives. Y a-t-il eu des collaborations sur l’album à part la touche de Fadi Tabbal ? Non, mais j’aimerais dire que tous les musiciens avec qui j’ai joué les morceaux sur scène (dont Pascal Semerdjian, Marwan Tohme, Ramzi Khalaf, Camille Cabbabé, Elie Khoury, Charbel Abou Chacra et Andrew Georges) m’ont apporté quelque chose. Ils n’ont peut-être pas enregistré avec moi mais c’est tout comme : ils m’ont probablement inspiré certaines modifications pour le mieux. Je leur dois ça. De quels instruments jouez-vous sur l’album ? De la guitare acoustique (il n’y en avait pas dans le premier), des synthés (piano électrique, cordes, orgue), quelques lignes de basse sur 187

deux-trois morceaux, et quelques balais sur deux morceaux. Pour moi, c’est principalement un album de guitare acoustique, d’ailleurs quand je joue sur scène je ne suis souvent accompagné que de ma guitare. D’où vient la couverture de l’album ? C’est un cliché magnifique de Mohamad Abdouni pris à Joining Beach à Batroun. C’est un rocher où les gens venaient pour plonger. Le propriétaire d’une maison toute proche a décidé un jour de préparer à manger pour ces plongeurs, et au fil du temps la maison est devenue un restaurant. C’est très bon et très agréable, j’aime beaucoup y aller. La photo m’a été proposée par Mo qui tournait un projet là-bas. Je lui ai envoyé ma musique et lui ai dit «pense à une photo qui dit «Dreaming is not for two» «. Il m’a envoyé 4 options, et quand j’ai vu celle-ci j’ai tout de suite su que c’était la bonne. Je crois que le lien est évident. D’où vient votre inspiration pour les paroles ? Toujours l’amour ? Oui, je crois que c’est un état qui me fait réfléchir : la façon dont on ne peut jamais atteindre la notion qu’on a de l’amour. D’où vient cette image cristallisée que l’on en a, qui n’existe peut-être pas et qui, si elle existe, est incompatible avec qui l’on est ? Y a-t-il des vidéos prévues pour cet album ? Oui, plutôt des sessions live filmées que des vidéoclips traditionnels. Je pense que je retravaillerai avec Hassan Julien Chehoury avec qui j’avais fait une première vidéo pour ma musique. Peut-être qu’il fera un clip sur «Dreaming is not for two» où il aura l’entière liberté dans sa démarche cinématographique, de façon à ce que ma musique soit la bande-son de sa vidéo plutôt que sa vidéo un support pour ma chanson Pourquoi les interludes d’une minute entre les chansons ? C’est une collection de petites phrases musicales que j’ai faites ces derniers mois à mon retour du boulot, exténué. J’aime penser (et c’est avec Charbel Haber et Fadi Tabbal que j’ai d’abord eu cette discussion) que ce disque est principalement constitué d’interludes entre lesquelles sont intercalées des chansons. C’est une manière d’inclure mon travail récent, maintenant que mon mode de vie effréné ne me permet pas d’en faire plus au quotidien. Un film préféré ? Pierrot Le Fou, de Godard, parce qu’il y est question de casser les règles du jeu tout en jouant. Projets futurs ? Cela fait un moment qu’on parle de collaboration avec Kid 14, j’espère que ça aura lieu et que ce sera mon prochain projet musical. http://alkob.bandcamp.com/releases, @salimnaffah


ARCHITECTURE

ATELIER 130 : CE FUT COMME UNE APPARITION Nous sommes devant les locaux des célèbres « Senteurs d’Orient ». Épousant les formes d’un pain de savon scindé en deux, la bâtisse héberge dans une barre le siège social de la marque, dans l’autre la fabrique d’où émanent des effluves de musc, de jasmin et autres ambres. Atelier 130 signe des lieux de caractère.

Nous sommes dans le grand Beyrouth, en plein cœur du tumulte du quartier industriel de Dekwaneh. Le ciel est bas, lourd et humide. Les poussières de la capitale ne se lassent pas d’alanguir leur septembre sous les chaleurs d’un ciel inlassablement estival. Ce soleil qui s’étouffe de briller… Quand soudain, telle une apparition, une fabrique de savons. Nous sommes devant les bureaux des célèbres « Senteurs d’Orient ». Édifice au parfum de succès, « Senteurs d’Orient » vaudra à l’Atelier 130 qui en signe l’architecture de nombreux prix dont le prestigieux Arabian Property Award 2014. Né le 1er Mars 2010, jour de la signature de ce tout premier chantier, l’Atelier 130 doit son nom-même à cette date. Atelier à la numérologie archi-inspirée, éponyme et porteuse de bonheurs, le 130 n’a de cesse depuis sa création de subjuguer le cadastre esthétique libanais. « Notre inspiration première émane du site. Nous essayons de nous adapter le plus possible à ce que crie chaque terrain », explique Nathalie Habr co-fondatrice de l’Atelier 130. « Beyrouth ! Beyrouth demeure notre plus grande source d’inspiration », surenchérit Halim Khoriaty, son partenaire. Attachement capital, c’est de leur ville qu’ils puisent leurs imaginaires et c’est à leur ville qu’ils offrent, justes et belles, leurs meilleures réalisations. Car leur griffe ergonomique, environnementale et fonctionnelle, fait le pari de la malléabilité du Beau. C’est à l’écoute

de leurs clients, en harmonie avec le terrain et défaits du si souvent caractéristique égo de l’architecte qu’ils se font exauceurs de vœux esthétiques. Situé dans le quartier Monot, « Oh ! Bakehouse », l’adresse healthy de la capitale libanaise est un écrin du gluten-free qui s’inspire des échoppes New-Yorkaises. Passionnée par la Grande-Pomme, la patronne des lieux souhaitait dépayser ses clients. Pari réussi avec sa cuisine visible à travers une vitre, ses briques rouge-Amérique et surtout ses irrésistibles effluves de gâteaux frais. Toujours d’inspiration industrielle, le restaurant DON, dans le quartier Saint-Nicolas, transmue le street-food tokyoïte dans les rues de Beyrouth. Les volumes sont vastes, les tables, généreuses et les façades s’offrent à la rue en misant sur la transparence. Des plafonds, des caisses de légumes font écho au marchand de primeurs du coin. L’appétit ludique ! En guise de coup de chute ou de foudre de la rédaction, l’hommage de l’Atelier 130 au mythique fauteuil de Le Corbusier. Gracieusement nommée « Rakweh », cette chaise longue nous replonge au cœur des sixties de Beyrouth tout en nous incitant à de langoureuses siestes faites d’osier, de jaunes délicats et des senteurs de nos si nostalgiques Orients. atelier130.com 188

Photos Oh Bakehouse de Walid Rashid, RAKWE chaise longue DR, Senteur Orient de ieva saudargaite, Don de Nathalie Habr

Auteur NASRI N. SAYEGH


Iwan Baan, courtesy The Shed

GUEST HOUSE


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Illustrations Nougat

LES FLÈCHES À L’ENCRE DE « NOUGAT » 190


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Auteure JOSÉPHINE VOYEUX Mohammad Nohad Alameddine, qui signe ses dessins « Nougat », s’est fait connaître sur les réseaux sociaux avant de signer les caricatures du quotidien Al-Akhbar. Premier prix, il y a un an, du concours « La Plume de pierre » de la fondation Pierre Sadek, il dénonce avec une justesse acerbe et beaucoup de courage les maux du Liban et de la société libanaise.

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A partir de là, du propre aveu de Mohammad Nohad Alameddine, la machine s’est très vite emballée. « J’ai commencé à observer la situation politique de mon pays, à lire l’actualité au quotidien, explique-t-il. J’ai réalisé à quel point les décisions de nos leaders et des hommes

de religion influençaient notre quotidien. Dessiner pour moi, était alors le seul moyen dont je disposais pour m’exprimer et faire passer des messages ». Enfant, « Nougat » vouait déjà un culte à des figures de la liberté d’expression du MoyenOrient, tel le caricaturiste palestinien Naji al-Ali, tué en août 1987 à Londres, ou Pierre Sadek, disparu en 2013 des suites d’une longue maladie. Il admirait chez ses idoles leur militantisme, certes, mais également leur capacité à accrocher le lecteur d’un seul coup d‘œil, le talent qu’ils avaient de raconter toute une histoire en quelques traits. C’est donc sans hésitation que le jeune homme se dirige, une fois son baccalauréat en poche, vers des études d’illustration à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) qu’il intègre en 2014. Enthousiaste et travailleur dans ses études supérieures, Mohammad Nohad Alameddine gagne très rapidement en dextérité. Tout se concrétise pour lui en 2018 quand il décide de participer au concours « La plume de pierre », lancé par la Fondation Pierre Sadek dirigée par la fille du célèbre caricaturiste libanais. Encore étudiant, le jeune homme remporte le premier prix de la compétition avec une illustration de la « Grotte aux pigeons » de Raouché, écrasée par un gratte-ciel. « Je voulais critiquer l’extrême urbanisation de Beyrouth et la disparition des espaces publics dans la capitale, souligne le jeune homme. Nous vivons 192

sous une dictature qui porte le masque de l’argent et des religions ». Sa caricature est exposée à Paris, à l’École supérieure des arts et des industries graphiques, dans le cadre de l’événement « Presse Citron ». L’opportunité est de taille pour le talentueux dessinateur. « C’était un rêve d’enfant, confie-il. Avec mon père, on avait vu des reportages sur cet événement sur Arte. Il m’avait dit à l’époque que je devais me battre pour parvenir un jour à y participer. Cela m’a donné un boost incroyable ». Porté par la ferveur et confronté au regard de dessinateurs de presse internationaux, « Nougat » a gagné en confiance. « Tout a changé pour moi à partir de là, estimet-il. Cela m’a beaucoup inspiré et offert un champ visuel plus large, j’ai l’impression que ma manière de réfléchir a fait un bond à ce moment-là ». Déterminé et ambitieux, Mohammad Nohad Alameddine ne se repose pas sur ses lauriers. Aujourd’hui freelance, il produit sans relâche. Son objectif est de publier plusieurs dessins de presse par jour pour décrypter les moindres détails de l’actualité de sa cause la plus chère, son pays, le Liban. Sans détour, le jeune homme aborde ainsi tous les thèmes qui lui tiennent à cœur : l’environnement, la corruption, l’inégalité hommes-femmes, ainsi que les injustices sociales de manière plus générale… Avec un seul espoir en tête, bouger les lignes pour faire revivre un nouvel âge d’or au pays du Cèdre.

nougature.com

Illustrations Nougat

Son surnom, « Nougat », il le porte depuis les années qu’il a passées au lycée Abdel Kader, à Beyrouth. Il le doit sans surprise à la pâte molle fabriquée à base d’amandes, de noix, de noisettes et de sucre caramélisé. « C’est parce que je n’étais pas une flèche à l’école, souligne le jeune homme de 23 ans. J’avais à peine la moyenne, je n’étais pas très rapide ». Aujourd’hui engagé dans une voie qui le passionne, Mohammad Nohad Alameddine prouve qu’il ne manque ni de vivacité ni de percutant, même si le talentueux illustrateur qu’il est devenu a tenu à conserver son surnom d’écolier. Sur internet et dans la presse, les 6 lettres de la délicieuse confiserie sont ainsi systématiquement apposées en bas à droite de chacun de ses croquis. « J’ai toujours su ce que je voulais faire, précise le jeune caricaturiste. Ma carrière de dessinateur n’est pas due au hasard : à trois ans, ma mère, architecte, avait déjà repéré chez moi un certain attrait pour le croquis. À dix ans, je savais déjà ce que je ferais de ma vie. Ma révélation, c’est au final davantage l’éveil de ma conscience politique en 2005, avec l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri ».


Available in all AĂŻzone stores T. 01 99 11 11


MUSIQUE

Auteure MARIE ABOU KHALED

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Illustration Cynthia Aboujaoude

Sur les vagues sonores de Jack Sleiman


MUSIQUE

Le DJ et animateur radio le plus actif de Beyrouth s’est remis à produire sa propre musique et prépare une rentrée pleine de surprises. Rencontre avec un oiseau de nuit avide d’expériences qui l’élèvent toujours plus haut.

Comment avez-vous commencé à faire de la musique ? Pas de la façon traditionnelle - je me suis vite fait virer de mes premiers cours de guitare. En fait tout a commencé avec mon amour de la nuit. J’ai toujours adoré être réveillé lorsque tout le monde est endormi. J’ai vécu à Chypre jusqu’à l’âge de 15 ans à peu près, et nous habitions dans une rue bordée de boîtes de nuit. Celles-ci m’attiraient irrésistiblement. Un jour j’y ai postulé pour un job. J’ai commencé par essuyer des tables, faire le serveur, inviter les gens à entrer avec des formules aguicheuses... Avec ma pilosité de MoyenOriental, personne ne me demandait de comptes ! Je racontais à mes parents que je dormais chez un pote. Un beau jour, le DJ n’est pas venu, alors on m’a demandé de me tenir sur la plateforme avec un CD préenregistré. Là-haut, j’ai ressenti le regard des gens sur moi, un certain respect, une reconnaissance différente de tout ce que j’avais vécu jusque-là. J’ai vite voulu recommencer, c’est là que je me suis mis à amasser ma collection de disques. Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ? Je dirais le pouvoir qu’il me donne sur les émotions des gens. C’est merveilleux de voir une foule en connexion intense avec la musique jouée, les acclamations de joie quand les premières notes d’une chanson aimée se font entendre, ça n’a pas de prix ! Disons que si quelqu’un arrive au club déprimé, j’ai le pouvoir de faire en sorte qu’il reparte soit encore plus bas, soit remonté à bloc. C’est une responsabilité. A mes débuts dans le métier à Chypre, j’étais un grand fan de slow rock. À la fin de chaque soirée je passais mes chansons préférées de Creed et Aerosmith, je me faisais mes quelques minutes à moi, avec ces chansons qui donnent des frissons. La façon dont elles affectaient l’atmosphère

me fascinait. En fait, les soirées sont les seuls moments où les gens s’adonnent à leurs émotions. La musique est un catalyseur. Ils lâchent prise, et moi je suis là pour leur offrir un support, pour intensifier l’expérience. Comment avez-vous commencé à produire votre propre musique ? Dans un premier temps, à mesure que ma carrière de DJ progressait, j’ai accumulé de nombreux contacts dans l’industrie. J’ai fait mes études universitaires au Canada (en post-production, le job que je ferai quand je prendrai ma retraite) Entre autres choses, j’ai longtemps travaillé dans un club huppé à Montréal, le Time Supper Club, où il y avait souvent des invités de marque, entre autres Lindsay Lohan et Paris Hilton. C’est là que j’ai rencontré beaucoup de personnes influentes dans l’industrie, dont Sean Kingston, avec qui j’ai animé plusieurs soirées, et que j’ai même fait venir au Liban par la suite. Après être rentré du Canada, j’ai animé des soirées entre Beyrouth et Dubaï, et DJ Snake faisait partie de mes fréquents collaborateurs. C’est un très bon ami et nous étions très complices sur le podium. DJ Snake s’est mis à produire de la musique du jour au lendemain, et a tout de suite fait un tube planétaire appelé «Turn Down For What». Aujourd’hui, c’est un des plus grands producteurs au monde, il travaille avec les plus grandes stars. Voir quelqu’un de si proche de moi réussir si vite et si fort, ça m’a motivé à fond, et j’ai produit une première chanson appelée Next, avec MIMS. Malheureusement, j’attendais un succès comparable au sien qui n’est pas venu, et cette attente a contribué à un découragement de 4 ans où j’ai complètement arrêté de produire. Je viens juste de m’y remettre, avec des chansons que j’ai sorties en 2019: Remember, avec Sean Kingston et Karl 195

Wolf, suivie de Ella, une chanson latino avec Skales, et plus récemment, «Secrets» avec Ice Prince, Awa Imani et Eylie. Un conseil pour un jeune qui débute Surtout ne pas le faire pour les chiffres ! C’est le meilleur moyen de se mettre des bâtons dans les roues. La musique n’est pas un concours de popularité, et les réseaux sociaux aujourd’hui nous obligent à nous comparer sans cesse aux autres. Si on fait de la musique, il faut que ce soit simplement parce qu’on aime ça. Où trouvez-vous l’inspiration ? Toujours dans mes expériences personnelles. J’aime que chaque chanson reflète une certaine période de ma vie, que je puisse la réécouter et me dire « c’est la chanson que j’ai écrite au moment où... telle ou telle chose est arrivée ». Comme une sorte de «time capsule» qui capture la saveur du moment. Un film préféré ? Pas un film, une série. C’est Friends, ma série préférée, ma «happy place». Je crois qu’il n’y aura jamais un autre Friends. De toute façon les gens deviennent de plus en plus susceptibles et je crois qu’il y a pas mal de choses qui passent moins bien aujourd’hui et choquent les jeunes générations. Vos projets futurs ? Tout au long de cette année, je vais sortir des chansons bien plus fréquemment, mais malheureusement je ne peux pas en dire plus! Ce sont pour la plupart des collaborations que je n’aurais jamais crues possibles, des rêves qui se réalisent. J’ai hâte de les partager. À côté de cela, je suis aussi un entrepreneur. J’ai lancé il y a quelques jours une plateforme de vente de billets en ligne appelée TicketList.

jacksleiman.com


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ALI AL-MASRI, CALLIGRAPHE POLYVALENT Auteure JOSÉPHINE VOYEUX Originaire de la petite ville industrielle de Zarqa, à la périphérie d’Amman, Ali alMasri est un jeune graphiste, calligraphe, designer et typographe jordanien 100% autodidacte. Amoureux de la littérature arabe, le jeune homme de 32 ans a mis toute son énergie dans l’apprentissage des procédés de composition et d’impression des différents caractères de l’écriture arabe. Retour sur le parcours d’un passionné aussi

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talentueux que curieux.

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ILLUSTRATION

Touche-à-tout, curieux et particulièrement motivé, Ali al-Masri n’attend pas de finir ses études pour se jeter dans le grand bain. A 16 ans, il avait déjà conçu son premier logo. Quelques années plus tard, il créait ses propres caractères. A 20 ans, il décroche un contrat avec une des plus importantes plateformes de vente de polices en ligne, MyFont, et effectue ses premières ventes sur le net. En 2013, il crée sa propre fonderie, Abjad, et organise à travers la région des ateliers de calligraphie et typographie arabe afin de transmettre ses acquis et favoriser les échanges de savoir-faire entre artistes du monde arabe. En parallèle, Ali al-Masri travaillait alors à temps plein pour Syntax, grand studio de design jordanien spécialisé dans le marketing et les applications mobiles. Multidisciplinaire, prolifique, débordant de ressources, il enchaîne les projets avec dextérité malgré la pluralité de ses

activités, aussi bien dans la réalisation de logos, de posters, d’identités visuelles, que dans la direction de campagnes de mode, la création de polices, de vêtements ou de tous types de produits envisageables. « J’ai découvert au fil des années que je suis incapable de me concentrer sur une seule tâche, souligne-t-il. Je ne suis pas uniquement un graphiste, un designer ou un calligraphe, j’aime varier et mélanger les plaisirs. La seule chose qui ne change pas, c’est que les lettres et caractères arabes restent toujours au cœur de mon travail. J’essaie de toujours explorer de nouvelles techniques, précise-t-il. Expérimenter avec différents médiums, différents produits, est la clé de mon équilibre ». Différents pays aussi, pourrions-nous ajouter. Naviguant entre l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Liban, la Tunisie et la Jordanie, Ali al-Masri - qui se définit comme « un esprit libre », a la bougeotte. Mais voyager est pour l’artiste une manière de se nourrir de l’ambiance, des traditions et de la vie des cités. « Cela correspond à ma personnalité, c’est certain, je suis curieux et libre, mais je fais beaucoup de rencontre à travers les villes que je visite et dans lesquelles je m’installe, c’est rafraichissant et m’apprend beaucoup sur l’histoire et le patrimoine de la région », glisse-t-il. Car le leitmotiv d’Ali al-Masri, c’est avant tout de réhabiliter la culture arabe, de lui redonner ses lettres de noblesses… en sensibilisant à la manière d’écrire en arabe et surtout, en créant des polices originaires 198

du monde arabe. Le jeune homme s’est rapidement rendu compte que la majorité des polices qui existent proviennent… de l’Occident. « Il y a plusieurs choses qui m’importent, souligne l’artiste jordanien. J’essaie de promouvoir l’identité arabe à travers la calligraphie et les lettres arabes… mais sur le long terme, j’aspire sincèrement à m’attaquer à ce qui crée la controverse dans notre société - tout ce qui est intrinsèquement lié à nos traditions et à des manières de penser conservatrices. J’aimerais désamorcer ces objets de tensions en les déplaçant dans des mediums inattendus, comme la pop music, ou encore le secteur de la mode ». Le chantier est de taille mais Ali al-Masri a des projets plein la tête. Après de longues recherches et expérimentations assidues, il s’apprête à publier sa propre police. « C’est un travail titanesque, il faut décliner aussi en italique et gras », souligne-t-il. Le jeune homme suit en parallèle de nombreux autres fronts : des posters en éditions limitées, des performances live de calligraphie arabe sur verre, de nombreuses collaborations avec les ateliers Bartavelle ou encore les textiles Fouta Harrissa. Il aimerait notamment créer sa propre sculpture typographique en trois dimensions, et ambitionne de produire son propre design textile en édition limitée. « J’écrirai directement dessus et pourrai le vendre à des stylistes et designer de mode », ajoute-t-il. Ali al-Masri ne fixe ainsi aucune limite à son ambition, chaque jour entretenue et alimentée par son amour inconditionnel pour la culture issue du monde arabe. @alialmasriart

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« Personne dans la famille n’est lié de près ou de loin à l’art, la culture, ou la littérature, lâche d’emblée Ali al-Masri. J’ai tout appris par moi-même, guidé par mon amour pour la littérature arabe ». La calligraphie, l’art d’utiliser différents caractères dans un but esthétique et pratique, le graphisme, la 3D, et les logiciels spécialisés… Le jeune artiste s’est initié à ces multiples disciplines dans les premiers cafés internet d’Amman, à l’adolescence, avant de poursuivre sur les bancs de l’université un double diplôme – en design graphique à l’université d’Alquds et en design industriel à celle de Yarmouk.



EXPOS

Devoir de voir Auteur NASRI N. SAYEGH

La Chambre libanaise Éclectique, polymorphe, en perpétuelle métamorphose, la scène photographique libanaise semble réfractaire à toute entreprise de définition. Un exercice ardu auquel s’attèlent pourtant l’Institut du Monde Arabe de Paris et la Maison Européenne de la Photographie qui mettent à l’honneur le pays du Cèdre à l’occasion de la troisième Biennale des photographes du monde arabe contemporain. Il y est question -et image- des stigmates de l’incivile guerre libanaise – motif quasi-obligé de la camera et de l’obscure psyché libanaise – mais aussi d’une nouvelle génération qui semble vouloir en découdre avec les sutures du passé. A redécouvrir, parmi les artistes exposés, les fascinantes visions de Gilbert Hage, les clichés insomniaques de Myriam Boulos, les dérives enivrantes de Maria Kassab, les ineffables ruines de François Sargologo ou encore les hypnotiques nuits de Lara Tabet. Une inestimable richesse de regards portés sur le Liban comme autant de moyens de tenter de sublimer un pays en perpétuelle invention. Jusqu’au 24 Novembre. www.biennalephotomondearabe.com

Arborescences “ Il n’y a rien de purement humain, il y a du végétal dans tout ce qui est humain, il y a de l’arbre à l’origine de toute expérience». S’inspirant de l’adage du philosophe Emanuele Coccia, l’anthropologue Bruce Albert, commissionné par la Fondation Cartier – Paris, s’est entouré d’artistes, de philosophes et de botanistes pour rendre hommage à l’un des plus nobles protagonistes du règne végétal. “Nous les Arbres” laisse entendre la voix de ceux qui ont tissé, à travers leur parcours esthétique ou scientifique, un lien intime avec les arbres. En fervent défenseur de la notion d’intelligence des plantes, le botaniste Stefano Mancuso, pionnier de la neurobiologie végétale donne la parole aux arbres. Côté artistes, on retrouve une émouvante sculpture qu’Agnès Varda avait imaginée pour ce projet avant son décès. Une belle occasion de se balader dans le jardin de la Fondation Cartier avec ses plus de 200 espèces végétales entourant le majestueux cèdre du Liban planté par Chateaubriand en 1823. A découvrir jusqu’au 10 Novembre. www.fondationcartier.com 200

Luxe, Calme et Préciosité Le Musée du Louvre Abu Dhabi déroule le tapis rouge à plusieurs millénaires de l’histoire du Beau. A travers quelques 350 objets d’art et de mode, de joaillerie, de mobilier et de design, l’exposition “10000 ans de Luxe” ambitionne de sonder l’histoire du luxe dans son intégralité. L’exposition rassemble des offrandes divines exceptionnelles, des meubles précieux destinés à la Cour, mais aussi des créations emblématiques et des pièces d’exception conçues par les plus prestigieuses maisons telles que Christian Dior, Chanel, Cartier, Balenciaga et Hermès. Des chefs-d’œuvre en provenance des collections du Musée des ArtsDécoratifs de Paris complétés par les prêts d’autres institutions comme le Musée du Louvre ou encore celui du Quai Branly – Jacques Chirac. Par ailleurs, l’exposition dédie un chapitre entier à la notion de rareté - ce que l’argent ne peut acheter. Une réflexion notamment sur l’incarnation de la Diva et la place qu’elle occupe dans l’histoire des musiques populaires. Hommage en grande pompe rendu aux plus grandes d’entre elles : Oum Kalthoum et Fairuz. Du sublime à admirer jusqu’au 18 Février

2020. www.louvreabudhabi.ae

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Photos hypnotiques du Liban, incursion dans l’intimité des arbres, excursion dans l’intangible univers du luxe… Nos propositions pour changer de perspective avant le retour de la routine.


LIVRES

Sous les pavés, de belles pages Portraits décalés, design universel, bande dessinée du grinçant réel libanais…voici des livres qu’on peut lire à l’envers et même en commençant par la fin.

Nulle Parr Ailleurs! L’exposition-évènement de la National Gallery de Londres au printemps dernier “Only Human / Martin Parr” méritait bien un livre ; le voici aux éditions Phaidon. Outre une sélection de ses meilleurs clichés, l’ouvrage présente les récents portraits de Britanniques réalisés par Martin Parr depuis le vote en faveur du Brexit en 2016. Au moment où la Grande-Bretagne s’apprête à quitter l’Union Européenne, le photographe, aujourd’hui âgé de 66 ans, a choisi de brosser le portrait d’une nation, d’un royaume en veille de mutation. Il n’hésite pas à placer les « people » dans des lieux incongrus : on voit ainsi Vivienne Westwood poser dans des toilettes ou les membres du groupe Madness serrés dans une laverie automatique. Tour à tour spirituels, surprenants et ingénieux, les clichés de Martin Parr de la dernière décennie révèlent les excentricités de la vie moderne avec affection et perspicacité. Un regard de documentariste unique fait de tendresse, d’humour et surtout de beaucoup d’amour.

Le Mobilier Fondamental Direction le Sud-Ouest allemand dans la ville de Weil Am Rhein et sa si bien nommée Charles Eames Straße. C’est au numéro 2 que réside le Vitra Design Museum, un bâtiment signé Frank Gehry; et c’est à cette même adresse qu’est aujourd’hui publié le trop longtemps attendu “Atlas of Furniture Design”. Avec plus d’un millier de pages, ce livre est le plus complet jamais publié sur le sujet : il présente plus de 1700 objets d’environ 550 designers et comporte plus de 2800 illustrations, prises de vues de détails des objets, des illustrations comparées, mais aussi des esquisses de projets, des intérieurs, des brevets, des brochures, des œuvres d’art et des bâtiments faisant de ce titre un nouveau fondamental de l’histoire du design de mobilier. Couvrant les quelques 230 dernières années, l’ouvrage comprend des œuvres des designers les plus essentiels et revient sur les phases les plus importantes de l’histoire du design. LA bible de la belle ouvrage ! 201

Shebam! Pow! Blop! Wizz! “Viens faire des bulles, viens faire des WIP! The CRIP! CRAP! The BANG! The VLOP! Et of the ZIP!”. C’est sur l’air d’un Gainsbourg, que l’on peut parcourir les bulles de Mazen. Ou encore sur les emblématiques brisures de sons d’un Kerbaj – car le célèbre dessinateur de presse libanais est par ailleurs et surtout, et/ou l’inverse, l’un des chefs de file de la scène d’improv’music libanaise. Dans son dernier Comic-Strip, publié au printemps dernier chez Arte Editions / Actes Sud BD, Mazen Kerbaj qui sévit sur le papier depuis plus d’une quarantaine d’années semble avoir du “Politique” sur la planche. Guerre, immigration, liberté de la presse, écologie... tout est sujet à palabres pour les protagonistes de son théâtre. Dans ses cases, des personnages au dessin caricatural : gros nez, barbes, figures à l’expression furieuse, parlent du Liban. La guerre, la violence, les morts, les menaces et les angoisses des habitants défilent, de case en case, mais aussi le ridicule, les absurdités libanaises, la résignation devant le désordre interminable… Incisif, satirique, son regard, sans concession, décille nos pupilles et nos pensées.“Je pense, donc je ne suis plus” titre la page arborant une tête qui, à son tour, n’est plus. Un pénultième BAM ! en attendant que Mazen frappe à nouveau…


SPORT

Quand le tennis est une histoire de famille Auteure MYRIAM RAMADAN Les « success stories » des Libanais binationaux vivant à l’étranger sont toujours un plaisir à découvrir et une fierté pour leur pays d’origine. Celle de Robert Farah gagne à être connue et reconnue.

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SPORT

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Robert Farah vient tout juste d’ajouter un titre de plus a son palmarès, cette fois-ci à Wimbledon. Le tennisman libano-colombien vient de remporter avec son compatriote Juan Sebastian Cabal le tournoi double messieurs de la dernière saison. Farah descend d’une lignée qui s’est illustrée dans l’histoire du tennis libanais. « Je suis heureux que le Liban m’accompagne dans cette victoire, un moment si spécial pour moi. Bien que je sois né et que j’aie grandi en Colombie, je me sens très Libanais de par mes parents qui le sont à cent pour cent, et donc doublement ravi de partager ce succès avec mon pays d’origine. » En Juillet dernier, après un match en épique qui a duré près de cinq heures, Robert Farah et son partenaire Juan Sebastian Cabal ont remporté le tournoi double messieurs à l’issue d’un dur combat contre le tandem français Nicolas Mahut/Édouard Roger- Vasselin (6-7, 7-6, 6-7,6-3). Âgé de 32 ans et spécialiste du double, le Colombien d’origine libanaise a déjà remporté 15 titres, dont le tournoi Masters 1000 de Rome (2018 et 2019). Il a de même été deux fois finaliste en grand chelem en double mixte (Wimbledon 2016, Roland-Garros 2017), et une fois en double messieurs (Open d’Australie 2018). Il s’apprête maintenant à participer au prochain US Open. Le tennis, grand-père, père et fils Robert Farah, grand-père du jeune champion qui porte son nom, était déjà champion du Liban de tennis dans les années 1950. Nena Farah, l’arrière grand-tante du vainqueur de Wimbledon a elle aussi été championne de tennis au Liban dans les années 1930. La raquette et le filet ont ainsi brodé la vie tant libanaise que colombienne de cette famille de passionnés. C’est en 1986 que Patrick Farah, fils de Robert, décide de s’installer en Colombie où naît son propre fils Robert. Le jeune garçon fréquente en premier lieu le lycée français de Cali, puis une école privée qui 203

voue une grande importance à la pratique du sport. Il étudie ensuite la finance à l’Université de Californie où il remporte quatre titres d’affilée de champion universitaire de tennis. Contacté par téléphone, Patrick parle fièrement de l’itinéraire sportif de son fils qui a débuté à l’âge de 3ans. Patrick est lui-même professeur de tennis et fondateur d’une académie à Cali. Il nous raconte que Robert a grandi dans les jardins familiaux à Bogota. D’un goyavier à un autre, il a naturellement fini sur les courts de tennis. L’académie de Patrick, qui comporte 4 terrains et un petit club-house, at vu grandir Robert et sa sœur. C’est Patrick qui s’est chargé de gérer la carrière de son fils. Jusqu’à ce jour, c’est lui qui l’entraine–ainsi que son partenaire Cabal, le coach– et l’accompagne lors de ses tournois. Le père a inculqué à son fils la discipline ainsi que la persévérance dès son plus jeune âge. Tout le monde sait que ces deux aspects sont aussi bien nécessaires qu’importants dans le monde sportif professionnel. Sans eux le succès ne serait ni une évidence, ni même une possibilité. Patrick raconte un gag à ce sujet : un jour qu’il ramenait Robert et sa sœur de l’école pour les conduire à un entrainement de tennis, les deux enfants annoncent à leur père qu’ils ont oublié d’apporter leurs chaussures de tennis (excuse évidente pour échapper à l’entrainement). Prenant son ton le plus sérieux, Patrick leur dit que ce n’est pas grave. Ils n’auront qu’à jouer pieds nus. Et selon lui, depuis ce jour, Robert n’a plus jamais oublié de ranger ses affaires. Pour conclure, Patrick Farah insiste sur le fait que remporter un titre de cette envergure nécessite des années de travail, de persévérance et de professionnalisme. Il regrette que le Liban « laisse filer à l’étranger ses meilleurs éléments, alors qu’ aujourd’hui ce pays aurait pu avoir un numéro un mondial, à la place de la Colombie ». @robertfarah


MÉCANIQUE

QUAND RUGISSENT LES ITALIENNES Elle a compté, et compte encore, de magnifiques champions : l’Italie se révèle une terre d’exception en matière de deux-roues. La ferveur de la performance y engendre des pilotes de renom mais aussi des mécaniques fantastiques. La passion est aussi un art. Auteur X AVIER H AE RT E L ME Y E R Depuis les célèbres Carlo Ubbiali (9 titres mondiaux) et Giacomo Agostini (15 titres), les Italiens ne cessent de briller en compétition mondiale. L’éternel “Doctor” Valentino Rossi (9 titres), le challenger Andrea Dovizioso ou encore le téméraire Danilo Petrucci enchaînent les victoires en MotoGP, la catégorie reine de la compétition moto, pour briguer le titre suprême. Le MotoGP compte également dans ses rangs les derniers jeunes couronnés en catégorie inférieure (Moto2) Franco Morbidelli et Francesco Bagnaia. Et pour préparer les champions de demain, le Doctor a ouvert la VR46 Riders Academy dans son ranch situé dans sa ville natale de Tavullia. Là, les jeunes Transalpins ont l’occasion de partager toute l’expérience du nonuple champion du monde pour aller anoblir plus encore l’aura pistarde latine. Et il y a des courses qui marquent les esprits. Le dernier MotoGP d’Autriche, sur le Red Bull Ring, le 11 août 2019, en fait partie. Après une bagarre intense durant toute l’épreuve entre l’espagnol multiple champion du monde

Marc Marquez et son dauphin italien Andrea Dovizioso, la passe d’arme s’est conclue dans le tout dernier virage après un freinage incroyable du Transalpin auquel le coureur ibérique n’a pu résister. Si l’Italie fournit d’immenses champions, elle aime aussi produire des machines fantastiques. Émotionnelles et puissantes, elles naissent de la passion pour la performance mais aussi de cet amour du design si cher aux Italiens. Le record de vitesse en MotoGP est détenu par Dovizioso, encore lui, sur une moto italienne bien sûr, la Ducati GP19, sur le circuit italien du Mugello, en juin 2019. Une affaire totalement transalpine située tout de même à 356,7 km/h. La marque italienne compte d’ailleurs 18 meilleures vitesses de pointe sur les 19 circuits du championnat (dont deux à égalité avec Honda). Aux côtés des marques mythiques comme Ducati, Aprilia ou MV Agusta, de nombreux petits constructeurs, dont certains ont marqué l’histoire (FB Mondial ou encore Paton), prolongent cette passion pour la moto d’exception. 204


MÉCANIQUE

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Moto Guzzi V85TT Cette TT prend un virage générationnel pour la marque lombarde. Masquée sous son air vintage, cette Guzzi de 208 kg et 60 ch se veut plus rock’n’roll au niveau motorisation et embarque une électronique de pointe. Ce trail de moyenne cylindrée inaugure une nouvelle série de Moto Guzzi plus performantes, avec tout autant de caractère et conservant ce design si typique. La V85TT de 850 cm 3 claque dans sa plastique, dans son tempérament et dans sa finition. Les prochaines déclinaisons sont attendues avec impatience.

FB Mondial HPS 300 Soixante ans après ses derniers succès en compétition moto, la marque FB Mondial s’est relancée fin 2016 pour présenter de fortes belles petites cylindrées. À l’exemple de son street scrambler HPS 300, conçu en Italie mais fabriqué au pays du Soleil-Levant. Animée d’un monocylindre d’origine Piaggio, cette néo-rétro de 135 kg et 25 ch se montre agile et efficace, tout en étant accessible à tous. Racée, cette 250 cm3, native de Come, se veut originale pour débuter ou circuler en ville sans rien perdre en style (bien au contraire). 205


MÉCANIQUE

NCR Mike Hailwood La belle Italienne se veut un hommage à l’un des plus grands pilotes des années 60, Mike Hailwood, avec neuf titres mondiaux à son actif. Cette NCR de 136 kg et 130 ch célèbre la victoire de son pilote au fameux TT de l’île de Man en 1978. Issue d’une Ducati SS, elle bénéficie d’un cadre en titane de 5 kg, d’un moteur bicylindre de 1 120 cm 3 et d’une carrosserie et de roues en fibre de carbone. Réalisée en seulement 12 exemplaires, elle reste un must de la production italienne à ce jour.

Paton S1R Lightweight Tout comme Mondial, la marque Paton de Giuseppe Pattoni et Lino Tonti a débuté son histoire avec des moments de gloire sur piste dans les années 60. Et cette S1R de 158 kg et 80 ch y fait référence dans son style intemporel aux lignes rondes en contraste total avec les productions actuelles. La belle 650 cm 3 a d’abord signé une victoire en catégorie SuperTwin du Tourist Trophy avant d’arriver sur nos routes. Au programme : puissance mesurée, poids maîtrisé et équilibre général optimal. Du grand art en 50 exemplaires seulement. 206


MÉCANIQUE

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Borile B500 Ricki De retour aux affaires l’an passé, la marque vénitienne a relancé sa production de petites motos au design intemporel avec “le désir de continuer à créer de belles choses”, précise Umberto Borile, créateur de la marque. La B500 Ricki en fait partie. Ce Scrambler de 120 kg inspiré des motos TT des années 60, est doté d’un monocylindre de 500 cm 3 associé à une boîte à 4 rapports. Sa particularité ? Sa fabrication entièrement à la main qui en fait une moto d’exception à un prix tout aussi exceptionnel.

IV Electrics Lacama Technologie et design sont en premier plan pour cette Lacama à motorisation électrique de 95 ch. Avec elle, les possibilités se révèlent infinies grâce à la personnalisation de sa carrosserie et de ses pièces à l’aide de l’impression 3D. Produite en édition limitée et sur demande, cette moto de 250 kg se veut tout aussi techno que belle : freins Brembo, suspensions Öhlins, tableau de bord numérique avec GPS intégré, autonomie de 180 km avec recharge rapide (80 % en 40 min en DC Combo). L’avenir se profile avec panache. 207


ÉVÉNEMENTIEL

TONI BREISS, DE L’IDÉE À L’ILLUSION Auteure F.A.D.

Il a toujours aimé la fête et la magie, la magie et la fête. Toni Breiss a fait de sa passion un métier. Mariages, anniversaires, célébrations exceptionnelles, se transforment sous sa baguette magique en moment irréels qu’il prépare avec minutie et dirige depuis les coulisses.

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ÉVÉNEMENTIEL

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Mais nous ne croyons pas aux baguettes magiques, n’est-ce pas ? Aucun prodige, en réalité, ne peut être réalisé sans une planification minutieuse, un répertoire des meilleurs fournisseurs et artisans, une anticipation du moindre accroc, du moindre grain de sable susceptible d’enrayer la machine, de ruiner l’illusion. Toni Breiss, sous son label « Level », peut être le roi des fêtes, l’orchestrateur des plus grands prodiges dont il ne restera, le lendemain, que des photos… Il n’en demeure pas moins -et surtout- un grand travailleur et un grand anxieux, sans concession pour l’erreur anodine qui pourrait faire s’effondrer le château de cartes qu’il a mis plusieurs semaines à édifier. Parlant de châteaux de cartes, l’homme dont la vocation a commencé à la faveur d’une expérience dans la direction des événements à l’hôtel Four Seasons Georges V à Paris n’a plus de cesse que d’atteindre la perfection, dans toutes les célébrations qui lui sont confiées. Et s’il tient à son statut de « créateur d’événements », c’est qu’en plus de diriger la mise en place des décors et la planification du déroulement et de

l’animation des festivités, il est avant tout concepteur : l’idée, c’est lui. Quel que soit le budget mis à sa disposition, son obsession est de se renouveler sans cesse et de surprendre constamment. Son secret : la préparation à toute éventualité. « Lorsque vous pouvez anticiper les difficultés avant qu’elles surviennent et vous munir des outils dont vous avez besoin si un problème se présente, si vous avez les bonnes personnes dans votre équipe et un solide plan de secours, vous êtes sauvé d’avance et personne ne s’apercevra de rien », nous confie celui que l’on peut qualifier de « faiseur », mieux, de « créateur ». Ses veilles de fêtes sont de véritables chantiers de construction sur lesquels il va s’agir de monter en une journée un décor incroyable, qui peut être aussi bien un chalet suisse qu’une reproduction de la chapelle Sixtine, une interminable treille foisonnant de milliers de roses ou de ballons multicolores de toutes tailles, un enchantement de cristaux et de lumières digne d’un bal de conte de fées, des cascades de perles, un ballet cosmique ou un surgissement de plantes géantes… 209

Riche d’un opulent carnet d’adresses et de connexions un peu partout dans le monde, Toni Breiss a ses entrées dans les lieux les plus insolites et exclusifs, musées, châteaux, jardins botaniques, sites en bord de mer ou au sommet des montagnes. Autant dire qu’il ne connaît aucun obstacle, déterminé qu’il est à n’en connaître aucun. Lui confier son mariage, c’est s’attendre à le voir remuer ciel et terre pour réaliser l’irréalisable. Mais son art consiste justement à ne rien laisser voir de tout ce qui se passe de l’autre côté de la fête et du décor. Il se garde le réel pour n’offrir que le rêve. A chaque nouveau couple, nouveau décor et nouvelles inventions. A l’exclusivité de l’ambiance s’ajoutera l’exclusivité du banquet, toujours en harmonie avec le thème, notamment la pièce montée. On pourra aussi compter sur le créateur pour convaincre les vedettes les plus exclusives du moment de se produire à tel ou tel événement privé. Chez « Level » de Toni Breiss, la consigne consiste à sans cesse perfectionner l’excellence ou exceller dans la perfection. A côté de cela, le luxe est un mot bien vague et relatif.

tonibreiss.com; @tonibreiss


SAVEURS

Auteure MYRIAM RAMADAN Soha Frem Karam n’a jamais abandonné l’idée de fabriquer du cidre à partir des pommeraies de sa famille à Wata-el-Joz, sur les hauteurs du Kesrouan. Après plusieurs détours, elle réalise enfin son rêve. Wata Cider surprend les papilles des consommateurs libanais et s’intègre doucement dans leurs habitudes.

ÇA PÉTILLE, À WATA-EL-JOZ !

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SAVEURS

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A 34 ans, portée par ses joyeux souvenirs d’enfance parmi les pommiers, et après une longue parenthèse dans divers domaines, Soha Frem a enfin réussi à faire aboutir cette idée qui l’a toujours obsédée : sauver les pommiers et les agriculteurs de Wata el Joz des aléas du marché en leur assurant une alternative dans l’industrie agroalimentaire, en l’occurrence le cidre. Étudiante en paysagisme en 2002, diplômée en ingénieurie agricole de l’AUB en 2009, enchaînant avec un master en développement international à LSE Londres, elle passe ensuite une dizaine d’années entre l’ONU et diverses institutions gouvernementales au Liban et dans le monde arabe où sa dernière mission consiste en la préparation de cérémonies de jeux olympiques. Mais sa passion pour Wata el Joz où se situe la demeure ancestrale de sa famille avec ses vastes pommeraies est plus forte. La voilà qui la rattrape au galop. Soha Frem partage avec ses quatre frères et sœurs des souvenirs indélébiles, tous liés au domaine familial et qui ont spécialement marqué la jeune femme. La tradition de la cueillette des pommes est pour elle sacrée.

Mais en 2015 se déclenche une crise locale de la pomme, et le parcours de l’agricultrice prend un nouveau tournant. Avec le soutien de son mari Ramzi Karam, elle démissionne de son travail et se rend dans le Gloucestershire, en Angleterre, où elle suit une formation en fabrication de cidre avec un expert célèbre, Peter Mitchell, qui deviendra à terme le consultant de Wata Cider. Cette crise qui a mis en péril les moyens de subsistance de toute une communauté, pousse Soha à lancer la mise en place d’une micro-cidrerie dans le verger cultivé par sa famille depuis quatre générations. Dès lors elle déclenche les premières étapes du projet qui consistent avant toute chose à réaliser des micro-fermentations sur toutes les variétés de pommes disponibles dans le verger familial et les régions environnantes. Parallèlement sont organisés des groupes de réflexion afin de mieux identifier, en matière de cidre moderne, la palette la plus susceptible de satisfaire le goût du public libanais. Ces étapes sont complétées par des études de marché sur la meilleure manière de positionner le cidre sur la place libanaise. 211

Selon Soha Frem, ces premières étapes sont considérées comme « expérimentales », dans le sens où elles aident surtout à mieux comprendre le potentiel de cette boisson sur le marché et dans la culture libanaise où elle est peu introduite, avec l’espoir que cette initiative prendra plus d’ampleur et séduira un plus grand nombre d’agriculteurs. Ceci, dans le but de faire progresser la recherche et les innovations liées à la pomme, ainsi qu’un meilleur développement rural. Pour mieux définir le cidre et ses procédés de fabrication, Soha explique que celui-ci se décline en deux sortes : le cidre moderne et le cidre traditionnel. Le premier utilise une majorité de pommes culinaires (les pommes communément plantées au Liban), qui sont plus acides et possèdent un taux peu élevé de tanin, contrairement aux variétés que l’on appelle les « pommes à cidre » et qui servent à la production des cidres traditionnels. Les produits Wata Cider (cidres modernes) ont été lancés durant la deuxième semaine de juillet. Il est important de noter que Wata Cider utilise le programme agricole IPM (Integrated Pesticide Management ou


Les cidres Wata sont légers et pétillants. Ils se présentent en trois formats et recettes : l’Original, fruité, en 330 ml ; le Dry, sec, et le Refined Dry en 750ml issu d’une seule variété de pomme, la Starking Delicious, et mis en bouteille après 12 mois de maturation. Ces cidres sont aussi utilisables dans la confection de cocktails et se prêtent, tout comme le vin, à des accords culinaires. « Le verger était notre terrain de jeux et il n’a jamais cessé de révéler ses nombreux secrets, entre frayeurs et merveilles. Wata représente la liberté et l’inspiration, la capacité de créer quelque chose à partir de la nature et de vivre selon vos propres règles. Il y a une part de liberté dans chaque bouteille de cidre Wata », confie Soha. La jeune femme décrit à merveille sa passion pour son patrimoine ancestral, pour ses fruits et pour ses produits cultivés avec amour et ferveur ». Créez votre liberté et dégustez ce nouveau pétillant avec ou sans modération. wata.com.lb 212

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procédé biologique de protection contre les parasites et pucerons) dans le traitement de ses vergers. Soha, déterminée à aider les cultivateurs de pommes, se donne comme premier défi de préparer la transition de ces derniers vers des pratiques agricoles plus saines et efficaces comme le IPM, afin que Wata Cider puisse acheter et utiliser la même qualité de pommes en dehors de ses propres vergers. Le second défi qu’elle entrevoit est la promotion de cette boisson peu familière pour le public libanais. Des opérations de dégustation sont déjà en cours (entre autres, dans les foires de Faqra et Faraya) et la représentation de ces produits sur le marché déjà enclenchée.


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RESTAURANT

SES RACINES DANS LA CUISINE

Il prépare des mets délicats, choisit des ingrédients parfois insolites et crée ses propres recettes ingénieuses. Erich von Gehren, chef du restaurant Terra installé au sommet de

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l’escalier Saint Nicolas, épluche pour nous le menu. Auteure MARIA LATI 214


RESTAURANT

Ce soir, c’est changement de menu chez Terra. Des ingrédients de saison viennent remplacer ceux dont la récolte est terminée. La salade de fèves et petit pois est rayée de la carte pour céder la place à une salade de fruits grillés ; abricots, pêches, prunes, amandes vertes et cerises au vinaigre, tous des fruits de la même famille nous explique le chef. Erich a composé le menu du restaurant Terra en se promenant parmi les étals des marchés et chez les petits producteurs. Chez Terra, on mange local, frais et léger. Les assaisonnements sont composés d’herbes aromatiques, d’épices et le moins possible de sauces afin d’exalter le goût véritable des ingrédients. Chaque recette est étudiée pour démultiplier les saveurs. Le chef jongle entre les condiments pour doser savamment l’acide, l’amer, le sucré et le salé et solliciter nos papilles. Dès l’entrée, les options aussi tentantes les unes que les autres compliquent le choix. D’un côté les tapas, légumes, charcuteries, fromages ou produits de la mer ; de l’autre, les salades, relevées par la simple fraicheur des grenades, d’herbes comme le thym ou d’épices comme les baies de genièvre. Chaque plat est l’occasion de conter une histoire. Il y a les rigatonis cuisinés avec du ragout de joues de bœuf, le muscle le plus sollicité chez l’animal et par conséquent

le plus fort en gout. Les légumes de la ratatouille qui accompagne la daurade royale et le couscous de safran sont cuits chacun séparément pour conserver leur texture et sublimer chaque saveur. Le saumon grillé avec confit de kumquats, échalotes et pistaches est servi sur un lit de choux fleurs grillés et nappés de tahini. En bouche, on retrouve la sauce ‘tarator’ telle qu’on la connait. Pour terminer le repas, le chef facilite le choix en limitant les desserts à quatre options : la salade d’agrumes, le perdumisu (ingrédients du tiramisu et texture du pain perdu), le gâteau à l’huile d’olive et semoule, au romarin et sirop de rose avec sa glace à la rose, et l’ultime « death by chocolate », un gâteau fondant, une ganache, une glace, une tablette et une sauce chocolat. Le chef est un vétéran du métier. Entre les Etats Unis, la France et le Liban, il compte à son actif des dizaines de restaurants dont la plupart ont été ouverts pour le compte d’un groupe libanais et d’autres à son propre compte. Ce touche-à-tout a travaillé comme importateur de produits alimentaires mais fabrique désormais lui-même pain, whisky, bière et vin. Son sens du détail et sa maitrise des gouts ne sont pas le seul fruit du hasard. Avant de devenir chef, Erich se 215

destinait d’abord à une carrière en biologie. Couleurs harmonieuses et équilibre dans les assiettes, les plats se dévorent d’abord avec les yeux. Cette présentation soignée révèle une autre des facettes du chef aux multiples talents : sa formation en architecture. « Un chaos ordonné », c’est ainsi qu’il qualifie les assiettes joliment apprêtées qui sortent de la cuisine. L’expression pourrait aussi décrire la vie de ce chef plein de ressources. Erich remet en valeur certaines traditions et ingrédients comme le blé « salamouni » qui pousse depuis dix mille ans dans la Bekaa, explique-il, ou bien cette technique marocaine qui consiste à conserver le citron dans un bocal, le recouvrir de gros sel qui absorbe le jus, puis utiliser les zestes pour parfumer entre autres le plat de calamars ou les linguines au safran. Le chef fabrique lui-même ses pâtes, son chorizo frais, et les condiments comme le pistou de persil. Il sillonne le Liban pour trouver les produits qui serviront à ses recettes. La charcuterie qui vient d’une une ferme nichée dans la Bekaa, les tomates noires au gout intense et les choux frisés de chez un petit producteur qu’il encourage à planter car ils sont introuvables ailleurs. Comme un poisson dans l’eau Erich, navigue entre les cuisines du monde, mais c’est derrière les fourneaux qu’il est finalement chez lui. terra-grill.com


ÉCO -TOURISME


SAVEURS

LE PAIN PREND DE LA GRAINE Auteure MARIA LATI Ça sent bon la farine qui gonfle dans le four de Bakelab, le nouveau lieu de rencontre des professionnels du pain à Beyrouth, inauguré par les trois jeunes femmes aux

Photo Charbel Saade

commandes de Bakalian Flour Mills.

Dans un espace moderne, entre un coin canapé jaune soleil souligné d’une plante verte et une bibliothèque d’ouvrages sur le pain, à la table de conférence, est assise Priscilla, la plus jeune des sœurs Bakalian, en charge du développement, qui navigue entre les usines du groupe et le Bakelab. Passionnée intarissable sur son sujet, devant l’écran, elle dévoile les subtilités de la farine. Priscilla explique comment choisir un grain de blé, commun pour le pain ou durum pour les pâtes, puis séparer le son et l’endosperme, avant de les réassembler quelques étapes plus tard après avoir nettoyé et affiné, puis tester la stabilité de la farine, la qualité ou la couleur. Incursion ensuite dans le Bakelab, aménagé avec un équipement de pointe, elle détaille le rôle des machines ; pétrins avec sondes pour contrôler le lissage de la pâte, laminage des croissants, fermentation ou congélation. Artisans et industriels, pâtissiers, hôteliers ou restaurateurs, s’y affairent pour apprendre le métier, mettre au point ou perfectionner leurs recettes ou encore découvrir les dernières innovations en matière de fabrication du pain. Entre stockage, température, timing, et élasticité de la farine, chaque facteur a son rôle à jouer car faire du pain est toute une science. Bakelab fonctionne aussi comme un centre de contrôle de qualité, comme un atelier pour tester les recettes des clients de Bakalian Flour Mills, mais aussi comme un laboratoire pour tenter de nouvelles expériences. L’un des projets en cours cherche à réintégrer en pâtisserie des variétés de blés oubliés, en partenariat avec une ONG dans la Bekaa qui recense et préserve ces variétés anciennes. Viennoiseries, galettes des rois, pain au levain, techniques de fermentation, différents modules sont proposés à l’atelier, ainsi que des master-classes présentées par des professionnels comme Bedros Kabranian, un champion du monde de viennoiseries venu de Suède. Destiné d’abord aux professionnels et semi professionnels, le Bakelab envisage aussi de proposer plus tard des cours pour les amateurs. 217

Voilà quatre générations que la famille Bakalian transmet le métier de meunier de père en fils. Désormais ce sont trois filles qui se trouvent aux commandes de l’entreprise familiale. Il y a dix ans, au décès de leur père, Patricia, la cadette, devient l’une des plus jeune CEO à l’âge de vingt-trois ans, et les sœurs Bakalian décident qu’elles ne lâcheront pas la compagnie qui s’est construit une réputation et une clientèle solide au fil du temps et dont les bureaux, le moulin, les silos de stockage de trente mille tonnes et désormais le Bakelab, somme toute un ‘campus’ à part entière, s’appuient sur une histoire plus que centenaire. Paola et Priscilla rejoignent Patricia et les trois sœurs s’immergent dans le domaine. D’abord accueillies avec un peu de scepticisme dans ce métier un brin macho, elles prouvent leur maitrise des rouages de la fabrication de la farine et réussissent finalement à s’imposer avec brio. Patricia donne l’impulsion à de nouveaux projets qui propulsent l’entreprise, assure la gestion et les finances et gère entre autres les achats en suivant le cours du blé sur les marchés. Paola, quant à elle, s’occupe des opérations, et s’est affairée notamment à la réalisation de l’espace Bakelab. Priscilla a achevé ses études en Food Science and Management ainsi que sur les techniques du moulin avant de rejoindre ses sœurs pour faire perdurer l’héritage familial. Sollicitées pour leurs conseils, les jeunes femmes décident aussi de mener l’entreprise vers le zéro déchet ; métal et pierres sont réutilisés et les restes de matières organiques servent de fourrages pour les animaux. Avec le Bakelab elles choisissent de faire de la recherche et de l’éducation leur principal cheval de bataille, pour assoir la réputation de leur moulin ainsi que de la farine Made in Lebanon comme référence de qualité. Créée en hommage à leur père Sarkis Bakalian, cette initiative permet aux jeunes femmes de mettre en lumière un savoir-faire ancestral tout en restant à la pointe de l’innovation.

bakalianbakelab.com


SAVEURS

DES IMAGES À CROQUER Auteure MARIA LATI Petite intrusion dans la cuisine orange de Mary. Sur une jolie table en bois clair, elle pose des chaussons de pâte feuilletée rebondis, fourrés de confiture de fraises fraichement cueillies, et quelques cornets de glaces abricot et pignons. A peine le temps d’appuyer sur click et le tout est englouti.

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Photos DR

SAVEURS

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Sur le site From the Orange Kitchen, les photos de Mary s’apparentent à des compositions artistiques. Premier tableau : neufs cookies sablés de forme carrée, parfumés au thé et aux agrumes, peints d’un doux glaçage vanille avec de délicates fleurs séchées mauves sont déposés en échiquier sur un comptoir en marbre blanc. Dans la photo suivante, des cuillères en argent dentelées sont trempées dans deux pots gourmands mi neige, mi orange, entre muhallabieh et confit de kumquat et l’on ne peut s’empêcher de regarder plus loin pour voir défiler une palette orange composée d’un cake aux agrumes et à l’huile d’olive nappé d’un sirop d’oranges et kumquats, puis une gamme d’épices, clous de girofle, cannelle, gingembre, anis étoilé et pétales de roses qui parfument une tasse de thé, chacune présentée au creux de cuillères finement gravées qui défilent comme les notes d’une partition. Et enfin une montagne de kaak (pain dur) épicé, fourré de dattes. Des ingrédients qui sont autant d’indices pour dévoiler les racines alepines de Mary, la jeune femme qui jongle avec brio entre fourneaux et caméra pour créer le contenu alléchant de la page From the Orange Kitchen. Cet œil pour les couleurs harmonieuses, les assemblages de formes et les choix de textures, Mary le tient de ses études en architecture d’intérieur, à l’Alba, à Beyrouth. Quand elle déménage aux Etats Unis, elle choisit de conserver le mur orange qui se trouve déjà dans la cuisine du logement qu’elle va habiter avec sa famille. C’était il y a quelques années, alors qu’elle ne savait pas encore cuisiner. Passionnée, elle suit des cours de photographie en ligne. La cuisine, elle tombera dedans par la force des choses et finira par y trouver son havre.

Installée au vert, près de Boston, avec son mari, les délicieux plats de son Alep natal lui manquent et elle décide d’apprendre à les faire à défaut d’attendre son prochain retour au pays. Entre les coups de fils longue distance à ses grands-mères et des conseils glanés sur internet, Mary finit par supplanter son mari, fin cuisinier, derrière les fourneaux. Elle s’amuse à documenter les recettes de ses plats, photos à l’appui, dans un carnet d’abord destiné à ses enfants, et petit à petit son compte Instagram prend forme. Nostalgique des saveurs de son enfance, de chaque voyage elle rapporte dans ses valises épices et herbes aromatiques, et les senteurs des rues d’Alep se retrouvent dans sa cuisine : la pistache, le amareddine (pate d’abricots confits), la fleur d’oranger ou la rose. Inconditionnelle des glaces levantines, elle improvise un ice-cream sandwich au sahlab servi comme une knefeh entre deux couches croustillantes de osmalieh (vermicelle fine au sirop de fleur d’oranger). Dans une ferme voisine, Mary s’achalande en produits frais de saison qui lui inspirent des nouveautés tels une kebbé à la courge butternut ou un cake zucchini et amandes avec cannelle et noix de muscade. Clin d’œil aux repas orientaux où hommos et kafta sont toujours côte à côte et finissent par se mélanger dans l’assiette, elle improvise un hommos aux boules de kafta nappé d’huile d’olive et décoré de pignons. Une des recettes préférées de Mary, une simple aarouss labneh revisitée en baguette croustillante tartinée de labneh crémeuse, avec un doux confit de tomates, des feuilles de thym et des graines de sésame. @fromtheorangekitchen 220

Photos DR

SAVEURS


AD Beatrice Rossetti - Photo Federico Cedrone


GUEST HOUSE

LE COIN DES BONS COPAINS

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MAISON D’HÔTE

Restaurée avec passion par deux couples d’amis français et libanais, La Maison des Sources vient d’ouvrir ses portes dans le très authentique village de Ain Zhalta, dans le Chouf.

Photos Walid Rashid

Auteure PHILIPPINE DE CLERMONT-TONNERRE

Enfin une maison d’hôte à Ain Zhalta. Perché à 1200 mètres d’altitude, ce charmant village du Chouf peut désormais héberger ses visiteurs. La Maison des Sources a ouvert ses portes au mois d’avril. Avec ses 500 mètres carrés de terrasse et son jardin en dénivelés plantés d’arbres et arbustes locaux – muriers, pins et autres -, la demeure jouit d’une splendide vue sur la réserve des cèdres du Chouf. Cette bâtisse traditionnelle vieille de deux siècles a été magnifiquement rénovée par ses nouveaux propriétaires, la bijoutière Alia Mouzannar et son époux le galeriste Fadi Mogabgab et leurs amis français Camille et Damien Degueldre. « Nous aimons tous beaucoup recevoir, c’est notre seule expérience dans le monde de l’hôtellerie », raconte Camille. Il y a deux ans, la bande de copains rachète les lieux à la famille Chaccour. « Cela faisait douze ans que nous venions régulièrement à Ain Zhalta chez Fadi qui est originaire de ce village. Nous avions l’habitude d’emmener nos enfants jouer autour de cette vieille maison en ruines située à 50 mètres de chez lui. Nous venions y cueillir des mûres à dos d’âne, nous avions tout un rituel dans cet endroit où nous passions beaucoup de temps », raconte-t-elle. Quand les amis apprennent que la maison est à vendre, ils n’hésitent pas une seconde. « Notre décision a été prise en cinq minutes, cette maison représentait tellement de choses pour nous », poursuit Camille. « Nous nous sommes dit : Il n’y a qu’à faire ce qu’on aime, recevoir 223

des copains et même des étrangers de passage. Le projet s’est naturellement transformé en concept de maison d’hôte ». Techniques artisanales Réalisé par la société Mouin Aoun Contracting, le chantier est exécuté en un an et demi, « un temps record ». « On a effectué un énorme travail de gros œuvre. Des pylônes en béton avaient été ajoutés partout, les volumes étaient complètement amputés. On a tout cassé pour revenir à l’âge d’or de la maison», relate la propriétaire. Au cours des travaux, le quatuor met un point d’honneur à restituer l’authenticité des lieux en préservant les savoir-faire artisanaux de l’époque. Comme l’enduit à la chaux ou le système d’aération traditionnel (une simple ouverture en hauteur sur l’extérieur). « On a réappris aux artisans à travailler avec des techniques oubliées », explique la Française. Le tout dans le respect de l’environnement. Les propriétaires ont par exemple décidé de ne pas avoir recours au générateur. Des panneaux solaires ont été installés sur le toit. Récup Le rez-de-chaussée abrite la partie la plus ancienne, constituée de quatre pièces voutées à même la roche, aménagées en chambres. Côté déco, l’objectif était de restituer l’authenticité des lieux jusque


Gravures Les petites niches de verre teinté aux formes arrondies réalisées par Alia Mouzannar donnent aux pièces une touche poétique, signature des lieux. Tout comme les ravissantes gravures représentant le patrimoine libanais rehaussées à la feuille d’or, également signées par l’artiste, présentes un peu partout dans la maison. Au total, la guest house comprend 11 chambres. Le prix de la nuitée oscille, selon la saison, entre 150 et 175 dollars pour une chambre double, 190 et 220 dollars pour une suite junior (deux adultes et deux enfants) et 250 et 300 dollars pour une grande suite de 50 m2, petit déjeuner inclus. La maison propose des plats libanais si l’on commande 48h à l’avance. Pour les visiteurs de passage, il est également possible de venir simplement prendre un verre tout en dégustant un délicieux plateau de fromages et charcuterie à la française. lamaisondessources.com

Photos Walid Rashid

dans les moindres détails, comme en témoignent les interrupteurs en porcelaine. Les amis ont opté pour un style « simple, élégant et hyper confortable », avec notamment une literie haut de gamme et de belles salles de bains, et privilégié « les matériaux bruts ». Hormis les luminaires français et quelques pièces de design danois, la plupart des meubles proviennent du Liban : des lits et banquettes à l’ancienne faits sur mesure, ou du mobilier des années 50 chiné chez des brocanteurs, rhabillé de tissus contemporains. Les tables et certains placards ont été réalisés par Fadi lui-même, avec de vieilles portes ou volets en bois récupérés çà et là.


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MAISON D’HÔTE

BEIT EL HAMRA, le charme des fifties ressuscité Kamal Mouzawak ouvre une nouvelle maison d’hôte : une villa urbaine en plein cœur du Beyrouth des années 50. Auteure PHILIPPINE DE CLERMONT-TONNERRE

C’est sur une de ces magnifiques villas urbaines laissées à l’abandon que Kamal Mouzawak a jeté son dévolu pour faire éclore sa nouvelle guest house, Beit El Hamra, la cinquième d’une liste qui n’en finit pas de s’allonger. La maison d’hôte a ouvert ses portes au mois de juin dans la rue Baalbeck, juste à côté de l’hôtel Commodore. Avec son rez-de-jardin et son premier étage, la bâtisse est typique des demeures du milieu du siècle dernier, « le genre d’architectures que l’on pouvait voir à cette époque en Europe et un peu partout dans le monde », explique le fondateur de Souk El Tayeb. C’est d’ailleurs à cette période que le quartier Hamra commence à se développer. « Il y a eu des problèmes de place dans le centre-ville qui ont poussé beaucoup d’habitants à venir s’installer dans ce quartier », rappelle-t-il. En ressuscitant cette maison, un édifice à moitié habité depuis la guerre, Kamal Mouzawak a cherché à redonner vie à l’architecture moderniste en vogue des années 50 à 70. « On a voulu donner à redécouvrir un symbole du passé, des plus beaux jours du Liban et de la rue Hamra qui était à l’époque un peu les Champs Elysées de Beyrouth », poursuit-il. Papiers peints et kitcheries On pénètre dans la maison par un grand salon doté d’une sublime cheminée en pierre. Chaque pièce a été aménagée avec des meubles vintage. La guest house comprend quatre chambres

doubles. Le coût de la nuitée est de 120 dollars. Mais « les joyaux de cette maison, ce sont véritablement ses papiers peints et ses tissus orignaux », assure Kamal Mouzawak. Une collection exceptionnelle trouvée un peu par hasard par ce chineur invétéré. « Ça a été le coup de foudre ! » confie-t-il. Une très belle collection de poteries de Vallauris et des dessins d’Aubusson animent par ailleurs le grand salon. Côté végétation, la maison est parsemée de plantes « kitchs et ploucs » des années 80, comme les crotons et les cannas. On ne manquera pas de remarquer l’énormissime Kapok à l’entrée, un arbre importé du Brésil par les précédents propriétaires. Quant au jardin, véritable havre de paix dans la ville, il respire le jasmin et la fraîcheur. On peut s’y restaurer à toute heure de la journée, grâce à la présence d’une des fameuses « tawlé », marque de fabrique de l’association. Ouvert de huit heures du matin à dix heures du soir, le restaurant dispose de son propre « furn ». N’oubliez pas de commander les délicieux lahm ba’ajiyn. Après Beit El Tawlet à Mar Mikhael, Kamal Mouzawak inaugure donc avec Beit El Hamra sa deuxième maison d’hôte à Beyrouth alors que trois autres ont également vu le jour ces dernières années dans les localités de Deir el Qamar, Ammiq et Douma. Mais l’entrepreneur ne compte pas s’arrêter là et songe déjà à son prochain point de chute : un projet de Beit et de Tawlé est déjà en cours au sud de la Bekaa, à Rachaya. +961 81 266 060

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Photos Karim Sakr

GUEST HOUSE


LOST, un boutique hôtel à Gemmayzé 228

Photos DR

HÔTEL


HÔTEL

Vous avez aimé Sip, vous adorerez Lost. Ce nouvel hôtel-bar-restaurant a ouvert juste à côté du café situé au pied de l’escalier Saint Nicolas. Auteure PHILIPPINE DE CLERMONT-TONNERRE

Depuis son ouverture en juillet l’endroit ne désemplit pas. Avec ses 12 chambres réparties sur trois étages et son barrestaurant au rez-de-chaussée, Hôtel Lost est le point d’atterrissage idéal des touristes. Le prix de la nuitée varie entre 140 et 160 dollars. Le bâtiment, une vieille maison libanaise entièrement restaurée, présente l’avantage non négligeable de donner sur l’escalier Saint Nicolas. Six chambres ont une vue directe sur les marches les plus célèbres de Beyrouth. Malgré l’indéniable attrait touristique de la rue Gouraud, les établissements hôteliers implantés sur cette artère restent, étonnement, plutôt rares. « Gemmayzé est devenu une destination majeure pour les touristes, en particulier les Occidentaux. C’est un peu le Soho de Beyrouth. On a pensé qu’il manquait un hôtel dans cette zone », explique Omar Jheir, copropriétaire de l’établissement avec

l’homme d’affaires Michel Abchee. Trendy, l’enseigne Lost se veut « une continuité de SIP », le café contigu, ouvert il y a deux ans par Omar, ancien cadre dans l’industrie pétrolière reconverti dans le secteur de la restauration et l’hôtellerie. Rustique & chic A peine inaugurée, cette auberge urbaine aura attiré durant tout l’été un grand nombre de touristes européens, des Hollandais notamment, grâce au lancement du vol direct Beyrouth-Amsterdam, mais aussi des Libanais du Golfe. Chaque étage comprend quatre chambres réparties autour d’un salon principal, selon l’architecture libanaise traditionnelle. A l’intérieur, le mobilier est 100% local. Une grande partie des meubles, les lits notamment, ont été dessinés par Omar et Michel. « On a souhaité imaginer 229

nous même le design sans faire appel à un architecte », poursuit le tenant des lieux. Et le résultat est plus que réussi. Si les chambres sont toutes différentes, la décoration mêle partout nuances claires et couleurs éclatantes. Certaines salles de bains sont ouvertes sur la chambre ce qui contribue à agrandir l’espace. Le sol, chauffant, est habillé de tomettes typiques. « On a voulu conserver le plus possible l’authenticité des lieux », affirme Omar, 41 ans. Au rez-de-chaussée, le restaurant –bar éponyme propose une cuisine méditerranéenne pleine de surprises. Au menu, on trouve, entre autres, un succulent saumon grillé au yaourt taratoni, une salade de halloumi et avocats, des artichauts, beaucoup de calamars et de salades fraîches. L’endroit est ouvert tous les jours à partir de 7 heures du matin.

lostbeirut.com




ÉVASION

SINGAPOUR, REINE DE LA STREET FOOD

Auteure NORA BOUAZZOUNI


Singapore Tourism Board

ÉVASION

Une échoppe le long de la Chinafood Street, à Singapour. Sa spécialité : les huîtres frites, une des gourmandises préférées des Singapouriens.


ÉVASION

Le food court représente le graal du nomade affamé et curieux : il peut y goûter de tout sous un même toit. Dans la micro-cité asiatique de Singapour, il trouverait même une

Feu le chef américain Anthony Bourdain disait qu’aucun endroit au monde n’est plus obsédé par la nourriture que Singapour. Pourtant, dans cette cité-État de 700 km2 (soit la surface consacrée au vin bio en France ou à peine moins que Paris et la petite couronne réunies), où un tiers du territoire est couvert de verdure, il n’y a pas grand-chose de comestible : 90 % de la matière première est importée. À Singapour, deuxième pays le plus dense en population au monde, presque pas d’élevage ni d’agriculture, hormis quelques fermes urbaines qui font surtout pousser des plantes aromatiques et des fleurs comestibles, en permaculture ou hors sol, grâce à l’hydroponie. Tout le reste vient de Malaisie, d’Indonésie, voire du Japon pour les viandes et poissons destinés aux restaurants gastronomiques. Au marché, point d’étiquette indiquant la provenance du bok choy ou des fleurs de gingembre, seuls les fruits et légumes sous blisters mentionnent leurs origines exotiques : fraises américaines, prunes turques… Rien qui puisse choquer le touriste français à qui l’on vend, depuis une quinzaine d’années, des poires sud-africaines au supermarché. Food centres à ciel ouvert On le comprend donc rapidement, ce qui fait la force culinaire de Singapour, ce n’est pas son terroir, mais bien sa situation, au carrefour des routes commerciales de l’Asie du Sud-Est. Avec quatre langues officielles (anglais, mandarin, malais et tamoul, sans oublier le singlish, un créole qui mêle anglais, malais et mandarin) et une population venue de Chine, de Malaisie et d’Inde, le seul dénominateur commun de l’île, c’est sa bouffe, qui reflète comme nulle part ailleurs l’histoire du pays. Le mot “melting pot” semble avoir été inventé pour décrire la gastronomie singapourienne, qui a lancé la fusion food bien avant que

le premier chef français ne pose un doigt de pied en Chine et décide de farcir des jiaozi (ravioli) de homard breton. La ville la plus chère au monde (à égalité avec Hongkong et Paris), indépendante depuis 1965, est un paradis culinaire où l’on peut débourser 300 euros pour un dîner gastro ou se baffrer de spécialités locales pour moins de cinq euros, dans des food centres (ou hawkers centres) climatisés ou à ciel ouvert. Car à Singapour, il n’y a pas de street food à proprement parler. Enfin, il n’y en a plus. Dans les années 1800, les marchands ambulants, appelés hawkers, cuisinent chez eux et s’installent dans les rues de Singapour pour vendre leurs produits. Après la Seconde Guerre mondiale, leur nombre explose, au point de gêner le trafic routier et de devenir une menace pour la santé publique. À partir des années 70, le gouvernement reloge donc ces hawkers dans des halles plus ou moins couvertes, afin de réguler la profession, centraliser l’offre et améliorer les conditions d’hygiène. Les Singapouriens de tous âges et toutes catégories socio-professionnelles s’y rendent pour manger façon self-service, en famille, entre amis ou en solo : on commande ce qui nous titille les papilles parmi les dizaines de stands ouverts, on apporte son plateau à table et, quand on a fini, on le range. Les plus filous poseront un paquet de mouchoirs sur un siège – voire une table – pour le réserver (“chope”, comme on dit là-bas). À Singapour, il y a plus de 100 hawkers centres et 6 000 échoppes ouvertes très tôt le matin jusque tard dans la nuit – mais souvent fermées le lundi, en même temps que le wet market, le marché des denrées périssables. Bien que le gouvernement singapourien compte ouvrir 20 food centres de plus d’ici 2027, soit 800 stands supplémentaires, la hawker culture, garante de l’héritage culinaire singapourien, est pourtant menacée d’extinction. 234

East West Planners PTE Ltd

certaine idée du paradis.


Le hawker centre de Lau Pa Sat, dans le quartier chinois de Singapour.


Le marché des denrées périssables, le wet market, à Little India.

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Singapore Tourism Boardw

Le Maxwell Food Centre.


ÉVASION

Les hawkers centres du Sud-Est asiatique ne vendent que des plats traditionnels. Aucune chance de voir se côtoyer, à Singapour ou Kuala Lumpur, brochettes de poulet satay et pizze margherita…

Et pour cause : les échoppes sont tenues par des Singapouriens de la deuxième génération, avec une moyenne d’âge de 59 ans, contre 43 ans pour le reste de la population active. Quand ce n’est pas eux qui refusent que leurs enfants prennent la suite et dépensent une fortune en tuteurs pour leur garantir une meilleure situation, c’est cette troisième génération elle-même qui ne se voit pas suer dix à douze heures par jour dans une minuscule cuisine sans climatisation pour un salaire médiocre. Aujourd’hui, la moitié des stands est subventionnée par l’État, et les hawkers installés depuis longtemps payent en moyenne 200 dollars singapouriens pour un stand qui sans ça leur reviendrait à 1 250 dollars. Grâce à ces aides, les anciens ont pu continuer à vendre leurs plats trois-quatre dollars singapouriens. Le gouvernement a bien mis en place des réductions de loyer pour les apprentis hawkers, mais celles-ci ne durent que six mois. Sans compter les matières premières : elles représentent désormais la moitié des coûts d’exploitation, qui eux-mêmes augmentent chaque année. Cerise sur le cendol (dessert traditionnel) : pour les Singapouriens, habitués depuis toujours à des prix bas, difficile d’envisager dépenser un ou deux dollars de plus pour un simple chicken rice. Hawkers en danger et échoppes étoilées Le danger de voir disparaître cet emblème du patrimoine gastronomique singapourien est tel qu’un Hawker Centre 3.0 Committee a été créé en janvier 2016 afin de trouver des solutions pour sauver les hawkers. Coïncidence ? La même année, deux échoppes décrochaient pour la première fois une étoile Michelin : Hill Street Tai Hwa Pork Noodle et Hong Kong Soya Sauce Chicken Rice & Noodle. En mars dernier, Singapour a également déposé un dossier pour faire entrer en 2020 sa culture hawker au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco, où figurent déjà le repas gastronomique des Français, l’art du pizzaiolo napolitain ou le café arabe. Et au mois d’avril, David Gelb (le créateur de “Chef’s Table”), faisait saliver les gourmets du monde entier en consacrant un épisode de sa nouvelle série docu, “Street Food” à ces restaurateurs singuliers. Tout s’accélère donc pour sauver les hawkers et leurs recettes ancestrales – que d’autres menaces guettent par ailleurs. Car à la différence d’un food court classique, comme il en existe dans les centres commerciaux américains depuis la fin des années 60 – et de plus en plus dans les capitales européennes (Station F à Paris, Time Out Market à Lisbonne, Dinerama à Londres…) –, les hawkers centres du Sud-Est asiatique ne vendent que des plats traditionnels. Aucune chance de voir se côtoyer, à Singapour ou Kuala Lumpur, brochettes de poulet satay et pizze margherita… C’est pourtant ce que redoutent certains face à la modernisation des food centres, qui cherchent à 237

retenir des jeunes dont les options pour manger dehors sont désormais pléthoriques, et qui préfèrent les restos branchés aux food centres à l’ancienne. Le tourisme culinaire, en plein essor, cristallise lui aussi les angoisses : on craint qu’il ne dilue la cuisine traditionnelle, et que la scène locale ne cède à la tendance Mod-Sin (“modern singaporean cuisine”) pour ménager les palais occidentaux et flatter les Instagram des jeunes foodies en quête de modernité. La tradition soluble dans la photogénie ? On espère que non.

PETIT GUIDE À L’USAGE DES GOURMETS Sur place, si vous n’êtes là que pour quelques heures avant de reprendre l’avion, ne la jouez pas perso et commandez un peu de tout – en gardant à l’esprit que l’on vous sert de belles portions, pas des tapas. Le chicken rice, un poulet poché servi avec son riz cuit dans le bouillon de l’animal, est LE plat national. Mais n’oubliez pas de goûter au fameux laksa (une soupe de nouilles épicée au lait de coco, parfumée à la crevette et servie avec fruits de mer et fish cakes), sans oublier le nasi lemak (du riz infusé au lait de coco et servi avec divers condiments), le carrot cake (un gâteau de radis blancs cuit vapeur, coupé en cubes et frit avec des œufs), le fameux chilli crab accompagné de ses mantou (petits pains moelleux frits ou cuits à la vapeur), un rojak (mélange de fruits et légumes divers, beignets de tofu, recouverts d’une sauce brune à la pâte de crevette, sucre, piment et citron vert, saupoudré de cacahuètes pilées) ou encore une omelette croustillante aux huîtres. En dessert, ne partez pas sans avoir goûté aux putu piring, des gâteaux de riz vapeur au sucre de palme et coco râpée dont vous rêverez la nuit. Et pour le petit-déj’, testez le kaya toast, des tranches de pain de mie grillées tartinées de kaya (une confiture de lait de coco aux œuf), agrémentés de beurre et à tremper dans des œufs encore baveux. Côté boisson, le jus de sucre de canne est un must. Les food centres sont disséminés un peu partout dans la ville, en voici quelquesuns qui valent qu’on s’y attarde : Le Maxwell Food Centre Le Lau Pa Sat (bâti au xixe siècle, monument national depuis 1973) Le Tiong Bahru Market and Food Centre Le Tekka Centre (au cœur de Little India) Le Adam Road Food Centre Le Newton Food Centre Le Chinatown Complex Food Centre


A

HERON PRESTON +961 1 99 11 11 EXT.140

ALEXANDER MCQUEEN +961 4 71 77 16 EXT.251

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INFINITI SHOWROOM +961 1 273 333

BALENCIAGA +961 1 99 11 11 EXT.570 BOTTEGA VENETA +961 1 99 11 11 EXT.565 BURBERRY +961 1 99 11 11 EXT.455

K KENZO +961 1 99 11 11 EXT.140

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CORRESPONDANCE

HORS LES MURS Auteure Laura Homsi Illustration Marion Garnier

C’est toujours particulier de croiser des personnes hors contexte. Il y a quelques jours, je suis tombée sur un visage familier dans les couloirs du métro. J’ai eu beau me triturer les méninges, je n’arrivais pas à situer cette personne. Ça m’a occupée tout le trajet. Et, pour une fois, Internet ne pouvait pas m’aider à résoudre l’énigme. Mon flash « Eureka » n’a frappé que quelques heures plus tard. C’était mon kiosquier ! Je ne l’avais jamais vu en pied, mais toujours bien installé dans sa forteresse de journaux. Je ne l’avais donc pas reconnu hors les murs. C’est rafraîchissant de voir des personnes hors cadre, c’est comme un autre scénario à explorer. Au final, c’est cela que m’inspire le recyclage. Faire revivre quelque chose qui était voué à l’oubli, cela donne un peu l’impression d’être un super héros. Sans notre intervention, c’était « destin-poubelle » assuré. C’est peut-être pour cela que j’adore recycler des vêtements, les imaginer autrement. Comme si je leur donnais un nouvel espoir de vivre de folles aventures. J’ai retrouvé un manteau que portait ma mère pendant sa grossesse. Je l’ai fait repriser, reprendre, cintrer… et je passe mes hivers pelotonnée dedans. Je l’appelle mon « manteau-chauffage». J’ai l’impression que quand je le porte, rien de grave ne peut m’arriver. Un peu comme Audrey Hepburn dans Breakfast at Tiffany’s disant « nothing very bad can happen to you in there” - en référence à la boutique Tiffany’s sur la Cinquième Avenue à New York. C’est drôle comme le fait qu’il ait eu une vie antérieure change la perception que l’on a d’un vêtement. Que l’on connaisse la personne qui l’a porté ou pas, il y a une dimension sentimentale (magique ?) en plus. Au-delà des objets, pas mal de choses peuvent être recyclées. Les relations par exemple. C’est parfois tellement

plus facile de se réfugier dans des échanges un peu usés, tout simplement de peur de sortir de sa zone de confort pour en créer de nouveaux. Alors on ferme un peu les yeux et on regarde ailleurs, même si ce n’est pas toujours glorieux. On ressasse les souvenirs au lieu d’en créer des tous neufs. Parfois certaines relations (amicales ou amoureuses) méritent une dose de vitamines. Finalement, le mot d’ordre c’est : recyclons, recyclons, recyclons… mais pas tout. Il y a certaines choses qui doivent suivre leur cours et s’éteindre s’il le faut. Mais gardons (recyclons ?) notre candeur. Il y a quelques jours je me suis retrouvée avec mon neveu et ma nièce dans une sorte de zone aérée géante, tapissée de trampolines. Je n’avais pas croisé le chemin d’un trampoline depuis des années. Au premier bond, la sensation de léviter est incroyable. Mais très vite, j’ai réalisé que je n’arrivais pas à lâcher prise pour aller plus loin que quelques sauts timides. Une vraie poule mouillée. Je regardais les enfants sauter d’une hauteur de 5m sans ciller… et je me suis contentée de les encourager. Et puis, du haut de ses 10 ans, mon neveu m’a pris entre quatre yeux. Il m’a dit, avec beaucoup de sérieux « tu sais, moi aussi, au début j’avais peur. Et puis j’ai fermé les yeux, et j’y suis allé. Be fearless* ». Alors moi aussi j’ai eu envie d’être fearless. L’étape suivante était de sauter de l’équivalent d’un étage pour atterrir sur un trampoline. Ce n’était pas très haut, mais j’avais le cœur qui battais la chamade. L’enjeu en valait la chandelle- j’essaie assez dur d’être une tante cool. J’ai sauté, et j’ai rebondi comme un ressort. J’en suis ressortie peut-être pas recyclée, pas complètement fearless, mais assurément moins trouillarde qu’au départ. * Fearless: Sans peur. 24 0


The perfect stairs competitor.



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