Bref Aéro 360- Septembre/ octobre 2016

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BREF Septembre/octobre 2016 • N° 360

AÉRO

ÉDITO

DISRUPTION Ce qui ne devait pas arriver est arrivé. Une fusée Falcon de SpaceX est partie en fumée. Le concurrent, par qui tout est arrivé et qui a provoqué la remise en cause de la filière spatiale européenne, connaît son premier grand revers. S’en relèvera-t-il? Certainement. L’aventure spatiale a toujours connu des accidents, dont certains autrement plus graves, car mettant en jeu la vie de personnes.

Sommaire Actualités

Dans tous les cas, et quoiqu’il advienne de SpaceX, le monde de l’industrie européenne a pris définitivement conscience de la disruption à venir dans l’aéronautique comme, d’ailleurs, dans d’autres filières industrielles.

Les nouvelles désignations

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Le mot de la prévoyance

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L’industrie de Défense a son spécialiste au sein du bureau de l’AED

Demain verra un monde où les biens industriels auront une valeur intrinsèque étroitement liée à la notion du service qui y sera attachée. Ceci est vrai pour les matériels militaires, mais le sera encore plus dans le domaine civil. Vendront des biens les industriels qui auront su les adosser à la notion de Big Data.

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C’est cette révolution qualifiée de digitale qui s’annonce.

DD : 3ème plénière du réseau

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Lecture enrichie de Bref Aéro

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La CFE-CGC met le turbo sur le handicap

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Sans invoquer ce qui pourrait n’être, nous l’espérons, qu’une utopie, la CFE-CGC reste en état d’alerte maximale, car l’évolution de l’économie avec une transition du salariat vers l’entreprenariat (même partielle) bouleversa nos modes de pensées.

Bureau décentralisé de l’AED

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Elle bouleversera notre modèle social et donc notre modèle de dialogue social.

Demain, des voitures, puis des avions et des hélicoptères sans pilote. Ira-t-on vers des usines sans salariés?

Groupe Safran : la CFE-CGC AED, 1ère organisation syndicale 4

Pour la CFE-CGC AED, la manière de faire du syndicalisme tout en conservant notre ADN, qui est rappelons-le la défense des intérêts des salariés ET de l’entreprise, est à repenser.

Vie des entreprises

Nos entreprises vont certainement redéfinir le rôle du management dans la transformation inéluctable des méthodes de travail. Là encore, la CFE -CGC sera présente car le management intermédiaire est la charnière d’une entreprise.

Stratégie spatiale : consultation européenne

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L’ONERA à la recherche d’un État stratège

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Dossier

La transition numérique : fatalité ou chance ?

C’est dans l’air Xylolangages

L’État, souverain dans certains cercles décisionnels, devra comprendre ce qui se passe, continuer à défendre son industrie dans ce nouveau cadre. La CFE-CGC sera là pour le lui rappeler, comme nous le faisons d’ailleurs, aujourd’hui, concernant l’appauvrissement programmé de l’ONERA. Plus globalement, si on peut comprendre qu’une entreprise doit être rentable pour investir, préparer l’avenir, entretenir l’adhésion de ses salariés et rémunérer ses actionnaires, la dérive vers une financiarisation pure et simple se poursuit.

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Les vidéos que vous pouvez visionner dans ce numéro vous donneront une orientation, que beaucoup trouveront extrême, de ce qui pourrait arriver. Extrême peut-être, mais interpellatrice, sûrement.

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Comme le spectre est large, nous avons gardé quelques longueurs de bobines pour le prochain numéro de Bref Aéro. Cette vision sera déclinée dans notre prochain Livre Blanc (non vendu en librairie...) dans lequel la filière aéronautique espace défense sera passée au crible de tous ces enjeux, et ce ...sans « xylolangage »!

POUR VOUS AVEC VOUS

PARTOUT

« Si vis pacem, parabellum ». Ludovic Andrevon Président de la CFE-CGC AED


Actualités L’INDUSTRIE DE DÉFENSE A SON SPÉCIALISTE AU SEIN DU BUREAU DE L’AED Gagner en compétences, rester à la pointe de l’industrie aéronautique, défense et spatiale, être proactif dans l’avenir de la filière, des besoins de notre syndicat qui vont être à la charge du nouveau délégué général du bureau syndical, Christian Sibuet, élu lors du 48ème congrès de l’AED en mai dernier. Rencontre avec Christian Sibuet, nouveau délégué général AED

NOM : Christian Sibuet Entreprise : MBDA missile systems à Bourges Métier : Responsable lean manufacturing Formation initiale : École d’ingénieur ESEM Orléans Mission au sein de l’AED : Délégué général en charge du Livre Blanc, de l’industrie de défense Hobby : aviron, pêche sportive

NOUVELLES DÉSIGNATIONS AIRBUS OPERATIONS :

Bref Aéro : Christian, à quand remonte votre engagement syndical au sein de la CFE-CGC ? Christian Sibuet : j’ai adhéré à la section syndicale CFE-CGC MBDA au début des années 90. Je m’intéressais particulièrement à l’actualité et à la vie économique de mon entreprise, de plus, fait du hasard, j’appartenais au même service que le responsable de la commission économique au CE. De quoi animer les échanges. La chute du mur de Berlin a énormément impacté le plan de charge de notre entreprise. Ce fut le début des plans sociaux, des réorganisations, etc. Je n’ai pas souhaité rester spectateur de ces grands bouleversements et me suis engagé plus encore syndicalement. Quand on est cadre dans une entreprise, il y a des limites dans la liberté de parole,

B.A. : vous avez été élu délégué général au bureau de l’AED, en quoi consiste votre mission ? C.S. : j’ai une expérience de l’industrie, et plus précisément de l’industrie de Défense. Notre syndicat a décidé de refondre, en ce début de mandature, son Livre Blanc afin de prendre part aux débats qui vont avoir lieu lors des élections présidentielles de 2017. Ma mission, en liaison avec Francoise Vallin pour le domaine civil, va donc consister à coordonner, analyser et harmoniser les contributions de tous les experts entreprises et sectoriels en vue de publier notre nouveau Livre Blanc début 2017. Puis suivra la phase de diffusion de cette nouvelle édition auprès de nos entreprises, des institutions de tutelle, des candidats à la présidentielle 2017, afin que ces acteurs prennent en considération les analyses et perspectives de notre filière. C’est une très belle mission qui m’a été confiée, je suis très fier de pouvoir y participer et m’investir dans mon syndicat. En fin de carrière, c’est aussi pour moi le moyen d’apporter toute mon expérience, mon énergie à cette CFE-CGC AED qui m’a tant donné toutes ces années.

LE MOT DE LA PRÉVOYANCE : la clause bénéficiaire

Fabrice Nicoud remplace Françoise Vallin au poste de délégué syndical central. Xavier Daheron remplace Fabrice Nicoud au poste de délégué sydical central adjoint.

En matière de décès d’un assuré, un capital et/ou une rente seront versés à une ou plusieurs personnes ou à une ou plusieurs association/œuvre/fondation.

sera effectué par l’assureur en accord avec la dernière demande de l’assuré stipulée antérieurement au décès, sans présager de votre situation familiale à ce moment-là.

SAFRAN HELICOPTER Engines (ex Turbomeca) :

Il existe plusieurs possibilités pour en faire la demande :

Ce point sera développé dans votre prochain BREF AÉRO.

Fernande Oliveira est désignée déléguée syndicale centrale adjointe.

ARIANESPACE :

Marie Villareal est reconduite en qualité de représentante syndicale au CCE.

- le cas ne nécessitant pas de désignation particulière, qui sera géré suivant la liste, avec ordre de priorité, mentionnée dans la notice du contrat fournie par l’employeur dans le cadre d’un contrat collectif. C’est le plus simple s’il vous convient ; - le cas nécessitant une désignation particulière (celle de la notice ne vous satisfaisant pas). Cette désignation est à manier de façon très délicate et avec anticipation. En effet, le versement

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je voulais dépasser ces limites. En 1993, le SNCTAA (CFE-CGC AED) m’a désigné délégué syndical. Depuis, je n’ai eu de cesse de défendre et porter les valeurs de la CFE-CGC au sein de MBDA dont je suis le délégué syndical central.


Actualités Le réseau DD, en 2016, ce sont 26 membres (14 en 2015), représentant 17 sections de l’AED (9 en 2015). C’est aussi le moyen d’échanger régulièrement sur les différents thèmes et évènements nationaux, de mettre en place et faire vivre des commissions DD dans nos CE, et d’établir des références pour nos sections. Contact : lidwine.kempf@airbus.com

Développement Durable : 3ème plénière du Réseau, bilan et perspectives

L

e 8 juillet dernier, s’est tenue, à Bordes (64), la troisième plénière du Réseau Développement Durable (RDD) de l’AED, accueillie par la section de Safran Helicopter Engines (ex Turbomeca).

Cette rencontre fut l’occasion pour chacun des participants d’échanger sur les pratiques DD dans nos CE, puis de partager sur la RSE et les raisons de la promouvoir syndicalement. En effet, comme décidé lors du congrès de l’AED en mai dernier, le réseau DD s’empare désormais des thèmes de Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et de Qualité de Vie au Travail (QVT). Pour plus de simplicité, nous garderons le nom de « Réseau DD ». Les pratiques DD dans nos entreprises Dans un premier temps, nous avons échangé sur les pratiques DD des 11 sites représentés, que ce soit à travers une commission Développement Durable au CE ou un simple réseau DD dans la section. Les enjeux sont différents : si un réseau DD permet de fédérer nos adhérents autour du projet DD ; une commission DD, elle, engage le Comité d’Entreprise dans un changement des modes de consommation des salariés. De plus, en nous différenciant, ces actions permettront de fidéliser nos adhérents et d’en intéresser de nouveaux. Bilan - plusieurs types d’actions ont été mis en avant : restauration plus durable (alimentation locale et bio, gestion des déchets), organisation de journées vélo et de salons du véhicule électrique, diffusion de films (Home, Demain,…), Plan de Déplacements Entreprise (PDE), tri sélectif, concours photos, voyages éthiques… Perspectives - Lors des campagnes électorales, les thèmes du DD, de la RSE et de la QVT doivent être mis en avant pour nous différencier. Ainsi, la CFE-CGC a pu remporter des élections et mettre en place des commissions DD dans plusieurs CE.

Parlons RSE La seconde partie de la journée a été consacrée à une réflexion sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Il s’agit de leur responsabilité quant aux impacts de leurs décisions et activités sur la société et sur l’environnement. Ce comportement éthique et transparent contribue au développement durable et doit être intégré dans l’ensemble de l’organisation. Pour la CFE-CGC, la RSE doit « Redonner du Sens Ensemble ». Ainsi, la RSE devient un outil indispensable pour les organisations syndicales qui souhaitent influer sur leurs entreprises. En effet, les grandes entreprises ont l’obligation de produire un rapport RSE annuel contenant des chapitres clés tels que le respect des droits de l’homme dans l’entreprise ou l’impact environnemental de l’activité industrielle. Bilan - Certaines entreprises en ont compris les enjeux en terme de hausse de productivité et compétitivité, de réduction de l’absentéisme ou encore d’attractivité tant des talents que des investisseurs. Mais d’autres y mettent un minimum d’engagements par manque de conviction ou car le contenu de ce rapport leur est juridiquement opposable. Perspectives - C’est donc l’opportunité pour la CFE-CGC de promouvoir des comportements socialement responsables en demandant aux entreprises de s’engager plus loin dans le processus RSE. À noter que le Centre de Formation Syndical (CFS) propose une formation RSE. Cette journée de rencontres a été très enrichissante pour les membres du Réseau DD et nous en sommes sortis avec plein d’idées à mettre en pratique et de nouvelles réflexions à approfondir. Rejoignez-nous ! Le réseau DD de l’AED est ouvert à toutes les personnes motivées. Lidwine KEMPF Responsable du Réseau DD de l’AED

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Actualités LA CFE-CGC MET LE TURBO SUR LE HANDICAP Depuis de très nombreuses années, la CFE-CGC s’est engagée sur la problématique du handicap dans l’entreprise. Forte d’un réseau d’animateurs, Handi CFECGC agit au quotidien pour faire évoluer les mentalités et le regard porté sur les personnes handicapées en changeant les mots, en considérant la personne sans la réduire à son handicap. Ces évolutions passent également par la formation des délégués syndicaux à la négociation et à la mise en œuvre d’accords handicap ambitieux. http://handiblog.cfecgc.org/fiches-pratiques/

BUREAU DÉCENTRALISÉ DE L’AED Les 14 et 15 septembre, le bureau de l’AED a tenu sa réunion mensuelle en région bordelaise. À cette occasion, les représentants des sections de Nouvelle Aquitaine ont été invités à échanger avec le Bureau. Merci aux délégués de ASL, Dassault Aviation, Snecma, Stelia, Stelia Composites, Thales Avionics, ainsi qu’aux représentants de l’UR et de l’UD, pour leur participation. L’expérience de telles réunions décentralisées sera poursuivie en 2017.

Audience Groupe SAFRAN 3,4%

2,8%

2,6%

juin 2016

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GROUPE SAFRAN : LA CFE-CGC AED, 1ÈRE ORGANISATION SYNDICALE

31,1%

10,3%

CFE-CGC CGT CFDT FO SUD

23,8%

UNSA CFTC

26,0%

Lecture enrichie, mode d’emploi :

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STC

À l’issue des élections professionnelles qui se sont déroulées dans l’ensemble des entreprises du Groupe Safran, la CFE-CGC est devenue la 1ère organisation syndicale !


Vie des entreprises

L’ONERA à la recherche d’un

État stratège

Alors que le gouvernement affiche dans les médias sa volonté de sanctuariser le budget de la recherche, la subvention de l’ONERA, 1er acteur de la recherche public dans l’aéronautique, n’a cessé de décliner depuis cinq ans. Le projet de Contrat d’Objectif et de Performance 2017-2021 (COP) en cours d’élaboration est une illustration de plus du déficit de réflexion stratégique sur la recherche aéronautique au plus haut niveau de l’État et du manque d moyens financiers octroyés à un établissement pourtant méritant. En effet, ce projet entérine une subvention annuelle de 105 millions d’euros en baisse de 9 % par rapport à 2008 (hors inflation), ainsi qu’une baisse d’effectif de 7 % incompatible avec les objectifs fixés dans ce même COP. Ainsi l’État exige de l’ONERA toujours plus avec moins de moyens : plus de développements de partenariats avec moins d’effectifs et de subvention, plus de contrats avec moins de personnel opérationnel, plus d’encadrement de thèse avec moins de personnel encadrant… La déception est donc grande pour le personnel au regard des promesses faites, notamment par le ministre de la Défense qui avait répondu aux organisations syndicales que les problèmes de l’établissement se régleraient lorsque l’ONERA se doterait d’un COP. On est loin du compte… A contrario, l’État allemand, en fin stratège, programme minutieusement l’ascension du DLR sur la scène européenne. Le DLR, homologue outre-rhin de l’ONERA, a ainsi vu sa subvention et ses effectifs augmenter de 30 % depuis 2008. Par ailleurs, les industriels, pourtant les premiers bénéficiaires des travaux de l’ONERA, ne participent que très peu à son financement direct : c’est la DGA seule qui va

permettre de sauver les souffleries de Modane, largement mises à contribution pour les études des grands projets civils. Pourtant l’ONERA est un acteur plein de ressources et de créativité scientifique. Il l’a encore récemment démontré en faisant des propositions innovantes dans le cadre de la lutte contre le survol des drones au-dessus des centrales nucléaires. Il pourrait apporter aussi une contribution stratégique en matière de lutte contre le terrorisme, si l’État lui en donnait les moyens. Le temps des débats sur le projet de Loi de Finances 2017 à l’Assemblée Nationale est arrivé, la CFE-CGC interpelle donc l’ensemble des responsables politiques pour que les mesures budgétaires prévues dans le COP soit revues à la hausse, mais aussi pour que l’État y inscrive des propositions permettant de renforcer le positionnement de l’ONERA. La subvention de l’ONERA doit être redressée à un niveau minimal de 120 M€ comme l’ont réclamé un certain nombre de parlementaires et de sénateurs en 2015. L’État doit préserver les souffleries de recherche dans les hautes vitesses de l’ONERA, mais aussi remettre de l’ordre et s’engager à mieux fédérer une recherche aéronautique dont les modes de financement sont stratifiés et organisés au détriment d’un établissement public comme l’ONERA.

STRATÉGIE SPATIALE : CONSULTATION EUROPÉENNE Au printemps, la Commission Européenne a décidé de lancer une grande consultation publique sur la stratégie spatiale européenne afin de préciser sa vision des activités spatiales européennes pour la prochaine décade (jusqu’à 2030). Afin d’apporter sa contribution à cette vision, la CFE-CGC AED a formé un groupe de travail constitué de représentants de Thales Alenia Space, Airbus Defence & Space, Arianespace, Herakles, Snecma, Europropulsion, Sodern, Cilas, Geo Intelligence, sous la coordination de Philippe Gery, pour les aspects lanceurs, et de Thierry Prefol, pour les aspects satellites. Le groupe de travail, en plus d’avoir répondu en ligne aux nombreuses questions de la Commission Européennes, a produit une contribution que vous pouvez découvrir avec notre application PictureExtend. Thierry Prefol Expert Espace

La CFE-CGC adressera un ensemble de propositions concrètes aux élus politiques pour qu’un partenariat solidement établi par l’État entre l’ONERA et les industriels permette de mieux exploiter et optimiser le potentiel de recherche aéronautique dans l’intérêt de la nation. Béatrice Sorrente Déléguée syndicale ONERA

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Dossier

La transition numérique : fatalité ou chance pour le monde du travail ?

« I had to get off the boat so I could walk on water. » (Jay-Z) Pour clore son 48èmecongrès, la CFE-CGC AED a convié Nicolas Colin et Oussama Amar, fondateurs de The Family, afin de débattre de la disparition « programmée » de l’économie traditionnelle et de la montée en puissance de l’économie numérique dans notre société. L’économie fordiste, dite économie traditionnelle, laisse sa place, peu à peu, à l’économie numérique. Avec elle, disparaissent les emplois salariés sécurisés tels que notre société les connait et les choie depuis près d’un siècle. Une nouvelle forme de salariat fait son apparition ; une nouvelle façon de travailler ; des nouveaux métiers se créent. Fatalité ? Chance ? Que comprendre de cette ère nouvelle économique qui s’installe dans notre société ?

Vers la fin du travail ?

Va-t-il rester du travail pour tous ? Tel pourrait être le questionnement préalable à l’intervention de Nicolas Colin. Ce qui est établi, en 2016, c’est que nous vivons une bipolarisation du marché du travail : il y a de moins en moins d’emplois au milieu de l’échelle des revenus ; ce qui se traduit par la disparition peu à peu des classes moyennes. Grâce au SMIC, la France crée peu d’emplois mal payés, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis, par exemple. Jusqu’alors, les entreprises de l’économie traditionnelle étaient de type « fordistes ». Les classes moyennes se retrouvaient concentrées dans ce type d’entreprises avec des tâches modélisées. L’arrivée du numérique a pu, grâce à l’automatisation, les remplacer sans problème. Cependant, on peut s’apercevoir, à l’heure actuelle, que non seulement les tâches routinières sont sous le joug de l’automatisation, mais les emplois qualifiés sont aussi touchés ; et les CSP+ sont à leur tour touchées (médecins, avocats, etc.), ainsi le creusement se déplace. Pour résister, il est impératif de se former à des tâches que l’économie numérique ne peut pas modéliser.

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Vers la fin du salariat ?

À l’ère du numérique, il va rester des emplois, là où les tâches sont non routinières, où il faut faire preuve d’écoute, d’interactions humaines. Ces emplois seront-ils des emplois salariés ou faudra-t-il être entrepreneur, indépendant et chercher par soi-même ses clients ? En France, pour l’heure, la fin du salariat reste marginale ; elle ne représente que 9 % des emplois en 2012 (contre 20 % en 1970- disparition des emplois agricoles et des petits commerçants) ; mais cette situation ne durera pas. On peut distinguer 3 facteurs d’explication. - La baisse des coûts de transaction La création en 2009 du statut d’autoentrepreneur a relancé l’activité non salariée, et celle-ci est directement liée aux emplois du numérique. Ce statut permet de rapprocher directement l’offre et la demande, plus rapidement et sans coût ajouté. Pour une entreprise, le coût d’un salarié est bien plus important que le coût d’une négociation avec un indépendant. - La baisse du coût de l’outil de travail Pour illustrer la baisse du coût de l’outil de travail, prenons l’exemple des photographes. À l’ère de l’argentique, un photographe devait investir dans du matériel coûteux, une chambre noire, un local… Pour faire face à ces coûts importants, les photographes ont mutualisé leurs outils de travail, créé des

agences de photographes, et sont devenus salariés de celles-ci. Grâce au numérique, tout le monde peut être photographe : un bon appareil numérique, un bon logiciel de retouches et on devient photographe ! Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de rationaliser les coûts de l’outil de travail, de se rassembler en agences… - La moindre importance des qualifications Dans les années 90, lors de la découverte du numérique, le message triomphant d’alors était « la formation tout au long de la vie ». Ce qui est moins contre intuitif. Un ouvrier devait se former pour continuer à travailler. Avec 20 ans de recul, on s’aperçoit que ce n’est pas du tout ce qui se passe. En effet, l’économie numérique crée énormément d’emplois pour ceux qui sont peu ou pas qualifiés. Prenons l’exemple des chauffeurs de taxi, rendu célèbre avec le cas Uber. Au temps de l’économie traditionnelle, un chauffeur de taxi était un professionnel très qualifié. Pour amener ses clients d’un point à un autre, il apprend le plan de la ville. Pour bien gérer sa clientèle et améliorer son chiffre d’affaires, il a une grande expérience de terrain et connait les flux de clients selon les horaires et les lieux. Uber permet à des gens de rendre le même service, mais sans qualification. Grâce au GPS et aux algorithmes, Uber sait où se trouvent les clients et à quelles heures. Les chauffeurs se laissent donc guider par l’application pour savoir où se poster et à quelle heure pour accueillir des clients. Avec l’économie numérique, il n’y a plus de barrière à l’entrée sur le marché. Les individus se lancent plus facilement en indépendant plutôt qu’aller frapper à la porte des entreprises où les processus de recrutement sont souvent très longs et exigeants. À ces facteurs s’ajoute une nouvelle manière de produire et de consommer


Dossier pendant persiste l’impression que le chômage transitionnel ne cesse de croître, ce qui nourrit les inquiétudes.

Comment faire pour accélérer la courbe exponentielle des emplois numériques ?

The Family, agitateurs de l’économie Pour en savoir plus sur les intervenants : http://barbares.thefamily.co/

La destruction créatrice

Cette transformation s’opère dans un contexte de destruction créatrice : certains emplois sont détruits, d’autres sont créés, une sorte de substitution tendancielle d’emplois indépendants à des emplois salariés. Il y a des perdants, il y a des gagnants. Ce qui doit inquiéter, pour l’heure, c’est que les emplois créés sont beaucoup moins nombreux que ceux détruits. La destruction créatrice s’explique par le décalage dans le temps entre les emplois qui sont détruits pas l’irruption des nouvelles technologies et l’apparition de nouveaux modèles d’affaires. Un temps très long de latence est nécessaire pour que l’économie comprenne quels sont les nouveaux emplois qui peuvent être créés et pour qu’elle mette en place les institutions permettant cette création. Cela peut prendre des décennies, voire même ne jamais arriver. Ainsi, on peut détruire des emplois d’une certaine économie et ne jamais parvenir à mettre en place les emplois de la nouvelle économie. Actuellement, nous sommes dans une période de chômage transitionnel. On a l’impression que les emplois disparaissent vite et on ne voit

Découvrez les interventions de Nicolas Colin et Oussama Amar dans le détail avec l’appli PictureExtend.

pas encore émerger les emplois « du numérique » pour compenser les emplois traditionnels. Comme à chaque révolution technologique, l’histoire se répète, et le chômage de transition s’accélère et monte dans des proportions extraordinaires, surtout depuis la crise de 2008.

Emploi total Emplois traditionnels

Chômage transitionnel Emplois numériques

Temps Destruction Création

La crise de 2008, accélérateur de la destruction

@Nicolas_Colin @_TheFamily

La crise financière de 2008 a eu un tel impact sur les ménages, qu’elle a accéléré la destruction massive des emplois. Avant 2008, les entreprises traditionnelles ont résisté et maintenu les emplois, même si elles se rendaient compte que certains emplois ne leur étaient plus nécessaires. Avant 2008, de nombreux emplois auraient pu être automatisés, remplacés par de la technologie, mais les entreprises fordistes les ont gardés pour des raisons de paix sociale dans l’entreprise, d’attachement à l’entreprise, d’emplois sur les territoires, etc. Le choc brutal de la crise de 2008 a accéléré la prise de conscience et a provoqué une destruction massive des emplois traditionnels. Cela s’est vu dans les Telecom, par exemple. Aujourd’hui, ce choc brutal est dépassé, ce-

Une des clés de l’accélération de la courbe exponentielle des emplois numériques en remplacement des emplois traditionnels réside dans la protection sociale. Il est nécessaire d’apprendre à mettre en place les institutions pour couvrir les individus qui travaillent dans l’économie numérique contre les risques critiques auxquels ils sont exposés ; risques critiques qui sont bien différents de ceux qu’encourent les ouvriers de l’économie fordiste. L’emploi dans l’économie fordiste, aujourd’hui, tout le monde en rêve. Tous ceux qui ont un emploi dans cette économie redoutent de le perdre et tous ceux qui n’y sont pas rêvent d’avoir un emploi bien payé, sécurisé, salarié et avec une bonne protection sociale. Il ne faut cependant pas oublier que ces emplois fordistes n’étaient pas si attractifs au moment où la protection sociale n’avait pas encore été mise en place. C’est celle-ci qui a joué un rôle critique dans leur attractivité. Actuellement, dans l’économie numérique, on n’a pas appris à mettre en place la protection sociale. Déjà du fait que certains de ces emplois sont des emplois indépendants, ensuite parce que l’économie numérique change les structures de la société et fait émerger de nouveaux risques. On note, par exemple, la difficulté à se loger pour ces nouveaux travailleurs du numérique. Et voici un risque que la protection sociale ne parvient pas à couvrir. Un énorme travail doit être fait sur ces institutions pour accélérer la montée en puissance des emplois du numérique et les rendre plus attractifs, en augmenter la productivité et la qualité, et avoir ainsi l’espoir qu’un jour ils parviennent à remplacer 1 pour 1 les emplois de l’économie traditionnelle détruits. Si ces institutions se mettent en place, on vivra un nouvel âge d’or correspondant aux Trente Glorieuses de l’économie traditionnelle. Nous poursuivrons ce dossier sur la transition numérique dans le prochain Bref Aéro. De belles réussites dans le domaine nous permettent de croire dans les Trente Glorieuses du numérique. La rédaction de Bref Aéro

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C’est dans l’air

Xylolangages

« … Et c’est non seulement avec fierté mais avec plaisir, Madame, Messieurs, que nous sommes heureux de figurer désormais parmi vos fournisseurs. Soyez certains qu’à partir de ce jour, qui marque le premier déploiement de nos produits sous vos couleurs, un partenariat sans faille nous fera vous assurer le meilleur niveau de service que vous êtes en droit d’attendre de notre groupe. » Pas mal, pas vrai ? La communication d’entreprise en quelques décennies s’impose comme une sorte de Ligue des Champions qui renvoie nombre de politiciens en deuxième division. Et pourtant. Ne serait-il pas plus honnête parfois de dire : « … Et c’est avec soulagement que nos équipes voient enfin le bout du tunnel et, Madame, Messieurs, l’aboutissement du contrat qui nous lie. Soyez certains qu’à partir de ce jour, nous n’aurons de cesse de vous apporter un niveau de service optimisé, dans des conditions économiques qui nous permettront de rétablir l’équilibre financier de notre partenariat. » La langue de bois est malheureusement devenue une banalité et un point de passage obligé. Les managers qui disent les choses telles qu’elles sont, sont rares : il faut plaire au marché, plaire aux actionnaires, plaire aux médias. Ils sont rares mais du coup ils sont estimés et leur courage reconnu. Même si souvent, leur franchise les fragilise. Admettons que la langue de bois soit un outil publicitaire. Vers l’extérieur, à la li-

BREF

AÉRO 8

mite : dans le libéralisme débridé qui nous entoure il faut faire feu de tout bois, même de la langue. Mais vers l’intérieur ? La communication lénifiante qui est servie mois après mois, année après année, a quel effet sur le personnel ? On essaye via les journaux internes, réseaux sociaux d’entreprise et autres blogs-du-patron-ouverts-à-tout-lepersonnel, de nous convaincre que nous avons fait le bon choix : notre boîte est la meilleure, nos produits sont les meilleurs, notre équipe est la plus motivée, il est donc normal d’enchaîner les succès. On rajoutera juste ce qu’il faut de concurrence omniprésente et très agressive (ce qui est parfois vrai, malgré tout !) pour justifier de la nécessité de poursuivre les efforts sans trop se poser de question sur les évolutions de carrière. Autrement dit : vous avez le nez dans le guidon, vous avez raison parce qu’on va gagner, mais surtout : votre nez, ne le relevez pas. Au bout de plusieurs années d’un traitement pareil que ne renieraient pas certains artistes du Komintern, on aboutit à quoi ? Généralement à des personnels complètement déconnectés de la réalité, qui ne jurent que par le logo de leur compagnie, qui perdent toute objectivité quant au vrai positionnement de leur vie professionnelle dans l’univers. Parfois, à des réfractaires qui par excès inverse refusent tout endoctrinement et ne savent plus mesurer les succès objectifs de leur groupe. On peut prendre les choses de deux côtés : on n’aboutit à rien de bon

Septembre/octobre 2016 • n°360 Directeur de la publication : Ludovic Andrevon Ont participé à la rédaction : C.Dumas, P. Frodefond, L.Kempf, T.Prefol, C.Sibuet, B.Sorrente, D.Verdy Crédits photos : © Georges Lemarié, Arianespace, fotolia Crédits vidéos : Imagin’Prod et L’œil et la plume Enrichissement : Picture Extend by L’œil et la plume Bref Aéro est une publication bimestrielle de la CFE-CGC AED 66, rue des Binelles - 92310 Sèvres - contact@snctaa.fr Rédaction, conception, réalisation : Agence L’Œil et la plume www.loeiletlaplume.com Impression : Imprimerie La Centrale de Lens Dépôt légal : octobre 2016 - ISNN : 0293-8251 - CPPAP : 0114S 08080

pour l’être humain et pour son libre-arbitre, sur le long terme. Mais alors, à qui le crime profite-t-il ? Et bien il profite à ceux qui veulent acheter une paix sociale à court terme. Qui s’imaginent par une communication aliénante pouvoir augmenter les performances de leurs équipes. Qui croient encore, à l’heure d’Internet et de la digitalisation à tout crin, qu’ils peuvent s’asseoir sur le couvercle de leur marmite pour que rien de mauvais n’en déborde. Le mal touche plus les grands groupes que les PMI, lesquelles n’ont pas toujours les moyens de s’offrir une « com’ interne ». Elles se contentent souvent d’un patron qui fait le tour des ateliers ou des bureaux le matin, qui serre des mains, qui demande des nouvelles du petit dernier et dont la mine traduit la situation du carnet de commande. Pas besoin de langue de bois dans ce cas. Cependant, ne voyons pas le mal partout non plus : reposez-donc ce Bref Aéro et relisez la dernière communication interne de votre entreprise. Objectivement, qu’en pensez-vous ? Christophe Dumas Secrétaire général CFE-CGC AED


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