Lire la ville, l'abécédaire (extraits)

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CHANTAL DECKMYN

Lire la ville l’abécédaire, extraits (1974-2010)

LiRe La ViLlE


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CHANTAL DECKMYN

Lire la ville l’abécédaire extraits : […] emploi insertion(ré)insérer lire la Ville lire une ville lire une ville : Marseille lire la ville et son paysage avec des exemples (Une méthode pour) qualification/qualité travail Ville, Exercice

[…] Morceaux choisis et réunis par Jean-Charles Agboton-Jumeau

LiRe La ViLlE

10, rue Colbert 13001 Marseille lirelaville.eu

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Emploi Voir aussi Qualification/Qualité ; Travail

Dans les traitements de masse, quantitatifs, les êtres ont tôt fait de perdre leur qualité de sujet et de devenir des objets ; ils sont rapidement perçus par les opérateurs et par eux-mêmes comme identiques, interchangeables. C’est oublier que la ressource n’est pas ailleurs que dans les personnes : c’est là que se trouvent les fameux gisements d’emplois que les techniciens et les politiques cherchent partout, c’est là que "l’emploi" a ses "niches". 1994-6, p. 4

"L’emploi" n’existe pas : les entreprises n’ont jamais eu "d’emploi" à "offrir", elles ont des fonctions et des postes précis à assurer. La notion d’emploi n’a de pertinence que dans le domaine de l’analyse (quantitative), en aucun cas comme outil opérationnel, c’est une fiction éventuellement utile comme outil statistique. Le substantif et le verbe emploi et employer, contrairement à travail et travailler, n’ont pas de forme active, ils ne peuvent renvoyer le candidat ou le travailleur 1 qu’à une position passive , "être employé" : utiliser cette notion en dehors de son usage statistique entraîne donc des conséquences néfastes puisque cela va induire chez les candidats une position de passivité et de demande qui va provoquer le résultat inverse de celui qu’ils recherchent. 2000-3, p. 2

"Favoriser l’apparition de l’emploi sur les zones" avait été l’un des vœux inauguraux, si joliment tourné il faut le dire, prononcés à la télévision par le premier de nos

1- … corroborée par l’étymologie de em-ployé qui signifie "plié dedans". 5


ministres de la Ville, le jour de sa nomination. Avec 2 quelque chose de "Soubirou" dans l’expression . 2002-8-10, p. 1

La notion d’emploi empêche de penser l’activité à partir des personnes, empêche de penser l’activité comme étant d’abord le fait de son auteur, comme étant de fait un développement de sa personne, comme le geste du danseur. La notion d’emploi nous amène à penser une sorte danseur mu de l’extérieur ; sinon sans mouvement propre, tout au moins dont le mouvement propre serait entièrement arraisonné par une commande extérieure, au service de cette commande. Cette notion, lorsqu’elle nous fait penser les personnes sous la forme de candidats à l’emploi, nous empêche surtout de les penser comme des individus, chacun comme un tout, porteur de multiples aspects et dimensions, riche de sa diversité mais aussi, en quelque sorte, "royal" parce qu’unique dans son expérience, son savoir et sa diversité. 1999-2, p. 2

Le travail d’orientation et d’accompagnement de la recherche d’emploi montre que le handicap majeur des "candidats" (appelons-les ainsi) est dans leur croyance qu’il faut se conformer à un modèle extérieur, qu’ils doivent séparer leur être – réservé à la vie affective, aux loisirs, aux intérêts personnels – et le travail qu’ils considèrent comme un avoir, une chose qu’on peut trouver ou perdre. Alors qu’ils devraient se voir autrement que de façon modélisée : d’une part, ne pas se nier dans leurs particularités et leur désir (ce qu’on appelle "motivation"), les reconnaître au contraire et en relier les divers aspects ; d’autre part, savoir se décrire de façon distincte sans se laisser hypnotiser, engourdir par l’évidence. 1997-10, p. 63

2- On entend même des gens moins prudents parler de développer l’emploi, comme si l’emploi existait en tant que tel. 6


Cette locomotion de cauchemar, raide, lente, le souffle court, cette paralysie de tout mouvement naturel sous l’emprise de la peur, je les ai retrouvées lorsque j’ai commencé à travailler, avant les "DE" ou demandeurs d’emplois, avec ceux que l’on appelait les "TPE" ou travailleurs privés d’emploi ou encore ceux qui n’ont même pas encore été privés d’emploi et que l’on appelle tout aussi joliment des "primo-demandeurs" : des jeunes gens sur le seuil d’une vie professionnelle qui leur paraît parfois reculer devant eux jusqu’à devenir hypothétique. Les uns et les autres souvent pris dans ce que Pierre Bourdieu nomme : "le désespoir de soi". 1994-6(1), p. 2

Dans le cours de ces enquêtes sur eux-mêmes, il m’arrive très souvent de demander à mes chercheurs (d’emploi) de s’isoler à leur table et d’écrire l’histoire de leur vie en quelques lignes ou en quelques pages, pour la décrire et raconter à quelqu’un qui ne les connaîtrait pas. Non pas justifier, prouver ou démontrer : décrire. 1994-6, p. 5-6

Le repérage des compétences et des orientations des personnes, puis leur accompagnement dans la recherche d’un travail, s’ils demandent un changement de mentalité, ne requièrent pas de spécialité "emploi" et peuvent tout à fait être réalisés par les travailleurs sociaux s’ils le désirent et s’ils s’y exercent ; les travailleurs sociaux peuvent également passer le relais ou s’adjoindre les compétences d’autres partenaires lorsque leur savoirfaire rencontre ses limites. 2000-3, p. 10

Certains organismes estiment qu’il n’est pas souhaitable de proposer un service rapproché d’orientation et de recherche d’emploi dans les quartiers, parce que cela tendrait à donner de faux espoirs, que le marché du travail n’en serait nullement affecté et que la seule démarche valable est d’offrir des emplois. Ce n’est pas prendre la 7


mesure de l’abandon dans lequel on laisse alors ces habitants, ni saisir l’importance qu’il y a à ce que chacun se sache reconnu dans ce qu’il peut apporter à la société, même si les circonstances ne lui permettent pas de le faire dans l’immédiat. On retrouve là aussi la très vieille alternative : offrir du poisson ou apprendre à pêcher. 1997-10, p. 64

Si bien, première conséquence qui concerne notre propos, que les professionnels du travail social par exemple, sont souvent persuadés que la compétence en matière de travail et donc la capacité à "aider" les personnes à "rechercher un emploi" est une compétence spécifique, totalement étrangère à la leur, qui n’a rien à voir avec leur approche des individus (il apparaît même parfois que certains d’entre eux pensent ne pas appartenir eux-mêmes à ce "monde du travail"). Conséquence de la conséquence : - Soit ils pensent que ce domaine n’est pas leur affaire, et ils ne veulent pas s’en mêler de peur de pénaliser leur public ; - Soit ils vont gober comme parole de vérité vraie tous les slogans du marché et des marchands de recettes, quitte à se renier totalement, quitte à affirmer des théorèmes totalement à l’encontre de leur propre éthique voire de leur combat. C’est dans cette seconde catégorie que l’on va rencontrer des travailleurs sociaux par exemple militants, par exemple engagés dans des luttes contre l’exploitation, l’aliénation et le mépris, parlant néanmoins "d’employabilité", affirmant qu’il n’y a point de salut pour les candidats hormis de se vendre comme un produit, si possible au plus offrant, qu’il faut être réaliste et leur apprendre à se décrire non à partir de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont entre les mains mais à partir des emplois accessibles, leur apprendre à mentir sur leurs compétences, à se déguiser en "agent de sécurité" ou en 8


"aide cuisinier" si c’est ce que recherchent les "employeurs", à les encourager à prendre "ce qu’ils trouvent", c’est à dire "n’importe quel emploi", etc. 2000-3, p. 6

Voyez l’inflation de cette qualité que tout un chacun s’attribue ou recherche comme la bouée salvatrice : "l’adaptation" ; pas un candidat qui ne se vante d’être adaptable, phénomène qui a même donné naissance à un petit monstre de mot, très récent : "l’adaptabilité" et qui a d’ailleurs pour jumeau un autre petit monstre (qui lui n’existe pas encore dans la langue française), autrement plus dangereux, mine de rien : "l’employabilité". 1999-2, p. 2

Il arrive que "l’emploi" soit utilisé dans les quartiers d’habitat social comme un objet d’échange dans des tractations visant à préserver la paix sociale. Telle autorité promet tant d’emplois à des groupes de jeunes pour calmer les esprits après une bavure policière ou un coup de colère incendiaire ; telle société de grande distribution échange la tranquillité de ses supermarchés implantés contre quelques emplois pour les "jeunes" de la cité voisine. 1997-10, p. 63

Sur les 43 personnes qui nous ont été adressées, 42 se sont inscrites mais 2 n’ont pas donné suite à cette inscription, puisque nous ne les avons pas revues malgré nos lettres et nos appels téléphoniques. Nous ne les avons donc pas comptabilisées. Nous avons, comme les autres années, inscrit les personnes qui nous étaient adressées, à condition qu’elles le souhaitent et qu’elles correspondent aux critères administratifs d’admission, sans opérer aucune sélection parmi elles : ni en fonction de leur "employabilité" ou de la force de leur motivation, ni en fonction de leur genre ou de leur âge. 2008-4, p. 67 9


Rien encore ne nous prouve que l’Orientation et la Recherche d’emploi relèvent des sciences ou des techniques, ni qu’elles représentent des objets absolument pertinents pour la formation, la pédagogie. Quelles qu’aient pu être les spéculations à cet égard, les tentations et les tentatives en ce sens, l’Orientation et ses diverses applications, dont la Recherche d’emploi, demeurent pour l’instant le lieu d’un hiatus, c’est à dire d’une articulation politique au sens propre du terme. Au-delà d’une analyse rigoureuse et exhaustive, au-delà d’un inventaire logique et éventuellement typologique, il restera non à déduire mais à trouver un projet, à le saisir. On le trouvera à l’intérieur d’une constellation de points comparables à un programme. "Travail’, "poste", "candidature", "entreprise", "œuvre", le projet invente et construit sa figure dans un ordre et une dynamique qui lui sont propres. Il ne saurait naître de la compilation d’un inventaire individuel et de l’analyse de divers registres de conjoncture. De plus l’individu, au cœur de sa propre constellation donc en point aveugle - est mal placé, quels que soient les efforts pédagogiques déployés à son intention, pour "voir" ce qui le caractérise et concevoir seul et d’emblée ce que certains acteurs sociaux en viennent à appeler son "projet de vie". Il restera encore, et cela se fera dans un même mouvement, à dire, à écrire, à mettre en perspective et à montrer ce pont lancé entre le passé (un inventaire), le présent (des potentiels) et l’avenir (la création d’une figure singulière) d’un individu, entre cet individu et son environnement en mouvement. 1991-2, p. 3

Par ailleurs, si l’on veut non pas créer des emplois (cela n’existe pas) mais traduire en termes d’emplois des initiatives, des événements ou des situations propres au 10


quartier, il est indispensable qu’un service spécifique, compétent et bien entendu intègre, se charge d’en repérer les opportunités et de faire les mises en relations nécessaires. On ne peut pas espérer que cela se fasse tout seul. 1995-12, p. 65

Outre sa collaboration au diagnostic de l’ensemble des services publics à travers son bloc-notes, le groupe des habitants a quant à lui insisté sur trois questions qu’il était à ses yeux urgents de traiter : la toxicomanie, le désœuvrement des jeunes dans la cité et surtout la question de l’emploi qui recouvrait en partie les deux premières. Pour nous et depuis le début de notre travail, cette dernière question était également à la fois centrale et primordiale, totalement intriquée à celle du projet urbain. Même si nous ne pouvons pas la penser dans les seuls termes de l’emploi - l’objectif créer de l’emploi n’a pas de sens en lui-même - et si nous la pensons d’abord en termes de développement économique du site et des personnes. 1995, p. 65

Manque de ville et manque d’emploi : la sagesse semble non seulement de les reconnaître comme questions fondamentales mais de les comprendre comme une seule question et de tenter de répondre d’une façon d’abord non découpée. Ces questions, à la croisée de la ville et de l’emploi, à l’endroit de la citoyenneté par excellence, nous semblent devoir appeler des réponses les plus simplement et les plus purement civiques, tenant compte de cette constellation imprécise de devoirs, droits et choix qui ont pu être nommés : droit au logement, droit à la ville, droit au travail, droit à la beauté. Nous chercherons donc à replacer l’histoire, celle du site, celle des personnes, dans la géographie, celle de la ville à continuer, reprendre, reposer. A trouver et 11


reconnaître le sens et la beauté des uns et des autres dans leurs parcours, histoires, personnages, paysages, figu-res. 1991-7a, p. 4

La démarche que peut expérimenter le GPV, c’est celle des processus qui peuvent être déclenchés et suivis, à la fois dans des suites discrètes et sur une grande échelle, visant à retrouver de la ville dans la zone, à fragmenter les échelles, à retrouver le territoire, à re-proposer de la rencontre, de la mitoyenneté, du vis-à-vis. Faut-il travailler sur des lignes de forces, des parcours (en travelling) ? Faut-il travailler de façon pointilliste, par constellations ? Ou par contamination à partir des morceaux de tissu existants ? Ou encore autrement ? C’est ce qu’une démarche double (de projet et d’accompagnement des projets) devrait permettre de déterminer. Ce qu’il faut certainement, c’est remettre en question notre relation culturelle à la ville et au travail, reprendre les concepts avec lesquels on les pense aujourd’hui et avec eux la place de l’individu et des groupes dans la société : - penser la ville autrement qu’en termes de zones et de logement ; - penser le travail autrement qu’en termes d’emploi, d’offre et de demande… et penser l’un et l’autre autrement qu’en termes d’insertion. 1999-10, p. 4

Aussi modestement que possible mais cependant nécessairement, l’étude formera l’occasion de cette réflexion en forme de préfiguration : - parce que c’est objectivement urgent (taux des personnes sans emploi), et qu’il est difficile d’envisager un projet qui ferait l’impasse sur cet aspect primordial de la vie à Valdegour ; - parce que c’est l’un des principaux moyens d’aller à l’encontre du découragement ou de la sortie du contrat 12


social. Aider à un développement des emplois constitue une force de proposition recevable par tous et c’est une des rares interventions en provenance de l’extérieur qui ne puisse en elle-même provoquer, ni le désespoir ni l’invalidation des individus ou des groupes ; - parce que la requalification de Valdegour, dans la mesure où elle se veut urbaine, le demande : l’amélioration du bâti et des espaces extérieurs ne permettra pas à la cité de quitter son statut de "2400 logements". La ville ce n’est pas seulement l’urbanisme, c’est aussi le travail, la justice… C’est la vie des citoyens. Une requalification urbaine appelle diversification et changements d’usage, lesquels appellent des actions bien spécifiques. Durousseau 1992, p. 5

Thèmes Ce que l’on appelle la "recherche d’emploi" est ici notre axe prioritaire. Néanmoins, nous avons évité le terme d’emploi, dans la mesure où la question posée est d’abord celle des revenus et des moyens (de vivre), un emploi ne représentant que l’une des réponses possibles à cette question : par exemple le troc, le commerce, certains services ou l’artisanat en représentent d’autres. S’en tenir à un objectif emploi serait se priver de toutes les autres "situations", manières de gagner sa vie ou modèles économiques particuliers qui restent certainement (pour nous comme pour les habitants) à découvrir à Frais Vallon.

Approche et "Accroche" Il ne serait pas souhaitable que le service offert soit associé à une fonction de recrutement (= que les aspects "offre de recrutement " viennent en premier), ce qui détournerait de leur objectif ceux qui viennent prendre conseil et nous ferait perdre toute la richesse des personnalités professionnelles qui, elles, ne s’organisent pas d’abord dans la conformité à une offre de recrutement. L’accroche devrait peut-être même se faire sur un thème apparemment éloigné des questions d’emploi ; par exemple sur le thème des histoires de vie, sur le repérage 13


de parcours significatifs chez les habitants de Frais Vallon qui a été proposé par le groupe d’amélioration du service public. Plutôt qu’une ouverture tous azimuts, avec une information publique aux habitants, il serait souhaitable lors des trois premières phases de s’en tenir à une entrée "en biais" telle que décrite précédemment et à une adresse mesurée de personnes, par exemple par les assistantes sociales. 1993-9-30, p. 4

Ici, nous proposons de le mettre en place d’emblée en créant dès le début de l’action un atelier avec un groupe de 10 personnes sans revenus ou vivant de minima sociaux (ASSEDIC, RSA, AAH), cherchant un travail et habitant entre la gare de Noailles et la place Jules Guesde. Nous leur proposerons d’accompagner leur recherche en faisant avec eux un double pari : - celui qu’il sera fructueux de "désinstrumentaliser" leur recherche en leur proposant de se décentrer de leur objectif économique et social - un emploi - pour s’adonner à une recherche davantage philosophique : connaître leur patrimoine personnel, ce qu’ils ont entre les mains et mener une forme d’étude sur ce sujet (sur le modèle des recherches à l’université ou des workshops dans les écoles d’architecture ou de paysage) ; - celui qu’ils pourront avancer dans cette connaissance de leur patrimoine personnel non en se centrant uniquement sur eux-mêmes mais en investissant leur relation à leur environnement, spécifiquement en développant leur connaissance de la ville. 2010, p. 2-3

Il a paru remarquable aux deux groupes de travail que le quartier voie ses 5500 résidants habiter tous au 38, avenue de Frais Vallon, les bâtiments ne déclinant leurs adresses que par A, B, C, D, E…, appartements 1 à 1500, et les équipements scolaires par "nord", "centre" ou "sud". 14


Cet anonymat ne va guère dans le sens d’une reconnaissance de Frais Vallon par l’ensemble du corps social. On sait aussi que ce genre d’adresse collective identifie les individus à la réputation de la cité et ajoute à "l’exclusion" la difficulté d’accéder à un emploi par le simple fait d’habiter là. 1997-10, p. 63

1993-4-15, p. 12

La culture par exemple et l’emploi, ont une belle et très fondamentale question en commun, celle de l’emploi du temps, qu’il soit ou non employé par un employeur. 1995, p. 65

Des behaviouristes mettent au centre "l’employabilité" ou non des "jeunes des cités". Est-ce bien sérieux ? Pour tout un chacun, la vraie question est ce à quoi il emploie son 15


temps, autrement dit ses intérêts dans la vie, ses talents, son énergie et son désir. Le fait d’habiter une cité n’y change rien. Et on n’arrête pas brusquement d’employer son temps parce qu’on est licencié, pas plus qu’on ne passe du jour au lendemain d’un état de chômage à un agenda de travailleur à plein temps. Ou alors, avec des courbatures. C’est sur la base d’un emploi du temps, cultivé et non en friche, que l’on passe à des propositions, des candidatures puis à un travail rémunéré. Et c’est sur la base d’une culture personnelle que se font l’orientation et la recherche d’une activité professionnelle. "La question morale par excellence, on l’a souvent noté, c’est celle de l’emploi du temps […] Qu’est-ce que la culture ? La claire conscience de la préciosité du temps", écrit Renaud Camus. 1997-10, p. 63

Dans ce même registre on peut se demander si, au motif de permettre à chaque adolescent de rompre avec un milieu et des habitudes déviantes, on n’a pas en même temps fait table rase, d’une part de son histoire, d’autre part de sa problématique personnelle en matière de délinquance. De fait, outre l’absence de diagnostic initial, il n’est pas explicitement prévu ni formalisé (comme cela l’est pour les autres activités) que soit mis en place, un cadre pour des entretiens avec un adulte référent. Est prévu bien sûr un accompagnement quotidien et soutenu des adolescents par l’équipe, une parole et une attitude éducatives autour des actes au jour le jour. Mais reprendre le fil d’une vie, repenser des actes et des choix, l’avant et donc l’après UEER, demande un lieu, un temps et une oreille spécifiques pour chaque adolescent. N’est pas prévu non plus, dans ce cadre ou dans des séquences plus spécialisées, de se donner les moyens de repérer avec lui non seulement ses difficultés mais aussi ses ressources, les caractéristiques et compétences propres sur lesquels il

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pourra - ou pourrait - s’appuyer pour orienter ses 3 recherches en matière de formation ou d’emploi . L’approche des adolescents est pensée comme 4 collective, tout au moins dans la première session . Le "fil rouge" qui devait assurer la continuité du suivi des adolescents entre les différents partenaires avant, pendant et après l’UEER, n’a pas été suffisamment entretenu ; pour ce qui est de "l’après", seul l’un des ex-pensionnaires de l’UEER semble avoir été orienté vers une "suite". Par ailleurs, même si dans la seconde session deux relais extérieurs ont été établis pour un adolescent (école et stage professionnel), l’UEER n’a pas créé son propre réseau, ne s’est pas réellement inscrite dans un milieu social et professionnel au sens large. Cela tient à l’accueil fait à l’UEER par son environnement professionnel direct mais également au fait que cette intention est peu présente dans ses projets. Ainsi l’interprétation qui a été faite du terme "séjour de rupture" ne permet guère à la séquence UEER de faire le point sur un passé et un présent, ni d’ouvrir sur la séquence suivante ou sur une perspective plus lointaine,

3- Dans le projet initial, les adolescents sont surtout pensés en actes et en gestes et ce, non dans un rapport à la société mais dans un rapport surtout physique, à la nature. Concernant le ressources des adolescents il est écrit dans ce projet : "À partir d’un cadre naturel dépourvu d’artifice, nous essayerons au travers de sports à ‘dépassements’, tels que la randonnée, l’escalade et le VTT, le parachutisme, la plongée, de faire prendre conscience à ces jeunes de limites, mais aussi des potentialités cachées qu’ils ont en eux." 4- La seconde session n’a pas permis d’expérimenter réellement l’orientation d’individualisation préconisée par une partie ("minoritaire") de l’équipe qui tirait ainsi les leçons de la première session : "Les problématiques complexes et distinctes de ces jeunes donnent à penser que le caractère collectif de la réponse qui leur est proposée est sans doute insuffisant pour prendre en compte l’ensemble des difficultés qui sont les leurs, et "il apparaît intéressant d’introduire dans le projet pédagogique la notion d’individualisation de la prise en charge des jeunes confiés à l’UEER." 17


qu’il s’agisse de la prise en charge sociale immédiate de l’adolescent ou de son devenir au sens large. Surtout, cette double absence d’inscription, dans l’histoire des adolescents et dans un milieu social, induit que ce séjour, après avoir proposé le "plein" d’activités qu’on a vu, débouche non sur une suite, proposant un enchaînement et des relais mais précisément sur une interruption (une "rupture") susceptible de réactiver chez les adolescents ce qu’ils ont déjà connu de sentiment d’abandon. 1997, p. 16-17

Ou encore, du côté des jeunes filles : la DRDF constate que lorsque l’on parle des "jeunes des cités", il s’agit des jeunes… sauf des jeunes filles. De là, quelle visibilité pour elles ? Comment la Politique de la ville qui tient d’abord compte des acteurs qu’elle voit, les prend-t-elle en charge ? On sait encore que, si les jeunes filles, y compris des cités, réussissent mieux au collège et au lycée que les garçons, elles perdent cet avantage au moment de leur orientation vers l’enseignement supérieur ou dans le monde du travail. Les femmes rencontrant plus de problèmes et faisant donc de fait, l’objet d’une discrimination, leur situation appelle deux types de réponses : d’une part des traitements spécifiques ponctuels sur les questions qui le nécessitent, par exemple sur leurs droits propres lorsqu’ils ne sont pas respectés (viols, violences conjugales, IVG, etc.), d’autre part une politique transversale et thématique qui, sans accentuer la discrimination, renforce globalement leur prise en compte, par exemple en repensant dans ce sens les politiques de formation ou d’accès à l’emploi. 1999-12, p. 12

Cela nous conduit en premier à considérer une population dans sa totalité (ici sur un site choisi, un territoire délimité). 18


Il ne peut y avoir de population spécifique - jeune, handicapé, travailleur, RMIste, chômeur, CLD, primodemandeur, femme, femme au foyer, famille lourde, troisième âge, etc. – de "cible" ni de "visée" (sans compter qu’il ne s’agit pas de gibier) dans la solution des problèmes, même quantitatifs, dont les données sont si fines, si individuelles et si totalement intriquées les unes aux les autres. Quantitatif ne signifie pas statistique. Les populations spécifiques sont des termes de statistiques, lesquelles ne régurgitent que des images des problèmes, et uniquement selon les critères qui leur ont été donné en pâture ; elles ne peuvent être tenues pour opérantes en tant que moyen de traiter un problème. - Prendre comme objet de nos efforts une population spécifique, par exemple "les jeunes", ne nous amènera pas loin de prendre une des images, un des effets du problème pour son origine. - Une telle attitude ferait très vite monter le ton et les enchères entre celui qui est censé apporter ou garantir une solution (ce qu’il ne peut faire par exemple en matière d’emploi puisque celui-ci ne dépend pas de lui) et le groupe désigné - mis en position de demande et quelques fois d’assistance - de ceux pour lesquels on recherche une telle solution. Sans compter que, quelle que soit la nécessité de faire bouger la réalité sociale qui leur est proposée, rien ne peut être fait sans l’énergie venue de chacun des intéressés : leur désir et non leur demande. 1991-9a, p. 8

Si le droit au travail a un sens, juste avant il y a le droit à l’identité, au particularisme, à la culture personnelle et collective, à la beauté de son propre personnage, ceci quel qu’ait été et quel que soit par la suite son "emploi". Un auteur ou un metteur en scène a de l’intérêt, du respect et de l’admiration pour chacun de ses personnages, quel que soit son rôle. Trouver son rôle avec chacun exige du temps, de l’attention, un travail entièrement individualisé, qui ne 19


perde pas de vue pour autant les avantages du nombre : échanges de tous ordres, économie d’échelle, optimisation du choix et des services proposés aux entreprises, mise en relation de projets, etc. : c’est à ce prix […] que parviennent à s’accorder, de façon non découpée, l’individuel et le collectif, ce qui est quantitatif et ce qui est qualitatif. 1991-9a, p. 9

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insertion(ré)insérer Voir aussi Emploi ; Qualification/Qualité ; Travail

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C’est dans ce contexte dit de "lutte contre l’exclusion" que se sont développées outre le Développement local, toutes sortes de tentatives hybrides, par exemple de nature sociale et à visée économique ou l’inverse, pour 5 remettre dans le courant, ré-insérer tous ceux qui, en masse, en avaient été éjectés et tous ceux qui d’ailleurs continuaient à l’être. 2002-10-6, p. 1

En matière "d’insertion", à peu près tout le monde est dans le flou, sans doute parce que le concept lui-même pose beaucoup de questions, à la fois économiques et éthiques. Sur ce sujet, nous serions tentés de soutenir pour l’intercommunalité le point de vue suivant : - Autant les structures-relais, d’accompagnement des personnes et des groupes, sont à la fois manquantes et indispensables, - autant tout ce qui poussera à réfléchir et à innover est 6 bon à prendre , y compris certains types de contrats aidés 7 (CEJ et certains CEC) , 5- À noter que cette image d’in-sertion ou de ré-insertion, qui suppose un lieu ou une boîte, qui serait l’espace social normal, lequel aurait un extérieur où se trouveraient tous ceux qui sont mis dehors, à la marge et qu’il s’agirait de faire rentrer, de remettre dans la boîte, cette image propose une topologie dont on sent bien qu’elle ne "colle" ni avec la réalité (ne serait-ce qu’à cause de l’ampleur de l’espace devenu alors extérieur à la norme, ne serait-ce que parce que l’extérieur est pensé comme "à réinsérer", c’est à dire comme objet, inerte, toutes les ressources et la volonté se trouvant dans la boîte), ni avec les mutations à l’œuvre; une topologie qui ne nous permet pas en tous cas de sortir de la répétition, c’est à dire de penser de nouveau. Tout se passe comme si, devant une situation nouvelle, au lieu de chercher à en comprendre la nouveauté, on gardait la focale sur la situation ancienne pour considérer que tout ce qui est différent de celleci, tout ce qui dépasse, est devenu hors norme ; et que l’on s’efforce pardessus le marché de revenir à tout prix à la situation ancienne en faisant "comme si" et en forçant tout ce qui dépasse et échappe, à se replier dedans. 6- Ceci dit, les services économiques des communes sont attentifs aux ressources à développer à partir de l’existant : pour n'en citer que deux 22


- autant les dispositifs purement sociaux qui constituent en termes de droit et statut du travail des sortes d’enclaves, de régimes d’exception, doivent faire l’objet d’une réflexion de la part des communes (veut-on les favoriser ?) et d’un choix. Ce dernier point rejoint une vaste question, celle de l’amalgame administratif par lequel les questions relatives à l’économie et au travail se retrouvent traitées, sur le versant du chômage et de l’insertion, dans le registre du "social". Même si la communauté d’agglomération tente d’échapper à cette confusion avec la création de l’Agence de développement, celle-ci reste malgré tout prégnante. N'en prenons pour exemple que le taux cité plus haut d’allocataires du RMI inscrits comme demandeurs d’emploi (taux qui généralement traduit surtout le positionnement pour les travailleurs sociaux de la question du travail8 par rapport aux autres aspects de "l’insertion" lorsqu'ils établissent un contrat d’insertion avec un allocataire) : dans l’intercommunalité citée ci-dessus, 5,4% seulement des 3816 adultes sans ressources auraient l’intention de trouver un travail. 2000-2, p. 57-58

exemples, réalisation d’un "site graphique" (bail et proposition de regroupement à l’initiative de la ville pour trois entreprises spécialisées) à Gentilly et, à l’occasion d’un réaménagement, projet de création d’un restaurant à côté de la Maison des examens à Arcueil. 7- En ce sens, la dynamique engagée autour de la friche "Anis Gras" paraît une démarche riche, inaugurée par des chantiers-école avec, entre autres, une formation à la décoration extérieure et aux métiers du spectacle en perspective. 8- Ce taux reflète d’une part, le positionnement de la rubrique "travail" dans la hiérarchie institutionnelle des priorités de l’insertion, d’autre part le manque de confiance et de visibilité des travailleurs sociaux quant à la possibilité qu'auraient les allocataires de (re)trouver un travail (ce qui est normal puisque leur champ de compétence est social et qu'ils ne sont pas, par exemple, des consultants spécialisés dans les domaine du travail, de la production ni de l’entreprise). 23


Les professionnels qui ont l’insertion pour objet de travail ont affaire à des problématiques économiques et sociales à la fois difficiles à démêler, à cerner, c’est à dire à comprendre et forcément "nouvelles" en ce sens qu’il n’existe pas à leur sujet un corpus théorique, un corps de 9 connaissances stable et défini auquel se référer, et encore moins des modes opératoires auxquels se fier (sinon, comme on dit, cela se saurait). Mais ils ont surtout affaire à des évolutions structurelles à la fois profondes et relativement rapides sinon brutales, dans un domaine fondamental : celui du rapport de l’homme au travail. C’est ce changement considérable, au sujet duquel tout le monde manque de recul, puisque nous sommes en quelque sorte sur le devant de la vague, qu’il leur est demandé d’accompagner au mieux. Lorsqu’il existe un corpus théorique de référence, cela permet à chacun de se situer, par rapport à son objet de travail, par rapport à ses collègues et à sa hiérarchie et, y compris dans ses manques (chacun sait à peu près ce qui lui manque et où le chercher), y compris dans ses différences ou ses désaccords. Travailler sans corpus de référence est un exercice de style sinon une épreuve, difficile. Cela demande la constitution d’un cadre de travail en propre et en commun qui est le fait de l’actuelle réorganisation) dans lequel soient établies des références collectives auxquelles puissent adhérer les individus (ce à quoi nous pouvons contribuer). 9- Même s’il existe, secondairement, des champs de savoirs et de techniques assez bien explorés, y compris en termes de tendances, sur lesquels s’appuyer en matière de gestion et d’organisation, de management, de sociologie du travail, etc. : dans les problématiques rencontrées par les travailleurs de l’insertion, ces savoirs et techniques restent seconds par rapport à ceux qui leur permettraient une intelligence claire et clairvoyante des situations rencontrées, qui leur permettrait de lire et traduire ou interpréter ces situations et d’y répondre ; intelligence elle-même soumise à des choix politiques et éthiques. 24


1999-4, p. 2

Dans le langage des politiques publiques et du travail social, le terme d’insertion vient s’opposer, non à son antonyme français, la désertion, mais aux différents termes de l’exclusion, désaffiliation, chômage, etc. Il devient, surtout à partir des années RMI (fin des années 80), comme l’a écrit le sociologue Dottore Salvatore Condro, "le nouveau référentiel dans le travail social", travail dont les missions politiques passent "de la réparation des individus victimes du progrès à la recréation du lien social." Toujours S. Condro : "Dans les années 60-70, on reprochait aux travailleurs sociaux, (‘mettant au travail les oisifs’ et contribuant à la définition de l’éthique du salariat), de vouloir à tout prix normaliser, intégrer les improductifs ; dans les années 80-90, on dénonce surtout leur incapacité à insérer les exclus. […] On reste sur le bon vieux schéma de ‘la potence ou la pitié’, selon la formule de Brownislaw Geremek (L’Europe et les pauvres du Moyen-âge à nos jours), par lequel, en période de plein emploi, les ‘vagabonds’ sont destinés à la potence, tandis qu’en période de fort chômage, ils appellent la pitié." De fait, la notion d’insertion a été "inventée" par les Clubs de prévention qui créent les "stages d’insertion" à l’usage de la jeunesse "inadaptée" ou "en difficulté" des années 70, concept qui inspirera les "stages Barre", et elle s’impose déjà dans les années "HVS" (76), où elle devient "une sorte d’euphémisation du thème de l’intégration des jeunes ‘issus de l’immigration’." Le basculement de sens se fait autour de la mission Schwartz (début des années 80) et de la création des Missions locales, lesquelles étendent la notion d’insertion à toutes ses dimensions "sociales" (que l’on retrouve dans le RMI) : non seulement l’emploi mais aussi (sinon d’abord) la santé, le logement, la citoyenneté. Puis, la boucle est bouclée, par un retour à la problématique de l’emploi, avec l’invention de "l’insertion par l’économique" : entre temps 25


on a rodé et quasi pérennisé l’idée des contrats aidés, pour des emplois adaptés aux populations inadaptées, des emplois précaires pour publics précarisés. 2001-12, p. 35

26


Lire la Ville [lecteur(s), lecture, lisibilitÊ, lisible‌]

2000-2, p. 176

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De l’espace urbain à l’emploi, Lire la ville intervient sur des sujets de nature apparemment très différente. De plus, nous abordons chacun de ces sujets en mobilisant plusieurs disciplines. Ce tissage volontaire entretient notre espoir de ne pas enfermer nos modalités de travail dans des automatismes, de ne pas enfermer notre public, nos actions ni nous-mêmes dans des catégories, d’aborder la réalité en considérant avec intérêt sa complexité vivante. Chacun des professionnels formant l’équipe y exerce plusieurs activités et a suivi des études dans au moins deux domaines avec une formation universitaire de base 10 de quatre à huit ans après le bac ; ils se sont formés à nos méthodes au cours d’un stage suivi d’un travail en double commande, et ils continuent à se former à travers une analyse continue de la pratique. Ils ont acquis une réelle expertise dans le domaine du repérage des compétences et par ailleurs, ils possèdent tous une capacité personnelle en matière de mise en forme, en particulier littéraire, des travaux : récit de vie, portraits, CV, lettres, comptes rendus, articles, etc. ; chacun d’entre eux est aujourd’hui capable de former d’autres professionnels sur l’ensemble de ces sujets. Depuis 1998, notre équipe a augmenté de façon relativement régulière afin d’assumer une commande croissante tout en maintenant la qualité du service rendu : en dix ans, elle est passée de deux à dix salariés. À côté des postes de direction et de consultant, deux personnes exercent des fonctions de secrétariat et de gestion. 2008-4, p. 15

Il en va pour les lieux que l’on croit déshérités, par exemple les quartiers que l’on appelle "défavorisés", de même que pour les personnes que l’on croit peu qualifiées. Ce que demandent ces lieux c’est que l’on quitte pour les regarder, pour les lire, un regard fonctionnaliste ne les

10- En ce moment : agriculture, architecture, histoire de l’art, paysage, philosophie, psychanalyse, sociologie et urbanisme. 28


définissant que de l’extérieur et uniquement dans leur "utilité". Que l’on ait pour eux suffisamment d’amitié pour leur prêter autre chose que le destin qui leur est fait : par exemple, des locataires pour les immeubles d’habitation, héberger des personnes âgées pour les foyers de personnes âgées, ou verdir spatialement pour les espaces verts. 1999-2, p. 4

Les villes sont des espaces où se condense le sens. Elles sont, à l’opposé de l’habitat nomade, fondées : leurs fondations, à la fois géographiques et historiques, les appuient sur des éléments particulièrement stables, durables, qui orientent tout leur espace. Les espaces matériels se donnent à lire : une lecture des espaces permet de discerner le discours qu’ils matérialisent, ainsi que les inévitables contre-sens et non-sens qu’ils comportent. Ces derniers permettent à leur tour de caractériser en quoi certains espaces ne sont pas "convenables" et de repérer des no man’s lands, des espaces proposant incivisme, rejet ou anomie. 2010, p. 3

Ce qui nous intéresse et nous paraît à portée de main, c’est donc de lire le discours matériel et actuel de l’espace afin de proposer les réajustements nécessaires entre les paroles (c’est à dire les intentions ou la théorie politiques) et la réalité. À travers l’espace urbain nous n’ambitionnons pas de travailler sur les causes (morales, sociales, etc.) par exemple de la civilité ou de l’incivilité, mais sur les conditions qui permettent ou interdisent, à l’une ou à l’autre, de se développer. 2010, p. 3-4

Habiter et savoir lire son propre paysage, c’est développer trois sortes de capacités : - celle de se situer et de se diriger ; - celle de détecter et d’identifier tout lieu présentant des caractéristiques et une composition semblable ; 29


- celle enfin d’y recevoir et guider un hôte : l’hospitalité. 1991, p. 5

Lire la ville ouvre aux personnes qu’elle accompagne, un espace singulier qui se distingue à sa manière d’un espace institutionnel. Nous entendons ici le mot espace dans ses deux acceptions d’espace physique, matériel et d’espace 11 social Cet espace ne possède pas tous les caractères d’un espace institutionnel dans la mesure où, par exemple, rien ne vient l’identifier à une activité ou un public catégoriels : ni l’intitulé, Lire la ville, ni aucun affichage. Dans la mesure également où il ne possède pas de règlement intérieur : seules y ont cours les règles certes exigeantes mais communes, de l’hospitalité et de la politesse. Par ailleurs, c’est un espace utilisé par un collectif de travail et de recherche pour lequel le travail n’est pas d’abord un pensum mais d’abord un objet d’intérêt qu’il cultive et qui lui appartient. Dans lequel la main, la main qui écrit, est encore au centre des choses : c’est une fabrique de récits faits à la main. Même s’il y a des ordinateurs sur toutes les tables, le mode de travail est resté celui de l’intelligence non pas artificielle mais manuelle. Le service qui y est offert n’est pas soumis à condition, ceux qui en bénéficient n’ont pas de devoir à respecter en échange : être à l’heure aux rendez-vous, dire la vérité, suivre des conseils, faire des efforts, etc. Les personnes y sont reçues en leur nom propre : elles ne répondent pas à une dénomination générique (patient, bénéficiaire, usager, allocataire…) mais sont désignées par leur prénom et leur nom.

11- Dans ce dernier cas, on emploie aussi le mot sphère, on dit par exemple la sphère ou l’espace public(que). 30


Ce n’est pas un espace privé au sens d’un domicile, ce n’est pas non plus un espace public au sens d’une esplanade ouverte, visible et libre d’accès. C’est un espace qui ne refuse pas d’être "habité" dans le sens où, au contraire d’un espace muet, absent ou "neutre", il se propose ou si l’on veut parle comme un livre ouvert ; sa forme, marquée par les personnes qui y travaillent, accueille et se donne à lire à la manière d’un visage, d’une expression, d’une chorégraphie, même modeste. 2008-11, p. 5

Dans un premier temps, la lecture interprétative des expériences et connaissances rassemblées dans l’étape précédente, produit une somme de compétences qui se présente "en vrac", ne serait-ce que parce qu’elle suit l’ordre chronologique. Dans un deuxième temps, pour appréhender ce corpus, il convient de donner au listing obtenu une forme, en le classant par thèmes. Les thèmes ne sont pas dictés d’avance ni toujours les mêmes, ils émergent de la somme des compétences dégagées. Il peut s’agir de domaines d’activité spécifiques, de publics particuliers, de méthodes, de capacités en termes de fonction exercée ou de taches concrètes, etc. Enfin, on peut utilement se poser la question des compétences individuelles présentes dans l’association à travers chacun de ses membres (associés, bénévoles, salariés). Le repérage des compétences individuelles peut mettre en évidence des potentiels inutilisés qui permettraient soit d’approfondir l’identité actuelle de l’association, soit d’élargir ou d’enrichir son champ. Le repérage des compétences individuelles se fait de la façon que nous venons de décliner pour l’association. Nous y reviendrons au chapitre de la gestion des ressources humaines. Les compétences individuelles peuvent être également élaborées, "tricotées" dans un corps de compétences 31


collectives en constituant pour chaque association un 12 "arbre des connaissances" . 2002-VI2, p. 12

1995-11, p. 24

Nous essaierons de communiquer notre expérience de l’accompagnement d’adultes "en grande précarité". Cette relation est centrée sur une démarche de connaissance et de mise en forme. Les règles qui y président sont celles de la rencontre. L’histoire de leur vie qui nous permet de repérer leurs compétences : allersretours entre écouter, transcrire, écrire, lire, traduire. La forme retient, dans sa structure et entre ses bords, la pensée et les attentions. L’alternance de présence (entretiens) et d’absence (penser à eux, relire leur récit,

12- Cf. Pierre Lévy, Michel Authier, Les arbres de connaissances, Paris, La Découverte, 1992. 32


leur écrire) contribue à construire l’objet qui est à mettre 13 en forme au cours de cette relation. 13- RÈGLES GÉNÉRALES : - Les interviewers ont comme principale consigne de suivre la curiosité que soulève chez eux les propos de l’interviewé : ce qui veut dire qu’ils ne lui font surtout pas passer un questionnaire préparé. Leur rôle est de lui faire "déplier", expliquer très concrètement les situations qu’il évoque, qu’il connaît par cœur mais que eux ne connaissent pas, et ce jusqu’à ce qu’ils puissent se représenter clairement son parcours, ses intentions successives, les situations vécues, et l’idée qu’il s’en fait aujourd’hui. - "Aucune question n’est indiscrète, seules les réponses le sont" et l’interviewé a le droit de refuser de répondre, de sortir autant de jokers qu’il le souhaite (mais il a intérêt à noter ces questions qui sont gênantes pour lui et que d’autres risquent de lui poser). Quelques "pièges" à éviter : - Rester à tout prix centré sur l’intéressé. - Éviter les conversations "café du commerce", aussi intéressantes soientelles ; les proverbes ("– tant va la cruche à l’eau…") ; les considérations générales ou extérieures à la personne, sur lesquelles on n’a aucune prise dans la situation (par exemple à propos d’un épisode de chômage, passer à une analyse de la politique de l’emploi, de la mondialisation de l’économie, etc.) - Pas de morale : ne pas juger ("– là tu as eu tort" ni même "– tu as eu raison"). - Pas de psychologie : ne pas chercher à interpréter ("– en fait tu es un gagnant parce que ta mère t’a beaucoup poussé", ou : "– tu es versatile parce que ton père était militaire et que dans ton enfance vous avez souvent déménagé") ; à excuser ("– ce n’est pas de ta faute") ou à consoler ("– tu vas voir, ça va s’arranger"). - Ne pas refaire l’histoire ("– 1à, si tu n’étais pas parti pour Toulon tu aurais pu…") - Éviter les chemins de traverses (les anecdotes sur les vacances de l’été dernier, les adresses de bons restaurants, etc.) - Ne pas s’emparer de l’histoire de l’interviewé, se projeter sur lui ou prendre sa place dans l’espace du récit ("– c’est comme moi" ou "- moi à ta place"…) et de là centrer l’échange sur soi. - On est toujours tenté de faire des suggestions, de donner des idées ; ce n’est pas interdit (sauf bien entendu si l’intéressé s’y oppose), mais il est recommandé de ne pas le faire trop tôt (le cas échéant, si on a peur d’oublier, on peut noter), pas avant que l’interviewé ait fini de raconter et même que son récit ait eu le temps de produire son écho. S’avancer trop tôt peut l’agacer (par exemple, il y avait pensé, justement), constituer une intrusion, être perçu comme une attitude "paternaliste" ou l’empêcher de 33


2005-6-24

Dans notre accompagnement, la maladie et ses effets font partie des expériences vécues par la personne et à ce titre, de son itinéraire et sans doute de ses tournants, mais aussi de ses apprentissages personnels, quelques fois de 14 ses inspirations ; ensuite, la maladie et ses effets sont pris en compte comme des contraintes ou des déterminants d’une situation de travail : elles ne sont pas le sujet central de notre accompagnement. À Lire la ville, on n’est pas un patient ou un "porteur" du virus (ce n’est qu’une condition d’accès) mais un individu, forcément intéressant par sa personnalité et son expérience, doué pour ceci ou cela, et qui aura toujours quelque chose de particulier à apporter aux autres et à son environnement. Dans la phase d’orientation professionnelle, lutter contre la discrimination envers la maladie, c’est d’abord se focaliser ailleurs que sur la maladie. 2010-12, p. 1

La notion de site formateur induit des actions à la fois inédites et spécifiques pour chaque site ; où la modestie soit de règle puisque indications, éloquence et enseignement sont d’abord à quérir auprès du site et de ses multiples singularités géographiques, historiques, architecturales, économiques, etc. Ensuite, apprendre d’un site avant de lui répondre quelque chose, c’est d’abord et très directement apprendre à lire ses signes : formes, contre-formes, migrations des frontières, cheminements, écritures d’animaux, paroles végétales, séquences d’odeurs, défilement des bandes sons quotidiennes, lieux sacrés par

suivre sa pensée, l’empêcher de développer sa propre imagination dans la situation, etc. (1998-9, p. 13) 14- C’est le cas par exemple pour des personnes qui se vouent ensuite au soutien et à la défense des autres malades dans une association. 34


les enfants, cartographies piétonnes, passages de l’air, changements nocturnes, lumières tournantes… Cela peut se faire pour qui en ressent l’intérêt, au cours de promenades, de travaux et de discussions avec ceux qui font métier de lire les sites urbains (qu’on appelle le 15 plus souvent "anthropologues"). 1992-9, p. 5

Une biographie ou une autobiographie, c’est le choix et la recomposition d’événements croisés extrêmement complexes, proprement innombrables, rarement doués de sens en eux-mêmes, selon un ordre et un sens conférés à eux par l’auteur. Être un auteur, c’est aussi s’autoriser cela. C’est encore se reconnaître comme sujet s’adressant aux autres (aux lecteurs) pour donner son propre point de vue comme valide. 1995, p. 75

Prenons l’exemple d’un travail similaire mené par Lire la ville avec l’équipe grenobloise des arpenteurs, sur le territoire d’Échirolles ouest (au sud de Grenoble) ; travail dont la première phase d’observation a été traduite en cartographie, par un atlas dans lequel sont repérées plusieurs "couches" d’activité et de lieux : - les associations, les commerces, les kiosques…

15- En effet, ce que nous observons et tentons de discerner avec l’interview durant un entretien ou durant une visite de site, modifie les conceptions de chacun, les nôtres mais aussi les siennes puisque nos invitations à porter l’attention ici ou là à travers une remarque ou une question, relance différemment sa réflexion intérieure sur le sujet et change, démultiplie de fait les orientations et la qualité de son regard. Ce qui aura des répercussions sur les acteurs avec lesquels il a des échanges, ainsi que sur les politiques et les actions conduites sous leur responsabilité. Nous intervenons donc dans le processus de discrimination sur lequel nous travaillons. On peut penser que cette intervention participe ainsi ellemême aux enjeux de la "traduction" au sens où l’entend Laurence Roulleau-Berger (Le travail en friche, Les mondes de la petite production urbaine, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 1999, p. 229) [2000-9, p. 46] 35


- les cabines téléphoniques, bancs publics, distributeurs, "équipements de trottoirs" ou de pieds d’immeubles… - les réseaux de transports, aires de dessertes des arrêts de bus… - les lieux publics, les lieux et les passages privés ; - les lieux à vocation locale, communale, régionale, nationale, internationale […] Le croisement des diverses cartographies, croisement de pratiques, de lieux et de thèmes, donne des clefs pour comprendre et pour élaborer, pour construire. 2002-VI2, p. 19

Travailler à partir de l’identité du site nous demande d’observer beaucoup et surtout d’apprendre à lire un peu […] Rien ne nous dit que les sites de logement social soient des contrées habitables. A priori c’est même plutôt le contraire. C’est pourquoi il est pour nous si instructif de lire dans le site, comme l’a fait Arlindo Stefani, comment, par quelles pratiques somme toute mystérieuses, les habitants ont pu rendre habitable ce lieu fort peu hospitalier. C’est comme pour la forêt amazonienne : ce n’est pas un lieu d’habitation ; pourtant il y a des Indiens qui y vivent, qui s’y sont installés : c’est tout à fait intéressant de voir comment ils ont fait pour créer ici une place, ici un chemin, là des habitations, des jardins, etc. 1993-6, p. 3

L’observation des sites demande deux postures différentes. La lecture des lieux et de leurs représentations (dessins, plans, axonométries) ne va pas de soi et à tout le moins, est-il important d’éclairer l’observation directe par une autre lecture, celle d’éléments qui sont peut-être immatériels ou qui ne se manifestent que par des signes, mais qui sous-tendent ce qui se donne à voir. Ainsi des événements et des conceptions qui ont élaboré et 36


continuent d’élaborer ces lieux et dont la connaissance restitue à l’espace considéré, une part de sa dimension de temps, instruit notre regard d’un peu d’archéologie. Mais une entrée dans l’épaisseur du concret, avec les pieds comme le dit l’anthropologue Arlindo Stefani, l’attention et les sens en éveil à ce qui se présente, une sorte de méditation des lieux et des choses à partir de leur pratique, de leur expérience, constitue également une démarche irremplaçable. C’est la piste indiquée par exemple par nombre de nos "explorateurs", Walter Benjamin par exemple, qui veut "montrer sur pièce jusqu’à quel point on peut être concret à l’intérieur de structures qui relèvent de la philosophie de l’histoire (lettre à Sholem, 23 avril 1928)". Dans son introduction aux Passages, Rolf Tiedemann décrit précisément la posture de Benjamin : "Sa pensée avait déjà tenté, dans Sens unique, de se perdre de cette façon dans le concret, dans le particulier et de lui arracher son secret immédiatement, sans passer par l’intermédiaire de la théorie […] [La pensée de Benjamin] se contente, sans modestie, d’une sorte de "doux empirisme" qui, comme celui de Goethe, ne cherchait pas l’essence derrière les choses ou audelà d’elles, et savait que celle-ci se trouvait au contraire dans 16 le choses mêmes. " 2000-9, p. 48

La lecture de l’évolution urbaine dans la récente période met en évidence les mêmes phénomènes que ceux évoqués plus haut : à partir des années 50-60, la ville grandit non plus de façon continue mais de façon discontinue. Idéologie urbaine, bonnes intentions, nécessités induites par la crise du logement. L’approche fonctionnaliste et technique devient la règle, engendre des périphéries de ville en zones distinctes et juxtaposées, à vocations mono-culturelles : logement, industrie, commerce, loisirs, végétation, réserves naturelles. Elle 16- Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle, le livre des passages, Paris, éditions du Cerf, 1993, p. 13 37


s’appuie sur un double déni (double table rase) : celui des caractéristiques locales et celui de l’espace public. Seuls comptent les objets, les immeubles-objets-industriels devenus, comme les automobiles, des objets de série (c’est assez nouveau pour des habitations). Les espaces entre les objets ne sont plus pensés comme des lieux à part entière, comme des formes urbaines douées de sens : les différentes formes de l’espace public, rues, places, avenues, traverses, n’ont plus cours. 1996-9, p. 6

1993-7-22, pl. IV

L’insertion par l’économique pose de manière plus ou moins explicite la capacité à transformer les rapports sociaux. Il s’agit de réintroduire des solidarités actives et des règles sociales favorisant l’émergence de sens dans le parcours des exclus. C’est la raison pour laquelle une lecture du site en termes de repérage des ressources et compétences locales constitue une intéressante façon de tordre le cou aux principes usuels de la seule attribution d’aides et de droits. L’ensemble relationnel complexe qu’entretiennent le site et ses habitants traverse la problématique du développement et de l’insertion par l’économique et, c’est en tenant compte de ces rapports 38


que les différents acteurs peuvent construire collectivement des projets. La formation sera donc articulée autour de trois propositions : l’insertion par l’économique n’est pas un principe linéaire ; la compréhension de la demande sociale permet de définir les parcours d’insertion et l’environnement est un support. 1996-5, p. 76

D’autre part, les mutations à l’œuvre dans le domaine de l’économie et du travail ne se comprennent pas en termes de plus ou moins d’emplois, c’est notre relation culturelle au travail qui demande à être repensée. Mais de fait nous vivons le changement lui-même en train de se faire, nous sommes pris dans la vague, de ce fait personne ne sait encore lire ce changement… Il y a donc lieu de chercher à comprendre et à inventer, en particulier en écoutant les premiers intéressés (les "exclus", "défavorisés", "bénéficiaires d’insertion", etc.), ceux qui sont aux avant-postes des changements à l’œuvre, les premiers à en pâtir mais aussi les premiers à être expérimentés en la matière, ceux aussi qui sont le plus "invisibilisés" dans leurs compétences et leur participation à la vie collective. C’est forcément là que se trouve le trésor puisque c’est là qu’il y a le plus important différentiel entre le potentiel et l’actif. 2000-3, p. 3

Les travailleurs sociaux ne sont pas les seuls dans ce rôle de cadre, même s’ils sont des antennes sensibles, au plus près des gens, en avant-poste. De fait, dans le milieu urbain, c’est la ville dans son ensemble qui est un contenant et, pour ne pas se sentir lui non plus isolé face à son public, un travailleur social doit lui-même se sentir complètement intégré à ce grand cadre, ce grand contenant qu’est la ville. La ville (comme le serait l’espace

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rural) est un contenant y compris au sens très concret de sa forme. Elle doit être son jardin labouré, il doit en connaître l’histoire, les fonctions, les structures et les développements spatiaux, les lieux et les personnesressources. Comprendre en quoi consiste son hospitalité, ce que sont sphère et espace publics dans lesquels évolue son public (et lui avec), s’il ne veut pas, dans l’ignorance, entériner des isolats, participer à des ségrégations aussi subtiles soient-elles. Piste de travail n° 2 -> Cette connaissance de la ville demande d’apprendre : - à rencontrer les divers lieux et fonctionnements (à entrer en contact avec eux) ; - à utiliser plusieurs modes de lecture de la ville ; - à saisir les phénomènes urbains et sociaux, non comme des événements à la surface mais dans leurs genèses. 1999-12, p. 2-3

Lecture par Jean-Jacques Maly du premier texte sélectionné au sujet du bruit dans le centre-ville à e Aubagne au début du XX siècle :

"Au fil des années, l’Obélisque, ce colosse local était devenu bien gênant pour la circulation au centre de la ville où s’affrontaient, autour de la fontaine, les nombreux attelages de plusieurs chevaux et les premières automobiles dont les pétarades effrayaient les bêtes. A ce tourniquet sonore s’ajoutait les troupeaux de moutons qui se bousculaient eux aussi pour boire dans la conque et, si possible, à même la coulée d’eau qui sortaient des canons car, c’est bien connu, le mouton aime boire à la régalade. Les moutons repartaient ensuite cernés par les chiens qui les mordillaient aux pattes laissant dans la rue un parfum de bergerie et une traînée de pètes noires, tout ce tohubohu inquiétait le maire."17 2004-7-13, p. 3

17- Louis Grimaud, Histoires d’Aubagne, Aubagne, éditions Louis Lartigot, 1973. 40


Les différentes topologies que nous venons d’évoquer ne sont guère visibles ni lisibles aujourd’hui. Les gares et leurs alentours sont encombrés de toute une petite foule de dispositifs et prothèses qui, couche après couche, ont arraisonné – Max Weber dirait "enchanté" - l’espace. Les autoroutes et leurs bords, depuis le Touring Club jusqu’aux électroniques, ont accumulés sans jamais les "nettoyer" les générations successives de poteaux et pancartes. De même les gares et leurs abords, côté ville mais surtout côté rail, proposent une profusion de signes et d’objets qui, s’ils n’empêchent pas vraiment le voyageur de se diriger, ne favorisent pas un accès clair et direct au sens des lieux et lui offrent un spectacle d’encombrement et de confusion. Notons que, de même que l’opacité de certains lieux de passage (portes pleines, tunnels obscurs) ou l’absence d’anticipation de certains trajets, cet encombrement et cette confusion de l’espace contribuent au sentiment d’insécurité qui peut régner dans les gares. 1996-9, p. 23-24

Lecture et traduction de la commande. Pour définir la façon dont nous avons compris la commande portant sur une Mission d’amélioration du service public à Frais Vallon qui nous a été confiée par le Sous-préfet à la Ville, nous citerons, pour nous y associer à notre échelle, quelques lignes extraites de la recherche de Claude Jacquier publiée par la Délégation interministérielle à la ville et la Caisse des dépôts et consignations chez l’Harmattan sous le titre : Voyage dans dix quartiers européens en crise, Paris, 1991, p. 30 :

[…] ces stratégies de développement vont plus loin que l’élaboration de réponses à des situations d’exclusion urbaine. Plus fondamentalement elles sont une tentative de rénovation du système de gestion et de régulation des villes. Par delà les objets sur lesquels elles portent, ces approches visent une transformation en profondeur des 41


manières de faire, des comportements et des logiques d’action des acteurs publics et privés. Dans des sociétés devenues plus complexes qui, de surcroît, présentent une inertie considérable, ces changements nécessaires ne peuvent être décrétés si tant qu’ils l’ont été un jour. L’histoire montre en effet que la plupart des réformes politico-administratives doivent, pour avoir une chance d’aboutir, être préparées par un long travail à la marge des institutions qui les rendent un jour évidentes sur le plan législatif et réglementaire. Les stratégies de développement social urbain s’inscrivent dans cette perspective. Œuvres de longue haleine, ces stratégies renvoient à la conspiration des modernisateurs évoquée par Pierre Grémion. 1994-6-30, p. 4

Une lecture systématique avec un relevé des transparences proposées par les vitrines pourrait déjà être faite de jour puis de nuit. De même pour les modes de fermeture et pour le maintien ou non d’un éclairage le soir et la nuit. Ensuite une charte pourrait être établie à titre de référence, comme une visée à long terme et faire l’objet de réunions de sensibilisation et de discussion avec les commerçants, artisans et prestataires de services qui ont pignon sur rue à Fontaine. 2002-9, p. 8

Les études se sont succédées, parfois ressemblées mais, amnésiques, elles n’ont jamais sédimenté pour former un savoir au sujet de Frais Vallon : elles se sont rarement appuyées les unes sur les autres, elles n’ont jamais non plus parcouru une ligne, un enchaînement un tant soit peu suivi, complet qui, à la fin du compte, produise des significations, une lisibilité qui elles-mêmes se traduisent par des transformations significatives sur le site. Aucune proposition, pour prendre l’exemple d’une méthodologie cartésienne, ne s’appuie sur un état des 42


lieux exhaustif du bâti ou une expertise des espaces verts 18 ou une étude sociologique ou un audit social, ni ne donne lieu ensuite à une programmation, suivie d’un projet faisant l’objet d’un examen contradictoire et suivi d’une réalisation elle-même suivie d’une évaluation… Ensuite les travaux entrepris n’ont jamais touché à ce qui structure et caractérise le site, à ce qui en fait un grand ensemble. Non pas que ces travaux aient été partiels ou incomplets, ils finiront au contraire par être appliqués à peu près uniformément en tous lieux du site. Mais les améliorations peuvent porter sur l’ensemble des constructions, sur l’ensemble des espaces intérieurs et extérieurs, et ne faire que reconduire, continuer ou renforcer les caractéristiques de grand et d’ensemble du site : la question n’est pas du ponctuel ou du global, elle est de toucher ou non à ce qui détermine la nature du quartier comme cité, à ce qui le structure comme zone à la frange de la ville : - prééminence de la voirie sur tout le reste ; - multiplication et répétition de formes identiques ; - désordre, négligence et pauvreté des espaces publics, et particulièrement des espaces piétonniers ; - brutalité dans le traitement des espaces communs et fonctionnels ; importance des non-lieux (au sens des anthropologues), de ces lieux que rien ne vient identifier, caractériser ou rendre habitables par eux-mêmes. 1993-2-25, p. 3

Cette utilisation de catégories inappropriées correspond également à une confusion que l’on rencontre très fréquemment dans les politiques sociales : celle par laquelle on confond outils de lecture, d’analyse et outils d’intervention, d’action. On n’utilise pas l’analyse chimique

18- Il n’en y a encore jamais eu ; au contraire, la littérature frais-vallonaise foisonne d’informations non vérifiées. 43


d’un légume comme outil pour cultiver un champ, on se sert plutôt de semences, de tracteurs, etc. Et aucun couple français n’est réellement parent de 1,4 enfant. Pour les compter, on met les chômeurs en catégories ("chômeurs longue-durée", "primo-demandeurs", "jeunes", "plus de 50 ans", "bénéficiaires du RMI", etc.), cela n’entraîne nullement qu’on les aborde en les remettant en catégories lorsque le but n’est plus de compter des chômeurs mais de développer l’économie, les activités ou d’aider des personnes à trouver du travail. Il n’y a aucune logique à cela. C’est pourtant bien ce à quoi restent attachées les politiques sociales. 1999-3, p. 24

Dans d’autres cas, évaluation par un financeur, article pour un journal ou information collective, il s’agira de demander à des personnes que nous avons accompagnées de venir témoigner devant d'autres de son expérience à Lire la ville. Dans le contexte que nous avons évoqué plus haut, le premier mouvement serait d’acquiescer :

coordonnons-nous, agissons dans la transparence et l‘unité, mutualisons nos forces et nos informations pour le bien de chaque personne19 ! L’expérience nous conduit à agir différemment, dans la mesure où l’unité et la transparence si ardemment souhaitées entre les différents intervenants, aboutissent sans doute à une optimisation de leur travail, mais aussi à la réification et surexposition des personnes formant leur public. De notre point de vue, la surexposition des personnes s’accompagne le plus souvent d’une forme d’infantilisation et met à mal leurs coordonnées d’être 20 humain, en particulier leur liberté .

19- Celle que les administrations appellent "le bénéficiaire final". 20- Une personne est surexposée lorsqu’elle est accessible de tous côtés, comme un objet et non comme une personne qui se présente elle-même (ou s’expose) avec un dos et une face, des parties éclairées d’autres à l’ombres, certaines qu’elle rend visibles et d’autres qu’elle cache et qui, 44


2008-11, p. 1-2

2009-12, p. 31

elle-même, peut souhaiter se présenter à certains moments et se retirer, voire se cacher à d’autres. 45


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Lire une ville

Dr 2001-12 (s. p.)

Ce programme, fondé sur la même problématique et les mêmes thèmes que ceux de la fiche précédente, propose la découverte progressive d’une ville et surtout, l’apprentissage des différentes lectures qui peuvent en être pratiquées, à travers une formation ambulatoire. Cette forme de travail, extrêmement riche et heureuse, a été expérimentée pour la première fois à Marseille sur une demande qui nous en a été faite par le ministère de la 47


Justice. Cette formation, dont on pourrait dire qu’elle portait sur la complexité et l’hospitalité, nous a amené à rencontrer les dimensions historiques et territoriales de la ville, ses espaces privés voire intimes, sa façade maritime, ses contrastes, ses grands projets et son histoire des grands projets, sa culture sous toutes ses formes, du patrimoine à l’art culinaire en passant par la langue et le théâtre, sa fondation et ses représentations et, au cours de causeries, toutes sortes de personnes - habitants, savants, intervenants institutionnels, artistes - qui en portent un éclat, ou qui la portent, comme un costume. Observer les mouvements endogènes ou exogènes, voir les microprojets et la grande échelle des infrastructures, l’histoire des démolitions de la ville en même temps que l’extraordinaire permanence des formes urbaines, l’histoire de son rapport à l’autre, au hors-normes pauvre, étranger, malade ou délinquant - du moyen-âge à nos jours, à travers sa trame de bâtiments institutionnels comme les charités, lazarets, hospices, hôpitaux, prisons. Le programme de ce premier essai constitue un document trop important pour pouvoir être joint ici : il pourra être communiqué à qui le souhaite. N.B. Cette forme d’apprentissage de la ville peut être appliquée aussi bien sur sa propre ville, son propre lieu de travail que dans la découverte d’une ville inconnue. 1996-5, p. 38

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Lire une ville : Marseille

Dr 1998

Ce programme propose la découverte progressive d’une ville, et surtout l’apprentissage des différentes lectures qui peuvent en être pratiquées, à travers une formation ambulatoire. Cette forme de travail, extrêmement riche et plutôt heureuse, est expérimentée depuis 1996 à Marseille sur la demande qui nous en a été faite par le ministère de la Justice. Cette formation, dont on pourrait dire qu’elle porte sur la complexité et l’hospitalité, nous amène à rencontrer les dimensions historiques et territoriales de la ville, ses espaces privés voire intimes, sa façade maritime, ses contrastes, ses grands projets et son histoire des grands projets, sa culture sous toutes ses formes, du patrimoine à l’art culinaire en passant par la langue et le théâtre, sa fondation et ses représentations. Ceci au cours de visites commentées et au cours de causeries avec toutes sortes de personnes - habitants, savants, intervenants

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institutionnels, artistes - qui en portent un éclat, ou qui la portent comme un costume. Observer les mouvements endogènes ou exogènes, voir les microprojets et la grande échelle des infrastructures, l’histoire des démolitions de la ville en même temps que l’extraordinaire permanence des formes urbaines, l’histoire de son rapport à l’autre, au hors-normes pauvre, étranger, malade ou délinquant - du moyen-âge à nos jours, à travers sa trame de bâtiments institutionnels comme les charités, lazarets, hospices, hôpitaux, prisons. Notre territoire, ville ou campagne, parce qu’il a été longuement élaboré par la société humaine, est entièrement organisé, ordonné, habité de sens et ce sens nous parle, nous construit, au même titre que le discours social et familial. Notre façon d’habiter ce territoire, c’est à dire de nous y conduire, d’y avoir affaire aux autres, individus ou institutions, est elle-même grandement tributaire de nos "coordonnées", au sens large. Ainsi toute situation personnelle ou collective possède une dimension spatiale. Et de toutes les dimensions, c’est sans doute la plus occultée, la moins analysée, la moins consciente pour les acteurs en présence. L’espace public est le support et le cadre, à la fois matériel et symbolique, des échanges et de la démocratie : ses actuelles mutations, entre ville continue et ville discontinue, ne sont pas sans effets sur l’évolution de la vie sociale ; la valeur pédagogique de cet espace est aujourd’hui particulièrement en jeu. Pour toutes ces raisons, on peut dire que la présence de la ville est forte derrière les dossiers des magistrats ou des cadres de la Prévention judiciaire de la jeunesse. C’est pourquoi il leur importe d’affiner leur lecture de la ville. La formation Lire une ville : Marseille qui comprend, sur un semestre, trois sessions de trois jours à raison de 14 heures par jour (9h-23h), permet d’aborder cette 50


dimension spatiale de façon pratique, puis de prendre du recul pour l’analyser et l’appréhender un tant soit peu. 1998, p. 5

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lire la ville et son paysage avec des exemples (Une méthode pour)

1993-7-22, p. 19

Méthode de travail : un outil pour repérer les potentiels du territoire : une petite machine à lire portative.

Nous avons cherché à lire l’espace tel qu’il est, à discerner ce qu’il nous dit et ce qu’il peut devenir. Pour cela nous nous sommes fabriqué un outil, une sorte de petite machine littéraire (économique, légère et portative) que nous allons essayer de présenter ici. Une machine à brouter lire le paysage, à le ruminer et à le traduire, essentiellement sous la forme de préconisations : - paysagères et urbaines (chemins, aménagements, etc.) - d’activités (commerces, productions, fonctions ou emplois avec fiches de postes, etc.) - ces préconisations ayant pour ambition de respecter un double label : de civilité et d’égalité. Nous avons cherché à regarder avec les yeux fertiles imaginés par Paul Éluard, celui dont l’école de La Tourtelle porte le nom. Le paysage n’est pas seulement un motif pour les peintres ou les cartes postales, la vie l’irrigue en tous points, une activité permanente l’anime.

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Le paysage de la campagne agricole n’est rien sans les paysans qui le font, le défont et le refont sans cesse, il en va de même du paysage de la ville dont on a sans doute oublié à quel point ce sont les habitants, les commerçants, tous ceux qui y vivent, qui le constituent. On ne peut concevoir un espace urbain sans penser la vie multiple et foisonnante qui y croise toutes ses dimensions : dimensions concrètes (gabarit des immeubles, emplacement des équipements, gestion de l’eau ou des déchets, trafic, etc.) et dimensions abstraites (civilité, agrément, sentiment de sécurité, de liberté, respect, plaisir de l’anonymat, découverte de l’imprévu, etc.) Dans la démarche de connaissance qui est la nôtre, lire et écrire sont une même chose : pour connaître intimement un texte il faut l’avoir écrit ou, tout au moins, recopié. Entrer dans la connaissance d’un paysage, qu’il soit naturel, agricole ou urbain, c’est le lire activement, c’est à dire le décrire pas à pas, grain à grain : le décrire comme le point – oiseau, boomerang, planète ou caillou – décrit une courbe.

Étape n° 1 : aller dans le paysage foisonnant (lire)

Nous le décrivons d’abord en effet pas à pas, nous sommes d’abord des promeneurs. Lorsque nous sommes plusieurs (ce sont les déambulations avec les habitants), chacun désigne ce 54


qu’il veut faire découvrir aux autres et nous échangeons des commentaires. Mais seul ou à plusieurs, le principe est le même. Nous sommes des promeneurs qui marchent, observent, s’immobilisent, attendent jusqu’à l’ennui, se fondent dans le 21 paysage, deviennent le paysage dont ils font partie, le mâchent , le métabolisent puis s’en extraient, font un pas en arrière comme le peintre, le regardent de loin, le cadrent, y reviennent, se rapprochent, le considèrent de nouveau, prennent des notes. Et à la fin, toutes ces sortes de méditations passent à la casserole, finissent dans la cuisine de l’écriture. En effet, ce que nous voulons, c’est rencontrer le paysage qui est là et non nous rencontrer nous-mêmes à travers lui, ou lui substituer un paysage qui n’est pas là, un paysage théorique, romantique ou exotique. Nous ne pouvons donc nous livrer entièrement à nos impressions, ni aux concepts appris : il nous faut quitter le registre des références individuelles et subjectives, mais aussi celui de la pure projection qu’elle soit technique, théorique ou autobiographique. Nous ne pouvons pas non plus saisir le paysage dans sa matière brute, bien trop profuse, fuyante et réelle.

21- Comme dirait l’architecte Henri Gaudin. 55


Étape n° 2 : réduire le paysage à un texte (écrire)

Pour rencontrer le paysage qui est là, pour entrer avec lui dans un échange productif, il nous faut d’abord l’arrêter, et le constituer par l’introduction d’un tiers entre lui et nous. Ce tiers en l’occurrence, c’est la description, le récit, l’écriture par laquelle nous le constituons en mots. Si nous voulons travailler à partir du paysage qui est là, qu’il soit lui-même notre matière première, il nous faut d’abord transformer sa matière brute fuyante en matière solide et "travaillable" : l’attraper et le maintenir dans la chaîne et la trame des mots. Ce tissu premier, entièrement matériel et entièrement symbolique, se proposera comme un objet possible pour notre travail exactement de la même façon que le récit factuel le procès verbal écrit par le greffier et produit devant un tribunal permet à tous, magistrats, avocats et prévenus de constituer les faits et donc de commencer à en parler. Jusque là les faits ne sont pas constitués en référence commune et se perdent dans l’indécidable voire dans l’impensé, dans les limbes du réel et dans les fantasmagories de l’imaginaire. Le tissu du texte pose un niveau zéro qui est aussi peu naturel, aussi fortement culturel et conventionnel (mais aussi solide et utile) que la date de la naissance du Christ ou de l’exil de Mahomet pour le décompte des siècles historiques. De retour, nous avons donc recopié nos notes et saisi le récit pour qu’il soit lisible par tous. Le paysage est devenu description, la promenade est devenue récit de paysage. Pour cela, il nous a fallu décider que notre description n’irait pas plus loin dans sa précision, n’entrerait pas davantage dans le détail infini des fractals et que, tout au moins dans notre entreprise, décrire avait une fin.

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Étape n° 3 : lire le texte phrase par phrase (recopier)

Maintenant, c’est le texte et non plus le paysage vivant ou notre regard vivant, même plus l’écriture des notes tracées par la main, c’est le texte imprimé qui va devenir l’objet du travail, la carrière à exploiter. La troisième étape consiste alors à le lire et à en extraire toutes les indications qu’il pourra nous apporter : cela se fera naturellement dans les impressions que, dans son ensemble, il nous livrera à la relecture, dans l’après coup. Mais cela se fera aussi, moins naturellement peut-être, dans les traductions et les déductions que nous en extrairons en le relisant et surtout en le recopiant phrase à phrase. Voici par exemple l’une des phrases recopiées dans un récit de Philippe :

À l’arrêt du Bras d’Or, six jeunes garçons montent dans le bus, gesticulent devant l’automate de contrôle, font mine d’insérer un hypothétique billet et courent s’agglutiner au fond du véhicule.

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Étape n° 4 : livrer chaque phrase dans un maximum de ses versions et tonalités (traduire)

Il s’agit de déplier, détailler chaque phrase fibre à fibre : d’énoncer, sans ajout ni transformation, les diverses unités de sens qu’elle contient. Cet exercice exige d’aller droit, d’éviter la déviation du changement ou de l’ajout de sens autant que la dérive de l’interprétation : il nous faut tirer du texte tout ce qu’il suppose sans le déformer ni le transformer. Par exemple, à partir de la phrase recopiée ci-dessus, on peut déduire sans trahir au moins 5 unités de sens : - Six jeunes garçons font semblant de payer leur voyage ; - Six jeunes garçons ne paient pas leur voyage ; - C’est un automate qui “poinçonne“ les tickets ; - Des personnes courent dans le bus de l’avant à l’arrière ; - Un groupe de 6 personnes s’agglutine au fond d’un bus.

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Étape n° 5 : extraire du paysage les préconisations qui lui sont inhérentes, les énoncer (déduire)

Appliquer à chacune de ces unités de sens comme un réactif, les logiques appartenant aux registres qui nous intéressent ici : égalité, civilité, travail, espace urbain. Le mouvement est celui de l’extrapolation. Il s’agit toujours davantage de "halage" que de projection : pour chaque unité de sens, l’idée est d’attraper ce qu’elle a de plus intrinsèque, intérieur, pour l’emmener le plus loin possible vers l’extérieur, lui tirer les cheveux autant qu’on peut, tirer sur chaque fibre pour voir jusqu’où on peut le faire sans qu’elle craque. Par exemple, à partir de l’une des 5 unités de sens précédentes : Pour que cette étape soit productive, il importe de n’exercer aucun jugement sur ce qui se présente : bien ou pas, bon ou pas, réalisable ou non.

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Étape n° 6 : trier ces préconisations et en retenir certaines réalisables à court, moyen et long terme (critiquer/tamiser, cueillir)

Pour répondre à notre objectif initial, nous retiendrons surtout, parmi les indications qui ressortent de cette lecture, ce qui pourra constituer des éléments de programme pour des aménagements urbains ou définir des activités et des emplois potentiels. Ces derniers seront le cas échéant détaillés dans des projets de création ou dans des fiches de poste. 1999b, p. 1-9

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1999b, p. 9

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1998 (s. p.)

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Qualification/Qualité Voir aussi Emploi ; Travail

Nous travaillons depuis plusieurs années à inventorier les paysages urbains disqualifiés mais aussi, à partir du récit factuel de leur vie, à recenser les compétences des personnes dites sans qualifications. Dans l’un et l’autre cas nous empruntons la même approche : nous nous efforçons de discerner ce qu’il y a d’intéressant et de le mettre à l’œuvre plutôt que de disqualifier ce qui est là en référence à une norme et chercher à le corriger ou à lui substituer autre chose. Pourtant le projet d’emboîter ces deux types d’inventaires est récent, nous avons commencé à l’expérimenter à Aubagne (voir nos travaux 2007-2009 financés par la Ville, la Région, la DRDF et le FSE). 2010, p. 2

Dans un versant comme dans l’autre de ce travail nous suivrons nos lignes habituelles de conduite : - maintien du regard dans un registre spatial et anthropologique et en dehors de toute analyse psychologique, sociale ou sociologique ; - le maintien d’une position de description et de qualification excluant la recherche des causes, le jugement et la référence à des normes. 2010, p. 3

Pour inventorier ces savoirs, qualités et compétences, de quoi ont-elles besoin ? Pour résumer, elles ont essentiellement besoin d’un tiers, attentif, doté d’un préjugé favorable à leur endroit, et non pervers (dont l’objet ne soit pas de détourner la situation à son profit). Deux autres capacités sont encore demandées à ce tiers : savoir travailler à partir de son interlocuteur et non à partir des modèles évoqués plus haut, et savoir repérer puis traduire les particularités d’une personne en termes de savoirs et compétences utiles professionnellement. 2000-3, p. 7

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Parmi les nombreuses personnes dites "sans qualification" que nous recevons, la plus grande partie est destinée a priori à des métiers de service : homme d’entretien ou femme de ménage. Lorsque l’intéressé(e) ne fait ce choix que par défaut, pensant qu’il n’est pas capable (ou qu’il n’y a pour lui aucune possibilité réaliste) de faire autre chose, nous faisons tout pour qu’il puisse faire des candidatures et trouver une activité dans un autre domaine. Parfois il s’agira d’un métier totalement différent (par exemple bibliothécaire pour une exblanchisseuse), parfois il s’agira d’un autre métier de service mais socialement plus qualifié et correspondant plus précisément aux savoirs et compétences de la personne (par exemple garde malade pour une ex-femme de ménage ou encore formation qualifiante d’Auxiliaire de vie sociale, pour un ancien aide-cuisinier). Néanmoins, il arrive aussi que l’intéressé ait développé antérieurement un goût et un véritable talent dans les domaines d’activité, en fait très diversifiés et potentiellement riches et intéressants, qui sont ceux du ménage : goût et dextérité pour rendre les choses propres (nettoyage), ou "impeccables" (repassage), belles (rangement), pour transformer un appartement un peu abandonné ou désordonné et le rendre agréable, accueillant (requalification), prendre soin des habitants du lieu ou les régaler avec une cuisine inventive (hospitalité). Ainsi avons-nous aidé récemment deux personnes, une femme et un "homme de ménage" qui n’avaient pas pu jusque là exercer leur activité de façon déclarée, à trouver, disons, des clients dignes de leurs prestations. 2008-4, p. 80

On pourrait trouver un guide pour le cheminement d’une telle restauration philologique dans la notion de qualité cinématographique des espaces de la gare, à savoir : se donner pour objectif que des scènes de cinéma, vidéo ou télévision, se déroulant à l’époque de création de la gare puissent y être tournées en décor naturel. Une telle 64


exigence pourrait par ailleurs produire une reconnaissance et une certaine notoriété, voire quelques retombées financières. 1996-9, p. 26

Pour définir en termes de qualité, de niveau d’exigence et d’image d’ensemble, l’aspect attendu de ces aménagements, nous proposons la référence suivante comme un ensemble de critères communs à tous les intervenants : la rue de Verdun devra pouvoir servir de lieu de tournage à des séquences cinématographiques ou télévisuelles "d’époque" demandant un décor naturel, en extérieur ("sans cache ni raccord" ; on pourra se référer ici aux fiches de sites "cinéma" proposées par le département du Tarn). 1991-5, p. 4

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2000-7, p. 9

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Travail Voir aussi Emploi

Façon de commencer à penser autrement le travail luimême ? Car il apparaît de plus en plus évident que notre seule issue est bien là : repenser le travail – la façon dont il se structure et structure notre vie – et son contexte, le "fond" sur lequel se détache la forme "travail". Mais comment ? Il y a autour de cet objet difficile à saisir à la fois des pratiques à renouveler, peut-être à subvertir, et une aventure de la pensée dans laquelle se lancer. Parce que nous ne serons jamais trop à la tenter et parce que dans une aventure on peut se perdre ou s’embourber comme déboucher sur quelque chose ou encore passer le relais, je ne crains pas de livrer ici le simple témoignage d’un cheminement de pensée sur ce sujet des "femmes de ménage". 2002-10-6, p. 2

Réduire le choix d’une activité ou l’accès à un poste à son versant de droits liés à un statut, c’est non seulement renverser une logique qui veut que les conditions se négocient et s’aménagent une fois obtenu l’objet du désir, mais c’est aussi faire déchoir chacun de sa singularité, de la "royauté" que nous évoquions plus haut, de son "destin", c’est le rejeter dans la zone du non-choix : comme pour le logement social, le travail ne serait plus choisi mais attribué sur la base des critères (généralement négatifs) définissant un statut. 2000-3, p. 5

"L’emploi", ils le voient comme un objet en soi, infiniment désirable (lorsqu’ils en sont privés), l’objet d’échanges, de tractations, d’offres, de demandes et même de commerce puisqu’il est à tout bout de champ question – ça leur paraît finalement tout à fait norme – de "se vendre". Ils ne le voient pas comme faisant partie d’eux-mêmes, comme étant leur temps, leurs gestes, leur pensée, leur œuvre, 67


leur vie, pas plus détachable de leur être que la livre de chair du marchand de Venise. Non, c’est un objet extérieur, un objet manquant qu’il leur faut à tout pris avoir à nouveau, qu’il faut donc, curieusement, échanger avec eux-mêmes puisque pour cela ils se vendraient. Et ils deviendraient des vendus ? Ils vendraient leur âme ? Ainsi non seulement le travail mais eux-mêmes deviennent un objet. 1996-2, p. 3

Sans doute en cela réside la peur. Par la même opération on se retrouve arraché, coupé en deux : d’un côté, soi (mais qui donc) ; de l’autre, son travail à la fois activité, moyen de subsistance et place dans la société. Et puis encore on se retrouve coupé des autres : d’un côté, devenu l’objet des mesures administratives et d’un comptage (1+1+1+…, ou plutôt x+x+x+…), appartenant à une masse dans laquelle chacun est identique, vaut autant que l’autre, c’est à dire n’a pas de valeur propre ; de l’autre côté, la société qui continue à vivre dans toute sa diversité, ses hiérarchies de toutes sortes, sa structure qui, en principe, donne place et identité à chacun. 1996-2, p. 3-4

Là aussi il y a un modèle dominant à l’œuvre, et qui n’est pratiquement pas remis en cause, c’est le modèle selon lequel c’est le travail lui-même qui est vu comme spécifique : le travail ne ferait pas partie de la vie ordinaire, le "monde du travail" comme le "monde de l’entreprise", seraient des mondes à part, ils obéiraient à des lois différentes, etc., d’où il conviendrait de séparer hermétiquement vie personnelle et vie professionnelle. L’on ne peut que constater que l’opinion selon laquelle, en la matière, la schizophrénie serait un signe d’hygiène mentale, est l’opinion la plus répandue. 2000-3, p. 6

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Alors que précisément le niveau zéro du travail avec les gens en situation personnelle et sociale difficile, consisterait logiquement dans la reconnaissance de ce qu’ils sont. …Ce qui est justement la démarche à conduire pour les aider à repérer leurs compétences et de là à s’orienter et à proposer leurs services. La simple reconnaissance de ce que chaque personne a entre les mains, de son "patrimoine personnel", en parlant de l’approche globale qui est en principe celle des 22 travailleurs sociaux , devrait donc pouvoir se faire tout naturellement avec ces derniers. 2000-3, p. 7

Si le droit au travail a un sens, juste avant il y a le droit à l’identité, à la singularité, à la culture personnelle et collective, à l’esthétique de son propre personnage, ceci quel qu’aie été son "emploi" auparavant et quel qu’il soit par la suite. Un auteur ou un metteur en scène a de l’intérêt, du respect et de l’admiration pour chacun de ses personnages quel que soit son rôle. Trouver son rôle avec chacun exige du temps, de l’attention, un travail entièrement individualisé qui ne perde pas de vue pour autant, les avantages du collectif : échanges de tous ordres, économie d’échelle, optimisation du choix et des services proposés aux entreprises, mise en relation de projets, etc. 1994-6(1), p. 5

Or, la logique énoncée plus haut voudrait que la recherche d’un travail ne soit pas uniquement vue comme un problème mais aussi comme une aventure, une exploration, une curiosité, un appétit, un autre regard sur soi-même et sur le monde, etc.

22- …par opposition aux travailleurs de la santé, de l’emploi, de la culture, etc. 69


Et surtout, un travail de reconnaissance demande de travailler sur ce qui va et non sur ce qui ne va pas, sur ce que les gens ont et non sur ce qu’ils n’ont pas. 2000-3, p. 8

La recherche d’un travail par les personnes toxicomanes ou atteintes par le VIH ne présente aucune spécificité en soi : ces personnes se situent, chacune pour son propre compte, quelque part sur la palette des infinies variations individuelles de tous ceux qui se posent, comme eux, la question de leur place, de leurs revenus et de l’emploi de leur temps. 2000-3, p. 10

Les problèmes de santé, s’ils entrent dans les conditions de leur travail pour certains et surtout, dans leurs critères de choix d’un travail, ne constituent pas en eux-mêmes une indication sur la nature des métiers ou fonctions à exercer. Un handicap ne constitue pas un statut au regard du travail, seulement au regard de droits administratifs, médicaux et sociaux. Remettre la question de la santé à sa place, sans davantage la mêler à des questions de morale, de choix professionnel, ou de statut social, permet aux personnes d’avancer plus loin dans leurs recherches et dans leurs choix, de découvrir une plus grande diversité. 2008-4, p. 75

Ce travail, bien entendu, doit être ajusté à la mesure des possibilités du candidat : là aussi la condition physique (la fatigue, les traitements, les troubles associés, etc.), est déterminante mais elle n’est qu’une condition, elle n’est pas l’objet principal. Tout aussi déterminantes que les conditions de santé physiques seront les conditions sociales et ce qu’on appelle "le moral" ou "la pêche" ou le désir, dans quoi entrent pour beaucoup l’estime de soi et la considération pour ce qu’on a à dire ou à apporter. Pour prendre un exemple connu à peu près de tout le monde, Jean-Dominique Bauby, on s’en souvient, a pu 70


déployer une puissance extraordinaire et ce, à travers le monde entier, gagner beaucoup d’argent, fournir des 23 emplois à un grand nombre de gens , alors qu’il était à l’article de la mort, sa santé réduite à néant, entièrement paralysé à l’exception d’une paupière. Mais il avait l’envie de le faire (l’idée qu’il avait de lui-même et de ce qu’il avait à dire lui permettait cette envie) et un support social (amis, "secrétaire", réseaux d’édition, etc.) qui lui offrait les moyens nécessaires et suffisants. 2010-12, p. 2

Le travail en groupe permet des économies d’échelle et son utilisation est logique pour traiter de certaines questions lorsqu’elles sont communes à plusieurs personnes – l’apprentissage d’une langue, éventuellement et pour partie la recherche d’un travail - ou dans des visées spécifiquement collectives : organiser une fête, développer une réflexion sur des enjeux communs, produire des propositions politiques, etc. Mais on ne va pas chez le médecin collectivement, on ne se mélange pas entre Russes et Espagnols, analphabètes et universitaires, pour apprendre le français. Quand on cherche un travail, ce n’est pas parce que l’on a le Sida qu’il faut le faire avec un groupe de personnes atteintes du virus, et lorsque l’on cherche une information, une aide ou un soutien, on n’a pas forcément envie pour l’obtenir de rejoindre un groupe de femmes. 2002-9-15, p. 23

La principale caractéristique de notre public reste le cumul des difficultés. Toute personne à la recherche d’un travail se heurte à un certain nombre d’obstacles : la difficulté à repérer ses compétences et à s’orienter, la 23- Son livre, Le scaphandre et le papillon, dicté grâce aux mouvements de sa seule paupière, a été vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, traduit dans toutes les langues, adapté au cinéma ; le film qui en a été tiré a été plusieurs fois nominé et primé : à Cannes, aux Golden Globe Awards, etc. 71


difficulté à élaborer des curriculum vitæ ou des lettres de candidature, le manque d’envie, le découragement, l’absence de "réseaux", la peur de se lancer, de ne pas être à la hauteur, etc. À tous ces paramètres ordinaires, s’ajoute pour notre public un certain nombre d’autres problèmes liés ou non à leur maladie ou à leur statut social.

2008-4, p. 68-69 & 71 72


Les dispositifs existants ne permettent pas d’effectuer cette démarche puisque les uns, afin de "ramener de l’emploi", se tournent davantage vers les entreprises que vers les chômeurs et que les autres ne travaillent qu’avec certaines catégories de personnes. Excepté les missions locales (qui ne s’adressent qu’aux "jeunes"), tous restent des dispositifs non territorialisés ou très peu, en tout cas n’utilisant pas la territorialité pour relier les opportunités locales aux compétences présentes. 1997-10, p. 64

Pour citer un point de vue parmi tant d’autres, sur la seule question de l’économie, voici ce que l’on trouve dans le rapport final (juin 94) du cabinet parisien chargé de faire un audit sur l’organisation et le fonctionnement de l’action sociale à Frais Vallon. Il est écrit au passage (en l’absence de toute enquête sur le sujet), page 81 : "De nombreuses questions demeurent [parmi lesquelles] : Y a-t-il à [Frais Vallon] des jeunes et des adultes, formés et qualifiés, prêts à travailler, inscrits à l’ANPE ? Les aides sociales sont les moins avantageuses que de ne pas [sic] travailler ? Les revenus informels interdisent-ils toute normalisation ? Chaque fois que le thème de l’emploi a été abordé, il a été ressenti une certaine agressivité comme si Frais Vallon fonctionnait selon un modèle économique satisfaisant dont les mécanismes et ceux qui les actionnent, n’ont pas intérêt à ce qu’ils soient formalisés." Puis, centré et en gras : "L’économie informelle semble telle qu’elle assure, pour bien des familles, des ressources substantielles à l’instar de ce qui se passe dans les pays en voie de développement au sud ou à l’est." Si aucune des assertions intuitives du type de celles que l’on vient de lire, qui sont contenues dans ce rapport, n’a fait de la part des décideurs l’objet de la moindre critique, c’est bien que ce genre de propos venait conforter une opinion largement partagée. 1995, p. 31 73


Comment les plus jeunes pourraient-elles déployer leur droit à l’égalité et à la liberté dans cet espace panoptique ou plutôt translucide, entièrement sous contrôle, que sont les cités, espace quadrillé par les tantes, les mamans et autres marraines assurant leurs CES aux quatre coins de l’échiquier : animatrices au centre social, "femmes-relais" à l’école, groupe des "mamans de toxicomanes", serveuses ou cuisinières au restaurant d’insertion, accompagnatrices 24 lors des sorties ; espace dans lequel par contre rien ni personne n’est susceptible de s’opposer à la gifle que leur assénera leur cousin ou leur frère parce qu’elles se permettent de fumer dehors ou de se mettre en maillot à la piscine. Comment le droit est-il garanti pour elles dans des lieux où le droit du travail par exemple est très officiellement et doublement transgressé par la création de "nouveaux métiers" comme, justement, les "femmesrelais" qui font appel à des critères de recrutement portant sur le sexe et l’appartenance supposée à une "ethnie" (et généralement sur l’appartenance à un territoire d’habitation), bien avant de porter sur une compétence (celle-ci pouvant éventuellement faire l’objet d’une 25 formation par la suite) . 1999-3, p. 52

24- Le credo énoncé par une animatrice d’un centre social, elle-même arrivée tout bébé d’Algérie dans un bidonville de Marseille, dont la famille a ensuite habité dans la cité, c’est : "- Nous on n’allait pas au collège ou au lycée, quand on sortait de l’école, on allait à l’ATOM apprendre à coudre el à bricoler. Ces des centres comme ça qu’il leur faudrait pour ces jeunes filles (de la cité)." 25- Sur la question des "femmes-relais", il convient d’exposer ici que la plupart des opinions exprimées par les praticiens (les travailleurs sociaux, les enseignants), les techniciens (entre autres aux Droits des Femmes) et les experts (sociologues se penchant sur les métiers du secteur social, sur la Politique de la ville), soutiennent ces initiatives et, s’il y a débat, celuici porte essentiellement sur différentes définitions de la fonction, sur la pertinence ou non d’une institutionnalisation et d’une professionnalisation des "femmes-relais". Cf. le colloque : "Professionnaliser la médiation sociale : pour un statut des femmes-relais", Profession Banlieue, Neuvième rencontre (1er juillet 1997), Paris, Profession Banlieue, coll. Les Actes des rencontres, 1998. 74


Pour mon bonheur, ma maison est couverte et ouverte sur son seuil et ses fenêtres, ma cour aussi est une longue pièce ouverte au ciel avec une couverture latérale et la rue sur laquelle elle débouche s’échancre aussi à ses deux extrémités et elle croise d’autres rues qui se creusent sur d’autres porches […] Il ne s’agit pas du tout "d’embellir l’habitat social" comme on l’entend dire, ni seulement de le réhabiliter à coups de pinceaux. Ce qu’il faut, c’est travailler l’espace.26 1994-11, p. 5

Plus que d’autres, ce long travail à Frais Vallon a développé chez moi un drôle de sens : je suis devenue extrêmement sensible à ce tout qui caractérise, différencie l’humain et encore plus à ce qui fait lien, à ce qui fait communauté humaine. Ce qui permet et organise la vie ensemble, ce que l’on appelle culture, civilisation, civilité, urbanité, toutes choses qu’auparavant je pensais vaguement aller de soi. Les signes de cela qui parfois et dans certains lieux semblent se maintenir à grand peine sur fond de barbarie, me sont devenus comme phosphorescents, c’est à dire radioactifs. 1995, p. 115

26- Henri Gaudin, "De l’air, de l’air", « Demain la ville », Le Monde des arts et du spectacle, 1991, p. 16-17 75


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Ville, Exercice(s)

1999a, p. 21

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1999a, p. 23

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BIBLIOGRAPHIE Pour accéder aux ouvrages auxquels réfère le code alphanumérique situé en bas et à droite de chaque extrait (dates et n° de page), se reporter à la bibliographie ici : http://www.reseaufing.org/pg/file/LireLaVille/read/65724/bibliog raphie-de-chantal-deckmyn

en savoir plus : lirelaville.eu

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