Les prescripteurs du roman ado

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tendre1 », Marion Faure interroge la noirceur présumée de la littérature ado et fait pleuvoir

lettres ouvertes, articles et ouvrages ou encore émissions radiophoniques pour encenser ou

fustiger son propos. Aux uns de crier à la démoralisation de notre jeunesse, aux autres de hurler à la censure… Comme pour jeter un peu d’huile sur le feu, Sarbacane publie quelques temps

après dans sa collection « eXprim’ » Je reviens de mourir2 d’Antoine Dole et les débats repartent de plus belle.

Cette polémique sur les romans violents fait émerger plusieurs questions en rapport

avec notre étude : les prescripteurs adultes sont-ils légitimes et raisonnables pour savoir ce qui

est bien ou mal, ce qui est trop violent pour un adolescent ? Les livres étant préalablement lu

par des lecteurs adultes, ceux-ci opèrent-ils une censure qui n’aurait pas lieu d’être ? N’est-ce pas le problème propre à la production pour adolescent que d’être « sélectionnée » par des adultes qui ne savent peut-être pas comment s’adresser aux adolescents ?

Une censure préalable des éditeurs ?

Pour Anne Clerc, la rédactrice en chef de Lecture Jeune, il est clair que la littérature

ado remplit un rôle de censure. Elle aurait entre autres pour but d’empêcher les adolescents de « piocher » allègrement dans les rayons pour adultes où la violence a toujours été présente.

La création de ces collections pour adolescents serait une façon de rassurer les parents en limitant l’offre disponible aux adolescents3. Il est vrai que la sexualité, la violence et l’immoralité sont bel et bien présentes dans la production pour adulte et que concrètement, l’adolescent peut très bien y avoir accès s’il le souhaite. De plus, la violence est également prégnante dans

d’autres pratiques adolescentes, par exemple au cinéma, à la télévision ou dans les jeux vidéo. Alors pourquoi dans le fond opérer une telle censure sur le livre et s’exclamer avec ferveur à chaque fois que paraît un roman un peu moins simplet ou un peu moins joyeux ?

Pour la psychologue et auteur de l’essai Qui a peur de la littérature ado ?, Annie

Rolland, la violence fait partie du processus de construction de l’être humain, elle est inévi-

table. Dès lors, la voir projetée sur un écran ou se déchaîner sur un personnage de roman est plus bénéfique que de la sentir en soi. Il serait nécessaire à l’adolescent d’être en contact avec

cette violence « extériorisée » pour enrayer le processus autodestructeur. Elle affirme dans

son essai que l’adolescent serait plus à même que l’adulte, capable de distinguer la réalité de l’imaginaire et que si un adolescent est véritablement bouleversé après une lecture et que son 1

Marion Faure, « Un âge vraiment pas tendre », Le Monde spécial Montreuil, 30 novembre 2007.

2 Le roman constate la déchéance de Marion, qui se prostitue par amour pour son maquereau, et d’Ève, qui enchaîne les relations sexuelles jusqu’à tomber dans le piège de l’amour. Ce roman sans espoir a été jugé démoralisant et pornographique. 3 Annexe 1 : Entretien avec Anne Clerc.

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