Littératures passerelles

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Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents

Quelques titres de littérature générale sélectionnés par Lecture Jeune 2008-2012

Adam Olivier, Le Cœur régulier, Editions de l’Olivier, 2010 A l’annonce du décès de son frère, Nathan, la narratrice, Sarah, quitte brusquement son mari et ses deux enfants. Elle tente de retrouver la trace du disparu dans une petite station balnéaire japonaise tout en sombrant dans la dépression. Le récit alterne l’évocation de leur vie d’avant, l’amour complice entre le frère et la sœur, leur goût pour la nature à l’écart des conventions, puis leurs divergences. Elle a choisi le mariage, une vie confortable, un métier lucratif en abandonnant ses idéaux alors que Nathan, lui, a voulu devenir écrivain, quitte à vivre misérablement de petits boulots, tout en condamnant une société capitaliste sans âme. Sarah est persuadée que Nathan s’est suicidé mais, dans ce village japonais, elle découvre un petit groupe d’hommes et de femmes qui lui délivre peu à peu une autre image de son frère, celle d’un homme ayant retrouvé le goût de vivre. Dans ce microcosme se reconstruisent des êtres brisés et le personnage de Sarah, en les côtoyant, prend la mesure de ce qui vaut la peine d’être aimé. Au sein de cette atmosphère liquide, brumeuse et grise, elle « exécute un léger pas de côté » pour saisir le sens de sa propre vie. Dans un temps qui semble suspendu, elle observe, avec la distance d’une étrangère, les rituels quotidiens japonais et cet homme, Natsume Dombori, qui consacre sa vie à retenir, au bord de la falaise, les désespérés. Grâce à lui, elle trouve l’apaisement, « le cœur régulier », et la force de retrouver sa famille pour bâtir une nouvelle vie. Olivier Adam réussit à renouveler ses thèmes de prédilection en situant une partie du récit au Japon. C’est un beau roman même si, dans les passages situés en France, les personnages, les antagonismes sociaux et les conflits familiaux manquent d’originalité. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°137)

Alexie Sherman, Flight, Albin Michel, 2008 (cf Le premier qui pleure a perdu, Albin Michel Jeunesse, 2008, Wiz) À quinze ans, le dénommé Spots – surnom dû à ses boutons d’acné – est ballotté de familles d’accueil en foyers. Le garçon est fier d’être en partie d’origine indienne par son père, même si ce dernier l’a abandonné. Sa mère irlandaise l’a choyé, mais est morte prématurément. L’adolescent se révolte, côtoie la petite délinquance et se retrouve en prison. Il y rencontre « Justice », un jeune blanc qui le fascine et le séduit. Le tandem parfait pour monter un braquage. Mais le hold-up tourne à la catastrophe : Spot est gravement blessé suite à une balle reçue en pleine tête et il tombe dans le coma. À cet instant, le récit bascule. Spot entre dans la peau d’un policier du F.B.I., endosse le rôle de son propre père, avant de revivre la bataille de Little Bighorn, contre Custer et les Yankees... Âmes sensibles s’abstenir ! Ce voyage dans le temps et l’espace américain est mêlé de chaos et de violence. Heureusement, il se termine miraculeusement par la rédemption de Spot, « happy end » d’une descente aux enfers. Ce grand roman dénonce le racisme, la condition de l’indien prolétarisé et est construit comme un parcours initiatique : une catharsis dont le héros sort grandit, en se réinsérant dans la société et surtout en devenant adulte.■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°128)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Alkhamissi Khaled, Taxi, Actes Sud, 2009 (Mondes arabes) À l’abri de véhicules de location coûteux mais antiques, déglingués et dépourvus de compteur, qui laissent le prix de la course « entre les mains de Dieu » (alors que l’exotique couverture de Loustal présente la nouvelle génération de taxis cairotes : jaunes, climatisés, équipés d’un compteur qui force le chauffeur à allonger le trajet pour amortir le coût de la voiture), les taxis du Caire voient tout, entendent tout, débattent de tout. Où, mieux que dans un taxi, peut-on dénoncer sans crainte le règne de Moubarak ? Confier à un inconnu ses difficultés quotidiennes ou familiales ? Parler de religion ou de sexualité ? C’est sans doute cette liberté de ton qui explique le très grand succès du livre en Egypte. De cette virée cairote, le lecteur français appréciera aussi l’écriture chaleureuse et ironique, ponctuée de nokta, ces blagues égyptiennes au cynisme effarant qui conjurent le malheur par la joie de vivre. C’est un tableau sans concession de l’Égypte contemporaine, rongée par la misère et la corruption, que brosse le journaliste Khaled Al Khamissi en cinquante-huit saynètes savoureuses, absurdes ou désabusées. ■ Charlotte Plat (Lecture Jeune n°133)

Ahmad Omair, Le Conteur, Picquier, 2011 (Inde/Pakistan) e

Au XVIII siècle, la ville de Dehli est envahie par les troupes afghanes, poussant à la fuite un poète et conteur à qui il ne reste plus que « les mots et la liberté ». Son errance le conduit pourtant vers une propriété pachtoune, ennemie, où la Bégum, maîtresse des lieux, lui offre l’hospitalité en échange d’un conte. Ainsi débute une joute entre deux personnages que tout oppose mais que la parole rapproche. Chacun répond en effet au récit de l’autre, tressant une histoire sans fin, enrichie et renouvelée, dans un duel qui devient amoureux. Dans ce contexte de guerre, les deux protagonistes font renaître les thèmes universels de l’amour et de la trahison, du pouvoir et de l’ambition célébrant l’imagination et la créativité poétique. Ce texte inspiré de la tradition orientale est en marge de la production éditoriale actuelle mais il renouvelle le genre du contre et offre plusieurs niveaux de lecture. Ainsi est-il accessible aux lecteurs adolescents comme aux jeunes adultes. ■ Marie-Françoise Brihaye (Lecture Jeune n°142)

Appelfeld Aharon, Le garçon qui voulait dormir, Editions de l’Olivier, 2011 nde

Erwin, le narrateur orphelin juif de 17 ans a connu la 2 Guerre mondiale, le ghetto et les camps. Le lecteur suit son évasion et celle d’un groupe d’apatrides sur les routes d’Europe, jusqu’à leur arrivée à Naples. Ses camarades sont parfois obligés de porter ce « garçon de sommeil » qui dort sans cesse. Un irrépressible besoin de rêver l’accompagne, même lors de ses premiers pas en Palestine ou de sa très longue convalescence après une blessure. Cette omniprésence des rêves donne une dimension quasi-fantastique au récit. Le terme roman ne figure pas sur la couverture, soulignant ainsi la part autobiographique du texte. Aharon Applefeld affirme : « Le récit littéraire passe par la vie de celui qui a vécu à un moment donné dans un lieu donné ». Où est la réalité ? Dans le quotidien ou dans les songes où ce déraciné rencontre ses parents, figures tutélaires avec lesquelles il dialogue constamment ? Le narrateur, perdu dans cet entre-deux, est conscient de cette dualité alors qu’il se voit contraint d’abandonner à la fois sa langue maternelle et son nom. Il devient Aharon et oscille entre sentiment de fidélité et de trahison, entre le besoin d’oubli et la culture de la mémoire. Sur quoi fonder son identité ? La vie d’Erwin/Aharon est une lutte harassante contre la déchirure, la torpeur qui remplace la douleur. Remarquablement traduit par Valérie Zenatti, ce récit de métamorphoses et d’exode frappe par sa justesse, sa densité et son émotion. En touchant au plus intime sans pour autant détailler les drames de l’Histoire, Aharon Appelfeld accède à l’universel. Le Garçon qui voulait


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents dormir est un livre magnifique à découvrir dès l’âge du narrateur au début du récit. ■ Marie-Françoise Brihaye (Lecture Jeune n°139) Réseau de lecture : Valérie Zenatti, auteur et traductrice de l’œuvre d’Aharon Appelfeld en France, propose avec Mensonges (Editions de l’Olivier, 2011) de mettre en lumière les « rapports littéraires » qu’elle entretient avec l’écrivain israélite. Un récit que nous conseillons aux « lecteurs confirmés » pour éclairer sous un jour nouveau Le Garçon qui voulait dormir.

Aubenas Florence, Le Quai de Ouistreham, Editions de l’Olivier, 2010 Comment témoigner des travailleurs précaires, de plus en plus nombreux dans notre pays ? Florence Aubenas a choisi de se fondre dans la cohorte des chômeurs, se faisant passer pour l’un d’eux. Pendant 6 mois, elle a vécu à Caen, en endossant une nouvelle identité : femme seule, sans enfant, 48 ans, à la recherche d’un premier emploi. Elle est d’une grande disponibilité et pourtant, dans un premier temps, toutes les portes se ferment : on l’orientera alors vers des postes de femme de ménage. Il lui faut tout accepter : les petits contrats, les quelques heures accumulées dans la semaine, l’humiliation… La fatigue et l’angoisse des fins de mois l’useront peu à peu. Et pourtant, au milieu de ce quotidien difficile, elle peut compter sur l’amitié de ses semblables. Florence Aubenas livre un témoignage poignant qui oscille entre l’essai et la fiction, tant elle parvient à donner vie à ceux qu’elle a rencontrés et qui deviennent, sous sa plume, des personnages de roman dignes de Zola ! Ces femmes seules, ces hommes abîmés par la vie subissant des licenciements imprévisibles… Certains se souviennent des usines fermées malgré les grèves, de la mobilisation et de l’espoir qu’ils ont porté. L’auteur dresse un sombre constat d’une société qui broie les plus humbles et où le seul salut est la solidarité et l’altruisme qui éclairent les vies. Ce témoignage touchera les bons lecteurs et tous ceux qui, le temps d’un « job » étudiant, côtoient ces travailleurs de l’ombre. ■ Anne Clerc (Lecture Jeune n °134)

Auster Paul, Sunset Park, Actes Sud, 2011 Miles Heller a choisi de s’exiler en Floride pour s’éloigner de sa famille, qu’il a quittée brutalement après avoir involontairement causé la mort de son demifrère : alors qu’il se battait avec lui sur une route, une voiture a fauché le jeune homme. Miles « purge » sa culpabilité d’autant plus difficilement qu’il n’a jamais révélé son secret. Il a accepté un travail consistant à débarrasser et nettoyer les maisons des victimes de la crise des « subprimes », qui ont du abandonner à la hâte leurs foyers. L’amour passionné qu’il éprouve pour une jeune Cubaine va le tirer de cette existence morose, même s’il ne se résout pas à lui avouer sa situation familiale. Comme la jeune fille est encore mineure, leur liaison doit absolument rester secrète : sa sœur aînée en profite pour exercer sur Miles un odieux chantage, qui le pousse à retourner à New-York, qu’il avait fui des années auparavant. Là, il retrouve son ami Bing Nathan, qui est resté durant tout ce temps son seul lien avec sa famille. Commence alors une cohabitation avec lui et deux jeunes femmes à Brooklyn, dans la maison délabrée qu’ils squattent. Le sujet central du roman est la crise financière qui frappe l’Amérique, jette à la rue des familles entières et met les jeunes adultes dans un état de précarité, alors même qu’ils ont un emploi. L’auteur met également en avant la solidarité et les réseaux d'amitié, qui restent les ultimes valeurs dans notre société, tout comme le lien familial, que Miles et son père vont tenter de renouer. La problématique cruciale de la crise ne va pas manquer d’intéresser les adolescents, et le début mystérieux du roman, avec un héros qui cherche à couper les ponts et tombe amoureux - presque malgré lui – constitue une bonne accroche. Le récit, bien structuré, paraît être, avec Le Carnet rouge, une entrée idéale pour faire découvrir aux jeunes lecteurs un auteur majeur de la littérature américaine. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°140)


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Avallone Silvia, D’acier, Liana Levi, 2011 Anna et Francesca auront bientôt quatorze ans. Amies inséparables, ce sont les « stars » d’une cité industrielle italienne, non loin de l’île d’Elbe, là où la côte est dévastée par les aciéries. Leur beauté éblouissante provoque les désirs et les jalousies. Elles font rêver tous les hommes, ceux qui se résignent à leur boulot infernal dans les hauts-fourneaux, mais aussi les voyous qui tentent d’y échapper par des trafics minables. Le roman est construit sur des contrastes : à la virginité des jeunes filles – la brune et la blonde – s’opposent la vulgarité, la violence et le machisme masculin. Le soleil irradie l’horizon, mais le quotidien est sombre : accidents, licenciements, l’aciérie menace de broyer les vies humaines. Anna sera peut-être un jour avocate, mais Francesca a définitivement raté l’ascenseur social. Victime de son père, elle a renoncé à tout sentiment autre que la passion fusionnelle qu’elle éprouve pour Anna. Le premier amour d’Anna sépare les filles et le drame se noue dans la chaleur torride de l’été. Amour, amitié, découverte de la sexualité, incompréhension entre les garçons et les filles… D’acier aborde de front le passage éprouvant vers l’âge adulte. Grâce à une écriture précise – l’auteur vient de cette banlieue ouvrière – le roman fascine et bouleverse, laissant le lecteur abasourdi. Il se clôt pourtant sur une note d’espoir et d’évasion. Saluons la couverture très réussie qui aidera, autant qu’une médiation appropriée, à captiver un public de jeunes adultes, à condition qu’ils soient pourvus d’une maturité suffisante. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°140)

Barbash Benny, Little Big Bang, Zulma, 2011 Menacé d’obésité, un père de famille israélien déclenche une polémique entre sa femme et sa mère. Son fils le juge trop gros, sa femme se moque de lui. Il prend donc la résolution de perdre du poids et tente successivement des régimes aussi inefficaces que draconiens, jusqu’au jour où une célèbre diététicienne lui prescrit une cure exclusive d’olives. Mais un matin de shabbat, il manque de s’étouffer avec un noyau. Quelques jours après, à la stupeur générale, un olivier a poussé dans son oreille ! Les symboles de l’enracinement et de l’olivier, arbre de la paix, sont évidents. À travers cette fable savoureuse, l’auteur dénonce le fanatisme des colons, et le déni au peuple palestinien de disposer de territoires. Les personnages, bien campés, pourraient paraître caricaturaux sans l’humour de ce conte moderne vu à hauteur d’enfant – une grand-mère acariâtre et sioniste, un grand-père astrophysicien désespérément cartésien. Avec My First Sony (Zulma), primé lors du Salon du Livre en 2008, Benny Barbash portait déjà une réflexion sur la société israélienne contemporaine à travers le regard d’un enfant de dix ans qui enregistrait le microcosme familial sur son magnétophone. Cette fois encore, le choix d’un jeune narrateur permet de donner au récit un ton ironique sous couvert de naïveté. Ce roman court est un grand éclat de rire salutaire, qui s’adresse à tout lecteur connaissant un tant soit peu la situation politique israélienne : pour les plus âgés, par conséquent. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture jeune n°138) Réseau de lecture : Sur le thème du conflit israélo-palestinien, Faire le mur, roman graphique de Maximilien Le Roy (Casterman, 2010) relate le parcours de Mahmoud, palestinien résident du camp de réfugiés d’Aïda en Cisjordanie.


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Blacklaw Troy, Orange sanguine, Flammarion, 2008 Après le remarquable Karoo boy, paru en 2006 (voir LJ n° 120), Troy Blacklaws livre cette fois un récit autobiographique, rédigé à la première personne. À la fin des années soixante, Gecko grandit dans une ferme d’Afrique du Sud, auprès d’adultes extraordinaires : le père raconte ses exploits de chasse tels des récits épiques ; Beauty, la nourrice chaleureuse et le cuisinier lui enseignent la nature et les légendes zoulous ; ses complices de jeux, Zane, le petit frère et Jamani, le « frère de lait » que sa mère, infirmière, sauve d’une morsure de serpent, etc. Dans ce pays, la mort côtoie souvent les moments de bonheur. La terre rouge d’Afrique, aux odeurs de jasmin et d’hibiscus, les cris des animaux, le hurlement du vent dans la nuit, éveillent les sens de l’enfant. Très tôt cependant, il doit choisir son camp, celui de la police ou de l’ANC. Le déménagement au Cap va plonger Gecko dans un univers hostile. Au lycée, la brutalité des adolescents préfigure les déchirures de la ségrégation ; dans le car des enfants blancs, il dépasse les écoliers « coloured » contraints de marcher à pied. C’est à ce moment que se déroulent ses premiers émois amoureux, où – là encore – il faut s’endurcir : « C’est ça un vrai cow-boy ». L’école devient le lieu de solitude de celui qu’on traite de « kaffirboetie », ami des Nègres, et son refuge sera la lecture des grands écrivains. Pourtant le pire reste à venir, avec l’enrôlement obligatoire dans l’armée. Voici un roman d’apprentissage dans un monde où l’enfer l’emporte sur le paradis : Gecko déserteur sera contraint de quitter le pays qu’il aime, de rompre ses attaches. Écrit en touches brèves, chapitres très courts, phrases rapides, le roman donne de l’Afrique du Sud une évocation poétique tout en couleurs, sons et odeurs. Le récit montre la construction de la personnalité de son auteur, de l’enfance à l’âge adulte, dans un climat de violence raciale extrême. Ce qui est particulièrement intéressant pour un lectorat adolescent, c’est que sans cesse le narrateur, enfant puis adolescent, s’interroge sur son devenir, ses choix, et reconnaît ses faiblesses, son impuissance. La rudesse de la situation politique du pays, et de l’exil forcé est atténuée par une fin optimiste, l’amour retrouvé, et l’image d’un homme qui marche en Afrique du Sud pour la liberté. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°128)

Boussinot Roger, Les guichets du Louvre, Gaïa, 2012 16 juillet 1942. Le narrateur, un jeune étudiant, s’apprête à quitter Paris pour rejoindre ses parents à Bordeaux. Mais, à la demande d’un camarade, il accepte de retarder son départ pour venir en aide aux Juifs que la police et la gendarmerie françaises sont sur le point d’arrêter. Il doit leur proposer de venir avec lui sur la rive gauche de la Seine en passant par les guichets du Louvre. L’entreprise est difficile : il faut non seulement échapper aux forces de l’ordre qui quadrillent Paris mais aussi vaincre la méfiance de ceux à qui il offre son aide, comme cette jeune fille à qui il propose de jouer les amoureux pour la sans finalement parvenir à la mettre à l’abri. Au long de cette terrible journée de la rafle du Vel’d’hiv’, le jeune homme assiste, impuissant, à l’arrestation des Juifs étrangers vivant dans la capitale. En quelques heures, il est confronté à la violence antisémite, à la lâcheté et à l’ignominie et poussé à s’interroger sur ses propres valeurs. Ce témoignage a été rédigé vingt ans après les faits tant il était difficile à son auteur de recoller « le miroir brisé » de sa mémoire et tant il était impossible alors de rappeler cet épisode de la collaboration. Après une première publication dans les années 60, ce récit a fait l’objet d’une adaptation cinématrographique par Michel Mitrani en 1974 et a été réédité en 1999. Ce texte restitue les émotions, l’incompréhension et les remords qui dominent alors un jeune homme idéaliste. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°142)


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Burgess Melvin, Nicholas Dane, Gallimard jeunesse, 2010 Muriel se shootait de temps en temps à l’héroïne. Son fils l’ignorait jusqu’au jour où elle est morte dans la cuisine de leur petite maison de Manchester. Pour Nicholas Dane, cet adolescent des années 1980, la perte de sa mère n’est que la première épreuve à surmonter. Lorsqu’il est placé par une assistante sociale trop zélée dans un foyer pour délinquants, sa vie bascule dans les ténèbres : détresse morale, perversion, bestialité, sévices sexuels pédophiles deviennent son quotidien dans cet enfer où il faut apprendre à survivre. Comment Nicholas Dane peut-il reconstruire sa vie après les séquelles physiques et mentales laissées par le foyer de Meadow Hill ? Son avenir semble scellé : fils d’une junkie, orphelin, considéré comme un rebelle dont il faut se méfier, Nicholas n’est-il pas prédestiné à tomber à son tour dans la délinquance et dans l’engrenage odieux de la brutalité ? Avec son tempo narratif soutenu, on se laisse facilement happer par ce roman très structuré dont on peut souligner la complexité des personnages. On pénètre leur intimité avec une grande acuité : l’auteur a finement retracé la psychologie des bourreaux et des victimes, dont parfois, les rôles risquent de s’inverser. Le suspense maintient le lecteur à la frontière entre empathie et voyeurisme. Comme à la parution de chacun des livres de Melvin Burgess, la violence de son univers ne laisse pas indifférent : ses détracteurs diront qu’il s’y complaît, ses lecteurs salueront son réalisme et son analyse sociale acerbe. L’éditeur, lui, ne prend pas de risque en précisant sur sa 4e de couverture que le roman « ne convient pas aux jeunes lecteurs ». Certes, il faut une certaine maturité pour se confronter à cet ouvrage pourtant sans difficulté de lecture. Mais l’amplification de certaines scènes permet une distance salutaire et rappelle que – même très documentée – il s’agit bien d’une fiction. ■ Sonia de Leusse-Le Guillou (Lecture Jeune n°137)

Cathrine Arnaud, Nos vies romancées, Stock, 2011 Arnaud Cathrine écrit depuis l’âge de quinze ans : des nouvelles, des romans édités chez Verticales, des textes pour la jeunesse à l’École des Loisirs, et aussi des chansons et des scénarios. Avec ce livre, il quitte la fiction pour un essai sur quelques-uns de ses livres de chevets. Cathrine propose à ses lecteurs une réflexion sur six auteurs dont les livres, pour lui, « substituaient au silence, à l’angoisse et à l’isolement non pas le baume de la consolation […] mais la contemplation du vivant ». Il s’attarde sur Carson McCullers (Frankie Addams), Roland Barthes (Fragments d’un discours amoureux), Fritz Zorn (Mars), Sarah Kane (Anéantis, 4.48 Psychose), Jean Rhys (Bonjour minuit) et Françoise Sagan (surtout pour sa personnalité et sa fausse légèreté). Il n’en fait pas une lecture érudite et universitaire mais retrace le dialogue intime qu’il a entretenu avec ces textes. Autant d’écrivains, autant de fragments d’une trentaine de pages, comme les facettes d’une vie, en écho à ceux de Roland Barthes qu’il rachète et relit différemment à chaque fois qu’il tombe amoureux. Chacune de ces lectures l’aide à vivre, apporte un éclairage plus intense ou neuf à son existence et à son travail d’écriture parce que toutes résonnent dans sa propre expérience. Ainsi se dessine une sorte d’autobiographie, où apparaissent en filigrane son adolescence (à laquelle l’ennui et le besoin d’ailleurs de Frankie Adams font profondément écho), sa vie d’étudiant et d’écrivain. Cette petite communauté d’auteurs apparemment forts différents a en commun la résistance à tout ce qui est mortifère et particulièrement le conformisme, et le refus profond de tous les clichés. Tous, épris de liberté, ont voulu faire éclater les carcans, parfois au prix de la solitude (J. Rhys et F. Sagan), de la maladie (F. Zorn) ou de la mort (S. Kane). Arnaud Cathrine puise chez chacun d’entre eux l’énergie nécessaire pour à la fois construire sa démarche d’écriture et mener sa vie librement, loin de toute convention. Son livre sincère, sensible et sans concession, est une triple invitation. Invitation à lire ou relire ces auteurs, invitation à vivre debout et libre, invitation, peut-être, à écrire. ■ Marie-Françoise Brihaye (Lecture Jeune n°141) Réseau de lecture : Lecture Jeune a consacré un dossier à l’œuvre d’Arnaud Cathrine en septembre 2007 (n° 123). L’auteur proposait une « bibliothèque idéale » pour les adolescents que vous retrouvez sur le site de Lecture Jeunesse : www.lecturejeunesse.com


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Chandernagor Françoise, Les enfants d’Alexandrie, Albin Michel, 2011 Françoise Chandernagor évoque le destin de grands personnages historiques er du I siècle avant Jésus-Christ en privilégiant le point de vue de leurs enfants : Hélios, Séléné et Césarion. Après l’assassinat de César, deux hommes se livrent un combat sans merci pour la conquête du pouvoir ; Octave domine l’ouest des territoires soumis aux Romains, tandis que Marc-Antoine avance toujours plus loin vers l’Est, rêvant de reconstruire l’empire d’Alexandrie. L’Histoire a gardé le souvenir de sa passion pour Cléopâtre, reine d’Egypte, et de leur fin tragique après la défaite d’Actium et la prise d’Alexandrie. Le couple a eu des jumeaux, l’un blond, Hélios, l’autre brune, Séléné – le soleil et la lune, élevés pour régner e sur les royaumes à conquérir. Leur 3 enfant est un bébé fragile. Quant à Césarion, fils de César et de la jeune Cléopâtre, il doit devenir pharaon. Comme l’écrit l’auteur, il faut « plus que des connaissances, la naïveté du conteur, la témérité de l’explorateur, la folie du voyant et la foi du charbonnier » pour écrire un tel roman. C’est une réussite car cette approche sensible et documentée nous plonge au cœur des palais, de leurs intrigues, rendant vraisemblables ces hommes, leurs croyances et leur mentalité. Les Enfants d’Alexandrie est une terrifiante fresque historique dont on attend la suite annoncée en deux volumes. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°139)

Coulin Delphine, Samba pour la France, Le Seuil 2011 Samba, voici un nom qui évoque a priori la fête et la danse, mais dans ce roman, c’est celui d’un Malien qui vit une descente aux enfers dans la région parisienne. Ce jeune homme, qui a travaillé dix ans dans une France qu’il aime de façon quasi inconditionnelle, se rend à la préfecture pour renouveler sa carte de séjour et en sort menotté, direction le centre de rétention avant d’être expulsé du territoire. Une bénévole de la Cimade réussit à le faire sortir, mais commence alors pour Samba le calvaire de la clandestinité. Sans papiers désormais, condamné à fournir d’improbables « preuves de vie » et bien que soutenu par son oncle et des relations, il mène une vie de paria traqué, en proie à de nombreux employeurs véreux – une vie de misère, de terreur des contrôles et des dénonciations. Delphine Coulin décrit avec empathie cette déshumanisation, la fuite en avant, les moments de naufrage dans le désespoir ou la violence. Journaliste, bénévole à la Cimade depuis plusieurs années, elle a choisi d’écrire non pas un témoignage mais une fiction, riche de tous les récits qu’elle a entendus, de toutes les expériences qu’elle a vécues, avec un double système de narration : un narrateur omniscient pour la vie de Samba et une narratrice (à la première personne) pour la bénévole. Point de lourdeur idéologique ni de manichéisme, mais une écriture très visuelle, sensible aux atmosphères, aux lieux et à leurs odeurs, poétique parfois. La quête d’identité et de reconnaissance de Samba, le déni institutionnel de sa dignité d’être humain et la violence qu’il induit, l’impossibilité de trouver une place dans la société ne peuvent qu’intéresser et émouvoir de grands adolescents souvent fort sensibles à ces questionnements. ■ Marie-Françoise Brihaye (Lecture Jeune n °138)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents De Vigan Delphine, Les Heures Souterraines, JC Lattés, 2009 Mathilde travaille depuis plus de huit ans dans la même entreprise, en tant qu’adjointe du directeur marketing. Elle élève seule ses trois enfants depuis la mort de son mari. Elle est heureuse et épanouie professionnellement, mais sa vie bascule lorsque son supérieur hiérarchique lui retire peu à peu toute responsabilité, dénigre son travail et la relègue dans un sombre bureau à proximité des toilettes… Mathilde est victime de harcèlement moral et démolie psychologiquement. En parallèle, un médecin urgentiste d’une quarantaine d’années, Thibault, quitte son amante, qui ne partage aucun sentiment pour lui. Il dresse un bilan sombre de sa vie, hanté par la solitude. Après No et Moi (voir LJ n° 124) Delphine de Vigan poursuit sa critique de nos sociétés contemporaines fortement déshumanisées. Elle aborde ici la question du harcèlement moral, rarement traité dans la littérature française. Le roman se déroule sur vingt-quatre heures. Mathilde et Thibault ne feront que se croiser le temps d’un trajet de métro, dans cette ville cannibale, mais leurs vies vont-elles changer ? Bien que la thématique ne concerne pas les adolescents, les bons lecteurs (lectrices certainement) seront touchés par cette description du monde du travail et par la justesse des émotions. Le roman de Delphine de Vigan se lit d’une traite, porté par une écriture accessible et sincère et, en cela, en mesure de séduire un jeune public. Enfin, elle évite les clichés et un happy end qui aurait pu sonner faux. Un roman sur le monde de l’entreprise à faire découvrir aux plus jeunes. ■ Anne Clerc (Lecture Jeune n°131)

Desarthe Agnès, Le remplaçant, Editions de l’Olivier, 2009 Talentueuse conteuse, Agnès Desarthe nous entraîne dans une tendre et singulière évocation de son grand-père. Mais, nous explique-t-elle, « mon grand-père n’est pas mon grand-père ». L’homme aux multiples prénoms – Bouz, Boris, Baruch, « BBB (…) pour faire plus court » – est celui avec qui sa grand-mère a refait sa vie, après la guerre et la disparition de leurs époux respectifs dans les camps d’extermination. « Triple B avait le bon goût de n’être pas à la hauteur du disparu ; ni aussi beau, ni aussi intelligent, ni aussi poétique que le mort qu’il remplaçait. On avait perdu au change et c’était parfait ainsi, moins culpabilisant. » L’auteur convoque, ou plutôt recompose, ses souvenirs d’enfance : instants partagés, se résumant parfois à des sonorités, des couleurs ou des odeurs, à des objets, réinventés par le regard d’une petite fille curieuse, puis d’une adulte rêveuse. Elle dresse ainsi le portrait d’un homme discret, parfois lâche, qui laisserait indifférent ; un « remplaçant » qui a su se raconter et devenir un grand-père aimé. Ce n’est pas de lui pourtant dont l’auteur voulait parler : l’ouvrage devait être consacré au pédagogue Janusz Korzack, en réponse à une commande de son éditeur sur son héros favori, pour la collection « Figures libres ». C’est ainsi, Agnès Desarthe écrit « toujours l’histoire d’à côté, jamais celle que j’avais prévue ». Les jeunes lecteurs se laisseront totalement séduire par ce court récit à la langue si savoureuse et vivante. Ils seront sans aucun doute émus par la tendresse qui émane de liens familiaux à la fois ordinaires et un rien originaux. « Ces derniers temps, la réalité gagne de plus en plus de batailles contre la fiction. » Le texte d’Agnès Desarthe rappelle joliment le pouvoir de la littérature. Il constitue un parfait éloge de l’imagination et du romanesque. Il est également certainement ce « détour nécessaire », pour évoquer une histoire familiale meurtrie par la Shoah. ■ Hélène Sagnet (Lecture Jeune n°131)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Enard Mathias, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Actes Sud, 2010 (Domaine français) Dénigré par le Pape Jules II, Michel-Ange se rend à Constantinople, en réponse à l’invitation du sultan. Il y débarque le 13 mai 1506, n’ayant que trente ans, mais déjà célèbre pour son David. On lui demande de concevoir le plan d’un pont reliant Constantinople et l’un de ses faubourgs. Son séjour dans l’empire ottoman amène l’artiste à découvrir un autre monde, peu connu voire inconnu. Troublé par une ville qui recèle de nombreux secrets, Michel-Ange rencontre notamment le poète Mesihi, qui devient son guide parmi les rues et les foules d’une cité que l’artiste n’oubliera jamais. La formidable sensualité du texte nous révèle les tons, les parfums, les bruits et la matière de cette ville aux multiples facettes, un texte tantôt rythmé par la poésie et la sagesse des hommes, tantôt par leur envie et leur cruauté. On peut lire ce roman comme une sculpture : il faut bien l’observer sous tous ses angles pour en découvrir toutes les richesses insoupçonnées. ■ Benoît Petit (Lecture Jeune n°136)

Ernaux Annie, L’autre fille, Nil, 2011 « Je suis venue au monde parce que tu es morte et je t’ai remplacée ». La formule cingle, sobre et implacable. Annie Ernaux n’est pas une adepte de l’emphase. Cette soeur qu’elle n’a jamais connue a succombé à la diphtérie à 6 ans. Deux ans plus tard, Annie naissait. Un jour, elle surprend une conversation entre sa mère et une cliente. Il est question d’une « autre fille » « morte comme une petite sainte », « plus gentille que celle-là ». « Celle-là », c’est Annie Ernaux. Elle a 10 ans, et la scène du récit se grave de façon immuable dans son esprit. La directrice de collection des « affranchis » a demandé à ses auteurs d’écrire la lettre qu’ils n’avaient jamais envoyée. Tout en s’interrogeant sur la légitimité d’une missive adressée à une morte, Annie Ernaux explore le vide, nécessaire à son existence même, laissé par cette soeur fantomatique : « [t]u es l’anti-langage […]. Je ne peux pas faire un récit de toi. […] Tu n’as d’existence qu’au travers de ton empreinte sur la mienne. T’écrire, ce n’est rien d’autre que faire le tour de ton absence. Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. » Il ne s’agit donc pas de donner corps à cette fillette, de la ressusciter mais de comprendre comment les mots qui lui sont attachés ont eu prise sur la vie de l’auteur. L’écriture devient une exploration du lien avec ce double invisible et troublant – qu’Annie Ernaux remplace mais trahit par essence. L’auteur mène une réflexion sur son identité, son rapport au monde, la difficulté à se définir soi-même, l’importance des mots qui ont probablement déterminé son existence et comment elle a trouvé – usurpé ? – sa place. ■ Sonia de Leusse-Le Guillou (Lecture Jeune n°138)

Gaudé Laurent, La porte des enfers, Actes Sud, 2008 Dans une rue de Naples, le fils de Matteo et de Giuliana meurt sous les balles d’une bande mafieuse. Dès lors, la soif de vengeance prend possession de ses parents et détruit leur vie. Dans les ruelles envahies par les ordures et saccagées par les secousses telluriques, d’étranges personnages se croisent et s’allient pour que la vengeance s’accomplisse. Rien ne peut arrêter le désir d’extermination du père qui, comme Orphée, ose pénétrer au royaume des ombres pour en arracher son fils. Et la folie emporte la mère dont rien n’apaise la douleur. Ce récit sanglant et visionnaire modernise magistralement le mythe antique des Enfers. Le lecteur progresse dans la découverte d’une réalité monstrueuse où alternent récits à la première et à la troisième personne, temps présent et lointain passé. Ce choix narratif habile nous entraîne dans le royaume des morts, cet univers de ténèbres et de souffrances, qui donne des frissons d’épouvante. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°128)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Gaudé Laurent, Ouragan, Actes Sud, 2010 L’ouragan Katrina approche de la Nouvelle-Orléans puis se déchaîne, provoquant un effroyable chaos auquel tentent d’échapper ceux qui en ont les moyens. Ceux qui restent, en majorité Noirs et pauvres, sont confrontés au paroxysme des éléments déchaînés et prennent la mesure de leur vie face à la peur de la mort. L’auteur construit son récit chronologiquement, comme un chant choral, en douze chapitres où s’élèvent les voix d’une dizaine de personnages, tantôt distinctes, tantôt entrelacées. La voix inoubliable d’une vieille femme centenaire ouvre et clôt le récit : Joséphine Linc Steelson chante l’âme de la résistance des Noirs humiliés, en lutte pour la liberté et la dignité, émanation profonde de cette terre des bayous dont leur vie est indissociable. Un jeune couple, formé par Keanu Burns et Rose, incarne l’amour perdu, retrouvé et transfiguré par la rédemption. A l’opposé, on trouve, étroitement liés, le personnage du révérend blanc qui se croit l’instrument d’un Dieu vengeur, détruisant une humanité corrompue indigne d’être sauvée, et le groupe constitué par les dangereux prisonniers évadés. Ce choix narratif plonge le lecteur au cœur même du désordre engendré par l’ouragan, dans une confusion telle qu’il hésite parfois dans l’identification de ceux qui s’expriment. Le récit alterne les scènes de paroxysme, les visions apocalyptiques où la nature semble prendre sa revanche sur une humanité qui l’explore et la maltraite, et les instants de grâce où l’homme retrouve dignité et courage. A conseiller aux bons lecteurs qui se laisseront emporter dans ce torrent de violence, en dépit de certaines outrances mélodramatiques, et savoureront ce récit remarquablement orchestré. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°136)

Gaudy Hélène, Si rien ne bouge, Le Rouergue, 2009, (La Brune) Un couple de petits bourgeois accueille Sabine, adolescente défavorisée, pour les vacances, dans leur maison familiale. Action bienpensante ? Désir d’apporter une compagnie stimulante à Nina, leur fille unique de 14 ans ? Après une période d’apprivoisement mutuel – Nina fait découvrir les beautés de la région à Sabine – le séjour se déroule paisiblement… jusqu’à ce que les relations entre les jeunes filles se dégradent et deviennent peu à peu malsaines. Car Sabine réussit à convaincre Nina de s’intéresser davantage aux sorties, à l’alcool et aux garçons, qu’à la pinède environnante. La tension entre les quatre personnages, en huis clos dans leur maison de villégiature, s’amplifie au fil des pages. Hélène Gaudy décrit, avec beaucoup de justesse, la complexité des relations entre les parents et les adolescentes, mais aussi le rapport de fascination/répulsion et de dominé/dominant qui s’établit entre les deux jeunes filles. L’angoisse et la violence contenue des différents protagonistes envers l’inquiétante étrangeté de Sabine – dont personne ne connaît les origines ni même les parents – ne cesse de croître dans le roman. La fin de l’ouvrage devient presque insupportable tant la tension est à son apex. De plus, l’auteur ne conclut pas véritablement l’ouvrage, laissant le lecteur dans une position très déstabilisante. Ce surprenant refus d’achever l’histoire dérange et peut laisser le lecteur sur un sentiment mitigé. ■ Marianne Joly (Lecture Jeune n°132)

Geda Fabio, La séquence exacte des gestes, Gaïa éditions, 2011 A 12 ans, la vie n’est pas facile pour Marta qui doit veiller sur ses jeunes frères et sur sa sœur. Sa mère alcoolique perd la mémoire, son père part avec la femme qu’il aime, les laissant sans ressources. Un drame se produit : la plus jeune de la fratrie se noie accidentellement. Les services sociaux vont retirer à la mer la garde des enfants, désormais placés dans des centres d’accueil à Turin. Si Vincenzo et Gianluca restent ensemble, Marta doit s’adapter seule dans un foyer réservé aux adolescents. C’est là qu’elle rencontre Corrado, de quatre ans son aîné. Lui n’a qu’une idée en tête : trouver de l’argent pour organiser une grand fête à la sortie de prison de sa mère. Tous les moyens lui semblent bons, même les moins honnêtes. Ascanio et Elisa, les éducateurs qui prennent en charge les adolescents en souffrance, s’investissent totalement dans leur


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents mission. Jeunes adultes, ils sont eux-mêmes vulnérables et se trouvent confrontés à des choix difficiles ou des sentiments qu’ils ont du mal à affirmer. Le roman, très réaliste, leur rend hommage par une dédicace « à tous les éducateurs, pour le travail qu’ils font, à ce qui les anime, et à leur entêtement ». Ce récit, proche du vécu laisse place à l’émotion sans pour autant verser dans le pathos. Les rencontres, les gestes d’espoir, la communication, peuvent heureusement changer le cours de ces existences mal engagées. Facile à lire, le livre aurait pu être publié dans une collection pour adolescents. Les personnages, attachants vont partager le temps de leur jeunesse, une période difficile – « Marta a l’impression qu’une année s’est écoulée, mais il n’y a que quatre jours » – dont ils sortiront grandis. A conseiller à tous, dès le lycée. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°139)

Geda Fabio, Dans la mer il y a des crocodiles : l’histoire vraie d’Enaiatollah Akbari, Liana Levi, 2011 Enaiat est né en Afghanistan et appartient à l’ethnie Hazara, haïe des Pachtounes et des Talibans. Vers l’âge de 16 ans, sa mère l’emmène au Pakistan, pour le sauver de l’esclavage ou de la mort. Près de la frontière, elle l’abandonne avec trois commandements – ne pas se droguer, ne pas prendre les armes, ne pas voler – et un message d’espoir : « il faut toujours avoir un rêve au-dessus de la tête, quel qu’il soit, alors, la vie vaudra la peine d’être vécue ». Dès lors, il entame seul une lutte acharnée pour survivre. Il travaille dur, devenant successivement vendeur, manœuvre puis serveur. Ses pérégrinations le mènent vers l’Iran, la Turquie et la Grèce ; Par deux fois, il sera arrêté et reconduit à la frontière afghane, mais il repart aussitôt, remettant sa vie entre les mains des passeurs. Il franchit les montagnes, traverse la mer, laissant derrière lui des compagnons d’infortune, adultes ou jeunes, moins robustes ou malchanceux. C’est à Turin qu’il rencontrera Fabio Geda, éducateur d’enfants en difficultés et devenu depuis journaliste et écrivain. Le récit à la première personne laisse la parole à Enaiat. Ce parcours exemplaire n’est pas un récit brut. Parfaitement maîtrisé, il relate dans une écriture sans fioritures l’odyssée d’un clandestin qui a survécu à la misère et à la violence grâce à son incroyable détermination. Bien qu’il ne soit qu’un enfant, il sera rejeté et exclu dans tous les pays par lesquels il transitera, n’appartenant à aucune communauté. Après la lecture de ce texte, le regard sur les migrants pourrait bien changer… Un témoignage à faire découvrir absolument dès la fin du collège. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°139) Réseau de lecture : Ce livre fait écho au roman de Delphine Coulion, Samba pour la France (Seuil 2011, LJ n°138) dans lequel on suit le parcours d’un jeune Malien dans l’hexagone. Nous vous invitons à découvrir également le roman d’Ahmed Kalouaz, Je préfère qu’ ils me croient mort (Rouergue, « Doado Monde », 2011, LJ n°138)

Goby Valentine, Banquises, Albin Michel, 2011 En 1982, Lisa a accompagné sa sœur Sarah, de sept ans son ainée, à l’aéroport de Roissy, pour un vol qui devait l’emmener au Groenland. Sarah, qui n’était pas dans l’avion du retour, ne donnera jamais plus de nouvelles. La mère ne parvient pas à faire le deuil de sa fille disparue, le père, un scientifique, s’accroche désespérément à son travail, afin de mener une vie « normale ». Lisa a dû grandir dans l’absence de sa sœur, et dans son ombre : elle est devenue invisible pour sa mère, et a été reléguée à un rang subalterne pour tous. Car Sarah était une musicienne brillante, qui avait parcouru le monde pour vivre sa passion pour la musique et pour Diane, son amie et amante emportée par un cancer foudroyant. Toutes les hypothèses sont envisagées, de la fugue au suicide. Lisa a du surmonter cette souffrance, pour se construire, former une famille, devenir écrivain… Vingt-sept ans plus tard, elle part à son tour au Groenland accomplir une démarche administrative, afin de clore officiellement le dossier de disparition, et en finir une fois pour toutes avec cette attente infinie, cette existence en suspens. Elle


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents découvre une terre qui disparaît à cause du réchauffement climatique, une société en pleine décomposition. Le Grand Nord n’est plus synonyme de blancheur et de pureté, mais sent la pourriture et l’urine ; on n’y chasse plus la baleine : les hommes, obèses et alcooliques, abattent les chiens devenus inutiles… Parallèlement au drame d’une famille, le roman décrit le désespoir d’un peuple voué à la mort. Ce récit, poignant, possède une force particulière : l’écriture, d’abord marquée par des phrases courtes dont le rythme évoque le souffle coupé par l’émotion due à la disparition, devient ensuite d’une précision extrême, scientifique, pour montrer l’effacement de la banquise. L’émotion surgit de cette acuité, et du contraste ainsi créé. Le roman ne présente pas de difficultés de lecture, excepté la chronologie à rétablir. Les thèmes évoqués, la disparition et la menace écologique, ne laisseront pas les adolescents indifférents. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°140)

Goujon Patrick, A l’arrache, Gallimard, 2011 (Blanche) Deux éducateurs, Fred et le narrateur, emmènent en vacances quelques jeunes ; trois adolescents et deux filles. Ce séjour est l’occasion pour ce jeune adulte d’évoquer ses propres souvenirs d’enfance, ses copains, sa première histoire d’amour avec Claire qui vient de le quitter – une existence de banlieue un peu grise, sans drame ni délinquance, mais dont il aimerait bien se détacher. Comment dans les précédents romans de Patrick Goujon, on y trouve ses motifs récurrents : le cadre des cités-dortoirs, le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Ici, la nature offre une bouffée d’oxygène, une occasion de partager avec les jeunes, les repas, les nuits, les joies et les corvées. Les éducateurs cherchent à les épauler et tentent de leur donner un but. Les rapports sont chaleureux avec ces enfants sensibles, mais quelque fois agressifs. Le narrateur entretient une complicité fraternelle avec la plus jeune, Fatou, qui rêve de voir une cascade qu’elle ne connaît jusque-là qu’à travers un cliché publicitaire. Ce sera le prétexte d’une fugue en duo. Attachants, les personnages de Patrick Goujon sont bien décrits. Le quotidien est rendu par les menus détails qui réussissent à créer une atmosphère apaisante. La présentation de la collection demeurant assez austère, une jaquette aurait permis d’attirer davantage le lectorat adolescent. En revanche, le titre A l’Arrache résume parfaitement le récit de cette génération de jeunes adultes, ici mise en avant. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°139)

Gran Iegor, L’écologie en bas de chez moi, P.O.L, 2011 Un citoyen vertueux et bien attentionné de l’immeuble a gentiment placardé dans le hall l’événement immanquable de la semaine : la diffusion du film d’Arthus-Bertrand, Home, à la télévision. De Central Park au Champ -de-Mars, la gageure est d’y échapper. Alors quand ce bienveillant apôtre entreprend d’édifier ses voisins, c’en est trop pour Iegor Gran. Au pays de la libre pensée, il semble qu’une nouvelle Inquisition sévisse, prônant L’écologie en bas de chez [vous], surveillant attitudes « responsables » et gestes « durables ». Face à cette idéologie serinée à coup de greenwashing et de pathos culpabilisant, une tribune indignée publiée dans Libération (« Home ou l’opportunisme vu du ciel », 4 juin 2009) s’avérait trop courte. Iegor Gran reprend donc les armes pour quelques deux cents pages de papier non recyclé (!) et lance ses torpilles verbales contre la bonne conscience, le consensus, et la mollesse intellectuelle. La profusion des notes de bas de page, souvent grinçantes, ne doit pas décourager le lecteur : pamphlet plus qu’essai, récit humoristique sous forme d’autofiction – que l’auteur se fait un plaisir de satiriser par la même occasion –, le texte de Iegor Gran soulève paradoxes et tyrannie du discours écologique dominant. Pire encore, l’auteur dénie la sacralité de la nature et ose le primat de la culture ! Lassés des pieuses « éco-fictions » – le terme existe en effet… – pour la jeunesse, adolescents frondeurs, polémistes, ou simplement curieux devraient trouver ici matière à réflexion pour remettre en question panégyrique vert ou idées reçues. ■ Sonia de Leusse-Le Guillou (Lecture Jeune n°138)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Guenassia Jean-Michel, Le Club des Incorrigibles Optimistes, Albin Michel, 2009 Paris 1980, une foule s’est rassemblée au cimetière Montparnasse pour rendre un dernier hommage à celui que l’on devine être Jean-Paul Sartre. Michel, le narrateur, y retrouve Pavel, un vieux monsieur qu’il n’a pas revu depuis quinze ans. Commence alors le récit de son adolescence parisienne, de 1959 à 1964. Très jeune, il cherche à échapper à l’atmosphère familiale contraignante. Il partage son temps entre le lycée Henri IV et le café Le Balto, place Denfert-Rochereau où il devient un as du baby-foot. C’est un garçon passionné de littérature, de photographie et en admiration devant son frère aîné, Franck, et ses amis Pierre, le révolté et sa sœur Cécile. Mais sa vie bascule quand il découvre, dans l’arrière-salle du café, « le club des incorrigibles optimistes ». Ce sont des exilés des pays de l’Est qui ont fui la terreur stalinienne et les régimes communistes pour sauver leur peau, abandonnant leur famille, leurs biens et leur statut social. Chacun raconte sa vie de déclassé, contraint à la misère et aux petits boulots dans une France qui ne veut pas les intégrer. Dans ce bistrot chaleureux, tenu par un couple d’auvergnats, ils se livrent à leur passion, les échecs, tout en discutant bruyamment politique. Michel y croise Sartre et entend parler de Kessel, de Noureev. Il y découvre que, malgré leurs engueulades, ces hommes sont généreux et solidaires. Son initiation se poursuit sur fond de guerre d’Algérie, la désertion de son frère, et le divorce de ses parents, mal assortis. C’est dans ce chaos qu’il rencontre l’amour et Sacha, personnage étrange dont la mort atroce lui donne la clé de tous ces mystères. C’est un roman-fleuve ambitieux qui rend sensible toute une époque dans son quotidien comme dans ses enjeux politiques historiques. Cette abondance de références peut constituer un obstacle à la compréhension sauf si on se laisse emporter par les récits d’amours romanesques, des parties d’échecs mémorables, des fêtes russes à tout casser. L’auteur a su maîtriser son récit, trouver le ton juste, l’humour, pour exprimer la formidable énergie et la profonde humanité qui permet de survivre aux idéaux perdus. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°132)

Hamilton Hugo, Comme personne, Phébus, 2010 Lors des bombardements de Berlin, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une femme perd son enfant : « Il dormait dans son lit et jamais il ne se réveilla. Il avait presque trois ans et il passa directement de son rêve à la mort, entouré de ses crayons, de son carnet et du navire en bois que son grand-père lui avait fabriqué. » Bouleversée, cette mère endeuillée part rejoindre le père de son enfant, qui lui confie alors un petit garçon : un orphelin, trouvé en pleine débâcle. Ils le nommeront Grégor comme l’enfant trop tôt disparu… Cette histoire traumatisante, Gregor l’a apprise, mais à l’adolescence ; il est persuadé qu’il est juif, rescapé de l’Holocauste. Le père, revenu endurci par la guerre, n’a de cesse de lui apprendre à chasser et à survivre. Dès lors, à peine adulte, Gregor fuit sa famille adoptive et son pays. Plus tard, il se marie, devient luimême père, mais comme il n’a pu mener à bien sa quête d’identité, il ne parvient pas, à son tour, à assumer une famille. Le récit, entrecoupé de flash-back, converge vers une scène finale apaisée, à la campagne. Gregor retrouve la femme et le fils qu’il a quittés, avec ses meilleurs amis, revivant pour un temps un certain idéal communautaire des années 1970 en Allemagne. Cette enfance bouleversée par l’Histoire est évoquée avec des mots justes. On voit comment la recherche obsessionnelle de la vérité empêche un homme de vivre sa vie jusqu’à ces 60 ans. Le roman sera plus accessible aux jeunes adultes, par sa thématique, même s’il ne présente pas de véritable difficulté de lecture. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°134)


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Kasischke Laura, Les Revenants, Christian Bourgois, 2010 Que s’est-il réellement passé, par cette nuit de pleine lune, avant que Shelly découvre la scène de l’accident, au bord de la route : deux jeunes gens, d’une beauté parfaite, enlacés, semblables à deux statues de marbre blanc ? Le récit s’engage sous le sceau du secret car, curieusement, nul ne tient compte de son témoignage, ni la police, ni la presse locale. Le lecteur découvre peu à peu les protagonistes, étudiants et professeurs dans cette prestigieuse université américaine très sélective : un couple apparemment parfait, Craig et Nicole, pure jeune fille blonde que son petit ami tue accidentellement, sous l’emprise de la drogue, et qui revient hanter le campus ; Perry, l’étudiant boy-scout, travailleur, honnête et fidèle, promis à un bel avenir universitaire ; Mira Polson, jeune professeure, anthropologue, spécialiste du traitement des dépouilles mortelles, en butte à l’opposition de sa hiérarchie et empêtrée dans ses problèmes de couple ; Josie, la superbe étudiante qui piège Shelly, son employeur, dans une relation lesbienne. Mais qui sont-ils réellement ? Au fil de la narration, qui dose savamment les retours en arrière, le lecteur découvre d’autres facettes, d’autres masques, des vies secrètes. Dans cette résidence de Godwin Honors Hall, qui rappelle étrangement les demeures des nouvelles d’Edgar Poe, l’antique société Omêga Thêta Tau recrute de jeunes étudiantes de la bourgeoisie et les initie à des rites aux risques mortels ; pourtant l’horreur ne naît pas de la possibilité d’une existence après la mort ou de revenants qui viendraient hanter le monde des vivants, mais bien du pouvoir de sociétés secrètes se livrant à d’effrayants rites initiatiques et dont les liens s’étendent bien au-delà de l’université, dans la bonne société américaine. On garde en mémoire, selon les saisons, des visions colorées ou monochromes, sombres et inquiétantes images à la réalité incertaine. Les revenants est un roman à recommander aux bons lecteurs car sa structure est complexe et offre une pluralité d’interprétations.■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°140)

Kasischke Laura, En un monde parfait, Christian Bourgois, 2010 Jiselle, hôtesse de l’air, trentenaire, parcourt le monde, sans attache, jusqu’au jour où elle épouse Mark Dorn, un pilote de ligne séduisant et très courtisé… Elle quitte tout pour s’installer chez lui et devient la belle-mère de deux adolescentes, Camilla et Sara, ainsi que d’un jeune garçon, Sam. Les jeunes filles sont résolument hostiles tandis que le garçon lui laisse sa chance… Et Mark est déjà absent entre deux vols longs courriers. En parallèle, les EtatsUnis font face à une épidémie de grippe mortelle qui fait de nombreuses victimes (dont Britney Spears !). le monde semble approcher de l’Apocalypse et Jiselle, livrée à elle-même, porte à bout de bras cette famille qui devient la sienne, au-delà des liens du sang. Laura Kasischke poursuit sa critique de la société américaine, en apparence lisse mais dont elle souligne les moindres failles. La première partie du livre semble être la simple histoire d’une trentenaire (enfin) mariée, alors que par la suite, les enjeux sont autres : comment survivre quand tout devient hostile ? Peut-on être mère au-delà des liens du sang ? Au final, Jiselle se révèle une femme forte, généreuse et capable de fidéliser ce petit noyau familial. L’auteur décrit la nature environnante, omniprésente, tour à tour étouffante ou « bienveillante », comme si elle reprenant ses droits et Jiselle accepte, sans résignation, le rôle qui lui revient : tenir bon aussi longtemps que possible. Jusqu’à une mort qui semble inéluctable. ■ Anne Clerc (Lecture Jeune n°136)


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Kasischke Laura, La couronne verte, Christian Bourgois, 2008 Anne, Michelle et Terri, trois américaines « typiques ». Lycéennes, belles, et sages, elles partent en vacances à Cancún, avec les recommandations de leurs mères respectives. Le séjour s’annonce, sans surprise, sous le soleil, et constitué de simples plaisirs adolescents : flirts, alcool, fêtes, dans un univers où le superficiel prédomine. Anne et Michelle acceptent de visiter les ruines de Chichén Itzá, en compagnie d’un inconnu. Tout bascule à cet instant. Le roman semble alors se fondre dans le surréalisme. La réalité côtoie les anciens mythes mayas pour mieux rejoindre une issue dramatique. Après le brillantissime Rêves de garçons (voir LJ n° 124), l’auteure dresse le portrait d’adolescentes vulnérables, en proie aux désirs implacables des hommes. Là encore, tout repose sur la construction narrative. L’alternance des points de vue d’Anne et Michelle et les descriptions des lieux, des odeurs, des couleurs, de la nature environnante. Laura Kasischke parvient à rendre compte d’une situation dramatique par la mise en place d’un univers onirique où les personnages semblent se dématérialiser. Cette atmosphère amplifie la situation et emporte le lecteur dans la chaleur mexicaine. On retrouvera également une critique de la société américaine, figée dans sa jeunesse outrancière et sans repère, où les âmes pures finissent par se désincarner. ■ Anne Clerc (Lecture Jeune n°128)

Kawakami Mieko, Seins et œufs, Actes Sud, 2012 Makiko vit dans l’obsession de redonner du volume à sa poitrine, désespérément plate depuis la naissance de Midoriko, 12 ans plus tôt. Pour programmer une chirurgie plastique, elle se rend à Tokyo avec sa fille et loge chez sa jeune sœur Natsu, trentenaire célibataire. Tandis que Natsu porte un regard critique sur la situation, Midoriko s’enferme dans le silence, perturbée tant par le désir incompréhensible de sa mère que par sa puberté naissante. Le récit de Natsu alterne avec le carnet intime de l’adolescente. Cette relation douloureuse entre mère et fille est traitée avec beaucoup de justesse. Elles ressentent de manière radicalement différente leur rapport au corps et à la féminité. Au-delà de la situation des femmes dans la société japonaise, cette tragi-comédie souligne le poids et la tyrannie de l’image. Il va sans dire que ce roman intergénérationnel concernera davantage un lectorat féminin. Concis, d’un style fluide quoique direct et parfois cru, ce récit séduira notamment les adolescentes familières des Shojo manga et pourra attirer également des lectrices moins aguerries, d’autant qu’il est mis en valeur par une très belle couverture. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°143)

Le Clézio Jean Marie Gustave, Ritournelle de la faim, Gallimard, 2008 (Blanche) L’histoire dans l’Histoire : Ethel n’a que dix ans lorsqu’elle découvre l’Exposition Coloniale avec son grand-oncle Soliman. Celui-ci éveille pour toujours sa curiosité sur le monde. La petite fille se lie d’amitié avec Xénia, une exilée russe. Les réunions hebdomadaires dans le salon paternel font écho à la catastrophe annoncée : la guerre, précédée par une vague d’antisémitisme. Jusqu’alors, bercée par la confusion des voix, Ethel ne donnait pas de sens aux propos des adultes. Devenue adolescente, elle découvre leur hypocrisie et leur cupidité. Face à l’image négative de ce microcosme social, de cette bourgeoisie d’affaires opportuniste et raciste, la jeune fille se forge une pensée positive. Avec ce personnage emblématique, le roman donne une clef de l’œuvre de l’auteur : l’adolescence est souvent synonyme de clairvoyance (Ethel rappelle Esther, l’« Étoile errante » qui a fui la France pour Israël). Ce roman de la mémoire s’inspire de la biographie de la mère de l’auteur.


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Le portrait maternel émeut et la personnalité de l’écrivain se dessine en creux : « J’ai écrit cette histoire en mémoire d’une jeune fille qui fut malgré elle une héroïne à vingt ans. » Cette jeune fille lutte pour un monde plus juste, honore les valeurs que ne respectent plus les adultes. Ethel est une adolescente idéalisée qui touchera un public de jeunes adultes. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°129)

Malte Marcus, Toute la nuit devant nous, Zulma, 2008 Trois nouvelles, sans lien entre elles, composent ce recueil. « Le fils de l’étoile » se déroule lors d’une colonie de vacances. François se singularise des autres garçons et prend sur le narrateur, Mestrel, un ascendant d’autant plus fort que ce dernier devient le bouc émissaire de ses camarades. Ces deux solitaires connaîtront une amitié fusionnelle et le plus fort vengera le plus faible… L’atmosphère particulière repose sur la fascination et la répulsion inspirées par le personnage central. À cette dualité s’ajoute l’opposition entre les registres : réaliste et fantastique. La deuxième nouvelle décrit comment quatre adolescents décident de sacrifier leur vie pour attirer l’attention sur le désastre écologique qui menace la Terre. La préparation de leur action se déroule, implacable et bouleversante ! La troisième nouvelle a pour cadre Marseille, le football et les quartiers Nord. « Le père à Francis » a essayé de sauver les « minots » de sa cité, mais aujourd’hui il est mort. Un adolescent, en prison, se souvient. Il a laissé filer la chance que lui offrait cet homme généreux. Une histoire juste, jusque dans le langage du jeune homme et la nostalgie terrible qui s’en dégage. Trois ambiances radicalement différentes, pour un thème commun : l’adolescence, associée à la mort. Des récits d’une lecture facile, avec une chute tragique, dont le lecteur ne ressort pas indemne. À réserver à des lecteurs assez matures. Un petit chef-d’œuvre du genre ! ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune, n°129)

Martinez Carole, Du domaine des murmures, Gallimard, 2011 (Blanche) 1187. Le jour de ses noces, Esclarmonde refuse de dire « oui ». Afin d'échapper à la colère de son père, châtelain régnant sur le domaine des Murmures, elle choisit de s'offrir à Dieu. Emmurée dans une minuscule cellule adossée à l'église, la jeune fille pense « mourir au monde ». Mais les villageois viennent bientôt confier leurs péchés à celle qu'ils considèrent déjà comme une sainte. De plus, Esclarmonde a un secret : violée la veille de sa réclusion, elle est enceinte. Commence pour elle une vie d'attente et de souffrances, mais aussi une intense expérience mystique. Dans ce deuxième roman, Carole Martinez (Le Cœur cousu, paru en 2007 aux éditions Gallimard) dresse un magnifique portrait de femme. Courageuse, touchante lorsqu'elle découvre la maternité, Esclarmonde ne cesse de lutter pour imposer sa volonté dans une société médiévale exclusivement dirigée par les hommes, religieux ou laïcs. Du domaine des murmures est aussi un roman de batailles dans lequel on suit le père et les frères d'Esclarmonde en Terre Sainte, où ils rejoignent les troupes de l'empereur Frédéric Barberousse. Un autre poncif de la littérature médiévale abordé dans ce roman, l'amour courtois, donne lieu à de savoureuses remarques ironiques de la part de l'auteur. A ce titre, la transformation du promis d'Esclarmonde, Lothaire de Montfaucon, de guerrier sanguinaire en troubadour sensible, est édifiante. Enfin, l'écriture est simple mais riche, et les lecteurs ne manqueront pas d'être touchés par ce long monologue d'une jeune fille de 15 ans, étonnement moderne pour son époque. Carole Martinez a remporté avec Du domaine des murmures le Prix Goncourt des lycéens 2011. ■ Cyrielle Bonnot (Lecture Jeune n°140) Réseau de lecture : Sur les mêmes thèmes (condition des femmes au Moyen âge et leur rébellion, religion …) on pourra lire La Passion selon Juette de Clara Dupont-Monod.


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Maynard Joyce, Long week-end, Philippe Rey, 2010 Henry, 13 ans, vit reclus avec sa mère, Adèle. À la veille du long weekend du « Labour Day », et alors que la rentrée rapproche, ces deux esseulés vont faire quelques achats au supermarché du coin. Frank, prisonnier évadé, décide de se cacher chez eux, mimant une prise en otage. L’homme va bouleverser l’équilibre précaire de cette famille monoparentale, flirtant avec la mère et jouant à la figure paternelle aux côtés du fils. Le tout dans une atmosphère étrange et moite de fin d’été. Dès les premières pages, le roman est saisissant. Henry, le narrateur, raconte le récit comme un souvenir alors qu’il est désormais âgé d’une trentaine d’années. Il se remémore l’amour intense qui s’était installé entre lui et sa mère, sa puberté naissante et la culpabilité qu’il éprouvait alors qu’il était plein de désir pour les filles. Henry décrit également comment Franck est devenu ce meurtrier en cavale, lui qui semble profondément humain. Le jeune garçon ne sait pas s’il doit se réjouir de voir sa mère, amoureuse, craignant de perdre sa place. Joyce Maynard livre un roman à l’écriture remarquable et de beaux personnages, complexes et touchants. L’humour est présent au fil des pages, l’intrigue surprenante et Joyce Maynard offre une figure d'adolescent parfaitement aboutie à laquelle de nombreux lecteurs s’identifieront. ■ Anne Clerc (Lecture Jeune n°133)

Miano Léonora, Les Aubes écarlates, Plon, 2009 Après L’Intérieur de la nuit et Contours du jour qui vient (Prix Goncourt des lycéens 2006), Leonora Miano continue sa trilogie africaine. Le personnage central, Epa, a été enrôlé de force dans les troupes d’un meneur fou qui prétend s’emparer d’une région d’Afrique subsaharienne. L’adolescent, dont le frère a été sacrifié sous ses yeux, prend part avec les autres enfants soldats aux actes de barbarie perpétrés par la bande rebelle dans les villages. En fuite, seul, il se sent entouré de présences hostiles, ombres enchaînées venues demander réparation pour les crimes du passé. Sur tout le continent africain, les âmes des esclaves déportés sèment la folie dans les esprits en attendant que justice leur soit rendue, car elles n’ont pas trouvé le repos que leur procurerait une stèle pour honorer leur mémoire. Les thèmes initiaux du roman – la guerre, l’enfant-soldat – découlent de la violence majeure dans l’histoire du continent : les razzias de la traite négrière, aujourd’hui occultée, à laquelle ont participé les marchands d’esclaves africains. Epa, recueilli par Ayané, qui soigne les victimes de la violence, va reprendre goût à la vie et tenter de ramener les enfants enlevés du village. Il importe de rendre à la communauté ses enfants, de la même manière qu’il faut rendre justice à la mémoire des disparus. Porteur d’un message fort sur le devoir de mémoire, le roman est d’une écriture poétique indéniable. Comme une mélopée, les voix des disparus scandent la tragédie, à la manière du chœur des Erinyes dans le théâtre grec. Le texte se prête parfaitement à une lecture à haute voix. Néanmoins, cet ouvrage « difficile », sur un volet méconnu de l’histoire, aura besoin de la médiation des enseignants, ou des bibliothécaires. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°132)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Morisson Toni, Un don, Christian Bourgois, 2009 C’est à la fin du XVIIe siècle, dans une Amérique naissante et chaotique, alors que racisme et esclavage ne se confondent pas encore, que se déroule le nouveau roman de Toni Morrison (prix Nobel de littérature 1993). Dans ce contexte historique bien particulier où les esclaves peuvent être noirs, blancs ou indigènes, l’auteur mène une réflexion sur la signification de la « servitude » en suivant Florens, une jeune fille donnée par sa mère à Jacob Vaark dans l’espoir de lui offrir une vie meilleure. À la voix principale de Florens, que l’on voit passer, au fil du roman, du statut d’esclave à celui d’esclave de la passion, se mêlent, comme autant de variations sur la notion de servitude, les voix des autres habitants du domaine Vaark : Rebekka, la femme de Sir choisie par arrangement, Lina, la gouvernante totalement dévouée, ou encore la bien nommée Sorrow, la sauvage simple d’esprit aux étranges pouvoirs. Au-delà de la réflexion sur l’esclavage, on retrouve les thématiques chères à Toni Morrison, comme celle de la maternité : Florens est hantée par sa mère, a minha mae, qui revient de manière obsédante lui expliquer qu’elle ne l’a pas abandonnée, mais a tenté de lui faire « don » d’une vie meilleure. Le roman est servi par la magnifique plume de Toni Morrison (totalement respectée par la traduction d’Anne Wicke), maniant les beautés de la langue avec une incroyable fluidité et une grande poésie, réussissant ainsi à faire surgir la beauté fulgurante de l’horreur du quotidien. ■ Marianne Joly (Lecture Jeune n°131)

Murakami Haruki, Saules aveugles, femme endormie, Belfond, 2008 Une jeune fille promet à son petit copain qu’elle fera l’amour avec lui quand elle aura un mari. Victime d’un singe kleptomane, une jeune femme sent son propre nom lui échapper. Au cours d’une promenade, un médecin ramasse une pierre en forme de rein, qui ferait un bon presse-papiers dans son cabinet. Mais la pierre ne tient pas en place. Un détective « totalement bénévole », que cela « intéresse énormément, sur un plan personnel, de localiser les personnes qui ont disparu », recherche un homme d’affaires volatilisé entre le vingt-quatrième et le vingt-sixième étage de son immeuble. Vainement. Singulières, envoûtantes, bien qu’inégales, voici vingt-trois nouvelle du grand Murakami. L’occasion de se laisser ravir par l’art du conteur, par son univers insolite, traversé de hasards et de coïncidences, d’étranges échappées oniriques. Le fantastique de Murakami possède une séduction tenace, un humour désinvolte dignes de Buñuel. Narquois, l’auteur renvoie personnages et lecteurs à leur propre perplexité, sans proposer d’explication : « Des choses qui commencent sans raison s’arrêtent sans raison. Le contraire peut être vrai aussi. » ■ Charlotte Plat (Lecture Jeune, n°129)

Murgia Michela, Accabadora, Le Seuil, 2011 Sardaigne, années cinquante. Tzia Bonaria, une femme seule, sans âge et sans enfant, recueille Maria, fillette de six ans, benjamine d’une veuve qui a voulu se débarrasser à bon compte d’une bouche à nourrir. Maria, dite « fille de l’âme», grandit choyée par sa mère adoptive qui lui permet d’étudier. Mais Tzia, qui exerce le métier de couturière, s’absente parfois en pleine nuit, mystérieusement, revêtue de son châle : sa mission véritable, reconnue au village, est d’être l’ « Accabadora », celle qui soulage les personnes âgées et souffrantes en les aidant à mourir... Et ce même si la victime est un homme jeune, qui appelle la délivrance, et est, de surcroit, le premier amoureux de sa filleule. Lorsque Maria découvre ce rôle « social », elle ne supporte pas une si terrible vérité et s‘enfuit. Pourtant, précisément parce qu’elle est « l’élue » de Tzia, Maria héritera du don de sa mère adoptive. Sur cette terre méditerranéenne si aride, l’euthanasie est une pratique ancestrale qui se pratique sans susciter de débat. Le thème de la transmission est au cœur du roman, qui plonge le


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents lecteur dans un univers de croyances, où il serait bien difficile de juger de la légitimité de cette fonction, car la relation à la vie et à la mort n’a pas ici le même sens. L’écriture de Michela Murgia rend parfaitement la poésie et l’acuité de ces existences. A Maria qui l’interroge sur le deuil, Tzia répond de manière sibylline : « Le chagrin est nu. Le noir sert à le couvrir, non à l’exhiber». Ce livre, comme la parole de Tzia, suscite la méditation, et demande une médiation auprès des adolescents. Le roman vient d’obtenir le prix Page des Libraires, sélection littérature européenne. ■ Cécile RobinLapeyre (Lecture Jeune n°140)

Nimier Marie, Les inséparables, Gallimard, 2008 (Blanche) Après La reine du silence (Prix Médicis 2004, voir LJ n° 113) Marie Nimier revient à nouveau sur son enfance et convoque la figure de Léa, amie précieuse. L’auteur évoque les petites choses de leur jeunesse dans le quartier des Champs-Élysées d’un Paris des années 60. Famille recomposée pour les deux fillettes, père absent, Marie trouve dans la famille de sa copine un brin de loufoquerie, notamment dans le personnage de John Palmer, beaupère américain, qui offrira aux gamines comme animal de compagnie Rommel, un fennec. Si différentes, les petites filles sont comme fascinées l’une par l’autre : Marie l’enfant sage, Léa l’exubérante. À l’adolescence déjà elles tenteront des expériences distinctes. Pourtant elles seront toujours là l’une pour l’autre, liées, inséparables. Mais Marie ne parviendra pas à empêcher Léa la flamboyante de s’abîmer dans la drogue, puis la prostitution. Dans ce texte sincère, et certainement nécessaire, l’auteur tente de revenir sur ces instants, où peut être la vie a basculé. Jamais elle ne juge son amie. L’ouvrage tout entier dédié à ce portrait passionné de Léa touche le lecteur. Il en émane un très joli souffle de vie, qui fait tenir debout, bien vivantes, les deux amies. ■ Hélène Sagnet (Lecture Jeune n°128)

Oates Joyce Carol, Petite sœur, mon amour, Philippe Rey, 2010 Skyler est le fils aîné de Betsey et Bix Rampike, nouveaux riches portés par la réussite professionnelle de Bix. La relation entre les parents est compliquée, ce qui rejaillit forcément sur les enfants. Dès son plus jeune âge, Skyler, peu à l’aise socialement, est pris en charge par divers médecins qui lui diagnostiquent tous les troubles psychiques possibles et imaginables et lui prescrivent toutes sortes de médicaments. Bliss, la cadette, Edna Louise de son vrai prénom, fait les frais des rêves brisés de sa mère qui a toujours voulu être patineuse artistique. Un matin de janvier 1997, le jour de ses 7 ans, Bliss est retrouvée au fond de la chaufferie, le crâne fracassé, dans une position étrange et légèrement aguicheuse. Un pervers sexuel, Gunther Ruscha, obsédé par Bliss, finit par avouer le crime et se suicide peu de temps après en prison. Pour Skyler, l’enfer commence. Entre établissements scolaires spécialisés et centre de désintoxication à cause de tous les médicaments qu’il ingère, Skyler, abandonné par ses parents, passe dix ans dans une espèce de brouillard psychique et affectif. S’emparant d’un fait divers qui a passionné l’Amérique, Joyce Carol Oates nous livre sa version des faits dans un roman sombre, tragique et fascinant. On y retrouve les thèmes qu’elle affectionne particulièrement : la famille dysfonctionnelle, la perversion de la religion, la bêtise des médecins et psychologues, l’obsession de l’argent et de la célébrité. C’est un véritable document à charge contre tous les excès américains, contre ces modes de vie outranciers érigés comme modèles mais qui basculent dans l’absurde, et dont les premières victimes sont forcément les enfants. C’est une lecture passionnante mais qui ne laissera pas le lecteur indemne. L’aventure en vaut la peine, tant il est rare d’assister au dépeçage minutieux et méthodique de l’âme humaine, dans ce qu’elle a de plus détestable et de plus touchant. Un roman bouleversant.■ Cécile Chartres Autre avis : A travers l’oeuvre de Joyce Carol Oates, que ce soit en littérature générale ou dans les romans qui s’adressent au public adolescent, apparaissent de manière récurrente des personnages adolescents tourmentés, filles ou garçons, ne rentrant pas dans les normes de la société américaine.


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents La « religiosité » imprègne les familles bien-pensantes, et le sport - avec l’importance que lui confèrent les médias - devient une sélection suprême. L’auteur montre une certaine empathie avec ces êtres sacrifiés par leurs parents, qui ont subi un traumatisme dans l’enfance, victimes d’adultes manipulateurs. Rongés par la douleur et la culpabilité, les héros de Petite soeur, mon amour tout comme dans le roman Un endroit où aller (Albin Michel Jeunesse, 2010) trouvent refuge dans l’absorption à outrance de calmants. Ces enfants, éprouvés par la violence, deviennent des témoins borderline, chroniqueurs de cellules familiales qui volent en éclat. Malgré sa longueur, le roman touchera un public de jeunes adultes, les 15-25 ans, non seulement par sa thématique, mais aussi par sa forme : un journal, entrecoupé de fac-similés et par le procédé d’interpellation directe du lecteur. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°137)

Obreht Téa, La femme du tigre, Calmann-Lévy 2011 Natalia a passé son enfance dans une ville des Balkans, élevée par son grandpère médecin, homme à la forte personnalité qui emmenait souvent la fillette au zoo, en lui racontant des histoires… Le temps passé, la guerre finie, Natalia est aujourd’hui une jeune femme, qui a naturellement suivi sa vocation de médecin. Dans ce contexte, elle accepte une mission humanitaire, aller vacciner des enfants orphelins de l’autre côté de la frontière, dans un pays qui était, il y a peu, le territoire ennemi. En chemin, elle apprend la mort de son grand-père, qui lui avait confié, à elle seule, sa grave maladie. La ville où elle se rend pour chercher les derniers effets personnels du vieil homme est le berceau natal de celui-ci. Les histoires qu’il lui contait autrefois, entre anecdotes et fables, se mêlent à la réalité présente. Ces récits en contrepoint, l’histoire de « l’homme qui ne mourra jamais » et celle de la « femme du tigre », permettent de comprendre comment la haine s’est instillée entre les différentes ethnies des Balkans, comment les conflits religieux ont engendré des guerres fratricides. Le mythe prend toujours le pas sur le réalisme : l’auteur, elle-même très jeune pendant cette période, a choisi de raconter autrement cette guerre, et la réflexion sur l’histoire et la violence est ainsi sublimée par l’aspect onirique. Le roman donne une importance capitale au thème de la transmission : le livre refermé, le lecteur gardera la mémoire d’une petite fille qui marche à la découverte du monde, main dans la main avec un grand-père complice, Le Livre de la Jungle en poche. Un livre magnifique, original par le ton proche de celui du conte, et par la manière de percevoir et de décrire l’ex-Yougoslavie : à faire lire aux plus âgés des lycéens, même s’ils ne connaissent pas parfaitement cette période de l’histoire récente. Le roman vient d’obtenir le prix « Page des Libraires » de la sélection américaine, après avoir remporté l’Orange Prize, décerné chaque année au Royaume Uni à une écrivaine de langue anglaise, quelle que soit sa nationalité. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°140)

Olafsdottir Audur Ava, Rosa Candida, Zulma, 2010 A 22 ans, Arnljotur quitte son île, l’Islande, et sa petite cellule familiale – son frère jumeau, autiste, et son vieux père. Sa mère vient de décéder accidentellement. La passion du jardinage était le lien qui les unissait, en particulier la culture de la « rosa candida », fleur rare qui pousse dans la serre de leur jardin. C’est là précisément, qu’Arnljotur a conçu, fortuitement, un enfant avec Anna, une jeune étudiante qu’il n’a connu qu’un « quart de nuit ». Le jeune homme part pour un continent qui n’est pas nommé, rejoindre un monastère où il sera chargé de restaurer un jardin naguère magnifique. Entretemps, il fera des rencontres, affrontera l’épreuve de la maladie mais réussira à sauver les précieuses boutures qu’il a emportées. Les recettes de cuisine, échangées au téléphone avec son père, restent les maillons qui entretiennent le souvenir de sa mère. Tout est symbole, depuis le jardin qui évoque d’Eden, jusqu’au nom de la rose qui évoque naturellement notre Candide voltairien. Aucune ressemblance n’est gratuite… Et pourtant, point de lourdeur dans ce roman merveilleux, avec un héros doté d’une candeur angélique : lorsqu’Anna vient le rejoindre avec sa petite fille (Flora Sol !), il découvre d’abord les joies de la


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents paternité, ensuite les sentiments qu’il éprouve à l’égard de la jeune femme, comme une histoire d’amour « à l’envers ». Sans aucun doute, cette histoire va conquérir les jeunes, car elle pose avec humour les questions existentielles, de la mort, de l’amour et du départ, symbolique ou réel, que chaque adolescent doit prendre pour gagner l’âge adulte, et s’épanouir, selon la métaphore… Fraîcheur, grâce, ingénuité, optimisme – tous ces qualificatifs, devenus denrées rares dans le roman contemporain viennent à l’esprit pour décrire l’atmosphère de ce récit original et empreint de poésie. Il a d’ailleurs conquis les professionnels du livre en remportant le prix Page des Libraires, sélection littérature étrangère, de cette rentrée littéraire. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°136)

Ovaldé Véronique, Ce que je sais de Vera Candida, Editions de l’Olivier, 2009 « Rose Bustamente, la grand-mère maternelle de Vera Candida, avant de devenir la meilleure pêcheuse de poissons volants de ce bout de mer, avait été la plus jolie pute de Vatapuna ». Dans une Amérique du sud imaginaire, baroque, colorée et moite, trois générations de femmes affrontent leur destin : la violence des hommes, la maternité non choisie… Vera Candida, petite fille de Rose, choisit de rompre avec ce qui ressemble à de la fatalité : à 15 ans, enceinte, elle quitte l’île de Vatapuna. Loin des démons du passé, elle tente de prendre son destin en main, élève sa fille Monica Rose, et rencontre Itxaga qui tombe fou amoureux d’elle. Forcément, elle retournera à Vatapuna… Fable initiatique, saga familiale, le souffle romanesque de Ce que je sais de Vera Candida emporte… La langue de Véronique Ovaldé est sonore et joliment ornée ; elle construit un univers teinté de fantaisie et de merveilleux qui réjouit dans l’avalanche de textes « réalistes ». L’auteur nous offre ici des personnages hauts en couleurs, inoubliables ; des femmes fortes, en lutte et si vulnérables (l’ouvrage ne devait-il pas s’intituler Vies amazones ?). Les jeunes lecteurs ne s’y sont pas trompés en attribuant à Ce que je sais de Vera e candida le 18 prix Renaudot des lycéens. ■ Hélène Sagnet (Lecture Jeune n°132)

Ovaldé Véronique, Des vies d’oiseaux, Editions de l’Olivier, 2011 A Villanueva, une série d’étranges infractions sont signalées à l’inspecteur Taïbo. Les somptueuses villas de la côte ont été habitées à l’insu de leurs propriétaires, mais rien n’a été dérobé. De même, l’entrée de la bijouterie a visiblement été forcée, les stocks désorganisés, sans qu’un diamant ne manque à l’appel. Sur la vidéo de surveillance, on aperçoit les coupables : un couple, dont une jeune fille portant fièrement un loup et une moustache tracé au crayon. Malgré son esprit affûté, le lecteur se trompe s’il soupçonne ce texte d’être une affaire policière poétique. Véronique Olvadé nous mène sur une fausse piste, et tisse entre les lignes la trame d’une enquête sentimentale. L’amour filial est le motif majeur de cette toile : Vida, première plaignante, est certaine que sa fille Paloma est la squatteuse recherchée par Taïbo. Cela fait un an qu’elle a fugué de la cage dorée où séjourne sa mère, rejetant en bloc la vie bourgeoise offerte par ses parents. Avant son mariage, avant Villanueva, Vida vivait à Irigoy, territoire où la pauvreté et la violence règnent sans partage. L’inspecteur l’y entraîne sur les traces de sa fille, faisant le premier pas qui l’unira à cette femme mélancolique. A cet amour naissant répond celui de Paloma pour le jeune homme d’Irigoy qui a organisé son évasion. Les voix de la mère et de la fille se partagent équitablement le roman, interrogeant les similitudes qui les rapprochent sans qu’elles ne s’en doutent : toutes deux ont dû rompre avec le monde où elles sont nées pour acquérir l’indépendance, qui ne sera complète que lorsqu’elles auront appris à se réconcilier avec leurs origines. Car c’est au fond un récit sur la « réconciliation » que nous livre l’écrivain, avec un langage qui captive le lecteur par la douceur de sa musique, sans cesser de l’étonner par la poésie qu’il porte sur les êtres et le monde. ■ Marion Jagu (Lecture Jeune n°140)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Raymond Jon, Wendy et Lucy, Albin Michel, 2010 (Terres d’Amérique) Deux nouvelles de ce recueil ont fait l’objet d’adaptations à l’écran par la réalisatrice Kelly Reichardt ; peu de points communs entre elles, si ce n’est le cadre, l’Ouest américain, et des personnages qui veulent aller jusqu’au bout de leur quête. L’auteur décrit les problèmes sociaux d’une Amérique qui tente de se définir dans un espace ni urbain ni sauvage. Chaque texte possède cependant un univers propre et une thématique différente : la violence des relations entre les enfants, la difficulté de communication entre jeunes et adultes, l’ami d’enfance qui a mal tourné, un homme qui malgré sa réussite sociale se retrouve seul…Dans la dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil, une jeune fille quitte avec sa chienne le Sud des Etats-Unis et l’ouragan Kathrina, pour chercher du travail dans une conserverie d’Alaska. Mais le roadmovie s’interrompt lorsque sa voiture tombe en panne. Arrêtée pour un petit larcin dans un supermarché, elle perd sa chienne et l’équipée tourne court. Wendy sacrifie ce qu’elle a de plus cher – l’amour de sa chienne – et reprend la route seule : le voyage symboliserait-il ce passage douloureux vers l’âge adulte ? Beaucoup d’émotion dans les portraits de gens ordinaires, de jeunes qui partent à la dérive, de losers, et de solitaires. Un recueil idéal pour faire découvrir aux lycéens l’art de la short story, en comparant les nouvelles et les films qui en ont été adaptés. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°137) Réseau de lecture : Nous vous invitons à (re)voir le film Wendy et Lucy réalisé par Kelly Reichardt (2008).

Reysset Karine, Les yeux au ciel, Editions de l’Olivier, 2011 Six jours durant, les quatre enfants et les six petits-enfants de Noé, 70 ans, se retrouvent pour fêter son anniversaire aux « Myosotis », une belle demeure familiale en Bretagne. Dans ce roman polyphonique, la parole est donnée à tous : aux enfants, à Noé, sa seconde femme et son fils, Achille, né d’un premier mariage et toujours à l’écart. Les narrations successives et la structure bien ordonnée du roman permettent de clarifier les liens de parenté assez complexes d’une famille recomposée. L’aïeul, Noé, a dû assurer l’éducation de sa petite-fille, Scarlett, car le père de cette dernière, Merlin, s’est jusque-là montré défaillant. Noé a pleinement joué ce rôle paternel, tandis que sa femme a retrouvé avec la présence de Scarlett, une nouvelle jeunesse. L’adolescente occupe une place centrale dans le récit, non seulement parce qu’elle est au cœur du conflit qui oppose ses grands-parents à son père, celui-ci ayant décidé de la reprendre, mais aussi parce qu’elle a une sensibilité exacerbée. Ainsi Karine Reysset fait-elle en sorte que le lecteur découvre les non-dits qui pèsent sur cette famille à travers le regard de Scarlett. Rien d’étonnant à ce qu’elle ressente la disparition d’un être dont personne ne parle… Les relations humaines et les nouvelles formes de parentalité – la famille homosexuelle – sont abordées à travers une écriture simple, très cinématographique. L’auteur décrit des enfants insupportables, des couples déchirés, des disputes mais aussi des réconciliations : le récit véhicule des sentiments forts, beaucoup d’amour, et quelquefois de la haine. Ce roman choral campe une tribu dont les membres sont attachants et plutôt « bourgeois-bohêmes », il faut bien le dire… Mes Yeux au ciel saura séduire un public certainement féminin et passera de main en main et de mère à fille… ou l’inverse ! ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°139)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Skyhorse Brando, Les madones d’Echo Park, Editions de l’Olivier, 2011 Ce livre nous fait partager la vie du quartier d’Echo Park, à Los Angeles, où vivent de nombreux immigrés Mexicains. L’auteur nous offre un roman choral où tous les narrateurs sont plus ou moins reliés les uns aux autres. Le premier récit est celui d’un homme résidant depuis de très nombreuses années aux Etats-Unis, sans être parvenu à obtenir sa carte verte. Trop bref, son mariage avec une jeune femme d’origine mexicaine qui possédait des papiers ne lui a pas permis d’être régularisé à son tour avant le divorce. Employé clandestinement sur un chantier, l’homme assiste à un meurtre. Il est finalement expulsé du pays après avoir dénoncé ce crime à la police. De son témoignage découle tous les autres. Il est ainsi question de son ex-femme, de sa fille, d’une autre de ses filles dont il ne connaît pas l’existence, de sa bellemère, de son ancienne maîtresse, du compagnon de cette dernière, etc. Au fil du roman, trois générations s’entremêlent. Femmes de ménage, membres de gang ou adolescents fascinés par MTV tous ont connu des trajectoires complexes, tiraillés entre deux cultures. De la manne des clandestins qui fournissent une main d’œuvre bon marché et corvéable à merci aux « légaux » cantonnés dans des emplois subalternes ou stigmatisés à cause de leurs origines, en passant par la volonté de certains de renier leur pays et leur langue maternelle, Les Madones d’Echo Park traduit également le désarroi d’une communauté malmenée et la plupart du temps exploitée ? Un beau livre, souvent poignant, parfois violent où le lecteur ressent à chaque page l’énergie vitale qui parcourt les rues d’Echo Park. ■ Delphine Lacoste (Lecture Jeune n°139)

Sportès Morgan, Tout, tout de suite, Fayard, 2011 Ce récit relate les délits de plus en plus graves commis par une bande de jeunes délinquants de cités de banlieue parisienne, obsédés par le besoin d’argent. Sous l’emprise de leur chef, ils capturent un jeune Juif, séduit par une adolescente du groupe, espérant obtenir une forte rançon pour sa libération. Mais contrairement à leurs attentes, la famille n’a pas les moyens de payer. Après 24 jours de séquestration, de mauvais traitements et de tortures, le jeune homme est abandonné pour mort, le long d’une voie ferrée. L’auteur s’est inspiré de faits réels pour reconstituer la monstrueuse dérive de cette bande qualifiée, par la presse, de « gang des barbares ». La narration tient de l’enquête de police, suivant minutieusement les déplacements et agissements des membres de la bande qui, par leur utilisation des téléphones portables, courriers électroniques, laissent des preuves accablantes. C’est aussi une froide analyse sociologique de ces jeunes incultes et violents, purs produits de notre société, sans autre idéal que le loisir et la consommation de produits de luxe. L’auteur réussit à plonger le lecteur dans cet univers sordide par l’usage de la langue des « cailleras » qui assimilent la statue de la place de la République à une « meuf » et celle de la Nation à une « taspé ». Ce récit conduit à s’interroger sur les parcours de ces jeunes, garçons et filles, la plupart issus de familles modestes mais intégrées dans la société française : comment ont-ils pu en arriver là, dépourvus de repères moraux, refusant, en quasi-totalité, toute interrogation sur les conséquences de leurs actes, se soumettant aux ordres de leur chef délirant ? On s’interroge aussi sur le bien-fondé des stratégies policières et sur l’exploitation politique du faits-divers dans un contexte électoral. C’est donc un livre à conseiller pour ce qu’il génère comme réflexions sur notre société et sur ce qu’elle peut engendrer. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°140) Réseau de lecture : Pour les lecteurs moins aguerris, nous leur conseillons la lecture de Zone Tribale de Pascale Maret, publié chez Thierry Magnier (voir LJ n° 137) qui s’inspire également de l’affaire du « gang des barbares », du point de vue d’un adolescent, Chaka, personnage librement inspiré du chef du clan, Youssouf Fofana. Tout, tout de suite était l’un des ouvrages en lice pour le Goncourt des Lycéens 2011.


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Stefanini Anne-Sophie, Vers la mer, JC Lattès, 2011 À 19 ans, Laure décide de rejoindre Nice pour s’embarquer pour un long voyage. Catherine, sa mère, qui a entrepris plus jeune la même aventure, décide de l’accompagner. Le long trajet depuis Paris est jalonné de haltes qui sont autant d’occasions de rencontres et de dialogues entre mère et fille. Au fil de la route, par la parole autant que par les silences, les deux femmes partagent leurs souvenirs, leurs doutes comme leurs envies et apprennent à se découvrir. Nice sera la ville de la séparation. Ce voyage vers la mer (réelle ou psychanalytique) est écrit tout en nuance, le lecteur étant davantage invité à suivre une quête intérieure qu’une escapade mouvementée. Ce premier roman intimiste d’Anne-Sophie Stéphanie évoque la relation entre mère et fille avec justesse et élégance. ■ Marie-Françoise Brihaye (Lecture Jeune n°142) Réseau de lecture : Métal Mélodie de Maryvonne Rippert (Milan Jeunesse, « Macadam ») aborde la question des relations mères-filles dans un roman qui s’adresse aux jeunes adolescents.

Stockett Kathryn, La Couleur des sentiments, Jacqueline Chambon /Actes Sud, 2010 En 1962, à Jackson, Mississipi, trois femmes racontent leur vie. Aibileen et Minny sont noires et bonnes dans des familles blanches. Skeeter, jeune fille blanche, rejoint ses parents, propriétaires d’une plantation de coton, après quatre années d’université. Dans cette société conservatrice, la perspective de se marier et de mener la vie de ses amies, occupées par leurs toilettes, les invitations à prendre le thé et les parties de bridge, ne la tente guère. Elle voudrait devenir écrivain et parvient à convaincre les deux bonnes de témoigner de leur vie quotidienne au service des Blancs. Dans un contexte ségrégationniste, l’entreprise est dangereuse. Cependant, malgré la peur de perdre leur travail, de subir la violence du Ku Klux Klan, elles unissent leur courage et leur énergie pour rédiger ces témoignages bouleversants. Ce livre vaut par le choix d’une écriture en prise directe avec le quotidien des bonnes dans cette société blanche dominante et sûre de son bon droit. Presque entièrement dialogué, il restitue les humiliations racistes et les propos méprisants que doivent encaisser Aibileen et Minny mais aussi leur dévouement et leur amour pour ces enfants blancs dont elles ont la charge. Au-delà des péripéties et des multiples obstacles qui entravent leur projet, c’est toute une société qui est évoquée avec ses comportements, ses clivages, ses refus de remettre en cause un ordre qui assure le pouvoir de la bourgeoisie blanche. Ce livre est à conseiller vivement car il permet de comprendre comment s’est construit, et s’est maintenu, le racisme et combien il est difficile d’oser s’en libérer. ■ Colette Broutin (Lecture Jeune n°137)

Thuy Kim, Ru, Liana Levi, 2010 À dix ans, Kim Thúy a fui avec sa famille le Sud-Vietnam, à l’arrivée des soldats communistes, pour gagner la Malaisie. Après une jeunesse privilégiée à Saigon, où son père était préfet, elle a connu la peur, l’entassement inhumain dans les camps en Malaisie, la boue et la faim. A tout cela, pourtant, sa mère l’avait préparée, pressentant le pire. Au Québec, elle entamera une nouvelle existence, s’appropriera une culture étrangère, « le rêve américain ». Le titre de l’ouvrage signifie « berceuse », en référence à sa propre enfance, mais surtout à l’accueil de Granby, « le ventre chaud qui nous a couvés durant notre première année au Canada. Les habitants de cette ville nous ont bercés un à un ». La langue est poétique, le récit est fort et déstructuré. Les souvenirs se croisent, sans souci de chronologie, l’histoire de ses tantes avec celle de sa famille d’aujourd’hui – ses enfants, en particulier son fils autiste. L’écriture évoque les moindres détails sensoriels, les odeurs, les vêtements, la nourriture. De brèves pages que l’on pourra lire à haute voix avec un grand plaisir, pour faciliter


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents l’entrée dans ce magnifique texte littéraire sur l’exil, et la double identité. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°135)

Tinti Hannah, Le Bon Larron, Gallimard, 2009 (Du Monde Entier) À 12 ans, Ren vit encore à l’orphelinat de Saint-Anthony en NouvelleAngleterre, où il a été déposé encore nourrisson pour être élevé par les e moines. Mais en cette fin du XIX siècle, les temps sont durs. La menace plane pour Ren d’être enrôlé dans l’armée ; manchot, il a peu de chance d’être recueilli par les fermiers en quête de main-d’œuvre. Le miracle se produit avec l’arrivée de Benjamin Nab, qui se présente comme son frère aîné et déclare que leurs parents ont péri assassinés par les Indiens. Partis tous les deux sur les routes, ils vont être hébergés par un paysan que Benjamin escroque sans vergogne. Le jeune garçon comprendra vite qu’il n’a été choisi que pour son handicap qui sert à appâter les honnêtes gens. Un troisième larron s’ajoute au duo, véritable force de la nature, capable de tuer les hommes comme des mouches ! Des aventures échevelées, un rythme de feuilleton dont on ne décroche pas, des personnages hauts en couleurs, extravagants (dont une veuve généreuse qui cache un nain sur son toit). Les amateurs du genre ne seront pas déçus – certaines scènes au clair de lune, où des bandits sans morale déterrent les cadavres pour les revendre à l’école de médecine, valent leur pesant d’or. On pense à Dickens, Mark Twain ou plus encore au Black Jack de Leon Garfield. L’arrière-plan social est bien présent : un port sordide, une ville minière en faillite où les spectres des mineurs ensevelis hantent les esprits, et des ouvrières diaboliques se démènent dans le froid, la boue et la nuit. Le héros vit un apprentissage difficile et se débarrasse peu à peu de ses illusions, menant tambour battant sa recherche sur ses origines. Il est temps de conseiller un bon roman d’aventure aux jeunes lecteurs, pour leur montrer que la fantaisie peut être largement présente en littérature. Un pur régal, dès quinze ans ! On s’interroge cependant sur la couverture de l’ouvrage – un jeune homme au look « gothique » bien contemporain – qui n’a aucun sens dans ce récit…■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°133)

Torres Justin, Vie animale, Editions de l’Olivier, 2012 Aux Etats-Unis, une fratrie de trois garçons totalement livrés à eux-mêmes, survit soudée dans une relation fusionnelle. Leurs parents, mère blanche et père portoricain, n’étaient que des adolescents à la naissance de leur premier enfant et sont restés aussi immatures et imprévisibles qu’alors. Au quotidien, tandis que « Ma » travaille de nuit, « Pa » tente de trouver du boulot et distribue les coups à sa femme et à sa progéniture. Les enfants qui ne mangent pas tous les jours, dorment dans le même lit pour se réchauffer. Le bruit et le désordre submergent leur existence chaotique. Les courts chapitres du roman se suivent à un rythme haletant, de la perte de l’innocence du narrateur à l’âge de 7 ans, jusqu’à « la rupture » avec ses aînés qui adoptent la violence du père. Le jeune garçon se réfugie dans les mots et l’écriture. Le récit s’achève dans une brutalité inouïe. La traduction littérale du titre, Nous, les animaux, aurait rendu plus évident le ton percutant du roman, écrit dans un registre familier et narré par le plus jeune des enfants. Ce dernier, dont on ignore le prénom, livre son récit familial sans misérabilisme et sans fard. Ce roman magnifique par son écriture et sa sincérité laisse le lecteur abasourdi. Il est à réserver à des lecteurs avertis. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°142)


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Trouillot Lyonel, Yanvalou pour Charlie, Actes Sud, 2009 Mathurin Dieutor Saint-Fort a réussi sa carrière d’avocat d’affaires à Port-auPrince. Jeune, beau et travailleur, il a su mener parfaitement sa destinée, quittant sans hésitation son village, son amour, son ami… Soucieux de cacher ses origines paysannes, il est même allé jusqu’à changer de prénom, Mathurin, pour Dieutor. Aujourd’hui, il mène dans la capitale une vie bien réglée – boulot, télé, whisky – jusqu’à ce que Charlie, un adolescent, fasse irruption chez lui, demandant son aide au nom de la solidarité du village. Le langage de Charlie est direct et n’a rien à voir avec la langue de bois des citadins. L’enfant des rues va se charger de rappeler son passé à Dieutor, celui de la misère : il lui raconte le village, le centre d’accueil avec le prêtre qui tente de s’occuper des gamins des rues, les ONG qui oscillent entre « pouvoir et bonne conscience », les bidonvilles… Le récit du jeune homme, puis celui de son compagnon Nathanaël, évoquent une descente aux enfers, dans laquelle les adolescents n’ont plus d’autre issue que le recours aux armes et au vol. Enfin, c’est à Anne, premier amour de Dieutor, de faire entendre sa voix. À l’opposé de son carriérisme, elle a choisi de rester au village pour y ouvrir une école. Un roman avec des personnages attachants, adultes et adolescents réunis, au service d’un message fort : on ne peut vivre dans le déni de ses origines et instaurer impunément une barrière sociale. « Sais-tu ce que signifie le mot Yanvalou ? Je te salue, ô terre. La terre n’a pas de mémoire. Le sol sec et pierreux ne garde pas souvenir de la bonne terre arable qui descend vers la mer. Seuls les hommes se souviennent. » Une lecture à partager, portée par une écriture haletante et émouvante. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°132)

Ullman Linn, Je suis un ange venu du Nord, Actes Sud, 2011 (Lettres scandinaves) Trois sœurs, aujourd’hui adultes, vont retrouver leur père à Hammarsö, une île scandinave où elles ont passé leurs vacances ensemble chaque été, au cours des années 1970. Nées de mères différentes, elles partageaient tous les ans ces moments privilégiés. Leurs père ne s’est jamais intéressé à elles et le vieil homme, qui vit désormais seul, leur a annoncé sa décision de mettre fin à ses jours. Alors qu’elles retournent à Hammarsö, 20 ans plus tard, elles se remémorent en flash-back leurs enfances. Le récit, offrant plusieurs points de vue, demande une lecture attentive : la chronologie est fragmentée et la mosaïque se reconstitue peu à peu. Au-delà de la mémoire, qui embellit toujours le souvenir, l’île semble magnifique, avec des plages balayées par les vents, des forêts sauvages – un décor de théâtre, où le temps paraît figé en d’éternelles vacances. C’est sur cette île qu’a eu lieu pour Erika, l’aînée, l’éveil à la sensualité, la découverte du plaisir et de l’amour. Après une amitié jusquelà indéfectible avec un garçon marginal, qu’est ce qui a pu conduire Erika à le trahir, et à le livrer comme bouc-émissaire à la cruauté des enfants ? Un drame s’est produit, qui a rompu la magie de l’éternel retour. Ce roman permet de voir une même scène vécue à travers le double prisme de l’enfance et de l’âge adulte – les adultes n’ont pas voulu voir la cruauté, et les adolescents ont décidé d’occulter cet épisode tragique, sans y parvenir. Avec beaucoup d’émotions et de non-dits à interpréter, cette lecture exige un certain recul et une maturité suffisante. Des images contrastées d’ombre et de lumière, de noirceur et de pureté, viennent à l’esprit : il est indéniable que le roman, s’il n’est pas autobiographique, porte l’empreinte du père de Linn Ullmann, le réalisateur Ingmar Bergman. ■ Cécile Robin-Lapeyre (Lecture Jeune n°139)


Centre de ressources et de formation sur le livre et la lecture des adolescents Wiazemsky Anne, Mon enfant de Berlin, Gallimard, 2009 En 1944, Claire a 27 ans et sillonne la France occupée comme ambulancière de la Croix-Rouge. À Béziers, elle risque sa vie pour sauver les blessés sous les tirs des nazis. Jolie, intrépide, Claire est courtisée. À la Libération, elle ne veut plus épouser Patrice, son fiancé qui était prisonnier en Allemagne. Fille de François Mauriac, elle ose affirmer avec franchise à sa famille sa volonté d’indépendance. Elle choisit de poursuivre sa mission auprès de la CroixRouge en partant pour Berlin, chargée avec son unité du rapatriement des prisonniers. C’est dans la ville en ruines que la jeune femme rencontre Wia, l’amour de sa vie. Officier russe, il s’occupe de retrouver les personnes déplacées par les troupes nazies. Dans une très belle lettre adressée à ses parents, elle déclare que rien ne la fera changer d’avis : « Nous n’avons aucun point commun, mais je pense que c’est peut-être avec lui que j’ai une toute petite chance d’être heureuse ». Cet amour follement romanesque ne laissera pas les adolescentes indifférentes. Claire forge sa personnalité et revendique ses choix : elle ne veut plus se contenter d’être « fille de… ». Son bonheur réside dans l’acceptation de son histoire familiale et dans la volonté de prendre sa vie en main. Pionnière de l’action humanitaire où la solidarité règne en valeur absolue, elle travaille inlassablement, se bat pour la vie. Ce récit linéaire, d’une écriture vive, se lit comme un roman d’aventures. Le lecteur découvrira seulement à la fin qu’il s’agit de la biographie qu’Anne Wiazemsky, « l’enfant de Berlin », a dédiée à ses parents. ■ Cécile RobinLapeyre (Lecture Jeune n°132)


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