Les éditeurs et le théâtre

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Le Théâtre et les adolescents N° 134 Juin 2010 Les éditeurs de théâtre jeunesse : parcours, auteurs et perspectives Présentation Anne Clerc Lecture Jeune a rencontré les principaux éditeurs qui publient des pièces à destination des jeunes et notamment des adolescents. Ces structures de tailles variées – d’Actes Sud Junior à Espaces 34 – s’engagent pour faire connaître ces textes et ces auteurs aux univers singuliers ! Propos recueillis auprès de Brigitte Smadja, Claire David, Françoise du Chaxel, Amandine Bergé, Katarina von Bismarck, Sabine Chevallier et Emile Lansman Historique des collections jeunesse Brigitte Smadja a fait office de pionnière en lançant en 1995, la collection « Théâtre » à l’École des Loisirs. Bénéficiant de l’appui de la prestigieuse maison, spécialisée en jeunesse, et de sa notoriété auprès des prescripteurs, elle a fait entrer en toute logique le répertoire théâtral dans leur catalogue. La collection « Heyoka », d’Actes Sud Junior, est née 4 ans plus tard, en 1999, de l’insatisfaction de Claire David, qui dirigeait alors la collection « Papiers » et recevait des textes qui pouvaient se destiner à un public jeune : « j’allais au théâtre et j’étais déçue par ce qui était présenté : des petites pièces “bricolées”. Il fallait des textes exigeants qui aient la même envergure que les textes proposés aux adultes. » Le choix de s’adosser à un théâtre (CDN de Sartrouville) s’est révélé pertinent, même si Claire David se défend de publier uniquement des textes amenés à être joués sur scène : il s’agit d’abord d’objets littéraires ! En septembre 2001, les éditions Théâtrales lancent « Théâtrales Jeunesse », qui, dans un premier temps, introduit les titres de la collection « Très tôt théâtre » publiés initialement par Dominique Bérody. Dirigée par Françoise du Chaxel et Jean-Pierre Engelbach, cette collection est axée autour du théâtre contemporain et promeut une écriture novatrice et diversifiée. Les éditions de l’Arche, fortes d’une histoire théâtrale prestigieuse (Bertolt Brecht et Edward Bond sont dans leur catalogue) ont inauguré la collection « Théâtre Jeunesse » en 2001 avec une pièce de Fabrice Melquiot : Perlino Comment. Avec trois ou quatre titres par an à peine, cette collection ne cherche pas à publier des textes à foison, mais intègre des pièces d’auteurs, d’une grande exigence littéraire. Dans le champ du répertoire francophone, n’oublions pas le travail d’Emile Lansman qui édite des textes de théâtre depuis 1989. Dès sa création, l’éditeur belge a fait la part belle au théâtre jeune public et, dans la mouvance du « théâtre-éducation », il a publié des pièces destinées à être lues et jouées par les jeunes. Outre « Lansman Jeunesse », les collections « Printemps théâtral » et « Urgence de la jeune parole » ont permis de poser les premiers jalons, ainsi que les labels « La scène aux ados » et « Tous en scène ». Enfin, nous souhaitons présenter les éditions Espaces 34, fondées en 1992. Alors que la maison proposait initialement des ouvrages « scientifiques et culturels », Sabine Chevallier, l’actuelle directrice éditoriale, s’est peu à peu tournée vers le répertoire théâtral contemporain ; Claudine Galéa ou encore Jean Cagnard sont des auteurs qu’elle publie fidèlement. Depuis 2009, elle a lancé une collection jeunesse qui accueille Stéphane Michaka ou encore Claire Rengade, et la maison a été


mise en lumière grâce au texte de Sébastien Joanniez, Désarmés (publié en 2007), qui a reçu le prix Collidram, en 20091. Les spécificités du texte théâtral pour les adolescents Le choix d’une collection estampillée « jeunesse » interroge nécessairement sur les spécificités de ces pièces qui se destinent à un public ciblé. « Ce titre peut-il être lu seul par l’enfant ? » C’est la première question de Claire David (Actes Sud Junior) à la lecture d’un manuscrit. Le nombre de personnages, les mises en situation, la longueur des textes, etc. sont autant d’éléments qu’elle prend en compte. Il faut, selon elle, « que l’adolescent puisse lire sans médiation, sans avoir vu la pièce préalablement et qu’il lise le texte comme un objet littéraire. Ensuite, il s’agit de la qualité d’une écriture. » Françoise du Chaxel (Théâtrales) ajoute : « en lisant les manuscrits, nous savons dès les premières pages s’il s’agit ou non d’un bon texte de théâtre : en fonction du rythme, de l’écriture qui se doit à la fois d’être efficace et de conserver une part de mystère car il a le lecteur pour partenaire. » Tous les éditeurs rencontrés s’accordent à dire que les textes de théâtre jeunesse peuvent être de meilleures entrées en lecture que les romans. Brigitte Smadja (École des Loisirs) estime que « les adolescents rentrent aisément dans ces textes car ils sont habitués aux textes elliptiques et il leur faut peu d’éléments pour combler le vide. Ils sont dans une société où le dialogue est prégnant et l’écriture syncopée ne les effraie pas. Enfin, le texte de théâtre a pour particularité de présenter de nombreux “avantages” : une forme courte, des personnages auxquels s’identifier, une écriture poétique… Dans le théâtre comme dans la poésie, la langue est exigeante et elle permet un décalage avec la réalité : une distance salutaire car la polysémie permet à l’imaginaire de se déployer. » À l’inverse, les éditeurs se méfient des écritures fabriquées « pour » les jeunes et qui semblent placer les adolescents dans un ghetto ! Claire David ajoute : « le théâtre est ludique car il y a des situations, des personnages qui dialoguent et incitent à la lecture à voix haute. Il est parfois plus facile de lire du théâtre qu’un texte romanesque car il y a l’immédiateté des dialogues. Quand on lit une pièce, il ne faut pas se poser la question de la mise en scène mais se laisser porter par le texte. » La position d’Émile Lansman diffère radicalement tant le texte est multiple à ses yeux : « Le texte théâtral n’existe pas. J’ai l’habitude de dire que mes auteurs peuvent être classés en trois catégories. Ceux qui écrivent sur scène, ceux qui écrivent dans la salle, et ceux qui écrivent chez eux. Ce qui signifie à mes yeux que ce qui est proposé par l’auteur va du spectacle bouclé jusqu’au matériau brut à investir pour en faire matière à spectacle. Ce qui est certain, c’est que je reçois des textes qui arrivent à me convaincre qu’ils peuvent être la base d’un excellent spectacle mais qui ne m’intéressent pas dans la recherche du “plaisir de lire”. » Le théâtre et l’enjeu du collectif En effet, les éditeurs de théâtre sont conscients que la pièce de théâtre a ceci de particulier qu’il permet de « s’exprimer dans une forme collective », comme le soulignent conjointement Sabine Chevallier (Espaces 34) et Brigitte Smadja. Le texte permet une lecture multiple, mais il faut distinguer la mise en voix de la mise en scène ; c’est un travail complexe qui nécessite l’intervention d’un professionnel. Brigitte Smadja et Claire David entendent clairement défendre le répertoire théâtral jeunesse comme genre littéraire à part entière, qui peut être porté ou non sur scène, sans

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D’autres éditeurs, que nous ne mentionnons pas ici font un travail remarquable et nous vous invitons à consulter leurs catalogues : - Les Solitaires Intempestifs qui publient l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, qui a de quoi séduire les grands adolescents (www.solitairesintempestifs.com) ; - L’Avant-Scène Théâtre publie la revue éponyme L’Avant-Scène théâtre qui rend compte du théâtre contemporain ou encore la collection « Les Petites Formes de la Comédie Française » qui propose un panorama stimulant des écritures théâtrales contemporaines aux prises avec les contraintes d’une forme courte. Trois recueils sont déjà parus : La Famille ; L’Argent et Les Monstres (www.avant-scene-theatre.com) ; - Les éditions La Fontaine sont nées au sein du Centre Dramatique National, le théâtre La Fontaine, à Lille, en 1988. Elles ont pour but de promouvoir les auteurs dramatiques contemporains. À ce jour, elles comptent deux collections jeunesse : « Théâtre Jeunesse », « Théâtre Adolescents » (www.lafontaine-editions.com)


que ce critère ne soit décisif. Françoise du Chaxel nuance cette position car, d’après elle, l’auteur, dans son écriture, prend nécessairement en compte la place qu’il accorde aux autres « acteurs » du théâtre : metteur en scène, comédiens, spectateurs, etc. Enfin, L’Arche, qui est également une agence théâtrale assurant la gestion des droits de représentation d’un grand nombre de pièces (publiées à L’Arche ou chez d’autres éditeurs, ou encore inédites), soutient nécessairement le texte de théâtre dans une dimension double : objet à lire et objet qui doit être porté en scène ! Quant à Sabine Chevallier, elle insiste sur le fait qu’un texte publié favorise les contacts et par conséquent, sa promotion et sa diffusion pour qu’il soit joué. Une littérature aux prises avec le réel À la lecture du texte de théâtre contemporain, force est de constater qu’il s’en dégage de grandes tendances qui rendent cet objet particulièrement intéressant pour les médiateurs. Brigitte Smadja (École des Loisirs), Claire David (Théâtrales) et les interlocutrices des éditions de l’Arche rappellent que le théâtre contemporain jeunesse s’inscrit en référence aux classiques, revisités par les auteurs d’aujourd’hui. En outre, les auteurs, en prise avec le monde actuel, se font écho de la société dans laquelle ils vivent, en utilisant une forme qui encourage le dialogue et l’échange. Des sujets existentiels sont ainsi abordés, dans un échange entre des personnages d’enfants, d’adolescents et d’adultes. Il n’y a pas de tabou si l’écriture porte le sujet et les sujets les plus sensibles peuvent être traités : la mort, la guerre, la folie… Katharina von Bismarck des éditions de l’Arche aime à rappeler « qu’on peut parler de tout aux jeunes, mais comme le dit Fabrice Melquiot lui-même, il ne faut jamais leur prendre l’espoir ». Aussi, le théâtre jeunesse se révèle être une littérature engagée, comme les éditeurs eux-mêmes le soulignent en évoquant les auteurs de leurs catalogues. Des collections aux frontières floues Le choix d’une collection « jeunesse », avec mention d’âge de lecture, n’est pas toujours favorable aux pièces qui les intègrent, car elles peuvent rebuter les lecteurs adolescents. Il est à noter que ces derniers ne tiennent pas forcément compte de ce cloisonnement, comme en attestent les sélections des prix de pièces de théâtre où se retrouvent des textes du répertoire théâtral contemporain qui ne font pas partie des collections jeunesse. Ainsi, Désarmés de Sébastien Joanniez a obtenu le prix Collidram en 2009, décerné par des collégiens. De la même manière, l’œuvre de Wadji Mouawad, publiée dans la collection « Papiers » d’Actes Sud séduit le public adolescent et les adultes. Nous pourrions également citer l’œuvre de Fabrice Melquiot, de Joël Pommerat, de Sylvain Levey… Au cours de nos entretiens, les éditeurs ont souvent évoqué « les enfants » mais plus rarement ceux qui nous occupent ici : les adolescents. En effet, cette « cible » plus difficile à saisir se trouve à cheval entre des collections jeunesses et généralistes. Bref, les prescripteurs doivent investir un répertoire théâtral contemporain « global » qui s’adresse à un large public, de « 7 à 77 ans », avec des auteurs qui effectuent des allers-retours permanents entre des textes « tout public » et ceux pour la jeunesse… Aussi, Claire David évoque, concernant les adolescents, une autre collection qu’elle codirige avec Jeanne Benameur et Thierry Magnier : « D’une seule voix ». Bien qu’il s’agisse ici de fictions, les titres proposés flirtent avec le théâtre dans leur forme : un monologue intérieur, des textes courts « d’un seul souffle […] à murmurer à l’oreille d’un ami, à hurler devant son miroir, à partager avec soi et le monde ». Les éditions Théâtrales ont, pour leur part, créé, dans un même état d’esprit, la collection « Théâtre en court » avec des pièces qui ne visent pas à l’origine un public adolescent mais qui ont toutes déjà été publiées et/ou montées. Elles ont en commun leur brièveté, un nombre de personnages restreint, des répliques courtes et tranchantes. Emile Lansman a, lui, clairement consacré des pièces à ce public bien spécifique. Il propose tout à la fois des pièces à lire et/ou à jouer par les adolescents en considérant ce public sous différents angles : lecteur, spectateur et acteur.2

Nous avons toujours essayé d’être clairs : les trois fonctions voir, jouer et lire du théâtre sont à nos yeux complémentaires, mais ne doivent pas être confondues. Et les textes qui constituent des “outils” pour assumer ces trois fonctions ne répondent pas aux mêmes critères. […] Il est fréquent, surtout en France, de renier toute destination particulière


La médiation ou comment s’approprier le texte de théâtre Sur les questions de médiation, les éditeurs semblent avoir des points de vue divergents et pourtant, force est de constater que ce genre littéraire ne peut rayonner qu’en s’appuyant sur un spectacle comme vecteur de notoriété et/ou sur les prescripteurs, et plus spécifiquement les enseignants, comme le souligne Brigitte Smadja : « L’Éducation nationale doit s’investir pour soutenir ce répertoire. En tant que professeur, auteur et éditeur, je sais que les efforts doivent être portés auprès des enseignants qui décideraient de s’emparer des textes contemporains. Tant qu’ils ne le feront pas, ces textes peineront à rencontrer leur public. Certains prescripteurs appréhendent ces textes car il faut les former pour que le théâtre devienne pour eux un objet culturel, une pratique supplémentaire, non seulement en termes de pédagogie mais aussi de citoyenneté. Le théâtre permet d’apprendre à parler, à s’écouter, à dialoguer… » Mais, paradoxalement, la plupart des éditeurs ne souhaitent pas ajouter en fin d’ouvrage des dossiers complémentaires proposant des outils pédagogiques, refusant que la pièce de théâtre ne devienne qu’un simple outil scolaire. Les éditions Théâtrales ont récemment « contourné » le problème en créant un espace Web dédié à la collection : www.tjeu.fr. Ce site Internet proposera des dossiers d’accompagnement téléchargeables gratuitement, des pistes de lecture et de travail théâtral, conçues par des enseignants et des praticiens, ainsi que des comptes rendus d’expériences artistiques et pédagogiques. Une alternative judicieuse.

d’une écriture, voire d’un spectacle. Dans une certaine mesure, les Belges et les Québécois notamment assument davantage. Je pense cependant qu’il serait stupide d’imaginer un auteur qui écrirait spécifiquement pour des jeunes de 13 ans et 3 mois, ou pour des vieux de 82 ans. Mais il serait tout aussi discutable d’affirmer qu’on écrit de la même façon si on destine la pièce à des comédiens professionnels qui vont la jouer devant des enfants ou à des comédiens adolescents qui vont porter la pièce sur scène. » Emile Lansman


La collection « Théâtre Jeunesse » aux éditions de L’Arche : Date de création : 2001 Directeur de collection : Rudolf Rach Site Internet : www.arche-editeur.com Nombre de titres au catalogue : 20 Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - Qui a peur du loup ? Christophe Pellet - Blanches, Fabrice Melquiot - Mon prof est un troll, Dennis Kelly La collection « Théâtre » de l’École des Loisirs Date de création : 1995 Directeur de collection : Brigitte Smadja Site Internet : www.ecoledesloisirs.fr Nombre de titres au catalogue : 101 34 ouvrages correspondent au critère de « 12 à 16 ans » Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - La Remplaçante, Audren - Aujourd’hui dimanche, Esther Ebbo - Abeilles, habillez-vous de moi, Philippe Dorin La collection « Heyoka Jeunesse » d’Actes Sud Junior Date de création 1999 Directrice de collection : Claire David Site Internet : www.actes-sud-junior.fr Nombre de titres au catalogue : 45 Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - L’Ombre amoureuse, Olivier Balazuc et Piero Macola (illustrations) - À la poursuite de l’oiseau du sommeil, Joseph Danan et Gwennaëlle Colombet (illustrations) La collection « Théâtrales Jeunesse » des éditions Théâtrales Date de création : 2001 Directeurs de collection : Françoise du Chaxel et Jean-Pierre Engelbach Site Internet : www.editionstheatrales.fr/ www.tjeu.fr Nombre de titres au catalogue : 50 Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - Si j’étais grand, 3 pièces à lire et à jouer, Mike Kenny, Jean-Marie Piemme et Karin Serres - La Terre qui ne voulait plus tourner / Autrefois, aujourd’hui, demain, Françoise du Chaxel - Mersa Alam, Henri Borstein - Cent culottes et sans papiers, Sylvain Levey La collection « Théâtre Jeunesse » des éditions Espaces 34 Date de création : 2009 Directrice de collection : Sabine Chevallier Site Internet : www.editions-espaces34.fr Nombre de titres au catalogue : 5 Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - Les Enfants du Docteur Mistletoe, Stéphane Michaka La collection « Printemps théâtral » aux éditions Lansman


Date de création : 2001 Directeur de collection : Emile Lansman avec le Centre National du Théâtre à Paris (CNT) Site Internet : www.lansman.org Nombre de titres au catalogue : 13 La collection « Urgence de la Jeune Parole » Date de création : 2002 Directeur de collection : Emile Lansman et la Compagnie de la Digue à Toulouse Nombre de titres au catalogue : 23 Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - Au bord d’un trou avec un fil de laine, Virginie Barreteau La collection « Lansman Jeunesse » aux éditions Lansman Date de création : 2004 Directeur de collection : Emile Lansman Nombre de titres au catalogue : 14 Derniers titres parus au 1er semestre 2010 : - Tam, Éric Durnez


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