Culture numérique des adolescents

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33e année

trimestriel

Lecture Jeune

Revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents

CULTURE NUMÉRIQUE Nouveaux espaces d’expression et de création adolescentes (jeu vidéo, blog, téléphone portable...)

Actes de la journée d’étude du 15 octobre 2009

mars 2010

N°133

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Chers lecteurs, Lecture Jeunesse vous invite à découvrir son catalogue de formations du 1er semestre 2010 Retrouvez le programme détaillé en pages 72 et 73


Sommaire Éditorial

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Dossier Actes de la journée d’étude : Culture numérique Nouveaux espaces d’expression et de création adolescentes (jeu vidéo, blog, téléphone portable…)

Parcours de lecture Livres accroche Et après Lecteurs confirmés Ouvrages de référence

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page 42 page 52 page 64 page 70

En savoir plus

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Index

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Édito de lecture Parcours Livres accroche Hélène Sagnet Littératures Lecture Jeunesse remercie la bibliothèque de la Cité des Sciences et de l’Industrie d’avoir accueilli, le 15 octobre 2009, la journée d'étude

1 Après, notamment, la parution du n° 126 de la revue Lecture Jeune, « À l’heure du virtuel », en juin 2008

2 Le wiki de Laurence Allard : www.culturesexpressives.fr/doku.php

3 Lire Sylvie Octobre, « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc des cultures ? » in Culture prospective, 2009-1 : www2.culture.gouv.fr/culture/ deps/2008/pdf/Cprospective09-1.pdf

La nouvelle édition de l’enquête nationale sur les pratiques culturelles des Français, coordonnée par Olivier Donnat a paru à l’automne 2009. La nouveauté ? Un sous-titre a été ajouté : l’ouvrage évoque les pratiques culturelles des Français, à l’ère du numérique. L’étude met en avant « les profondes mutations des conditions d’accès à la culture sous les effets conjugués de la dématérialisation des contenus, de la généralisation de l’Internet à haut débit et des progrès considérables de l’équipement des ménages en ordinateurs, consoles de jeux et téléphones multimédias. Les moins de 45 ans, les jeunes et les milieux favorisés en sont les principaux utilisateurs ». Lors de la journée d’étude du 15 octobre 2009, Lecture Jeunesse a souhaité à nouveau1 s’intéresser à la question de la culture numérique des adolescents. Nous observons quotidiennement les sociabilités nouvelles qui s’inventent sur la Toile, où l’on s’expose et s’exprime via les blogs et autres réseaux sociaux. Le Web valorise l’« individualisme expressif ». Il permet aussi à chacun, sous réserve de maîtriser un minimum les technologies, de créer et de produire ses propres contenus, pour les diffuser et les partager ensuite : vidéos parodiques postées sur Youtube, montages photos romantiques sur Skyblog, enregistrements de chansons sur Myspace, écriture de fanfictions ou de poèmes, réalisation de jeux vidéo… Si l’on y regarde de plus près, ces pratiques des jeunes (dites « créatives ») tiennent plutôt du bricolage, du détournement et de la transformation. La chercheuse Laurence Allard2 parle de « culture du remix », caractérisée par une pratique du copier-coller à partir des contenus produits par les industries culturelles, que l’on fait sien. Ces « user created content » posent les questions de la transformation de la figure du public, de l’auteur, du rôle des industries culturelles et celles des frontières entre art, divertissement et communication. Ils sont constitutifs de la culture des jeunes aujourd’hui, lesquels se sont approprié l’espace numérique comme un espace d’expression, marqué par l’interactivité. Si les nouveaux modes de consommation culturelle (autonomes, directs, instantanés…) remettent en question les modèles de transmission et de médiation, ainsi que la notion de prescription3, on peut à juste titre s’interroger sur la place future des institutions culturelles, et des lieux de médiation du livre notamment. Les pratiques participatives et créatives, souvent réjouissantes, décrites dans ce numéro, offrent-elles des pistes de postures à adopter, d’actions à inventer ?

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Le dossier Culture numérique

Nouveaux espaces d’expression et de création adolescentes (jeu vidéo, blog, téléphone portable…) Actes de la journée d’étude du 15 octobre 2009

Nouvelles cultures et institutions de transmission par Sylvie Octobre

page 4 à 9

Expression de soi et créations identitaires sur le web 2.0 par Christophe Aguiton et Dominique Cardon

page 10 à 15

Les jeunes et la culture numérique : des audiences actives aux parcours créatifs par Nicolas Auray

page 16 à 20

Jeux vidéo, une histoire à succès par Sébastien Genvo

page 20 à 22

Jeu vidéo et machinima. De l’adolescent joueur à l’adolescent créateur par Margherita Balzerani

page 23 à 24

Les sociabilités littéraires des adolescents sur Internet par Hélène Sagnet

page 25 à 29

Blogs, forums et sites Internet dédiés à la littérature avec Élodie Royer, Lucile Favreau, Laure Marillesse et Cécilia Lépine

page 30 à 31

La bibliothèque comme lieu de soutien aux créations des adolescents avec Albane Lejeune, Carole Duguy, Julie Belou, Adrien Schwarz, Philippe Lavigne et Benoît Labourdette

page 32 à 36

Internet : inventions littéraires et découvertes de nouveaux talents ? avec Tibo Bérard, Wandrille Leroy et Nicolas Gary

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Sur notre site : www.lecturejeunesse.com

Webographie, lexique et bibliographie sur les pratiques numériques

page 37 à 40


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Nouvelles cultures et Le dossier institutions de transmission Sylvie Octobre Analyse

Sylvie Octobre

est chargée d’études au Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture. Elle y est responsable des études et recherches portant sur les jeunes et leurs rapports à la culture.

Les jeunes générations (les 15-25 ans) sont nées dans un monde dominé par les médias et ont grandi avec les technologies de l’information et de la communication apparues dans les années 80. L’expression « nouvelles technologies » n’a pas de sens pour eux puisqu’ils se sont approprié en même temps tous les objets médiatiques et tous les usages, de l’ancienne bureautique aux nouvelles messageries et outils de création (PAO, mixage, montage…). Ils sont des digital natives1, dont l’aisance face aux technologies de l’information et de la communication les distingue des digital immigrants, contraints à un perpétuel effort d’adaptation. Le renouveau de leurs pratiques – fortement impulsées par les révolutions technologiques et leur rythme accéléré – semble creuser un abîme culturel entre cette génération et celles qui l’ont précédée. Symétriquement, émerge un discours « angéliste » et techniciste2, vantant les mérites de la créativité naturelle des jeunes générations, leur aptitude à réinventer – si ce n’est « réenchanter » le monde. Qu’en est-il des rapports des 15-25 ans à la culture ?

La prééminence des technologies

1 Digital natives, digital immigrants, Marc Prensky, 2001, www.marcprensky.com 2 Le pouce et la souris, enquête sur la culture numérique des ados, Pascal Lardellier, Fayard, 2006 3 Voir le numéro spécial de la revue Réseaux, « Web 2.0 », n° 154, mars-avril 2009 4 « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques », Culture prospective, Olivier Donnat et Florence Lévy, 2007 (www.culture.gouv.fr/deps)

5 Les Français face à la culture : de l’exclusion à l’éclectisme, Olivier Donnat, La Découverte, 1994

Les digital natives constituent une part importante des usagers fréquents des nouvelles technologies, et leurs usages sont caractérisés : niveaux d’équipement à domicile et de connexion élevés, forte assiduité, usages orientés vers la communication, mais également vers certains loisirs et les activités de création3. C’est donc chez les jeunes que se réalise le plus précisément la convergence des écrans sur l’ordinateur. Cette convergence n’a pas seulement des effets sur les équipements, mais aussi sur les usages, qu’elle densifie. En outre, elle ne fait que recomposer les agendas culturels : les jeunes regardent de moins en moins la télévision, écoutent de moins en moins la radio, lisent de moins en moins4. Cette jeunesse se donne à voir dans ses cultures et dans les mutations que celles-ci opèrent par rapport aux générations précédentes. On en retiendra quatre, principalement dues à la révolution numérique : • une mutation du rapport au temps : via la consommation à la demande, la convergence des usages, la multi-activité, les technologies permettent d’abolir la linéarité et la mono-occupation des temps culturels de même que la dépendance à l’égard des grilles des diffuseurs, et favorisent une individuation, une démultiplication et une déprogrammation des temps culturels. • une mutation du rapport aux objets culturels : le nombre de produits culturels accessibles a considérablement augmenté

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55 grâce au numérique. Les produits culturels se sont par ailleurs hybridés, avec des effets de chaînages culturels et de métissage des genres, ce qui a favorisé le développement de l’éclectisme5 et une porosité croissante des catégories culturelles. Ce, d’autant que le numérique a opéré une disjonction entre contenus et supports, depuis la mise en place de sites « replay6 » ou « podcast7 », ce qui enjoint à repenser la typologie des consommations, qui ne sont plus identifiables par un objet matériel (l’homothétie télévision/contenus télévisuels, radio/contenus radiophoniques, livres/contenus littéraires est remplacée par un accès unique via l’ordinateur à des contenus multiples). • une mutation du rapport à l’espace : le numérique a également aboli une partie des contraintes géo-physiques, en mettant en relation potentiellement toutes les parties du monde, réalisant le village global prophétisé par Mac Luhan8, produisant un double mouvement de mondialisation de la culture et de microlocalisation des cultures. • une mutation des modes de production et de labellisation culturelle : le fonctionnement ouvert du numérique (wiki9, mods10, etc.), basé sur la collaboration, a d’une part, déplacé la notion d’auteur et brouillé la frontière avec l’amateur, quand, d’autre part, le fonctionnement en réseau favorisait l’apparition de nouveaux acteurs et systèmes de labellisation, en marge des institutions traditionnelles de transmission et de labellisation que sont principalement les institutions culturelles et l’école.

La recomposition des agendas culturels

Si la prééminence des technologies ne sonne pas le glas de leur intérêt pour les autres pans de la culture, les agendas culturels des jeunes opèrent dans ce cadre une série de basculements. L’appétence des jeunes générations pour les technologies de l’information et de la communication a modifié le paysage médiatique qui prévalait dans les générations précédentes. Si la télévision reste le média qui a leur préférence pour tout ce qui relève de l’information et leurs sujets de préoccupation (emploi, environnement, terrorisme…), si la radio a su leur proposer des contenus culturels et interactifs répondant au « moment adolescent11 », la concurrence, en termes de budget et de temps, est rude et tourne en défaveur des médias anciens (télévision et radio). Seule la place de l’écoute musicale reste prédominante : l’intérêt des jeunes pour la musique se traduit par une très grande diversité de goûts et de préférences. C’est dans ce domaine que l’on a pu parler de montée de l’éclectisme des jeunes12. Les jeunes se caractérisent par ailleurs par une culture de sorties, qui place en tête le cinéma puis les concerts de musiques « actuelles ». Ils figurent par ailleurs parmi les habitués les plus fidèles des musées, des bibliothèques/médiathèques, et des lieux de spectacle vivant, notamment parce qu’ils bénéficient, pour ceux qui sont scolarisés, des efforts d’incitation de l’institution13. Enfin, la jeunesse est une période de prédilection des activités artistiques amateurs : pratique

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6 Ce service consiste à proposer aux usagers équipés et reliés, la rediffusion d’un programme peu de temps après sa première diffusion sur la chaîne et généralement pour une période de quelques jours. Après ce délai, soit le contenu est inaccessible ou supprimé, soit il devient payant 7 Un podcast est un fichier multimédia (audio, vidéo ou texte) délivré sur votre ordinateur, à la demande, qui peut ensuite être synchronisé sur votre baladeur MP3 8 The Global Village, Transformations in World Life and Media in the 21th Century, Marshall Mac Luhan et Bruce R. Powers, Oxford University Press, 1989 9 Un wiki est un logiciel de la famille des systèmes de gestion de contenu de site web rendant les pages web modifiables par tous les visiteurs y étant autorisés. Il facilite l’écriture collaborative de documents avec un minimum de contraintes (ex. : Wikipedia) 10 Un mod (de l’anglais mod, abréviation de modification) est un jeu vidéo créé à partir d’un autre, ou une modification du jeu original, sous la forme d’une greffe qui se rajoute à l’original, le transformant parfois complètement. Les mods les plus courants se rencontrent sur PC, dans les genres tir subjectif ou stratégie en temps réel. Les auteurs de mods sont appelés modeurs 11 Libre antenne. La réception de la radio par les adolescents, Hervé Glevarec, Armand-Colin/INA, 2005 12 « Changing Highbrow Taste : From Snob to Omnivore », American Sociological Review, Richard Peterson et Robert Kern, n° 61, 1996 13 Les loisirs culturels des 6-14 ans, Sylvie Octobre, La documentation française, 2004 ; Enquête Participation à la vie culturelle et sportive, Insee, 2003


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14 Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques, Olivier Donnat et Florence Lévy, DEPS, Ministère de la Culture et de la Communication, coll.« Culture prospective », 2007-3 ; « Tels parents, tels enfants », Revue française de sociologie, Yves Jauneau et Sylvie Octobre, 2008

15 Cette culturalisation prend à certains égards le visage d’une banalisation (ce qui, remarquons-le, est un renversement saisissant de la rhétorique de la démocratisation ) : la disjonction savoir/ culture, la disjonction capital culturel/capital social et économique ont accéléré la perte de valeur symbolique de la culture 16 La distinction, critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu, Minuit, 1979 17 « Ce phénomène ancien est probablement accéléré par la massification scolaire et la banalisation culturelle ». Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le Populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Seuil, 1989

d’un instrument, peinture, danse, tenue d’un journal intime… Plus encore, le niveau d’investissement dans les « nouvelles » pratiques culturelles est corrélé avec le niveau d’investissement dans les pratiques traditionnelles : la loi du cumul se vérifie, sauf en matière de lecture de livres imprimés, qui est une pratique en baisse de génération en génération14. Baisse que la révolution numérique n’a fait qu’accélérer et qui s’accompagne d’une mutation des supports de la lecture, au profit des supports thématiques (journaux, magazines) et surtout, de la lecture sur écran, dont on a encore bien du mal à mesurer l’ampleur. Ce qui s’apparente à une massification culturelle a plusieurs origines : une origine historique – les jeunes sont les enfants de la seconde massification scolaire qui a été marquée par une généralisation de l’accès à la culture, des produits médiatiques aux pratiques amateurs – ; un effet de cycle de vie – la jeunesse comme moment de suspension des contraintes de la vie adultes, notamment pour les jeunes qui poursuivent des études, a tendance à gommer pour un temps les disparités de capital culturel incorporé, les univers culturels se caractérisant par un patrimoine commun de produits médiatiques et industriels – ; et un effet d’offre – la démultiplication des produits culturels et de leurs modes d’accès a favorisé tendanciellement une culturalisation du rapport au monde15. Les élites d’aujourd’hui ne sont plus systématiquement porteuses des valeurs de la culture légitime : certes les diplômés sont toujours plus nombreux parmi les lecteurs de livres ou les visiteurs de musées, mais les écarts de pratiques se résorbent, notamment sous l’effet de l’abandon de ces pratiques par les catégories qui naguère les appréciaient. Et surtout, la légitimité culturelle16, qui fonctionnait tant par élection de pratiques et genres valorisés que par exclusion des consommations dites « populaires » (ou médiatiques) et par incorporation par les individus de ces hiérarchies de valeur, semble ne plus distinguer si précisément les deux registres, ni pouvoir se baser sur une telle incorporation : nombre de membres des catégories diplômées sont des consommateurs « décomplexés » de produits culturels industriels (les séries américaines notamment) et le sentiment d’illégitimité des catégories populaires à l’égard de leurs pratiques n’est plus si évident17.

Autonomie culturelle, autonomie relationnelle et espaces de socialisation

Cette réorganisation des agendas culturels n’est possible que parce qu’émerge une nouvelle position du jeune dans la société, notamment dans la famille. De manière croissante, les jeunes se voient conférer une autonomie culturelle et une autonomie relationnelle, la seconde venant nourrir la première tant la dimension sociale des consommations culturelles est prégnante, qu’il s’agisse de sociabilité (co-présence physique) ou de communication au sujet des consommations culturelles (médiatisée ou non). Du côté de l’autonomie culturelle se dessine précocement la reconnaissance d’un statut de consommateur culturel, avec des moyens afférents (indépendance

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7 financière gagée sur l’argent de poche, qui est généralisé dès le lycée), un espace (la chambre), des objets (les équipements en propre des jeunes sont nombreux, pluriels et largement répandus18). Ce statut fait du jeune un acteur intégré dans la négociation familiale pour les consommations culturelles : choix des contenus, des lieux et modalités de consommations, etc. Du côté de l’autonomie relationnelle se placent les autorisations de sortie, mais également la liberté de contacts laissée aux jeunes par les familles, soit qu’elles soient incapables de les contrôler (comment savoir ce qu’un jeune fait sur son ordinateur dans sa chambre ?) soit que cette liberté relationnelle soit versée au registre de l’épanouissement personnel, valeur centrale de l’éducation moderne. À côté des influences familiales, le rôle des pairs est prégnant, tant parce que ceux-ci proposent des modèles comportementaux, qui s’alimentent à ceux des médias et des dynamiques juvéniles, que parce qu’ils sont des espaces de construction identitaire et de reconnaissance de soi par les autres où il importe de « tenir son rang19 ». Ainsi, les sites relationnels – Facebook par exemple20 – ou les sites de jeux vidéo en réseaux ne sonnent pas le glas de la sociabilité. Il faut pour le comprendre concevoir que le désir d’intimité qui caractérise la construction identitaire des jeunes se double d’un désir « d’extrimité »21, de mise en scène de soi sur des sphères sociales où l’on peut tester des hypothèses identitaires, sans pour autant que la personnalité soit au risque de la schizophrénie : l’usage de pseudos, de changement de sexe sur les réseaux virtuels se saisit dans ce cadre explicatif. C’est là que le lien avec la question de la transmission se fait jour, dans ces mutations qui questionnent, redéfinissent les périmètres et le rôle des acteurs de cette socialisation culturelle. Encore faut-il procéder à un éclaircissement conceptuel : la transmission n’est pas la reproduction à l’identique de comportements d’une génération à une autre (sinon, la culture ne pourrait être vivante). Elle suppose un processus de réappropriation, une action des héritiers qui est toujours également une transformation : cette transformation peut se matérialiser par un déplacement des contenus consommés, des modalités de consommation intégrant les innovations technologiques22, etc. Dans la famille moderne, individualiste, et plurimodale23, semblable à une agora à certains égards, les parents souhaitent laisser une large liberté aux héritiers et les identités culturelles sont co-construites24. La culture est donc négociée, partagée, mais rarement objet d’opposition générationnelle, comme cela a pu être le cas dans les générations précédentes (par exemple autour de la musique rock dans les années 60-70). Il n’y a donc pas de rupture générationnelle, mais plutôt un continuum de situations de décalage vers les cultures dites populaires ou médiatiques, qui connaît des accélérations technologiques. Du côté de l’école et des institutions culturelles, les choses sont différentes. Ce que François Dubet appelle « la crise du programme institutionnel de l’école »25 peut s’interpréter sur les trois registres :

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18 Voir La Culture de la chambre, Hervé Glévarec, La Documentation française, 2010 19 Cultures lycéennes, la tyrannie de la majorité, Dominique Pasquier, Autrement, 2005 20 Voir numéro spécial de Réseaux, « Réseaux sociaux de l’Internet », n° 152, décembre 2008 21 Virtuel mon amour, Serge Tisseron, Albin Michel, 2008 22 Ainsi, les parents écouteront les Beatles sur un lecteur CD et les enfants Tokyo Hotel sur un MP3, mais les deux générations partageront un fort attachement à la consommation de musique enregistrée 23 Les adonaissants, François de Singly, Armand Colin, 2008 24 « Tels parents, tels enfants », Yves Jauneau et Sylvie Octobre, Revue française de sociologie, 2008 25 Le Déclin de l’institution, François Dubet, Le Seuil, 2002 26 Symposium Évaluer les effets de l’éducation artistique et culturelle, La Documentation française/Centre Georges-Pompidou, 2008 ; Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Stock, 2008 27 Olivier Galland pose ainsi la question : « Est-il légitime de penser la jeunesse comme une catégorie sociologique, c’est-à-dire comme un groupe social doté, à côté d’autres déterminations, d’une certaine unité de représentations et d’attitudes tenant à l’âge ? » dans Sociologie de la jeunesse, Armand Colin, 2007


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Nouvelles cultures et institutions de transmission 28 La génération « 11 septembre »

rassemble des jeunes qui auront 20 ans entre 2005 et 2014, et la génération « Internet » ceux qui ont eu 20 ans entre 1995 et 2004 29 Source : Pratiques culturelles des Français 30 Masculin-Féminin. La pensée de la différence, Françoise Héritier, Odile Jacob, 1996 ; La distinction de sexe, Une nouvelle approche de l’égalité, Irène Théry, Odile Jacob, 2007 31 « La féminisation des pratiques culturelles », Olivier Donnat, Développement culturel, n° 147, 2005 ; « La construction intra-familiale des différenciations de “genre” à travers les loisirs culturels », Sylvie Octobre, Agora, n° 47, 2008 ; « La fabrique sexuée des goûts culturels. Construire son identité de fille ou de garçon à travers les activités culturelles », Sylvie Octobre, Développement culturel, n° 150, décembre 2005 32 Tel père, tel fils : position sociale et origine familiale, Claude Thélot, Pluriel, 1982 ; Le destin des générations : structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, Louis Chauvel, PUF, 1998 (2e édition) 33 « Valeurs des jeunes : une spécificité française ? », Olivier Galland et Bernard Roudet (dir), Regards sur les jeunes en France, Québec, Injep/PUL, 2009 ; « Un nouvel âge de la vie » Olivier Galland, in Revue française de sociologie, n° 4, pp. 529-551, 1990 34 « Culture adolescente et révolte étudiante », Edgar Morin, Annales E.S.C., n° 3, pp. 765-776, 1969 35 Les valeurs des jeunes, tendances en France depuis 20 ans, Olivier Galland et Bernard Roudet (dir), L’Harmattan, 2001

crise des mécanismes de la transmission, des statuts des transmetteurs et des contenus. Les mécanismes traditionnels de transmission sont concurrencés par l’irruption de nouveaux modes d’accès au savoir (wiki, moteurs de recherche, etc.) ; les sites, plates-formes, forums et commentaires de blogs proposent désormais les contenus précédemment fournis par l’école. Les statuts des transmetteurs (professeurs, documentalistes, bibliothécaires, etc.) sont également concurrencés par les nouveaux modes d’accès au savoir et les nouvelles relations enseignants/enseignés. Enfin, le savoir ne semble plus être le passage obligé pour réussir sa vie, la moindre performativité de l’école sur le marché du travail en est un indice. Ceci incite à une véritable réflexion pédagogique sur les modes de transmission, qui ne se réduise pas à l’insertion de technologies mais englobe une réflexion sur les apprentissages26. Pourtant, faut-il céder à l’illusion culturaliste d’une homogénéité de la jeunesse à l’égard des loisirs ?27 Génération « Internet » et génération « 11 septembre »28 recouvrent des réalités variées, des cultures diverses, opérant des mutations autour des grandes tendances présentées plus haut – les plus récentes générations sont toujours plus technophiles que leurs aînés, ce qui modifie leurs usages des technologies (MSN pour les plus jeunes, téléchargement pour les plus âgés) – mais aussi des statuts de consommateurs culturels différents (autonomie culturelle cantonnée aux produits pour les uns, ouverte aux équipements et aux sorties pour les autres), qui matérialisent leur degré d’autonomie culturelle et relationnelle. Des fractures d’origine sociale, quoi que moins prégnantes que chez les adultes sont perceptibles, qui laissent environ 10 % des jeunes de chaque classe d’âge à l’écart des loisirs culturels29 et qui différencient fortement les normes éducatives des familles en matière d’autonomisation. À ces clivages sociaux s’ajoutent des différenciations de sexe : les clivages entre filles et garçons prennent dans le monde postmoderne une nouvelle acuité, qui revêt la forme, selon l’optique que l’on choisit, d’une reconnaissance des différences ou d’un creusement des inégalités30. Sociologiquement et politiquement, la question est alors de savoir si les écarts de comportements et de traitements des filles et des garçons sont des différences, intéressantes en tant que telles et significatives de la féminité et de la masculinité, considérés comme des états historiques plus que comme des vérités « essentialisantes », ou bien si elles sont une (nouvelle) forme d’inégalité : le discours unisexe ou mixte de la plupart des institutions de transmission – école, institutions culturelles, etc. – doit être révisé à l’aune de cette question31. Ces clivages d’âge et de sexe se combinent avec les clivages sociaux, tant les définitions statutaire et identitaire des âges et des sexes peuvent y varier32. Jeunesse plurielle, jeunesse rare, jeunesse désirée… Jeunesse qui se rassemble autour de deux caractéristiques : un niveau d’engagement dans la culture supérieur à la moyenne et une propension à s’emparer des innovations technologiques ou artistiques.

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9 Cultures, valeurs et générations

Est-ce à dire que ces mutations des rapports aux produits et activités culturelles traduisent une mutation des valeurs de ces jeunes générations ? Le « modèle de l’identification »33 qui avait prévalu dans les générations précédentes, reposant sur un processus de transmission de statuts et de valeurs relativement stables, semble remplacé par ce qu’Edgar Morin34 désignait comme l’autonomie d’une culture juvénile liée aux loisirs, qui entraîne une conquête d’autonomie par rapport à la famille et à la société dans son ensemble, autonomie qui ne se situe plus dans les marges de la résistance culturelle mais bien au centre des processus de consommation. Là où les cultures juvéniles des années 60-70 se comportaient comme des isolats fermés au monde des adultes, lieu de revendication de liberté, d’évasion, etc. Les cultures juvéniles d’aujourd’hui paraissent bien plus ancrées dans les fonctionnements des marchés de leur temps. Il semble qu’avec les outils technologiques, les jeunes soient passés dans un modèle de l’expérimentation, dans lequel la transmission des statuts et des rôles est moins efficace. Expérimentation qui prend un visage processuel : la jeunesse est un continuum. Le conflit des générations, dans lequel les cultures avaient une place importante, comme élément de visibilité des espaces de conflits, a perdu de sa force car les adultes sont également issus des générations de la culture de masse : de ce fait, les valeurs des jeunes et de leurs parents tendent à se rapprocher, sans que les jeunes ne désinves­ tissent les groupes de pairs35. Les caractéristiques de la culture jeune ne sont donc pas volatiles, et liées à l’âge, mais générationnelles et durables : en vieillissant les jeunes conservent les activités qui ont défini leur culture jeune. L’exemple des jeux vidéo peut nous en convaincre : pratique supposée liée à une mode adolescente au moment de son déve­ loppement, elle apparaît bien plus durable puisque les adultes d’aujourd’hui, notamment les hommes, restent joueurs. Les industries culturelles l’ont bien compris, qui proposent de plus en plus de produits générationnels en lien avec la « culture jeune d’avant » : reprise de séries télé au cinéma, stations radio axées sur la musique des années 80… La juvénilisation de la culture a comme corollaire cette permanence des univers culturels avec le vieillissement.

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Publications de Sylvie Octobre

• Les loisirs culturels des 6-14 ans, La Documentation française, 2004 • « Les loisirs culturels des 6-14 ans », Développement culturel, n° 144, 2004 (sur www.culture.gouv.fr/deps) • Enfants et littérature : encore beaucoup à dire, Actes du colloque des 4 et 5 avril 2005, Centre de promotion du livre de jeunesse en Seine-SaintDenis, 2005 • « La fabrique sexuée des goûts culturels : construire son identité de fille ou de garçon à travers les activités culturelles », Développement culturel, n° 150, 2005 • « Les loisirs culturels des 6-14 ans. Contribution à une sociologie de l’enfance et de la prime adolescence », Enfance, Famille, Génération,(www.uqtr.ca/efg), n° 4, printemps 2006 • « Les loisirs culturels des 6-14 ans, réflexions et résultats », Panorama Art et Jeunesse, INJEP/Centre Georges Pompidou, 2007 • « Tels parents, tels enfants ? Une approche de la transmission culturelle », (avec Yves Jauneau), Revue française de sociologie, 2008• « Les horizons culturels des jeunes », Revue française de pédagogie, n° 163, 2008 • « Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmissions : un choc de cultures ? », Culture prospective, 2009, (sur www.culture. gouv.fr/deps) ; texte également présent dans « La culture au cœur de l’enseignement, un vrai défi démocratique », Actes du colloque organisé le 17 novembre 2008 à Bruxelles : « Culture et Démocratie »


Expression de soi 10 et créations identitaires Le Dossier dossier sur le web 2.0 Taiunique/Gaïa Christophe Aguiton et Dominique Cardon Enquête Jean-baptiste Coursaud La notion de « créations identitaires » est à aborder sur deux points : tout d’abord, une typologie des plateformes relationnelles du web 2.0 qui s’organise autour des différentes dimensions de l’identité numérique et du type de visibilité que chaque plateforme confère au profil de ses membres. Nous reviendrons ensuite sur l’étude « Sociogeek », première enquête sociologique en ligne sur le web 2.0 qui explore les nouvelles formes d’exposition de soi sur les plateformes relationnelles du web 2.0. Christophe Aguiton

L’identité numérique

est chercheur en sciences humaines et sociales à Orange Labs (Division recherche et développement du groupe France Télécom). Le laboratoire travaille sur les nouveaux usages des outils de communication. Sociologues, ergonomes et économistes analysent les transformations sociales et culturelles associées au développement des pratiques de communication électronique, notamment dans le monde du web 2.0. Les chercheurs du laboratoire ont déjà travaillé sur la typologie des plateformes relationnelles et sur les principales caractéristiques des réseaux sociaux sur le web 2.0.

Du point de vue des usages, le succès du web 2.0 est relativement inattendu1. Les utilisateurs ont contredit au moins deux des présupposés que les offreurs de services traditionnels avaient cru pouvoir extrapoler de leurs comportements dans le monde réel. D’une part, ils n’hésitent pas à rendre visible des traits de leur identité dont on supposait qu’ils auraient préféré les réserver à un cercle fermé de proches. D’autre part, les utilisateurs ne se contentent pas d’entrer en relation avec des proches ou des personnes partageant avec eux des traits identitaires similaires. Ils abordent aussi le Web dans un esprit exploratoire afin d’élargir leur cercle relationnel. La manière dont est rendue visible l’identité des personnes sur les sites du web 2.0 constitue l’une des variables les plus pertinentes pour apprécier la diversité des plateformes et des activités relationnelles qui y ont cours. Que montre-t-on de soi aux autres ? Comment sont rendus visibles les liens que l’on a tissés sur les plateformes d’interaction ? Comment ces sites permettent-ils aux visiteurs de retrouver les personnes qu’ils connaissent et d’en découvrir d’autres ? On propose ici une typologie des plateformes relationnelles du web 2.0 qui s’organise autour des différentes dimensions de l’identité numérique et du type de visibilité que chaque plateforme confère au profil de ses membres.

1 Vous pouvez consulter une version longue

La décomposition de l’identité numérique

et orientée « recherche » de cette typologie des usages : Dominique Cardon, « Le design de la visibilité. Un essai de cartographie du web 2.0 », Réseaux, n° 152, 2008 2 François de Singly, Les uns avec les autres. Quand l’individualisme crée du lien, Paris, Armand Colin, 2003, et Laurence Allard, Frédéric Vandenberghe, « Express Yourself ! Les pages perso entre légitimation techno-politique de l’individualisme expressif et authenticité réflexive peer-to-peer », Réseaux, n° 117, 2003, p. 191-219

L’identité numérique est une notion très large. Aussi, nous pouvons la décomposer autour de deux tensions qui se trouvent aujourd’hui au cœur des transformations de l’individualisme contemporain2. • L’extériorisation de soi caractérise la tension entre les signes qui se réfèrent à ce que la personne est dans son être (sexe, âge, statut matrimonial, etc.), de façon durable et incorporée, et ceux qui renvoient à ce que fait la personne (ses œuvres, ses projets, ses productions). Ce processus d’extériorisation du soi dans les activités et les œuvres renvoie à ce que la sociologie qualifie de subjectivation. • La simulation de soi caractérise la tension entre les traits qui se réfèrent à la personne dans sa vie réelle (quotidienne, professionnelle, amicale) et ceux qui renvoient à une projection ou à une simulation de soi, virtuelle au sens premier du terme, qui permet aux personnes d’exprimer une partie ou une potentialité d’elles-mêmes.

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aïa

Cinq formats de visibilité

Sur ces deux axes, il est possible de projeter trois modèles de visibilité, auxquels s’ajoutent deux modèles émergents. Ces modèles correspondent aux différentes formes d’éclairage que les plateformes réservent à l’identité des participants et à leur mise en relation.

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Expression de soi et créations identitaires sur le web 2.0 Le paravent. Les participants ne sont visibles aux autres qu’à travers un moteur de recherche fonctionnant sur des critères objectifs. Ils restent « cachés » derrière des catégories qui les décrivent et ne se dévoilent réellement qu’au cas par cas dans l’interaction avec la personne de leur choix. Le principe du paravent préside aux appariements sur les sites de rencontre (Meetic, Rezog, Ulteem). Les individus se sélectionnent les uns les autres à travers une fiche critérielle découverte à l’aide d’un moteur de recherche, avant de dévoiler progressivement leurs identités et de favoriser une rencontre dans la vie réelle. Le clair-obscur. Les participants rendent visibles leur intimité, leur quotidien et leur vie sociale, mais ils s’adressent principalement aux proches et sont difficilement accessibles pour les autres. La visibilité en clair-obscur est au principe de toutes les plateformes relationnelles qui privilégient les échanges entre petits cercles d’internautes (Cyworld, Skyblog, Friendster). Si les personnes se dévoilent beaucoup, elles ont l’impression de ne le faire que devant un nombre restreint d’amis, souvent connus dans la vie réelle. Les autres n’accèdent que difficilement à leur fiche, soit parce que l’accès est limité, soit parce que l’imperfection des outils de recherche sur la plateforme le rend complexe et difficile. Pour autant, ces plateformes refusent de se fermer complètement dans un entre-soi et restent ouvertes à la nébuleuse des amis d’amis et des réseaux proches. Le phare. Les participants rendent visibles de nombreux traits de leur identité, leurs goûts et leurs productions et sont facilement accessibles à tous. En partageant des contenus, les personnes créent de grands réseaux relationnels qui favorisent des contacts beaucoup plus nombreux, la rencontre avec des inconnus et la possibilité de trouver une audience. La photo (Flickr), la musique (MySpace) ou la vidéo (YouTube) constituent alors autant de moyens de montrer à tous ses centres d’intérêts et ses compétences et de créer des collectifs fondés sur les contenus partagés. Dans l’univers du phare, la visibilité fait souvent l’objet d’une quête délibérée et s’objective à travers des indicateurs de réputation, des compteurs d’audience et la recherche d’une connectivité maximale. Le post-it. Les participants rendent visibles leur disponibilité et leur présence en multipliant les indices contextuels, mais ils réservent cet accès à un cercle relationnel restreint (Twitter, Dodgeball). Les plateformes fonctionnant sur le modèle du post-it se caractérisent par un couplage très fort du territoire (notamment à travers les services de géolocalisation) et du temps (notamment, afin de planifier de façon souple des rencontres dans la vie réelle). Ainsi, les plateformes de voisinage (Peuplade) se développent-elles dans une logique mêlant territorialisation du réseau social et exploration curieuse de son environnement relationnel. La lanterna magica. Les participants prennent la forme d’avatars qu’ils personnalisent en « découplant » leur identité réelle de celle qu’ils endossent dans le monde virtuel (Second Life). Venant de l’univers des jeux en ligne (World of Warcraft), les avatars se libèrent des contraintes

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13 des scénarios de jeu pour faire des participants les concepteurs de leur identité, de l’environnement, des actions et des événements auxquels ils prennent part. Dans ces univers, l’opération de transformation, voire de métamorphose identitaire facilite et désinhibe la circulation et les nouvelles rencontres à l’intérieur du monde de la plateforme, tout en rendant encore rares l’articulation avec l’identité et la vie réelle des personnes. De cette typologie, on peut dégager quatre enjeux de recherche pour les approches de sciences sociales sur le web 2.0.

L’enjeu de la visibilité

Chaque plateforme propose une politique de la visibilité spécifique et cette diversité permet aux utilisateurs de jouer de leur identité sur des registres différents. Si l’utilisateur peut avoir un intérêt pratique à fédérer ses multiples facettes, en revanche il est peu probable qu’il souhaite partager avec d’autres son puzzle identitaire recomposé. Par ailleurs, à trop vouloir garantir, certifier et assurer la confiance dans le « réalisme » de l’identité, on néglige le fait que, dans beaucoup de contextes et souvent dans les plus dynamiques d’entre eux, les personnes n’aient pas envie d’être elles-mêmes. Cette typologie s’appuie sur l’idée que dans la présentation qu’ils sont amenés à faire sur Internet, les individus contrôlent la distance à soi qu’ils exhibent à travers leur identité numérique. Dans la partie haute de notre carte, ils sont amenés à être le plus réaliste possible et à transporter dans leur identité numérique les caractéristiques qui les décrivent le mieux dans leur vie réelle, amicale ou professionnelle. En revanche, dans la partie basse, il leur est loisible de prendre beaucoup plus de liberté en dissimulant certains traits de leur identité sociale ordinaire et en accusant ou projetant d’autres traits avec une coloration particulièrement accentuée. Ce constat invite à ne pas considérer la question de l’identité sur Internet sous le seul angle de la multiplicité des facettes de l’individu, celui-ci disposant d’un portefeuille de rôles au sein duquel il aurait à arbitrer selon les contextes. En fait, ces diverses identités n’ont rien de comparable ni de substituable. Elles témoignent de profondeurs différentes dans le rapport à soi que les individus souhaitent exhiber sur le Web. De sorte que la question de la distance au réel peut se révéler être un critère d’arbitrage beaucoup plus important pour les personnes que le choix d’une facette identitaire.

La forme du réseau social

Cette typologie aide à différencier la taille et la forme des réseaux sociaux selon les différentes plateformes. Alors que les sites du modèle du paravent refusent l’affichage du réseau relationnel pour préserver la discrétion d’une rencontre que l’on espère unique (significativement, seuls les sites gays et libertins se risquent à un affichage du réseau relationnel de leurs membres), les plateformes en clair-obscur se signalent par de petits réseaux de contacts très fortement connectés entre eux. En revanche, les sites du modèle du phare se caractérisent par l’importance du nombre de contacts et par des réseaux beaucoup plus divers, inattendus, longs et distendus que ceux qui s’observent dans la vie réelle.

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Dominique Cardon

est sociologue au Laboratoire des usages de France Télécom R&D et chercheur associé au Centre d’étude des mouvements sociaux de l’École des Hautes Études en Sciences sociales (CEMS/EHESS). Ses travaux portent sur les relations entre les usages des nouvelles technologies et les pratiques culturelles et médiatiques. Si les nouvelles technologies contribuent à transformer les relations sociales des individus, elles modifient aussi l’espace public, les médias et la manière de produire de l’information. L’articulation entre sociabilités et espace public est à l’origine de différents travaux portant sur les pratiques culturelles, les médias alternatifs ou les programmes télévisés « interactifs ». Il s’intéresse notamment aux usages des nouvelles technologies par les militants internationaux du mouvement.


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Expression de soi et créations identitaires sur le web 2.0 Les modes de navigation

La rupture introduite par le web 2.0 s’appuie sur un changement de paradigme dans les systèmes de recherche d’information. Un premier déplacement est apparu avec la navigation relationnelle qui voit les personnes circuler sur les plateformes à partir de leurs amis et des amis de leurs amis. Cependant, lorsqu’elle s’étend, cette navigation relationnelle s’accroche de plus en plus aux traces, explicites ou implicites, laissées par la navigation des autres. Ce second déplacement dans les systèmes de navigation ouvre alors l’espace à une navigation « hasardeuse » (appelée serendipity) qui permet d’explorer la plateforme en circulant à travers les agrégats que les autres participants ont constitués à travers les tags, les groupes thématiques ou les playlists. Ces agrégats d’un nouveau type ne sont pas édités par la plateforme, mais sont produits par la composition des comportements des autres utilisateurs. Cette navigation hasardeuse peut aussi être guidée par des systèmes des recommandations basées sur le filtrage collaboratif, ou s’appuyer sur des repères externes comme l’audience ou la réputation.

L’exposition de soi : l’enquête « Sociogeek »

Quelles sont les différentes manières de s’exposer sur les principales plates-formes de réseau social du web 2.0 ? Qui s’expose et comment ces formes d’exposition conduisent-elles à des comportements relationnels spécifiques sur Internet ? Ces questions ont présidé au lancement de « Sociogeek », première enquête sociologique en ligne sur le web 2.0. Mise en ligne début octobre 2008 sur www. sociogeek.com sous la forme d’un quiz basé sur le classement de photos et l’identification des amis, cette enquête d’un genre nouveau présente les nouvelles pratiques des internautes en terme d’exposition de soi. Réalisée sous une forme ludique, l’enquête était aussi pour les participants, un test permettant de calculer son « web-appeal », c’està-dire sa capacité d’attraction sur le web, avec un vrai résultat, qui pouvait être ensuite diffusé. Il s’agissait de proposer une série de photos en allant de la plus pudique à la moins pudique et l’internaute devait désigner ce qu’il était prêt à montrer sur sa page Web. Cet aspect divertissant a permis d’obtenir une participation record (plus de 12 000 internautes), grâce à l’appui de Libération, notamment.

Comment se montre-t-on ?

L’échantillon de cette enquête n’est pas du tout représentatif de la population française avec une moyenne d’âge de 28 ans, mais le plus important c’est que l’âge médian est de 23 ans, c’est-à-dire que 50 % des enquêtés ont moins de 23 ans. 96 % des répondants se connectent plusieurs fois par jour sur Internet et sont membres d’un ou plusieurs réseaux sociaux. Les enquêtés sont également fortement diplômés. L’enquête fait apparaître deux formes « nouvelles » d’exposition de soi des individus. En effet, les répondants ont d’abord sélectionné des photos qui renvoient à deux formes « classiques » d’exposition : « l’exposition de soi traditionnelle » (photos de famille, de vacances, de mariage) et l’impudeur corporelle (photos de nudité explicite). Il y a également des formes d’exposition de soi autour de « l’impudeur corporelle » (nudité, intimité, vie amoureuse).

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15 Enfin, l’enquête Sociogeek a fait apparaître deux nouveaux archétypes : – « L’exhib’ » : qui correspond aux formes d’expression de soi selon lesquelles les personnes se mettent en scène dans divers contextes : en mangeant, décontracté au travail, en colère, dansant… – « Le trash » : qui correspond à des formes d’exposition de soi outrancières lorsque les participants exhibent des images « négatives » d’eux-mêmes (pleurs, maladie, disgrâces corporelles). Les utilisateurs des réseaux sociaux sculptent leur représentation avec des objectifs souvent très explicites. Loin d’être composé de données objectives, attestées, vérifiables et calculables, le patchwork désordonné et proliférant de signes identitaires exhibés est tissé de jeux, de parodies, de pastiches, d’allusions et d’exagérations. L’exhib’, dans le monde numérique, est moins un dévoilement qu’une projection de soi. Les utilisateurs produisent leur visibilité à travers un jeu de masques, de filtres ou de sélection de facettes. Ainsi dévoile-t-on des éléments très différents sur une fiche de Meetic destinée à séduire, sur le profil estudiantin de Facebook, dans le patchwork de goût de MySpace ou à travers l’iconographie imaginative des avatars de Second Life. Les utilisateurs multiplient par ailleurs les stratégies d’anonymisation pour créer de la distance entre leur personne réelle et leur identité numérique, et ce jusqu’à défaire toute référence à ce qu’ils sont et font dans la « vraie vie ». L’identité numérique produit donc moins des informations que des signaux…

L’exposition de soi sur le Web reste mesurée et « contrôlée »

Les répondants exposent modérément leur identité sur le Web. La note moyenne des réponses obtenues sur l’ensemble de l’échantillon est en effet de 2,07 (les niveaux d’exposition allant de 1, « très pudique » à 4, « très impudique »). L’exposition de soi n’est donc pas outrancière. Seulement 7,6 % de l’échantillon a une note d’impudeur supérieure à 3 (dont 90 % sont des hommes). Par ailleurs, le niveau d’exposition de soi est fortement lié à l’âge : les moins de 19 ans sont moins pudiques que leurs aînés et la « réserve » est croissante au fil des années. Être actif sur les réseaux sociaux du Web n’entraîne pas une exposition de soi plus forte que la moyenne. En revanche, pour élargir son cercle relationnel et augmenter le nombre de ses amis, il est nécessaire d’exposer plus fortement son identité. L’image de soi que l’on expose sur le Web est une manière d’exprimer sa singularité auprès de son réseau d’amis, ce qui conduit souvent les répondants à des stratégies d’image très réfléchies. Pour l’essentiel, l’exposition est donc une stratégie sociale, avec derrière, l’idée un peu nouvelle, qui est probablement une nouvelle forme d’exposition de soi, ce qu’on appelle l’exhibition, la déconne, la frime…, qui est en train de se dessiner, que l’on identifie sur Internet, et qui correspond très probablement et plus profondément à des changements dans la façon dont les individus se construisent pour pouvoir agir et vivre en société.

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Bibliographie complémentaire

• « Le Web 2.0 est l’héritier de la contre-culture des années 60 », Christophe Aguiton, 01net, 2009. • « Vertus démocratiques de l’Internet, Dominique Cardon », La Vie des idées, 2009. • « Le design de la visibilité : un essai de typologie du web 2.0 », Dominique Cardon, Internetactu, 2008. • Deux numéros de la revue Réseaux coordonnés par Dominique Cardon : « Réseaux sociaux de l’Internet » (2008) et « Web 2.0 » (2009). • « La blogosphère est-elle un espace public comme les autres ? », Dominique Cardon, Transversales, 2006. • Vous pouvez consulter l’enquête « Sociogeek » et les résultats sur http://sociogeek.com


Les jeunes et la culture 16 numérique : des audiences Le dossier actives aux parcours créatifs Nicolas Auray Analyse

Nicolas Auray

est maître de conférence en sociologie à l’École Nationale Supérieure des Télécommunications (Telecom Paris) et membre du Groupe de sociologie politique et morale de l’EHESS. À partir de recherches sur la façon dont les nouvelles technologies de l’information et de la communication font émerger des collectifs de large taille marqués par une solidarité limitée, il s’intéresse aux logiques de transformation de l’identité et aux formes politiques créatives liées à l’essor des pratiques numériques. Il a mené des recherches sur les blogs de salariés, les jeux vidéo en ligne et le logiciel libre.

1 Voir aussi l’article de Laurence Allard « Remix Culture : l’âge des cultures expressives et des publics remixeurs ? » lors des rencontres sur les pratiques numériques des jeunes, du 2 juin 2009. La conférence et le compte-rendu sont en ligne : www.jeunesse-vie-associative.gouv.fr 2 Lire aussi « Internet nouvel espace de légitimation adolescente des œuvres : l’exemple des fanfictions sur Fascination », in Lecture Jeune n° 129, 2009, Hélène Sagnet

La démocratisation de l’Internet à haut débit a bouleversé chacune des phases du processus culturel. Les structures de production des industries culturelles, généralement décrites comme des oligopoles à frange concurrentielle, sont perturbées par la numérisation, qui semble a priori réduire les coûts de production et de distribution et permet, en théorie, à tout un chacun de publier devant tous les autres. La diffusion, via les circuits traditionnels de promotion et de critique, se voit également comme doublée par de nouvelles formes de circulation des informations en ligne, depuis le marketing viral sur les sites de réseaux sociaux jusqu’à la promotion via les sites de recommandation. Mais c’est surtout la réception qui retiendra notre attention : plus que jamais, elle s’inscrit dans des processus d’enrichissement réciproque et d’interactivité. Les frontières entre consommateurs et artistes, amateurs et professionnels se sont déplacées. Plus largement, les frontières entre lecture et écriture se brouillent et Internet est un lieu de visibilité inédit pour une multiplicité d’écritures transitoires : billets, commentaires sur des forums, annotation sous des bandes sonores ou des vidéos, qui rappellent la culture de la glose. Les « audiences » se voient ainsi donner la possibilité d’être plus actives : on passe des « audiences spectatorielles » d’autrefois, passives et sérielles, à des « publics remixeurs1 »,ironiques et transformateurs. À la place d’un monde marqué par l’échange d’œuvres publiées et rattachées à un auteur, s’esquisse un rapprochement entre la publication et la conversation : la création est plus collective, et, comme un organisme vivant, évolue en synchronie avec les remarques de son public, voire fait l’objet de sélections, reprises ou détournements, qui la font se reproduire ailleurs. Dans le cadre limité de cet article, nous focaliserons notre réflexion sur quatre lieux, choisis parce qu’ils sont à la fois emblématiques de ce nouveau format « relationnel » de la création, tout en étant remarquables par la célébrité des créations individuelles qu’ils ont rendu possibles. Les deux premiers endroits nous permettent de pointer les modalités plus « dialogiques » de l’écriture individuelle, l’une autour de formes esthétiques courtes (la pratique du libelle ou de la satire, qui se démocratise dans le cadre de sites jouant un peu le rôle de pots-pourris), l’autre autour de formes esthétiques longues (le récit traditionnel,qui se transforme et se produit en série dans le cadre des fanfictions2). Les deux derniers endroits nous permettent de mettre en évidence le caractère nouvellement « hybride » des matériaux utilisés pour créer. Hybridation par laquelle l’écriture perd son monopole et

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17 doit se conjuguer au son et à l’image, ce qui donne un regain de vigueur aux genres dépendants de l’illustration, tels que la bande dessinée ou le roman-photo. Ce décentrement apparaît dans des formes brouillonnes ou spontanées, avec l’arrivée, marquante dans l’univers manga, d’une culture de la « fabrication de personnages », faite d’assemblages et de collages où le texte intervient en sus, et où ce qui est recherché, plutôt que la linéarité d’un récit, est l’attractivité de certains éléments. Il est également marquant dans des formes esthétiques plus élaborées, accompagnements textuels de films ou de musiques, par des sous-titrages ou des intertitres, qui permettent alors autour d’une création multimédia une communion émotionnelle.

Un Internet de la mazarinade : la forme courte de la joute

Le Web participatif a redonné une visibilité majeure à des pratiques créatives légères, faciles d’utilisation, et qui sont généralement centralisées par des sites collecteurs, dont les modérateurs jouent le rôle d’animateurs de tournois. On sait qu’une étymologie probable pour la notion de « satire », attribuée à Lucilius, est le latin saturus, qui signifie « pot-pourri ». Intéressons-nous au site Web « Brice Hortefeux tout-puissant3 » et au contexte de sa création4. Alors que les propos du ministre ont été le fruit d’une importante médiatisation, le site Internet s’interroge : « on finit par se demander si notre interprétation n’était pas “totalement inexacte” ? Et si ce propos ne faisait pas référence aux origines d’Amine ? Et s’il parlait d’autre chose ? Mais alors à qui, à quoi, pensait Brice Tout-puissant en lâchant ces phrases ? Partageons nos idées ! » Ainsi, le site a collecté et centralisé les propositions en publiant le florilège des libelles les plus mordants. Chaque semaine, on pouvait retrouver les « quand il y en a un ça va… » les plus piquants, les plus amusants, ou les plus originaux, postés au cours des 7 derniers jours5. Une culture de la repartie se constitue, faite d’une collection de phrases courtes, généralement métrées ou rimées, et recherchant l’opportunité. Ces billets ne sont pas sans rappeler les mazarinades, vers satiriques ou pamphlets burlesques qui furent écrits au temps de la Fronde et qui s’envolaient chaque matin des Galeries du Pont Neuf ou du Grand Palais. Elles sont fixées en écrit, cumulées et centralisées sans but lucratif. Cette logique est à l’origine de phénomènes forts de dépendance de chacun par rapport à l’opinion des autres, et conduit à de vastes communautés sur un fond de rivalité plus ou moins bienveillante ou plus ou moins moqueuse, selon les cas. L’organisation dialogique de ces pratiques créatives se rapproche alors de la « joute ».

3 www.bricetoutpuissant.com

4 On se souvient que, quelques jours après avoir mis à la retraite un préfet qui avait tenu des propos aux relents colonialistes, le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux avait été filmé par une caméra de téléphone portable, lors de l’université d’été de l’UMP, au cours d’une discussion informelle avec des militants. Alors qu’une militante lui présentait Amine, un jeune d’origine maghrébine, ce dernier lançait : « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ». Très vite, alors que la vidéo faisait le buzz sur Internet, le ministre a, contre toute évidence, copieusement démenti que ses propos faisaient référence à l’origine arabe de la personne désignée. Il s’est employé à nommer un destinataire (il parlait d’un Auvergnat) pour recouvrir le pointage indexical. Un site Web s’est alors rendu populaire, pour proposer à tous les internautes, de manière satirique, de remplir à la place de Brice Hortefeux le prénom innommable, pour trouver à sa place à qui ou à quoi il pensait dans cette phrase tellement sibylline

5 Au 01/10/2009, plusieurs milliers de phrases étaient explorables. Les deux plus populaires étaient : « Quand il y a un(e) personne qui pense que Sarkozy ferait un bon président, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes » (219 votes) et « Quand il y a un(e) personne de France Telecom qui tombe par la fenêtre, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes ! » (148 votes)

Les fanfictions6 et l’obéissance au canon

Un deuxième lieu de pratiques créatives originales liées à la numérisation est la multiplication des productions textuelles, dérivées d’un canon. Elles témoignent d’une écriture soumise au jugement d’un cercle large de relecteurs, qui sont censés surveiller la

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6 Des sites dédiés aux fanfictions, à consulter : www.fanfiction.net et www.fanfic-fr.net/


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Les jeunes et la culture numérique : des audiences actives aux parcours créatifs

7 Warner Bros par exemple, qui détient les droits de franchise d’Harry Potter au cinéma a montré du doigt les contenus amateur (au prétexte de contenus adultes). Désormais, les sites de fanfictions doivent mentionner lisiblement la mention suivante : « © 2004-2009 HPF Les personnages, noms et images relatifs à HP sont la propriété de Warner Bros Corp. et de J.K. Rowling » 8 Le Donjon de Naheulbeuk, plébiscité par les adolescents, relève de ce phénomène. À l’origine une saga MP3, diffusée gratuitement sur Internet, elle a été transposée en bandes dessinées et en romans 9 Il s’agit à l’origine d’un manga, décliné en cartes à jouer. www.yugiohfr.com 10 Mimo Ito a relevé la faible importance de la narration dans ces formes d’écriture dans « Technologies of the Childhood Imagination : Media Mixes, Hypersociality, and Recombinant Cultural Form », in Structures of Digital Participations, Karaganis Ed., 2007, New York

cohérence avec ce qui est appelé le « fanon » ; c’est-à-dire les règles d’écriture propres à la communauté de fans. Sébastien François a ainsi brillamment mis en évidence cette soumission aux logiques de dialogue avec le collectif dans le processus d’écriture, allant jusqu’à comparer les relecteurs aux autorités et correcteurs professionnels qui assuraient la censure royale à l’époque de Cervantès. Certains de ces textes représentent des approfondissements du récit, d’autres placent au second plan les péripéties de l’intrigue pour mettre en exergue des liens entre les personnages. La peinture des relations entre personnages permet alors d’exprimer des idéaux ou de faire des commentaires. Le relationnel anime ces récits. En prenant par exemple possession de personnages masculins (travestissement), en déguisant les relations hétérosexuelles sous des relations homosexuelles (second travestissement), les jeunes filles peuvent raconter le processus de découverte de la relation, ou de la déclaration de sentiments. Ces déguisements en chaîne ressemblent aux situations recherchées par Shakespeare dans Comme il vous plaira, où l’on voit des hommes jouer des femmes jouant à être des hommes, et des femmes jouer des hommes prétendant être des femmes. Une fonction « cathartique » libératrice anime ces jeux sur l’identité. Le travestissement identitaire, l’endossement de rôle de comédie, va dans le sens d’une désinhibition de l’écriture. Beaucoup de ces récits renforcent le lien dialogique avec leur public du fait de leur distribution sérielle, sous forme de livraison périodique d’épisodes. Le développement de ces formes culturelles est cependant limité par l’existence d’une politique prohibitionniste de la part de certains ayants droit sur ces œuvres7.

Enfanter des personnages : une écriture élémentaire

Le renouvellement des formats de créativité autour du numérique porte également sur le décentrement du texte écrit par rapport à l’image animée et au son. Ce décentrement a été favorisé par la tendance désormais courante des industries culturelles à décliner sur plusieurs supports leur contenu, non plus via des produits dérivés, mais en répartissant l’intrigue ou la narration sur différents canaux lancés simultanément (cinéma, jeu vidéo, musique, livre8). Ce qui passe au centre dans ce genre de produits franchissant plusieurs médias, c’est alors une gamme de personnages, objets ou symboles. C’est même parfois sous forme matérielle de cartes à jouer qu’ils sont échangés dans les collections Pokemon et le jeu de cartes Yu-Gi-Oh9. Il y a quelques centaines de Pokemon différents, chacun avec des formes évolutives multiples et un ensemble complexe de rivalités et d’attachements. Il n’y a pas une seule source qui permette d’obtenir l’information sur ces espèces variées. L’enfant, au contraire, assemble ce qu’il sait des Pokemon, faisant sa sauce à partir de médias variés ; sa construction suit les aléas de son cheminement singulier. Par conséquent, chacun a une connaissance partielle de la culture, et c’est bien cette discordance qui crée une volonté de partager son expérience avec les autres, pour la compléter. De telles pratiques culturelles sont historiquement développées

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19 autour des mangas et des Pokemon. Elles ont été renouvelées par l’apparition du média Internet. Alors qu’auparavant, le dessin et la construction détaillée des cartes de personnages étaient monopolisés par leurs créateurs, des logiciels permettent désormais de créer soimême ses propres cartes. Ces assemblages stimulent alors des textes ou commentaires pour caractériser les créations, c’est-à-dire pour leur donner des attributs psychologiques ou comportementaux. Ce n’est qu’accessoirement que ces personnages sont mis dans des intrigues : les créateurs-amateurs peuvent imaginer des histoires mais ça n’est pas le plus important 10. Dans le jeu les Sims 11, les personnages fabriqués par les joueurs sont parfois les héros de romans-photos12. Le traitement informatique de cette base de données fictionnelles a contribué à fragiliser encore la linéarité.

11 Les Sims est un jeu vidéo de simulation

Les adaptations et la communion émotionnelle

13 Le terme de vidéo suédée fait référence

De nombreuses formes de créativité sont fondées sur un rapport (soit de reprise, soit de détournement) avec les signes culturels préexistants dans le but privilégié d’exploiter le pouvoir émotionnel des références. Ainsi, de nombreux jeunes se focalisent sur la transposition avec des moteurs graphiques de jeux vidéo, de clips vidéo d’artistes qu’ils admirent. De nombreux groupes de fans fabriquent et échangent des vidéos suédées 13, c’est-à-dire tournées avec les moyens du bord, mais reprenant le synopsis et les découpages de plan du même film original. Ces répétitions s’inscrivent dans de véritables rituels commémoratifs. Ils véhiculent un épanchement émotionnel. Ils témoignent d’une volonté de retrouver avec certaines œuvres marquantes un contact indiciel. On peut à leur sujet parler de formes élaborées de « cross media » car elles représentent un mixage de création textuelle et de contenus audiovisuel et musical. Ainsi, dans des sites divers et majeurs, émergent des formes différentes de nouvelles pratiques donnant une place à l’écriture. Une nouvelle culture du texte émerge, dont il faut regarder surtout les dynamiques. L’écran est un levier de réinvestissement des formes textuelles, de pratiques culturelles très écrites, et ainsi de nouvelles pratiques de lecture. L’élargissement de la créativité autour de pratiques liées au numérique s’exerce dans des directions variées, depuis le genre de la mazarinade, proche de la joute, jusqu’au discours d’apparat, en passant par la construction narrative et l’analyse psychologique des sentiments et des relations affectives. Cette pluralité de genres invite à se défaire d’une trop rapide association de la créativité des « natifs du numérique » à un simple engouement. Les jeunes de la nouvelle génération tirent tout autant vers un style de type « constructiviste », marqué par la déconstruction ironique et critique des conventions des industries culturelles, que vers un style « expressiviste » à connotation romantique, lié à la réalisation du « moi ».

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de vie qui propose de gérer la vie des Sims. Il n’existe aucun but défini dans Les Sims : le jeu laisse le joueur entièrement libre de faire mener aux Sims la vie qu’il désire 12 On peut retrouver une tentative de monographie de ces enfantements créatifs dans « Entre individualisme et singularité : le Star Sims Theme des amateurs de Sims », Médiamorphoses, revue de l’INA, n° 21, pp. 63-68

à un film de Michael Gondry : « Soyez sympa, rembobinez ». Un homme dont le cerveau devient magnétique efface involontairement toutes les cassettes du vidéoclub dans lequel l’un de ses amis travaille. Afin de satisfaire la demande de la plus fidèle cliente du vidéoclub, une femme démente, les deux hommes décident de réaliser les remakes des films effacés

Quelques publications de Nicolas Auray

• « Pirates en réseau. Prédation, détournement et exigence de justice », Esprit, juillet 2009, pp. 168-180 • « Le Web participatif : des communautés aux solidarités », in Proulx, S., Millerand, F., Rueff, J., Web participatif : mutation de la communication ?, Presses Universitaires de Québec, 2007 • « Internet et la synthèse collective des goûts », Désirs à vendre, Olivier Assouly, PUF, 2007 • « Entre individualisme et singularité : le Star Sims Theme des amateurs de Sims », Nicolas Auray et Marie-Christine Legout, Médiamorphoses, n° 21, pp. 63-68. Consultable en ligne au format PDF sur : http://griom.lautre.net/express/ mmdef.pdf


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Jeu vidéo, Le dossier une histoire à succès Sébastien Genvo Repères Que ce soit sur l’ordinateur ou sur console, aujourd’hui presque tous les adolescents jouent régulièrement aux jeux vidéo. D’après un sondage Ipsos/ Délégation Interministérielle à la Famille ( DIF1 ), la quasi-totalité des jeunes de 12 à 17 ans (99 %) déclarent jouer aux jeux vidéo. La croissance de cette industrie a longtemps reposé sur la conquête du public adolescent, plus particulièrement masculin. Pour en comprendre les raisons, il faut revenir sur son développement. Sébastien Genvo

est maître de conférences à l’université de Limoges (IUT du Limousin) et membre du Centre de recherches sémiotiques. Avant d’entreprendre un doctorat en sciences de l’information et de la communication, il a notamment été « game designer » sur le jeu XIII, édité par Ubi Soft en 2003. Pour aller plus loin, consulter le site de l’auteur : www.ludologique.com

1 Résultats publiés en décembre 2009 et consultables sur Internet : www.ipsos.fr

Borne d’arcade du jeu Pong, en 1972

Quelques éléments historiques

L’un des tout premiers jeux vidéo, Spacewar!, a été conçu en 1962 par Steve Russel, un élève ingénieur du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT), membre du mouvement « hacker ». À l’époque, cette dénomination n’avait pas la connotation péjorative, mais désignait des jeunes adultes aimant explorer les possibilités des systèmes informatiques. Croyant en une société utopique de libre échange de l’information, ceux-ci partageaient les mêmes références culturelles, empruntes notamment de science-fiction et d’heroïc fantasy. En ce sens, la conception de Spacewar! s’inscrit tout à fait dans ce contexte. Le jeu n’est pas issu d’un programme de recherche officiel du MIT mais du détournement de l’usage d’un des supercalculateurs de l’institut. Il s’agissait pour Steve Russel de réaliser le « hack ultime » en réussissant à développer un jeu sur ce genre de machine. Le thème du jeu propose à deux joueurs de s’affronter dans le vide intersidéral par le biais de deux vaisseaux spatiaux. Très vite, Spacewar! est diffusé gratuitement dans les campus américains disposant de ce genre de machine et rencontre un vif succès au sein des étudiants ingénieurs. L’un d’eux, Nolan Bushnell, va avoir l’idée d’en tirer profit en développant une machine avec monnayeur. En 1971, 1 500 exemplaires sont produits et installés essentiellement dans les bars, mais le succès n’est pas au rendez-vous. La machine est difficile à prendre en main et ce qui convenait à des étudiants férus de technologie ne correspond pas aux attentes de divertissement du public des cafés… Nolan Bushnell fonde donc une nouvelle société, Atari, et produit l’année suivante un jeu qui marquera la naissance économique de l’industrie, Pong. Celui-ci remporte un succès conséquent dans les bars et « salles d’arcade ». De même, une déclinaison de salon (se branchant au téléviseur) est lancée quelques années plus tard. Alors qu’Atari fut fondée avec un capital de 500 dollars, la société affiche un chiffre d’affaire de 3,2 millions de dollars en 1974, puis 40 millions en 1976, ce qui en fait à l’époque, la compagnie à la croissance la plus rapide de l’histoire des États-Unis ! Les thématiques des jeux étaient cependant principalement destinées

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21 à séduire le public qui avait permis cet envol : celui des bars et salles de jeux, essentiellement masculin 2. Des jeux de sport, de conquêtes et de combats sont donc produits, ces sujets ayant, de plus, l’avantage de s’accorder au contexte d’usage dominant qui imposait des parties rapides. Plus les parties étaient courtes et faciles à prendre en main, plus les pièces tombaient dans le monnayeur des gérants de bistrots… Ce succès attise beaucoup de convoitises et de nombreuses marques de machines de jeux vidéo sont lancées sur le marché, la plupart proposant des déclinaisons des mêmes jeux (on trouve un nombre incalculable de copies de Pong). Aucune réflexion n’est alors menée sur ce qui constitue la qualité d’un jeu vidéo. Au début des années 1980, le marché arrive à saturation. En 1983, les revenus d’Atari (qui avait jusque là le quasi monopole des consoles de salon) sont en chute de près de 40 % et beaucoup d’analystes considèrent que les jeux vidéo n’étaient qu’un phénomène de mode. La reprise économique se fit par l’entrée dans le monde du jeu vidéo d’une firme japonaise connue jusqu’alors pour ses jeux de cartes, Nintendo. Celle-ci va tout d’abord révolutionner le modèle économique en vigueur : la nouvelle console de salon de Nintendo, la « NES », est vendue à prix coûtant (ce qui n’était pas le cas des autres consoles). Les éditeurs qui développent pour cette machine doivent toutefois reverser des royalties au constructeur. Les innovations technologiques sont aussi conséquentes : manette de jeu révolutionnaire (« joypad »), nombre de couleurs à l’écran au-dessus des concurrents. Mais Nintendo va surtout engager une véritable réflexion sur ce qui fait la particularité et la qualité d’un jeu vidéo en tant que produit de loisirs. Les références culturelles se détachent aussi des thématiques guerrières et trop masculines qui primaient alors (comme le montre la série des Super Mario Bros.). Elles sont cependant en grande partie empruntes de contes et légendes fantastiques, qui occupaient l’imaginaire du public cible (il suffit de considérer le cas d’une autre série à succès de l’entreprise, The Legend of Zelda), celui-ci restant encore essentiellement composé d’adolescents. Si Nintendo reprend le flambeau du monopole des consoles de salon, un concurrent va rapidement essayer de remettre en cause cette situation à la fin des années 80 : Sega. Cette firme va essayer de s’imposer auprès des 14-17 ans en souhaitant donner à Nintendo une image infantile et en tablant sur des messages aux connotations violentes, renouant avec les thématiques dominantes des années 1970. Ce combat s’achèvera plusieurs années plus tard par la cessation d’activité de Sega dans la construction des consoles et l’affaiblissement de Nintendo, qui laissa place libre à Sony et sa fameuse Playstation, suivi de près par Microsoft et sa Xbox.

Les jeux plébiscités par les adolescents3

Le jeu vidéo est aujourd’hui l’une des industries culturelles les plus importantes au monde. Les cinq dernières années ont été marquées par l’élargissement considérable de la population des joueurs : alors que le jeu vidéo était auparavant réservé à un public initié,

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2 Il faut aussi noter que les développeurs de l’époque étaient surtout des jeunes hommes, étudiants, voire lycéens

Super Mario Bros, l’un des premiers jeux de plateforme 3 Les 10 meilleures ventes de jeux sur console dans le monde. Source : VGChartz, 2008 : 1. Wii Sports ; 2. Super Mario Bros. 3. Pokémon Red/Green/Blue ; 4.Tétris ; 5. Dunk Hunt ; 6. Wii Play ; 7. Pokémon Gold ; 8. Nintendogs ; 9. Wii Fit ; 10. Super Mario World Les 10 meilleures ventes de jeux sur PC dans le monde. Source : VGChartz, 2008 : 1. The Sims ; 2. World of Warcraft ; 3. Starcraft ; 4. Myst ; 5. Half Life ; 6. World of Warcraft : the burning Crusade ; 7. Rollercoaster Tycoon; 8. Diablo II; 9. World of Warcraft : warth of the Lich King ; 10. The Sims II


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Jeu vidéo, une histoire à succès

World of Warcraft, le jeu de rôle en ligne le plus populaire

The Sims, un jeu vidéo de simulation de vie

Publications de Sébastien Genvo

• Le jeu à son ère numérique. Comprendre et analyser les jeux vidéo, L’Harmattan, 2009 • « Les jeux vidéo, un « bien» culturel ? », in Médiamorphoses, n° 22, INA/Armand Colin, 2008 • Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo, L’Harmattan, 2003

jeune et masculin, il s’adresse désormais à tout un chacun à mesure que l’utilisation des TIC se généralise, que les plateformes de jeux sont plus nombreuses (PC, console de salon, console portable, téléphone mobile) et que les constructeurs proposent des systèmes de jeux innovants et accessibles à tous (voir le succès de la Wii de Nintendo). Par ailleurs, le développement du jeu sur mobile, équipement de jeu le plus répandu dans le monde, contribue grandement à populariser le jeu vidéo et ce segment est promis à une forte croissance sur les prochaines années. Enfin, dernier phénomène majeur dans la filière, l’intrusion d’Internet dans le jeu vidéo avec le déploiement massif du jeu en ligne qui voit ses revenus croître de manière spectaculaire. L’un de ces jeux remportant un vif succès est World of Warcraft, jeu de rôle en ligne « massivement » multijoueur, emprunt d’heroïc fantasy. Ce type de jeux réunit simultanément des milliers de joueurs se connectant à des « univers persistants », où une partie sans fin se déroule de façon continuelle, que le joueur soit connecté ou non au monde virtuel. Celui-ci est en constante évolution, du fait des agissements des autres joueurs présents en ligne lorsque l’on est déconnecté, mais aussi du fait des mises à jour fréquentes apportées par l’équipe de développement, qui modifient l’univers de jeu mais aussi parfois ses règles. Ces jeux proposent généralement aux utilisateurs de résoudre des quêtes, de se réunir en guilde, de mener des batailles entre diverses factions, etc. À l’inverse, si l’on veut trouver un jeu emblématique de la diversification actuelle des thématiques vidéoludiques auprès d’un public adolescent, la série The Sims est certainement celle qui vient le plus rapidement à l’esprit. Si le concept du jeu, un simulateur de « vie », a déjà été développé de longue date dans les jeux vidéo, il avait toujours été cantonné à un public restreint, essentiellement masculin et passionné de simulations (donc généralement plus âgé). The Sims en revanche remporte un succès chez les adolescentes et jeunes femmes. Il s’agit de s’occuper du quotidien d’un personnage que l’on conçoit, un « sims », avec les contraintes qu’implique le travail, la nécessité de trouver des amis, de fonder une famille, etc. Le rapprochement avec l’univers d’une sitcom que l’on dirigerait peut aisément être établi, avec la possibilité de faire vivre le meilleur comme le pire au héros… Il est finalement difficile de trouver un nombre restreint de facteurs pouvant expliquer le succès d’un jeu auprès des adolescents. Des contraintes relevant à la fois du marché, de l’évolution des goûts du public, des innovations technologiques, etc. prouvent que les jeux vidéo sont justement un domaine pluriel et complexe : au grand dam des producteurs, il n’y a pas de formule magique du succès. Ceci montre que le jeu vidéo n’est pas qu’un artefact technologique mais qu’il touche aussi au social et à la culture, tout comme d’autres formes d’expression, telles que le cinéma, la bande dessinée ou la musique.

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Jeu vidéo et machinima. De l’adolescent joueur Le dossier à l’adolescent créateur

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Margherita Balzerani Point de vue Dans le panorama du Web actuel, l’expérience du machinima représente un véritable ovni esthétique. Le terme machinima est la combinaison de trois mots existants : machine (pour ordinateur), animation et cinéma1. Le mot désigne à la fois des techniques de production audiovisuelle et une œuvre ou un genre cinématographique. En tant que genre cinématographique, le terme se réfère aux œuvres réalisées en filmant à l’intérieur d’un monde virtuel ou d’un jeu vidéo. En 2009, avec « Atopic »2, le premier festival français consacré aux machinimas, ces films digitaux sortent enfin de l’ombre du réseau. Organisé à la Géode à Paris, l’événement présentait le premier long-métrage tourné dans le monde virtuel et réalisé par l’Italien Berardo Carboni : Vola Vola. Cette production a coûté 130 000 euros, a mobilisé des acteurs/ avatars pendant plus de six mois et a été tourné uniquement dans l’univers de Second Life.

Les prémisses du machinima

Le machinima est, par sa nature et sa diffusion, à la croisée entre le jeu vidéo et Internet, entre une expérience vidéo ludique participative du joueur, un acte de détournement et de création. Dans l’histoire du machinima, Diary of camper3 inaugure la première réalisation du genre. Il a été conçu en 1996 par un groupe de joueurs qui détournent le jeu de tir subjectif Quake, et produisent un court-métrage. En dépit d’un script minimaliste et d’angles de caméra que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de très sommaires, il s’agissait là du premier détournement d’un moteur de jeu au service d’une histoire autre que celle prévue par le jeu lui-même. Avec le temps, le machinima s’est ouvert à de nombreux genres et registres, et se révèle aujourd’hui être un moyen d’expression accessible à un large public. Des œuvres originales, poétiques ou engagées ont vu le jour. En s’éloignant de l’approche formelle propre à ses origines « potaches » et proche de l’univers « hard gamer »4 , il montre désormais une richesse d’approches esthétiques et scénaristiques les plus diverses. Avec plusieurs milliers de machinimas créés à partir de jeux vidéo les plus populaires (Halo, Sims, World of Warcraft…), il est le premier genre cinématographique issu des mondes virtuels.

Le machinima actuel

La qualité des productions de films machinimas de ces cinq dernières années témoigne de cette évolution. Les réalisateurs de machinimas ne cessent d’expérimenter ce médium, en déconstruisant parfois l’univers propre du jeu vidéo et ses codes jusqu’à à créer des expériences conceptuelles et abstraites qui poussent la recherche du détournement esthétique jusqu’au paroxysme.

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Margherita Balzerani

est curateur et critique d’art, spécialisée dans le détournement esthétique des jeux vidéo et des mondes virtuels dans l’art contemporain. Membre de l’OMNSH, Observatoire des mondes numériques en sciences humaines.

1 Sur le thème des machinimas, nous vous invitons à (re)lire l’article de Frank Beau « La machine à écrire des images, un art adolescent » dans le n° 126 de la revue Lecture Jeune 2 Festival International d’art dédié aux réalités virtuelles, qui s’est tenu du 27 octobre au 4 novembre 2009, à la Cité des Sciences et de l’Industrie. Site Internet : www.atopicfestival.com/ 3 Diary of a camper est visible sur YouTube 4 Un hardcore gamer, terme anglais que l’on peut interpréter par « joueur inconditionnel », désigne un joueur qui s’implique énormément dans un jeu vidéo


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Jeu vidéo et machinima. De l’adolescent joueur à l’adolescent créateur

5 Métavers : mondes virtuels, mondes persistants 6 Site web de l’artiste Juria Yoshikawa : http://odysseyart.ning.com/profile/juriayoshikawa 7 http://pagesperso-orange.fr/ SoundWebster/soundwebster.com.html 8 Site web de l’artiste Lainy Voom : www.vimeo.com/lainyvoom 9 www.karapika.com/piano/video/ chevauchee.html 10 http://puppenspiel.moviesandbox.net/ 11 www.benjaminnuel.com/

Publications de Margherita Balzerani

• « Journal intime d’un critique d’art à l’ère du web 2.0. Rencontre avec l’artiste, de l’identité dématérialisée dans les réseaux au méta-wanderer dans les métaverses », dpi.studioxx, 2009. http://dpi.studioxx.org/demo/ ?q=fr/no/15/journal-intime-critique-art-par margherita-balzerani • « Réalité virtuelle VS Virtualité réelle. Agnès de Cayeux, Du cut-up à la quête identitaire open source », CIAC, 2008. www.ciac.ca/magazine/ • « Et le jeu vidéo créa la femme. Lara Croft, une héroïne post-moderne », Edit. The Game, n° 7. www.editrevue.com/ ?Article=192

Avec l’apparition de logiciels comme The Movie, véritable petit studio cinématographique, la multiplication des jeux en ligne massivement multijoueurs, comme World of Warcraft, – qui apportent décors, liberté de mouvement et figurants, l’amélioration du matériel – et l’essor d’Internet, de plus en plus de passionnés de jeux se sont aventurés à faire leur cinéma. En outre, la création du métavers 5 Second Life en 2003 a donné la possibilité d’appliquer l’écriture du machinima à des formes performatives et collaboratives. Ainsi, les expériences d’artistes comme celles de Juria Yoshikawa 6 ou Christine Webester7 semblent ouvrir une nouvelle voie de création dans la musique actuelle. La réalisatrice anglaise Lainy Voom8 produit également des expérimentations visuelles qui témoignent d’une grande originalité. Si beaucoup de films machinimas sont réalisés dans les univers virtuels tels que Second Life, des films comme Chevauchée Nocturne9 réalisé en 2006 par « Les riches douaniers » ou Ein kleines Puppenspiel10 réalisé en 2007 par Friedrich Kirschner, proviennent de jeux vidéos et introduisent une esthétique totalement nouvelle, explorant les possibilités du machinima. Benjamin Nuel, jeune artiste du Fresnoy, révèle un parcours original dans le panorama de l’art contemporain : après avoir réalisé son jeu vidéo l’Hôtel en 200811, il décide en 2009 de réaliser à partir de ce même jeu une série télé. Le premier épisode de l’Hôtel sera le gagnant du prix du public pendant l’Atopic Festival de 2009. Benjamin Nuel a conçu lui-même le décor et les personnages de ce film du troisième type. Les personnages, une bande de terroristes surarmés, sont inspirés du jeu de tir subjectif en ligne Counter Strike ; l’objectif d’Hôtel n’est pas de jouer mais de raconter une histoire. Outre les fictions, les machinimas évoluent, aussi bien dans l’écriture scénaristique que dans la variété des genres proposés : du documentaire à la performance, du court-métrage au long-métrage, de la série télé à l’émission télé, etc. Le machinima représente une possibilité d’expression innovante et peut être une réflexion sur une nouvelle économie de création. Les machinimas ont une double potentialité : loisir créatif accessible à tous (dont les adolescents) et créations cinématographiques innovantes, réalisées par des professionnels. Leur diffusion, via Internet, permet d’avoir un public potentiellement aussi large que celui des productions cinématographiques. Les machinimas font l’objet de diffusion dans des salles de cinéma, lors de festivals, et les sites Internet qui leur sont dédiés témoignent de l’intérêt croissant pour ces créations émergentes.

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25 Les sociabilités littéraires Le dossier des adolescents sur Internet

Hélène Sagnet Étude Sur la Toile, les adolescents inventent de nouvelles sociabilités et de nouveaux modes d’expression de soi. Les blogs sont devenus les lieux d’exposition privilégiés du quotidien, des amitiés et des amours. Il existe également des blogs (moins nombreux certes) dédiés aux centres d’intérêt des jeunes (musique, sport, cinéma mais aussi littérature), qu’ils cherchent à partager avec un réseau élargi. Nous avons parcouru ces lieux (blogs, forums, sites…) où, sur Internet, les adolescents parlent de leurs lectures. Quels livres plébiscitent-ils ? Comment en parlent-ils ? Avec qui ? Quels nouveaux rapports à la lecture se créent ?

Les textes cités, extraits de forums et de blogs d’adolescents, sont retranscrits littéralement

Les blogs : l’exemple des Skyblogs Skyblog (créé dès 2002) constitue l’une des plus importantes plateformes de blogs (en janvier 2010, on dénombrait : 29 millions de blogs, 9 millions de profils, 9 000 nouveaux blogs chaque jour…). C’est ici que les jeunes créent leurs premières pages Web ,avant de rejoindre d’autres plateformes plus performantes type Overblog, ou d’autres réseaux comme Facebook. Difficile de connaître le nombre exact de blogs dédiés au livre1 mais notons que, sur Skyblog, plus de 170 000 articles font référence à Twilight2. Les blogs consacrés à un univers d’auteur ou à une série (Harry Potter, Marc Levy…) sont les plus nombreux, mais on peut également consulter des blogs que l’on pourrait qualifier de « généralistes », où les adolescents évoquent l’ensemble de leurs découvertes littéraires.

Hélène Sagnet

est directrice de l’association Lecture Jeunesse et directrice de la rédaction de la revue Lecture Jeune. 1 L’article « Très à la page, les amazones de la blogosphère », Stéphane Jarno, Télérama, janvier 2010, n° 3131, affirme qu’il y aurait plus de 400 blogs littéraires francophones (essentiellement féminins) 2 De Stephanie Meyer, Hachette

• Les blogs généralistes sur la lecture

Ils constituent un espace d’expression des goûts littéraires des jeunes qui publient une critique (ou plutôt un avis) sur les livres lus, parfois complétée par des informations sur l’auteur, les personnages etc. Ces blogs sont créés et fréquentés par des ados cherchant des conseils de lecture, et quoi de mieux que d’être guidé par ses pairs, qui ont les mêmes goûts et attentes que soi3. Ainsi Élodie s’explique-t-elle sur la création de son premier blog Croqueuse 2 livres : « Le blog existe depuis 2006. J’ai découvert les blogs lectures par hasard et me suis dit pourquoi pas moi ? Autour de moi, je n’avais pas forcément d’amis qui aimaient lire et ça a été un moyen de partager mes lectures, de rencontrer des gens qui avaient lu les mêmes livres que moi, alors que parfois je pensais être la seule à les avoir lus… »4. Il ne s’agit pas tant, nous le verrons, de confronter ses avis, mais plutôt de se reconnaître dans une communauté de goûts, et également dans ce qui est décrit du plaisir de lire, faisant écho à sa propre sensibilité de lecteur… Il y a sur ces sites une recherche forte de convivialité et la lecture prend ici son sens dans l’échange, le partage de ses émotions et sentiments. Via ces

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Jeunesse. La série Twilight occupe les trois premières places des meilleures ventes de 2009 du palmarès Ipsos/Livres Hebdo 3 Ces pratiques interrogent la notion de prescription et celle de médiation (voir l’article de Sylvie Octobre p. 4). Il semble bien qu’Internet et les blogs personnels constituent aujourd’hui de nouveaux lieux de promotion et de légitimation des œuvres. Les éditeurs et les médias l’ont bien compris, et cherchent à y créer le buzz via le marketing viral (c’est-à-dire le bouche à oreille) 4 Voir l’entretien p. 30


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Les sociabilités littéraires des adolescents sur Internet 5 http://livre4ever.skyrock.com/

6 149 185 visites, 419 visites pour janvier 2010, 132 articles, 14 975 commentaires, 295 amis. La quasi-totalité des blogs que nous avons consultés sont créés par des jeunes filles, de 13 à 25 ans environ, avec un pic d’utilisation entre 16 et 18 ans, puis souvent un abandon l’année du Bac, ou le départ vers d’autres plateformes comme Overblog 7 Nous reproduisons les smiley 8 « Magnifique ! J’aime ! Je crois que je n’ai jamais lu un livre aussi rapidement. Je n’ai pas décroché une seconde et il faut dire que j’ai été très agréablement surprise !! Je ne pensais absolument pas accrocher à ce point à ce livre dont j’avais seulement entendu parlé sur deux ou trois blog.... A lire d’urgence si ce n’est pas déjà fait; vraiment un gros coup de cœur. » 9 Un livre doit être entraînant, on ne doit pas pouvoir « décrocher », le mieux semblant être une très longue histoire, en plusieurs tomes, se lisant d’une traite 10 Par exemple pour la lettre « A » : Absente (l’) de Claire Mazard ; Absolutely fantastic de Tyne O’Connell ; Ado perdu (l’) de Dave Pelzer ; Ancêtre disparue (l’) de Lorris Murail ; Antigone de Jean Anouilh (théâtre) ; Anruf von Sebastian (ein) d’Irina Korschunow (livre en allemand) ; À propos d’un gamin de Nick Hornby ; Au clair de la Louna de Kochka ; Autre (l’) d’Andrée Chedid 11 L’écriture créative a une part très importante sur les blogs et groupes de lecture que nous avons consultés 12 L’administratrice de Livre 4 ever renvoie vers sa page Facebook, laquelle lui permet d’être « amie » avec ses auteurs préférés disposant eux aussi d’un espace dans ce réseau communautaire (Marc Lévy, Guillaume Musso…)

discussions avec les pairs, le goût littéraire s’affirme et le parcours de lecteur se construit. Livre 4 ever5 est un blog littéraire tout à fait représentatif (dans son titre, ses contenus, son esthétique…). Créé en 2005 par une jeune fille âgée aujourd’hui de 20 ans, il est toujours très actif6. La première information que nous donne ce blog, c’est son titre, Livre 4 ever ; d’autres sont intitulés : Oh-book ; fantastics-books ; love-of-book ; croqueuse2livres ; Lecture-partagée ; book-addicted ; Lire-Ecrire-Pour-Vivre etc. Rédigés en mode SMS, souvent accompagnés de mots anglais, ils mettent en avant la notion de plaisir de lecture. Ils expriment des sentiments forts vis-à-vis de l’acte de lire : passionnés et entiers, comme peut l’être l’adolescence. Une invitation à la lecture donc, tout comme les bandeaux introductifs du site. On lira par exemple sur Oh book : « Ici, on parle de livres bien sûr xD7 » et « Un nouveau blog parlant des livres. Ici, chacun peut donner son avis sur les romans et proposer de bons livres. Si vous aimez lire ou si vous êtes en manque d’idées de lecture, vous êtes au bon endroit =D ». Ces blogs constituent un réseau social, une communauté (celle des lecteurs) qu’on nous invite à rejoindre, notamment en devenant « ami » du site visité. En termes de contenus, outre les liens vers les « amis » (d’autres sites de lecture), les blogs préférés et les « groupes » auxquels on appartient, ces blogs proposent sur leur page d’accueil un index alphabétique des titres lus, qui renvoie vers une page de présentation de l’ouvrage, composée de l’illustration de couverture, d’un résumé (souvent la quatrième de couverture), d’une critique et parfois d’une note. Ainsi l’avis sur l’ouvrage Oh boy de Marie-Aude Murail, publié sur Livre 4 ever en 2006, est avant tout un « coup de cœur » que souhaite faire partager la lectrice8. La valeur du discours critique semble bien ici tenir à la sincérité et à l’authenticité du jugement plutôt qu’à l’analyse. Un critère d’appréciation positive fréquemment évoquée est le rythme de l’ouvrage9. La présentation d’Oh boy appelle 261 commentaires très brefs, pour signifier qu’on a lu ce livre et qu’on l’a aimé, qu’on a lu d’autres livres de l’auteur, qu’on s’apprête à le lire parce qu’on l’a vu sur plusieurs blogs, ou que l’avis publié donne vraiment envie de lire… Ce qui est valorisé ici, c’est l’expression personnelle de la blogueuse, et l’individualisation du jugement esthétique de chaque contributeur, mais dans une dimension ouverte et communautaire via les commentaires. L’administratrice de Livre 4 ever a posté 112 critiques de livres ; un étonnant mélange de classiques (Hugo, Zola, Maupassant), de littérature de jeunesse (Mazard, Murail, Kochka), de romans « populaires » (Lévy, Musso, Werber), de chick litt (Renisson), de jeunes auteurs à la mode (Sorman, Pille), etc. Elle montre ainsi un bel éclectisme dans ses choix10. Outre les critiques de livres, on trouve des interviews d’auteurs (par exemple Marc Levy sur Livre 4 ever) ; des extraits de textes écrits par les blogueurs11 ; des informations sur la blogueuse, ainsi que des liens vers ses autres blogs ou pages sur des réseaux sociaux12… Les sondages sur les livres favoris sont extrêmement présents et appréciés ; chaque internaute est invité à s’exprimer13. Des défis et challenges sont organisés14, des cadeaux sont offerts – les « swaps »15 –, l’évolution de la « PAL » – pile à lire – de la blogueuse est suivie grâce à des photographies16, etc.

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27 • Les blogs dédiés à un auteur ou à une série

Les blogs précédemment cités, « généralistes » de la lecture, affirment le plaisir de lire dans la diversité des livres lus ; à l’inverse, les blogs dédiés à un univers d’auteur sont réalisés par des fans ayant un unique objet de passion. Pour prolonger leur expérience de lecture, pour continuer à vivre avec les personnages qu’ils affectionnent, ils produisent sur leurs blogs de multiples ressources et créations17 dont les formes peuvent être très élaborées (voir plus loin les fanart). Ainsi, sur les blogs consacrés à Twilight, avant la sortie du film, on pouvait consulter18 : des éléments concernant l’actualité et de nombreuses révélations sur l’intrigue ; des analyses de l’ouvrage (couvertures, biographies des personnages, cartes de lieux du livre…) ; des jeux et sondages (Élisez vos personnages favoris, Votez pour votre passage préféré, Meilleures couvertures etc.) ; des informations et des interviews de l’auteur ; des citations de passages ; des playlists musicales ; et plus étonnant, les recettes des plats que prépare l’héroïne, sa bibliothèque, etc. ; également de nombreuses créations (fanfictions, fanart…).

Les forums : l’exemple d’ados.fr Le forum « romans » du site ados.fr 19 compte plus de 30 000 contributions. L’un des groupes de discussion qui a le plus de succès est « Vous lisez quoi en ce moment ? » (76 000 lectures). Le message qui a lancé les échanges était : « Slt j’aimerais savoir se que vous lisez si c’est pour les cours ou bien pour le plaisir ? dites nous ! ». Très vite donc s’opère la distinction entre les lectures scolaires et les lectures personnelles, pour le plaisir. C’est une problématique qui revient souvent dans les conversations : s’ensuivent de longs échanges sur les classiques que les jeunes ont aimés ou pas20. Mais ils viennent surtout chercher ici des conseils de lectures : « Coucou. Alors voila j’aimerais savoir si vous connaissez des livres fantastiques avec histoire d’amour J’ai lu les livres ci dessous et j’ai adoré : -les quêtes et les mondes d’Ewilan, les 6 tomes (Pierre Bottero) -Ellana les 3 tomes (Perre Bottero) -Fascination et la suite (Stephenie Meyer) - Tara Duncan les 6 tomes (Sophie Audouin-Mamikonian ) -Le journal d’un vampire (L-J Smith) -Les vampires de Manhattan les 2 tomes (Melissa Cruz) -Uglies et je vais lire la suite (Scott Westerfeld) Donc voila par contre j’ai pas aimé La nuit des temps de Barjavel. J’ai trouvé que c’était trp scientifique Donc j’espère que vous comprenez le style que j’aime. Merci et répondez moi vite !! ;-) ». On définit ses goûts, son champ d’attente, on cherche des livres « comme » ceux qu’on a aimé ou encore des ouvrages « sur » (la drogue, l’amour, les vampires…). Sur ces forums on retrouve aussi des enquêtes, toujours très plébiscitées : Quel est votre auteur préféré ? Le livre le plus nul que vous ayez lu ? Le livre qui vous a fait pleurer ? Ici encore, les plus importants groupes de discussion sont ceux liés à Twilight, mais aussi à Harry Potter, Uglies, L’Apprenti épouvanteur, et Jacqueline Wilson, Bernard Weber, Marc Levy, Stephen King, Dan Brown, Meg Cabot…

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13 Sur Livre 4 ever : « Vous avez un livre favori ? Ou existe-t-il un livre qui vous a vraiment déçu ? N’hésitez pas une seconde et exprimez-vous ». 1048 personnes se sont prêtés à l’exercice soit 105 pages de commentaires 14 Les livres lus parmi la liste des 100 titres préférés des Français parue dans Lire ou le challenge « J’aime les classiques » : lire un classique par mois et le chroniquer 15 Le « swap » fonctionne par binôme : chacun s’offre un colis contenant des livres, objets, carte avec un passage préféré reproduit, etc. Par exemple un swap organisé autour d’Harry Potter : http://oceanicus-in-folio.fr/lire/index. php?post/2010/01/01/Swap-Harry-Potter 16 Voir l’évolution de la PAL d’Élodie sur son blog : http://croqueuse2livres.over-blog.com/ 17 Des petits « bricolages » comme les appelle Michel de Certeau 18 Nous vous renvoyons à l’article : « Internet, nouvel espace de légitimation adolescente des œuvres : l’exemple des fanfictions sur Fascination », in Lecture Jeune n° 129, 2009. Aujourd’hui, les blogs évoquent essentiellement les films et les acteurs stars. Les producteurs proposent aux fans de nombreux produits dérivés. Les pratiques créatives évoluent et les bandes annonces de films réalisées par les fans remplacent logiquement l’écriture de fanfictions 19 Le site combine contenus éditoriaux et forums de discussion sur tout ce qui fait la culture jeune (scolarité, musique, télé etc.). Le site compte 3,3 millions de pages vues et les forums génèrent 30 % du trafic


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Les sociabilités littéraires des adolescents sur Internet 20 Par exemple : « Bah moi pour les

cours je dois lire l’éducation sentimentale de Flaubert. Le problème c’est que je m’endor à chaque fois au bout de 2/3 pages telement ça ne m’interesse pas. Donc je vais aller acheter un résumé complet en librairie et tout ça va être plus rapide sinon je suis pas couchée. Il y a un livre que je lis en boucle, dès que j’ai finis de le lire je recommance, c’est “Moi, Chritiane F, 13 and, droguée protituée”. Ce livre je le dévore, il est vraiment très bien. Sinon je lis aussi un livre de Zola “le rêve”, j’aime beaucoup. Signé Bouquineuse ». Nous retrouvons l’éclectisme de goûts évoqué plus haut 21 http://marchombres.forumactif.fr 22 http://the-meadow.fr 23 Nous évoquerons plus longuement ces sites lors de l’entretien avec leurs administratrices Laure et Cécilia, en p. 30. 24 Lire l’entretien avec les éditions Rageot sur www.lecturejeunesse.com 25 Lire la rencontre avec les éditions Hachette dans Lecture Jeune n° 128 et sur www.lecturejeunesse.com 26 Vous pouvez consulter ces vidéos sur YouTube 27 http://www.youtube.com/watch?v=A sghUBi81qY&feature=player_embedded

Un fanart sur Twilight

Les sites et forums dédiés à un auteur Autre lieu d’échange, les sites et forums dédiés à un univers d’auteur et gérés par une équipe de jeunes administrateurs. On peut citer par exemple le forum La voie des marchombres21 autour des œuvres de Pierre Bottero ou le site The Meadow22 consacré à Twilight23. Ici on observera des débats et analyses poussés autour des livres : les jeunes élaborent des hypothèses de lecture, s’attachent à la figure de l’auteur (qualité de l’écriture, de la traduction..), aux valeurs véhiculées… Laure, co-administratrice de La voie des marchombres, explique : « Sur le forum, au début, on avait des réflexions sur l’œuvre elle-même, les liens qu’il pouvait y avoir entre les différents univers, des spéculations sur les suites. Au fil du temps, on a appris à se connaître avec les membres du forum, et d’autres sujets ont été abordés, des réflexions plus profondes, surtout autour du Pacte des marchombres, parce que c’est un livre qui véhicule une philosophie, des valeurs. On a vraiment réussi à créer une communauté d’amis. Il y a beaucoup de rencontres même si on est éparpillés aux quatre coins de la France. » Ils partagent un imaginaire commun et cela crée entre eux des liens très forts qui les conduisent à se rencontrer.

Les sites des éditeurs À l’heure du webmarketing, les éditeurs ne sont pas en reste. Tous créent des sites où ils offrent des bonus et suppléments. Ainsi, Rageot a développé le site Les mondes imaginaires autour de ses séries phares : éléments sur les personnages, informations en avant-première, et surtout, des forums de discussion très actifs auxquels ont été associés les auteurs qui dialoguent ainsi en direct avec leurs jeunes lecteurs ! Succès garanti24 ! Hachette n’a pas créé de site officiel Twilight préférant soutenir le blog d’une jeune lectrice25, mais Lecture academy, le site des mordus de lecture, cherche à promouvoir des ouvrages aux univers proches de la série à succès. Gallimard propose bien entendu un site sur Harry Potter mais aussi un Skyblog, On lit plus fort, une page Facebook, etc. Désormais la plupart des lancements d’ouvrages s’accompagnent de sites dédiés, d’envois d’ouvrages aux blogueuses, de Web campagnes reposant notamment sur des bandes annonces postées sur Dailymotion ou YouTube : Tara Duncan, Je reviens de mourir, Nous étions des passe muraille26… Les livres qui reviennent au fil des blogs adolescents sont, sans surprise, Twilight, Harry Potter, les ouvrages de Marc Levy, Guillaume Musso, Harlan Coben. Mais on a surtout constaté un réjouissant éclectisme de goûts faisant se côtoyer sans distinction Zola, Mary Higgins Clark et Malika Ferdjouk. De quoi reposer la notion de culture légitime… À cette envie d’échanges autour des livres s’ajoutent des pratiques créatives visant à s’approprier et prolonger un univers littéraire aimé. À partir de leur livre favori, les adolescents écrivent des fanfictions, dessinent des fanart ou réalisent des vidéos. Ainsi la bande-annonce d’une certaine tiffannyd666 en juin 2008 autour de la sortie du film Twilight a été vue par près de 11 000 000 d’internautes27.

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Blogs, forums et sites Internet Le dossier dédiés à la littérature

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Blogueuses Entretiens Afin de rendre compte des échanges qui ont lieu sur le Web (blogs, forums, webzine, sites, etc.) autour des romans, nous avons interrogé quatre jeunes blogueuses, Elodie, Lucile, Laure et Cécilia, lectrices assidues, qui ont trouvé sur la toile, un espace pour partager leur goût pour la littérature.

Table ronde animée par Hélène Sagnet Avec Élodie Royer, Lucile Favreau, Cécilia Lépine et Laure Marillesse

LJ : Quelles lectrices êtes-vous ?

Elodie Royer : Je lis énormément et c’est pour cela que j’ai eu envie de créer un blog littéraire1, un forum, puis un webzine2. J’ai 21 ans mais je me passionne toujours autant pour la littérature jeunesse. Laure Marillesse : J’ai su lire dès l’âge de 3 ans et je n’ai jamais cessé de dévorer les livres ! J’ai lu Roald Dahl puis L’Histoire sans fin, à l’âge de 6 ans. Ensuite, j’ai découvert Harry Potter vers 10 ans et ce fut un choc littéraire ! Depuis je lis énormément de littérature fantastique et plus particulièrement de la fantasy. J’aime aussi la littérature classique : Zola, Maupassant, Musset, etc. Et la poésie : Baudelaire ou Boris Vian. Récemment, j’ai entamé la lecture du Seigneur des Anneaux. Ensuite, j’aimerais lire La Chartreuse de Parme, donc mes lectures sont éclectiques ! Cécilia Lépine : Je suis assez lente lorsque je lis. En ce moment, je lis Eragon que je ne trouve pas fameux, mais je le finirai pour avoir un avis complet. Je lis un livre intégralement ou pas du tout.

1 http://croqueuse2livres.over-blog.com 2 www.mag-a-lire.info/wordpress

LJ : Comment choisissez-vous les livres et auprès de qui prenezvous conseil ?

ER : Grâce au bouche-à-oreille et aux conseils prodigués par les membres de mon forum de lecture. Je consulte également les parutions sur les sites Internet des éditeurs. Lucile Favreau: En passant devant une librairie, je vois des livres qui me paraissent intéressants en vitrine. Je les feuillette et dès les premières pages, je vois si j’accroche. LM : Les visuels de couverture m’influencent dans mes choix ! Je pense notamment aux ouvrages des éditions Bragelonne, dont les illustrations sont séduisantes. Je suis également conseillée par mes amis lecteurs et, sur le forum des Marchombres, nous avons un « topic3 » de lectures.

3 « Le topic » est un sujet de discussion sur un forum

LJ : Élodie, pourquoi as-tu créé le blog croqueuse 2 livres ?

ER : Autour de moi, j’avais peu d’amis lecteurs de littérature jeunesse. En surfant sur Internet, j’ai découvert les blogs en me disant : « pourquoi pas moi ? ». J’ai alors rencontré des gens qui partageaient mes coups de cœur. Au départ, les critiques étaient courtes, puis je les ai étoffées. Le blog a 4 ans et il a véritablement évolué !

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Blogs, forums et sites Internet dédiés à la littérature LJ : Peux-tu nous présenter le webzine Mag à Lire ?

ER : Nous proposons des rubriques « tournantes », ce qui permet à chacune des rédactrices d’intervenir. Elles reflètent l’éclectisme de nos goûts littéraires et de nos centres d’intérêts : les ouvrages qui font l’actualité, le cinéma, les livres pour enfants, les métiers du livre, etc.

LJ : Pourquoi avoir créé le Mag à Lire ?

4 Le webzine est un fichier au format PDF envoyé aux abonnés, gratuitement 5 Les maisons d’édition sont de plus en plus nombreuses à envoyer les ouvrages

ER : C’est un webzine littéraire qui a été créé il y a 3 ans suite à un constat : il n’y a pas de revues destinées aux ados traitant de nos lectures, notamment dans des collections jeunesse, des films que l’on va voir, etc. Aussi, j’ai décidé avec 8 blogueuses, rencontrées via mon blog, de créer une revue à notre image. Actuellement, nous avons plus de 5504 abonnés et nous sommes ravies car Mag à Lire commence à être connu et largement diffusé. LF : Désormais, nous sommes contactées par les maisons d’édition jeunesse5, qui pour la majorité, nous envoient les ouvrages en service de presse.

en service de presse aux blogueurs, assurées de toucher un public passionné de littérature jeunesse. Le Mag à Lire propose également un jeu-concours en partenariat avec « Baam », label des éditions J’ai Lu 6 http://marchombres.forumactif.fr

LJ : Laure, comment as-tu découvert Pierre Bottero et pourquoi as-tu souhaité te rendre sur des sites dédiés à cet auteur ?

LM : J’ai découvert Bottero avec la trilogie de La Quête d’Ewilan. Ensuite, j’ai lu la série du Pacte des Marchombres et cela a été une « claque » : son œuvre m’a beaucoup apporté. En 2008, via Skyblog , une jeune fille m’a invitée à consulter le forum « La voie des Marchombres6 ». Il y avait 11 membres et nous sommes aujourd’hui 150 car Pierre Bottero a gagné en notoriété.

LJ : Que peut-on y lire ?

7 http://the-meadow.fr

LM : Nous parlons des séries de Pierre Bottero mais aussi de nos lectures, de nos écrits, etc. Nous traitons de thématiques plus spirituelles directement liées à la « Philosophie Marchombre », comme par exemple : des valeurs de partage et d’échange, de développement de soi, etc. Le forum est devenu une communauté d’amis et nous nous rencontrons régulièrement lors des salons du livre de Paris et de Montreuil.

LJ : Cécilia, tu gères le site « The Meadow7 » dédié à la saga Twilight. Pourquoi as-tu souhaité lui consacrer un site ?

CL : Tout a commencé par la rencontre d’une amie sur un site de fanfiction. Elle m’a parlé de Twilight que j’ai dévoré en un week-end et nous avons eu l’idée de créer un site qui traite de l’œuvre de S. Meyer. À l’époque, il n’y avait pas de sites en français sur la série.`

LJ : Que peut-on y lire ?

CL : Des news, des interviews et une galerie de photos. Nous traitons également de la série (fiches des personnages, résumés et analyse des livres, etc.), nous avons aussi un forum qui compte 4 180 membres. Des liens se créent entre certains contributeurs.

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31 LJ : Fréquentez-vous les bibliothèques ?

LF : Je vais en bibliothèque mais ce n’est pas là que je prends conseil : j’emprunte seulement les livres que je n’ai pas les moyens d’acheter ! LM : Je fréquente les bibliothèques uniquement pour des devoirs scolaires !

LJ :Que pensez-vous des nouveaux supports numériques pour les livres tels que les e-book ?

ER : Le contact physique avec le livre est primordial et je n’envisage pas de lire autrement. LM: Cela me révulse ! J’aime l’idée d’avoir un livre qui m’appartient, sur lequel je peux avoir une dédicace, dont je peux marquer les pages, sentir l’odeur, etc. La lecture sur écran me semble difficile, fatigante et nécessite une connexion Internet alors que le livre se suffit à lui-même. CL: Pour moi, les e-book sont assez barbares. Le livre a une histoire fortement rattachée à notre civilisation et on ne peut pas lui porter atteinte. J’ai besoin du contact tactile avec le livre. C’est un objet sacré. Enfin, le livre permet de se constituer une bibliothèque qui reflète nos goûts.

Élodie Royer

a 21 ans. Après des études littéraires, elle intègre une école de communication à Paris. Sur Internet, elle a créé le blog http://croqueuse2livres.over-blog.com, et le webzine littéraire Mag à lire, destiné aux adolescents et jeunes adultes : www.mag-a-lire.info. Lire l’entretien avec Élodie dans le n° 126 de Lecture Jeune.

Lucile Favreau

a 21 ans. Elle vient d’obtenir son concours de professeur des écoles et est enseignante stagiaire. Elle a suivi des études en Lettres Modernes. Elle participe au Mag à lire et possède un blog personnel.

Laure Marilesse

a 17 ans, elle est étudiante en licence « Information et Communication ». Elle est férue de Pierre Bottero. Sur Internet, elle est membre du forum « La Voie des Marchombres » : http://marchombres.forumactif.fr Lire l’entretien avec Laure et des membres du forum dans le n° 131 de Lecture Jeune.

Cécilia Lépine

a 18 ans. Elle est en terminale Littéraire. Sur Internet, elle est administratrice du site « The Meadow » qui traite de la saga Fascination de Stephenie Meyer : http://the-meadow.fr

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@

sur le site www.lecturejeunesse.com Les blogs préférés d'Élodie, Lucile, Laure et Cécilia


La bibliothèque comme lieu 32 de soutien aux créations Le dossier des adolescents Bibliothécaires Projets Compte-rendu par Anne Clerc Avec Albane Lejeune, Carole Duguy, Julie Belou, Adrien Schwarz, Benoît Labourdette, Frédéric Lavigne

La bibliothèque des digital natives. L’exemple de Viroflay par Albane Lejeune

La bibliothèque de Viroflay1, ouverte depuis fin 2007, met la question de la médiation au centre de ses activités afin d’attirer le public adolescent. À côté des formes traditionnelles d’actions culturelles destinées à cette tranche d’âge, quelles activités proposer pour mettre en relation ces publics et la bibliothèque ? Le numérique est l’une des pistes à explorer. Actions d’échanges, actions collaboratives et actions de création sont autant de moyens de capter l’attention des adolescents.

Les actions d’échange

Albane Lejeune

est responsable de l'action culturelle et directrice adjointe de la bibliothèque de Viroflay.

1 Pour en savoir plus, vous pouvez visiter le site Internet de la bibliothèque de Viroflay www.bibliotheque-viroflay.fr/ 2 www.teenage.norfolk.gov.uk/ 3 www.bm-saintraphael.fr/blog/mediazone/ 4 www.bibliosesame.fr/ 5 www.lesiteducube.com

Il s’agit, avec ces actions, d’aller vers les adolescents, dans leurs pratiques quotidiennes. Cela implique de s’adapter à leurs logiques : un autre rapport au temps (instantanéité des échanges, zapping), le besoin de communiquer en permanence, etc. Des usages difficilement compatibles avec les missions traditionnelles de la bibliothèque. Les blogs De plus en plus de bibliothèques proposent des blogs et sont présentes sur des réseaux sociaux. J’ai pris l’exemple des bibliothèques du Norfolk, en Angleterre qui offrent une plateforme pertinente : The Zone2. Le blog fait écho, sans souci apparent de légitimation des unes par rapport aux autres, à la diversité des pratiques : informatique, Internet, jeux vidéo, livres, musiques ou films sont traités sur un pied d’égalité. Et les adolescents peuvent indiquer les livres qu’ils ont aimés ou non. Je voulais également présenter le blog de la bibliothèque de Saint-Raphaël (Médi@zone)3. Les jeux vidéo et les films sont intégrés à la vie culturelle du blog et sont le reflet de la vie de la bibliothèque, dans ses orientations adolescentes. L’organisation de ce site est archétypique de l’univers des blogs, avec une accumulation chronologique des contenus, un module d’archivage calendaire ou la possibilité de faire des commentaires immédiatement en ligne. Les chats Le site The Zone propose un service de réponses à distance qui, comme Bibliosésame4 en France, reste centré sur les problématiques bibliothéconomiques (recherches bibliographiques, etc.). À côté de cela, il propose un chat qui s’adresse à tous. Les internautes peuvent ainsi échanger librement avec un bibliothécaire et, au fond, n’est-ce pas essentiel, a fortiori pour un public adolescent ? Les jeux en ligne et en réseau Le troisième type d’actions d’échanges est inspiré des projets du Cube5 à Issy-les-Moulineaux, très innovants en matière de

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33 nouvelles technologies. L’idée est de présenter des jeux vidéo en réseau et de concevoir la bibliothèque comme « créatrice » de jeux vidéo pour les adolescents et pourquoi pas aussi, avec eux ?6

Les actions collaboratives

Nous souhaitons susciter l’envie, chez les digital natives, de participer à une autre forme de sociabilité du Web, introduire la notion de création et établir des passerelles avec la bibliothèque « physique » : collections, programmation culturelle… Les ateliers multimédia Ces ateliers proposent le plus souvent de créer son site Internet, son blog, etc. Nous, nous travaillons sur le web collaboratif avec un atelier autour de Wikipédia, permettant d’apprendre à contribuer, tout en appréhendant la notion de web collaboratif. Nous les encourageons à réfléchir aux contenus qu’ils vont mettre en ligne : il faut trouver l’information dans les collections des bibliothèques, la synthétiser, la hiérarchiser, puis la mettre à disposition de tous. Les ateliers d’écriture en ligne Ces actions ne sont pas révolutionnaires, mais la dimension « en ligne » est nouvelle. Dans le troisième trimestre de cette saison, nous lançons un atelier « Je lance une bouteille sur la toile », plus particulièrement destiné aux adolescents. La proposition est la suivante : écrire un texte pour un correspondant qui lira le pli en 2085. Le texte sera mis en ligne sous la forme d’un blog ou dans une rubrique du site Internet. L’idée est de réfléchir à la question de la diffusion et aux intentions des rédacteurs : à qui on s’adresse ? Pourquoi écrit-on et avec quel niveau d’intimité ?

6 Sur ce sujet, voir plus loin « le championnat de jeux vidéo » organisé par les bibliothèques de Lyon

Les actions de création

Pour faire venir les adolescents à la bibliothèque, nous devons inaugurer des actions à forte valeur ajoutée : leur faire découvrir des logiciels, des univers créatifs, des modes artistiques… Il s’agit de soutenir les créations des adolescents en les diffusant. En un mot, inciter les digital natives à être acteurs du numérique. Les ateliers de création graphique En 2008, un animateur multimédia a créé un atelier autour du logiciel Flash, permettant de créer des animations graphiques interactives et de petits jeux vidéos. À l’issue de l’atelier, les adolescents sont repartis avec un CD-Rom dont ils avaient créé la pochette et leurs réalisations ont été diffusées sur les écrans de veille des ordinateurs de la bibliothèque. Les ateliers de création sons et vidéo Nous avons proposé un autre atelier autour du Veejaying7 : ces travaux ont été mis en ligne sur le site de la bibliothèque. Enfin, à l’issue de ces ateliers, nous avons abordé les questions de diffusion, avec la possibilité d’utiliser les ressources de Myspace, YouTube, Dailymotion, etc.

La vie en réseau des bibliothèques municipales de Lyon8 par Carole Duguy et Julie Belou

Le réseau de la bibliothèque municipale de Lyon9 dispose de 10 espaces numériques disséminés dans 9 arrondissements. L’espace numérique permet au public adolescent de se rencontrer, de découvrir de

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7 Nouveau mode d’expression artistique qui allie univers visuel et sonore, consistant à mixer des images et de la vidéo, tout comme le DJ mixe de la musique pour créer une nouvelle œuvre 8 www.vive-laculturenumerique.org/ 9 www.bm-lyon.fr


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La bibliothèque comme lieu de soutien aux créations des adolescents

Carole Duguy

est animatrice multimédia à la bibliothèque municipale de Lyon.

Julie Belou

est animatrice multimédia à la médiathèque du Bachut, à Lyon.

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10 http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/ 11 La mise en place de ces ateliers fait suite à un événement organisé en 2008 et qui s’intitulait « Sport et numérique ». Nous avions proposé aux jeunes de découvrir des jeux vidéo de sport, avec des installations uniques comme des courses de vélos interactives, des courses d’avirons en ligne, mais aussi des ateliers de bande dessinée numérique et de montage photo. De nombreux jeunes sont venus découvrir ce que nous proposions et il nous semblait intéressant d’exploiter cette initiative sur du long terme

nouvelles utilisations de l’outil informatique, mais plus simplement de venir à la bibliothèque. La présence de ce réseau favorise les animations et les échanges entre quartiers. Le rôle des animateurs multimédia est d’être des médiateurs entre les pratiques du numérique tout public et la bibliothèque. Il faut décloisonner le rapport entre le livre, le document, et le numérique, d’autant plus que les objectifs sont communs : savoir, apprentissage, loisirs, etc. À la médiathèque du Bachut, un quartier assez populaire de Lyon, les adolescents viennent principalement pour utiliser les ordinateurs et pas forcément pour consulter les collections. Au quotidien, nous essayons de leur montrer de nouvelles pratiques. Pendant les vacances scolaires, nous proposons des ateliers autour du numérique, comme des jeux de piste entre l’espace numérique et les collections de la bibliothèque ; ce qui les oblige à constater qu’il y a autre chose que des ordinateurs ! Nous proposons aussi la création de blogs, en les initiant à d’autres plateformes que Skyblog. Nous les sensibilisons à ce qu’ils sont autorisés à publier sur leur blog et sur le droit à l’image… Nous avons également inauguré un atelier où ils pouvaient créer leur sonnerie de portable et cela a été l’occasion de débattre sur ce qu’ils pouvaient télécharger légalement ou non.

Un championnat de jeux vidéo… En réseau et en bibliothèques

Le projet a débuté, pour les animateurs, par un travail de veille sur les sites de jeux. Cette première étape a permis de cerner les univers et les sites que fréquentaient les jeunes. L’idée était ensuite d’installer une compétition en réseau. Donc, le même jour, à la même heure, les adolescents se sont confrontés aux mêmes jeux dans différentes bibliothèques. Après des éliminatoires très disputées, la finale s’est déroulée à l’auditorium de la médiathèque de Vaise. Près de 30 finalistes, filles et garçons, se sont défiés sur des jeux alliant adresse et réflexion. La plupart d’entre eux rencontraient des adolescents d’autres quartiers pour la première fois. Comme dans les grandes compétitions, les finalistes ont découvert et bénéficié tous en même temps d’une séance d’entraînement, 5 minutes, pour leur permettre de se familiariser avec le jeu qui avait été sélectionné pour la finale. Chaque concurrent a eu ensuite 10 minutes pour faire le meilleur score , encouragé par les membres de son équipe grâce aux affiches réalisées auparavant à l’espace numérique de Vaise. De nombreux quartiers de Lyon étaient représentés et réunis autour de pratiques numériques. Enfin, chacun est reparti avec un abonnement à la bibliothèque. Certains, déçus de ne pas avoir remporté l’un des premiers lots (places de théâtre et DVD) ont réalisé que leur abonnement leur permettait d’emprunter de nombreux DVD. Bref, si la bibliothèque a découvert les jeux vidéo, les participants ont également découvert un autre visage de la bibliothèque ! Cet événement a été un succès et a permis de rencontrer des adolescents qui fuient habituellement la bibliothèque.

L’animation au carrefour numérique de la Cité des Sciences10 par Adrien Schwarz

Le carrefour numérique de la Cité des Sciences propose des animations pour les jeunes à partir de 11 ans11. Nous distinguons le

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35 public individuel et le public de groupes préconstitués. Avec ces derniers, qui peuvent être des scolaires ou des centres de loisirs, des associations ou même des enfants dans des hôpitaux, nous pouvons mettre en place plusieurs séances : des cycles de création, constitués d’une, deux ou trois séances, voire un partenariat sur l’année. Nous pouvons organiser des actions d’envergure : créer un film d’animation avec un scénario, un montage, donnant lieu à des initiations aux outils de création numérique. Avec les publics des individuels (des jeunes de passage, des personnes qui viennent visiter la bibliothèque ou la Cité des Sciences, etc.), nous essayons de proposer des ateliers dans un format relativement court, d’une à deux heures, afin qu’ils puissent repartir avec leur réalisation. Cet aspect de la médiation est plus difficile mais nous proposons des ateliers variés, autour de l’image, du son, etc. Les jeunes peuvent s’initier à de nombreux logiciels (gratuits) comme Hip Hop eJay12 , qui permettent de rapidement créer son morceau de musique, Google Earth13 pour y découvrir toutes les fonctionnalités ou AutoStitch14 pour s’initier à la photo panoramique. Il y a également des ateliers qui permettent de créer un logo sous Photoshop15 et les jeunes vont pouvoir repartir avec un T-shirt sérigraphié. Notre mission est de proposer des animations créatives dans un laps de temps court et de voir des jeunes quitter notre espace avec la sensation d’avoir découvert de nouveaux usages du numérique.

Pocket Films, d’un festival innovant à des propositions pédagogiques multiples par Benoît Labourdette et Frédéric Lavigne

Depuis cinq éditions, le Festival Pocket Films16, initié par le Forum des Images17 en collaboration avec SFR, son partenaire fondateur, et avec le soutien du CNC et de la SACD, met en lumière la création sur téléphone mobile. Depuis plusieurs années, nous avons assisté à la démocratisation de la caméra vidéo, qui est maintenant dans presque toutes les poches18. La simplicité avec laquelle on tourne des images et avec laquelle on les partage quasi immédiatement sur Internet via des plateformes vidéo comme Dailymotion ou YouTube, contribue à rendre la diffusion de la création « amateur » accessible au plus grand nombre. Mais sommes-nous tous des cinéastes pour autant ? Il nous est apparu nécessaire de créer un festival autour des nouvelles pratiques de l’image liée à la mobilité pour pouvoir rendre compte de la qua-lité et de la diversité des films produits à travers le monde et avoir un lieu pour en débattre. Le Festival Pocket Films19 était né, au sein du Forum des Images, ce cinéma pas comme les autres.

Présentation du Festival Pocket Films

La dimension pédagogique Les enjeux pédagogiques sont réels et c’est pourquoi, tout au long de l’année nous proposons des ateliers, des journées de réflexion ainsi que des formations pour les médiateurs. À l’école, il y a peu d’outils d’analyse des images, aussi, c’est un enjeu important, qu’une institution culturelle se doit d’assumer. Au lieu de transmettre la grammaire

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Adrien Schwarz

est chargé de médiation multimédia/TIC (technologie de l’information et de la communication) au Carrefour numérique, bibliothèque de la Cité des Sciences et de l’Industrie.

12 Hip Hop eJay permet de créer sa propre musique : concevoir des sons, les mixer, etc. 13 Google Earth permet de visualiser des images satellite, des cartes, des reliefs ou des bâtiments en 3D 14 AutoStitch permet de combiner des photos et générer une vue panoramique 15 Photoshop est un logiciel de retouche, de traitement et de dessin assisté par ordinateur édité par Adobe 16 www.festivalpocketfilms.fr/ 17 www.forumdesimages.fr/ Vous trouverez sur le site les ateliers destinés aux adolescents et les formations proposées pour les enseignants 18 99 % des adolescents, quelque soit leur classe sociale ont un téléphone portable, ils ont donc tous une caméra dans la poche en permanence 19 Depuis sa création en 2005, le festival a programmé plus de 1300 films tournés avec téléphone mobile venus du monde entier


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La bibliothèque comme lieu de soutien aux créations des adolescents

Benoît Labourdette

est le directeur artistique du Festival Pocket Films.

Frédéric Lavigne

est le directeur de l’action éducative du Forum des Images.

20 www.vues-migratoires.com

21 http://bondialisation.blogspot.com/

de l’image, nous passons par la pratique : nous organisons des ateliers dans lesquels la création artistique et l’expression personnelle ont leur place. Les jeunes que nous rencontrons ont déjà souvent tourné des petites vidéos avec leur téléphone, mais n’ont pas envisagé de les mettre dans un contexte. Nous leur expliquons qu’il est intéressant de faire des films pour les autres et pas seulement pour eux-mêmes. Travailler autour de l’utilisation du téléphone permet d’ouvrir de nouvelles possibilités de rencontres et d’élaboration que les jeunes vont pouvoir s’approprier. Et sans doute inventer de nouvelles formes de créativité, qui méritent d’être initiées et soutenues. Les actions éducatives et le Forum des Images Ce lieu a une dimension éducative autour du cinéma et de l’image ; aussi, la création du Festival Pocket Films nous a inévitablement interpellés car il s’agit d’un nouveau type d’images, d’un nouveau type de média et d’une nouvelle manière d’aborder la question du cinéma, au-delà de l’analyse filmique habituelle. Partenaire culturel privilégié de l’Éducation nationale, le Forum des Images poursuit tout au long de l’année des actions d’éducation au cinéma, de réflexion et de formation, en collaboration avec les DAAC des rectorats d’Ile-de-France et certaines associations. Dans le prolongement du Festival Pocket Films, nous proposons une initiation à la réalisation de films avec téléphone portable et au montage, pour découvrir la spécificité de cet objet, se l’approprier, et en faire un outil d’expression artistique personnelle. Nous formons aussi les enseignants qui reviennent ensuite vers nous avec l’envie de monter des projets avec leurs élèves. Il faut que les adultes arrêtent de diaboliser les usages du numérique et se forment pour en connaître les enjeux réels. Projets « Vues Migratoires » et « Bondialisation » En 2008-2009, le Forum des Images, avec le soutien de la Fondation Sciences Po, a mené le projet « Vues migratoires » avec des élèves de 1re ES du lycée Jean Renoir de Bondy. Les élèves ont effectué des travaux de recherche sur le thème des migrations et réalisé des créations audiovisuelles mises en ligne sur un site dédié20. Ce travail s’est accompagné de projections-débats autour de films issus des collections du Forum des Images. Les réflexions associées au projet étant « pourquoi je filme et à qui je m’adresse ? ». Nous souhaitions leur faire prendre conscience que filmer est un acte responsable et valoriser leur quotidien en démontrant que ce qui leur semble banal peut se transformer en objet artistique à partir du moment où on établit une sélection du regard, du cadre et du temps qu’on met à filmer. Au fil du temps, nous avons constaté une évolution fulgurante dans leur façon de filmer. La deuxième année, ils étaient quasiment autonomes et ils ont fait des petits documentaires qu’ils ont appelés « Bondialisation21 » où ils sont allés filmer la présence de la mondialisation à Bondy, autour de chez eux, en allant interviewer les habitants. Ils se sont complètement approprié l’outil et ils se sont aperçus que leur rapport aux images en était modifié. Ces initiatives permettent d’encourager les jeunes à la création et à la réflexion sur le monde qui les entoure.

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Internet : inventions littéraires et découvertes Le dossier de nouveaux talents

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Tibo Bérard, Wandrille Leroy et Nicolas Gary Entretiens Tout au long de la journée il a été question des pratiques numériques des jeunes, des actions à conduire en bibliothèques ou encore des lieux où ils parlent littérature (blogs, forums…). Pour clore cette réflexion, nous souhaitions revenir sur des questions éditoriales. Les usages du Web ont également influencé le travail des éditeurs : comment utilisent-ils cet outil ? Internet permet-il de faire émerger de nouveaux courants littéraires ? Qu’en est-il de la promotion ? Enfin, quel avenir pour l’édition à l’heure du numérique ?

Table ronde animée par Anne Clerc

Lecture Jeune : Où sont les « nouveaux talents » sur Internet et comment les découvrir ? Wandrille Leroy : De nombreux auteurs de bandes dessinées se sont fait connaître par leurs blogs. Ce sont des plateformes qui ne requièrent aucune compétence technique et qui permettent de toucher un large public. Cette démarche facilite la promotion du travail des illustrateurs auprès des éditeurs, qui les contactent directement via leur blog. C’est un gain de temps pour l’éditeur comme pour l’auteur. Les éditions Warum1 ont découvert beaucoup de projets grâce à Internet (12 rue des Ablettes, La Boucherie, etc.) ainsi que des auteurs comme Monsieur Le Chien, Lommsek, Aseyn, Lilla... Le phénomène des blogs BD s’est médiatisé avec des auteurs comme Pénélope Jolicœur, Laurel, Boulet, etc. Ils ont entre 20 000 et 100 000 visites par jour et ils drainent un nouveau lectorat, pas nécessairement familier de la bande dessinée. Tibo Bérard : Je travaille sur le roman et mon approche des blogs est différente. Internet est une entrée supplémentaire pour rencontrer de nouveaux auteurs, hors de la figure « type » de l’auteur, dit « littéraire ». Via certains sites, j’ai pu entrer dans l’univers d’un auteur potentiel qui, peut-être, n’aurait pas fait la démarche d’envoyer ses manuscrits aux éditeurs, par peur ou méconnaissance du « milieu » de l’édition. En découvrant par moi-même des extraits d’un roman mis en ligne sur un site personnel, je m’invite chez lui, je vais à sa rencontre. Pour la collection « Exprim’ », je voulais rencontrer des auteurs provenant des cultures urbaines, et peu de médias me permettaient d’aller vers ces profils-là. Par exemple, la rencontre avec Hamid Jemaï2 a eu lieu suite à une recherche sur Internet : j’explorais des pistes sur Google, en tapant des mots-clefs comme « roman urbain », « roman explosif », « roman hip-hop », et j’ai découvert un site où Hamid Jemaï publiait des textes de slams et j’en suis venu à le contacter.

LJ : Comment l’éditeur distingue sur Internet ce qui relève d’un simple exercice d’écriture, d’un talent potentiel ?

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Tibo Bérard

a suivi des études littéraires. Après avoir travaillé comme assistant de rédaction pour le magazine Topo, il a rejoint l’équipe de Sarbacane avec l’envie de « secouer » le monde du livre, en proposant aux jeunes une littérature non pas formatée à leur intention mais dont la modernité, l’inventivité, l’audace entreraient en résonance avec eux. La collection « Exprim’ » a fêté ses trois ans en novembre 2009, avec 30 titres publiés, dont une grande majorité de premiers romans et quelques très beaux succès (Sarcelles-Dakar, Gadji, La Vie rêvée de Mlle S., La Mort, j’adore !)

1 www.warum.fr 2 Auteur de Dans la peau d’un Youv’, « Exprim’ », Sarbacane


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Internet : inventions littéraires et découvertes de nouveaux talents

Wandrille Leroy

est le créateur de la maison d’édition de bande dessinée Warum, avec Benoît Preteseille, en 2005. En 2008, il a fondé Vraoum, maison d’édition notamment axée sur la création Internet. Il organise la Révélation Blog depuis 2008. Il est aussi auteur et blogueur sous son seul prénom.

3 Un crayon dans le cœur, Warum, 2009 4 http://bastienvives.blogspot.com 5 http://vook.com/vook.php 6 www.smartnovel.com

TB : C’est une question de style, un travail d’écriture. Il faut que la forme soit maîtrisée, inventive, que la manière de traiter la langue soit intéressante. Je pense que notre travail d’éditeur consiste à distinguer ces contenus. Je me méfie notamment des textes purement introspectifs, sans travail de style, sans « voix », qu’on retrouve par exemple sur les blogs. WL : Il faut travailler la matière qu’offrent les blogs et ne pas forcément les publier tels quels. Par exemple, pour la bande dessinée de Laure3, 90 % du livre a été revu par rapport au blog. Nous avons remanié la production originale. Les auteurs n’ont pas la même approche et ne proposent pas les mêmes contenus sur les blogs. Bastien Vivès4 , par exemple, offre sur son blog, des « strips » assez différents des ouvrages qu’il publie aux éditions Casterman : il y est plus drôle et plus cru, car c’est une plateforme qui permet une liberté totale. Les blogueurs rêvent du livre comme consécration, alors qu’à terme, je pense que nous allons vers la numérisation des contenus.

LJ : Peut-on parler de nouvelles formes d’écritures et/ou de courants littéraires émergents, à l’heure du Web ? Nicolas Gary : Grâce à Internet, il y a des explorations nouvelles, comme le « vooks5 ». Il s’agit d’une nouvelle forme de création. L’auteur pense son texte différemment en incluant outre le texte, de la musique et de la vidéo. Ainsi, Anne Rice annonce qu’un de ses romans à paraître va être transformé en version livre-vidéo ! Nous avons vu apparaître également une nouvelle maison d’édition, SmartNovel6, qui propose de lire des romans sur téléphone, sous la forme de feuilletons. Pour le moment, cette offre éditoriale correspond à l’exploration d’un nouveau modèle économique, mais il n’est pas question de création littéraire à proprement parler. TB : En littérature, même sans aller vers ces innovations techniques, on ressent l’influence des pratiques numériques dans l’écriture même des jeunes auteurs. Ils sont familiers d’Internet, de l’outil informatique, qui engendrent de nouvelles manières de penser. Dans la manière de structurer le récit, on reconnaît des « process » qui viennent du Web. Des accélérations syntaxiques, des ellipses, des figures de style construites par associations d’idées ou d’images fulgurantes… Dans les romans de la collection « Exprim’ », les lecteurs font souvent la remarque suivante : « les histoires vont plus vite ». Cela me paraît juste, car les auteurs semblent avoir de nouveaux modes de pensée, des façons d’articuler le récit qui pourraient être liées à de nouveaux usages. Soulignons qu’il est possible de réconcilier un héritage littéraire classique et ces nouvelles manières de penser issues de l’ère numérique.

LJ : Quel regard portez-vous sur Internet en tant que nouvel outil de promotion littéraire ? Internet est-il un média plus prescripteur que la presse aujourd’hui (blogs de bibliothécaires, libraires, sites comme ActuaLitte) ? Et sous quelles formes faiton la promotion des livres sur Internet ?

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39 TB : Internet permet de toucher un vaste cercle de lecteurs qui ne se sent pas en phase avec le rayon littérature générale mais ne voit pas (encore) le rayon jeunesse comme un lieu moderne et branché… La bande-annonce qu’a concoctée Antoine Dole7 allait dans ce sens : trouver un lectorat qui ne va pas forcément en librairie. Via Internet, nous allons toucher ce public, en communiquant autour d’univers qui leur sont familiers : le cinéma et la musique… De la même façon, tous nos auteurs ont leur Myspace, échangent entre eux, se partagent leurs réseaux. Si nous filmons une lecture en librairie ou dans une salle de concert, nous pouvons aussitôt la diffuser sur Dailymotion. Cela ne révolutionne pas le livre en soi, mais cela participe de la vie du livre, de son existence dans une société en pleine mutation. WL : Les blogs et les sites sont encore assez peu prescripteurs. On s’adresse à eux, bien sûr, mais, dans l’ensemble, comme on propose un support papier, les meilleurs prescripteurs sont encore les médias classiques, parce qu’ils véhiculent une image de confiance et de sérieux. Ce n’est qu’une image, mais Internet donnant la parole à tout à chacun, à part égale, il faut donc savoir à qui s’adresser en priorité. Quand Pénélope Bagieu fait une chronique vidéo où elle encense le livre d’Aseyn (gagnant de la première Révélation Blog qui a publié son livre Abigaïl aux éditions Warum, en janvier 2010), forcément, cela a des répercussions. La difficulté reste donc d’identifier clairement les « prescripteurs », donc de connaître son sujet. Il existe des sites de vidéos teasing, mais, pour ma part, j’ai trop peu de temps et d’argent à consacrer à cet aspect, donc je reste concentré sur un objectif : publier un bel objet. Mais la promotion de nos ouvrages passe par exemple par la Révélation Blog8 , que nous avons mise en place. Le prix récompense un blogueur BD et constitue un petit événement (380 inscrits cette année). Nous faisons la promotion des blogueurs, des gagnants, de leur livre et donc de notre maison d’édition. NG : Internet n’est pas plus prescripteur, c’est simplement un média privilégié aujourd’hui. En ce sens, il n’est pas meilleur ou plus fiable, mais il permet à un plus grand nombre d’exprimer une opinion, sans subir les pressions politiques ou économiques que l’on connaît dans la presse papier. Par exemple, ActuaLitté9 a une ligne éditoriale et affirme ses préférences : elles ne découlent que des goûts des chroniqueurs, et n’ont pas la prétention de se prendre pour des références. À un détail près : nous avons la liberté de ton nécessaire pour dire et justifier véritablement ce que nous pensons. La seule censure, c’est celle que l’on s’applique à soi, avec un critère primordial : ne jamais ennuyer le lecteur. Apprendre, conseiller, mais aussi divertir. Le message passe d’autant mieux. En revanche, Internet dispose d’une palette d’outils multimédia qui lui permettent de faire intervenir bien plus que le texte pour enrichir la promotion d’un ouvrage. Ces instruments de promotion restent cependant isolés, tant qu’ils ne bénéficient pas d’une plus large diffusion. Sur Internet, deux choses comptent : la confiance que l’on vous accorde et la visibilité dont vous disposez. Si vous avez les deux, vous l’emportez.

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Nicolas Gary

est directeur de la rédaction du site ActuaLitté depuis deux ans. Il a suivi des études de Lettres Classiques avant de se rendre compte qu’il préférait parler des livres plutôt que d’enseigner la littérature.

7 La bande annonce de Je reviens de mourir est visible sur YouTube 8 Depuis 2008, le Festival International de la Bande Dessinée, dans le cadre du Pavillon Jeunes Talents, remet un prix récompensant trois jeunes auteurs de bande dessinée issus du blog, nouveau support qui a permis de révéler un grand nombre de talents, dont Aseyn, premier à remporter la compétition et qui a publié son premier livre chez Vraoum, à savoir, Abigaïl 9 Portail de l’actualité littéraire, ActuaLitté offre chaque jour des nouvelles des mondes du livre et de l’édition avec des articles complets et des chroniques de livres, de BD ou de mangas. On trouve dans ses colonnes des interviews exclusives, mais également des rubriques insolites, toujours articulées autour des livres. Une large place est accordée au monde des bibliothèques, autant qu’à celui de l’Éducation nationale et de la lecture. www.actualitte.com/


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Internet : inventions littéraires et découvertes de nouveaux talents LJ : En tant qu’éditeurs et spécialistes du livre, quel regard portezvous sur l’avenir de l’édition à l’heure où l’on parle d’e-books et de lecture sur écran ? Le monde de l’édition va-t-il connaître de profonds bouleversements ? TB : Je pense que l’e-book va coexister avec le papier, qui conservera ses lecteurs. Les amateurs du livre papier sont une niche de « consommateurs » assez militants, désireux de défendre une liberté de pensée et un esprit de révolte. Alors, on peut penser que, si les énormes succès de librairie comme ceux de Marc Lévy (qui touchent un public autrement plus vaste que la niche restreinte des « lecteurs » passionnés) risquent bien de passer entièrement en numérique, en revanche le papier a encore de l’avenir pour une offre plus marginale, plus novatrice. Cela n’empêche pas que, dans le cadre d’une double exploitation d’un livre, sur Internet et sur papier, on puisse imaginer des innovations passionnantes. Par exemple, la fameuse bande-son des romans « Exprim’ » pourrait, sur iPhone, être réellement utilisée par les lecteurs ; des liens hypertextes insérés dans les romans pourraient directement conduire à des vidéos ou à des images… WL : Le livre fait partie de l’imaginaire collectif de nos civilisations occidentales. Le livre perdurera pour les éditeurs de « Livre objet », mais pour les auteurs de best-sellers, abondamment téléchargeables et pour lesquels le public se moque de l’objet en tant que tel, nous pouvons penser qu’ils seront lus directement sur écran. Mais peut-on plaindre les éditeurs de ces titres-là ? NG : Ce que l’on peut dégager comme grandes lignes sans se tromper, c’est que le numérique est l’avenir, tant dans la vente, que dans la création. Non seulement pour les pistes que cela ouvre, mais aussi parce que de nouveaux moyens d’expression arrivent. Si les supports de lecture évoluent, alors nécessairement, les œuvres évolueront aussi. Ce qui ne signifie pas du tout que le récit traditionnel, à feuilleter page à page est voué à disparaître. Laissons ce genre de propos à la presse qui a besoin d’effrayer le public et d’aller dans le sens des dinosaures du secteur de l’édition.

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Parcours de lecture Livres accroche Littératures Bandes dessinées Documentaires

page 42 à 46 page 47 à 48 page 49 à 51

Et après Littératures Bandes dessinées Documentaires

page 52 à 59 page 60 à 61 page 62 à 63

Lecteurs confirmés Littératures Bandes dessinées Documentaires

Ouvrages de référence

page 64 à 66 page 67 à 68 page 69

page 70


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Parcours de lecture Littératures Livres accroche Littératures 1 I Mon amie, Sophie Scholl Paule du Bouchet

Gallimard Jeunesse, 2009 (Scripto) 138 p. 7,50 € 978-2-07062-503-1

Genre Journal intime

Mots clés Amitié Résistance Seconde Guerre mondiale

Entre le 15 février et le 18 mai 1943, Elisa, une jeune Allemande d’une vingtaine d’années, écrit son journal intime. Son frère, Hans s’est engagé aux côtés de Thomas et Sophie Scholl, leaders du groupe la « Rose Blanche », qui mènent à Munich des actions de résistance antinazie de plus en plus risquées. Le journal commence trois jours avant l’arrestation de Sophie, de Hans et d’un troisième complice par la Gestapo. Elisa confie ses angoisses et sa peur de l’engagement, qui contrastent vivement avec le courage et la détermination de Sophie et de Hans soutenus par leur foi chrétienne. Par le biais de nombreux flash-back, elle remonte le fil d’une amitié privilégiée avec Sophie. Elle évoque aussi son profond amour pour Leo, un jeune Juif qui a fui et dont elle n’a pas de nouvelles. Les trois résistants arrêtés sont décapités après une parodie de procès et meurent avec une extrême dignité ; leur réseau sera démantelé. Elisa, quant à elle, ne supporte plus sa famille qui soutient le régime. Elle fuit, mais en1943, elle sera déportée à Ravensbrück. La forme du journal privilégie l’analyse psychologique et l’émotion, elle ne prétend pas au documentaire circonstancié. Elle n’oblitère pas l’Histoire, en relate quelques traits saillants comme la nuit de Crystal, et en restitue le climat de terreur. Au fil d’une écriture fluide, le lecteur (et sans doute plus encore la lectrice) découvre la force de l’engagement, la témérité et la solidarité de ces jeunes qui osèrent défier la police nazie, et s’interroge avec Elisa sur les risques de cette révolte, de ce sacrifice, et sur la tentation de la lâcheté. Cet ouvrage permet une première approche, facile et sensible, d’un aspect peu traité dans la littérature de jeunesse, la résistance tragique de jeunes Allemands face au nazisme et dont Sophie Scholl est l’une des figures emblématiques. ■ Marie-Françoise Brihaye Réseau de lecture : Mon amie, Sophie Scholl est à mettre en regard avec le roman Étranger à Berlin de Paul Doswell (Naïve, 2009, voir LJ n° 132). Le roman prend pour décor une famille proche du Führer, mais Peter, le jeune adolescent et héros de ce roman, réalise peu à peu l’ignominie de l’idéologie nazie. Un (autre) beau roman sur l’engagement et la résistance.

2 I Méto, T.3 : Le Monde Yves Grevet

Syros, 2010 384 p. 15,90 €

Après avoir perdu une partie d’Inche dont l’enjeu était la libération de Marcus, Méto est à nouveau prisonnier de La Maison. Il doit prouver sa loyauté aux Césars et leur raconter la genèse de la rébellion qu’il monta contre eux. Il leur propose une version des

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43 faits qui les conduisent à lui proposer d’intégrer un groupe secret, le groupe « E ». Cette élite mène des missions d’espionnage sur le continent. Pour s’y préparer les jeunes doivent, au fur et à mesure, tout apprendre de l’histoire du Monde, et des lois sur la population… Très vite on confie à Méto des missions importantes. L’occasion pour le jeune garçon, comme dans les tomes précédents, de multiplier les rencontres avec des personnages singuliers et de s’entourer de fidèles. Il doit alors jouer un double jeu complexe, toujours sur le fil, et qui lui permettra peut-être de mener son grand projet. Une fois encore, on apprécie une narration qui nous amène à partager chacune des découvertes de Méto. Alors qu’au sein de la Maison l’ambiance pouvait parfois se teinter de fantastique, l’explication construite par Yves Grevet quant à l’état du monde s’ancre bien dans le plausible. La violence des relations est toujours au cœur du roman. Le sort des populations des zones contaminées, condamnées à errer sur des embarcations de fortune au large du continent, offre à des adolescents une image qui ne manquera pas de créer des échos. Certes le motif central – limitation du nombre d’enfants par famille – est un classique du genre, mais c’est bien l’enquête que les jeunes lecteurs auront mené avec Méto pour découvrir cette vérité, qui lui donnera un plus grand poids encore. L’univers qu’est parvenu à créer Yves Grevet nous emporte et la réflexion qu’il propose sur une société autoritaire et fondamentalement inégalitaire convainc. ■ Hélène Sagnet Réseau de lecture : Pour des lecteurs plus âgés on pourra conseiller les romans d’anticipation La Déclaration ( Gemma Malley, Naïve, LJ n°124 ) et Auprès de moi toujours ( Kazuo Ishiguro, Les deux terres, LJ n°120 ). Retrouvez la bande annonce du livre sur www.syros.fr/meto.

978-2-74-850891-8

Genre Roman d’anticipation

Mots clés Liberté Famille Société

3 I Sanguine Pour : Quincie, 17 ans, s’occupe d’un restaurant avec son oncle. Du coup, ses résultats au lycée en souffrent mais la jeune fille fait ce qu’elle peut pour sauver l’entreprise de famille qui risque la faillite. Une idée surgit : et si le thème des vampires était choisi pour le restaurant en devenant le Sanguini’s ? L’idée fonctionne au-delà des attentes. Mais à quelques jours de l’ouverture, le chef cuisinier est assassiné. Quincie est bouleversée : son petit ami, Kieren, demi loup-garou seraitil responsable de ce massacre ? Elle mène son enquête et découvre la vraie nature des personnes qui l’entourent… Sanguine n’est pas un roman de vampires traditionnel. En effet, il est à considérer comme un polar gothique. Alors que le restaurant se prépare à ouvrir, le cuisinier, ami de longue date de la famille, est assassiné sauvagement. Les suspects sont multiples pour Quincie : son petit ami loup-garou, surtout vu l’état du corps de la victime, la petite amie de son oncle qui visiblement souhaite diriger le restaurant ou encore le nouveau cuisinier qui attire tant la jeune fille… Le lecteur se perd en de multiples conjectures tout comme l’héroïne, pour découvrir une fin plutôt inattendue à ce roman original sur les vampires. ■ Sébastien Féranec

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Cynthia Leitich Smith

Intervista, 2009 (15-20) Trad. de l’anglais (États-Unis) par Blandine Longre 344 p. 16,50 € 978-2-35756-028-4

Genre Bit-lit

Mots clés Amour Vampire Quête


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Livres accroche Contre : Comme dans la série Twilight, l’héroïne pense beaucoup mais n’est pas très perspicace. Ses préoccupations ont toute la même importance, que ce soit le choix d’une tenue, une mauvaise note, l’amour de son ami loup-garou, rentrer seule le soir ou le risque de perdre la vie. Sans saveur et pleine de clichés, l’écriture souffre en plus de lourdeurs et la construction générale de l’intrigue est assez chaotique. Sanguine n’est qu’un livre de trop sur les vampires. ■ Déborah Durand

4 I La Voix derrière la porte Rune Michaels

Trad. de l’anglais par Antoine Pinchot Casterman, 2010 (Romans Grand Format) 151 p. 13 € 978-2-20301-506-7

Genre Science-fiction

Mots clés Deuil Culpabilité

Au milieu de la nuit, Daze, la narratrice, croit entendre la voix de sa mère, morte trois ans plus tôt. Mais ce n’est qu’un film que son père visionne pour apaiser sa douleur. Quelques jours plus tard, à l’université, l’adolescente l’entend cette fois parler seul, dans son laboratoire. Profitant de son absence, elle s’introduit dans la pièce et découvre que son père a construit un androïde reproduisant fidèlement la tête de son épouse. Fascinée par ce robot, cette jeune fille intelligente développe alors, en secret, une étrange relation avec cette tête, substitut de sa mère. Ceci l’aide à surmonter la douleur provoquée par sa mort, due, selon elle, à un cancer. Mais elle doit aussi prendre soin de son petit frère, affronter ses copains d’école et ne rien révéler à son père. Tout s’effondre quand elle découvre que celui-ci a une relation avec une collègue universitaire. Elle est persuadée qu’il veut détruire « la tête de sa mère » et tente un ultime sauvetage désespéré qui leur permettra, enfin, d’affronter la mort de celle qui les a abandonnés. Ce récit, écrit dans un langage simple, ne verse jamais dans le fantastique ni dans la science-fiction mais il utilise pleinement la confusion des sentiments éprouvés par des êtres humains à l’égard des robots trop bien imités. En réservant, dans les dernières pages, des révélations importantes, l’auteure aborde de douloureuses questions liées au deuil et au sentiment de culpabilité. ■ Colette Broutin

5 I La Balade de Sovay Celia Rees

Trad. de l’anglais par Anne-Judith Descombey Seuil Jeunesse, 2009 461 p. 16,95 € 978-2-02-098066-1

Genre Roman d’aventure

Mots clés Intrigue Londres

1794, Sovay, fille d’un aristocrate anglais et orpheline de mère, voit son monde basculer brutalement. En une journée, ses fiançailles sont rompues : elle apprend que son père est accusé de trahison envers la couronne d’Angleterre et réalise que, comme son frère, il a disparu. Refusant le rôle auquel son sexe et sa position sociale la cantonnent, elle ne recule devant aucun danger pour retrouver les siens et déjoue complots et manipulations. Son périple la mène de sa riche propriété terrienne aux bas-fonds de Londres, puis jusqu’au cœur du Paris de la Terreur où elle est confrontée aux dérives sanguinaires de la Révolution Française. On retrouve dans La Balade de Sovay les rouages classiques du roman d’aventure. Ils s’enchaînent à merveille dans une intrigue riche en rebondissements : une belle et intrépide héroïne, entourée d’hommes

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Littératures

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courageux – aristocrates, hommes du peuple ou brigands au grand cœur –, aux prises avec une société secrète, de faux amis, un homme de pouvoir rusé et manipulateur… Le choix du cadre historique permet d’aborder les thèmes des Lumières, de la démocratie, de la liberté, de la justice, du refus de la violence aveugle, de l’égalité entre les Hommes, et surtout entre les hommes et les femmes dont l’héroïne est la meilleure illustration… Mais, par-dessus tout, l’intrigue domine le récit. Le jeune lecteur retiendra les images les plus fortes de l’arrière-plan historique – une maison close sordide dans le Londres populaire, les rituels initiatiques d’une société secrète, la foule assistant aux exécutions sommaires… – sans forcément en comprendre tous les enjeux. Au final, Celia Rees signe un très bon roman de divertissement, dont le style très visuel nous fait partager toutes les émotions d’une héroïne à laquelle il est très facile de s’identifier. ■ Elsa Pellegri

6 I Le Souffre bonheur Zadig est un collégien d’1,40 m mais il ne passe pas inaperçu : provocateur, drôle, ironique et peu enclin à travailler, il fait le bonheur de ses camarades et exaspère ses professeurs. En classe de 3e, il doit effectuer un stage d’observation dans le monde professionnel, or, il n’en a pas. Son professeur principal, Monsieur Rosette, lui propose de travailler dans le service d’un grand médecin à l'hôpital. Égal à lui-même, Zadig va vite faire comprendre au docteur son peu de motivation pour le travail. Celui-ci lui confie alors une mission en apparence simple : aider Lola, une jeune fille de 18 ans qui est dans son service, à prendre ses repas. Or, Lola est anorexique. Les deux jeunes gens vont se découvrir et apprendre à se connaître. Zadig, grâce à son humour et sa joie de vivre, mais aussi un peu animé par des sentiments amoureux nouveaux, va aider cette jeune fille et lui redonner le goût de vivre. Ce n’est pas tant le sujet « classique » que le personnage de Zadig qui fait la force de ce roman. Les péripéties que vit Lola et les secrets qui l’ont poussée vers l’anorexie sont assez banals mais permettent aussi au roman de montrer les facettes de cette maladie. La personnalité de Zadig illumine le texte et le thème de l’anorexie de Lola se trouve quasiment n’être qu’un prétexte pour montrer à quel point Zadig est l’ami, puis l’amoureux idéal. Contrairement aux autres romans traitant de ce trouble alimentaire, le ton est enjoué et gai, plein d’espoir, et ne tombe à aucun moment dans le sentimentalisme… La question du corps et de l’acception de soi semble importer à l’auteur qui a déjà publié chez le même éditeur Les yeux plus gros que le ventre, où il était question de surpoids, de complexes et de boulimie. ■ Marilyne Duval

7 I Gwydion, T.1 : Sur la route de Camelot Odwyn, 13 ans, vit dans la ferme familiale avec son père, son frère et sa sœur alors que la Cournouailles est envahie par les Saxons. Un jour, les barbares attaquent et dévastent sa maison. Le jeune garçon

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Christophe Renault

Petit à petit, 2009 (Lignes de vie) 250 p. 10 € 978-2-84949-157-7

Genre Roman psychologique

Mots clés Anorexie Amitié Amour


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Livres accroche Peter Schwindt

Trad. de l’allemand par Florence Quillet Bayard Jeunesse, 2009 277 p. 12,90 € 978-2-74702-656-7

Genre Roman initiatique

Mots clés Légendes arthuriennes

ne doit la vie qu’à l’intervention d’un mystérieux chevalier, Humbert de Llanwick. Pour Odwyn, c’est l’occasion de quitter sa condition de paysan et d’accéder enfin à son rêve : devenir chevalier. Il décide d’accompagner Humbert. Mais alors qu’ils sont en chemin, ils sont attaqués et le chevalier est enlevé. Odwyn n’a plus qu’une solution,se rendre à Camelot, la cour du roi Arthur, s’entraîner pour devenir un preux chevalier, et partir à la recherche d’Humbert. Le premier volume de cette série nous propose un roman d’aventures au temps du Roi Arthur. Les chevaliers ont vieilli, certains sont séniles, d’autres alcooliques… Mais les valeurs fondatrices perdurent et, face à Mordred, tous s’uniront, même si la trahison n’est jamais loin. On trouve dans ce récit tous les ingrédients du roman de chevalerie : complots, magie, pouvoir, héros, amour… On prend plaisir à retrouver les chevaliers de la Table Ronde sous l’œil du jeune Odwyn. ■ Sébastien Féranec Réseau de lecture : L’exposition de la BNF « Arthur, la légende du roi » qui s’est tenue du 20 octobre 2009 au 24 janvier 2010 est désormais disponible en exposition virtuelle sur le site Internet de la BNF à l’adresse suivante : http://expositions.bnf.fr/arthur/. Lire aussi Arthur, l’autre légende, de Philip Reeve (« Scripto », Gallimard Jeunesse, voir LJ n° 129), qui offre le point de vue plein d’humour d’une jeune fille sur le monde barbare du roi Arthur.

8 I Mes deux Allemagne Anne-Charlotte Voorhoeve

Trad. de l’allemand par Florence Quillet Bayard Jeunesse, 2009 (Millezime) 347 p. 11,90 € 978-2-74701-950-7

Genre Roman historique

Mots clés Mur de Berlin Allemagne de l’Est 1988

Lily n’a que 13 ans à la mort de sa mère. Elle se retrouve orpheline et seule à Hambourg. Avant sa naissance, Rita, sa mère, a fui Berlin Est alors que sa famille restait de l’autre côté du Mur. Lily n’a pas eu le temps de connaître son père, victime d’un accident de montagne. L’adolescente passe la semaine à l’internat et le week-end, elle retrouve Pascal, photographe et compagnon de sa mère, lorsqu’il rentre de ses reportages à l’étranger. Mais il n’est pas question qu’il assume la garde de Lily et l’appartement où ils ont vécu tous les trois va être cédé. Or, le jour de l’enterrement de sa mère, Lily a rencontré sa tante Léna qui a pu obtenir un visa exceptionnel pour les funérailles. Dès lors, elle va n’avoir qu’une idée en tête : la rejoindre à Berlin Est avec la complicité de Pascal. Le roman décrit les sentiments d’une enfant en deuil : la perte d’espoir puis le sursaut de vie qui l’anime, l’idéalisation de la figure maternelle à travers le personnage de Rita, ainsi que son désir d’autonomie et d’avoir une famille. La fuite de l’autre côté du Mur paraîtra cependant assez peu crédible à un lecteur adulte, et le roman n’est pas exempt de longueurs. Il s’adresse aux collégiens qui possèdent une bonne capacité de lecture. La vie quotidienne dans les deux Allemagne des années 80 est bien évoquée, permettant aux jeunes lecteurs d’avoir des repères sur une Histoire très récente, et une situation politique qui leur est difficile à saisir aujourd’hui. ■ Cécile Robin-Lapeyre

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Parcours de lecture Livres accroche BD 9 I Les Épées de verre, T.1 : Yama Dans un monde voué à disparaître avec l’extinction imminente du Soleil, règne le redouté Orland. Lorsqu’un jour, une mystérieuse épée tombe sur la roche sacrée d’un village, arme possible de rébellion, ses habitants, asservis par la crainte, préfèrent sacrifier leur chef et livrer sa femme au tyran, plutôt que de subir ses représailles. La fille du chef, la jeune Yama, découvre, en s’enfuyant, qu’elle a un lien particulier avec cette épée. La fillette est recueillie par un ermite qui la forme au métier des armes. Malgré son désir de vengeance, Yama ne devra pas oublier que son pouvoir sur l’épée la promet à une plus grande destinée. Si le scénario n’est pas des plus originaux et que l’auteur pourrait prendre le temps de poser davantage son intrigue, ce conte initiatique est porté par un dessin envoûtant et peuplé de créatures étranges qui ne sont pas sans évoquer l’univers d’Hayao Miyazaki. Notons qu’il s’agit d’une création 100 % féminine. Cette bande dessinée facile à lire devrait aisément séduire un public mixte dès 11 ans, et bien audelà. On attend la suite… ■ Juliette Buzelin

Sylviane Corgiat

Ill. de Laura Zuccheri Les Humanoïdes Associés, 2009 56 p. 12,90 €

Mots clés Quête Destinée

10 I Kung-fu mousse, T.1 :

Branle-bas de combat en cuisine Suite à la disparition de ses parents, Wang Lau vit en Chine avec son grand-père. Maître d’arts martiaux et chef cuisinier, son rêve est de parcourir le monde. Son cousin, qui tient un restaurant à Paris, cherche justement quelqu’un pour l’aider. Wang Lau part donc pour la Ville Lumière avec sa naïveté et ses idéaux. Arrivé sur place, il se rend vite compte que son cousin est un malfrat aux prises avec la mafia et les bandits de la capitale. Wang Lau n’a d’autre choix que d’intervenir pour défendre son cousin. Il se retrouve alors entraîné dans une histoire louche, avec un autre secret concernant son identité… Après les hilarants Dragon fall (Akileos, 2008) et Les Chevaliers de l’horoscope (Akileos, 2008), Nacho Fernandez signe ici un scénario qui plonge le lecteur dans une ambiance asiatique. L’inspiration des films hongkongais est très présente à travers les personnages, et l’intrigue est cousue de fil blanc : un héros mystérieux, un maître, des ennemis apparemment invincibles, un sens de l’honneur à toute épreuve, un cousin filou, et un flic un peu couard mais bien intentionné. Tout est réuni pour évoquer les films de Bruce Lee et Jackie Chan. Ce qui fait l’intérêt de cette bande dessinée, c’est son style graphique bondissant,

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Nacho Fernandez Akileos, 2009 50 p. 13 € 978-2-35574-041-1

Mots clés Humour Kung-fu


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Livres accroche son découpage rythmé et le lieu de son intrigue, Paris. Les « vannes » vont faire rire tous les adolescents et l’action débordante tient le récit du début à la fin. C’est une œuvre légère, pleine d’humour et de références; une très bonne bande dessinée comme en produit beaucoup le neuvième art espagnol. ■ Thomas Bailly

11 I Explorers, T.1 : Oui-ja Rémi Guérin

Ill. de Guillaume Lapeyre et Diane Brants Soleil Productions, 2009 48 p. 13,50 € 978-2-30200-826-7

Mots clés Magie Aventure Livre

En entrant dans cette vieille demeure censée être abandonnée et hantée, Lily, Robin, Matt, William et Cléry pensaient passer la soirée à se faire peur en ce jour d’Halloween. Mais, lors d’une séance de spiritisme (à l’aide d’une tablette de Oui-ja), en déplaçant un curseur alternativement sur les 26 caractères du support en bois, les cinq amis vont réveiller un être maléfique : Hadès, le seigneur des ténèbres. Et pas question pour le démon de retourner dans le néant ! Il compte bien profiter de la faille pour ouvrir les portes des Enfers. Afin d’empêcher quiconque de le renvoyer, il rend inutilisable la tablette de Oui-ja qui a servi à l’invoquer, en cachant les lettres dans les romans de la bibliothèque du manoir. Explorers est une bande dessinée étroitement liée à la littérature puisque la mission attribuée aux cinq héros consiste à retrouver chacune des 26 lettres, sous la forme d’un esprit maléfique caché dans l’un des ouvrages de la bibliothèque. C’est donc à l’intérieur d’histoires telles que Vingt mille lieues sous les mers, L’Île au trésor, Alice au pays des merveilles, Sherlock Holmes et bien d’autres encore, que nos héros vont devoir intervenir ! La démarche est ludique, le ton très humoristique, même si les combats peuvent à tout moment avoir des répercussions tragiques. Les dessins de Guillaume Lapeyre, mélange des styles manga et comics, et les couleurs très « flashy » séduiront le jeune public. ■ Frédéric Leray Vous retrouverez sur Internet, le blog de la série, comprenant des jeuxconcours, des vidéos, etc. http://explorers-chronicles.blogspot.com/ Ndlr

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Parcours de lecture Livres accroche Documentaires 12 I Horrible corps humain La famille Normale (deux parents, une fille et un garçon) va être examinée à la loupe par l’équipe des « miniscientifiques ». Le fonctionnement du corps humain est exposé selon différentes approches : le système général qui permet de vivre (respiration, digestion, réseaux sanguins) ; les rejets du corps humain (cérumen, salive, matières fécales) ; le cer veau (émotions, mémoire, apprentissages) ; et l’évolution du corps humain (naissance, guérison, vieillesse). Les sujets sont regroupés selon leur thème et chacun est abordé sur une double page. Le jeune lecteur est supposé s’identifier à l’un des enfants comme l’indique le titre du premier chapitre : « C’est toi la star ! » Le processus capte l’attention du lecteur et les informations livrées sur le corps humain sont pertinentes. Le principe d’accroche est ingénieux : le lecteur est interpellé et le texte cherche à retenir l’attention par des anecdotes drôles ou incongrues. La mise en page est aussi réfléchie pour distraire : bulles de bandes dessinées, jeux de mots, quiz, dessins humoristiques et petits encarts composent chaque page. La dimension ludique est donc très présente mais les informations livrées sont tout de même riches et instructives. L’approche choisie conviendra au public des plus jeunes lecteurs. ■ Déborah Durand À noter, la parution dans la même collection, du titre Horrible Géographie qui propose une approche décalée et drôle de cette science. Ndlr

Nick Arnold

Ill. de Tony de Saulles Trad. de l’anglais par Evelyne et Alain Bouquet Le Pommier, 2009 (Horrible science) 96 p. 18 € 978-2-74650-433-2

Mots clés Corps humain Science

13 I Louis XIV, le destin d’un roi De sa naissance, tant attendue, jusqu’à sa mort le 1er septembre 1715, ce documentaire retrace la vie de Louis XIV. Des aspects variés sont évoqués : son quotidien, son intimité, mais aussi son rapport à la guerre et aux arts. Au bas de chaque page, une frise propose des dates qui restituent dans un contexte international le règne du Roi Soleil : l’élection d’un pape, le début d’une nouvelle dynastie impériale en Chine, la création du premier billet de banque, la fondation de la Nouvelle-Amsterdam (future NewYork). Des doubles pages éclairent des points particuliers sur l’affaire des Poisons, la France coloniale ou les portraits du roi par exemple. Les difficultés du pays dues à la politique de guerre qui affaiblit l’économie et provoque des famines ne sont pas omises non plus.

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Dimitri Casali et Vincent Rolin

Fleurus, 2009 (Voir l’histoire) 79 p. 15,95 € 978-2-21505-589-1

Mots clés Louis XIV Histoire Monarchie


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Livres accroche Les textes, pourtant simples, demanderont une lecture attentive aux jeunes lecteurs plus habitués à zapper l’information sur Internet. On regrette le manque de références complémentaires relatives à l’iconographie, notamment dans la reproduction des tableaux : leurs titres, les peintres et les dates. Le DVD qui accompagne le livre propose une autre approche avec un docu-fiction de 90 minutes proche du téléfilm, qui met en images la vie de Louis XIV. Une véritable plus-value pour un documentaire de facture classique. ■ Laurence Guillaume

14 I Art contemporain Céline Delavaux et Christian Demilly Palette, 2009 96 p. 28,50 € 978-2-35832-020-7

Mots clés Art contemporain Musées

L’art ne répond pas aux questions, il les pose ! Mais comment s’y retrouver dans le foisonnement des œuvres d’art qui déconcertent, provoquent ou scandalisent volontiers le public. Une introduction pose clairement en quoi « l’art contemporain » constitue une révolution, puis le contenu est organisé en six chapitres dont les titres déclinent des approches spécifiques : « Dispositifs », « Matériaux », « Spectateur », « Le jeu du je », « Dérision » et « Lieux ». À l’intérieur de chaque chapitre, des thématiques sont déclinées et illustrées par les photographies en couleur d’œuvres d’artistes, et accompagnées d’un commentaire qui situe l’œuvre dans son contexte, cible son originalité et sa spécificité. Un index et une page de crédits photographiques permettent de retrouver les 95 artistes de toutes nationalités ainsi que leurs œuvres, répertoriées dans le livre. Ce documentaire de grande qualité contient des informations et des clés de compréhension afin de mieux approcher ces créations artistiques contemporaines. C’est un beau livre accessible dès le collège car les textes sont rédigés dans un langage dépourvu de tout jargon. Le grand format et la qualité des photographies en font un ouvrage de référence indispensable. ■ Colette Broutin

15 I Rose Valland, l’espionne

du musée du Jeu de Paume Emmanuelle Polack

Ill. d’Emmanuel Cerisier Gulf Stream, 2009 (L’Histoire en images) 93 p. 16,50 € 978-2-35488-046-0

Mots clés Seconde Guerre Mondiale Résistance Art

Pendant la Seconde Guerre mondiale et l’occupation allemande, le musée du Jeu de Paume, à Paris, était devenu le centre de transit des œuvres d’art en provenance de collections privées pillées par les nazis et en attente d’expédition en Allemagne. Cet album raconte l’histoire authentique de Rose Valland, qui était attachée de conservation à ce musée. Voyant ce qui se passait, elle ne put rester inactive et décida de tenir un inventaire aussi précis que possible des œuvres expédiées et de leur destination ; ce faisant elle savait que, si cette activité était découverte par les Allemands, cela risquait de lui coûter très cher. Avec la complicité de son supérieur, qui était en contact avec la Résistance, elle put ainsi empêcher le départ d’un train comprenant plusieurs wagons chargés d’œuvres d’art.

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Littératures Documentaires Ses archives permirent ensuite de retrouver en Allemagne une grande partie du patrimoine qui avait été volé et de le rapatrier. Cet ouvrage est un bon éclairage sur une des facettes peu connues de la Seconde Guerre mondiale. Les textes, bien rédigés, sont assez brefs et se lisent comme un récit d’aventures. Les illustrations sont abondantes et s’efforcent de reconstituer l’ambiance de cette période de guerre souterraine. En fin d’ouvrage, un lexique bienvenu explique un certain nombre de termes allemands utilisés par les occupants. Une bonne première approche de l’histoire et de l’histoire de l’Art, durant la guerre. ■ Jean Ratier Le livre a été réalisé avec le concours du Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon pour l’exposition « La Dame du Jeu de Paume, Rose Valland sur le front de l’art » qui aura lieu jusqu’au 2 mai 2010. Ndlr

16 I Jean Moulin, héros de la Résistance Ce documentaire consacré à Jean Moulin, prend la forme d’un récit en 16 courts chapitres allant du printemps 1940 au 8 juillet 1943, date de sa mort. Bertrand Solet, dans une langue sobre et juste, fait revivre celui qui ne faillit jamais à son devoir dans son combat contre l’occupant allemand et le nazisme. Le narrateur privilégie les temps forts de cet engagement et sait mettre en scène les protagonistes par des dialogues et des descriptions dramatiques. Le lecteur comprend ainsi comment et pourquoi, celui qui était le plus jeune préfet de France choisit de résister alors que le Maréchal Pétain, que la population considérait comme un grand patriote, demandait l’Armistice. Le récit de la rencontre décisive avec le Général de Gaulle, à Londres, permet de saisir les choix stratégiques et le sens de la difficile mission qui lui fut confiée dans un contexte politique peu favorable. Car l’auteur ne cache pas les obstacles qu’il rencontra au sein même des mouvements Combat et Libération. Le dernier épisode, celui de son arrestation puis des tortures infligées par Klaus Barbie, est un hommage à cet homme d’honneur et de courage dont les cendres reposent au Panthéon depuis 1964. Ce récit est complété par un dossier chronologique de la guerre, de témoignages d’actes de résistance, de photos dont on peut regretter le petit format, et d’une courte biographie de Jean Moulin. Enfin l’auteur fournit une courte bibliographie où il a puisé ses sources. Un documentaire à conseiller pour une première approche d’une grande figure de la Résistance. ■ Colette Broutin

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Bertrand Solet

Oskar Jeunesse, 2009 (Histoire & Société) 98 p. 7,95 € 978-2-35000-494-5

Mots clés Résistance Occupation Honneur

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Parcours de lecture Et après

Littératures

17 I Rendez-vous à la Datcha Marie Bertherat

L’Archipel, 2009 (Archifilles) 253 p. 14,95 € 978-2-80980-236-8

Genre Roman d’amour

Mots clés Années 70 Russie

Été 1977, à Paris. Mouchka, 14 ans, est la fille du propriétaire du restaurant La Datcha à Montparnasse. À la recherche de l’assassin de sa mère, Nina, poignardée dans un supermarché du quartier sept ans auparavant, elle trouve par hasard le carnet intime de celle-ci. Gabriel, 16 ans, travaille dans un magasin d’antiquités pendant l’été. Alors que son père a disparu quand Gabriel avait 9 ans, il apprend qu’en réalité, celui-ci est mort en Afrique. Tandis que les deux jeunes gens deviennent les détectives de leur propre vie, ils se rencontrent dans la boutique de Gabriel et découvrent avec délice le plaisir de tomber amoureux. Mouchka reconstitue peu à peu le puzzle de l’histoire de sa famille grâce au journal de sa mère : Nina, jeune femme russe et photographe du danseur étoile Noureev, le coup de foudre de ses parents à la Coupole. Gabriel, quant à lui, découvre que son père est le meurtrier de Nina et qu’il s’était enfui pour échapper à la justice. Son histoire d’amour avec Mouchka ne semble plus qu’un rêve brisé, mais le temps leur donnera raison. Ce récit à trois voix – celle de Mouchka, de Gabriel et du journal de Nina – est à la fois un roman d’amour et une chronique historique et politique de la France des années 70 et de la Russie des années 50. Avec le suspense d’une intrigue aux allures policières et l’entrecroisement des récits autour de la quête des origines, ce livre qui pourrait n’être qu’une romance, se révèle dense et émouvant. ■ Nicole Wells Nouvelle collection : « Archimaginaire », « Archimystère », « Archifilles », trois nouvelles collections, lancées par Hervé Milhau, pour six nouveautés en tout, qui ont fait leur apparition en 2009 aux éditions de l’Archipel. Un univers dédié à la littérature adolescente et jeune adulte, qui proposera des romans transgénérationnels pour bien cibler un public qui ne se considère plus comme « jeunesse ».

18 I Le Retour de l’aube Malorie Blackman

Trad. de l’anglais par Amélie Sarn Milan Jeunesse, 2009 (Macadam) 436 p. 11 € 978-2-74593-679-0

Genre Roman d’anticipation

Callie et Tobey sont les meilleurs amis du monde. Ils pourraient même tomber amoureux l’un de l’autre si la ségrégation qui sévit dans leur pays ne tentait de les éloigner. En effet, Tobey est un Blanc, un Nihil, dominé par les Noirs, les Primas. Callie, elle, est métisse, ce qui ne lui facilite pas la vie non plus. Dans ce monde quotidiennement violent, ils vont malgré tout tomber amoureux et s’aimer contre l’adversité. Mais, un jour, Callie est prise pour cible lors d’une rixe entre gangs. Elle se retrouve à l’hôpital, dans le coma. Voulant venger l’amour de sa vie, Tobey va se livrer à un jeu dangereux : s’allier avec les deux chefs de gang, McAuley et Dowd, et tenter de mettre fin à cette

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53 guerre en les trahissant tour à tour. Il compte bien aussi au passage trouver ceux qui ont fait du mal à Callie. Pris au milieu d’une spirale infernale, Tobey va manquer d’y laisser la vie... Quatrième tome de ce qui devait être au départ une trilogie, Le Retour de l’aube poursuit les aventures de Callie Rose Hadley, fille de Séphy et de Callum, les héros de Entre chiens et loups (voir LJ n° 119). Dans ce roman, l’auteur, fidèle à sa vision futuriste de l’apartheid, s’attaque au problème des gangs et de la pauvreté comme vecteur de violence. Malheureusement, le sujet n’a rien d’original et ce n’est pas parce que l’on renverse les clichés que l’on a forcément des choses intéressantes à dire. Ce roman est convenu, prévisible et donne l’impression que l’auteur a cédé à la facilité. Heureusement, le ton est enlevé, le rythme efficace et dynamique, ce qui permet au lecteur de tenir la distance. ■ Cécile Chartres

Mots clés Amour Guerre de gangs Apartheid

19 I Marquée, T.1 : La Maison de la nuit Zoey Redbird, lycéenne de 16 ans, est désignée par le Traqueur pour rejoindre la Maison de la Nuit, une école « privée » où les adolescents doivent se transformer en vampires et qui, s’ils échouent, trouvent la mort. Ces élèves apprentis ont tous un signe distinctif sur le front : un croissant de lune qui évolue durant leurs 4 années d’apprentissage. Zoey Redbird a une marque différente de ses camarades et semble désignée pour avoir un destin particulier et des pouvoirs exceptionnels. Zoey découvre sa nouvelle vie et se fait des amis dans cette étrange école : Stevie, une jeune fille crédule, Erin et Shaunee, de gentillettes petites pestes, et Damien, un jeune adolescent brillant, sensible et homosexuel. Elle peut compter sur eux pour affronter Aphrodite, élève en dernière année, à la tête des Filles de la Nuit - un club sélect au sein de La Maison de la Nuit. Mais elle est aussi l’ex-petite amie d’Erik, tombé sous le charme de Zoey. Les auteurs semblent avoir pioché des ingrédients dans des séries à succès comme Harry Potter et Twilight, sans oublier la dimension « chick-lit » ! Plus qu’un objet littéraire, nous avons entre les mains du divertissement efficace. Malgré des emprunts évidents, l’intrigue est crédible, les actions sont nombreuses, les personnages foisonnants. Ce tome d’exposition pose les bases d’une aventure complexe où humour et suspens sont habilement mêlés. À lire comme on regarderait une série télévisée. ■ Anne Clerc

P.C. Cast et Kristin Cast Trad. de l’anglais (États-Unis) par Julie Lopez Pocket Jeunesse, 2009 328 p. 14,95 €

Genre Bit-lit

Mots clés Amitié Pouvoir École

20 I Thomas Drimm, T.1 : La fin

du monde tombe un jeudi Le narrateur, Thomas Drimm, est un adolescent de 13 ans « moins le quart », gros et nul au collège. Accidentellement, il tue le professeur Leo Pictone d’un coup de cerf-volant. Ce dernier, réincarné dans l’ours en peluche du garçon, l’embarque dans

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Didier Van Cauwelaert

Albin Michel Jeunesse, 2009 392 p. 18€


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Et après 978-2-22619-366-7

Genre Roman fantastique

Mots clés État totalitaire Aventure Séquestration

une folle course contre la montre pour sauver le monde. Il faut détruire le bouclier d’antimatières qui empêche les âmes de quitter la Terre pour rejoindre l’Au-delà. En effet, dans le pays des ÉtatsUniques, les individus sont contrôlés par une puce cérébrale et chacun n’obéit qu’à un seul mot d’ordre : « Jouer et gagner » pour alimenter en énergie cet univers clos. Thomas, qui est à la veille de son « empucelage », comprend vite qu’il doit affronter les forces du Mal incarnées par le gouvernement de cette « ludocratie », et plus particulièrement par un couple diabolique, Olivier Nox et Lily Noctis. Mais qui manipule qui ? Cette destruction ne va-t-elle pas précipiter la terre dans une catastrophe épouvantable ? Ce récit mêle science-fiction, roman d’apprentissage et fable philosophique. Car cet univers ressemble au nôtre par bien des aspects : le culte du jeu, le bodybuilding, le formatage des esprits par la télévision, etc. Le ton satirique et les jeux de langage suscitent un véritable plaisir jubilatoire de lecture. Si la référence à Aldous Huxley est évidente, comment ne pas penser aussi à Boris Vian. C’est donc une réussite et l’on attend la suite avec impatience ! ■ Colette Broutin

21 I Cinq jours par mois dans

la peau d’un garçon Lauren Mc Laughlin Trad. de l’anglais par Sidonie Mezaize Pocket Jeunesse, 2009 319 p. 13,50 € 978-2-26618-255

Mots clés Adolescence Identité sexuelle Relation parents/enfants

Jill a 17 ans, une mère aimante et attentionnée, une meilleure amie un peu loufoque et un stratagème infaillible pour trouver le cavalier idéal qui l’accompagnera au bal de promotion. Bref, à part son père fantasque et dépassé par la réalité, Jill a tout de l’adolescente américaine lambda… la plupart du temps. Car, cinq jours par mois, juste avant ses menstruations, la jeune fille se transforme en Jack, un alter ego obsédé par les films et autres supports pornographiques, dont l’existence, même avec le soutien de ses parents, devient de plus en plus difficile à dissimuler. Jouant sur l’alternance des deux narrateurs, le roman entremêle les pensées des héros, fille et garçon, qui, s’ils se confondent parfois, ne pourront jamais se rencontrer. Le titre et la couverture laissent craindre un roman pour midinettes, aux codes trop figés. Pourtant, au-delà des préoccupations superficielles de Jill et sous une thématique fantastique et originale, l’auteure s’attaque à des thèmes plus sérieux pouvant surprendre et déranger. Ainsi, Jack est violemment rejeté par ses parents. La question de l’identité sexuelle est habilement abordée via la confusion des réminiscences charnelles : Jill éprouve la même attirance que Jack pour sa meilleure amie. Souvent drôle et pétillant, parfois dur, ce roman déçoit malheureusement par une fin aussi abracadabrante qu’attendue… Espérons qu’une belle surprise attende les lecteurs dans le deuxième tome, déjà sorti outre-Atlantique. ■ Amélie Mondésir

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Littératures

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22 I Lottie Biggs n’est presque

pas cinglée Charlotte Beryl Biggs, alias Lottie, a presque 15 ans, une meilleure amie surnommée Goose, et un petit boulot du samedi dans un magasin de chaussures ringardes. Elle adore tester toutes les nuances des colorations capillaires, craque pour Neil Adams, et entame son projet d’écriture personnel pour le cours de français. Mais elle passe de plus en plus facilement du rire aux larmes, et sans en être consciente, perd progressivement pied. Après quelques examens, elle sera diagnostiquée maniaco-dépressive, et il lui faudra tout le soutien de son entourage pour accepter cette réalité. Dans ce roman raconté à la première personne comme si c’était le projet personnel d’écriture que Lottie doit rendre, l’humour est présent dès les premières pages, avec des détails, des anecdotes, des dessins et surtout des réflexions plaisantes sur son quotidien. Puis, peu à peu le lecteur réalise que la vie de Lottie est moins légère qu’il n’y paraît. Le sujet de la maniaco-dépression est amené finement, avec justesse et drôlerie et sans pathos. Une excellente lecture qui donne envie de découvrir d’autres romans de cette collection dont les couvertures sont illustrées par Pénélope Bagieu. Un atout supplémentaire pour séduire les adolescentes amatrices de chick-lit ! ■ Aurélie Forget Réseau de lecture : Si vous aimez l’humour décalé pour adolescentes « rock’n’roll », nous vous invitons à (re)voir le film de Drew Barrymore : Bliss (sorti en janvier 2010). L’histoire d’une adolescente qui fuit sa petite ville du Texas morose, en découvrant le roller derby : un sport de « power girl ». Nouvelle collection : «" Bliss " est la collection des livres sur mesure pour rêver aux mille héroïnes qui dorment en nous. Légères, amusantes, excessives, voici trois filles qu’on est un peu, qu’on voudrait tellement être ou qu’on va adorer détester », explique Shaïne Cassim l’éditrice. Une fille haute couture de Lucy Sweet et Hollywood Starlet de Lola Douglas, sont les deux autres romans parus dans cette collection.

Hayley Long

Trad. de l’anglais par Dorothée Zumstein Albin Michel Jeunesse, 2009 (Bliss) 252 p. 13,50 € 978-2-22619-192-2

Genre Roman psychologique

Mots clés Humour Maniaco-dépression

23 I La Reine des lumières L’action se déroule dans un univers « uchronique » dans lequel Alexandre le Grand a étendu son empire jusqu’aux Indes, engendrant une culture métissée entre dieux grecs et hindouisme. Dans cette Angleterre du XIXe siècle, avec la Compagnie des Indes, c’est bien Bombay qui occupe Londres – Londonpolis – et non le contraire. En 2200 de l’ère alexandrine (1844), l’Empire vacille : Skylander, le souverain en place, vient d’être assassiné. Thomas Drake, un agent, est contacté par la Compagnie des Indes car celle-ci souhaite placer Roxane, la fille de Skylander, sur le trône, afin de tirer profit du pouvoir. Thomas et Roxane devront faire face

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Xavier Mauméjean

Flammarion, 2009 (Ukronie) 333 p. 15 € 978-2-08123-016-3

Genre Science-fiction


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Et après Mots clés Alexandre Le Grand Aventure

à leur destin et réunir des alliés afin d’empêcher Philippe de Macédoine, avide de pouvoir, de devenir le nouvel Empereur… Ce nouveau roman est à réserver à des lecteurs aguerris ayant une bonne connaissance de l’histoire antique grecque, tant les références sont nombreuses. En dehors de ce petit bémol, les passionnés découvriront un roman extrêmement bien construit, au scénario complexe et fouillé. La quête du pouvoir, parfaitement décrite, se vit comme une aventure pleine de rebondissements et de difficultés. ■ Sébastien Féranec

24 I Un endroit où se cacher

Joyce Carol Oates

Trad. de l’anglais (États-Unis) par Dorothée Zumstein Albin Michel Jeunesse, 2009 (Wiz) 300 p. 13,50 € 978-2-226-19543-2

Genre Roman psychologique

Mots clés Accident Drogue Deuil

Un terrible accident de la route va bouleverser la vie de Jenna, une adolescente de 16 ans. Sa mère est morte et le roman débute alors que la jeune fille se réveille à l’hôpital. Sous l’emprise d’analgésiques, ses pensées divaguent dans ce qu’elle nomme « le bleu ». Un monde sans douleur, contrairement à ce dur retour à la vie. Il lui faut intégrer un centre de rééducation, tirer un trait sur le passé, se sevrer des médicaments et rejoindre une nouvelle famille, celle de sa tante, et par conséquent, un nouveau lycée, dans une petite ville du New Hampshire. Jenna, casquette rivée sur la tête, fuit la compassion et les fausses sympathies, pour se lier d'amitié avec Trina. Celle-ci est un personnage complexe : instable, dangereuse et agressive, elle laisse sous-entendre qu’elle est l’ex-petite amie du sombre Crow. Un garçon à fuir, un marginal qui fait partie des « bikers », mais qui sait approcher Jenna, lui parler et la réconforter. Trina initie Jenna dans des soirées où drogue et alcool font bon ménage et la jeune fille part à la dérive, cherchant le « bleu ». La couleur de l’entre-deux, du coma, du bonheur illusoire, du soulagement par les drogues… Joyce Carol Oates livre un roman troublant, avec pour narratrice la jeune Jenna, dont le lecteur suit les pensées les plus intimes et les divagations. Comment se reconstruire après la perte d’un être cher ? Comment surmonter la douleur ? Face à la bienveillance des adultes, l’auteur rappelle que ce cheminement ne peut être que lent et difficile, parsemé de doutes et d’expériences. Car Jenna doit surmonter la culpabilité, et l’autodestruction paraît parfois être la seule échappatoire alors que sa vie ne semble plus lui appartenir. Gabriel, alias Crow, est le seul à capter l’attention de Jenna qui se croit amoureuse, projetant sur lui, l’image du « sauveur ». Ange ou voyou, ce qui importe véritablement est que le jeune homme parviendra à sortir Jenna de sa torpeur, mieux que ne l’aurait fait la psychologue du lycée. On notera quelques aspects désuets au cours de la lecture : la référence aux « bikers » et une ambiance obsolète, digne des années 80, alors que le récit se déroule en 2005. Mais le style de Joyce Carol Oates la distingue indéniablement dans le champ de la littérature jeunesse. ■ Anne Clerc

25 I L’Attrape-rêves Xavier-Laurent Petit

École des loisirs, 2009 (Médium)

Louise vit seule avec son père dans une vallée perdue des États-Unis. Une terre sauvage où les habitants se méfient de tout ce qui leur est

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Littératures inconnu. Lorsque Chems se présente en classe, tous le regardent d’un sale œil. Sa mère et lui sont des étrangers. Que viennent-ils donc faire là ? Seule Louise s’intéresse à lui, jusqu’à tomber amoureuse. Ce garçon étrange, solitaire et si proche de la nature la fascine. Mais le projet de construction d’un gigantesque barrage qui, s’il redonne certes du travail à tous, va engloutir la vallée, durcit les positions des habitants et génère de profondes tensions. Chems va risquer sa vie pour tenter de sauver cette nature hostile, sauvage qu’il aime plus que tout et qui est promise à la disparition. Une belle histoire poétique et écologique. Une ode à la littérature américaine, comme le souligne l’auteur lui-même, en ouverture de son texte : « Ce roman doit beaucoup aux écrivains américains que j’aime, Russel Banks, Rick Bass (…) Jim Harrison et beaucoup d’autres ». Dans la veine de Be Safe (École des Loisirs, « Médium », 2004, voir LJ n° 124), cet ouvrage insuffle un profond espoir en l’individu. ■ Agnès Donon

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275 p. 10,50 € 978-2-21109-289-0

Genre Roman psychologique

Mots clés Nature Écologie

26 I La Douane volante Gwen le Tousseux, orphelin breton, déroule le récit de sa vie ballottée par les événements. À 14 ans, il est souffreteux et montré du doigt dans son village. En 1914, à la mort de son seul protecteur, Braz le Rebouteux, il est sérieusement malmené, jusqu’à la nuit où la charrette de « l’Ankou », messager de la mort, l’emmène vers un autre monde. Ce pays étrange est sous la domination d’une douane volante qui contrôle tout. L’officier qui recueille Gwen, l’oblige à reprendre le flambeau du vieux Braz : devenir un rebouteux renommé, puis un médecin riche et envié. Mais cette réussite a un goût amer et le jeune homme décide de retourner à sa terre natale. Il s’y échoue à moitié mort, en 1918. Que s’est-il vraiment passé pendant ces années ? Une chose est certaine, Gwen est désormais prêt à « voler de ses propres ailes ». Roman d’initiation, roman fantastique ? Les deux sans doute, portés par un véritable talent de conteur. Le récit progresse sans retours en arrière, sur un rythme rapide scandé par trente-deux chapitres, le plus souvent courts, dotés d’un titre qui fixe les étapes. La composition rigoureuse fait se correspondre événements et personnages des deux mondes dans lesquels évolue le héros. Le style fluide entraîne le lecteur dans une narration aux péripéties foisonnantes et aux personnages attachants. De jeunes lecteurs devraient trouver dans ce premier roman de François Place, le plaisir d’une prose légère capable de faire surgir des mots les images colorées et finement dessinées auxquelles ses albums les ont habitués. ■ Nicole Wells

François Place

Gallimard Jeunesse, 2010 333 p. 13,50 € 978-2-07062-815-5

Genre Roman fantastique

Mots clés Quête Voyage initiatique Médecine

27 I Mauvais plan Emma, Anna et Mariah sont trois amies du lycée. Mariah sort avec un élève de terminale d’un autre lycée et veut passer une soirée chez lui avec ses copines. Sachant pertinemment que leurs parents ne les laisseront pas y aller, elles inventent un petit mensonge qui fonctionne

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Dana Reinhardt

Trad. de l’anglais (États-Unis) par Dominique Piat Thierry Magnier, 2009 (Romans)


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Et après 271 p. 12 € 978-2-84420-767-8

Genre Roman psychologique

Mots clés Mensonge Rumeurs

une première fois. La semaine suivante, elles décident de rejouer leur scénario et de mentir à nouveau, mais elles vont être démasquées. De peur d’être punies, elles décident de mettre au point une sombre histoire d’agression avortée. Comme elles n’évoquent qu’un petit heurt, elles sont à mille lieues d’imaginer la tournure que vont prendre les événements. Cette histoire d’agression passionne l’opinion et celle-ci va même être récupérée politiquement. Les trois amies vont alors vivre dans l’engrenage du mensonge. La narration alternée de trois voix – celle de chacune des filles – donne une tension au déroulement de l’histoire. Jusqu’aux dernières pages, on ne sait pas si elles auront le courage d’avouer leur mensonge ou si, par peur égoïste, elles préféreront voir un innocent emprisonné. Les trois voix se font écho et permettent au lecteur de voir évoluer les personnages et de découvrir que face à une situation critique, les caractères changent et les réactions sont inattendues. Dana Reinhardt signe ici un roman avec des protagonistes adolescentes dont les portraits psychologiques sont finement traités, dans un contexte américain où la rumeur peut prendre des proportions inattendues. ■ Marilyne Duval

28 I La Jeune Fille rebelle Jean-Claude Van Rijckeghem et Pat Van Beirs Trad. du néerlandais par Jean-Philippe Bottin et Anne Rogghe Mijade, 2009 288 p. 12 € 978-2-87426-050-9

Genre Roman historique

Mots clés Haut Moyen-Âge Adolescence

Marguerite, seule héritière du comte de Flandres, Louis de Male et de Marguerite de Brabant, en retraite dans un couvent après une crise de démence, est la narratrice de ce roman historique prenant place au XIVe siècle. Forte figure féminine, la jeune femme tient tête à sa famille, vit son existence comme elle l’entend et réussit même à faire annuler – par le pape – un mariage stratégico-politique qu’avait organisé son père afin d’agrandir le royaume, avec Edmond de Langley. Derrière le récit de la jeunesse de cette « fille rebelle » qui, plutôt que broder, préfère se battre avec les apprentis chevaliers, c’est un magnifique tableau du haut Moyen-Âge que dressent les deux auteurs néerlandais. Même si ces derniers ont pris quelques libertés par rapport à l’Histoire, le roman donne beaucoup de précisions sur les mœurs, les coutumes et les superstitions de cette époque. Le style minutieux et foisonnant permet de se représenter avec un grand réalisme les scènes du quotidien, parfois même dans toute leur horreur – notamment lorsque la peste s’abat sur le comté. Seul petit bémol toutefois : quelques passages donnant force détails sur les batailles, surtout au début de l’ouvrage, peuvent paraître un peu longs. ■ Marianne Joly

29 I Contes glacés Jacques Sternberg Mijade, 2009 271 p. 12 €

Saluons la parution chez l’éditeur belge Mijade de l’intégralité des Contes glacés de Jacques Sternberg, romancier et nouvelliste belge prolifique mais injustement oublié. Il fut un maître du fantastique et de la science-fiction, le scénariste du fascinant Je t’aime, je t’aime d’Alain

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Littératures Resnais, et un adepte du conte philosophique. Généralement très brefs, les 270 récits qui constituent ce recueil ont été écrits de 1948 à 1973 – la rédaction des contes nécessitant, selon leur auteur, plus de temps que celle d’un roman. « Ce n’est plus une question de cadence, mais d’inspiration : cela demande 270 idées. C’est beaucoup. On ne les trouve pas en un mois, ni même en un an. » Le lecteur sera cependant frappé par la cohérence de cet univers noir, qui décline ses motifs comme autant de cauchemars obsessionnels : objets du quotidien insidieusement changés en armes ; lieux anodins – inéluctables passages vers l’ailleurs ; rencontre amoureuse avec la créature qui détient ou retient votre mort ; éternel retour du temps qui prive de toute échappatoire. Proche de la veine surréaliste d’un Topor, l’onirisme de Sternberg se double d’une charge constante contre la société et l’absurdité de la vie humaine. Marqué par la déportation, l’oppression capitaliste, l’homme n’est plus qu’un rouage de la terrible machine qui va l’écraser – et tout effort est vain. Reste au lecteur la jouissance de cette écriture laconique qui excelle à nous placer d’emblée dans le vif du sujet, à élaguer le récit par l’usage systématique de l’ellipse, à détourner les mots et nous entraîner avec eux dans leur chute. ■ Charlotte Plat

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978-2-87423-044-8

Genre Conte

Mots clés Fantastique Surréalisme Humour noir

30 I Contes de la banlieue lointaine L’auteur du très admirable et récompensé Là où vont nos pères (Dargaud, 2007) revient avec cet ouvrage pour le moins étrange. Un album illustré, recueil de contes, atypique, qui renferme 15 histoires aux titres énigmatiques et poétiques, mais surtout 15 histoires simples et surréalistes. Dans des banlieues lointaines, des greniers cachent de merveilleux jardins, un pêcheur de perles erre en scaphandre dans les rues, un étudiant de la taille d’une feuille d’érable, fait pousser des fleurs dans un placard, etc. Que ce soit avec les mots ou les images, Shaun Tan nous invite à découvrir un univers artistique très personnel, charmant et envoûtant. Dès la première page, nos yeux sont immédiatement séduits par la poésie qui s’en dégage. À sa lecture, tout devient possible car l’auteur, lui-même, ne s’interdit rien. Les références picturales (Edward Hopper, Marc Chagall, Maurits Cornelis Escher…) et l’utilisation d’un grand nombre de techniques d’illustrations (noir et blanc, couleurs, crayon, gouache, vignettes, pleines pages, collages…) en témoignent et n’empêchent en rien une lecture fluide. Les histoires relèvent bien de l’imaginaire des contes en métamorphosant et transposant les éléments du quotidien dans une dimension lointaine, proche de la rêverie. C’est avec grand art que Shaun Tan signe un ouvrage qui fera date dans la littérature. ■ Sonia Seddiki

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Shaun Tan

Trad. de l’anglais par Anne Krief Gallimard Jeunesse, 2009 92 p. 18 € 978-2-07062-076-0

Genre Conte

Mots clés Imaginaire


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Parcours de lecture Et après

BD

31 I Roi Rose D’après l’œuvre de Pierre Mac Orlan David B.

Gallimard Jeunesse, 2009 (Fétiche) 48 p. 13 € 978-2-07-057643-2

Mots clés Pirates Enfant Morts

Roi Rose, publié dans une collection consacrée à l’adaptation de romans en bandes dessinées, est inspiré d’une nouvelle de Pierre Mac Orlan, tirée du recueil Chronique des jours désespérés. À bord du « Hollandais volant », un vaisseau fantôme qui évolue sur une mer sillonnée de paquebots modernes, des pirates condamnés à errer sans jamais mourir, ont pour seule préoccupation le rachat de leurs âmes. Au hasard d’une collision avec un navire, ils recueillent un bébé, rescapé du naufrage. Sa présence les oblige à côtoyer à nouveau la vie : l’enfant roi grandit pleinement heureux dans ce monde aux frontières de la mort, tandis qu’eux s’inquiètent de son avenir. Malgré ses hurlements, ils finissent par le débarquer quelque part en Bretagne, pour qu’il retrouve les vivants. Sur fond bleu et noir, plongés dans l’obscurité des profondeurs sousmarines, les personnages provoquent la mort, chaque nuit, dans une surenchère fantastique. La page, aux cases systématiquement cernées de blanc, traitée comme une image globale au rythme trépidant, impose une lecture très graphique, d’autant que le texte est rare. L’expressionnisme, l’onirisme mêlés à l’imagerie de Pirates des Caraïbes, créent une atmosphère à la fois joyeuse et macabre. Un trait noir cerne le dessin, dote les morts de visages aux masques expressifs. L’océan agité de vagues frangées de noir et de blanc, s’ouvre sur une cohue de poissons envahissants. Autour du bambin facétieux, rose et blond, le navire fantôme devient terrain de jeu, tandis que les pirates prêtent à sourire. Un sourire qu’effacent les pleurs de l’enfant lorsque son univers s’écroule dans la peur et la solitude. ■ Nicole Wells

32 I L’Hôte D’après l’œuvre d’Albert Camus Jacques Ferrandez

Gallimard Jeunesse, 2009 (Fétiche) 62 p. 13,90 € 978-2-07062-870-4

Mots clés Algérie Colonialisme

Sur les hauts plateaux algériens, un instituteur enseigne la géographie française à ses élèves. La classe finie, il s’occupe de distribuer des vivres aux paysans qui vivent dans le dénuement. Un gendarme à cheval l’interrompt : il a conduit jusque dans cet endroit perdu un prisonnier arabe accusé d’un crime et demande au maître d’école d’aller le remettre aux autorités. Le jeune enseignant se révolte, il n’aura qu’une nuit « en son âme et conscience » pour prendre sa décision… Le dénouement violent de la nouvelle préfigure la guerre à venir. Une économie de mots incroyable pour l’adaptation d’une œuvre littéraire : de grandes aquarelles panoramiques sur les paysages arides, brûlants l’été et glacés en hiver, alternent avec le récit en bulles selon un découpage parfait. Solitude, exil, questionnement sur la justice, autant de thèmes qui obsèdent l’œuvre littéraire et philosophique de Camus, et

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61 que le scénariste traduit par un texte sobre, pour ne pas dire minimaliste, mettant à la place des mots l’intensité des regards, la dramaturgie des décors. Dialogues en français et en arabe se mêlent, habilement distingués par la typographie. La collection « Fétiche » de Gallimard Jeunesse avait habitué ses jeunes lecteurs à des lectures plus légères, avec L’Hôte elle les fait entrer dans la conscience politique et l’Histoire. ■ Cécile Robin-Lapeyre

33 I Vampire Chronicles, T.1 et T.2 Il y a plus de mille ans, le monde aurait pu être anéanti par la folie de la reine des vampires. Pour protéger leur Terre, les humains l’enfermèrent et scellèrent sa prison. Fou de rage, Strauss, le roi des vampires, partit à la recherche de sa bien-aimée. Pour empêcher une seconde catastrophe, les humains créèrent le Cygne Noir, une guerrière qui le poursuivrait à travers les siècles pour empêcher le Roi d’arriver à ses fins… Il ne s’agit pas d’une énième histoire de vampires et Shirodaira prend un malin plaisir à perdre son lecteur en émettant de multiples hypothèses. L’auteur crée un univers où le peuple vampire n’est pas passé maître du monde et doit s’unir pour combattre son propre roi, aveuglé par son amour pour sa reine. Le graphisme est maîtrisé, clair et riche, rendant compte avec précision de nombreuses scènes de combats. Vampire Chronicles surprendra les lecteurs en leur offrant de nouveaux points de vue sur des personnages mythiques mais aussi en livrant une histoire complexe. ■ Frédéric Leray

Kyo Shirodaira Ill. de Yuri Kimura

Trad. du japonais par David Le Quéré Ki-oon, 2009 180 p. 190 p. 6,50 € 978-2-355-92067-7 978-2-355-92068-4

Genre Manga

Mots clés Vampire Amour Vengeance

34 I Black Butler, T.1 Sebastian Michaells est un majordome peu ordinaire. Il est au service de Ciel Phantomhive, héritier d’une grande famille de la noblesse anglaise. Celui-ci dirige d’une main de maître l’entreprise familiale de jouets. Sebastian est le serviteur parfait : érudit, éduqué, il se sort de toutes les situations avec talent et il semble être un combattant hors pair… Tout bascule lorsque Ciel est enlevé : Sebastian se lance à la poursuite des ravisseurs mais il semble que la famille Phantomhive cache un secret. Black Butler est la dernière série à succès de l’éditeur japonais, Square Enix. Ce premier volume se divise en deux parties distinctes. En effet, les premiers chapitres présentent les différents personnages dans des situations diverses qui inévitablement mettent en valeur les capacités de Sebastian. Ainsi les serviteurs sous sa responsabilité, font l’objet de gags divertissants. Mais l’humour cesse avec l’enlèvement de Ciel et le dessin prend une autre envergure avec des scènes d’action particulièrement dynamiques. Le tome s’achève sur la révélation de la véritable identité de Ciel et dévoile tous les ingrédients d’une future série à succès. ■ Sébastien Féranec

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Yana Tsubusu

Trad. du japonais par Pascal Simon Kana, 2009 189 p. 6,50 € 978-2-50500-765-4

Genre Shonen manga

Mots clés Humour Combats


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Parcours de lecture Et après

Documentaires

35 I L’Encyclopédie des rebelles,

insoumis et autres révolutionnaires Anne Blanchard et Francis Mizioi

Ill. par Serge Bloch Gallimard Jeunesse 128 p. 19,95 € 978-2-07061-676-3

Mots clés Humour Rebelles Personnages historiques

De Spartacus à Martin Luther-King en passant par Louise Michel, Rimbaud ou Gandhi, ils ont un jour dit non au monde tel qu’il est ou à l’ordre des choses. Des rebelles qui ont changé le cours de l’histoire dans des domaines aussi variés que la politique (Trotski), les sciences (Galilée), l’Art (Marchel Duchamp) ou encore la littérature (George Sand). Les auteurs présentent donc 25 figures historiques qui se sont engagées pour faire évoluer notre société. Après L’Encyclopédie des cancres (voir LJ n° 127), Anne Blanchard et Serge Bloch réitèrent ce succès éditorial, avec un troisième compagnon : Francis Mizio. En marge des biographies savoureuses que ce dernier brosse d’une plume malicieuse et complice, des encadrés documentaires expliquent le contexte culturel ou historique de l’époque. Et les portraits de Serge Bloch mêlent photos et dessins pour détourner avec humour ces icônes révolutionnaires. L’insolence de cet ouvrage le distingue radicalement du ton dogmatique, habituellement employé dans les documentaires jeunesse. L’ouvrage revient à l’enfance et l’adolescence de ces personnalités afin de répondre à cette question : comment ont-ils quitté les sentiers battus pour s’inscrire dans l’Histoire ? Il insiste également sur la confrontation de tous ces personnages illustres avec leur époque respective, sans pour autant tomber dans un manichéisme grossier puisque chaque portrait souligne les faiblesses, les égarements et même les contradictions de tous ces insoumis. Cet angle permet de les rendre plus proches de nous, plus humains aussi. Le choix de poètes, d’hommes politiques, de révolutionnaires, d’esclaves… nous rappelle qu’il y a mille et une façons d’être un rebelle, selon la carrière embrassée. ■ Yoann Arnaud

36 I L’Environnement Jean-Baptiste de Panafieu Gallimard Jeunesse, 2009 (Tothème) 96 p. 13,90 € 978-2-070-61213-0

L’Environnement, un des premiers ouvrages de la nouvelle collection de documentaires de Gallimard, « Tothème », traite de l’ensemble des sujets liés à l’écologie : richesse des ressources terrestres (eau, terre, air, animaux, plantes…), menaces qui pèsent sur elles (pollution, réchauffement climatique…) et actions à mener pour réduire ces risques (économie d’énergie, recyclage…). La construction de l’ouvrage, particularité de la collection, s’inspire des mécanismes de lecture utilisés sur Internet. Le lecteur est invité à naviguer à travers les différentes

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63 « fiches » (l’ouvrage n’a pas de numéros de pages) au fil de son envie et de ses besoins et questionnements – comme on ouvre sur Internet des fenêtres en cliquant sur des mots clés – et des renvois sont faits d’une fiche à l’autre pour indiquer un lien entre deux sujets. Une fois passé l’intérêt pour cette nouvelle proposition d’organisation, on ne peut que constater qu’elle ne tient pas ses promesses, malgré un graphisme dynamique. La construction de l’ouvrage ne permet pas de présenter de manière pédagogique et dans un ordre cohérent les différentes notions. Les outils proposés ne pallient pas cette faiblesse, et on peut notamment regretter l’absence d’un lexique. De plus, les liens faits entre les fiches sont réducteurs et paraissent parfois arbitraires, puisque chaque fiche n’est reliée qu’à une seule autre, alors que les sujets, en particulier dans le domaine de l’environnement, sont tous interconnectés. Il est également difficile de lire l’ouvrage de manière « classique », car la logique selon laquelle sont agencées les fiches est difficile à percevoir. Au final, l’objectif pédagogique semble avoir été délaissé au profit de la volonté d’innovation, et la construction tout entière de l’ouvrage paraît artificielle, sans réelle « valeur ajoutée » par rapport à des documentaires plus « traditionnels ». ■ Elsa Pellegri Nouvelle collection : « La collection « Tothème » propose des kits de savoir pour une nouvelle génération de lecteurs. Elles donnent les clés pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Pour chaque titre, un parcours de 60 notions-clés réparties en familles (dates, personnages, inventions…) permet de faire le tour d’un sujet plus facilement et d’en retenir ainsi l’essentiel. Iconographie mêlant peinture et captures de jeux vidéos, textes concis et accessibles, tout a été conçu pour aiguiser la curiosité des enfants et des adolescents. » Trois autres titres sont parus : L’Automobile, Le Moyen-âge et Les Religions.

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Mots clés Environnement Développement durable Écologie


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Parcours de lecture Lecteurs confirmés

Littératures

37 I Taxi Khaled Alkhamissi

Trad. de l’arabe (Égypte) par Hussein Emara et Moïna Fauchier Delavigne Actes Sud, 2009 (Mondes arabes) 189 p. 18,80 € 978-2-74278-541-4

Mots clés Société Égypte Humour

À l’abri de véhicules de location coûteux mais antiques, déglingués et dépourvus de compteur, qui laissent le prix de la course « entre les mains de Dieu » (alors que l’exotique couverture de Loustal présente la nouvelle génération de taxis cairotes : jaunes, climatisés, équipés d’un compteur qui force le chauffeur à allonger le trajet pour amortir le coût de la voiture), les taxis du Caire voient tout, entendent tout, débattent de tout. Où, mieux que dans un taxi, peut-on dénoncer sans crainte le règne de Moubarak ? Confier à un inconnu ses difficultés quotidiennes ou familiales ? Parler de religion ou de sexualité ? C’est sans doute cette liberté de ton qui explique le très grand succès du livre en Egypte. De cette virée cairote, le lecteur français appréciera aussi l’écriture chaleureuse et ironique, ponctuée de nokta, ces blagues égyptiennes au cynisme effarant qui conjurent le malheur par la joie de vivre. C’est un tableau sans concession de l’Égypte contemporaine, rongée par la misère et la corruption, que brosse le journaliste Khaled Al Khamissi en cinquante-huit saynètes savoureuses, absurdes ou désabusées. ■ Charlotte Plat

38 I Eon et le Douzième dragon, T.1

Alison Goodman

Trad. de l’anglais par Philippe Giraudon Gallimard Jeunesse, 2009 528 p. 19 € 978-2-07062-304-4

Genre Fantasy

Mots clés Dragon Quête d’identité

Le roman débute à la veille de la grande cérémonie annuelle où l’un des douze Dragons protégeant l’harmonie entre l’humanité et la nature choisit un apprenti, homme, auquel il s’unit. Cet élève deviendra l’œil du Dragon, siégeant au conseil auprès de l’empereur d’un pays mythique, inspiré par la Chine et le Japon antiques. Ce héros n’est pas désigné par le dragon de l’année, le Dragon Rat, mais par le Dragon Miroir réapparu après trois cents ans de silence. Eon, un jeune garçon infirme, sera choisi contre toute attente. Ce personnage humble aux multiples secrets – il voit les dragons à l’insu de tous, et surtout, il est... une jeune fille de seize ans ! – est propulsé dans le monde prestigieux et cruel de la cour (son luxe, ses étiquettes, ses intrigues) et, bien malgré lui, au cœur des luttes de pouvoir au sein de la famille impériale et du conseil des Yeux de Dragon. Secrets et complots s’enchaînent ; Eon doit se masquer pour survivre, tout en assumant sa féminité et devenir Eona pour pouvoir communiquer avec son dragon. Pratiques magiques, débats intimes, rebondissements fréquents, descriptions précises et parfois poétiques rythment un récit captivant, bien composé où rien n’est laissé au hasard : tout est sous le signe de l’ambiguïté et de la duplicité. Dans ce déchaînement de violence menaçant l’empire et cette lutte effrénée pour le pouvoir, quelle place

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65 donner à la féminité, à la complémentarité homme/femme ? À qui faire confiance ? Loyauté et amitié sont-elles possibles ? On attend avec impatience la réponse à ce suspense dans le deuxième (et dernier) tome du cycle, prévu pour 2010 ! ■ Marie-Françoise Brihaye Eon et le douzième Dragon est sorti simultanément en littérature générale, aux éditions de la Table Ronde. Ndlr

39 I Le Ciel de Bay City Bay City, ville désolée du Michigan… La teinte mauve du ciel n’est que le reflet de la pollution. Dans cette banlieue d’un ennui mortel, Amy habite avec sa famille un sinistre préfabriqué. Sa mère et sa tante, rescapées de la Shoah, ont occulté leurs origines juives sous un catholicisme bigot. Mais le passé ne se laisse pas oublier, et les grands-parents d’Amy, victimes de l’Holocauste, reviennent, comme des cadavres exhumés du placard où le déni les a relégués. Amy a grandi sans père, délaissée par sa mère, et la révolte a couvé en elle, jusqu’à l’anniversaire fatidique. Le jour de ses 18 ans, Amy commet un terrible acte de folie en incendiant la maison ; elle seule en réchappe. Le récit en flash-back évoquera des hypothèses pour « expliquer » son geste. La description hallucinée des lieux révèle, dès la première page, une écriture impitoyable… Parfois il devient difficile pour le lecteur de faire la part entre le réel et l’imaginaire, et il faut se laisser porter par le souffle poétique du récit, au risque d’en accepter les incohérences : comment après une adolescence aussi chaotique, Amy pourrait-elle devenir pilote d’avion, si ce rêve n’était avant tout une ascension symbolique ? Ce livre choc séduira les jeunes adultes, bons lecteurs. Le roman a reçu au Québec le Prix des libraires et le Prix littéraire des collégiens, équivalent du Goncourt des lycéens. Une auteure canadienne francophone à découvrir ! ■ Cécile Robin-Lapeyre Réseau de lecture  : L’écriture intense et implacable rappelle Du mercure sous la langue de Sylvain Trudel (10/18, 2005).

Catherine Mavrikakis Sabine Wespieser, 2009 294 p. 21 € 978-2-84805-074-4

Genre Roman psychologique

Mots clés États-Unis Famille

40 I Long week-end Henry, 13 ans, vit reclus avec sa mère, Adèle. À la veille du long weekend du « Labour Day », et alors que la rentrée rapproche, ces deux esseulés vont faire quelques achats au supermarché du coin. Frank, prisonnier évadé, décide de se cacher chez eux, mimant une prise en otage. L’homme va bouleverser l’équilibre précaire de cette famille monoparentale, flirtant avec la mère et jouant à la figure paternelle aux côtés du fils. Le tout dans une atmosphère étrange et moite de fin d’été. Dès les premières pages, le roman est saisissant. Henry, le narrateur, raconte le récit comme un souvenir alors qu’il est désormais âgé d’une trentaine d’années. Il se remémore l’amour intense qui s’était

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Joyce Maynard

Trad. de l'anglais (États-Unis) par Françoise Adelstain Éditions Philippe Rey 288 p. 19 € 978-2-84876-155-8

Mots clés Famille Humour Adolescence


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Lecteurs confirmés installé entre lui et sa mère, sa puberté naissante et la culpabilité qu’il éprouvait alors qu’il était plein de désir pour les filles. Henry décrit également comment Franck est devenu ce meurtrier en cavale, lui qui semble profondément humain. Le jeune garçon ne sait pas s’il doit se réjouir de voir sa mère, amoureuse, craignant de perdre sa place. Joyce Maynard livre un roman à l’écriture remarquable et de beaux personnages, complexes et touchants. L’humour est présent au fil des pages, l’intrigue surprenante et Joyce Maynard offre une figure d'adolescent parfaitement aboutie à laquelle de nombreux lecteurs s’identifieront. ■ Anne Clerc

41 I Les Héros de la vallée Jonathan Stroud

Trad. de l’anglais par Hélène Collon Albin Michel Jeunesse, 2009 (Wiz) 523 p. 17 € 978-2-22618-355-2

Genre Roman d’apprentissage

Mots clés Légende Héros Scandinavie

Dans une vallée vraisemblablement située en Scandinavie, Halli Sveinsson est le fils cadet de la Maisonnée de Svein, ancêtre et héros légendaire dont il est un grand admirateur. Il apprécie par-dessus tout les histoires, racontées lors des veillées par sa nourrice et son oncle Brodir. Mais Halli, qui rêve d’aventures et d’exploits, accumule les incartades. Après un conflit avec les Hakonsson, dont il est responsable et qui voit la mort de son oncle, il part à leur poursuite pour le venger. L’occasion de tester son courage et de mettre en pratique ses plans… Les Héros de la vallée signe le retour de Jonathan Stroud, après le succès de La Trilogie de Bartiméus (voir LJ n° 114 et LJ n° 118). Le lecteur s’attache au parcours initiatique de Halli, un antihéros à l’opposé du courageux Svein. Celui-ci nous est présenté au début de chaque chapitre à travers une de ses nombreuses aventures en rapport avec les péripéties d’Halli. Ce personnage, au fil de ses pérégrinations, comprend le poids des traditions et l’autarcie de sa maisonnée. Cette magnifique leçon de vie ne serait rien sans une présence féminine, Aud, au rôle déterminant dans le développement d’Halli. Jonathan Stroud nous offre un roman d’apprentissage particulièrement réussi qui invite à réfléchir sur les mythes, contes et légendes qui nourrissent la jeunesse, sans en oublier d’en rire ! ■ Sébastien Féranec

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Parcours de lecture Lecteurs confirmés BD 42 I Des souris et des hommes Lennie Small et George Milton rejoignent à pied le ranch où ils ont trouvé du travail près de la ville de Soledad. Un lien de solidarité et d’amitié, qui peut paraître étrange, unit ces deux hommes. George protège Lennie, un colosse simple d’esprit, contre une société où il ne peut trouver sa place ailleurs que dans un asile, tant sa force est incontrôlable. Un rêve commun les soutient, celui de s’acheter une petite ferme où ils pourront échapper à la misère et à la servitude. Mais la bêtise violente, qui domine cette société masculine de travailleurs agricoles, ne peut ni admettre ni comprendre la singularité de Lennie. Un enchaînement de circonstances fait de lui l’assassin « innocent » de la femme de Curley, jeune blonde perverse, perdue dans cet univers macho. Pour sauver Lennie, promis au lynchage, son ami George le tue d’un coup de revolver, tout en lui contant, pour la dernière fois, leur rêve de bonheur. Si le roman de Steinbeck a connu le succès dès sa parution et a fait l’objet de nombreuses transpositions au théâtre et au cinéma, PierreAlain Bertola réalise, dans cette première bande dessinée, un projet qu’il entretient depuis fort longtemps tant la lecture de ce roman, dans sa jeunesse, l’avait bouleversé. Le choix d’une palette subtile, allant du noir profond au blanc pur, ainsi que la technique de l’aquarelle, créent une atmosphère austère, éloignée d’un réalisme banal. La nature, toujours présente, dans sa beauté indifférente aux malheurs des hommes, rappelle que la vie poursuit son cours sans condamner le meurtrier. Cette belle adaptation est à conseiller à des lecteurs avertis. ■ Colette Broutin

D’après le roman de John Steinbeck Pierre-Alain Bertola

Trad. de l’anglais (États-Unis) par Maurice-Edgard Coindreau Delcourt, 2009 (Mirages) 117 p. 14,95 € 978-2-75601-761-7

Mots clés États-Unis Drame Exclusion

43 I Le Ciel au-dessus du Louvre Nous sommes en l’an I de la République, et la Révolution est confrontée aux ennemis intérieurs et extérieurs. Le Comité de salut public, où s’affrontent Danton et Robespierre, fait régner la Terreur pour éliminer les ennemis du peuple. Quel rôle peut jouer le peintre David dans un tel contexte ? Dans ces temps nouveaux, où la monarchie a été abolie ainsi que la religion, la Convention décide d’ouvrir un Musée public dans l’ancien Palais Royal, pour instruire le peuple par la Beauté et les symboles. C’est le Louvre, vidé de ses portraits royaux et des sujets religieux pour être remplacés par les œuvres des peintres contemporains de la Révolution. David et toute son école participent à ce projet. La mort de Marat illustre cette volonté de rendre visible les martyrs de ce combat, mais la quête de la transcendance obsède

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Jean-Claude Carrière

Ill. par Bernard Yslaire Futuropolis/Musée du Louvre, 2009 65 p. 17 € 978-2-75480-095-2

Mots clés Louvre Révolution française Jacques-Louis David


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Lecteurs confirmés Parcours

Robespierre. C’est ainsi qu’il commande à David de donner un visage à l’Être suprême dont on va célébrer le culte à Paris le 8 juin 1794. Si le peintre ne parvient pas à donner un visage à la divinité, il immortalise en revanche le jeune Bara, tué par les Vendéens, dans une toile inachevée, symbole de l’enfance mourant pour la République. La collaboration de l’écrivain Jean-Claude Carrière et du dessinateur Bernard Yslaire est une réussite. Le découpage rend sensible l’urgence dans laquelle se débattaient ces chefs révolutionnaires et le climat de violence atroce qu’ils avaient engendré. Au milieu de cette agitation, on suit les personnages dans les rues de Paris, les galeries du Louvre, reconnaissant au passage les œuvres exposées, dont la liste est donnée en fin de volume. ■ Colette Broutin Réseau de lecture : Cette bande dessinée est le 4e volume d’une série parue dans la collection « Musée du Louvre » avec Période glaciaire de Nicolas de Crécy, Les Sous-Sols du révolu de Marc-Antoine Mathieu et Aux heures impaires d’Éric Liberge.

44 I Immergés : Günther Pulst, T.1 Nicolas Juncker

Glénat, 2009 (Treize étrange) 56 p. 13 € 978-2-72346-949-4

Genre Roman picaresque

Mots clés Seconde Guerre Mondiale Angoisse

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, immergé dans un sousmarin bruyant, crasseux, humide et surpeuplé – le US52 –, le maître « diesel » Günther Pulst, bouillonne et « gueule » comme tous les autres marins allemands. Tous attendent le retour à terre, que le couvercle se soulève et leur donne un peu d’air. Mais à l’arrivée au port, les SS annoncent une inspection. L’un des marins est dénoncé comme socialiste et exécuté. Qui l’a trahi ? Pulst est soupçonné. L’atmosphère devient oppressante. Nicolas Junker livre ici l’épisode pilote d’un polar historique doté d’une ambiance forte. Une œuvre sombre et forte où les visages sont cernés d’un épais trait noir. Le dessin est tout en angles et même les paroles des personnages sont inscrites dans des pavés rectangulaires. Un premier tome angoissant, mais fascinant par sa force narrative. Le lecteur attend la suite avec hâte et anxiété : il ressort impatient de percer le secret du groupe, alors que celui-ci sombre encore plus dans la guerre. ■ Agnès Donon

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Parcours de lecture Lecteurs confirmés Documentaires 45 I L’Afrique trahie « L’Afrique est en bas de la pyramide mondiale, et l’écart entre elle et les autres régions ne cesse de se creuser ». Après avoir retracé les grandes lignes de l’histoire africaine et dressé un portrait alarmant de la situation actuelle du continent, l’auteur propose, à travers une thèse engagée, de mettre en accusation trois « coupables de trahison » envers l’Afrique : les dirigeants occidentaux, désireux avant tout de conserver leur emprise politique et économique sur les pays africains ; les grandes institutions économiques mondiales (Banque Mondiale et FMI) dont les préconisations appauvrissent l’Afrique ; les « Big Men », ces dictateurs africains restés au pouvoir pendant des décennies en détournant à leur profit les richesses de leurs pays. Le propos est clair et percutant, les exemples particulièrement parlants, mais l’analyse semble parfois réductrice et certaines idées manichéennes. Si L’Afrique trahie ne peut pas, pour ces raisons, être considéré comme un ouvrage de référence, il offre une excellente première approche de questions trop souvent oubliées ou survolées dans les enseignements scolaires. ■ Elsa Pellegri

Gérald Caplan

Trad. de l’anglais (Canada) par Élodie Leplat Actes Sud Junior, 2009 188 pages 9,80 € 978-2-74278-514-8

Mots clés Afrique Histoire

46 I Boris Vian a vingt ans en 1940 Claudine Plas signe une biographie de Boris Vian, jeune homme de bonne famille, élève de l’École Centrale qui a 20 ans en 1940. Elle dessine les contours d’un intellectuel bosseur, qui éprouve un immense sentiment de frustration né de la guerre et de l’Occupation qui lui volent sa jeunesse. Il se sait atteint d’une maladie cardiaque qui l’écarte de la mobilisation et, chez les Vian, l’apolitisme est de règle, ce qui peut expliquer la répugnance à l’embrigadement affichée par l’écrivain dans ses œuvres. Son goût pour le jazz s’inscrit dans ce même refus du conformisme, de l’oppression et dans le choix de la modernité. C’est donc un garçon très séduisant, au sourire énigmatique et charmeur qui explore déjà les possibilités créatrices du langage. Cet ouvrage, bien écrit, livre d’autres éléments documentaires en fin de volume : chronologie, bibliographie, biographies sélectives et trois entretiens réalisés en 2009 de Juliette Gréco, Claude Abadie et Michelle Vian, son épouse. C’est un livre à recommander à tous ceux qui souhaitent découvrir et approfondir la connaissance de cet artiste hors du commun. ■ Colette Broutin Nouvelle collection  : Les Éditions « Au diable vauvert » inaugurent la collection « À vingt ans ». Consacrée à des artistes, elle fait revivre l’aventure de leur jeunesse, partant du principe que « pour qu’ils deviennent des classiques », il fallait, d’abord, qu’ils soient des originaux. Gustave Flaubert et Marcel Proust ont intégré la collection.

Lecture Jeune - mars 2010

Claudine Plas

Au Diable Vauvert, 2010 217 p. 12 € 978-2-84626-208-8

Genre Biographie

Mots clés Jeunesse Occupation


70

Parcours de lecture Ouvrage de références 47 I Les Prix littéraires lycéens :

des bouillons de culture Serge Lureau

ScérÉn CRDP Basse-Normandie. 2009 (Argos) 182 p. 14 € 978-2-86618-563-3

Mots clés Prix littéraires Partenariat Apprentissages

Serge Lureau est professeur de lettres. Il a été chargé, pendant cinq ans, de la coordination du prix littéraire lycéen de la ville de Caen et, c’est nourri de cette expérience, qu’il publie ce livre consacré, plus largement aux prix littéraires, leur organisation, leurs enjeux pédagogiques et culturels. L’ouvrage est divisé en trois parties. La première, intitulée « À la découverte des livres », précise les critères de choix des classes, composées, de préférence, d’élèves qui n’ont pas le goût de la lecture. En effet, un des grands défis du projet, c’est de parier sur la « déscolarisation » de la lecture, l’ouverture de la classe sur des pratiques sociales, pour donner envie de lire. En multipliant les facteurs de motivation, en diversifiant les activités et les responsabilités confiées aux élèves, dans un calendrier contraignant, on facilite le développement de compétences qui sont au cœur des programmes, telles que la capacité à argumenter et la formation de l’esprit critique. L’auteur souligne, avec modestie et pertinence, les conditions de la réussite : un partenariat solide, une équipe d’enseignants intégrant le documentaliste et son CDI, des temps festifs, une dynamique d’échanges stimulante aussi bien à l’oral qu’à l’écrit où chacun puisse trouver sa place. L’objectif étant de construire une relation « positive » à la lecture. Mais l’exercice s’applique à des auteurs vivants, parmi lesquels il s’agit de distinguer le meilleur, ce qui confronte les élèves à un difficile exercice de critique authentique qui les engage publiquement. Ce faisant, ils peuvent acquérir une pratique et des méthodes de lecture cursive et se former, peu à peu, à une approche littéraire des textes. La deuxième partie, intitulée « Ecrire, publier, lire », est centrée sur les auteurs et les représentations qu’en ont les élèves. Au cours des interviews, ils découvrent le « travail de l’écrivain » et le contexte économique dans lequel il s’inscrit. L’ensemble de ces entretiens constitue de précieuses archives pour alimenter la réflexion sur la notion d’« auteur », du « livre comme objet socioculturel » et peut donner lieu à de multiples activités présentées dans un ensemble de fiches pédagogiques. La troisième partie, intitulée « Dialogue des anciens et des modernes », fournit de longs extraits de Balzac, Flaubert, Zola et Hugo, consacrés à l’élaboration d’une œuvre littéraire. L’auteur semble penser qu’une fois amorcé, le goût pour la lecture, les élèves apprécieront de s’adonner à une « archéologie des représentations ». Ce livre est donc un ouvrage de référence pour ceux qui veulent se lancer dans une telle entreprise, fondée sur un partenariat inscrit dans la pérennité. Il peut éclairer les professeurs, les bibliothécaires et les libraires sur des pratiques pédagogiques riches et diversifiées qui contribuent à former des lecteurs. ■ Colette Broutin

Lecture Jeune - mars 2010


En savoir plus Formations

page 72

Informations

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72

En savoir plus Formations Lecture Jeunesse Programme Premier semestre 2010 Nos stages et nos journées d’étude se déroulent à Paris. Les rencontres d’auteurs et d’éditeurs sont organisées dans le cadre des stages et sont désormais ouvertes à un large public. Elles ont lieu les mercredis et jeudis après-midi (de 14h à 17h). Enfin, les journées d’études abordent des problématiques professionnelles et de société, croisant les regards de spécialistes de la jeunesse et de la lecture ainsi que de créateurs. Les programmes détaillés seront annoncés sur notre site Internet : www.lecturejeunesse. com . Lecture Jeunesse intervient à la demande sur site.

Stages : ● Les mangas. Découvrir un genre plébiscité par les jeunes niveau « repères » Problématique

La France est le second pays lecteur de mangas après le Japon. Les jeunes se sont emparés de ces livres dont les héros et valeurs, étonnamment, leur ressemblent. Comment mieux appréhender la qualité littéraire et graphique de ces ouvrages ? Comment se repérer dans les courants et les genres pour être à même de conseiller les lecteurs adolescents ?

Dates : 31 mars-1er-2 avril 2010

Clôture des inscriptions : 3 mars 2010

● Les littératures graphiques. Romans graphiques, albums, bandes dessinées, mangas… Problématique

Les adolescents d’aujourd’hui ont une culture de l’image très étendue. Ils sont lecteurs de mangas et de bandes dessinées. On voit se développer dans le secteur de l’édition des formes hybrides : romans graphiques, récits illustrés, albums… Fondées sur la force et la singularité du rapport entre le texte et l’image, elles offrent des pistes d’entrée riches et étonnantes dans la lecture. Comment leur faire découvrir et apprécier ces nouvelles formes visuelles dans le domaine du livre ? Quels liens tisser entre ces littératures graphiques ?

● Les documentaires. Quelle place pour les ouvrages documentaires dans la construction des savoirs à l’heure d’Internet ? Problématique

Pour leurs recherches scolaires, les adolescents utilisent Internet avant de se tourner vers le livre documentaire, oubliant qu’il peut constituer une étape du repérage tout en suscitant le plaisir de la lecture. Comment prendre en compte la demande de renseignements scolaires et le besoin de découvertes personnelles dans la constitution d’un fonds qui soit à la fois cohérent et repérable ?

Dates : 19-20-21 mai 2010 Clôture des inscriptions : 21 avril 2010

● Accueillir des adolescents en bibliothèque. Espaces, collections, services, médiations Problématique

L’adolescence est un moment de passage à prendre en compte et à accompagner. La fréquentation des bibliothèques par ce public constitue une problématique singulière. Comment considérer ses besoins pour en améliorer l’accueil et répondre à ses attentes ?

Dates : 2-3-4 juin 2010 Clôture des inscriptions : 5 mai 2010

Dates : 5-6-7 mai 2010 Clôture des inscriptions : 7 avril 2010

Lecture Jeune - mars 2010


73 Inscriptions Catherine Escher Tél. : 01-44-72-81-50 catherine.escher@lecturejeunesse.com

Renseignements pédagogiques Formations à Paris, Hélène Sagnet Tél. : 01-44-72-81-52 Formations sur site, Nikoleta Bouilloux-Lafont Tél. : 01-44-72-81-51

Tarifs des journées d’étude 65 € TTC, prise en charge de l’employeur 35 € TTC, prise en charge personnelle 15 € TTC, étudiants

Tarifs des stages 405 € TTC, prise en charge de l’employeur 305 € TTC, prise en charge personnelle

Tarifs des rencontres 25 € TTC, prise en charge de l’employeur 20 € TTC, prise en charge personnelle 10 € TTC, étudiants

Tarifs des formations sur site

Devis à la demande

● Les romans Accompagner les parcours de lecture des jeunes niveau « repères » Problématique

Comment se repérer dans la production d’ouvrages de fiction, pour proposer aux jeunes des livres adaptés à leurs parcours de lecteurs ?

Dates : 9-10-11 juin 2010 Clôture des inscriptions : 12 mai 2010

Journée d’étude : Le tour d’un genre: la fantasy Comment expliquer le succès du genre auprès des jeunes lecteurs ? Nous vous proposerons lors de cette journée des éléments de définition théorique, des repères historiques ainsi que les éclairages concrets d’auteurs, d’éditeurs, de médiateurs et de lecteurs « fans ».

Date : 24 Juin 2010

Rencontres : ●

Table ronde d’éditeurs de mangas

Entretien avec un auteur/illustrateur de bandes dessinées

Date : 1er avril 2010, de 14h à 17h Date : 5 mai 2010, de 14h à 17h ●

Table ronde d’éditeurs d’ouvrages documentaires

Date : 21 mai 2010, de 9h30 à 12h30 ●

Entretien avec un auteur de romans pour adolescents

Date : 9 juin 2010, de 14h à 17h ●

Carte blanche à un éditeur jeunesse

Date : 10 juin 2010, de 14h à 17h

Lecture Jeune - mars 2010


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En savoir plus Informations Festivals et salons

Prix

• Le 30e Salon du livre de Paris ouvre ses portes du 26 au 31 mars 2010. Pour marquer cette 30e édition, le Salon mettra à l’honneur de nombreux auteurs. Les 15/25 ans disposeront désormais d’un nouvel espace : « la Scène ». Les visiteurs y trouveront des passerelles entre musique et littérature, des grandes signatures, des défilés cosplays (manga), des émissions en direct… Site : www.salondulivreparis.com

• Le 37e Festival de la BD d’Angoulême a décerné le Prix du meilleur album à Riad Sattouf pour Pascal brutal, T.3 : Plus fort que les plus forts (Fluide Glacial) et le Prix Jeunesse à Julien Neel pour son album Lou, T.5 : Laser ninja (Glénat). Site internet : www.bdangouleme.com

Publications

• La 12e édition du Printemps des poètes se tiendra du 8 au 21 mars 2010 et aura pour thème « Couleur femme ». Site : www.printempsdespoetes.com/ • La 8e Escale du livre de Bordeaux se tiendra du 6 au 11 avril 2010. Elle se déroulera en deux temps : du 6 au 8 auront lieu « les avant-premières » dans divers lieux pour des rencontres, et du 9 au 11 au village de L’Escale dans le quartier Sainte-Croix. Site : www.escaledulivre.com/2009/index_flash.php • La 11 e édition de la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne aura lieu du 5 au 9 mai 2010 sur le thème « Résister ». Site : www.mairie-villeurbanne.fr http://leblogre.hautetfort.com/ • Le 4 e Festival du Livre Jeunesse du Havre se tiendra les 24 et 25 avril 2010 et aura pour thème « Gourmandises ». Site : www.festihavrelivrejeunesse.over-blog.com/ • Le 1er Salon du livre jeunesse de Mouriès aura lieu du 7 au 9 mai 2010, avec pour invité d’honneur Bastien Cessens, à l’occasion de la publication de son premier roman fantastique. S i t e  : h t t p : / / w w w. v i a d e o . c o m / f r / e v e n t / 0021w9s81au4rkhk/1er-salon-du-livre-jeunesse-amouries

• Le prochain numéro de la revue Hors-cadre[s], à paraître en mars 2010, aura pour thème «les représentations de l'imaginaire enfantin». • Rencontres européennes de la littérature pour la jeunesse, actes du colloque organisé à la BnF les 27 et les 28 novembre 2008. Ouvrage publié par la BnF / Centre National de la littérature jeunesse - La Joie par les livres. Prix: 20 €

Expositions • Le Scriptorial d’Avranches présente du 6 février au 30 mai 2010 « Anges et Superhéros dans la bande dessinée », une exposition bilingue français/anglais autour de trois grandes questions : comment la bande dessinée contemporaine transfigure-t-elle les figures du superhéros et de l’ange ? Peut-on encore sauver l’humanité, mission dévolue à la figure du superhéros et à celle de Saint Michel ? Quels sont les liens entre les superhéros et les anges ? Différentes animations sont prévues autour de l’exposition et notamment des ateliers et stages de BD. Site : http://www.scriptorial.fr/

Rencontres • Michael Morpurgo sera à la BnF (Site François Mitterrand) le vendredi 26 mars 2010, de 18 heures à 20 heures. Entrée libre sur inscription au 01.53.79.49.49 ou par mail à l’adresse visites@bnf.fr

Lecture Jeune - mars 2010


Index

Auteurs

page 76

Titres

page 77

Genres et mots clĂŠs

page 78


76

Index Auteurs A

Alkhamissi, Khaled Arnold, Nick

B

Beirs (Van), Pat Bertherat, Marie Bertola, Pierre-Alain Blackman, Malorie Blanchard, Anne Bloch, Serge Bouchet (du), Paule Brants, Diane

C

Caplan, Gérald Carrière, Jean-Claude Casali, Dimitri Cast, Kristin Cast, Phyllis Christine Cauwelaert (Van), Didier Cerisier, Emmanuel Corgiat, Sylviane

D

David B. Delavaux, Céline Demilly, Christian

notice

37 12 notice

28 17 42 18 35 35 1 11 notice

45 43 13 19 19 20 15 9 notice

31 14 14

F

notice

G

notice

Fernandez, Nacho Ferrandez, Jacques Ferro, Marc

Gabrion, Pierre-Yves Gaiotti, Florence Gallego Garcia, Laura Gaudy, Hélène Goby, Valentine Green, John Guenassia, Jean-Michel

10 32

54 61 26 42 14 27 43

J

notice

K

notice

L

notice

Juncker, Nicolas

Kimura, Yuri

Lapeyre, Guillaume Leitich Smith, Cynthia Long, Hayley

44

Lureau, Serge

47

M

notice

O

notice

P

notice

R

notice

S

notice

T

notice

V

notice

Y

notice

Z

notice

Mauméjean, Xavier Mavrikakis, Catherine Maynard, Joyce Mc Laughlin, Lauren Michaels, Rune Mizio, Francis

Oates, Joyce Carol

Panafieu (de), Jean-Baptiste Petit, Xavier-Laurent Place, François Plas, Claudine Polack, Emmanuelle

Rees, Celia Reinhardt, Dana Renault, Christophe Rijckeghem (Van), Jean-Claude Rolin, Vincent

Saulles (de), Tony Schwindt, Peter Shirodaira, Kyo Solet, Bertrand Sternberg, Jacques Stroud, Jonathan

Tan, Shaun Tsubusu, Yana

Voorhoeve, Anne-Charlotte

Yslaire, Bernard

Zuccheri, Laura

23 39 40 21 4 35

24

36 25 26 46 15

5 27 6 28 13

12 7 33 16 29 41

30 34

8

43

9

33

11 3 22

Lecture Jeune - mars 2010


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Index Titres A

Afrique trahie (L’) Art contemporain Attrape-rêves (L’)

B

Balade de Sovay (La) Black Butler, T.1 Boris Vian à vingt ans en 1940

C

Ciel au-dessus du Louvre (Le) Ciel de Bay City (Le) Cinq jours par mois dans la peau d’un garçon Contes de la banlieue lointaine Contes glacés

D

Des souris et des hommes d’après le roman de John Steinbeck Douane volante (La)

E

notice

45 14 25

notice

5 34 46

notice

43 39

21 30 29 notice

42 26 notice

Encyclopédie des rebelles, insoumis et autres révolutionnaires (L’) 35 Environnement (L’) 36 Eon et le douzième dragon 38 Épées de verre (Les), T.1 : Yama 9 Explorers, T.1 : Oui-ja 11

G

Gwydion, T.1 : Sur la route de Camelot

P

notice

R

notice

S

notice

T

notice

Prix littéraires lycéens : des bouillons de culture (Les) 47

Reine des lumières (La) 23 Rendez-vous à la Datcha 17 Retour de l’aube (Le) 18 Roi Rose 31 Rose Valland, l’espionne du musée du Jeu de Paume 15 Sanguine Souffre bonheur (Le) Taxi Thomas Drimm, T.1 : La fin du monde tombe un jeudi

3 6

37

20

U

notice

V

notice

Un endroit où se cacher Vampire Chronicles. La Légende du Roi Déchu, T.1 et 2 Voix derrière la porte (La)

24

33 4

7 notice

I

notice

J

notice

K

notice

Immergés, T.1 : Günther Pulst

2 1

notice

H

Héros de la vallée (Les) Horrible corps humain Hôte (L’)

Méto, T.3 : Le Monde Mon amie, Sophie Scholl

41 12 32 44

Jean Moulin, héros de la Résistance 16 Jeune Fille rebelle (La) 28 Kung-fu mousse, T.1 : Branle-bas de combat en cuisine

10

L

notice

M

notice

Long week-end 40 Lottie Biggs n’est presque pas cinglée 22 Louis XIV, le destin d’un roi 13 Marquée, T.1 : La Maison de la nuit 19 Mauvais plan 27 Mes deux Allemagne 8

Lecture Jeune - mars 2010


78

Index Genres et mots clés Genres B

Biographie Bit-lit

C

Conte

E notice

46 3,19

notice

29,30

F

notice

J

notice

Fantasy Journal intime

38

1

École Écologie Égypte Enfant Environnement État totalitaire Etats-Unis Exclusion

F

Famille Fantastique

M

notice

G

R

notice

H

Manga Roman d’amour Roman d’anticipation Roman d’apprentissage Roman d’aventure Roman fantastique Roman historique Roman initiatique Roman psychologique

S

Science-fiction Shônen manga

33

17 2,18 41 5 20,26 8 7 6,22,24, 25,27,39

notice

4,23 34

Mots clés A

Accident Adolescence Afrique Alexandre Le Grand Algérie Amitié Amour Années 70 Angoisse Anorexie Apartheid Apprentissages Art contemporain Art Aventure

B

Berlin

C

Corps humain Colonialisme Combats Communisme Culpabilité

D

Destinée Deuil Développement durable Drame Dragon Drogue

notice

24 21,27,40 45 23 32 1,6,19 3,6,18,33 17 44 6 18 47 14 15 11,20,23 notice

notice

12 32 34 4

notice

9 4,24 36 42 24

Guerre de gangs

notice

19 25 37 31 36 20 39,42 42

notice

2,39,40 29

notice

notice

18

Haut Moyen Âge 27 Héros 41 Histoire 13,45 Humour 10,22,34,35,37,40 Humour noir 29

I

notice

K

notice

L

notice

M

notice

N

notice

O

notice

P

notice

Identité sexuelle Imaginaire Intrigue Kung-fu Légende Légendes arthuriennes Liberté Livre Londres Louis XIV Louvre Magie Maniaco-dépression Monarchie Mort Musées Nature Occupation Partenariat Personnages historiques Pirates Pouvoir Prix littéaires

Q

Quête Quête d’identité

R

Rebelles Relation parents/enfants Résistance

Lecture Jeune - mars 2010

21 30 5

10

41 7 2 11 5 13 43 11 22 13 31 14 25 16

47 35 31 19 47

notice

3,9,26 38

notice

35 21 1,15,16

Révolution française Russie

S

Scandinavie Science Seconde Guerre Mondiale Séquestration Société Surréalisme

T

Télé-réalité Thriller Tournoi Tradition Transmission Trésor Trisomie

V

Vampire Vengeance Voyage initiatique

43 17 notice

41 12 1,15,44 20 2,37 29

notice

24 54 24 32 48 2 12

notice

3,33 33 26


79

Ours Lecture Jeune 190, rue du Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 81 50 - Fax : 01 44 72 05 47 Courriel : contact@lecturejeunesse.com Site : www.lecturejeunesse.com

Directrice de la publication Bernadette Seibel

Directrice de la rédaction Hélène Sagnet (81-52)

Rédactrice en chef Anne Clerc (81-53)

Administration Catherine Escher (81-50)

Comité de rédaction Madeleine Couet-Butlen, Marie-Christine Jacquinet, Chantal de Linares, Annick LorantJolly, Audrey Messin, Bernadette Seibel, Véronique Soulé, Jean-Claude Utard

Conception Réalisation Isabelle Dumontaux et Bruno Chazel

Correction Florence Nahon et Lucille Pachot

Illustration de couverture © Morgane Le Gall

Ont collaboré à ce numéro Thomas Bailly, Colette Broutin, Michelle Charbonnier, Cécile Chartres, Anne Clerc, Perrine Concialdi, Agnès Donon, Marilyne Duval, Sébastien Féranec, Aurélie Forget, Laurence Guillaume, Elise Hoël, Marianne Joly, Frédéric Leray, Amélie Mondésir, Rozenn Muzellec, Elsa Pellegri, Pierre Pulliat, Charlotte Plat, Jean Ratier, Cécile Robin-Lapeyre, Hélène Sagnet, Sonia Seddiki, Nicole Wells.

Impression L’ARTESIENNE - Dépôt légal : Mars 2010 Tél. : 03 21 72 78 90 I.S.S.N. 1163-4987 C.P.P.P. n° 1107G79329 Revue éditée par l’association Lecture Jeunesse Association de loi 1901 déclarée le 4 janvier 1974 Agréée par le Secrétariat d’Etat Jeunesse et Sport le 27/01/1977 – N° 94.155 Cette revue est publiée avec le concours de la Mairie de Paris, du Centre national du livre et de la Direction du livre et de la lecture (Ministère de la culture). L’Association reçoit également le soutien du Fonds Merymu et de la Fondation Blancmesnil.

Lecture Jeune - mars 2010


Bulletin Parcours de lecture Abonnement commande 2010

80 80

Livres accroche Littératures 1I

L’Indien de la tour Eiffel

Nom, prénom : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fred Bernard Ill. François Roca Seuil jeunesse, 2004 16 p. 16,50 € 2-02-063935-1

Genre Texte illustré Mots clés

Merci de retourner votre bulletin à l'adresse suivante : Lecture Jeunesse Abonnement 190, rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris

L’album s’ouvre sur la une d’un journal daté du 5 avril 1889. Un indien Fonction . . . .le . . .chantier . . . . . . . . . . de . . . . la . . . tour . . . . . .Eiffel . . . . . . s’est . . . . . . jeté . . . . . dans . . . . . . . le . . .vide . . . . . .avec . . . . . . sa .. travaillant :sur fiancée après avoir massacré deux hommes et blessé neuf policiers. Organisme : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Suit le rapport de police qui classe l’affaire. Commence alors l’histoire de Billy Powona Adresse : . . . . . . . . et . . . .d’Alice . . . . . . . . . La . . . . Garenne . . . . . . . . . . . .:. .une . . . . . toute . . . . . . . autre . . . . . . . version. . . . . . . . . . . . La .. vraie ? Code postal : . . .pour . . . . . . . un . . . . .même . . . . . . . . .texte, . . . . . . . .le . . . principal . . . . . . . . . . . . . étant . . . . . . . . livré . . . . . . .au .. Trois narrations lecteur par un narrateur qui n’hésite pas à interpeller Billy, comme Ville : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . s’il le connaissait ou tentait de le comprendre. Le récit à la deuxième personne Email : . . . donne . . . . . . . . . chair . . . . . . . .à. .une . . . . . belle . . . . . . . histoire . . . . . . . . . . d’amour . . . . . . . . . . . .tragique . . . . . . . . . . . que . . . . . .les .. médias et de la police ne peuvent pas imaginer : histoire éternelle des préjugés ? Le texte de Fred Bernard est tout en subtilité, en petites 2010 Abonnement poursur4l’épaule numéros touches (La-Garenne a une coccinelle tatouée et le cabaret (Numéros 133LaàBête 136) où elle chante s’appelle à bon Dieu). Il est aussi rempli de références historiques, cinématographiques. On y retrouve l’univers du France 42 € Lautrec, les querelles sur la tour Eiffel qui défigure■la Paris de: Toulouse Autres pays DOMdes TOM : 46 € s’insurgent. Et comment ne pas ■ ville et contre et laquelle intellectuels Vente au numéro : 14 € ■ penser à King Kong lorsque Billy se jette de la tour, criblé de balles, Paiement par chèque joint sa belle entre les bras ? Les peintures de François Roca, d’ombres■et Pour les organismes, facture encomme ….. exemplaires ■ lumières, en dégradés de rouge, les cheveux de la Garenne, sont servies par les pages en grand format qui laissent percevoir toute leur force. Une merveille. Note : Par les auteurs de Jésus Betz (voir LJ n°100). Voir aussi notice , Pour adhérer l’association la bande dessinée de FredàBernard.

Lecture Jeunesse

Tony Di

Je désire adhérer à l’association Lecture Jeunesse et soutenir son action en qualité de : Membre adhérent : 25 € ■ Membre bienfaiteur : 45 € et + ■

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Date et signature

www.lecturejeunesse.com

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Lecture Jeune - mars 2010


La fantasy, le tour d’un genre le jeudi 24 juin 2010 à Paris (lieu et programme sous réserve)

Comment expliquer le succès du genre auprès des jeunes lecteurs ? Nous vous proposerons lors de cette journée des éléments de définition théorique, des repères historiques, des analyses d’œuvres, ainsi que des éclairages concrets d’auteurs, d’éditeurs, de médiateurs et de lecteurs « fans ». • Historique et définition du genre. Les tendances actuelles de la fantasy. Regard sur le succès de la fantasy auprès du jeune public, par Jacques Baudou, auteur et critique • Les « classiques » de la fantasy anglo-saxonnes : quelles influences dans les œuvres de fantasy contemporaines ? par Marie-Hélène Routisseau, universitaire • Existe-t-il une fantasy française pour la jeunesse ? Analyse de quelques univers d’auteurs • Éléments sur la réception par les jeunes lecteurs : portraits et configurations de goûts (livres, films, jeux vidéo…) par Philippe Clermont, universitaire • Analyse de l’œuvre de Pierre Bottero et de sa réception : les raisons du succès par Gilles Béhotéguy, universitaire • Carte blanche à un auteur : petite bibliothèque idéale, quelques ouvrages de fantasy à faire découvrir à de jeunes lecteurs • Table ronde éditeurs

Tarifs 65 € TTC, prise en charge de l’employeur 35 € TTC, prise en charge personnelle 15 € TTC, étudiants

Inscriptions Catherine Escher, 01 44 72 81 50, catherine.escher@lecturejeunesse.com


Lecture Jeune

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