Article de Jacques Trémolet de Viller

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Nouvelles de la France qui vient

Une journée d’histoire de France corrigée

Yves Brunaud, le 29 novembre, Olivier Figueras, le lendemain 30 novembre, ont salué l’honneur que le Commandant Denoix de Saint Marc a fait à la République française en recevant, des mains de son Président, dans la Cour d’honneur des Invalides, la Grand-croix de la Légion d’Honneur. J’y reviens cependant, parce que ce sont là des événements qu’il faut garder et faire revenir dans son cœur, comme une méditation, une nourriture, et qu’on n’épuise pas par un écho, ou deux, ou trois, la signification de leur contenu.

Arrivé à l’heure dite, c’est-à-dire une heure avant la remise des insignes par le Président de la République, j’ai assisté à la mise en place de la Garde Républicaine, de la Légion étrangère – un détachement du 2e R.E.P. – des fusiliers marins, puis des anciens de la Légion, des parachutistes, et de la foule des amis, des parents. On se salue. On se congratule. Malgré le froid perçant, nous sommes tous réjouis. Quel jour ! L’ordonnateur des cérémonies nous apprend que le Président de la République, qui est Chef des armées, va décorer douze soldats qui se sont particulièrement distingués par des actes exceptionnels accomplis dans l’exercice de leur métier. Mon voisin me souffle « pour Hélie de Saint Marc, l’acte exceptionnel, c’est la prise du Gouvernement général d’Alger ! » C’est ce qu’on appelle improprement « le putsch » du 21 avril 1961, et qu’il faut appeler, de son vrai nom, la révolte des soldats, une révolte commandée seulement par l’honneur et par la fidélité. Honneur du soldat. Fidélité à la parole donnée, au nom de la France, aux populations d’Algérie. Comme l’a dit, dans sa très belle allocution, le général Dary, Gouverneur militaire de Paris s’adressant « au commandant, à l’ancien, et si vous le permettez aujourd’hui, à mon cher Hélie… » à un moment crucial, où il faut choisir, le Commandant de Saint Marc a mis non seulement sa carrière, mais, comme il y était accoutumé, par son passé « sa peau au bout de ses idées … ». Il a dit Non, et ce Non, concrètement, c’était de prendre, avec le régiment qu’il commandait par intérim, le régiment le plus glorieux de l’armée française, le Premier régiment étranger de parachutistes, le Gouvernement général d’Alger et de se mettre au service des généraux en révolte qui avaient imaginé d’offrir au chef de l’Etat une Algérie pacifiée, nouvelle, française, pour qu’il ne puisse pas l’abandonner.

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Rêve d’enfants… Rêve de militaires, rêve d’hommes purs et droits, cette révolte des généraux et des hommes qui les suivirent est ce que la France compte de plus noble, de plus pur, de plus propre et de plus désintéressé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je ne veux pas pour autant diminuer les hauts faits de la RC4, de Cao Bang, de Dien Bien Phu, de Souk-kharas, l’héroïsme des SAS, la bataille d’Alger, mais il s’agit-là de la chose militaire, avec sa gloire, dans son ordre. La révolte des généraux n’est pas dans l’ordre, au moins apparemment. Elle est même contre cet ordre, et elle suppose, chez ceux qui l’ont pensée, conduite et réclamée, la résolution d’un cas de conscience majeur, avec, au bout, le risque, parfaitement et lucidement assumé, en cas d’échec, d’une peine de mort ou de prison. Je garde précieusement la copie d’une lettre que le Général Challe adressa, de sa prison de Tulle, à l’un de mes lecteurs qui, fort aimablement, me l’a envoyée. Elle est transparente dans le calme qu’elle exprime d’un homme qui avait connu les plus grands honneurs, et qui, de sa maison d’arrêt « attend le jugement de l’histoire », en espérant qu’il ne serait pas trop sévère pour la France. Challe, dans ces quelques mots, est plus grand que ceux qui l’ont envoyé là où il écrit. Nicolas Sarkozy remonte les rangs des hommes qu’il doit passer en revue. Manifestement, ce n’est pas son truc. Chirac, Giscard, Mitterrand, même Pompidou savaient faire… lui non… mais peu importe, car, aujourd’hui, c’est lui, et pas un autre qui dit : « Commandant Hélie de Saint Marc, au nom de la République Française, je vous élève à la dignité de Grand-croix de la Légion d’Honneur… ». On ne peut pas aller plus haut. La rumeur dit que nombre de dignitaires de cet Ordre ont maugréé jusqu’à jeter dans la balance la menace de leur démission, si le Président persistait dans son idée. Il leur aurait fait répondre : eh bien, démissionnez ! Personne n’a démissionné. Et avec Hélie de Saint Marc, aujourd’hui, c’est tous « les hommes debout », comme il a eu la bonté de me le dire après – « Continuez à mener le combat des hommes debout ! » – qui ont été reconnus pour ce qu’ils sont, officiellement, pour la république, qui, il y a un demi-siècle, les faisait fusiller, ou les envoyait en prison, après les avoir déchus de leur grade et radiés de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Existe-t-il, dans notre histoire, un fait comparable ? Je vois celui du Capitaine Dreyfus… mais Dreyfus fut le vainqueur, malgré lui, d’une campagne politique, philosophique, médiatique, où, si nous relisons Péguy et Bernard Lazare, le sens de l’honneur et de la justice avait sombré dans les combines électoralistes et partisanes. De la mystique on était passé à la politique. Les tacticiens de la chose électorale n’ont pas pu s’empêcher de parler d’arrière-pensée électoraliste dans le geste du Président de la République, mais, même si cette ombre paraît sur le tableau, elle ne serait pas de nature à effacer sa lumière. Avec ou sans arrière-pensée, le geste est tout à l’honneur de celui qui l’a accompli, et si les réticences ont été ce qu’on en a dit, son geste n’en est que

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plus éloquent. Mais le centre du tableau, l’essentiel de l’histoire n’est pas du côté du politique. Dans cette affaire toute militaire, et toute d’honneur, c’est l’armée qui est au premier plan, l’armée déchirée, salie, divisée, meurtrie par la politique se retrouve elle-même, en célébrant officiellement, dans ses pompes et des œuvres, avec les généraux étoilés d’aujourd’hui, le courage, l’honneur et la fidélité d’un grand ancien. Dreyfus était une affaire politique, Saint Marc est une geste militaire, avec tous ce que les grands soldats, en France, ont incarné, construit dans notre histoire. Car il manie la plume autant que l’épée, comme Joffre, comme Foch, comme Lyautey, comme Pétain, comme Weygand, comme de Lattre et comme Salan… mais plus encore que ces grandes figures, il a su dire, avec un ton personnel, une grande émotion, dans une grande pudeur, les tourments et les joies de l’homme de guerre. Le Général Dary a voulu souligner combien le Commandant de Saint Marc avait été, toujours, attentif aux femmes et ses livres parlent au cœur des femmes, épouses, amantes. En le décorant, Nicolas Sarkozy a décoré l’un des hommes les plus respectés (on ne dit pas populaires) de France. Le Gouverneur Militaire de Paris a conclu son propos dans ses termes : « Mon ancien, vous arrivez aujourd’hui au sommet de votre carrière, militaire et littéraire ; mais comme vous le dites souvent, vous êtes aussi au soir de votre vie, à l’heure où l’on voit les ombres s’allonger. Toux ceux qui sont là sont heureux d’être auprès de vous sur ce sommet : et ce sommet n’est pas qu’une allégorie ! Ce sommet est bien concret ; permettez-moi de l’imaginer en Corse, toutes vos sentinelles du soir sont là, autour de vous, admirant le soleil couchant, comme partout en Corse, le paysage est sublime, le spectacle intense ; la nuit s’est répandue dans la vallée, le soir monte, et l’on voit s’éclairer peu à peu les villages et leurs églises, les cloches des troupeaux tintent dans le lointain, et l’on admire le soleil qui disparaît lentement derrière l’horizon dans le calme et la paix du soir. Il va bientôt faire nuit et chacun de ceux qui sont là, qui vous estiment et qui vous aiment, ont envie de fredonner cette rengaine, désormais entrée dans l’histoire : « Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien ! ». Le Commandant de Saint Marc a demandé, en guise de réponse, que nous chantions tous le chant de son régiment : « Contre les viets, contre l’ennemi « Partout où le combat fait signe « Soldats de France, soldats du pays « Nous remonterons vers les lignes ». Je regardais l’assistance, unie dans un impressionnant unisson, les généraux en

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activité, les plus jeunes officiers, les anciens, les femmes, les enfants… non loin de moi, le Ministre de la Défense, visiblement épanoui, reprenait avec la ferveur de celui qui connaît les paroles. « O Légionnaire, le combat qui commence « met dans nos âmes enthousiasme et vaillance… » Ne perdons pas ces instants. La routine de la démocratie va reprendre. On reparlera de la crise et des élections… On échangera les petites phrases et les coups bas et on continuera de se disputer les places. Nous, quand nous nous sentirons comme submergés par cette indignité, nous penserons à la Cour des Invalides, le 28 novembre 2011 au matin, à la Légion, à la Garde, aux Fusiliers Marins, au Grand Roi et à l’Empereur, à nos frères, à nos morts, et à Hélie Denoix de Saint Marc, rebelle par honneur, en prison pour fidélité, et désormais Grand-croix de la Légion d’Honneur. Et nous rendrons grâce au Maître du temps et de l’histoire, de nous avoir envoyé, à nous les jeunes et modestes complices du Commandant Hélie de Saint Marc, la grâce de cette journée d’histoire de France. JACQUES TREMOLET DE VILLERS

Article extrait du n° 7490 de Présent, du Mercredi 7 décembre 2011

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