Pas Sages #3

Page 1


P.4 JEAN-LUC MAHÉ PSYCHOLOGUE ET PSYCHANALYSTE Langue, objets, créations et identités adolescentes

P.6 JOSEPH ROSSETTO PRINCIPAL DE COLLÈGE Quand l’école devient un lieu d’expérience

P.8 ANNE-KARINE LESCOP DANSEUSE, INTERPRÈTE ET FORMATRICE ACCOMPAGNÉE DE : FLORENCE CAILLÉ, ENSEIGNANTE KILIANE ET MAXIME, ÉLÈVES Transmission d’une œuvre chorégraphique “Jours Étranges”

P.10 PASCAL BANNING COORDINATEUR DU “FESTIVAL ADO” Le Festival ado, un événement créé pour et avec les adolescents Modérateur de la journée Jean-Luc Weinich responsable pendant plusieurs années du festival Banlieues’Arts à Trappes

P.12 FRANCOIS CERVANTES AUTEUR ET METTEUR EN SCÈNE DE LA CIE L’ENTREPRISE Vers un dialogue permanent entre le théâtre et l’école

P.14 SYLVIE LE QUÉRÉ CHORÉGRAPHE ET DANSEUSE DE LA CIE GRÉGOIRE AND CO La transmission par le corps de deux œuvres majeures

P.15 GOULVEN LE GAL SLAMEUR ET MUSICIEN ACCOMPAGNÉ DE : WILLIAM DOMENECH, ITINÉRAIRES BIS DOUCHNA, LOUISON ET EVA, ÉLÈVES Quand les jeunes s’emparent du slam pour faire campagne


CRÉATION ARTISTIQUE ET ADOLESCENTS QUELLE RENCONTRE ? Une centaine de participants, enseignants, chefs d’établissements scolaires, éducateurs, animateurs jeunesse, artistes, acteurs culturels, élus, a été accueillie au Quai des Rêves de Lamballe pour échanger et réfléchir autour de cette question : “Création artistique et adolescents : quelle rencontre ?”. Cette journée organisée par Itinéraires Bis, Association de Développement Culturel et Artistique des Côtes d’Armor, faisait suite à une première journée de réflexion en 2011 autour de la thématique : “Culture et adolescents : une possible rencontre ?” et s’inscrivait dans le cadre d’un temps fort intitulé PAS SAGES. Philippe Sachet, directeur d’Itinéraires Bis, a rappelé que PAS SAGES est un label regroupant des actions mises en œuvre toute l’année en direction

de la jeunesse : résidences d’artistes sur temps scolaire, actions de médiation autour de la diffusion et de la présentation des œuvres, et des actions plus spécifiques telles que “Mon slam, ma campagne” présentée ultérieurement au cours de la journée. Cette journée de réflexion avait pour objectif de nous éclairer sur les enjeux que constitue la présence des adolescents au cœur de la création artistique et de tenter, à travers des récits d’expériences et des témoignages, de répondre à quelques questions : Comment susciter chez les adolescents une démarche de création ? Quel en est le processus ? Pour les amener où et dans quel but ? Quel rôle pour l’école, les artistes, les lieux de pratique artistique et les structures culturelles ? Y-a-t-il un répertoire pour adolescents ?

LA CRISE, C’EST QUAND LE VIEUX SE MEURE ET QUE LE JEUNE HÉSITE À NAÎTRE. RAPPEL D’UNE CITATION DE ANTONIO GRAMSCI PAR CHARLES JOSSELIN, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL DES CÔTES D’ARMOR EN CHARGE DE LA CULTURE

L’IMPORTANT DANS CES DEUX BOUTS DE LA CHAÎNE (DE VIE), C’EST QU’ILS PUISSENT CONSERVER, L’UN COMME L’AUTRE, L’ESSENCE-MÊME DONT ON EST NOURRI PAR LA CRÉATION ARTISTIQUE, À SAVOIR LA RÉSISTANCE. CHRISTIAN PROVOST, VICE-PRÉSIDENT DU CONSEIL GÉNÉRAL DES CÔTES D’ARMOR EN CHARGE DE LA JEUNESSE


4

LANGUE, OBJETS, CRÉATIONS ET IDENTITÉS ADOLESCENTES Jean-Luc Mahé est psychologue et psychanalyste à Saint-Nazaire et membre de l’Association de la Cause freudienne Val-de-Loire - Bretagne. Il est aussi responsable des laboratoires “La Passerelle” et “Au fil des discours” du Centre Interdisciplinaire sur l’Enfant (CIEN)1 à Saint-Nazaire. Il a été auparavant enseignant et directeur d’école. SE CONFRONTER AUX ŒUVRES POUR “SORTIR DE SOI-MÊME” Lors de rencontres avec des élèves au CIEN à Saint-Nazaire, Jean-Luc Mahé constate que les jeunes sont profondément modernes, en prise directe avec le monde réel, notamment le monde de l’entreprise. Ils attendent de l’école d’être “une antichambre du monde économique”. Or les œuvres étrangères à leur monde quotidien leur permettent de les ouvrir à l’inconnu, à l’étrangeté en eux, à l’altérité. Pour illustrer son propos, Jean-Luc Mahé cite Jérôme Ferrari, dernier Lauréat du Prix Goncourt et professeur de philosophie au lycée, lequel affirme que “c’est une erreur de donner des textes faciles aux adolescents, sur lesquels ils n’ont rien à dire, ils s’en sortent mieux avec des textes difficiles qui font toujours naître la réflexion”. “Sortir de soi-même” pour aller vers l’autre, voilà selon Jean-Luc Mahé le nœud de la rencontre entre création et adolescence jusqu’à obtenir “un doute raisonnable” 2.

PARALLÈLE ENTRE LE FANTASME DE L’ADOLESCENT ET LA CRÉATION DU POÈTE Freud, dans un texte datant de 1908 “Le créateur littéraire et la fantaisie”, fait un parallèle entre le jeu de l’enfant et l’activité littéraire. Il affirme que le créateur littéraire, tout comme l’enfant, crée un monde de fantaisie. Il oppose le jeu à la réalité. La différence entre l’enfant et l’adolescent est que l’enfant joue alors que l’adolescent cesse de jouer et remplace le jeu par des fantasmes qu’il cache car il en a honte. La différence entre l’adolescent et le créateur est que le créateur parvient, grâce à son art, à voiler le caractère “honteux” de ses fantasmes. Le jeu de l’enfant, le fantasme de l’adolescent et la création du poète sont donc homologues d’un point de vue structural, c’est pourquoi il est important de mettre l’adolescent face à la création artistique, qui va redoubler son propre fantasme, lui procurer du plaisir et une joie esthétique.

COMPRENDRE CE QUI SE JOUE À L’ADOLESCENCE Pour Freud, l’adolescence est le temps du réveil de la libido. Dans son livre “L’éveil et l’exil”, Philippe Lacadée3, médecin psychiatre et psychanalyste, parle de l’éveil de la sexualité, des pulsions qui envahissent le corps et la pensée de l’adolescent jusqu’à devenir plus fortes que la raison. Les objets sont là pour atteindre le but de la pulsion, qui est la satisfaction d’un désir.


5

Toujours d’après Philippe Lacadée, l’adolescent connaît trois “exils” : “l’exil du langage”, qu’il dénature mais aussi qui lui permet de rencontrer l’autre, “l’exil de l’enfance” et “l’exil de sa propre jouissance”, qui le confronte à sa solitude car cette jouissance est difficilement exprimable. L’adolescent ressent ce que Joseph Rossetto appelle “une insécurité langagière”. Pour toutes ces raisons, il est important d’accompagner et d’aider les adolescents à mettre en mots ce qu’ils ressentent. C’est ce que les professeurs et les artistes font en entrant en dialogue avec eux autour de pratiques artistiques.

EN QUOI L’ART PEUT-IL FAIRE RENCONTRE AVEC LES ADOLESCENTS ? Jean-Luc Mahé propose deux pistes en s’appuyant sur des cas d’adolescents qu’il a accompagnés dans son cabinet pendant plusieurs années. ère

1 piste : l’art comme porte d’entrée pour permettre le nouage du sujet au monde. Cas de Victor, qui dès la 4e a fui l’école, rejetant le savoir venant de l’autre et remplaçant l’autre par l’ordinateur et le savoir par Wikipédia. Cette trouvaille va l’amener vers une autre découverte, celle d’un détecteur de métaux grâce auquel il trouve des pièces de monnaie anciennes qu’il commercialise. Puis lui vient l’idée de se construire une petite forge. Un projet naît : devenir un créateur de bijoux où “l’élément vivant s’incarnera dans la pierre”.

Jean-Luc Mahé a soutenu, contre les avis contraires de l’entourage de l’adolescent, la position que l’objet est la solution à ses problèmes, et qu’il fallait le conserver. On observe ici un déplacement de l’objet jusqu’à la création, qui à terme fait lien social. 2e piste : l’art comme point d’appui. Jean-Luc Mahé cite l’exemple d’un adolescent pour qui l’écriture, le rap, la langue ont permis d’éviter une dérive. Il reprend les propos de Valentine, 16 ans : “Au théâtre, je me sens libre, je n’ai plus d’étiquette. Le théâtre, ça dit des choses sur nous et de nous”. Et Jean-Luc Mahé de conclure : “L’adulte, qu’il soit psychanalyste, professeur ou artiste, doit avec discrétion se tenir aux côtés des adolescents et les accompagner dans ce délicat passage de l’être. Malgré des difficultés parfois, c’est toujours un immense plaisir.” 1 Le Centre Interdisciplinaire sur l’ENfant (CIEN), initié le 24 juillet 1996 par Jacques-Alain Miller, est une instance internationale dont l’enjeu est d’aborder dans l’interdisciplinarité, avec les professionnels qui s’y confrontent, les difficultés rencontrées dans le lien social, par les enfants et les adolescents. http://www.champfreudien.org/cien/cienpsychanalyse-enfants 2 Il cite ici Catherine Henri dans son ouvrage “Un professeur sentimental” paru aux éditions P.O.L., mars 2005. 3

“L’éveil et l’exil, enseignements psychanalytiques de la plus délicate des transitions : l’adolescence” de Philippe Lacadée, paru aux éditions Cécile Defaut, avril 2007


6

QUAND L’ÉCOLE DEVIENT UN LIEU D’EXPÉRIENCE Joseph Rossetto est le fondateur de l’association “Une école de l’expérience” 1 dont le projet est de construire une école exigeante et novatrice, fondée sur des pratiques culturelles et artistiques, où l’expression et l’imaginaire des enfants sont au centre des apprentissages. Il a été proviseur-adjoint du lycée professionnel Jean Moulin de Blanc-Mesnil jusqu’en 1998, puis Principal du collège Pierre Sémard de Bobigny jusqu’en juin 2008, il est actuellement Principal du collège Guy Flavien à Paris. Dans ces trois établissements, les adolescents ont été engagés dans une école où l’on conçoit l’expérience comme l’axe central de toute forme de connaissance. L’école est pensée comme un voyage d’études avec plusieurs points d’ancrage : le travail sur la langue, sur les cultures, incarnées dans le corps par la pratique du théâtre, de la danse contemporaine, du cinéma et par le voyage. Une attention toute particulière est accordée à l’accompagnement, à la relation et à une éthique de la parole.

LE RÔLE DE L’ÉCOLE ET DES ŒUVRES DANS LA CONSTRUCTION DE L’ADOLESCENT Joseph Rossetto admet qu’il n’est pas facile aujourd’hui de mettre la créativité au centre de la transmission car dans notre société, les compétences remplacent la culture et le temps scolaire est considéré comme un temps de savoir-faire et non plus de savoir. L’école doit aussi apprendre à penser, à maîtriser des idées, à décrypter le monde actuel. Et pour comprendre le monde d’aujourd’hui, la connaissance du passé que nous trouvons notamment dans les œuvres est nécessaire. Il n’y a pas d’œuvre sans pratique et comme le dit le philosophe Bernard Stiegler “Il ne s’agit pas seulement d’accéder aux œuvres, il faut que celles-ci œuvrent”. Selon Joseph Rossetto, il est important que chaque adolescent, notamment au collège où il vit une métamorphose dans son existence et dans son corps, soit confronté à l’œuvre, puisse se l’approprier, rencontrer son imaginaire, sortir de “l’étrangeté langagière”.


7

LA QUÊTE D’IDENTITÉ ET LA RECONQUÊTE DU CORPS ET DU LANGAGE AU CŒUR DE LA CRÉATION ARTISTIQUE Le projet “Mon cœur le monde à l’intérieur”, mené au collège Pierre Sémard à Bobigny par un professeur de lettres, illustre bien comment la création artistique peut participer à la construction de l’adolescent. La ville de Bobigny abrite une population issue de 90 origines géographiques et culturelles différentes au sein de laquelle 16 000 enfants, dont 7 800 ne savent ni lire, ni écrire. Les enfants de migrants de seconde génération ne connaissent pas leur culture d’origine, ce qui n’est pas sans incidence sur leur réussite. Le projet avait pour objectif de faire renouer les enfants avec leur propre histoire grâce à un travail axé sur le corps, via la danse contemporaine, la danse traditionnelle et l’écriture poétique à partir de témoignages recueillis par les enfants auprès de leur famille. À travers ce projet très abouti et d’une grande qualité, on a pu observer que quand on propose aux élèves une expérience poétique et incarnée, ils retrouvent le plaisir, le désir de l’expression, et sont sollicités dans l’écoute et non pas dans la compétitivité. Cette démarche transforme une classe et valorise son hétérogénéité, qui devient alors un atout.

LA RENCONTRE ENTRE LES TEXTES ANTIQUES ET LES ADOLESCENTS La présentation d’un autre projet, “Les enfants d’Héraclès”, d’après l’œuvre d’Euripide “Les Héraclides”, monté au collège Guy Flavien à Paris, vient apporter un autre éclairage sur le rôle des œuvres dans la construction de l’adolescent.

Les textes antiques, de par leur résonnance actuelle, donnent lieu à des discussions et viennent nourrir le regard que les jeunes portent sur le monde qui les entoure. Mais pour cela, il faut amener ces jeunes à accéder à l’œuvre et à se l’approprier. Dans le cadre de ce projet, le travail s’est déroulé sur une année, jalonnée de plusieurs étapes : un temps de réception du texte, d’échanges, des ateliers d’écriture, de théâtre, de danse contemporaine, de cinéma, le voyage sur le lieu de la tragédie pour voir et ainsi mieux comprendre, le temps du film, de son montage et le temps de la représentation. Joseph Rossetto observe que les ateliers de pratique artistique aident à affirmer des capacités insoupçonnées qu’on ne verrait pas à l’école. Il demeure, après tant d’années d’expérience, surpris, étonné, émerveillé par la qualité du travail des adolescents, leur engagement et leur talent. “Nous sommes saisis par tant de beauté” dit-il, évoquant la reconnaissance qu’il ressent envers ces adolescents et la confiance qu’il a dans leur avenir. 1 Manifeste de l’école de l’expérience : L’enseignement à l’école primaire, au collège et au lycée devrait avoir comme objectif d’amener les enfants et les adolescents à grandir en devenant des personnes responsables, munies d’une langue commune, d’une culture qui leur permettent de s’exprimer et de créer, pourvus d’esprit critique et désireux de s’inscrire dans des projets pour qu’ils deviennent des hommes et des femmes capables d’agir dans le monde actuel. Lire la suite sur www.uneecoledelexperience.fr


8

TRANSMISSION D’UNE ŒUVRE CHORÉGRAPHIQUE “JOURS ÉTRANGES” DE DOMINIQUE BAGOUET Anne-Karine Lescop est danseuse, interprète et formatrice. En tant que formatrice, elle se consacre à des projets de transmission de répertoire chorégraphique, ainsi qu’à des cycles de formation destinés aux amateurs, qu’ils soient adultes ou enfants, comme par exemple les ateliers pour enfants “Kinder” et “Shaker” au Musée de la Danse à Rennes1. Anne-Karine Lescop porte avec Catherine Legrand le projet “Jours Étranges”, recréation de la chorégraphie de Dominique Bagouet avec onze adolescents rennais. Ce projet a également été monté avec des élèves du Lycée Jean Moulin à Saint-Brieuc dans le cadre d’une résidence co-organisée par La Passerelle, Scène nationale de Saint-Brieuc. Florence Caillé est professeur d’Éducation Socioculturelle au Lycée Jean Moulin de Saint-Brieuc, elle a porté le projet “Jours Étranges” aux côtés des deux chorégraphes et de La Passerelle. Elle est accompagnée de deux de ses élèves, Maxime et Kiliane.

UNE PIÈCE CHORÉGRAPHIQUE À TRANSMETTRE, DEUX PROJETS DISTINCTS L’intérêt pour les chorégraphes de transmettre “Jours Étranges”2 à des adolescents est que cette pièce de Dominique Bagouet fait un retour sur sa propre adolescence ; il n’y a donc pas de distance entre le propos et les interprètes. Le défi était de parvenir à mettre ces derniers dans “un état de danse” et de leur permettre de s’épanouir à travers une œuvre. Comment l’art vient-il mettre en évidence un moment de la vie ? Chacun ensuite grandira à sa façon, chacun y prendra ce qu’il voudra. Bien que le projet consistait, aussi bien à Rennes qu’à Saint-Brieuc, à transmettre la pièce à des élèves volontaires, le cheminement et l’aboutissement ont été très différents et autrement intéressants. À Rennes, les jeunes avaient déjà une expérience de la danse, toutes danses confondues et ont disposé de 120 heures de travail. Ils ont présenté la pièce dans leur intégralité et dans des conditions professionnelles, notamment au Théâtre de la Ville à Paris. À Saint-Brieuc, les jeunes n’avaient aucune expérience de la danse et ils ont disposé d’une cinquantaine d’heures de travail. Ils ont présenté à deux reprises un extrait de vingt minutes de la pièce à La Passerelle.

LE CHEMINEMENT ET LE RÔLE DE CHACUN Une des difficultés du projet évoqué par Florence Caillé, était qu’il concernait non pas une, mais cinq classes, ce qui compliquait la mobilisation des élèves aussi bien sur le temps scolaire que sur leur temps libre. D’autant plus


9

que le travail prenait davantage sens sur un temps réparti sur plusieurs jours consécutifs, plutôt que sur des journées isolées. Une autre difficulté a été de convaincre les élèves du sens du projet. Quand les jeunes ont vu la projection de la pièce de Dominique Bagouet, ils ont été perturbés dans leur représentation de la danse. Une élève témoigne sur le documentaire réalisé au cours du projet : “la danse contemporaine, ce n’est pas une danse de notre âge. Ce n’est pas vraiment de la danse, c’est plus de la recherche sur soi-même. C’est étrange”. Cela a constitué un long cheminement, les jeunes et adultes sont passés par de grands moments de remise en cause. Kiliane en témoigne : “À l’école, tout est concret, or ce projet l’était beaucoup moins. C’était difficile car cela nous demandait de réfléchir et d’intégrer quelque chose en nous qui est différent de ce qu’on a appris.” Chaque adulte, dans sa fonction, avait un rôle important à jouer. Pour les chorégraphes, il s’agissait de donner des moyens pour sentir son geste, structurer son corps, expliquer les raisons de ce travail, donner des clés, faire comprendre ce qu’est l’engagement physique. Pour le professeur, son rôle relevait de la médiation, intervenir en “arrière-cuisine”, échanger avec les élèves et avec les chorégraphes et faire le lien à chaque fois que cela était nécessaire. Et Anne-Karine Lescop d’ajouter : “La pièce à transmettre est l’objet entre nous qui va nous œuvrer. Tout le monde tend vers le même but et ça déplace aussi bien les jeunes que les adultes dans leur manière de faire.”

LE MOMENT DE LA REPRÉSENTATION, RÉVÉLATION AUX AUTRES L’investissement du groupe s’est réellement ressenti “dans la dernière ligne droite du projet”. Jusqu’à la veille de la première représentation, la pression était tellement forte que deux élèves ont abandonné. Les interprètes ont dû se réadapter dans l’urgence et c’est au moment et à l’issue des deux représentations qu’ils ont pris conscience de ce que monter sur scène représentait pour eux. Ils étaient fiers de présenter ce travail devant leurs camarades, leurs professeurs et s’étonnaient même que le proviseur se soit déplacé aux deux représentations. Kiliane d’ajouter : “on ressent beaucoup de satisfaction à être regardé différemment. Cela a élargi notre champ de vision par rapport à l’art, à la danse.” Il y a eu aussi la découverte des Doors, musique qui a ouvert des discussions sur la révolte, notamment celle ressentie contre les parents. Cette musique continue, au-delà du projet lui-même, à accompagner les jeunes. “Les Doors, c’est une philosophie” dit Maxime. Et Maxime, de conclure : “Il suffit de vouloir pour faire de belles choses. Ça motive pour faire des études.” 1 Pour en savoir plus http://www.museedeladanse.org/projets/kindershaker-ateliers-pour-enfants 2

« Le climat de ces “Strange days” correspondait parfaitement au désarroi de notre adolescence qui cherchait alors, dans ce qui est devenu une sorte de mythologie, ses propres valeurs et vivait aussi d’obscurs désirs mal définis de révolte contre les normes et les codes établis. […] Cette musique des Doors, pour laquelle finalement je n’ai que peu d’opinions sinon qu’elle me bouleverse à chaque fois, me permet de renouer avec un état qui n’est pas si éloigné de celui d’aujourd’hui où la remise en question, la quête d’aventures, se heurtent encore à de nouvelles conventions, des systèmes qui redeviennent pesants et qu’il semble urgent de secouer.” Dominique Bagouet, juillet 1990


10

LE FESTIVAL ADO UN ÉVÉNEMENT CRÉÉ POUR ET AVEC LES ADOLESCENTS Pascal Banning est coordinateur du Festival ado au Centre Dramatique Régional Le Préau à Vire1. Ce festival de théâtre en direction des adolescents, organisé pendant une semaine en mai par le CDR Le Préau avec la complicité de jeunes, est l’aboutissement d’une année entière de sensibilisations, d’ateliers, de résidences d’artistes, de rendez-vous avec les jeunes. Qui sont ces adolescents ? Comment un festival trouve-t-il sa place au cœur des lycées et des collèges ?

POURQUOI LA CRÉATION DU FESTIVAL ADO ? Le Festival ado est né en 2010, suite à la nomination des deux co-directeurs du CDR, Pauline Sales, auteure et Vincent Garanger, comédien et metteur en scène, qui avaient inscrit au cœur de leur projet de développement le travail avec les adolescents. Ce projet est mené en partenariat avec les quatre lycées de Vire (dont un d’enseignement général public et un privé, un lycée professionnel et un lycée agricole), les deux collèges et la maison familiale rurale de Vire. Le projet n’a pu voir le jour que parce que ces partenaires étaient en accord avec les objectifs, à savoir amener les jeunes à sortir du cadre scolaire pour aller vers un événement périscolaire autour du théâtre et les sensibiliser à la fabrication d’un spectacle leur permettant de dédramatiser leur rapport au théâtre.

QUEL EST LE PROCESSUS QUI MÈNE À L’ÉVÉNEMENT ? Le processus de réalisation de l’événement est aussi important que l’événement qui en est l’aboutissement. Dès septembre, le projet débute avec des rencontres dans les lycées, les collèges et au théâtre : des résidences d’artistes, des soirées au théâtre, des spectacles présentés au lycée et au collège. Chaque année, tout est remis en cause, en fonction de la motivation des enseignants et des désirs des adolescents.


11

Le festival à terme est composé de différents spectacles où l’adolescent est représenté : soit directement sur scène, soit les thématiques du spectacle le concernent à priori plus particulièrement, soit la forme lui correspond davantage. On distingue trois types d’engagement de la part des jeunes, en plus de celui de spectateur : 1 / Chaque année, le CDR fait appel à un auteur et/ou un metteur en scène, dont la mission est de créer un spectacle qui verra le jour pendant le festival. Pour deux des projets de création, l’enjeu était d’écrire un spectacle incluant des jeunes n’ayant pas nécessairement fait de théâtre, et de les amener dans une démarche semi-professionnelle, qui incluait une déscolarisation de cinq à six semaines, donc un engagement important. 2 / Parallèlement, les jeunes proposent leur propre projet. L’enjeu étant, à partir de leur désir, de les amener à développer les différentes étapes d’une création et de découvrir le monde professionnel du travail théâtral, ainsi que des œuvres. 3 / D’autre part, il est proposé aux jeunes de prendre en main l’organisation du festival.

Au-delà des chiffres de fréquentation du festival, qui ont augmenté en trois ans, il est difficile d’avoir des retours qualitatifs de la part des jeunes car une fois le projet et le festival terminé, le cycle scolaire les amène souvent à passer à autre chose. Mais il est observé que plus ils sont impliqués dans le projet et plus ils sont contents d’être allés jusqu’au bout. 1

Pour découvrir Le Préau et la troisième édition en 2013 du festival ADOS http://www.lepreaucdr.fr


12

VERS UN DIALOGUE PERMANENT ENTRE LE THÉÂTRE ET L’ÉCOLE Francois Cervantes est auteur et metteur en scène de la Compagnie L’Entreprise1, il est aussi formateur. COMMENT EST NÉE LA PIÈCE “LA TABLE DU FOND”, PUIS LES DEUX AUTRES VOLETS DE LA TRILOGIE DE FRANCK “SILENCE” ET “LE SOIR” ? Plutôt que de donner des ateliers d’écriture à l’école, François Cervantes a préféré s’installer pendant une année au fond d’une classe de 4e et y écrire, sans statut ni cadre. À la fin de l’année, seul le texte écrit a été lu avec les élèves. Cette situation avait d’autant plus de sens pour lui que l’âge de la 4e correspond à une période où lui-même ne pouvait plus parler. Il sait pour l’avoir ressenti qu’on peut à cet âge-là être tellement isolé dans sa solitude qu’il en devient très difficile de s’exprimer. C’est l’écriture qui lui a permis de sortir de son silence, de trouver des liens entre les mots et les sensations. Quelques années plus tard, dans un autre collège, l’auteur a choisi comme “ambassadeur” le texte “La table du fond” et l’a adapté, pour le théâtre, avec les élèves. La pièce a été jouée de nombreuses fois depuis dans des collèges et au théâtre. Récemment, il a eu l’occasion de retourner dans le collège où le texte “La table du fond” a été écrit, pour y jouer la pièce devant une partie des élèves présents à l’époque aujourd’hui devenus adultes. Il a pu constater non sans émotion que l’expérience était encore très présente dans les esprits malgré les années passées.

Quinze ans après l’écriture de “La table du fond”, François Cervantes et sa compagnie créent le dernier volet d’une trilogie intégrant la pièce. Ce face-à-face très peu formel entre l’école et le théâtre lui donne envie d’un dialogue permanent avec l’école, afin de mieux comprendre le processus de l’apprentissage.

QU’EST-CE QUE L’APPRENTISSAGE ? François Cervantes, qui n’a jamais vraiment compris ce qu’il apprenait à l’école, bien qu’il fût bon élève, interroge encore aujourd’hui la notion d’apprentissage. Il regrette par exemple, qu’à l’école “on enseigne les œuvres mais on n’enseigne pas la manière dont elles sont nées.” C’est en cela qu’il fait une différence assez forte entre la culture et l’art. Il considère aussi que “apprendre, c’est se souvenir de ce que l’âme a toujours su” et il cite Marguerite Duras dans “La pluie d’été”, où l’enfant affirme : “à l’école, je n’apprends que des choses que je ne sais pas”. Il faudrait apprendre des choses que l’on sait. L’école ne devrait-elle pas être là pour apprendre des choses qu’on restaure, donc qu’on reconnaît ?


13

LA TRILOGIE DE FRANCK, DES ŒUVRES POUR ADOLESCENTS ? Dans la pièce “La table du fond”, les adolescents-spectateurs entendent des adultes parler d’un adolescent sans que ce dernier soit là. Ils ressentent le plaisir d’être là sans être vus. La réaction de la mère, tellement paralysée par la fugue de son fils, qu’elle met deux jours avant d’alerter et de le chercher, provoque chez certains jeunes, des réactions violentes. Cette femme est-elle démente ? Son comportement est-il recevable pour une mère ? Dans tous les cas, la pièce résonne pour les jeunes spectateurs dans ce qu’ils vivent dans leurs relations avec leurs propres parents. Pour François Cervantes, il n’y a pas d’œuvres pour les adolescents ; une pièce s’adresse forcément à tout le monde. Il prend l’exemple de certains spectacles de clown dits “pour adultes”. Même si l’enfant ne comprend pas, il entend rire ses parents. C’est important pour un enfant d’entendre ses parents rire. Le spectacle de clown permet cela. Ce qui se passe dans la salle est souvent plus important que le spectacle lui-même. Créer un spectacle, c’est comme violenter l’intimité universelle avec le poème. 1 Voir site de la Compagnie : http://www.compagnie-entreprise.fr/


14

LA TRANSMISSION PAR LE CORPS DE DEUX ŒUVRES MAJEURES Sylvie Le Quéré est danseuse et chorégraphe de la Compagnie Grégoire and Co 1. Dans son nouveau projet “West Side Memory”, inspiré de “West Side Story” et de “Roméo et Juliette”, Sylvie Le Quéré transmet le “prologue” de la pièce à des collégiens et lycéens et montre la pertinence, cinquante ans plus tard, de reprendre cette œuvre au contact d’adolescents. QU’EST-CE QUE “WEST SIDE MEMORY” ? Dans “West Side Memory”, trois femmes, trois générations, réinterrogent les grands thèmes des deux œuvres : la notion de territoire, l’identité, la dualité, la différence, l’amour. Autant de sujets qui permettent d’ouvrir les échanges avec les adolescents. Mais c’est aussi l’histoire du jazz, d’un vocabulaire, d’une danse, ancêtre des danses que les jeunes côtoient aujourd’hui. Les collégiens et lycéens, à qui le prologue de la pièce est transmis, se réapproprient des matériaux qu’ils pensaient loin d’eux et en font quelque chose qui leur appartient.

QUAND LA CRÉATION ARTISTIQUE REPLACE LE CORPS AU CŒUR DU QUOTIDIEN… Pour Sylvie Le Quéré, le corps a une mémoire du passé (elle parle de “corps fantôme”) et le travail du corps sur un plateau permet de libérer ses fantômes et de les exprimer plus librement. Sur un plateau, les jeunes peuvent plus facilement se permettre d’aimer,

de vivre et d’incarner des actes pulsionnels, à condition d’y être amenés. Les exercices d’improvisation aident à parcourir ce chemin. La chorégraphe parle notamment d’une séance où les jeunes avaient d’abord travaillé sur le conflit et après s’être bagarrés sur le plateau, ont pu plus facilement ensuite se toucher, “s’aimer”. L’objectif était de transformer ces actes concrets retrouvés en mouvements poétiques dansés. Pour Sylvie Le Quéré, travailler avec des adolescents, c’est d’abord reconquérir le corps. Dans notre quotidien, on est rarement dans l’axe du corps sensible. Dès l’école primaire, “on accroche les corps sur des porte-manteaux”, les cages thoraciques et les bassins sont emprisonnés derrière des bureaux. L’adolescent vit dans un corps qui se transforme, c’est aussi pour cela qu’il a beaucoup de choses à dire, il suffit juste de l’écouter.

QUAND L’ARTISTE S’ENGAGE AUPRÈS DES ADOLESCENTS… Ce qui transparaît à travers le projet et les mots de Sylvie Le Quéré, c’est son engagement artistique et humain auprès des jeunes, sa curiosité envers ce qu’ils sont, sa prise de conscience du monde dans lequel ils évoluent et les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Elle est profondément convaincue que c’est grâce à la transmission, par le corps, de notre patrimoine artistique que l’on crée des racines et que l’on transforme le regard. 1

Voir site de la Compagnie : http://www.ciegregoireandco.fr/


15

QUAND LES JEUNES S’EMPARENT DU SLAM POUR FAIRE CAMPAGNE Goulven Le Gal est slameur, musicien et rappeur. Il fait notamment partie des groupes Kickblast et Alktraxx. Il a participé avec d’autres slameurs au projet “Mon slam, ma campagne”. William Domenech est coordinateur du projet “Mon Slam Ma Campagne” à Itinéraires Bis. Ils sont accompagnés par trois jeunes participants au projet, Douchna, Louison et Eva. Le projet “Mon slam, ma campagne” a été conçu et mis en œuvre par Itinéraires Bis, l’association La ContreMarche et l’Espace Victor Hugo de Ploufragan. Il s’agissait d’inviter les jeunes à faire entendre leur projet de campagne présidentielle sous la forme d’un slam. Une prise de parole individuelle sur les questions collectives de la cité, du vivre ensemble présent et à venir à travers le poids des mots et des figures poétiques.

DU PROJET AUX ATELIERS DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES Le projet s’inscrit dans la continuité de scènes ouvertes slam organisées depuis 2003 par Itinéraires Bis, le centre Culturel de Ploufragan et l’association La Contremarche. L’envie était d’ouvrir le slam à d’autres personnes et d’associer jeunesse et actualité politique en regard de la campagne présidentielle pour permettre à chacun de présenter son programme à travers un slam. Quatre établissements ont participé à l’ensemble du projet, au total 120 élèves concernés par des ateliers encadrés par un slameur et répartis sur quatre semaines (à raison de 8 heures d’atelier au total) pour la réalisation d’un slam présenté lors d’un 1er tour à l’automne 2011 et lors d’un 2e tour en avril 2012. Avant le lancement des ateliers, William Domenech et Goulven Le Gal ont rencontré les élèves pour leur présenter le projet mais aussi le slam, car contrairement aux idées reçues, les jeunes ne connaissent pas vraiment le slam. Mais, “au bout de deux séances avec Goulven, tout le monde était conquis, alors qu’à priori, la moitié de la classe n’était pas emballée au départ par le slam” témoignent les participants. Pour Goulven, le slam, c’est écrire pour dire, mais c’est aussi écouter, respecter ce que l’autre a à dire. Pour que cela fonctionne entre l’artiste et les jeunes, il faut instaurer une confiance mutuelle afin de “construire ensemble”. Goulven part du postulat qu’il a en face de lui avant tout des individus, et non pas des adolescents avec des problématiques spécifiques.


16

DE L’ÉCRITURE AUX SESSIONS SLAM

UNE SUITE AU PROJET ?

La session slam devant un public était ritualisée et soigneusement préparée afin que les jeunes soient le plus à l’aise possible sur scène : préparation du corps avec un danseur, répétitions avec Goulven, présence d’un maître de cérémonie. “Les sessions slam ont représenté un moment de partage fort et émouvant car la qualité d’expression était propre et singulière aux jeunes slameurs” précise William Domenech.

Fort du succès de “Mon slam, ma campagne” et de la révélation de certains jeunes à travers le slam, une suite au projet, intitulée “Au slam, citoyens”, a été imaginée avec les différentes partenaires, toujours en lien avec l’actualité. La 1ère session “Crise en thème” a eu lieu à la Toussaint 2012 et la 2e session “J’irai slamer sur vos tombes” se déroulera en avril 2013 autour du thème de l’altérité.

Seuls les élèves qui le souhaitaient ont réalisé leur slam sur scène. Goulven Le Corre précise en effet que, pour lui, la finalité du projet n’était pas de monter sur scène mais “d’avoir” un individu qui prend un crayon, écrit et partage ensuite avec les autres au sein de l’atelier. À l’école, on demande un rendu grammaticalement et orthographiquement parfait, cela peut inhiber et rendre l’accès à l’écriture plus difficile. Ce qui est important, c’est d’amener les individus à écrire comme ils sont et à produire un son, une musicalité qui soit en accord avec ce qu’est la personne. Un des participants illustre bien cela en disant : “on avait une totale liberté de nous approprier les mots et de traduire notre pensée sur le papier. L’artiste était là pour nous guider”.


LES QUESTIONS DU PUBLIC


18

1

La classe à PAC (circulaire n° 2001-104 du 14 juin 2001) est un dispositif d’action culturelle qui permet à l’enseignant (premier ou second degré) de proposer, dans le cadre à la fois des horaires et des programmes, une expérience artistique et culturelle pour tous les élèves de la classe (et non les seuls volontaires). Elle se déroule avec le concours d’artistes et de professionnels de la culture qui interviennent entre 8 et 15 heures par an. Le rectorat et la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) valident les contenus et les financements des classes à PAC.


19

Après ces expériences, est-ce qu’il y a saisissement de la part des jeunes d’une pratique artistique ? Pascal Banning Suite à la création avec Fabrice Melquiot au CDR de Vire, qui a concerné cinq jeunes, sans aucune pratique théâtrale préalable, un des jeunes a été pris au conservatoire de Caen. Dominique Bérody Je connais beaucoup d’exemples de jeunes qui ont continué à pratiquer la danse et même à en faire leur métier. Mais je pense aussi à un papa qui, parce qu’il a vu son garçon danser dans le cadre d’un projet à l’école, l’a autorisé par la suite à pratiquer la danse. William Domenech Suite au projet “Mon slam, ma campagne”, quelques jeunes du collège de Quintin ont eu une révélation d’eux-mêmes à euxmêmes et dans leurs relations aux autres et certains continuent à écrire. Elisabeth Crusson du Théâtre de l’Athénor à Saint-Nazaire On en est revenu du “jeune spectateur” qui serait un spectateur de demain. Le jeune spectateur est spectateur aujourd’hui, les enseignants et les artistes ouvrent des portes sur des mondes nouveaux, inconnus. Après, certains auront peut-être une pratique artistique, mais si déjà ils ont eu un contact avec le monde de la création artistique, c’est déjà beaucoup. C’est important que l’institution ait reconnu la place de l’artiste à l’école avec Jack Lang en mettant en place notamment les classes à Projet Culturel et Artistique (PAC)1. Aujourd’hui, les choses se détériorent mais il y a d’autres relais menés par les territoires et les collectivités locales et c’est important de les défendre.

Vous nous avez fait part de témoignages d’enfants, auxquels la rencontre avec l’art a permis de trouver un équilibre. Quel regard en tant que clinicien portez-vous sur l’expérience dont a témoigné Joseph Rossetto ? Jean-Luc Mahé Je suis sensible à l’expérience de Joseph Rossetto car avant d’être psychologue et psychanalyste, j’étais instituteur et directeur d’école. Dans une petite école à La Baule, chaque semaine, un après-midi, on ouvrait les portes des trois classes et on laissait entrer la subversion de l’art. Venait un écrivain, un comédien. L’école était devenue un lieu où les enfants revenaient pendant les vacances scolaires pour créer. Oui cela produit des effets. Au festival d’Avignon, j’ai vu jouer un de mes élèves, qui avait participé à cette expérience, et qui est devenu comédien. Une autre de mes élèves est devenue directrice d’un théâtre. Ce que fait Joseph Rossetto, c’est le supplément d’âme de l’école. C’est avec l’inconscient qu’on invente sa vie et l’art est la part d’inconscient qui rentre à l’école. L’inconscient, c’est l’autre en soi, l’étranger en soi. Des expériences comme celles-là permettent de sortir cet étranger de soi et de le mettre à la bonne distance.


20

CONCLUSION À un des questionnements rappelés en préambule par Jean-Luc Weinich, le modérateur de la journée : “L’expérience de la création artistique auprès d’un public adolescent consiste-t-elle en l’acquisition d’un savoir-faire ou tout simplement d’une connaissance, d’une approche sensible du monde de l’art ?”, la réponse semble, au regard des différents témoignages et notamment de la part des jeunes, assez unanime. Ce qui importe, ce n’est pas tant la transmission d’une discipline artistique, mais ce que le théâtre, la danse, l’écriture, apportent à l’adolescent dans la construction de son être, ce qu’elle éveille chez lui. Tout le monde s’accorde à dire que la pratique d’un art joue bien souvent le rôle d’un révélateur, d’une valorisation de la personne (à ses propres yeux et à ceux de son entourage), particulièrement en question durant ce passage délicat qu’est l’adolescence. Le point de vue d’un psychanalyste, tel que Jean-Luc Mahé, nous apporte un éclairage sur ce qui se joue à l’adolescence : comment cette transition entre l’enfance et l’âge adulte vient bouleverser et chahuter le corps et l’esprit du jeune et comment l’art, par ce qu’il abrite de rêves et de fantasmes, peut venir le rencontrer. Les témoignages de Joseph Rossetto et de Sylvie Le Quéré mettent l’accent sur l’importance de la “reconquête” de son corps et de ses racines que peut permettre la pratique artistique pendant cette période de l’adolescence où le corps ne cesse de se transformer et où la quête d’identité est forte. Joseph Rossetto parle de “la prise de conscience de ces corps souvent désarticulés et maladroits mais qui révèlent un imaginaire, ce qu’il y a de plus intime, de plus vivant en eux”. Le rôle de chacun dans l’accompagnement de l’adolescent est essentiel. Celui de l’école et des enseignants bien sûr, mais aussi celui de l’artiste intervenant à l’école en cela qu’il ouvre des possibles dans la rencontre entre les jeunes et une matière artistique dont ils se pensent souvent éloignés, et finalement eux-mêmes. François Cervantès rappelle l’importance d’un dialogue entre le théâtre et l’école et l’intérêt de collaborer entre artistes et enseignants. Chacun, qu’il soit enseignant, artiste, éducateur, animateur, psychanalyste, acteur culturel, élu d’une collectivité territoriale, a un rôle complémentaire à jouer. C’est d’autant plus essentiel aujourd’hui, dans un contexte de crise économique et de société de surconsommation, où le marché du travail et l’argent ont une place prépondérante dans la vie des adolescents, laissant peu de place à l’art et à la culture. Philippe Sachet conclut en rappelant que le rôle de chacun présent à cette journée est aussi de sensibiliser notre entourage à la pertinence de la rencontre entre l’artiste et l’adolescent, afin de contribuer à agrandir notre cercle de réflexion, pour “faire bouger les marges” et continuer à mettre en place des projets artistiques synonymes de plaisir et d’émancipation pour la jeunesse.


21

La jeunesse est aujourd’hui au cœur du projet mené par Itinéraires Bis. Il est en effet plus que jamais nécessaire, dans une époque agitée par les turbulences du monde, de réaffirmer, dans une vision humaniste et sociale, le rôle essentiel joué par la culture dans la construction de chacun, en priorité chez les jeunes. Comment faire naître ou accompagner le désir de culture et de découverte artistique chez les adolescents ? Comment faire en sorte que cette période fondamentale soit un espace de curiosité, d’épanouissement, voire de création artistique ? Comment donner de l’appétit ? Face à ces enjeux culturels, artistiques, sociaux et éducatifs, Itinéraires Bis a créé le label “Pas Sages”, un programme départemental d’actions co-construites en milieu scolaire ou hors milieu scolaire pour les 12-25 ans. Les actions mises en place dans le cadre de Pas Sages s’étendent de septembre à juin. Elles sont de différentes natures : résidences d’artistes (création, diffusion et action culturelle, jumelages), diffusions artistiques (spectacle vivant et arts visuels) donnant lieu à des actions culturelles et de médiation (ateliers de pratique, sensibilisations, expériences, rencontres, conférences…). Expression de la transversalité du projet d’Itinéraires Bis, les intervenants sont tous des artistes professionnels, soutenus également pour la plupart au titre de leur création et / ou diffusés dans le cadre d’Objectif 373. Dans tous les cas, il s’agit de favoriser les conditions de la rencontre entre les artistes et les habitants, ici les plus jeunes, de dépasser les étiquettes en installant un climat de complicité qui privilégie sur la durée la dimension humaine de la relation. Le cadre idéal de cette rencontre est celui de la résidence par laquelle un artiste est invité à venir travailler dans les murs d’un établissement scolaire, d’une structure sociale ou culturelle. Et si participer à un projet culturel et artistique devenait pour les jeunes synonyme de plaisir et d’émancipation ? Ce pari, Itinéraires Bis le fait ! PARTENAIRES établissements scolaires (collèges, lycées, universités et écoles supérieures), structures et établissements culturels, associations d’éducation populaire, MJC, Collectivités (service jeunesse et culturel), structures sociales (Foyer de jeunes travailleurs…), écoles d’enseignement artistique (école de musique, danse…) PARTENAIRES INSTITUTIONNELS Inspection Académique, Délégation Académique à l’éducation artistique et Culturelle (DAAC), Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne, Conseil régional de Bretagne, Conseil général des Côtes d’Armor PLUS D’INFORMATIONS SUR http://www.itineraires-bis.org/pas-sages.html Téléchargez le programme de la saison 2012-2013 http://www.itineraires-bis.org/fichiers/article/2012/pas_sages/programme%20WEB%20pas%20sages% 2012-13.pdf


22

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE LIVRES Amsellem Guy Traces… pour l’éducation artistique éditions 00h00.co Paris / 1999 Buffet Françoise Entre école et musée — Le partenariat culturel d’éducation PUL, Lyon / 1999 Bruner Jérôme L’éducation entrée dans la culture — Les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle Retz / 2008 Carasso Jean-Gabriel L’éducation artistique : un nouvel enjeu pour les collectivités territoriales — Autour du spectacle vivant et du théâtre en particulier CRDP des Pays de la Loire / 2003 Carasso Jean-Gabriel Théâtre, éducation jeunes publics : un combat… peut en cacher un autre Lansman/Regards singuliers / 2000 Carasso Jean-Gabriel Nos enfants ont-ils droit à l’art et à l a culture — Manifeste pour une politique de l’éducation artistique éditions de l’Attribut Toulouse / 2005 Cervantes François La table du fond (théâtre) éditions Maison / 2006 Cervantes François Silence (théâtre) éditions Maison / 2010 Clément Jérôme La culture expliquée à ma fille Seuil / 2012 Collectif Évaluer les effets de l’éducation artistique et culturelle — Symposium européen et international de recherche, 10, 11 et 12 janvier 2007 La Documentation française, Centre Georges Pompidou Paris / 2008 Collectif RPM Enseigner l es musiques actuelles ? RPM éditions Mantes-la-Jolie / 2012

Conseil Général de Savoie Les arts, les autres etc. édition La passe du vent Genouilleux / 2008

Mecheri Hervé, Panorama – art & jeunesse, Les Publications de l’INJEP Marly-le-Roi / 2007

Delpierre Jean-Christophe L’art à l’école — Pour les profs, les parents et les élèves Beaux Arts magazine

Ministère de l’Éducation Nationale Le plan pour les arts et la culture à l’école Paris / 2001

Facchinetti Patrick Des aventures culturelles, guide pratique des actions culturelles et artistiques pour les mineurs sous protection judiciaire, Cultures, publics et territoires Paris / 2010 François Jean-Charles Enseigner la musique n° 11 CEFEDEM Rhône-Alpes Lyon / 2010 Fize Michel L’Adolescence pour les nuls — sociologie de la famille et de la jeunesse First editions Paris / 2010 Gutton Philippe Le génie adolescent Odile Jacob Paris / 2008 Henri Catherine Le professeur sentimental éditions P.O.L. Paris / 2005 Lacadée Philippe Le malentendu de l’enfant Payot Lausanne / 2004 Lacadée Philippe L’éveil et l’exil Cécile Defaut Nantes / 2007 Lauret Jean-Marc L’éducation artistique et culturelle en France Paris, Ministère de la Culture et de la Communication / 2005 La 27e région, labo de transformation publique Design des politiques publiques La Documentation française / 2010 Lismonde Pascale Les arts à l’école – Le plan de Jack Lang et Catherine Tasca Gallimard/Folio / 2002 Macian Marie-Pierre, Fanjas Philippe Prêtez l’oreille ! Livre blanc des actions éducatives des orchestres Association française des orchestres Paris / 2003

Monferier Claire La culture au secours de l’école : pour une pédagogie renouvelée L’harmattan / 1999 Planson Cyrille Accompagner l’enfant dans sa découverte du spectacle La Scène/Millénaire Presse Nantes / 2008 Poulot Dominique, Pire Jean-Miguel et Bonnet Alain L’éducation artistique en France - Du modèle académique et scolaire aux pratiques actuelles, XVIIIe-XXIe siècles PUR, Collection Art et Société Rennes / 2010 Pujas Philippe et Ungaro Jean Une éducation artistique pour tous ? Policultures/érès Cahors / 1999 Rafouly Annie-Hélène Devenir spectateur CNDP Limousin Limoges / 2000 Ministère de l’Éducation Nationale L’art à l’école — Enseignement et pratiques artistiques Paris / 1993 Ranciere Jacques Le maître ignorant — cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle Fayard / 2010 Rossetto Joseph Une école pour les enfants de Seine-Saint-Denis L’Harmattan / 2004 Rossetto Joseph Jusqu’aux rives du monde — Une école de l’expérience Coffret livre-DVD, Striana Paris / 2007 Toulemonde Bernard Le système éducatif en France La Documentation française coll. Les Notices Paris / 2009

Viel Tanguy et les élèves du lycée Alfred Nobel de Clichy-sous-Bois Ce jour-là éditions Joca Seria Nantes / 2012 Winnicott D.W. Jeu et réalité éditions Gallimard Collection Folio Essais 1975

MAGAZINES Trait d’union n°3 L’auteur de théâtre dans la classe, ANRAT, Paris mars 2003 Trait d’union n°6 L’évaluation, ANRAT, Paris avril 2004 Trait d’union n°8 Pour la présence régulière des arts et des artistes à l’école ANRAT, Paris février 2005 Trait d’union n°13 Éducation artistique et culturelle : quand ? ANRAT, Paris avril 2007 Trait d’union n°14 Éducation artistique : le partenariat ANRAT, Paris juillet 2007 Trait d’union n°16 Les pratiques théâtrales à l’école et la question du handicap ANRAT, Paris septembre 2008 Trait d’union n°17 L’école spectateur – Les études théâtrales en classes préparatoires : une utopie devenue réalité ANRAT, Paris juin 2009 La Scène n°49 Résidence d’artistes Nantes / 2008 La Scène n°66 Médiation artistique et culturelle : les innovations Nantes / 2012

RESSOURCES INTERNET Publications d’Emmanuel Wallon, sociologue politique des arts http://e.wallon.free.fr (rubriques publications)



CETTE JOURNÉE ORGANISÉE PAR ITINÉRAIRES BIS S’EST DÉROULÉE LE 24 NOVEMBRE 2012 À LAMBALLE DANS LE CADRE DU TEMPS FORT PAS SAGES.

graphisme - stéphanie triballier - www.lejardingraphique.com / Licence d’entrepreneur de spectacles cat.2 - 2-1029156 / cat.3 - 3-1029157

SYNTHÈSE RÉALISÉE PAR STÉPHANIE CUREAU


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.