IN VIVO #23

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Penser la santé

N° 23 – SEPTEMBRE 2021

DOSSIER

FEMMES, CHERCHEUSES ET MÉDECINS GENRE / CARRIÈRE / COLLABORATION

VÉGANISME Entre bienfaits et carences COMA Plongée dans les mystères d’un organisme à l’arrêt INTERVIEW Le point de vue de Boris Cyrulnik Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LA PILOSITÉ


« Un coup de foudre immédiat. » Pascal M., Genève

ABONNEZ-VOUS À IN VIVO « Un magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs. »

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Swissnex, Brésil

Penser la santé

N° 19 – DÉCEMBRE 2019

« Super mise en page ! »

MAIN BIONIQUE

Ce nouveau type de prothèse est relié au cerveau.

MAIN BIONIQUE

TOUCHER, BOUGER, SENTIR ? IN VIVO N° 19 – DÉCEMBRE 2019

Laure A., Lausanne

EBOLA Comment les vaccins ont été conçus à Lausanne et à Genève SOCIÉTÉ Ces couples qui ne veulent pas devenir parents INTERVIEW Pierre-François Leyvraz sur ses onze ans à la tête du CHUV Édité par le CHUV www.invivomagazine.com

Penser la santé

Penser la santé

VIRUS

COVID-19

N° 23 – SEPTEMBRE 2021

FEMMES ET RECHERCHE

N° 22 – AVRIL 2021

COMBATTRE LE VIRUS

DOSSIER SPÉCIAL /

DOSSIER

REPORTAGE PHOTO /

FEMMES, CHERCHEUSES ET MÉDECINS

DOSSIER

TÉMOIGNAGES

MATERNITÉ Quand l’accouchement crée des angoisses THÉRAPIE Les bienfaits des selles ADDICTION Les Suisses face au fléau des cachets Édité par le CHUV www.invivomagazine.com

IN VIVO N° 22 – AVRIL 2021

IN VIVO N° 20 – JUIN 2020

LA SCIENCE FACE AUX VIRUS

IN EXTENSO 24 HEURES DANS LA PEAU D’UN ATHLÈTE

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GENRE / CARRIÈRE / COLLABORATION

TRANSMISSIONS / VARIANTS / VACCINS

OBESITÉ Maladies cardiovasculaires, dépression et grossophobie NUISANCES Quand le bruit fait (très) mal FERTILITÉ Ces femmes qui font congeler leurs ovocytes Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LES DENTS

IN VIVO N° 23 – SEPTEMBRE 2021

Isabelle G., Lausanne

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Penser la santé N° 20 – JUIN 2020

COVID-19

« Vos infographies sont géniales, faciles à comprendre et adaptées au public auquel j’enseigne. »

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IN EXTENSO LA SANTÉ DES SUISSES

VÉGANISME Entre bienfaits et carences COMA Plongée dans les mystères d’un organisme à l’arrêt INTERVIEW Le point de vue de Boris Cyrulnik Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LA PILOSITÉ

Seule une participation aux frais d’envoi est demandée (20 francs).


IN VIVO / N° 23 / SEPTEMBRE 2021

SOMMAIRE

IN SITU

7 / HEALTH VALLEY Health Valais : un vivier technologique pour la santé

17 / AUTOUR DU GLOBE Une biobanque pour comprendre le Covid-19

FOCUS

19 / DOSSIER PAR YANN BERNARDINELLI, STÉPHANIE DE ROGUIN, CAROLE EXTERMANN ET ERIK FREUDENREICH

En cette période de pandémie, on mesure plus que jamais l’utilité de la poubelle à pédale. L’heure est venue de rendre hommage à son inventrice, Lillian Moller Gilbreth (1878‒1972), designer californienne à la carrière éblouissante. À 18 ans, elle s’inscrit à l’université contre l’avis de son père et décroche des doctorats en littérature et en psychologie appliquée. Elle lance une firme d’ingénierie avec son mari puis, à la mort de ce dernier, gère seule l’entreprise tout en élevant leurs 12 enfants. Dotée d’un solide sens de l’humour, elle répondait « ils sont moins chers à la douzaine » quand on lui demandait comment elle avait pu fonder une famille aussi nombreuse.

Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5.- en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.

SMITHSONIAN INSTITUTION FROM UNITED STATES

Être femme, chercheuse et médecin


SOMMAIRE

61

70 66 MENS SANA

CORPORE SANO

CURSUS

38 / INTERVIEW

56 / PROSPECTION

77 / ÉCLAIRAGE

Boris Cyrulnik : « Nous avons besoin des autres pour exister » PAR FABIENNE PINI SCHORDERET

42 / DÉCRYPTAGE

Génération covid : de la solitude à la reconstruction PAR ADRIANA STIMOLI

80 / PARCOURS

60 / TENDANCE

Le portrait de Marguerite-Marie Tollet-Delange

La santé, otage des inégalités sociales

Les véganes tournent-ils vraiment à plein régime ?

Newsweek : Les coulisses du classement

PAR PATRICIA MICHAUD

PAR DOROTHÉE BLANCHETON

64 / TABOU Visite chez l’urologue

45 / PROSPECTION

PAR CLÉMENT ETTER

Et si 13 millions de soignants venaient à manquer…

66 / DÉCRYPTAGE Plongée dans les mystères du coma

PAR BLANDINE GUIGNIER

PAR AUDREY MAGAT

48 / TENDANCE Une Terre, une seule santé

70 / EN IMAGES

PAR ERIK FREUDENREICH

PAR AUDREY MAGAT

Urgences à toute vitesse

Quand la télémédecine atteint ses limites PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

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HEIDI DIAZ, CC

51 / COULISSES


Éditorial

L’ÉCLIPSE DU FÉMININ

GILLES WEBER

PR PHILIPPE ECKERT Directeur général du CHUV

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Parler de la place des femmes dans l’histoire de la médecine, c’est évidemment contempler de célèbres figures. Les pionnières des soins Florence Nightingale et Elizabeth Blackwell, la virologue Françoise Barré-Sinoussi, ou encore l’incontournable radiochimiste Marie Curie, dont il est dit qu’après la mort de son mari, elle éleva seule ses filles tout en menant brillamment de front ses travaux révolutionnaires. Ces portraits de légendes peuvent cependant avoir le travers de nous faire croire que la situation des femmes est solidement établie dans le monde de la recherche. Or pour chacune de ces illustres scientifiques, combien de chercheuses prometteuses ont raccroché leur blouse prématurément dans l’indifférence générale ? « Choisir, c’est renoncer » disait André Gide. Encore aujourd’hui, pour de nombreuses femmes, trouver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle se résume à faire un choix : carrière ou enfants. Déjà stigmatisées par des congés maternité considérés comme des « retards » pris dans leur parcours, elles ne bénéficient pas toujours de la même flexibilité que leurs homologues sans enfants, assumant souvent la plus grande partie de la charge mentale liée à la parentalité. Pour certaines, le choix de suspendre leurs travaux, parfois définitivement, s’impose. Ces injustices qui nous semblent dater d’un autre temps sont encore une réalité avec laquelle nombre de scientifiques doivent composer. Au niveau académique, 57% des postes d’assistant-e doctorant-e sont occupés par des femmes. Cette proportion diminue à 46% au rang postdoctorant, pour finir à 25% au niveau du corps professoral. Malgré tous les efforts engagés jusqu’à présent, le constat est sans appel : dans nos murs, et dans de trop nombreuses institutions encore, les chercheuses se heurtent à un plafond de verre. Il est vrai que de nouvelles Marie Curie se font connaître régulièrement, comme des exceptions qui confirmeraient la règle. Mais ces quelques histoires remarquables ne doivent pas nous bercer d’une illusoire satisfaction sur l’état du combat pour l’égalité des chances dans la recherche. Les réformes doivent se poursuivre et nous devons redoubler d’efforts pour anticiper et accompagner les carrières féminines. Compte tenu de la contribution des femmes à l’histoire de la médecine jusqu’à présent, il serait plus que judicieux de tout mettre en œuvre pour éviter l’éclipse du féminin dans la recherche. /


IN SITU

HEALTH VALLEY

Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ».

IN SITU

HEALTH VALLEY Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

LAUSANNE

RENENS P. 9

Des lunettes de protection produites en FabLab

GENÈVE 4


BIENNE P. 10

Ouverture d’un « drug checking »

NEUCHÂTEL P. 6

Un bracelet intelligent qui mesure la pression artérielle BERNE

FRIBOURG

SION P. 7

Un vivier technologique en matière de santé

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IN SITU

HEALTH VALLEY

Soigner l’angor

START-UP

IMPLANT Une prothèse miniature a été implantée chez une patiente atteinte d’angor, une forme sévère d’angine de poitrine. Cette intervention s’est déroulée le 26 mars au Service de cardiologie des HUG. Le dispositif vise à améliorer de manière significative les symptômes d’angor et la qualité de vie des personnes sans alternative de traitement.

ACTIVATION PULMONAIRE

Le groupe allemand Dräger, basé en partie à Lausanne, a acquis début avril la majorité des parts de la medtech bernoise Stimit. Cette acquisition permet au groupe allemand d’étendre son expertise dans le domaine de la ventilation protectrice des poumons. Stimit conçoit des solutions visant à aider les patients sous ventilation artificielle à respirer seuls durant leur séjour en soins intensifs.

NEURORÉHABILITATION

Établie à Épalinges, Gondola Medical Technologies développe des dispositifs afin d’améliorer la qualité de vie des patients touchés par des troubles neurologiques tels que des AVC, la maladie de Parkinson et l’ataxie. La société lausannoise a obtenu un prêt Tech Growth de 500’000 francs de la Fondation pour l’innovation technologique, qui sera consacré à la recherche et au développement.

Une technologie oncologique utile contre les virus MEDTECH Une équipe de recherche des HUG et de l’Université de Genève, avec leur spin-off conjointe MaxiVAX, a développé une technologie innovante appelée « encapsulation cellulaire ». La pandémie de Covid-19 a incité l’équipe de recherche à élargir le champ d’application de sa technologie, conçue à l’origine pour stimuler le système immunitaire afin de lutter contre le cancer, dans l’optique de tester son efficacité contre les virus. Les premiers résultats jugés très encourageants d’une étude pré-clinique ont été publiés dans la revue Vaccines.

L’OBJET

UN BRACELET POUR MESURER L’HYPERTENSION La medtech Aktiia, basée à Neuchâtel, lance un bracelet intelligent capable de mesurer la pression artérielle en continu. Le dispositif connecté analyse le changement de diamètre artériel puis transmet l’information à une application. L’utilisatrice ou l’utilisateur peut consulter ses données et les partager avec son médecin. Une innovation qui permettra de mieux diagnostiquer l’hypertension et de gérer les risques qui y sont liés.

SCLÉROSE EN PLAQUES

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« Le refus des États de financer davantage l’OMS est irresponsable » ILONA KICKBUSCH LA PRÉSIDENTE DU GLOBAL HEALTH CENTRE DE L’IHEID, DÉPLORE LE RÉSULTAT DES DISCUSSIONS MENÉES PENDANT LA 74E ASSEMBLÉE MONDIALE DE LA SANTÉ, QUI S’EST TENUE VIRTUELLEMENT EN MAI POUR TRAITER ESSENTIELLEMENT DE L’ÉTAT ACTUEL DE LA PANDÉMIE DE COVID-19.

NEOVASC, DR

Anokion annonce avoir lancé le premier essai sur l’être humain de son second vaccin candidat ANK-700 pour le traitement de la sclérose en plaques. La biotech lausannoise se concentre à la fois sur les formes rares et prévalentes de maladies auto-immunes, dont la maladie cœliaque, la sclérose en plaques et le diabète de type 1.


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HEALTH VALLEY

Health Valais : un vivier pour la santé Le canton alpin se profile dans les technologies médicales. Les entreprises et les hautes écoles y travaillent en synergie pour faire avancer la recherche.

INNOVATION Dans son bureau à Sierre, avec vue sur les sommets enneigés, le professeur Henning Müller commence sa journée de travail. Il est 10h et, comme nombre de ses collègues, il vient de randonner deux heures avant de se mettre à son poste. Le professeur en informatique de gestion à la HES-SO Valais-Wallis le reconnaît : le Valais offre un cadre propice à ses travaux de recherche. Et pas seulement en termes d’activités de montagne. « C omme nous sommes dans une zone périphérique, c’est plus facile pour les stagiaires de trouver un appartement. Il y a moins de bouchons qu’ailleurs, ce qui permet de se concentrer sur le travail. »

DR, PHOTOVAL / VALÉRIE PINAUDA

Et du travail, il y en a. L’environnement de recherche, de start-up et d’innovation s’est largement développé en Valais ces quinze dernières années. Si bien que l’on n’évoque plus la Health Valley sans citer le canton. « Nous recevons peu de financements, cela nous force à travailler avec les entreprises, qui nous aident dans nos recherches », poursuit le professeur. Son équipe et lui travaillent actuellement à la création d’une base de données d’images de cancer, pour aider le processus de décision des histopathologues. Budget : 5 millions d’euros sur quatre ans. Nouvelles thérapies prometteuses Forte de ses neuf instituts de recherche, la HES-SO Valais pourvoit le canton en projets concrets et en main-d’œuvre qualifiée. Le directeur de la Haute école d’ingénierie, Gaëtan Cherix, évoque les travaux du professeur Origène Nyanguile. « Son projet de marqueurs, visant à déterminer si un traitement contre le cancer a des chances d’être efficace, est développé avec l’entreprise Debiopharm, qui possède un laboratoire à Martigny. » Le professeur Gerrit Hagens 7

TEXTE : LAURENT PERRIN

travaille de son côté sur de nouvelles thérapies basées sur les cellules CAR T (Chimeric Antigen Receptor T-cells). Il espère traiter des leucémies avant de s’attaquer à d’autres types de cancers. Son laboratoire développe également des anticorps thérapeutiques. La haute école a signé un ambitieux partenariat stratégique avec la société Lonza sur dix ans, visant tant la formation de futur-e-s ingénieur-e-s que la réalisation de projets de recherche appliquée et de développement. L’entreprise, qui produit le vaccin de l’américaine Moderna contre le Covid-19, poursuit sans relâche le développement de son site de Viège : elle a encore annoncé début mai de nouveaux investissements, de l’ordre de 650 millions de francs, destinés à la construction d’installations pour la fabrication de médicaments biologiques. Un projet à l’horizon 2024, qui doit permettre d’embaucher 300 collaboratrices et collaborateurs supplémentaires sur le canton.

EN HAUT : LE CAMPUS PÔLE SANTÉ DE SION. AU MILIEU, SÉBASTIEN MABILLARD, RESPONSABLE DE L’INCUBATEUR THE ARK. EN BAS, LA RECHERCHE BAT SON PLEIN EN VALAIS.

Évoquant Lonza à Viège, mais aussi Syngenta à Monthey, ou l’EPFL à Energypolis Sion, Sébastien Mabillard, responsable de l’incubateur The Ark, souligne : « Cela fait quelques années que l’on travaille aux synergies entre le monde de la recherche, les entreprises et les écoles. » La fondation initiée par le canton se voit comme une plateforme « intégrative et inclusive » de tous ces acteurs, notamment dans les domaines des sciences du vivant et de la santé connectée. /


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HEALTH VALLEY

3 QUESTIONS À

SERGE BIGNENS

LE PROFESSEUR EN INFORMATIQUE MÉDICALE À LA HAUTE ÉCOLE SPÉCIALISÉE BERNOISE A PARTICIPÉ À LA CRÉATION DE L’ORGANISATION CH++, AUX CÔTÉS D’UNE DIZAINE DE PERSONNALITÉS. L’ENTITÉ VISE À RATTRAPER LE RETARD DE LA SUISSE EN MATIÈRE DE NUMÉRISATION, NOTAMMENT DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ. EN QUOI CONSISTE L’INITIATIVE CH++ ?

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CH++ est née du décalage que l’on observe entre une Suisse moderne, inventive, précise et des indicateurs qui sont à l’opposé de cette image. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) nous a classés dans le dernier quart du peloton européen en termes de digitalisation. En matière de santé numérique, la Suisse se situe en 24e position sur 27. Dans les administrations et la politique, on peut constater un manque de transparence, de méthodologie et de compétence au niveau des nouvelles technologies. Ces symptômes, révélés avec la pandémie, étaient déjà bien connus avant.

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OÙ EN EST L’OBLIGATION DU DOSSIER ÉLECTRONIQUE DU PATIENT ?

97%

Cependant, le fait que chaque citoyen-ne puisse disposer de ses données et les partager, le cas échéant, est important pour la continuité des soins. Le Conseil fédéral a décidé de ne réguler que la partie technique et la sécurité de la plateforme. Nous nous rendons compte que c’est largement insuffisant, le démarrage est un peu timide. L’autoroute existe, mais pas encore les bretelles de raccordement ni le GPS.

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MALGRÉ DES DÉLAIS SERRÉS, LE CERTIFICAT COVID A-T-IL ÉTÉ BIEN PENSÉ ?

À Bienne, dans l’Institut d’informatique médicale (I4MI), que je dirige, nous avons conçu au mois d’avril 2020 une application mobile qui permet à chacune et chacun de documenter ses symptômes. Cela nous a pris trois semaines et demie. Nous l’avons déployée en six langues, et rendue disponible sur Apple et Google Play. Une telle démarche est donc faisable. La fonctionnalité du certificat covid doit être réduite. L’objectif est que cette application soit minimale, par un principe d’économie des données à gérer. Mais je suis persuadé que cet outil sera pertinent. /

C’est le pourcentage de diagnostics corrects obtenus par un algorithme entraîné sur un corpus de près de 8000 images de torse aux rayons X. Cette prouesse a été observée lors d’une étude faite à l’Hôpital de l’Île, à Berne, visant à détecter des signes de Covid-19 dans les poumons. Les radiologues ont fait un score de 53%. « Cela suggère que l’ordinateur peut détecter quelque chose dans les images qui échappe à l’œil humain », note Andreas Christe, chef du Service de radiologie de l’Hôpital de l’Île et coauteur de l’étude. L’Hôpital de l’Île compte depuis peu un centre spécialisé, qui a créé cet algorithme. DR

Le DEP est officiellement obligatoire dans les hôpitaux depuis avril 2020. Pour les EMS, ce sera deux ans plus tard. Une période de transition était prévue entre avril 2017 et avril 2020, où pas grandchose n’a été fait. Nous avons donc pris du retard. L’obligation d’adopter le DEP pour les médecins en cabinet est en cours d’introduction dans la loi. C’est un processus lent et conditionné par le cadre législatif, qui a été arrêté en 2015 par une loi fédérale discutée entre 2007 et 2014. On hérite donc d’un concept débattu il y a une dizaine d’années.

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HEALTH VALLEY

Les FabLabs au temps du Covid-19 Les imprimantes 3D ont tourné à plein régime pendant la crise sanitaire afin de répondre à l’urgence. Ce n’est cependant pas la vocation première des FabLabs de produire en grande série. Démonstration en trois exemples.

Lunettes de protection à la chaîne

Visière à faire soi-même

Respirateur d’urgence

Le FabLab de Renens s’est mobilisé très tôt pour répondre à la demande de la Centrale des achats des HUG et du CHUV de lunettes pour le personnel soignant. « Dès le 4 avril 2020, nous avons mis une énorme machine en route pour fournir 45’000 écrans de lunettes découpés dans un film de mylar et 7000 montures imprimées en PETG », se souvient Richard Timsit, l’un des piliers du FabLab et ancien informaticien de l’EPFL.

Au FabLab de La Chaux-deFonds, on s’est aussi interrogé sur la façon de venir en aide au personnel hospitalier. Après une période de réflexion et de nombreuses recherches, un modèle de visière en feuille de PVC et ficelle a vu le jour. L’idée était que chacun-e puisse en fabriquer chez soi, car la demande était importante.

En avril 2020, la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA) a répondu à une demande très précise d’un médecin des HUG. Il fallait pouvoir produire 20 ventilateurs invasifs dans un délai de deux à trois semaines, puis 30 supplémentaires dans les semaines suivantes. Objectif : pallier un éventuel scénario catastrophe de pénurie d’appareils.

Pour honorer la commande, l’équipe a mobilisé l’ensemble de la communauté FabLab et makers suisse. Un industriel de la voilerie a été mis à contribution pour fournir la matière première, et a depuis reconverti son outil de production.

Malgré de nombreux partages sur les réseaux sociaux, peu de réalisations ont suivi. Mélanie Thomas, trésorière et formatrice au FabLab chaux-de-fonnier, en ressort dubitative, rappelant que « les FabLabs sont censés représenter le faire ensemble, la recherche d’autonomie et l’apprentissage à faire soi-même ».

L’école a constitué une équipe de professeur-e-s et d'assistante-s de recherche, en s’associant à la start-up Angara Technology. Le projet « Geve » (pour Geneva ventilator) a abouti à l’automatisation d’un ventilateur manuel, couramment utilisé par les urgentistes.

Un robot médical pour la réadaptation

NUNO ACÁCIO

MOTRICITÉ La Clinique Valmont, située à Glion, vient de faire l’acquisition de l’appareil REAplan. Il s’agit du premier établissement médical en Suisse à disposer de ce robot développé par une start-up belge. Son objectif est de mobiliser de manière interactive les membres supérieurs des patient-e-s afin d’accroître la récupération de leur motricité, après un AVC, dans le cadre de la sclérose en plaques ou de la maladie de Parkinson.

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HEALTH VALLEY

Du sport pour combattre la dépression

LACTATE Des neuroscientifiques du CHUV-UNIL ont pu démontrer les effets antidépresseurs chez la souris du lactate, molécule produite par l’organisme durant l’effort. Cette découverte, publiée dans la revue scientifique Molecular Psychiatry, permet de mieux comprendre les propriétés antidépressives de l’activité physique, dans l’espoir d’améliorer les traitements contre la dépression.

3 QUESTIONS À

JEAN-FÉLIX SAVARY

La pédagogie Montessori bénéfique pour le cerveau

APPLICATION

CONCERTO : FAIRE CONNAISSANCE AVEC SES SOIGNANTS Développée par les HUG, l’application Concerto propose au patient d’accéder à une information ciblée et personnalisée. Conçue pour favoriser la communication avec les soignants, l’application lui permet de choisir ses repas, de consulter l’agenda de soins, de mieux connaître l’équipe médico-soignante et de noter ses questions aux professionnels.

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EN QUOI CONSISTE LE DRUG CHECKING ?

Les mesures de drug checking visent à réduire les risques et les problèmes de santé liés à la prise de drogues. Historiquement, nous nous sommes concentrés en Suisse sur l’addiction. Mais le drug checking va au-delà et offre des prestations au groupe plus large des consommatrices et consommateurs moins problématiques. Le drug checking s’adresse à toutes celles et ceux qui veulent avoir une information sur le produit qu’ils prennent.

POURQUOI CE TYPE D’INITIATIVE EST-IL 2 NÉCESSAIRE ?

Ce type d’initiative est la conséquence d’une politique de prohibition des drogues. La fabrication de drogues est confiée au marché noir. Les réseaux qui y opèrent sont peu regardants sur la qualité des produits de coupe et sur leur dosage. Les conséquences de cette logique, ce sont des produits aux qualités très variables. Le drug checking sert à réduire les risques liés à la consommation de ces produits.

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QUELLES SONT LES AUTRES MISSIONS DU DRUG CHECKING ?

Le drug checking permet aux professionnel-le-s de la prévention d’entrer en contact avec les consommatrices et consommateurs pour leur donner des conseils. Il permet une intervention précoce auprès des personnes qui pourraient rencontrer des problèmes dans leur consommation. Cette offre a fait ses preuves, en particulier dans les cantons de Berne et Zurich, précurseurs dans le domaine depuis vingt ans. /

DR

NEUROSCIENCES Une étude menée au CHUV par la neuroscientifique Solange Denervaud démontre que la pédagogie Montessori est bénéfique pour le cerveau. Cette recherche, menée sur 250 enfants de 4 ans et demi à 13 ans, prouve que la méthode éducative a un impact positif sur la gestion de l’imprévu. Elle s’appuie sur de nombreux tests, jeux, expériences et séances d’IRM ou d’électroencéphalogramme.

UN NOUVEAU « DRUG CHECKING » A OUVERT À BIENNE EN AUTOMNE DERNIER, DESTINÉ À FAIRE TESTER DES SUBSTANCES PSYCHOACTIVES AVANT LEUR CONSOMMATION. LE REGARD DE JEAN-FÉLIX SAVARY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU GROUPEMENT ROMAND D’ÉTUDES DES ADDICTIONS (GREA).


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HEALTH VALLEY

ÉTAPE N° 23

TWIICE

SUR LA ROUTE

RENENS

À la rencontre des acteurs de la Health Valley. Nouvelle étape : Renens.

Un exosquelette pour faire du sport La start-up Twiice conçoit des exosquelettes capables d’améliorer les fonctions motrices de personnes paraplégiques. TEXTE : ANTONIO ROSATI

Les personnes paraplégiques pourraient bientôt bénéficier d’un exosquelette qui leur permettra de marcher de nouveau, voire de pratiquer un sport. Fondée en 2021, la start-up vaudoise Twiice a conçu différents types de structures modulaires d’assistance à la marche au cours de ces dernières années. Grâce à son premier modèle, Twiice One, les paraplégiques peuvent se lever, marcher, monter des escaliers et franchir des obstacles. Aujourd’hui, de nouvelles versions leur permettront de faire du ski de randonnée ou encore de courir. Née sous l’impulsion de Martin Loos, amoureux de la montagne devenu paraplégique il y a dix ans, le nouveau modèle Wiite se présente comme une structure sur mesure. En s’adaptant à la morphologie du corps et conçue pour des mouvements très précis, elle sera fixée à des chaussures de ski standards et permettra de pratiquer le ski de randonnée, à l’aide de bâtons spéciaux équipés de boutons. Le système garantit également la coordination des mouvements en compensant les dénivelés dans les pentes. Chaque batterie, qui 11

pèse environ 1 kilo, offre une autonomie d’une soixantaine de minutes. « La vraie nouveauté de notre projet réside dans son modèle d’affaires : les exosquelettes seront disponibles à la location pour un prix de 150 francs par heure, ce qui est très avantageux en comparaison du prix d’achat d’autres exosquelettes comparables, soit près de 150’000 francs », détaille Tristan Vouga, docteur en robotique et cofondateur de Twiice. En attendant la mise sur le marché, prévue pour 2022, l’entreprise de huit employés multiplie ses actions, en ce qui concerne des partenariats que du développement de produits : « Nous participerons au prix Global Innovation Challenge au Japon en juin 2021, en partenariat avec le cabinet Physio 7, et nous travaillons sur un nouveau prototype d’exosquelette adapté pour la course à pied, s’enthousiasme Tristan Vouga. Nous prévoyons ensuite de lancer notre première levée de fonds à l’automne 2021. » Un pas de plus pour améliorer le quotidien des personnes paralysées. /


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HEALTH VALLEY BENOÎT DUBUIS Ingénieur, entrepreneur, président de la Fondation Inartis et directeur du Campus Biotech

IN MEMORIAM ANNI HORRIBILES 20‒21

inartis.ch republic-of-innovation.ch healthvalley.ch

TEXTE : BENOÎT DUBUIS

Durant ces derniers mois, on nous a demandé de survivre. Notre vœu est désormais de vivre… Mieux, de dessiner un après. Le virus sera toujours en embuscade, mais nous sommes maintenant habitué-e-s, attentif-ive-s, pas résigné-e-s. Il ne sert à rien de regarder en arrière. Vivons le présent, dessinons l’avenir et pour cela, il ne nous faut rien de moins qu’une attitude positive. Visons une nouvelle normalité, un New Now. Nous pouvons rêver d’un retour à une réalité connue de nous toutes et tous. Nous pouvons nous laisser aller à l’envie d’une fête géante qui célébrerait la fin de la parenthèse Covid, qui nous rassemblerait, dans un grand élan commun qui cristalliserait notre inconsolable besoin de rencontre, d’action et de partage. Nous pouvons aussi rêver d’un tout autre monde, dans lequel les maux du nôtre seraient effacés, un monde de solidarité, de respect, de durabilité, un monde social, de partage qui ne serait pas remis en cause par l’émergence d’un petit virus.

L’art a la capacité d’unir et de tisser des liens en temps de crise. « Rapprocher, inspirer, apaiser, partager : autant de pouvoirs de l’art dont l’importance se révèle encore plus criante en ces temps de pandémie de Covid-19 », nous rappelle la directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay. Aussi, comme médium de cette transitions nous avons choisi l’art, car l’art permet l’expression de l’émotion.

Les initiatives artistiques ont « fleuri », en cette période d’auto-isolement, mais cet art n’a pas pu aller au contact de son public qui en avait pourtant tellement besoin. In Memoriam se veut un miroir de l’expression artistique de cette période si marquante et joue le rôle de trait d’union entre des artistes en manque de public et un public en manque de transcendance. Cette initiative a pour vocation d’unir et de tisser des liens qui s’ancrent dans le renouveau alors que nous devons sortir de notre torpeur.

Cette période nous ouvre un infini de possibilités. Les années 2020–2021 ont laissé des traces dans Un futur où tout peut être réinventé, imaginé, chacune de nos vies. Or l’Histoire est une superporepensé. Nous devons être créatif-ive-s, attentif-ive-s, sition d’expériences personnelles, d’actes, de faits, de opportunistes, laisser nos écoutilles ouvertes, réapvécus. Cette démarche collective permet de les réunir prendre des formes de partage et de vivre-ensemble. pour en faire un mémorial. Mais, surtout, In MemoÀ l’heure où nous sortons de ce tunnel qui nous a riam doit nous permettre de dépasser l’état d’esprit isolés, il nous faut nous mettre au travail, résister qui prévaut et de nous tourner résolument vers l’après. à toute psychose et à l’abandon de nos ambitions, structurer nos idées, repousser les horizons, inventer Il y a quelque chose de très résilient dans cette un nouveau monde. démarche. Aucun désespoir, bien plus un appel à l’optimisme et une intime conviction que nous devons bâtir C’est pour contribuer à ce renouveau que nous ensemble et donner vie à un NEW NOW. avons lancé l’initiative « In Memoriam Anni Horribiles ». 2020–2021, ces années ont laissé et In Memoriam en trois temps : laisseront des traces. C’est ce que nous souhaitons Ω Le site internet est une galerie virtuelle permettant faire ensemble, laisser une trace pour s’en souvede présenter les œuvres produites pendant la pandémie nir, mais surtout pour dépasser l’état d’esprit qui et de recueillir les témoignages relatifs à cette période. prévaut et nous tourner résolument vers le futur. Ω Les expositions présentent un choix d’œuvres et de témoignages dans autant de galeries éphémères et In Memoriam doit nous aider à tourner la page symboliques. en créant un forum de partage, un canal de Ω Le livre ancrera la mémoire de cette initiative en communication participatif et inclusif dans présentant œuvres et témoignages. / lequel l’art joue le rôle de vecteur, de passerelle, de médiation. www.imah.ch

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FEMMES ET ESSAIS CLINIQUES

IV n° 22

p. 35

« Les femmes prennent des médicaments dont les doses ont été fixées en fonction des hommes » Le vaccin du Covid-19 montre une perturbation sur le cycle menstruel de nombreuses femmes, a signalé la Dre Isabelle Streuli, responsable de l’Unité de médecine de la reproduction et d’endocrinologie gynécologique aux HUG. « Ces effets secondaires n’ont pas été relevés car les femmes sont toujours minoritaires lors des essais cliniques », rappelle-t-elle. /

PSYCHOSE URBAINE IV n° 5

p. 40

MUHAMMAD MAHDI KARIM

Sous les pavés, la psychose La Dre Lilit Abrahamyan Empson, médecin associée au Service de psychiatrie générale du CHUV, est la lauréate du prix Luc Ciompi 2021. La chercheuse est récompensée pour ses travaux portant sur la relation entre la vie en milieu urbain et les psychoses, notamment schizophréniques. Ces recherches permettront d’améliorer la prise en charge des patients atteints de psychoses, par la collaboration avec des pairs praticiens, des spécialistes de la santé mentale et des autorités municipales. /

13

MALADIES TROPICALES IV n° 22

p. 53

Faut-il vraiment craindre une invasion des maladies tropicales ? La bactérie Wolbachia pipientis pourrait bien révolutionner la lutte contre la dengue, le chikungunya et zika. La preuve de son efficacité vient d’être administrée lors d’un essai à grande échelle en Indonésie. Le World Mosquito Programm (WMP), chargé de l’encadrement de l’expérience, assurait dès l’été 2020 que la méthode avait permis de réduire la prévalence de la dengue de 77%. Après examen par les pairs et par des experts de l’OMS, la nouvelle a été officialisée le 9 juin par le New England Journal of Medicine. /

ANTIBIOTIQUES IV n° 13

p. 24

Les bactéries, nos meilleures ennemies Des chercheur-euse-s suisses et géorgien-ne-s ont observé que 63% des infections à la tuberculose en Géorgie ont été causées par des souches multirésistantes. Initialement résistantes aux antibiotiques et issues d’une deuxième mutation, ces bactéries se révèlent particulièrement virulentes. L’étude helvéticogéorgienne, publiée dans la revue scientifique Nature Medicine, a également mis en lumière le rôle des prisons géorgiennes comme propagatrices de la maladie. /


IN SITU

IMAGE

VACCIN À L’EMPORTER La caserne des pompiers de Granges (Soleure) sert à tout. Elle est devenue le premier drive-in de vaccination contre le Covid-19 en Suisse. Ainsi, les personnes volontaires pouvaient se faire vacciner – l’injection tout comme les démarches administratives – sans sortir de leur voiture, comme sur ce cliché pris le 8 juin dernier. Deux autres centres du genre ont ouvert dans le canton de Soleure, suite à cette première expérience. Fonctionnant 7 jours sur 7, les drive-in soleurois ont à eux trois permis de délivrer 6000 doses par semaine. Des initiatives similaires ont eu lieu en France et en Suède notamment. PHOTO : Keystone/Alessandro della Valle 14


IN SITU

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HEALTH VALLEY IMAGE


IN SITU

GLOBE

IN SITU

MONTRÉAL Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde. Nouvelle étape à Montréal, au Canada.

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millions de dollars

L’intelligence artificielle en renfort contre le cancer colorectal MEDTECH Le cancer colorectal de stade IV

est le deuxième cancer le plus répandu au Canada, et se révèle souvent mortel. La Fondation du Centre universitaire de santé McGill et le réseau de développement des technologies médicales MEDTEQ+ ont lancé un programme de recherche conjoint afin d’augmenter les taux de survie des patient-e-s. La société MIMs utilisera son programme d’intelligence artificielle de pointe pour identifier les tendances et les caractéristiques des données recueillies à partir d’échantillons de sang des participant-e-s à l’étude. 16

La police ne dort que d’un œil

SOMMEIL Des chercheuses et chercheurs de l’Université McGill ont établi une corrélation entre le chronotype – c’est-à-dire le fait d’être plutôt du soir ou du matin – et la quantité de sommeil. Les recherches ont été menées auprès de personnel ayant des horaires très irréguliers, comme dans la sécurité.

L’équipe de recherche a ainsi suivi 74 agentes et agents de police pendant près d’un mois. Les participant-e-s portaient un dispositif semblable à une montre, servant à mesurer leur sommeil. Il est notamment ressorti de cette étude que les lève-tôt dorment en général moins après leur service, mais font plus de siestes que les lève-tard. Menée par la Dre Diane B. Boivin, professeure au Département de psychiatrie de l’Université McGill, cette recherche est la première du genre. Les résultats permettront ainsi d’établir des horaires plus adaptés dans des professions où le travail est fractionné.

EDGAR BULLON

LES PAGES « GLOBE » SONT RÉALISÉES EN PARTENARIAT AVEC SWISSNEX.

C’est la somme investie dans une campagne nationale pour encourager la population canadienne à arrêter de fumer. L’annonce a été faite par le ministre de la Santé Patty Hajdu lors du World No Tobacco Day 2021. Cet investissement s’aligne avec les objectifs de la Canada’s Tobacco Strategy, qui vise à réduire la consommation de tabac à moins de 5% d’ici à 2035.


IN SITU

GLOBE

Une biobanque pour comprendre le Covid-19 Vincent Mooser et son équipe combinent médecine génomique et intelligence artificielle. Leur but : étudier les réactions du corps humain aux maladies les plus complexes. GÉNOME Comment expliquer le fait que des millions de personnes meurent du Covid-19, alors que d’autres personnes contaminées ne manifestent aucun symptôme ? Selon le professeur Vincent Mooser, pionnier de la médecine génomique actuellement basé au Canada, une partie de la réponse se cache dans notre génome. « Aujourd’hui, nous savons que certains variants génétiques expliquent la diversité de la maladie », souligne-t-il.

ANYAIVANOVA

Après avoir initié en 2013 ce qui allait devenir la Biobanque génomique du CHUV, Vincent Mooser a rejoint l’Université McGill à Montréal en 2019, où il occupe une chaire d’excellence en recherche. Sa mission est d’allier la génomique et l’intelligence artificielle pour découvrir de nouveaux médicaments. Décrypter la complexité « Dès le début de la pandémie, les gouvernements québécois et canadiens ont décidé

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d’investir une somme importante dans la construction de la Biobanque québécoise du Covid-19 (BQC19). En raison de mon expérience, ils m’ont confié ce projet qui implique environ 300 personnes. » La BQC19 se profile depuis un an comme une des premières biobanques consacrées au Covid-19. « Nous avons collecté les données détaillées et les échantillons sanguins d’environ 3000 personnes et analysé avec une profondeur inégalée plus de 2000 d’entre eux, afin de mieux comprendre cette maladie. Les compétences en intelligence artificielle et les structures informatiques québécoises constituent des atouts considérables pour traiter cette quantité unique de données. » Une démarche qui se veut au bénéfice de toute la communauté : les données récoltées par la BQC19 sont aujourd’hui accessibles dans le plein respect de la vie privée des participant-e-s. /


L’INFORMATION EN CONTINU Tout savoir sur les Sciences de la vie et l’innovation. Des rubriques pour vous: Agenda, Innovation, People, Science, etc. L’actualité de nos entreprises, de nos hautes-écoles, de nos organismes de soutien à l’innovation sur un seul site.

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ÊTRE FEMME, CHERCHEUSE ET MÉDECIN / Les femmes restent très minoritaires dans la hiérarchie des hôpitaux et dans la recherche médicale, en raison d’obstacles sociétaux qui doivent être levés. Notre dossier présente le problème, esquisse des solutions et donne la parole à des chercheuses qui ont réussi à briser ce plafond de verre.

/ TEXTES : YANN BERNARDINELLI, STÉPHANIE DE ROGUIN, CAROLE EXTERMANN, ERIK FREUDENREICH PHOTOS : RÉMI CLÉMENT, HEIDI DIAZ, GILLES WEBER

JOCELYNE BLOCH, L’ART DE LA MÉDECINE EN ÉQUIPE P. 20

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FACILITER L’ASCENSION DES FEMMES MÉDECINS P. 30

PORTRAIT DE 12 CHERCHEUSES-MÉDECINS AU CHUV P. 31


FOCUS

RECHERCHE

JOCELYNE BLOCH : L’ART DE LA MÉDECINE EN ÉQUIPE

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appelez-vous. En 2018, une découverte issue d’une collaboration entre le CHUV et l’EPFL faisait les gros titres : des chercheur-euse-s étaient parvenus à faire remarcher des personnes paraplégiques. Une avancée spectaculaire issue de plusieurs années de recherches, menées par la neurochirurgienne du CHUV Jocelyne Bloch et le neuroscientifique de l’EPFL Grégoire Courtine, tous deux quadragénaires.

comme une figure de proue dans ce domaine de pointe. Ses deux enfants ont alors une dizaine d’années. « Avec mon mari, nous nous sommes organisés comme tous les parents, au mieux, en acceptant une certaine dose de chaos et de fatigue supplémentaire. Je n’ai jamais eu peur de déléguer des tâches parentales, nous avions de l’aide à la maison. »

1

ÊTRE MÉDECIN ET CHERCHEUSE Leur traitement innovant repose sur un système En tant que responsable du programme de d’électrodes dégageant des stimulations électriques chirurgie fonctionnelle et stéréotaxique du à la hauteur de la moelle épinière lésée d’un-e patient-e, CHUV, Jocelyne Bloch concilie activités de permettant ainsi de réenclencher la communication recherche, soins aux patients et enseigneentre le cerveau et les muscles de ses membres infément. Pour elle, ces différents rôles se nourrieurs. Ce projet, c’est Stimo (cf. infographie). rissent les uns les autres. « La neurochirurgie constitue une discipline très propice à la recherche », dit-elle. Cette L’histoire commence ainsi : arrivé de Los Angeles, spécialité constitue en effet un bon exemple de reGrégoire Courtine développe pendant quelques an- cherche translationnelle. Autrement dit, de recherche qui nées à Zurich un dispositif visant permet à des questions que la à faire remarcher des rats paralyscience se pose d’être approfonCHIFFRES sés. Quand il est prêt à transpodies, jusqu’à en trouver une appliser le mécanisme sur les hucation concrète : un traitement, un mains, il sait qu’il doit travailler appareil médical, ou encore une avec des personnes actives dans nouvelle technologie. Part de femmes chez les médecins assistants au CHUV la recherche en hôpital pour aller de l’avant. Il approche d’abord Les interventions chirurgicales / l’EPFL et présente son projet à proprement dites, telles que l’éliPatrick Aebischer, alors directeur mination d’une tumeur au cerveau de l’institution. « Il m’a parlé de ou d’une hernie discale, ne repréL’effectif féminin des médecins Jocelyne Bloch comme d’une clisentent qu’une mince partie du adjointes au CHUV nicienne très impliquée, d’une travail de Jocelyne Bloch. Le do/ neurochirurgienne aux mains de maine de prédilection de la spéfée », raconte Grégoire Courtine. cialiste est d’étudier comment Entre les deux experts, le feeling améliorer les fonctions du système des chefs de service du CHUV passe instantanément. « Nous nerveux. Ses travaux en cours vont sont des femmes avons le même tempérament de l’amélioration du mouvement volontaire, et la même envie pour des personnes atteintes de la d’aller vite, voire très vite », ajoute-t-il. C’est ainsi qu’en maladie de Parkinson à la manière d’apaiser des douleurs 2013, à peine arrivé à Lausanne, Grégoire Courtine se chroniques ou des crises d’épilepsie résistantes aux traitelance dans des projets ambitieux avec Jocelyne Bloch. ments médicamenteux. Dans le registre des réparations de lésions du cerveau ou de la moelle épinière, de nomJocelyne Bloch, diplômée en neurochirurgie en 2004, breuses pistes restent à explorer. « C’est l’intérêt de cette a donc à l’époque une dizaine d’années d’expérience discipline : il y a toujours de nouvelles choses à inventer », comme chercheuse et praticienne. Elle est reconnue s’enthousiasme-t-elle.

59%

29% 16%

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FOCUS

Grégoire Courtine, neuroscientifique à l’EPFL, et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV, collaborent sur d’ambitieux projets de recherche.

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RECHERCHE


FOCUS

COOPÉRATION MULTIDISCIPLINAIRE Travail d’équipe lors de l’implantation des électrodes à un patient dans le cadre de l’étude Stimo. En tout, 15 à 20 personnes sont présentes.

1 Des infirmiers préparent le patient. L’anesthésiste l’endort avant l’opération. Jocelyne Bloch opère.

2 Des médecins spécialisés en neurologie s’occupent du neuro-monitoring, en observant le fonctionnement du cerveau et du système nerveux pendant l’intervention.

3 Des ingénieur-e-s se chargent du mapping pendant la chirurgie pour trouver où placer les électrodes au mieux. Cela consiste à enregistrer les mouvements des muscles pour voir comment ceux-ci réagissent aux stimulations et donc déterminer où placer exactement chaque électrode.

4 Des spécialistes de l’industrie médicale (Medtronic au début, et Onward Medical pour les trois derniers patients) observent la scène afin de comprendre le fonctionnement du dispositif.

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2

RECHERCHE

UN CENTRE DÉDIÉ E n 2 0 1 9, J o c e l y n e B l o c h e t Grégoire Courtine créent leur propre centre de recherche NeuroRestore, qui regroupe plusieurs projets menés en parallèle : amélioration de la motricité des membres inférieurs (notamment le projet Stimo) mais aussi de celle des membres supérieurs, prise en compte des réalités des hémiplégiques, amélioration du mouvement pour les malades de Parkinson ou pour les victimes d’AVC. Le projet Stroke (cf. encadré p. 23), notamment, implique le biologiste JeanFrançois Brunet, qui travaille avec Jocelyne Bloch depuis près de vingt ans : « Lorsqu’on s’est mis à travailler sur les primates non humains, notre complémentarité était formidable, raconte-t-il. Je suis le scientifique créatif qui regarde partout, elle est la neurochirurgienne qui met un cadre pragmatique. De plus, elle a la vision de la clinicienne, elle cherche à appliquer les choses pour le patient. Moi, j’apporte des réponses en travaillant sur le détail. » Le centre NeuroRestore compte aujourd’hui plus de 50 professionnel-le-s : beaucoup d’ingénieur-e-s, mais aussi des médecins de différentes spécialités, des physiothérapeutes, et tout un pool de personnel administratif. « Nous apportons chacun une connaissance fondamentale liée à l’autre partie du groupe, expose Jocelyne Bloch. Je ne suis rien sans eux, et eux ont aussi besoin de moi. La complémentarité est indispensable pour mener de telles recherches de pointe. » La force du groupe s’explique par la multiplicité d’expertises différentes. De jeunes chercheuses et chercheurs sont engagé-e-s pour leurs compétences, notamment en codage informatique, que la génération de la codirection du centre ne possède pas. « Le groupe travaille dans une ambiance qu’on ne trouve pas ailleurs, expose Jocelyne Bloch. Grégoire Courtine et moi sommes très dynamiques, et très réactifs. Tout le monde doit être dans cette même attitude pour faire partie du groupe. » La codirection du centre cherche à ce que leurs collaboratrices et collaborateurs aient de la fierté à faire partie des projets en cours, avec une envie de faire vite et bien. « Je crois que c’est notre rôle d’insuffler une culture de l’efficacité, poursuit-elle. Mais pour cela, il est nécessaire d’avoir une vision, un but, une finalité. On ne peut pas mener un doctorat sur de tels projets seulement en vue d’avoir un diplôme. » Selon Jocelyne Bloch, la motivation palpable dans l’ensemble de l’équipe vient aussi du fait que les résultats issus des projets menés sont bien visibles :


FOCUS

RECHERCHE

UNE COLLABORATION POUR SOIGNER LES VICTIMES D’AVC

Les conséquences d’un accident vasculaire cérébral ou d’un traumatisme cérébral sont dévastatrices pour le cerveau. Sans irrigation, les neurones sont coupés du précieux oxygène apporté par le sang et meurent. Il peut en découler des troubles du mouvement, de la parole, voire de la paralysie. La neurochirurgie, à l’image de Jocelyne Bloch, peut agir pour réparer et contenir les saignements, mais les neurones touchés sont définitivement perdus et ne se régénèrent pas comme le feraient des cellules de la peau après une coupure.

Dans les années 1990, le biologiste cellulaire basé à l’UNIL Jean-François Brunet a découvert un écosystème cellulaire fait de cellules neurales, capable de donner naissance à de nouveaux neurones, et donc, de potentiellement venir remplacer des neurones perdus suite à un AVC ou à un traumatisme. Il ne manquait plus qu’il rencontre la neurochirurgienne Jocelyne Bloch pour que naisse une initiative de recherche de traitements. La rencontre se fait en 1999 par l’intermédiaire du prof. Jean-Guy Villemure, alors chef du Service de neurochirurgie du CHUV. De cette rencontre entre neurochirurgie et neurosciences fondamentales est née l’idée d’implanter des cellules neurales directement dans le cerveau après un AVC ou un traumatisme, pour régénérer les neurones perdus. Une étude préclinique a été menée chez le primate et se révèle extrêmement encourageante. « Après la perte de neurones due à un accident, il s’ensuit une phase de récupération naturelle où 30 à 40% de la fonction motrice revient, explique JeanFrançois Brunet. Après cette phase,

publications de haut niveau, financements massifs qui permettent de continuer l’aventure, sans oublier les avancées encourageantes observées sur les personnes prises en charge dans le cadre des essais cliniques.

3

TRAVAILLER EN ÉQUIPE Une fois que des recherches en laboratoire donnent des signes prometteurs pour un projet, les chercheuses et chercheurs passent en effet à la phase d’essais cliniques (cf. timeline). Il s’agit alors de tester un nouveau traitement ou dispositif médical sur un ou une patient-e volontaire et bien sûr préparé à l’avance à l’intervention. De multiples acteurs peuvent alors se retrouver dans une même salle d’opération : personnel médical spécialisé, ingénieur-e-s, infirmier-ère-s et, parfois, l’industrie médicale (cf. infographie). Ce travail collectif ne s’improvise pas. Il est le fruit d’une longue prépa23

aucune récupération n’est plus possible. Pire, nous observons une régression. Ces cellules, prélevées chez l’individu par biopsie et mises en culture, puis implantées, migrent jusqu’à la zone concernée puis se différencient en nouveaux neurones. On peut atteindre les 100% de retour de capacité motrice, chez le primate. » Le duo de chercheurs a fait une demande d’essai clinique chez l’homme, elle est acceptée. Mais des prérequis au niveau des cellules sont demandés au préalable. « La culture cellulaire fait appel à la biologie, c’est une science qui nécessite encore beaucoup d’avancées pour être totalement maîtrisée », explique JeanFrançois Brunet. Plusieurs étapes sont encore nécessaires pour entrer en phase clinique, mais le duo compte bien y parvenir. « On a en commun la motivation, l’un sait remonter l’autre. Des couples cliniciens chercheurs qui fonctionnent depuis plus de vingt ans ne sont pas nombreux ! » raconte Jean-François Brunet. Le duo ne désespère pas, car des approches similaires marchent chez les grands brûlés ou pour remplacer des chondrocytes, les cellules du cartilage. /

ration et d’une organisation en sous-groupes, qui se rencontrent régulièrement. « Nous avons tous des backgrounds différents, mais le fait de se mettre autour d’une table et d’échanger fréquemment nous permet de comprendre où on va », explique Jocelyne Bloch. « Chaque spécialiste parle avec un vocabulaire très spécifique, relatif à sa propre expertise, complète Grégoire Courtine. Notre rôle est de traduire les différentes interventions », illustre-t-il.

4

DE LA RECHERCHE À L’INDUSTRIE En 2018, les découvertes de Jocelyne Bloch et de Grégoire Courtine, et la médiatisation qui s’ensuit donnent lieu à un fort soutien au projet. L’EPFL, le CHUV-UNIL, la Suva et la Fondation Defitech (qui fut créée par Sylviane et Daniel Borel, le fondateur de la société Logitech, donc très intéressée par le côté technologique du projet)


RECHERCHE

Pour vérifier la faisabilité et l’efficacité d’une nouvelle thérapie, plusieurs étapes sont nécessaires. Celles-ci sont menées selon un protocole strict, de manière à éviter toute mise en danger des participants et à répondre aux questionnements des scientifiques. Exemple du projet Stimo, mené par Jocelyne Bloch au sein du centre NeuroRestore. Précisons qu’il s’agit d’une étude de sécurité et de faisabilité du traitement.

Pour mener à bien une recherche, le financement est toujours le nerf de la guerre, l’aspect le plus complexe du processus, estime Jocelyne Bloch. « On obtient des fonds dès lors qu’on devient crédible en tant que chercheuse ou chercheur », explique-t-elle. La crédibilité commence notamment par le fait de pouvoir montrer de bonnes publications. Pour y parvenir, un travail de longue haleine doit se construire, pierre après pierre, sur de longues années. « Il faut faire ses preuves dès le début de sa carrière. Pour sortir du lot, il ne faut pas compter ses heures, mais aussi avoir la chance de trouver une bonne équipe qui nous accompagne et nous guide efficacement », explique Jocelyne Bloch.

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AVEC LES PATIENTS Travail en équipe, multidisciplinarité, vision d’excellence, la recherche médicale peut viser des sommets. « La recherche clinique reste très importante aujourd’hui, mais au vu de la complexité des enjeux dans le domaine de la santé, elle doit se professionnaliser », estime Jean-Daniel Tissot, directeur du Département formation et recherche du CHUV et doyen de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’évolution repose sur une question de responsabilité qui se modifie : « On ne travaille plus sur, mais avec des patients pendant les études cliniques », illustre-t-il. La communication doit être améliorée pour que la patiente ou le patient ait toutes les informations nécessaires pour faire des choix éclairés. Enfin, il est important que les résultats jugés négatifs d’une étude soient publiés, souligne Jean-Daniel Tissot, et ce, au même titre que les progrès fulgurants. Ainsi, on peut éviter qu’une expérience peu concluante ne soit reproduite. 24

4 Des tests sont effectués régulièrement avec le patient jusqu’à la fin de l’étude. Si besoin, le protocole peut être amendé, chaque modification devant être validée auprès de Swissmedic et de Swissethics.

IRE, IMPLANTA ANTATO TOIR IMPL EE É TR (PR T ÉH N E AB I T ILI A P TA E L T

Et c’est là que l’industrie intervient. Le groupe de recherche a dans un premier temps beaucoup travaillé avec Medtronic, et travaille encore avec l’entreprise aujourd’hui. Cependant, la stimulation électrique n’est pas le domaine de prédilection de la multinationale. Pour obtenir une technologie parfaitement adaptée à ses besoins, le centre NeuroRestore devait créer sa propre compagnie. La start-up GTX Medical (récemment renommée Onward Medical) a été fondée à cette fin en 2014.

UNE ÉTUDE CLINIQUE DE JOCELYNE BLOCH

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apportent des fonds nécessaires à la poursuite des recherches. Mais le groupe ne pouvait pas s’endormir là-dessus. « Si on veut laisser une empreinte sur Terre, une découverte doit tôt ou tard devenir un traitement. Il faut penser tout de suite à son application à large échelle », expose Jocelyne Bloch.

CLI NIQ U E AV EC

FOCUS


FOCUS

RECHERCHE

1 La première étape consiste à faire accepter le protocole de l’étude auprès de Swissmedic, l’autorité d’autorisation et de surveillance des produits thérapeutiques, et de Swissethics, organisation faîtière des commissions cantonales d’éthique de la recherche sur l’être humain. Pour le canton de Vaud, il s’agit de la CER-VD.

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2 Il faut ensuite trouver des patients qui pourraient bénéficier de la thérapie en question. Chaque volontaire passe un test d’éligibilité au moyen d’imageries (IRM et scan CT) et de tests neurologiques et cliniques. Si le test donne des résultats peu concluants, la ou le candidat-e peut encore quitter l’étude ou en être exclu.

3 L’opération a lieu. Les spécialistes les spécialistes lui implantent des électrodes au niveau de la moelle épinière.

5 Une fois que l’étude de sécurité et d’efficacité est finie, le groupe de recherche passe à l’étude pivotale. Celle-ci est beaucoup plus vaste. La thérapie est reprise par plusieurs centres et groupes de contrôle, jusqu’à faire approuver le traitement par les marchés – marquage CE (pour l’Europe) et FDA (aux États-Unis). 25

6 Le traitement passe ensuite à la phase de production et c’est là que l’industrie entre en scène. Dans le cas du projet Stimo, il s’agit de la startup Onward Medical. Cependant, une seconde étude de faisabilité doit être menée pour tester chaque technologie nouvellement développée.


FOCUS

DIFFÉRENTS TYPES DE RECHERCHE

Recherche fondamentale

La recherche fondamentale est, en quelque sorte, de la science pure. Elle vise à chercher à comprendre des mécanismes ou des réactions du corps humain, des maladies pour lesquelles il n’existe encore pas de traitement, par exemple. Cette recherche se fait en laboratoire.

Recherche appliquée La recherche appliquée consiste à développer des traitements ou des dispositifs médicaux qui puissent être administrés aux patients, afin de leur apporter un mieux-être.

Recherche translationnelle

La recherche translationnelle représente la phase intermédiaire entre ces deux axes, soit la mise en application médicale des résultats de la recherche fondamentale.

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RECHERCHE

La sensibilisation aux enjeux de la recherche est présente à chaque d’une formation en médecine. Pour les praticiennes et praticiens établis, des encouragements les aident à poursuivre leur activité de recherche, notamment la bourse Pépinière. « Cette bourse a pour but de soutenir des chercheuses et chercheurs arrivés à un stade intermédiaire de leur carrière, qui ont envie de poursuivre une carrière académique mais qui peinent à le faire lorsque leur activité clinique leur prend trop de temps », explique Jocelyne Bloch, qui préside le comité de sélection de l’attribution de cette bourse. Le service dans lequel ils travaillent prend alors en charge les 50% de leur salaire et la bourse couvre l’autre moitié. Deux ou trois chercheur-euse-s chaque année sont encouragé-e-s par cette mesure.

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LA PLACE DES FEMMES Le parcours de Jocelyne Bloch est impressionnant à plus d’un titre : conjuguant des projets de recherche de pointe avec d’autres spécialistes de haut vol, elle est en plus une femme qui a réussi à percer dans un milieu encore fortement masculin. Au CHUV, les femmes sont majoritaires au cours des études, mais également chez les médecins assistant-e-s (59%). Par contre, seules 29% des médecins adjoint-e-s et 16% des chef-fe-s de service sont des femmes. « Un changement de génération s’observe, prévient Jean-Daniel Tissot, doyen de la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL. Il est réjouissant de voir que quand une offre pour un poste élevé est déposée, nous recevons de plus en plus de candidatures féminines. » La Faculté de biologie et de médecine a mis en place une commission égalité des chances – diversité – intégration, pour encourager les femmes à s’engager dans des postes à responsabilités, mais aussi des profils d’origine extra-européenne. Le CHUV met également en place des soutiens financiers pour les femmes, notamment celles qui ont accouché, ce qui permet d’engager une ou un doctorant-e pour poursuivre les recherches en leur absence. « Tout est fait pour améliorer les conditions de travail des femmes dans l’institution, commente Jean-Daniel Tissot. Nous observons d’ailleurs aussi des changements chez les hommes, dont certains demandent par exemple à diminuer leur temps de travail. Nous assistons à un véritable changement sociétal. » /


FOCUS

RECHERCHE

LA SALLE D’OPÉRATION, CET INCUBATEUR DE SYNERGIES

C’est dans le bloc opératoire que le neuroanesthésiste Patrick Schoettker a imaginé un dispositif simplifiant la mesure de la pression artérielle. Cette innovation intéresse Jocelyne Bloch pour les personnes paraplégiques qu’elle soigne. PROPOS RECUEILLIS PAR

tensiomètre à mesure optique pour salle d’opération.

atrick Schoettker, neuroanesthésiste au CHUV, a régulièrement l’occasion de travailler avec la neurochirurgienne Jocelyne Bloch. « C’est l’occasion de parler de ses projets avec les personnes paraplégiques et de son besoin de pouvoir mesurer la pression artérielle en continu, de manière fiable et non invasive. » Car c’est dans l’environnement si particulier d’une salle d’opération qu’est né le tensiomètre pour smartphone que Patrick Schoettker a conçu, et qu’il développe avec la start-up Biospectal. Un transfert de technologie à succès, parmi tant d’autres, issu de l’étroite collaboration entre spécialistes.

Cependant, Patrick Schoettker et son équipe se sont vite rendu compte qu’avec 1,4 milliard de personnes hypertendues sur terre, pratiquement toutes équipées de smartphones et de leur caméra – excellent capteur optique s’il en est –, de multiples pistes pour aider les patients hors salle d’opération devaient exister. Le groupe a alors ouvert un axe de recherche pour mettre en place un tensiomètre pour smartphone, en collaboration avec la start-up Biospectal.

P

YANN BERNARDINELLI

« Rythme cardiaque, pression artérielle, oxygénation du sang, tous les paramètres physiologiques sont mesurés en continu dans une salle d’opération pour garantir la sécurité des patients sous anesthésie », raconte Patrick Schoettker. C’est dans ce cadre que l’envie d’optimiser la mesure de tension lui est venue. « Nous, les médecins, avons beaucoup d’idées, car nous connaissons les besoins des patients », estime-t-il. Jusqu’à présent, la tension artérielle était mesurée à l’aide d’un brassard 27

gonflable. Un « appareil rudimentaire », selon le spécialiste. L’idée de Patrick Schoettker est de maximiser la compréhension des signaux optiques déjà récoltés en salle d’opération pour en extraire une valeur de pression artérielle. En effet, la fréquence cardiaque peut se lire avec une mesure optique équivalente à celle du saturomètre, placé au bout du doigt pour mesurer l’oxygénation du sang. « Un brevet helvétique pour cette technologie existe », expose le neuroanesthésiste. Comme il est en main du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), basé à Neuchâtel, Patrick Schoettker profite de cette proximité pour inviter les ingénieur -e- s à l’hôpital. Ainsi est né le

Aujourd’hui, l’OMS étudie l’utilité de cette technologie pour aider les populations de régions précarisées où la prévalence de l’hypertension est élevée. « Les personnes peuvent ainsi mesurer elles-mêmes leur tension et transférer les données au corps médical. Dans ces régions, la présence des smartphones surpasse celle des tensiomètres. » Dans le cadre des études menées par Jocelyne Bloch et Grégoire Courtine, un premier essai pilote de mesure de la tension avec un smartphone sur une patiente paraplégique a pu être fait. Ainsi naissent certaines collaborations. La créativité et la détermination des médecins, avec le soutien de partenariats privés, font le reste. /


FOCUS

PROPOS RECUEILLIS PAR

STÉPHANIE DE ROGUIN

RECHERCHE

INTERVIEW « CHAQUE EXPÉRIENCE ME CONFIRMAIT QUE MON CHOIX ÉTAIT LE BON »

La chercheuse et neurochirurgienne Jocelyne Bloch revient sur son parcours. Sa philosophie : travailler en équipe multidisciplinaire est la clé de tout projet ambitieux.

À quel âge avez-vous commencé à envisager de faire des études de médecine ? Êtes-vous issue d’une famille de médecins ? jocelyne bloch Non, j’ai peu de médecins dans ma famille. Juste un cousin, mais ce n’est pas lui qui m’a influencée. J’ai choisi cette voie par intérêt personnel. Jeune déjà, j’étais intéressée par l’humain. Je détestais l’idée de la maladie et que des gens puissent mourir, j’étais très sensible à cela, petite. Mais ce n’est pas avant le gymnase que j’ai eu envie de suivre des études de médecine, avec une fascination pour le corps humain. D’ailleurs, si j’avais eu cette idée plus tôt, j’aurais choisi une voie scientifique. J’ai suivi l’orientation littérature et langues modernes au gymnase. Les études de médecine n’étaient pas faciles à cause de ça. in vivo

Vous vous êtes ensuite spécialisée en neurochirurgie. Qu’est-ce qui vous fascine là-dedans ? jb Beaucoup d’étudiant-e-s choisissent leur spécialisation pendant les stages qui suivent les études. Moi, j’avais déjà fait mon choix, dès la 3e année de médecine, lorsque j’ai approché la neurochirurgie pour la première fois. Sans doute Jocelyne Bloch parce que le Née à Genève, Jocelyne Bloch grandit à Vevey, où elle fait sa cerveau est scolarité avant de rejoindre l’UNIL l’organe qui nous pour suivre ses études de différencie des médecine. Elle obtient son autres êtres diplôme de médecin en 1994 et sa vivants. Et puis, spécialisation en neurochirurgie en parce que son 2002. Suit la naissance de ses fonctionnement enfants, en 2003 et 2005. Une vie comporte une de famille toujours menée en grande part parallèle à ses recherches et à son activité clinique. d’inconnu, iv

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et qu’il y a encore beaucoup à découvrir ! J’ai envisagé une spécialisation en neurologie, ou même en psychiatrie. J’ai fait plusieurs stages en neurochirurgie, à différents endroits, pour être sûre de ma décision. Et chaque expérience me confirmait que mon choix était le bon. Mon premier poste, lorsque j’ai commencé à travailler, était déjà en neurochirurgie.

En tant que femme, avez-vous eu l’impression de devoir faire vos preuves plus qu’un homme pour arriver là où vous en êtes aujourd’hui ? jb Non, les postes à responsabilité dans le domaine de la neurochirurgie sont difficiles à décrocher pour quiconque. À ce niveau, il est même presque plus facile pour une femme de participer à des projets intéressants, car à force de prôner l’égalité des chances, on en vient à les favoriser. Je suis très sollicitée. Personnellement, je pense qu’il faut laisser la nature faire son œuvre et que les choses évoluent avec le temps. Une personne doit être engagée pour ses compétences et non pour son genre. iv

Y a-t-il des gens qui vous ont inspirée, qui vous ont donné envie de suivre cette voie ? jb J’ai découvert et apprécié la neurochirurgie à travers Nicolas de Tribolet, qui était le chef du Service de neurochirurgie du CHUV tout au début de ma carrière. Puis, il y a eu Jean-Guy Villemure, qui m’a formée à la neurochirurgie fonctionnelle. Et dans le domaine de la recherche, j’ai beaucoup appris aux côtés de Patrick Aebischer, dans le laboratoire où j’ai travaillé pendant deux ans. Il m’a ouvert les yeux sur les aspects de recherche translationnelle. Je considère ces personnes comme des mentors, et j’en avais besoin alors iv


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RECHERCHE

parce que j’étais jeune. Plus on prend de l’âge et moins on a de mentors. Mais on a des pairs qui nous influencent. Il est clair que j’ai trouvé cela avec Grégoire Courtine, qui est en quelque sorte mon « mentor égalitaire » actuel !

Aujourd’hui, vous menez plusieurs recherches de pointe avec lui, en parallèle de vos activités quotidiennes. Comment parvenez-vous à organiser votre emploi du temps ? jb C’est vrai que je fais beaucoup de choses, mais une transition s’est opérée il y a une dizaine d’années déjà : je me trouve maintenant à la tête de plusieurs projets, je suis donc entourée de beaucoup de gens à qui je peux déléguer des tâches. Mon rôle repose beaucoup sur de la supervision. À mon sens, une ou un bon leader est quelqu’un qui prend les bonnes décisions, qui choisit les orientations adéquates, qui fait en sorte de s’entourer des meilleurs pour réaliser les objectifs. J’ai beaucoup de travail, mais j’arrive presque toujours à garder la tête froide en mettant en place une bonne organisation. Même si mes journées sont souvent intenses, je me trouve chanceuse de travailler dans un domaine qui me passionne et qui est en somme aussi mon loisir. Pendant mon temps libre, cuisiner me détend, ainsi que les soirées entre amis. iv

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Le travail en équipe semble important pour vous. Vous menez, ou avez mené plusieurs recherches avec d’autres chercheurs. Comment se sont faites ces rencontres ? jb En général, les collaborations se décident par opportunités. Tout est une question d’avoir la même idée au même moment. Je collabore depuis longtemps avec Jean-François Brunet, qui avait mis au point des cellules autologues, prêtes pour la transplantation au moment de notre rencontre. Et puis avec Grégoire Courtine, on s’est rencontrés au moment où il avait déjà bien avancé dans ses recherches sur la motricité des animaux paralysés et qu’il était prêt à passer à l’humain. En arrivant en Suisse, il a commencé à travailler à Zurich. S’il n’était pas venu dans la région lausannoise pour approcher l’EPFL, nous n’aurions sans doute jamais travaillé ensemble ! iv

L’heure n’est donc plus à la recherche en solitaire ? jb Je crois que cela dépend de la personnalité de chacun, et de la finalité de la recherche. Certaines chercheuses ou chercheurs travaillent toute leur carrière, avec une petite équipe ou seuls, sur une molécule, et découvrent des choses fascinantes. La neurochirurgie est une discipline qui nécessite de croiser les compétences pour pouvoir avancer. / iv


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TEXTE :

YANN BERNARDINELLI

RECHERCHE

FACILITER L’ASCENSION DES FEMMES MÉDECINS

La présence féminine aux postes clés de la recherche médicale reste anecdotique. Une réforme de l’ensemble du système est nécessaire. Les femmes composent près de 69% des effectifs du CHUV. Ce chiffre monte même à 80% pour les professions médicales et soignantes. Cependant, le taux de femmes à la tête de services hospitaliers ne dépasse pas 15%, selon les statistiques de 2020. Une situation partagée par de nombreuses entreprises privées et publiques, y compris les autres hôpitaux universitaires. ÉVOLUTION ET INERTIE Malgré les mesures de sensibilisation aux questions d’égalité, la situation évolue très lentement. Cette inertie s’explique notamment par les principes de l’évolution hiérarchique dans les milieux médicaux : les postes à responsabilités sont en effet liés à une activité de recherche qui impose un rythme de travail intense et moins structuré que l’activité clinique. « Il faut atteindre le meilleur niveau possible dans un intervalle de temps de carrière court, une exigence pas toujours compatible avec la construction d’une vie de famille », déclare Marine Jequier Gygax, médecin associée et maître d’enseignement et de recherche clinique au Service des troubles du spectre de l’autisme du Département de psychiatrie du CHUV. Conjuguer travail clinique, parcours académique et vie

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privée revient à cumuler trois postes à plein temps. « La recherche passe alors au second plan, le soir et le week-end, pour prioriser nos patient-e-s », ajoute Antje Horsch, professeure associée à l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins à l’UNIL et psychologue au Département femme-mère-enfant du CHUV.

« Les femmes ne sont pas moins intéressées que les hommes, il faut augmenter l’attractivité des postes et les rendre compatibles avec les autres rôles de la vie », estime Antje Horsch. L’hôpital a tout à y gagner, car « les institutions et les entreprises fonctionnent mieux avec des équipes diversifiées, ajoute-t-elle. Les études le montrent. »

Sans recherche, pas de poste à responsabilités et sans poste à responsabilités, l’accès à l’enseignement est également rendu difficile. De leurs études à leur premier poste en hôpital universitaire, les femmes se retrouvent donc trop souvent dans un environnement masculin aux codes bien définis, avec personne à qui s’identifier. « C’est l’un des freins directement liés à la représentation de la femme au travail, regrette Marine Jequier Gygax. Les jeunes femmes ont tendance à se positionner en fonction des codes en place plutôt que par leurs compétences et envies. Alors qu’elles devraient pouvoir se représenter comme des leaders ! »

UNE FORCE D’INFLUENCE AU FÉMININ Au même titre que le télétravail, les postes de codirection figurent parmi les pistes à creuser, car ils permettent de travailler à temps partiel. « Il faut aussi créer des réseaux de femmes cadres pour les informer sur les mécanismes hiérarchiques, dit Marine Jequier Gygax. Un tel réseautage doit être intégré dans la structure, et amener le dialogue au sein des directions, proposer des idées et faire force d’influence. »

C’est l’ensemble des horaires de travail, des cahiers des charges et des conditions d’obtention des postes à responsabilités qui devrait par conséquent être revu.

Plusieurs femmes allient aujourd’hui activité clinique et de recherche au CHUV. Dans les pages qui suivent, 12 d’entre elles témoignent des freins rencontrés, mais aussi de quelques évolutions encourageantes qu’elles observent.


FOCUS

RECHERCHE

TÉMOIGNAGES

L’IMPORTANCE DE L’AFFIRMATION EMMANUELLA GUENOVA fonction

âge

arrivée au chuv

Responsable du Service de dermatologie et d’un programme dédié aux lymphomes cutanés / Professeure associée UNIL 41 ans 2019

« Mon focus de recherche porte sur l’immunologie cutanée, notamment sur la réponse apportée par le système immunitaire de la peau face à des agressions extérieures telles que les cancers. Pouvoir passer la moitié de ses journées dans la recherche, et l’autre en clinique est quelque chose de passionnant. Bien sûr que le fait d’avoir de nombreuses responsabilités diminue la part disponible pour la recherche, mais au final on trouve toujours le temps. J’ai toujours été intéressée par les sciences naturelles, notamment du fait de leur caractère précis. J’ai aussi été motivée par l’exemple de mon père et de ma mère, respectivement chirurgien et médecin interniste-allergologue. Je n’ai pas l’impression que mon parcours ait été rendu plus difficile du fait d’être une femme ou d’être d’origine étrangère (Bulgare et Allemande). Peut-être même que cela a renforcé ma motivation. Je remarque cependant que les femmes se montrent souvent plus prêtes à faire des compromis et qu’en fin de compte, c’est la personne qui s’affirme le plus qui remporte la mise, plutôt que celle qui dispose des meilleures compétences. »

APRÈS LES ÉTATS-UNIS NELLY PITTELOUD fonction

âge

arrivée au chuv

Cheffe du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme 57 ans 2010

« Faire de la recherche en parallèle avec une activité clinique permet de rester à la pointe de la médecine tout en faisant bénéficier les patients des traitements les plus avancés. Le fait d’être une femme favorise certainement une sensibilité à certaines pathologies. Je travaille actuellement sur un projet consacré à l’infertilité au Pakistan, qui vise à atténuer les préjugés culturels et sexistes et à amener les femmes à consulter. À la fin de mes études de médecine, le doyen m’avait expliqué que la voie de la recherche était incompatible avec une vie de famille. J’ai alors travaillé durant une dizaine d’années en clinique, avant d’avoir l’opportunité de partir aux États-Unis pour me former comme chercheuse. Cela a été une expérience unique, durant laquelle j’ai découvert une culture de travail basée essentiellement sur le mérite. Autre fait marquant : nous étions plus d’un tiers de femmes professeures au Massachusetts General Hospital, contre une poignée à mon arrivée au CHUV. Heureusement, la situation semble évoluer ici. »

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FOCUS

RECHERCHE

DES FORMES DE MANAGEMENT BIENVEILLANTES ANGELA KOUTSOKERA fonction

âge

arrivée au chuv

POUR LE « TOP-SHARING » FERNANDA HERRERA fonction

âge

arrivée au chuv

Médecin associée, investigatrice clinicienne au Service de radio-oncologie et Service d’immuno-oncologie, présidente du Groupe gynécologie de l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer (EORTC) 46 ans 2010

« La médecine est un domaine exigeant, mais qui correspond à ma vocation et à mon besoin d’aider les autres. J’ai été inspirée par un médecin, ami de ma famille : j’admirais l’empathie dont il faisait preuve envers ses patient-e-s. Je me suis spécialisée en oncologie, inspirée par l’investissement du corps médical pour prendre en charge un de mes proches très âgé avec un cancer avancé. Mes recherches portent sur l’évaluation de la réponse des patients à l’immunothérapie du cancer. J’étudie comment cette technologie prometteuse peut être combinée avec des traitements plus éprouvés comme la radiothérapie. Je suis d’une nature persévérante et optimiste et je me suis toujours dit que si d’autres y sont arrivées, je pouvais le faire aussi. Mais les postes à responsabilités demandent un investissement hors norme. Cela peut freiner les femmes qui ne souhaitent pas faire abstraction de leurs projets personnels, d’où l’intérêt de développer des initiatives comme le ”top-sharing”, qui permettent de partager un poste entre plusieurs personnes. »

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Médecin associée au Service de pneumologie 40 ans 2011

« La complexité médicale des patients transplantés et des personnes touchées par la mucoviscidose m’a attirée vers la pneumologie, car ces profils ont besoin d’une écoute particulière et d’une approche multidisciplinaire. L’interaction avec les patient-e-s et les collègues des autres spécialités motivent mon travail clinique au quotidien et inspirent mes projets de recherche. Pour accéder à un poste à responsabilités, les compétences, particulièrement celles de leadership, devraient primer le genre. Les mentalités évoluent et des formes de management modernes et bienveillantes sont désormais adoptées. Elles devraient permettre une égalité d’accès aux opportunités de développement de carrière. La mienne était parsemée de nombreux défis, similaires à ceux rencontrés par mes collègues masculins. »


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RECHERCHE

IA, UN DOMAINE PAS SEULEMENT MASCULIN SOPHIE POUZOLS fonction

Infirmière clinicienne spécialisée / Doctorante en sciences infirmières âge

41 ans

DR

arrivée au chuv

2011

« Je suis arrivée au CHUV il y a une dizaine d’années, à l’occasion de l’ouverture de l’Unité de médecine palliative. J’ai eu l’occasion de suivre plusieurs formations continues qui m’ont amenée à l’étude de l’amélioration de la performance des services infirmiers. Cette dernière année, j’ai partagé mon temps entre la recherche et mon travail d’infirmière clinicienne. Je n’ai pas observé d’obstacles particuliers dans l’évolution de ma carrière, mais c’est aussi lié à ma vie personnelle : je n’ai pas d’enfants et bénéficie d’un soutien sans faille de la part de mon mari. Je m’apprête désormais à commencer un doctorat. L’objectif ? Mettre au point un outil informatisé d’aide à la décision pour la détection précoce d’états confusionnels chez les patients âgés. Ce projet va faire appel aux techniques de machine learning et d’intelligence artificielle, un domaine il est vrai encore très masculin. Je compte y apporter toute mon expérience pratique de la clinique, de manière à développer un outil qui soit réellement utile au quotidien. »

GARDER UN TEMPS PROTÉGÉ AURÉLIE LASSERRE fonction

Cheffe de clinique au Département de psychiatrie âge

39 ans arrivée au chuv

DR

2010

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PRÉVENTION DÈS L’ENFANCE MATHILDE MORISOD fonction

Médecin adjointe, MERc, cheffe de la filière pédopsychiatrie de liaison, SUPEA âge

45 ans arrivée au chuv

2002

« Mon intérêt pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est né au cours de ma première année d’études. J’ai été séduite par le potentiel préventif et la possibilité d’une action encore plus grande lorsque le traitement psychiatrique s’effectue de façon précoce sur l’enfant. J’envisage principalement la recherche en lien avec la clinique. En 2009, j’ai pu bénéficier du prix d’encouragement à la promotion académique des femmes du Département de psychiatrie, à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, qui m’a permis de développer mon activité de recherche. Mon travail se concentre sur la période périnatale et les stress précoces. Un de nos projets actuels, avec mon équipe, est de comprendre l’impact d’un stress provoqué par une hospitalisation en cours de grossesse sur l’état psychique de la mère et de son partenaire et les éventuelles conséquences sur l’enfant. Cela permettra de développer des interventions thérapeutiques précoces. »

« Lorsque j’ai choisi mon orientation professionnelle, j’ai suivi mon intérêt pour les sciences naturelles au sens large. Je savais aussi que j’avais envie de travailler avec des gens. J’ai donc opté pour la médecine. J’ai toujours fait des allers-retours entre clinique et recherche. Actuellement, j’effectue un postdoctorat au Centre d’addiction et de santé mentale, à Toronto, au Canada. Mon projet, financé par le FNS, porte sur les déterminants sociaux dans les troubles liés à l’alcool et à la dépression. En tant que femme, la différence principale, selon mon point de vue, est que l’on doit plus affirmer son désir de faire une carrière académique et de s’impliquer dans la vie institutionnelle. Alors que cela va davantage de soi pour les hommes. À mon retour en Suisse, le challenge sera d’obtenir un financement qui me permette de garder un temps protégé pour la recherche, à côté de ma pratique clinique. »


FOCUS

RECHERCHE

CLINIQUE ET RECHERCHE, ALLER ET RETOUR LUCIA MAZZOLAI fonction

arrivée au chuv

Cheffe du Département cœurvaisseaux et Cheffe de service d’angiologie au CHUV 1994

« Ma passion pour l’innovation et l’être humain m’a orientée vers la médecine. Je me suis spécialisée en angiologie, c’est-à-dire tout ce qui concerne les vaisseaux sanguins. J’ai réalisé mes études à Pérouse, en Italie, avant de faire carrière en Suisse. Ce qui m’inspire, c’est l’aller-retour entre la clinique et la recherche. De mon expérience clinique naissent des questions. La recherche me permet de formuler des réponses que je vérifie ensuite auprès de mes patients. L’une ne va donc pas sans l’autre. Pendant mon cursus, le fait d’être une femme n’a pas entraîné de difficultés. En revanche, avec le recul, je me suis rendu compte que j’avais pu parvenir à mon poste actuel grâce au soutien d’hommes qui ont eu confiance en mon travail. Aujourd’hui, seules 15% des médecins cadres sont des femmes. Il faut urgemment réduire cet écart. »

OUVRIR LE DIALOGUE NOÉMIE BOILLAT BLANCO fonction

âge

arrivée au chuv

Médecin associée au Service des maladies infectieuses 44 ans 2008

« Je me suis orientée vers les maladies infectieuses, car j’aime l’approche communautaire de la médecine où prévention et traitements se mêlent aux problématiques de santé publique. La conciliation entre clinique et recherche est indispensable pour accéder aux postes académiques. Malheureusement, il est souvent laborieux de la conjuguer avec la logistique familiale, ce qui explique en partie l’exclusivité masculine observée à ces postes. Évoluer dans un monde d’hommes, sans personnalité féminine à qui s’identifier et de qui s’inspirer, est parfois difficile. Désormais, les comportements évoluent et les jeunes générations d’hommes médecins tentent, comme nous, de conjuguer travail et vie privée. Cela permet enfin d’échanger sur ces problématiques et d’ouvrir le dialogue, sans paternalisme ni ambiguïté. » 34


FOCUS

RECHERCHE

FILLE DE MÉDECINS

UNE VOCATION DÈS LES ÉTUDES CAROLINE ARBER BARTH

MARIA LATANIOTI fonction

Cheffe de clinique au Département de psychiatrie

fonction

Médecin associée en immuno-oncologie et en hématologie, professeure associée à l’UNIL, scientifique adjointe de la branche lausannoise de l’Institut Ludwig

âge

35 ans arrivée au chuv

DR

2015

âge

« La recherche que je mène au sujet des addictions chez les plus de 55 ans est venue d’un besoin clinique concret. Ce domaine est peu exploré, même au niveau mondial. Il me fallait donc mener des recherches pour savoir comment prendre en charge les patients. J’ai la chance d’évoluer dans un département où je suis particulièrement soutenue par la hiérarchie : j’ai notamment été accompagnée pour décrocher des bourses et pour pouvoir bénéficier de formations complémentaires. Fille de médecins, j’ai grandi au cœur de discussions au sujet de la médecine. Mais c’est seulement au cours de mes études que j’ai découvert un intérêt particulier pour la psychiatrie et la gériatrie. Ces domaines correspondent finalement parfaitement à mon esprit analytique. »

UN ATTRAIT POUR LA TECHNIQUE CÉLINE DESLARZES fonction

Médecin associée au Service de chirurgie vasculaire âge

38 ans arrivée au chuv

DR

2009

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47 ans

arrivée au chuv 2017

« Je consacre 80% de mon temps de travail à la recherche et 20% à la clinique. Actuellement, mon travail est axé sur l’immunothérapie ciblant les cancers du sang. En recherche, nous développons de nouvelles approches pour les thérapies cellulaires à base de lymphocytes T, des globules blancs responsables de l’immunité cellulaire, pour les faire lutter contre la maladie. En clinique, je suis responsable de la consultation ambulatoire pour ce type de thérapies. La volonté de me consacrer à la recherche est venue au cours de mes études, au contact des questions importantes et pourtant irrésolues. Cette recherche coïncide avec ce qui m’a menée à cette carrière : mon envie de me lancer dans la médecine afin de développer de nouvelles thérapies. »

« Il y a quelques années seulement, il était peu fréquent de trouver des femmes chirurgiennes. Aujourd’hui, la profession se féminise. Pour ma part, j’ai su très jeune que c’était dans la chirurgie que je voulais me lancer. J’étais attirée par le côté technique de cette spécialité. Mon intérêt pour la chirurgie vasculaire m’a poussée à faire de la recherche en parallèle de mon activité clinique. L’un des axes de recherche que je mène conjointement avec l’angiologie concerne la prévention cardiovasculaire secondaire chez les patient-e-s souffrant d’artériopathies. Le but est de développer un algorithme permettant de les identifier à l’aide du dossier médical patient et du machine learning et d’être capable de prédire l’apparition de complications cardiovasculaires. De tels outils nous permettront d’offrir une prise en charge personnalisée et préventive à toutes les patientes et patients artériopathes.


FOCUS

EN LECTURES

L’HONNEUR DE LA RECHERCHE L’honneur de la recherche MARIE-PAULE PILENI PLON, 2020 – 263 PAGES FR 29.40

état d’esprit. Certains sont des exécutants qui font un travail indispensable, d’autres des business men et quelquefois des « sachants ». Cette pandémie a permis de rencontrer toute cette panoplie de chercheurs – quelquefois capables de toutes les malhonnêtetés pour atteindre la notoriété. Ils peuvent s’emparer des découvertes des autres, les mettre en valeur, se les approprier et sont parfois même primés pour de tels faits ! Votre récit ne met cependant pas la faute sur la seule misogynie… mp La misogynie existe. On peut se demander pourquoi, si l’on exclut les prix Nobel de la paix, seulement 4% de femmes ont été primées depuis la création du prix. L’exemple le plus flagrant est celui de Rosalind Franklin dont la contribution a été majeure pour la découverte de la structure de l’ADN et qui a été totalement ignorée. Comme tant d’autres, je pense avoir subi cette discrimination mais qu’importe, elle m’a fait grandir et m’a poussée à me surpasser. iv

PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE BRACK, RESPONSABLE ÉDITORIALE PAYOT LIBRAIRE

Un homme l’aurait probablement titré « Moi, un chercheur ». Pour Marie-Paule Pileni, éminente scientifique spécialisée dans les nanomatériaux, « L’honneur de la recherche » vaut mieux que cela… Rencontre avec une scientifique brillante, qui enseigna à l’EPFL, et une femme aussi vive et spirituelle que son portrait. Les chercheuses sont-elles, comme dans d’autres carrières, soupçonnées de « draguer pour réussir » ? marie-paule pileni Hélas, comme dans toutes les carrières ! Aux femmes de rester ce qu’elles sont et de ne pas perdre leur énergie. Il est certain qu’elles ont moins de plans de carrière. in vivo

Votre carrière est pourtant jalonnée de découvertes passionnantes et de succès. mp Mes recherches sont mes legos. J’ai passé ma vie à rêver, découvrir, construire, déconstruire, scruter l’impossible pour avancer sans cesse vers l’horizon. Il faut l’avoir vécu pour savoir ce qu’est ce bonheur de faire une hypothèse et de la réaliser. Tant que l’on n’a pas vécu une telle expérience, parfois extrêmement difficile et perturbante, on ne peut imaginer à quel point cette activité est merveilleuse et combien l’exercer est une chance. De nombreux chercheurs ne sont pourtant pas dans cet iv

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Mais ceux que vous appelez « le trio infernal », ligué pour s’approprier l’une de vos découvertes, puis faire obstacle à vos travaux, sont des savants étrangers… mp Mon « trio infernal » s’est emparé de mon projet car je n’ai pas été assez vigilante. Le combat féroce qui en a résulté s’est transformé en véritable passion. Sans ce vol, peut-être n’aurais-je pas cherché à aller plus loin, plus fort ? Je n’ai aucune amertume car ils m’ont donné la force de me surpasser. Cette compétition sur soi-même est plus qu’un stimulant, c’est une drogue ! J’avoue m’amuser à les mettre en difficulté et devenir leur mauvaise conscience. iv

La recherche est-elle donc invivable pour les femmes ? mp Cela dépend du pays et de sa culture. Je suis convaincue que les chercheurs sont comme les autres, ni pires ni meilleurs. L’effacement des femmes en sciences reste très marqué. Depuis une dizaine d’années, iv


FOCUS

EN LECTURES

les conditions s’améliorent mais la route du changement est encore très longue ! Une femme doit, a priori, faire la preuve de ses compétences. Et en Suisse ? Ah, travailler à l’EPFL fut un vrai bonheur ! La pression était rude dans les laboratoires car, contrairement à Zurich où les professeurs sont déjà établis, ce qui calme le jeu, Lausanne favorise la promotion des jeunes chercheurs, suscitant davantage de compétition. Mais les conditions de travail étaient fantastiques, je suis venue pour quelques mois et suis restée deux ans, j’aurais rêvé m’y installer ! / iv

mp

EN BREF Femmes de science : À la rencontre de 14 chercheuses d’hier et d’aujourd’hui ANNABELLE KREMER-LECOINTRE LA MARTINIÈRE, 2021 – 192 PAGES CHF 33.90 – ALBUM JEUNESSE

Il n’est jamais trop tôt (ni trop tard !) pour ouvrir les yeux sur les sciences et la recherche au féminin, et ce documentaire s’y emploie efficacement en invitant les jeunes à des blind dates avec des femmes savantes. Même s’ils ne connaissaient pas les noms de Rosalind Franklin, Ada Lovelace ou Émilie du Chatelet, ce qu’en raconte cet ouvrage illustré est si passionnant que la modernité de ces 14 chercheuses – de l’Antiquité à nos jours – les rend familières, et leur apport évident !

CHRONIQUE Trop belles pour le Nobel

Corinne Royer a rencontré par un hasard fou la Dre Marthe Gautier, presque centenaire mais pleine d’énergie, et a craqué pour cette chercheuse iniquement privée jadis par un confrère du fruit de ses travaux… mais qui fut pourtant directrice de Ce qui nous revient recherche à l’Institut national de la santé CORINNE ROYER et de la recherche médicale (Inserm), ACTES SUD, 2021 – 272 PAGES CHF 11.90 – ROMAN à une époque où la médecine était un privilège masculin. Elles ont lié une amitié qui offre ici à la scientifique la reconnaissance spoliée, et à l’écrivaine une intrigue et un personnage splendides. Car sa Louisa imaginaire, étudiante en médecine qui s’intéresse au syndrome de Dawn (trisomie 21), ose prendre contact avec celle qui pourrait l’aider : la véritable Marthe Gautier, associée en 1958 à la découverte du chromosome défaillant. Ce qu’apprendra la jeune femme renverse tout ce qu’elle pensait sur la médecine, l’éthique scientifique, la justice, le courage… Avec originalité et talent, Corinne Royer a ajusté la vie de son personnage aux tribulations réelles du médecin, créant entre elles une relation généreusement complice, dominée par la perte et le deuil : soixante ans après les faits, la vie honore sa dette. / Dans chaque numéro d’In Vivo, le Focus se clôt sur une sélection d’ouvrages en « libres échos ». Ces suggestions de lectures sont préparées en collaboration avec Payot Libraire et sont signées Joëlle Brack, libraire et responsable éditoriale de www.payot.ch. 37

NICOLAS WITKOWSKI POINTS, 2007 – 259 PAGES CHF 15.00 – ESSAI

Physicien et éditeur, Nicolas Witkowski a réuni ses deux passions pour composer une galerie de femmes scientifiques aux talents et intuitions époustouflants… que s’approprièrent les hommes. Dressés à ne considérer que leur propre parcours, ils n’eurent même pas toujours conscience de leur félonie… Grand pourfendeur de « l’effet Matilda » (qui décrit ce processus), l’auteur a choisi l’humour pour déboulonner les egos surdimensionnés, et le solide récit scientifique pour rendre leur dû aux femmes de science. Pourquoi la science n’aime pas les femmes FABIOLA FLEX BUCHET CHASTEL, 2021 – 124 PAGES CHF 28.80 – ENQUÊTE

Retournant le cliché, Fabiola Flex livre le fruit de ses compilations sociostatistiques en analysant comment ceux qui font la science (et sont réticents à ce que les femmes s’en mêlent) leur font croire que ce sont elles qui ne l’aiment pas. Exemples et cas d’école zigzaguent entre les histoires de résistance ou de résilience, d’échecs aussi parfois… Soucieuse d’équité, la journaliste porte même la contradiction des chiffres au cœur des principes égalitaires, invitant à regarder le problème par les deux bouts de la lorgnette : dynamique et salutaire !


«  La crise nous a révélé qu’il faut prendre soin des aidants ». 38

ULF ANDERSEN / AURIMAGES

MENS SANA


MENS SANA

INTERVIEW

BORIS CYRULNIK est connu pour avoir vulgarisé le concept

de résilience, un terme qui désigne la capacité à se relever après un événement difficile. Le neuropsychiatre évoque la pandémie, ses conséquences et ses opportunités. INTERVIEW : FABIENNE PINI SCHORDERET

« Nous avons besoin des autres pour exister » L’environnement n’est pas un décor. Selon Boris Cyrulnik, et reconnus. Conjointement, cette violence a l’environnement influence le fonctionnement cérébral et phyproduit du malheur avec l’établissement de sique des êtres humains, tout en modelant l’organisation de rapports de domination, notamment envers nos sociétés. Quel est l’impact de la pandémie sur notre les femmes. santé psychique et au niveau sociétal ? Quelles sont les opportunités de changements qu’elle permet ? Entretien avec IV Et aujourd’hui ? le neuropsychiatre français, auteur du livre Des âmes et des BC De nos jours, en Occident, la violence virile n’a saisons, psycho-écologie, paru au printemps. plus la même signification. Elle détruit la famille et la société, avec 80% d’hommes impliqués dans IN VIVO Selon vous, la domination de l’Homme sur la les violences conjugales et 90% d’hommes parmi la Nature n’a produit que du malheur. Une prophétie ? population carcérale en France. Toutefois, avec le BORIS CYRULNIK La domination de l’Homme a produit du développement technologique, nous avons développé malheur mais en même temps de la survie. Au moune autre forme de violence à l’égard des animaux et ment de la première grande glaciation, l’espèce hude la nature. Nous avons créé des élevages immenses maine était en train de disparaître, car il n’y avait qui favorisent l’émergence de virus que l’on fait circuler plus de végétaux. Pour survivre, il a fallu héroïser mondialement par nos déplacements. Après la pandéla violence virile et créer des armes. Les premiers mie, si nous conservons des élevages intensifs comme j’en hommes ont ainsi enfoncé des pieux et du silex ai vu en Amérique du Sud, nous allons recréer les siècles dans le cœur des mammouths. Sans cette viode pestes du passé, où, tous les trois ans, apparaissait une lence, l’Humanité aurait probablement disparu. nouvelle épidémie. Le contexte climatique a valorisé la violence, la mort et la viande. Cela a organisé les rapports IV Allons-nous sortir indemnes de cette crise ? sociaux autour des chasseurs mâles, admirés BC Le confinement freine le virus mais agresse notre santé

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INTERVIEW

psychique. Sans relations sociales, notre cerveau s’altère BC On a le choix. Restreindre les libertés et rapidement. Nous avons besoin des autres pour exister. Chez confiner ou laisser mourir toute une partie de les enfants, après quelques heures déjà, l’imagerie montre des la population. Dans l’Histoire, l’épidémie de altérations et des atrophies du cerveau. Chez les adultes, les peste de 1348, sans confinement, a tué la moipersonnes qui avant le confinement disposaient de facteurs de tié de la population européenne en deux ans. protection tels qu’une vie intérieure riche ou spirituelle, une Sans confinement, nous devons accepter la libonne aptitude à s’exprimer, un haut niveau d’études et une berté de mourir et de tuer nos proches. Si nous profession intéressante se sont mis à lire ou ont repris la gui- acceptons le confinement, nous avons moins de tare. Elles ressortent de la pandémie sans grand trauma- morts, mais les adolescent-e-s, notamment, vont tisme. Par contre, ceux qui avant la pandémie cumulaient des être altéré-e-s dans leur développement. C’est un facteurs de vulnérabilité tels qu’un faible niveau d’études, dilemme qu’il faudra retenir pour le futur. peu d’aptitude à la parole, une profession peu reconnue ou précaire, et qui parfois vivent dans des logements exigus à IV Quelles sont les pistes pour une nouvelle plusieurs, ressortent du confinement altérés avec des an- société ? goisses ou des dépressions. BC Le confinement nous a montré l’importance du rôle de l’école pour le développement des adoIV Quel est l’impact sur les plus jeunes ? lescent-e-s mais aussi comme facteur de protection BC Cela dépend de l’âge. Un petit enfant isolé, si sa mère sociale. Selon moi, après la sortie de la pandémie, la est près de lui, a tout ce qu’il lui faut pour valorisation de l’école mais aussi son adaptase développer, car l’altérité, c’est sa mère. tion aux besoins des enfants constitueront BIOGRAPHIE Le confinement n’aura pas d’effet sur lui. Neuropsychiatre des axes fondamentaux pour une société plus Même si porter un masque provoque un français, psychaégalitaire. Je ralentirais la course aux résulléger retard de langage chez les tout-petits, nalyste et profestats scolaires qui est un facteur de stress dès que la mère l’enlève, l’enfant récupère seur d’université, puisqu’elle apprend à nos enfants à devenir Boris Cyrulnik très rapidement grâce à la grande plasticité est l’auteur d’une anxieux : les garçons décrochent et les filles de son cerveau. dépriment. Comme en Finlande, je dévelopvingtaine d’ouvrages portant sur perais un système moins compétitif, sans Cela n’est pas le cas des adolescent-e-s qui la neuropsychianotes, mais qui au final est tout aussi perfortrie et les théories vivent un élagage synaptique : leur cerveau de l’attachement. mant puisque à 15 ans, les enfants finlandais fonctionne avec moins de neurones mais il Connu pour ont un aussi bon niveau que les Asiatiques du devient plus performant, notamment grâce avoir vulgarisé le même âge, avec 40% de moins de dépresaux apprentissages. En isolant un ado- concept de résisions et de suicides. lience (renaître lescent de ses pairs et de l’école, il n’ap- de ses cendres), prend plus à apprendre. On le prive d’une il est reconnu IV À l’hôpital, nous avons connu, ces quinze période sensible de son développement pour ses différents derniers mois, un engagement sans précéneurologique qui ne se rattrape pas. C’est engagements, en dent. Qu’en pensez-vous ? tant qu’expert ce qui se passe en France depuis quinze sur la prévention BC Au niveau scientifique et organisationnel, mois, où les jeunes s’engourdissent devant du suicide des nous avons bien géré cette crise. Le confinedes écrans avec lesquels on n’apprend enfants ou dans ment a produit ses effets de protection et les presque rien, au moment même où leur des missions de scientifiques ont réalisé une performance exl’Unicef. Pionnier cerveau est capable de performances de de l’éthologie traordinaire avec le développement d’un nouplus en plus rapides. Un ou deux ans de française, il met veau type de vaccin en un temps record. Jaen évidence les pandémie, c’est énorme. mais, nous n’avions connu cela auparavant. rapports entre Sur le plan commercial, nous avons connu en les comporteIV Dès lors, faut-il confiner et restreindre Europe des lenteurs dans les accords entre les ments humains la liberté ? gouvernements et le secteur pharmaceutique. et animaux. En 2008, il remporte le prix Renaudot pour son essai Autobiographie d’un épouvantail. En 2021, il est décoré « commandeur de la Légion d’honneur. ».

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INTERVIEW

La crise est devenue chronique et en quinze La féminisation des métiers de la santé va remodeler l’organimois, il n’y a pas eu de répit, ni pour le persation de l’hôpital. En France, 70% des médecins chefs de clisonnel soignant, ni pour les médecins. Ils sont nique sont des femmes et nous nous inquiétons d’une nette proches de l’épuisement. La crise nous a révédiminution des praticien-ne-s installé-e-s et notamment des lé qu’il faut prendre soin des aidants afin qu’ils généralistes. Les femmes choisissent des spécialités qui leur ne tombent pas en burn-out, sinon le système permettent de bien s’organiser et d’avoir un bon équilibre de s’écroule. En même temps, la pandémie nous a vie. Il est urgent d’aider les jeunes générations de médecins appris que les petits métiers ne sont pas si petits à s’orienter vers les voies qui les intéressent tout en favorique cela. Ils ont joué un rôle très important dans sant une meilleure harmonie avec leur vie privée. la gestion de la crise. Les aides-soignant-e-s, le personnel logistique, les transporteurs de malades, le personnel de nettoyage ou le personnel technique qui met à jour les machines ont tous contribué au bon fonctionnement de l’hôpital. Ces métiers de support sont un facteur de protection du système de santé que nous avions sous-estimé.

« LA PANDÉMIE NOUS A APPRIS QUE LES PETITS MÉTIERS NE Quelles sont selon vous les pistes pour favoriser SONT PAS SI PETITS des soignants engagés et heureux au travail ? J’espère que la revalorisation des salaires des soiQUE CELA » IV

BC

gnants, entérinée en France, sera doublée d’une augmentation des postes et encouragée par le développement de la formation continue, qui est d’ailleurs Je fais partie d’une génération où les médecins traobligatoire pour les médecins. Pour éviter qu’ils ne vaillaient dix-huit heures par jour, avaient peu d’imchangent de métier après quelques années, il faut leur plication affective dans leur famille et ne participermettre d’évoluer dans leur carrière. Les structures paient pas à l’éducation de leurs enfants. Les de garde sont également un enjeu majeur pour que le aspirations des médecins ont changé et c’est tant personnel de santé puisse travailler sereinement en mieux pour leur équilibre mental. Il y aura des décisachant que leurs enfants sont bien pris en charge. D’ausions politiques à prendre, comme celle d’augmentant que – la pandémie l’a confirmé – les professions de ter le nombre de postes, tout en gardant stable le la petite enfance jouent un rôle très important de protecprix de l’acte médical. Nous devrons également tion du développement des plus petits et de leur sécuriintensifier la formation continue des soignant-e-s sation, en relais des parents. pour pallier la pénurie de médecins dans certaines disciplines. Par exemple en France, nous IV À quoi ressemblera l’hôpital de demain ? manquons de praticien-ne-s en gynécologie-obsBC Saviez-vous que nous pourrions diminuer le nombre de tétrique et nous en engageons à l’étranger qui consultations et la charge qui pèse sur les hôpitaux en déveparlent mal notre langue. En revanche, nos loppant la protection, l’éducation et le sentiment de sécusages-femmes sont très bien formées avec une rité chez les bébés ? On sait maintenant qu’une grande partie pratique de haut niveau. Nous pourrions ajoudes diabètes, des hypertensions et des maladies cardiovaster deux ans à leur cursus et leur confier des culaires sont la conséquence à distance d’une carence éducaresponsabilités d’obstétriciennes. Au Canada, tive et d’une mauvaise socialisation des jeunes enfants. Assoles infirmières poursuivent leurs études et ciés à l’immobilité physique, ils favorisent plus tard des états peuvent devenir professeures de médecine ou dépressifs et des infarctus qui remplissent les services de nos doyennes universitaires. À l’hôpital comme hôpitaux. Au niveau sociétal, de bonnes conditions éducatives ailleurs, rien n’est déterminé et chaque crise et de garde doivent être développées dès le plus jeune âge. offre des opportunités à saisir. /

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DÉCRYPTAGE

LES VÉGANES TOURNENT-ILS VRAIMENT À PLEIN RÉGIME ? Exclure de son alimentation la viande et les produits d’origine animale peut présenter des bienfaits pour la santé, à condition de respecter certaines règles. Explications. TEXTE : DOROTHÉE BLANCHETON

P

rès de 85’000 des Suisses se considèrent comme véganes, selon un sondage de la plateforme Swissveg mené au début de l’année 2020. Encore complètement marginale il y a dix ou quinze ans, la pratique connaît une forte augmentation. Les trois quarts des adeptes de ce régime alimentaire vivent d’ailleurs outre-Sarine et sont de sexe féminin. Plus largement, 5,1% de la population suisse se déclare végétarienne, révèle cette même étude. Pour rappel, le véganisme refuse l’exploitation des animaux à tous points de vue et rejette donc les produits qui en sont issus (cuir, laine, soie…). Sur le plan alimentaire, cela revient donc à exclure la viande, le poisson, les œufs, les produits laitiers ou encore le miel, et à privilégier fruits et légumes.

Un régime riche en végétaux représente un certain nombre d’atouts. Il offre à l’organisme de fortes quantités de fibres, de vitamines (B1, B6, C) et de sels minéraux utiles. Selon une vaste étude menée en 2018 par la Commission fédérale de l’alimentation (COFA), une alimentation riche en végétaux, couplée à l’absence de viande et à une faible quantité de graisses saturées, permettrait de réduire le risque de maladies non transmissibles telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et certains cancers. « Des patient-e-s recourent au 5 FAÇONS véganisme pour ses possibles D’OPTIMISER vertus curatives, notamment LES APPORTS en oncologie », expose Muriel DES VÉGÉTAUX Lafaille Paclet, diététiciennecheffe au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. « Il est cependant important qu’une diéteticienne ou un diéteticien Les protéines peuvent les accompagne », prévient-elle. être apportées par le

soja, les pois chiches, les lentilles, les fruits à coque, ou encore les céréales complètes. Il est conseillé de combiner plusieurs de ces produits afin de bénéficier d’une meilleure qualité nutritionnelle. 42


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POSSIBLES CARENCES Si un régime sans viande présente des bienfaits pour la santé, il peut aussi avoir des effets indésirables. Exclure les produits animaliers risque en effet de rendre l’apport protéique insuffisant. Les protéines végétales possèdent des acides aminés moins diversifiés et sont en ce sens moins assimilables que les protéines animales. Or, les protéines participent à la croissance et au développement des muscles.

LES COMPLÉMENTS ALIMENTAIRES : LA SOLUTION ? Lorsque l’on adopte un régime végane, une supplémentation en vitamine B12 semble dans tous les cas indispensable. En tant que médicaments, ces suppléments nutritionnels sont contrôlés par l’Institut suisse des produits thérapeutiques Swissmedic. Ces composés n’ont pas toujours de forme galénique ni de dosage adapté pour les nourrissons et les enfants. Il faut alors se tourner vers les compléments alimentaires suisses ou européens, soumis aux mêmes contrôles. Mieux vaut choisir des produits avec peu d’ingrédients différents. Chez les enfants de moins de 4 mois, les compléments doivent être sans gluten ni fructose.

Les apports en calories sont également plus faibles avec une alimentation végétarienne. « Les végétaux, souvent riches en fibres et en eau, occupent un grand volume dans l’estomac. La personne se sent rassasiée mais son alimentation est peu concentrée. Cela peut entraîner une dénutrition qui empêche la bonne croissance et le développement cognitif », explique Nicoletta Bianchi, diététicienne-cheffe adjointe à l’Unité de diététique du CHUV. Une carence en vitamine B12, apportée presque uniquement par les produits d’origine animale, est également à craindre. En excluant les produits laitiers de son alimentation, une bonne part des apports en calcium disparaît. Si plusieurs végétaux en contiennent, ils doivent être bien choisis car ceux riches en oxalates peuvent interférer avec son effet. Le calcium est pourtant essentiel car il permet à l’enfant d’atteindre sa densité osseuse optimale et à l’adulte, notamment âgé, de consolider ses os et ses dents.

Un apport en vitamine D et en iode est recommandé chez la mère végane allaitante. Quant aux supplémentations en fer, elles doivent être prises séparément d’aliments contenant du calcium pour être mieux assimilées par l’organisme. « Ces produits ne sont pas forcément présents en pharmacie habituelle et il faut s’assurer de leur biodisponibilité. Le médecin conseillera les suppléments au cas par cas », confie Nicoletta Bianchi, diététicienne-cheffe adjointe au CHUV.

le fonctionnement cognitif. Les graines de lin, les noix ou l’huile de colza fournissent des omégas 3, mais à chaînes plus courtes. Leur action se révèle alors moins efficace. Enfin, une carence en zinc est également possible. Elle se manifeste par une moins bonne cicatrisation, des ongles cassants, des pertes de cheveux, des diarrhées répétées ou un retard de croissance.

Dans un régime végane, la vitamine D, présente dans les poissons gras et les œufs, peut aussi faire défaut. Les omégas 3 à longue chaîne, contenus dans le poisson, risquent de manquer également. Ces composants ont une action anti-inflammatoire et assurent Pour avoir des apports

suffisants en calcium (sans les effets perturbateurs des oxalates), mieux vaut se tourner vers des aliments comme le brocoli, le chou plume ou kale, ainsi que certaines eaux minérales.

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DES POPULATIONS PLUS SENSIBLES QUE D’AUTRES L’alimentation végane peut entraîner des carences quel que


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Les huiles de lin, de noix ou de colza sont à privilégier, car riches en omégas 3. 44

RÉMI CLÉMENT

soit l’âge, mais avec des conséd’endocrinologie, quences plus importantes chez diabétologie les populations sensibles. Chez les et métabolisme jeunes notamment. « L’adolescent du CHUV. a une croissance très rapide. S’il est végan, son indice de COMPLÉMENTS Pour augmenter l’abmasse corporelle (IMC) peut ALIMENTAIRES sorption du fer contenu ET SOLEIL être inférieur à la normale. Il dans les légumineuses risque donc de ne pas atteindre Pour compenser et les céréales complètes son potentiel génétique de ces manques, il est notamment, croissance s’il a une alimentail est conseillé d’associer conseillé d’augmenter tion carencée », avertit Nicoletta la consommation de à ces dernières une source de vitamine C Bianchi. Il s’avère que plus un végétaux riches en (poivron, brocoli, kiwi, « Des patient-e-s enfant adoptant un régime nutriments utiles (cf. orange, etc.). Mais mieux recourent au véganisme végan est jeune, plus le risque éléments en exergue). vaut éviter de boire juste pour ses possibles vertus de malnutrition et de répercusaprès du thé noir ou curatives. Il est sions sur sa croissance et son Les rayons ultraviolets du café, qui diminuent cependant important l’absorption du fer. développement neurologique du soleil peuvent égaqu’une ou un diététicienest grand. Les adolescentes aussi lement être salutaires. ne les accompagne », prévient Muriel Lafaille sont particulièrement touchées. En synthétisant la vitamine D, ils Paclet, diététicienne« Une alimentation végane couvre rarement couvrent généralement les besoins cheffe au Service un apport adéquat en fer. Or, chez la jeune en la matière. Passer dix minutes par d’endo­crinologie, diabéfille qui commence à avoir ses règles, les jour au soleil contribuerait à complétologie et métabolisme besoins en fer sont majorés », précise ter les apports végétaux. « Les jeunes du CHUV. Laëtitia-Marie Petit, pédiatre gastroenfants sont protégés de ce côté-là entérologue au Département de la femme, car l’apport de vitamine D est systématique de l’enfant et de l’adolescent des Hôpitaux jusqu’à leurs 3 ans », expose Nicoletta universitaires de Genève (HUG)*. Les Bianchi. besoins spécifiques d’une femme enceinte ou allaitante peuvent également affecter sa La consommation de végétaux peut santé et celle de son bébé. Par exemple, si la également être complétée avec des mère est carencée en vitamine B12 et qu’elle micronutriments (voir encadré). allaite son enfant, il peut montrer une « La supplémentation doit être systéLes flocons de levure hypotonie musculaire, avoir des troubles matique chez les tout-petits. Un suivi et les germes de blé complètent les apports neuropsychologiques graves et irréversibles. est nécessaire avec des prises de sang, de zinc. pour les enfants dès l’âge de 1 an », Une autre catégorie de population risque signale Laëtitia-Marie Petit, du Départeégalement de connaître des conséquences ment de la femme, de l’enfant et de désagréables d’une alimentation sans l’adolescent des HUG. Peu de données apport animal. « Les personnes âgées ont existent cependant sur l’absence de maladie besoin de plus de protéines pour compenà l’âge adulte pour un enfant qui a été ser la perte de masse musculaire. supplémenté petit, reconnaît la spécialiste. / Elles absorbent moins bien les nutriments * médecin adjointe dans l’Unité de gastro-entérologie, en vieillissant et peuvent avoir hépatologie et nutrition pédiatrique, Service des spédes problèmes de mastication, or certains cialités médicales, Département de la végétaux ont des fibres dures à femme, de l’enfant et de l’adolescent des Hôpitaux universitaires de Genève mâcher », détaille Muriel Lafaille Paclet, du Service


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PROSPECTION

ET SI 13 MILLIONS DE SOIGNANTS VENAIENT À MANQUER… LA PANDÉMIE A MIS EN LUMIÈRE LE TRAVAIL DES INFIRMIÈRES ET INFIRMIERS DE SUISSE, DYNAMISANT LE NOMBRE D’INSCRIT-E-S DANS LES HAUTES ÉCOLES. UNE ÉVOLUTION RÉJOUISSANTE TANT IL EST CRUCIAL QUE CES PILIERS DU SYSTÈME DE SANTÉ SOIENT SUFFISAMMENT NOMBREUX ET BIEN FORMÉS. TEXTE : BLANDINE GUIGNIER

U

ne hausse de 25% des inscriptions au bachelor en soins infirmiers pour la rentrée de septembre. Du jamais vu, selon les directions des hautes écoles de santé vaudoises. La pandémie a encouragé les jeunes à s’intéresser à la profession. « Les services hospitaliers étaient certes fermés aux proches, mais davantage de personnes ont découvert notre travail de l’intérieur, à travers les nombreux reportages ou en participant au déploiement de la Protection civile ou de l’armée », souligne Isabelle Lehn, directrice des soins du CHUV. Cela a mis en valeur le métier, tout en en offrant une vision réaliste. « Nous avons vu la passion des membres du personnel infirmier pour leur travail et toutes leurs compétences, mais

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aussi la pénibilité et les risques de la profession. On est loin de l’image véhiculée par les séries à l’eau de rose ou la vocation des religieuses d’antan. » Un métier valorisé et valorisant, c’est aussi l’enjeu de l’« Initiative populaire pour des soins infirmiers forts », qui sera prochainement soumise au peuple. Lancée par l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), elle comprend quatre axes principaux. « Nous demandons de bonnes conditions de travail, comme des salaires attrayants ou des places de crèche, ainsi qu’une dotation en personnel suffisante, explique Sophie Ley, présidente de l’association. Nous préconisons aussi une offensive dans la formation et davantage d’autonomie dans l’exercice de la profession.

Ce quatrième axe correspond par exemple à la possibilité de facturer plus d’actes effectués par le personnel infirmier. »

WANTED : 13 MILLIONS D’INFIRMIERS DANS LE MONDE L’épidémie a aussi rendu plus visible la pénurie de personnel infirmier, notamment lorsque des lits supplémentaires ont dû être ouverts, comme au CHUV avec 41 lits de plus aux soins intensifs. « Pour renforcer les équipes, nous avons dû organiser la mobilité interne, engager des professionnel-le-s et faire appel au Pool d’infirmiers (groupe qui appuie les services selon les besoins) ainsi qu’aux agences d’intérim », énumère Isabelle Lehn. Cette situation s’est révélée problématique pour toute la


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Ana Alves s’est orientée vers le métier d’infirmière pour le contact humain. « Petite, j’accompagnais ma mère à l’EMS où elle était employée et je voyais les liens qui se tissaient entre les résidents et lle personnel soignant. » Diplômée d’un bachelor en soins infirmiers en 2020, elle travaille désormais dans le Service de chirurgie viscérale du CHUV. « Même si les débuts dans la profession sont stressants, car on s’occupe de plus de patient-e-s qu’en stage, l’entraide et la collaboration avec des collègues pour réussir des projets de soins parfois compliqués sont vraiment positives. J’ai aussi appris de nombreux gestes complexes qui me seront utiles durant toute ma carrière. » L’objectif de la Vaudoise de 24 ans est de pouvoir un jour travailler en chirurgie pédiatrique.

années à venir, contre 6 millions avant la crise sanitaire.

QUATRE FOIS PLUS DE JEUNES DIPLÔMÉ-E-S Les cantons romands n’ont pas découvert le manque de personnel infirmier avec la pandémie. Des efforts pour attirer plus de jeunes ont été entrepris dès les années 2000. « Un modèle de formation clair, avec le bachelor en soins infirmiers comme unique condi-

tion d’entrée dans la profession, a été introduit à cette époque, détaille Nicolas Jayet, adjoint à la Direction des soins. Le modèle a fonctionné, puisque nous sommes passés de 186 infirmier-ère-s romand-e-s formé-e-s en 2006 à 739 en 2020. » Le besoin de former à un niveau bachelor correspond aussi à l’évolution du système de santé. Les responsabilités ont augmenté

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Suisse romande dans les hôpitaux régionaux, les centres médicosociaux (CMS) chargés des soins à domicile, ainsi que dans les établissements médico-sociaux (EMS). Certains cantons, comme celui du Valais, y ont vu une occasion de créer une filière en soins infirmiers ES (lire en encadré). Au niveau global, l’Organisation mondiale de la santé anticipe un manque de 13 millions d’infirmières et d’infirmiers dans les

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et demandent des connaissances plus poussées. « Le rôle de l’hôpital a évolué et les hospitalisations sont devenues beaucoup plus courtes pour se concentrer sur la phase aiguë de la maladie, explique Isabelle Lehn. Pendant ce bref laps de temps, les compétences infirmières nécessaires ont gagné en importance, que ce soit pour garantir la sécurité des patient-e-s avec une évaluation clinique pointue, ou encore anticiper la transition vers la sortie de l’hôpital. » L’augmentation du nombre de jeunes diplômés a aussi permis de moins recourir à des titulaires de diplômes étrangers. Le CHUV est passé de 48% de nouveaux infirmiers disposant d’un diplôme étranger en 2016 à 31% en 2020.

MOTIVER LE PERSONNEL FORMÉ Le défi consiste également à

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convaincre les infirmier-ère-s de rester dans la profession. Selon des chiffres de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan) publiés en 2016, le taux de départ de 45,9% est le plus élevé des métiers de la santé. « Des études internationales documentent les raisons de cette intention d’abandonner, explique Nicolas Jayet : la transition des études vers le premier emploi, les relations avec la hiérarchie, la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, le manque d’autonomie ou d’accès à la formation, les attentes différentes des jeunes générations sont autant de variables sur lesquelles travaillent les institutions comme la nôtre. » Les cantons romands travaillent ainsi à faire revenir celles et ceux qui s’étaient arrêtés en mettant en place des programmes de remise à niveau. À Fribourg, la Haute école de santé propose depuis 2019 un programme de huit semaines,

dont six de stage. « Nous avons formé huit participantes lors de la première volée, qui avaient pour la plupart arrêté durant une dizaine d’années, explique Coralie Wicht, responsable de la formation. L’intérêt de notre programme est de rafraîchir les connaissances, de reprendre confiance en soi et d’avoir des contacts avec des employeurs potentiels. Il s’agit aussi d’apprendre à utiliser les nouveaux outils numériques. » Une vingtaine de personnes se sont déjà manifestées pour la rentrée d’octobre 2021. « Dans les e-mails, plusieurs d’entre elles ont fait référence à la pandémie, au besoin de contribuer humainement à cet effort. Mais il faut valoriser, offrir de bonnes conditions de travail et des perspectives, pour que les infirmières et infirmiers que l’on applaudissait au printemps 2020 ne sortent pas de la profession. » /

UNE INFIRMIÈRE SANS MATU ? À la fin des années 2000, la Suisse romande a décidé de ne plus proposer qu’une filière de formation en soins infirmiers, contre deux auparavant. Ce bachelor est délivré par une haute école spécialisée (HES). Pour les personnes ne disposant pas de maturité, un nouveau CFC d’assistante en soins et santé communautaire (ASSC) a été créé, qui permet de travailler en binôme avec les infirmiers. En Suisse alémanique en revanche, deux filières avec et sans maturité (ES et HES) existent, tout comme dans le Jura bernois et en Valais. La pénurie locale de personnel, mais aussi une culture différente expliquent ces choix politiques. Au Centre de formation professionnelle Berne francophone de Saint-Imier, 86 infirmières et infirmiers ES ont obtenu leur diplôme entre 2015 et 2021. « L’orientation pratique de la formation et le fait qu’une maturité ne soit pas nécessaire pour s’inscrire intéressent les jeunes, explique le directeur adjoint du centre, Daniel Roulin. Deux tiers des personnes inscrites sont des ASSC. Le tiers restant est titulaire d’une autre formation

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dans la santé ou d’un type de CFC différent. Un de nos élèves les plus brillants avait par exemple un certificat de bûcheron en poche quand il a commencé. » Ces diplômés travaillent ensuite dans les soins de longue durée ou à domicile, en psychiatrie ou dans un des centres hospitaliers de la région. Du côté du CHUV et du canton de Vaud, le binôme infirmier bachelor et ASSC est la règle. « Ce modèle est présent dans la quasi-totalité de nos services, relève Isabelle Lehn, directrice des soins. C’est un vrai plus pour les patient-e-s, car des études scientifiques ont mis en évidence une baisse de la mortalité avec des infirmiers-ères formé-e-s au niveau bachelor, mais aussi pour le système de santé, parce que la répartition des rôles et responsabilités est plus claire. Riche de cette expérience et après cinq ans d’exercice, l’ASSC qui souhaite évoluer peut accéder directement à la formation d’infirmier HES, peut même réaliser la formation bachelor en cours d’emploi, et exercer ensuite dans toutes les spécialités. »


TEXTE : ERIK FREUDENREICH ILLUSTRATION : JELENA VASILJEVIĆ POUR IN VIVO

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TENDANCE

UNE TERRE, UNE SEULE SANTÉ

Près de 75% des maladies infectieuses émergentes sont transmises de l’animal à l’être humain. De ce constat est née l’initiative « One Health », une collaboration interdisciplinaire pour lutter plus efficacement contre les menaces sanitaires.

C

e printemps, les autorités françaises ont recommandé aux habitant-e-s du Doubs et du Jura situés à proximité de zones sylvicoles de porter un masque. Non pas à cause du Covid-19, mais en raison de l’hospitalisation de plusieurs personnes atteintes d’une infection au Puumala, un virus du genre hantavirus (voir encadré), transmis par les rongeurs tels que les mulots ou les campagnols via leurs excréments. « Ce virus provoque une fièvre hémorragique avec syndrome rénal, dont les symptômes sont similaires à ceux de la grippe (fièvre, céphalées, douleurs musculaires), explique Sylvia Rothenberger, investigatrice principale d’un groupe de recherche consacré aux hantavirus à l’Institut de microbiologie du

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PRÉVENIR UNE INFECTION AUX HANTAVIRUS

Les hantavirus sont présents chez les petits mammifères tels que les souris ou campagnols. Morsure, contact direct avec les animaux ou inhalation de poussière contaminée peuvent provoquer une infection. Depuis l’an 2000, près de 3000 cas sont recensés en Europe chaque année, mais la Suisse est relativement épargnée pour l’instant. Comme il n’existe aucun vaccin contre ces virus, il est essentiel d’éviter tout contact avec les rongeurs et leurs déjections dans les zones à risque, mais aussi d’éviter de manipuler du bois ou de la terre.

CHUV. Elle s’avère bénigne dans la majorité des cas, mais peut parfois engendrer des problèmes rénaux graves, voire la mort des patients. » Le Puumala qui inquiète tant les responsables sanitaires en France voisine fait partie des zoonoses, terme qui désigne un groupe de maladies infectieuses se transmettant naturellement de l’animal à l’homme. Elles comptent pour 60% des maladies infectieuses touchant l’humain. On estime par ailleurs que trois quarts de l’ensemble des maladies infectieuses émergentes font partie des zoonoses. Déforestation, agriculture et élevages intensifs ou encore résistance accrue aux agents antimicrobiens font partie des facteurs qui favorisent l’émergence de ces affections.

Les zoonoses comptent pour 60% des maladies infectieuses touchant l’humain.


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TENDANCE


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TENDANCE

Le mouvement « One Health » semble avoir repris des forces à la faveur de la crise sanitaire qui agite le monde depuis une année.

Parmi elles, on peut citer le virus Ebola, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), le syndrome respiratoire aigu soudain (SRAS), la maladie virale de Zika ou encore le Covid-19. RÉPONDRE À L’HYPERSPÉCIALISATION Observant l’apparition de ces nouvelles maladies, l’Organisation des Nations unies a mis sur pied au début des années 2000 l’initiative One Health (Une seule santé). La démarche consiste à mesurer les liens entre la santé des personnes, des animaux et de l’environnement. Elle vise également à faire collaborer les différentes disciplines dans le but de lutter contre toutes les menaces sanitaires et de prévenir une éventuelle perturbation des systèmes agroalimentaires. « Le concept One Health permet de répondre à l’hyperspécialisation qui a cours dans nos métiers, remarque la chercheuse Sylvia Rothenberger. Par exemple, on trouve des structures de virus similaires autant dans les plantes, les insectes que les rongeurs, ce qui peut amener à de nouvelles collaborations entre des médecins qui se centrent sur la santé humaine et des biologistes de terrain. » Une approche qui s’est cependant longtemps heurtée à une vision plus marchande de la médecine. Mais le mouvement One Health

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ZOONOSES MAJEURES Brucellose Maladie transmise par le bétail domestique et les produits laitiers crus provenant d’animaux infectés. Elle se manifeste par de la fièvre et d’éventuelles complications chroniques de type articulaire ou neurologique. Salmonellose Infection bactérienne qui provoque de la diarrhée, de la fièvre et des crampes abdominales suite à l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés. Rage Cette infection hautement contagieuse se transmet par morsure d’animaux carnivores. Mortelle dans la quasi-totalité des cas, elle cause chaque année 59 000 décès humains dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé.

semble toutefois avoir repris des forces à la faveur de la crise sanitaire qui agite le monde depuis une année. Ainsi, fin mai, plusieurs organisations internationales ont annoncé le lancement d’un nouveau groupe d’expert-e-s de haut niveau pour l’approche Une seule santé, dans le but de mieux comprendre la façon dont émergent et se propagent les maladies susceptibles de déclencher des pandémies. « Ce groupe constitue une initiative indispensable pour que le concept Une seule santé se traduise en politiques concrètes protégeant la santé des populations du monde entier », a souligné à cette occasion Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. Les liens étroits qui unissent la santé humaine, la santé animale et la santé de l’environnement exigent une collaboration et une coordination intenses entre les différents secteurs concernés. » /


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COULISSES

QUAND LA TÉLÉMÉDECINE ATTEINT SES LIMITES Les consultations médicales à distance ont augmenté de 70% en 2020, du fait de la pandémie. Porteuses d’atouts certains, elles ne conviennent cependant pas à toutes les spécialités médicales.

TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

Au même titre que le télétravail, la télémédecine est en plein essor. Si, jusqu’à récemment, on l’associait aux « déserts médicaux » qu’elle permet de servir (voir « Les soins mobiles, partager pour économiser ? », In Vivo n° 13), ses champs d’application se sont multipliés de façon exponentielle. De la prévention au suivi d’un patient en passant par la pose d’un diagnostic, la télémédecine est aujourd’hui partout : demande d’avis médical par tchat, consultation par visioconférence, nouveau dossier électronique du patient, séance de rééducation à l’aide de la réalité virtuelle… Le marché digital – peu encadré – est en plein développement. Un ordinateur ou un smartphone suffisent pour bénéficier d’une séance de télémédecine, que ce soit depuis chez soi, depuis la pharmacie ou à l’hôpital.

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Des disciplines pionnières

Membre du comité central de la Fédération des médecins suisses (FMH) et responsable de son Département numérisation/ eHealth, Alexander Zimmer fait valoir que diverses offres de services spécifiques se sont développées ces dernières années, comme la téléradiologie (consultation et interprétation d’images radiologiques ou échographiques à distance), la télédermatologie (interprétation rapide de lésions cutanées à distance) ou encore la télécardiologie (suivi à distance de patients porteurs d’un stimulateur cardiaque) : « Ces disciplines ont été pionnières car elles permettaient, plus que d’autres, de fournir des prestations standardisées de haute technologie  », affirme le spécialiste, rappelant au passage que selon l’American Telemedicine Association (ATA), la télémédecine consiste en « l’utilisation d’informations médicales échangées d’un site à un autre par le biais de la communication électronique afin d’améliorer l’état de santé clinique d’une ou d’un patient-e ». C’est évidemment le Covid-19 qui a généralisé son usage. D’après la FMH, les consultations à distance ont augmenté de 70% en 2020 par rapport à 2019. Et selon l’enquête de l’institut de


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3%

L’examen par un professionnel-le-s de la santé avec conseil télémédical n’est considéré comme la meilleure option que par 3% des médecins.

recherche gfs.bern publiée début juin, plus d’un quart (26%) des médecins de cabinet indiquaient avoir fourni des prestations de soins au moyen de la télémédecine au cours des trois derniers mois.

Garder le lien « La pandémie a permis d’exploiter le potentiel de la télémédecine et d’en confirmer l’intérêt », constate Anne-Sylvie Diezi, responsable de l’information du patient au Service de communication et de création audiovisuelle du CHUV. La professionnelle a supervisé au printemps 2020 le projet « Garder le lien », une série de courts reportages tournés dans divers services de l’établissement (médecine interne, soins intensifs, centre de dialyse, etc.) pour montrer comment le personnel soignant s’était adapté à la situation, en mettant en place des solutions pour rester en contact avec les patient-e-s et leurs proches, et assurer le suivi de la prise en charge à l’aide de la technologie. «  Malgré une certaine appréhension initiale, au final, les patientes et patients étaient plutôt satisfaits des nouveaux outils technologiques, essentiellement parce qu’ils ont permis de garder un lien. » Les services traitant de maladies chroniques comme l’Unité de diabétologie pédiatrique, où les

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patient-e-s sont très impliqués dans la gestion de leur santé au quotidien, ont particulièrement bénéficié de la télémédecine pendant la pandémie. Certains instruments technologiques pourraient d’ailleurs demeurer utiles à l’avenir. « Plusieurs unités envisagent le maintien de certaines activités à distance sur le moyen-long terme  », dit Anne-Sylvie Diezi. C’est l’exemple du café virtuel organisé pour les patient-e-s de rhumatologie, alternative que l’équipe voyait comme un pis-aller. Or, les participantes et participants se sont révélés ravis de la formule. « Dans certains cas, c’était même très positif, comme pour les personnes plus vulnérables aux contagions pour qui ne pas devoir utiliser les transports publics était rassurant. » En ce qui concerne les patientes et patients qu’elle a rencontrés, même s’ils ont signalé que voir les professionnel-le-s en présentiel demeure important, Anne-Sylvie Diezi a constaté que ce qui compte avant tout est le lien patientsoignant, quelle que soit sa forme. « Ce n’est pas tant la rencontre en présentiel ou à distance qui importe, mais la qualité de la relation. » Pendant la pandémie, la télémédecine a ainsi permis d’éviter des déplacements, des risques de contagion et la surcharge des hôpitaux. Un gain de confort, mais aussi de temps et parfois d’argent, en bénéficiant d’un avis médical tout aussi valable que lors d’une consultation classique.


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Le « présentiel » demeure indispensable Sylvie Berney, médecin cadre au Service de psychiatrie générale du CHUV, estime néanmoins que si la téléconsultation peut être une ressource dans certaines circonstances, elle ne remplacera pas le contact direct. « Habituellement, en psychiatrie, la téléconsultation se pratique sur indication, de façon ponctuelle et non pas de routine  », explique-t-elle, indiquant qu’en mars 2020, les le personnel consultant du Département de psychiatrie a dû s’adapter rapidement à cette manière de faire. L’intérêt de la visioconférence, dans le contexte spécifique du coronavirus, a été de pouvoir assurer le suivi des patiente-s d’autant plus que la pandémie générait un stress supplémentaire pour des personnes déjà en difficulté, précise-t-elle. D’un sondage effectué auprès de 282 professionnelles et professionnels du Département de psychiatrie du CHUV ayant pratiqué la téléconsultation dans ces circonstances, il ressort que la qualité des entretiens est impactée, notamment en ce qui concerne les aspects de l’évaluation fine de l’état psychique des patients, relève Sylvie Berney. La médecin insiste aussi sur l’importance de pouvoir garantir le respect de la confidentialité des consultations. « Si un patient vit avec d’autres personnes et qu’il n’a pas un lieu où s’isoler pour la consultation, cela peut être problématique. » Dans sa profession, l’interaction, la rencontre et l’espace où se discutent des choses personnelles et où chacun-e doit se sentir en sécurité sont très importants, soutient Sylvie Berney. « On gagne peut-être du temps avec la télémédecine mais, dans la balance, cet avantage ne pèse pas suffisamment lourd pour généraliser cette pratique en l’absence de critères d’indication. » Elle comprend son intérêt dans la pratique de routine, dans les régions isolées où il faut parfois des heures pour rejoindre un spécialiste. « Mais ici,

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où il existe une médecine de proximité, où nous travaillons en réseau avec l’entourage familial, social et professionnel de chaque personne, le présentiel est fondamental et précieux. » Alexander Zimmer, de la FMH, souligne encore que, dans le cas de téléconsultations, la tenue du dossier médical, les dispositions suisses en matière de protection des données, le secret professionnel et le devoir de diligence des médecins « doivent impérativement être assurés ». L’éventail des possibilités qu’offre la télémédecine est donc bien loin d’être épuisé, estime-t-il, en spécifiant cependant que ni les patient-e-s ni le corps médical ne sont favorables à son utilisation exclusive. /

11%

Selon un sondage réalisé par la FMH fin 2020, 11% des Suisses sont prêts à remplacer le contact direct avec le médecin par une consultation vidéo.


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LABO DES HUMANITÉS

RECHERCHE

Dans ce « Labo des humanités », In Vivo vous fait découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

TEXTE : ELENA MARTINEZ

AUDE FAUVEL Historienne de la médecine et maître d’enseignement et de recherche à l’IHM. Pour en savoir plus : Quand la Suisse était « féministe » : une petite histoire de la féminisation de la médecine à la Belle Époque, par Aude Fauvel, Lucie Begert, Revue Médicale Suisse, N° 7442, juin 2021.

Les recherches sur les rapports entre science et genre constituent aujourd’hui une discipline académique à part entière, mettant en lumière les réalisations scientifiques des femmes, les obstacles qu’elles ont rencontrés et les stratégies qu’elles ont mises en œuvre pour que leur travail soit reconnu par leurs pairs. Aude Fauvel participe à ce mouvement, avec un regard original. « Qu’est-ce que les femmes font à la science ? Quelles innovations qualitatives les chercheuses apportent-elles à la recherche et au savoir ? » se demande-t-elle. Parmi les obstacles que les femmes ont rencontrés, il y a l’effet Matilda : il s’agit du biais qui consiste à attribuer une découverte scientifique a priori plutôt à un homme qu’à une femme, accompagné du déni ou de la dévalorisation des contributions féminines. Cet effet a été nommé ainsi en référence à la militante féministe américaine du XIX siècle Matilda Joslyn Gage, qui avait remarqué que des hommes s’attribuaient les pensées intellectuelles des femmes. De nombreuses oubliées de la science en ayant souffert sont aujourd’hui réhabilitées : Lise Meitner (physicienne, découvre la fission nucléaire), Rosalind 54

Franklin (biochimiste, découvre la structure de l’ADN), Marietta Blau (physicienne, invente des techniques en radiographie). « En Suisse, nous dit Aude Fauvel, on sait peu de choses sur la façon dont les femmes ont contribué à la médecine et à la science, alors même que la Suisse a été pionnière en étant le premier pays à ouvrir les portes de ses universités aux femmes. Il faut savoir qu’en 1900, il y avait plus de femmes (la plupart étrangères) que d’hommes dans toutes les facultés médicales helvétiques. Qu’ont-elles fait ensuite ? L’histoire est peu bavarde sur ces questions. » Pourtant, les premières femmes médecins souhaitaient démontrer qu’un regard féminin était déterminant pour faire évoluer la discipline médicale. Leur influence dans les domaines de la gynécologie-obstétrique et de la pédiatrie fut primordiale. Elles investirent aussi d’autres champs dans lesquels la médecine, auparavant essentiellement exercée par des hommes, s’était encore peu développée : compréhension de la sexualité et du plaisir féminins, santé publique, littératie en santé et prévention, etc. Pour ne prendre qu’un exemple, Anna Fischer-Dückelmann, formée en Suisse, écrivit en 1901 un ouvrage pionnier – Die Frau als Hausärztin – qui couvre une multitude de sujets de santé publique et de médecine de famille, réédité jusqu’en 1993, traduit dans une douzaine de langues, et vendu à des dizaines de millions d’exemplaires. Elle eut un impact central sur la santé des Européennes et cependant son nom n’apparaît dans aucun livre d’histoire de la médecine. /

LA FEMME MÉDECIN DU FOYER, PAR ANNA FISCHER ; TRAD. PAR LOUISE AZÉMA, PARIS, ÉD. MÜLLER, 1905 ( ?). COLLECTIONS BIHM, COTE HMA 11068 87

Les femmes ont fait évoluer les sciences médicales


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CHRONIQUE

CÉLINE LAFONTAINE Auteure du livre « Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant » (éd. Seuil)

Des objets pas comme les autres

Le terme « bio-objets » désigne toute forme de vie en laboratoire (in vitro). Il englobe autant des cellules, des gamètes et des embryons que des espèces microbiennes maintenues en vie dans des boîtes de Pétri. Ce concept a le mérite de poser la question du rapport au vivant institué par les biotechnologies. En effet, les produits de la culture in vitro ne sont pas des objets comme les autres, du seul fait de leur vitalité biologique. La catégorie des bio-objets est large, mais elle regroupe des caractéristiques communes : la possibilité de congeler, dégeler et manipuler de multiples façons des cellules humaines et non humaines. Aujourd’hui, on estime que 7 millions de personnes sont nées de la fécondation in vitro. Ces questions nous touchent donc de manière extrêmement profonde. La manipulation génétique est partout, notamment dans notre alimentation, avec les OGM. En définitive, les bio-objets forment une réalité invisible socialement, mais très présente dans tout ce qui nous entoure.

BENOIT BOUCHER

PROFIL

Céline Lafontaine est professeure titulaire de sociologie à l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur les enjeux épistémologiques, politiques, économiques et culturels des technosciences. Son dernier livre, « Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant », est paru aux Éditions Seuil en mars 2021.

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Jusqu’à récemment, on ne s’est jamais intéressé aux bio-objets en tant que produits industriels en constante prolifération. Seuls les enjeux juridiques ou éthiques de tel ou tel bio-objet sont pris en compte dans le débat public. Par exemple, les embryons in vitro sont considérés comme des personnes potentielles quand ils sont l’objet d’un projet parental, mais ils ont un statut de matériel biologique dans le contexte de la recherche. Leur malléabilité technoscientifique confère aux bio-objets une valeur économique qui dépasse leur simple statut de marchandise destinée à la recherche. Source d’anticipation, les bio-objets génèrent des espoirs immenses, tant du côté de la recherche que de l’économie. Jusqu’à ce jour, il n’existe pas de vision transversale de la production de bio-objets à grande échelle. La sociologie a commencé récemment à s’intéresser à ce champ de savoir. Il s’agit d’explorer et de prendre en compte le contexte, notamment historique, dans lequel les bio-objets naissent et évoluent, pour pouvoir comprendre les enjeux profonds de la bioobjectivation généralisée.

Sur le plan économique, l’un des enjeux essentiels est celui de la mise en ressources des ovocytes humains, qui sont désormais au centre d’un véritable marché. Ces bio-objets ont une double valeur reproductive et régénérative, ils s’inscrivent dans l’économie de la promesse qui nourrit à la fois les espoirs de devenir parents et ceux de pouvoir guérir des maladies grâce aux cellules souches embryonnaires. Bref, les bio-objets possèdent des dimensions matérielles, scientifiques, industrielles, affectives et identitaires qu’il s’avère important de saisir et d’analyser pour comprendre quel type de rapport au monde vivant est porté par ces produits biologiques. C’est en quelque sorte la face cachée de l’anthropocène. /


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TEXTE : ADRIANA STIMOLI

GÉNÉRATION COVID : DE LA SOLITUDE À LA RECONSTRUCTION PLUSIEURS ÉTUDES MONTRENT QUE LES JEUNES ONT PARTICULIÈREMENT SOUFFERT DE L’ISOLEMENT LIÉ À LA CRISE SANITAIRE. LES PROFESSIONNEL-LE-S REDOUTENT UNE MULTIPLICATION DES DÉCROCHAGES SCOLAIRES ET DES ÉTATS DÉPRESSIFS SI CETTE CATÉGORIE DE LA POPULATION CONTINUE À ÊTRE STIGMATISÉE.

«

Le confinement m’a fait vivre une seconde dépression. » Au début de l’année 2020, Julie*, la vingtaine, venait de reprendre ses études. Elle entamait une maturité professionnelle dans le canton de Vaud après avoir traversé une importante dépression. Mais lorsque l’isolement lui est imposé en raison des

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restrictions sanitaires, ses troubles la rattrapent. Seule dans son studio, privée de contacts sociaux et scolaires, elle perd ce goût à la vie si fraîchement retrouvé. « D’abord j’ai décroché avec les cours. Puis j’ai commencé à manger et dormir de moins en moins, sans m’en rendre compte. Jusqu’à faire une décompensation psychotique et être hospitalisée. » Aujourd’hui, Julie n’a pas repris ses études mais elle va mieux. Avec courage, elle met des mots sur cet épisode difficile : « J’allais bien et la crise sanitaire a arrêté le

monde d’un coup. Je ne voyais plus personne, j’étais seule. Le confinement a été un déclencheur : il m’a replongée dans un mal-être profond. » La population dans son ensemble a souffert des mesures d’isolement, mais les jeunes ont été particulièrement touchés. Une étude récente de l’Université de Bâle réalisée au cours de la deuxième vague de Covid-19 a montré une augmentation de près de 29% des symptômes dépressifs graves chez les 14‒24 ans (alors qu’elle est de


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Le compte Instagram @anxietudessuperieurs.ch recueille des témoignages d’étudiants ayant souffert pendant la pandémie.

« #cherConseilFederal, voilà à quoi ressemble l’université, pour moi, depuis plus d’une année maintenant. Je n’en peux plus. CLAIRE DESCOMBES

Et plus grave encore, nous sommes nombreu. ses.x à être au bout de nos forces. » Claire, étudiante en mathématiques Photo extraite du compte instagram @anxietetudessuperieurs.ch

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RECUEILLIR DES TÉMOIGNAGES Sur Instagram, Claire Descombes, 25 ans, s’organise. Cette étudiante en mathématiques à l’Université de Berne a ouvert en janvier dernier un compte (@anxietudessuperieurs.ch) qui publie les témoignages anonymes des étudiant-e-s face à l’isolement induit par la pandémie. « La solitude liée aux restrictions, dont la fermeture des hautes écoles, je l’ai vécue de plein fouet, avoue la jeune femme. J’ai voulu donner de la visibilité à ma propre expérience mais aussi à ce que je perçois autour de moi : les jeunes souffrent et ne se sentent pas écoutés. » Parmi la centaine de témoignages affichés sur le compte de Claire, certains mentionnent des symptômes dépressifs graves.

14% chez les 45‒54 ans et de 6% chez les 65 ans et plus, étude basée sur un échantillon de 11’000 personnes issues de toute la Suisse). UN MAL-ÊTRE QUI DURE Kerstin von Plessen est cheffe du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV. Entre les mois de juin et septembre 2020, son service a accusé une augmentation de 40% des demandes d’hospitalisation par rapport à l’année précédente. « On ne peut pas dire que de telles requêtes soient toutes liées à la crise sanitaire, précise la professeure. L’étude réalisée par l’Université de Bâle prouve toutefois que les plus jeunes ont davantage souffert. L’interaction avec les pairs est essentielle à un âge où l’individu se découvre et se construit. Les adolescent-e-s ont besoin des liens sociaux, car leur identité est basée sur le miroir que leur renvoient les autres. » Les chiffres récoltés par la fondation Pro Juventute pour

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D’autres reviennent sur leur décrochage scolaire. « Au début de l’année 2021, j’étais suspendue aux nouvelles, peut-on ainsi lire sur une publication. Je n’attendais qu’une chose, qu’on me dise que l’université rouvrirait… jusqu’au jour où j’apprends que nous resterons emprisonnés dans nos chambres pour tout le semestre. » De son côté, Claire Descombes affiche une méfiance face à l’avenir. « En tant qu’étudiants, on a peur d’être forcés à l’abandon du présentiel pour la suite de nos études. Si l’on continue ainsi, on risque de mettre sur pied une génération dénuée de toute capacité à socialiser et évoluer en société. »

l’année 2020 viennent également confirmer la souffrance de toute une génération. La fondation propose via sa ligne 147 des conseils aux jeunes dans le besoin. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre et gratuitement, les personnes en difficulté peuvent contacter les collaborateurs du service par téléphone, message ou encore e-mail. Dès le début de la pandémie, le 147 a fait face à une augmentation des demandes de consultation. La responsable du Service conseils de la fondation en Suisse romande, Florence Baltisberger, insiste sur le caractère alarmant de ces appels. « Si les requêtes ne sont pas devenues ingérables en termes de quantité, c’est flagrant de voir l’augmentation de leur densité, explique-t-elle. Depuis la crise sanitaire, ces demandes de soutien durent plus longtemps mais se révèlent aussi plus compliquées. » En 2020, selon le rapport annuel de Pro Juventute, enfants et jeunes adultes ont majoritairement solli-

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cité le 147 pour des questions liées aux restrictions imposées à leur vie sociale. En comparaison avec l’année 2018, les inquiétudes et les doutes concernant la perte d’amis ou le sentiment de solitude représentent des thèmes sensiblement plus abordés (+93% et +37%). Mais encore, l’augmentation des problèmes personnels graves, tels que des pensées suicidaires ou des états dépressifs, a constitué presque la moitié des motifs d’appel au 147 durant cette année de pandémie. SE RECONSTRUIRE POUR AVANCER Alors que la vaccination redonne aujourd’hui de l’espoir et permet aux restrictions d’être peu à peu levées, une partie de cette classe d’âge continue de se sentir éprouvées. C’est ce qu’observe la docteure Alessandra Duc Marwood, spécialiste des questions de maltraitance intrafamiliale. « Nos adolescente-s et jeunes adultes souffrent encore massivement. L’isolement leur a donné, pour la plupart, un


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sentiment d’inutilité qui porte fortement atteinte au sens donné à leur vie et à leur avenir. »

ERIC DÉROZE

Les conséquences sur le long terme de ces mois difficiles sont encore mal connues. Plusieurs institutions académiques romandes ont sondé les étudiant-e-s sur leur santé mentale, à l’instar de l’Université de Neuchâtel qui a produit un rapport où l’on découvre que 86% des 1688 participantes et participants mentionnent des difficultés à rester motivés pour les études. À Genève, l’Adepsy (Association des étudiants en psychologie) a mené une enquête auprès de 509 étudiant-e-s. Les résultats sont alarmants : environ un tiers des sondés indique avoir eu des pensées suicidaires ou « envie de se faire du mal au moins une petite partie du temps » durant la pandémie. « Suivre de près cette génération est crucial : il faut agir maintenant et au plus vite », insiste Alessandra Duc Marwood. La pédopsychiatre redoute une perte de sens qui dure et qui se traduirait par une impossibilité pour les jeunes de reprendre une vie normale. Décrochages scolaires, manque de vision d’avenir ou encore états dépressifs sont autant de conséquences redoutées. Face à ce futur incertain, une question demeure : comment aider les adultes de demain ? Autrement dit, comment permettre à cette « génération covid » de se reconstruire ? Les docteures Kerstin von Plessen et Alessandra Duc Marwood s’accordent sur la réponse à donner : il faut prendre au sérieux les craintes et obstacles rencontrés durant la pandémie. Surtout, les deux professionnelles de la santé

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se montrent critiques quant à la stigmatisation qui a pu être réservée aux jeunes, parfois accusés de moins respecter les mesures que leurs aînés. Par exemple, des incidents comme les émeutes de Saint-Gall d’avril dernier, où quelque 300 jeunes sont entrés en conflit avec les forces de l’ordre, ont contribué à jeter le blâme sur toute une génération. De son côté, Alessandra Duc Marwood insiste sur la nécessité de reconnaître les efforts ainsi que les sacrifices réalisés. « Les jeunes sont pour la plupart capables de se reconstruire, explique-t-elle. Mais leur capacité de résilience va dépendre de ce que la société leur envoie comme message. C’est-à-dire, de comment elle va reconnaître qu’ils ont pour beaucoup joué le jeu durant toute la crise sanitaire. À un niveau sociétal et individuel, on doit pouvoir dire que c’est aussi grâce à leurs sacrifices qu’on voit le bout du tunnel. » Enfin, la docteure l’affirme : un avenir plus serein nécessite que

Kerstin von Plessen, cheffe du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV.

l’on soit plus tolérant face au besoin de certains de se retrouver. « Il faut que l’on souhaite à notre jeunesse de pouvoir refaire la fête et recréer des liens. C’est crucial que chaque personne puisse se réparer. » / *Prénom d’emprunt

Une étude récente de l’Université de Bâle réalisée au cours de la deuxième vague de Covid-19 a montré une augmentation de près de 29% des symptômes dépressifs graves chez les 14-24 ans (alors qu’elle est de 14% chez les 45-54 ans et de 6% chez les 65 ans et plus, étude basée sur un échantillon de 11’000 personnes issues de toute la Suisse).

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TEXTE : PATRICIA MICHAUD

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LA SANTÉ, OTAGE DES INÉGALITÉS SOCIALES Après avoir placé tous leurs espoirs dans la génétique, les chercheuses et chercheurs réexaminent le rôle du stress et du contexte social dans l’apparition de maladies. Car les personnes en situation de vulnérabilité risquent davantage d’être atteintes dans leur santé. Explications avec Mathieu Arminjon et Patrick Bodenmann.

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ina a 35 ans, trois enfants et LE PÈRE DE travaille à son L’HOMÉOSTASIE compte comme Intitulé « Walter graphiste. Il y a B. Cannon. un an, elle s’est Conférences sur séparée de son les émotions et l’homéostasie, mari violent. Paris, 1930 », Elle a ensuite l’ouvrage de enchaîné les Mathieu Arminrendez-vous chez jon a été publié en septembre son médecin 2020 aux Éditions de famille pour plusieurs otites, laryngites RMS. Walter B. et d’autres affections chroniques. À chaque Cannon est consifois, elle en est ressortie « avec l’équivalent déré comme l’un des plus grands d’un sac à commissions plein de médicaphysiologistes ments », raconte-t-elle. Un dimanche, du XXe siècle. elle s’est réveillée avec de fortes douleurs Ces deux séries abdominales et une envie pressante d’aller de conférences inédites sur les aux toilettes. Convaincue d’être atteinte émotions et d’une infection urinaire, elle s’est rendue en l’homéostasie, urgence dans une permanence médicale. délivrées en français à Paris Là, surprise : la praticienne de garde lui a en 1930, éclairent annoncé que les tests ne révélaient pas la une phase cruciale moindre trace d’infection. « La doctoresse a de son parcours alors plongé ses yeux dans les miens et a intellectuel qui demandé comment allait ma vie. J’ai fondu l’amènera à la physiologie du en larmes. » Suite à cela, Nina a pris coup stress. sur coup deux décisions : changer de médecin de famille et appeler ses parents pour les prier de venir l’aider à la maison. CORPORE SANO

TENDANCE

Depuis le début du siècle dernier, les scientifiques font état de l’influence du stress sur la santé générale d’un individu. Dans les années 1930 déjà, le chercheur américain Walter B. Cannon avait indiqué qu’« au-delà d’un certain seuil, l’autorégulation physiologique échoue et des maladies apparaissent », relate Mathieu Arminjon, adjoint scientifique à la Haute école de santé Vaud (HESAV) et chercheur associé de l’Institut des humanités en médecine du CHUV. S’il ne constitue pas encore une évidence pour l’entier du corps médical, ce lien de cause à effet est de plus en plus étudié et pris en compte. Ou plutôt « de nouveau étudié et pris en compte », préciset-il. En effet, « à l’âge du postgénomique, de l’épigénétique, de la santé environnementale, mais aussi des crises économiques et pandémiques, la notion de stress et des déterminants sociaux de la santé (DSS) fait son grand retour ». Mathieu Arminjon précise : « Durant les dernières décennies, la médecine a placé de grands espoirs dans la génétique, censée pouvoir tout régler ; or, on est récemment arrivé à la conclusion que la génétique, c’est seulement 20 à 30% du risque de maladie chronique. » Une conclusion à laquelle sont venus s’ajouter des travaux sur les inégalités sociales dans les problèmes de santé.


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SCIENCE HISTORY IMAGES / ALAMY STOCK PHOTO

Le chercheur américain Walter B. Cannon (1871-1945), déjà, s’intéressait à l’influence du stress sur la santé d’un individu.

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TENDANCE


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DEUX HEURES ET DEMIE D’ENDURANCE PAR SEMAINE

LE COVID-19, CHAMPION DES INÉGALITÉS Patrick Bodenmann, chef du Département vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté, a fait de l’impact des facteurs sociaux sur la santé son champ de recherche. « L’idée de se pencher sur les éléments non biologiques de la santé tels que disparités sociales, stress, travail ou encore alimentation n’est pas nouvelle », confirme-t-il. Il rappelle que la notion de déterminants sociaux de la santé (DSS) a suscité beaucoup d’intérêt dans les années 1960–1970, avant d’être mise à l’écart au profit d’autres sciences, comme la génétique. Le professeur constate lui aussi un retour en force des DSS dans le contexte actuel de pandémie, « qui n’est qu’une illustration de plus de la réalité : les personnes en situation de vulnérabilité sont davantage touchées que les autres ». Patrick Bodenmann rappelle qu’au début de la crise sanitaire, « les spécialistes criaient haut et fort que le Covid-19 sévissait sans discrimination, mettant tout le monde sur un pied d’égalité ». Or, une étude britannique portant sur les données de 17 millions de personnes a montré que les individus issus de communautés minoritaires sont plus à risque de ne pas être dépistés, de devoir être admis aux soins intensifs et de mourir des conséquences de la maladie. Même des pays apparemment considérés comme égalitaires n’échappent pas à la règle. « Prenez le cas de la Suisse : une recherche pilotée par Matthias Egger (ndlr : dont les résultats ont été publiés en avril 2021) est arrivée à la même conclusion, à savoir que les habitantes et habitants pauvres y ont plus de risques de mourir du coronavirus. » Mathieu Arminjon illustre le mécanisme : « Sachant que les personnes en situation de vulnérabilité sont davantage exposées aux maladies CORPORE SANO

À l’ère de la crise pandémique et des semi-confinements, les autorités sanitaires lancent depuis le printemps 2020 des appels répétés au maintien d’une activité physique régulière au sein de la population, ce, afin d’éviter les pépins de santé, y compris psychologiques. « Il s’agit surtout de ne pas se sédentariser », relève Vincent Gremeaux. Concrètement, l’Organisation mondiale de la santé conseille une activité en endurance d’au moins deux heures et demie par semaine, qui peut être fractionnée en plusieurs séances – idéalement cinq –, ainsi qu’un peu de renforcement musculaire. Le calcul est vite fait : « Si vous faites deux fois par jour quinze minutes de vélo, par exemple pour aller faire vos courses ou chercher votre enfant à l’école, vous aurez déjà votre quota ! » rappelle le responsable du Centre de médecine du sport du CHUV.

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chroniques et que les personnes souffrant de maladies chroniques sont davantage susceptibles de contracter une forme sévère du coronavirus, on peut carrément parler de double sanction. » UNE SOCIÉTÉ PLUS PROTECTRICE C’est en tentant de remonter à la source de l’intérêt pour les déterminants sociaux de la santé et en intégrant le concept de stress à ses recherches que Mathieu Arminjon s’est pris de passion pour les travaux de Walter Bradford Cannon (1871–1945). « Au XIXe siècle, des théories sur le lien entre maladies et pauvreté circulaient déjà », note le chercheur. Le médecin américain est cependant allé beaucoup plus loin : « Il s’est intéressé à la physiologie des émotions puis a créé le terme “homéostasie” pour décrire la capacité de l’organisme à maintenir la stabilité des paramètres vitaux. » C’est de ces travaux qu’émerge la notion de stress sous sa forme moderne. « Cannon a créé un modèle expliquant comment certains événements externes, en particulier sociaux, représentent des ’stress’ qui viennent perturber l’autorégulation biologique ; il a établi une théorie sur l’interaction entre une pathologie normale et l’environnement. » Le chercheur de l’HESAV précise que le scientifique américain était par ailleurs un ardent défenseur d’une société stable économiquement et politiquement, permettant de protéger la santé des individus qui la composent, d’autant que la sienne était fortement marquée par la guerre de 1914-19 et la crise économique de 1929. UN THÈME AUSSI POLITIQUE QUE MÉDICAL L’un des terrains de recherche de Patrick Bodenmann est justement de déterminer


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dans quelle mesure les DSS pourraient être modifiés afin d’inverser le lien de causalité défavorable entre la santé et une enfance difficile, une activité professionnelle peu intéressante ou encore une vie dans des quartiers pauvres, par exemple. Le professeur d’Unisanté en est convaincu, « il faut se battre sans relâche pour l’équité des soins et, pour ce faire, s’intéresser aux déterminants sociaux est un investissement qui a du sens ». Dans la foulée, il balaie l’argument selon lequel les praticiennes et praticiens – mis sous pression par l’explosion des coûts de la santé – n’auraient pas (ou peu) le temps de s’intéresser aux conditions de vie de leurs patient-e-s. « Le plus important lors d’une consultation se déroule durant les cinq premières minutes ! Il y a de la marge… » Mathieu Arminjon rebondit en relayant l’exemple – cité par Cannon – d’un médecin qui, voyant un patient pris de vomissements persistants et inexpliqués, découvre qu’il doit de l’argent au fisc. « Le médecin a payé les arriérés d’impôts de sa poche et l’état de son patient s’est normalisé. » Bien sûr, il est illusoire d’exiger un tel engagement de chaque soignant. « Mais il existe toutes sortes de mesures plus pragmatiques, explique Patrick Bodenmann. Au CHUV, nous avons par exemple implémenté un accompagnement destiné aux personnes qui viennent de façon itérative aux urgences, afin de mieux les guider dans le système sanitaire. » Les deux spécialistes en sont par ailleurs certains : la formation et la sensibilisation du personnel soignant à la notion de DSS doit être intensifiée. « Surtout parmi le personnel médical qui, à l’inverse du personnel infirmier, se situe historiquement davantage du côté du ’cure’ que du ’care’ », estime Mathieu Arminjon. CORPORE SANO

TENDANCE

Mais la sensibilisation doit aussi se faire de façon bien plus large, à l’échelle de la société. « Trop de gens pensent que la santé est une loterie : soit on a de la chance, soit on n’en a pas », commente le chercheur de l’HESAV. « Grâce à l’épidémiologie, on sait que ce n’est pas le cas : des travaux montrent que plus une société est égalitaire, plus la santé y est bonne. Il s’agit donc d’une thématique aussi politique que médicale ! » /

QUAND LE SPORT DOPE LE MORAL

C’est un fait établi par les scientifiques : l’activité physique a un impact positif sur les capacités cognitives et sur le mental de ceux qui la pratiquent. Par contre, « les éléments physiologiques sous-tendant ce lien de cause à effet ne sont pas tous connus et certains d’entre eux font débat », note Vincent Gremeaux, responsable du Centre de médecine du sport du CHUV. Dans tous les cas, trois types de facteurs peuvent expliquer le fait que les personnes qui bougent régulièrement aient davantage le moral. Leur mode de vie, d’une part, « puisqu’elles ont tendance à mieux s’alimenter, à moins boire d’alcool ou encore à dormir plus », relève le professeur. La sécrétion de molécules par le cerveau lors de l’activité physique, d’autre part, « qui favorise la plasticité cérébrale ». Enfin, il ne faut pas oublier que « la satisfaction d’avoir accompli quelque chose améliore souvent la confiance en soi ». De plus en plus de spécialistes intègrent le sport dans le traitement des maladies psychiques, se réjouit Vincent Gremeaux. L’acceptation de cette prise en charge est en effet dopée par le fait que, « contrairement aux médicaments, l’activité physique n’entraîne presque aucun effet secondaire indésirable ».


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VISITE CHEZ L’UROLOGUE TEXTE  : CLÉMENT ETTER

Parmi les quelque 70 sites internet cliniques du CHUV, le plus consulté est celui du Service d’urologie. Un phénomène peu surprenant, quand on connaît les difficultés que certains hommes et femmes ont à évoquer leur intimité. Face à ce frein, il est important de rappeler que certains signes imposent de consulter.

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esoin fréquent d’uriner, douleur aux testicules… Les zones touchées par ces problèmes peuvent créer une gêne dans l’esprit du patient quand il s’agit de consulter. Comment et à qui en parler ? En premier lieu, il est important de s’adresser à son généraliste, qui, le cas échéant, orientera la personne vers un urologue ; un terme qui regroupe les spécialistes des voies uro-génitales de l’homme et urinaires de la femme, comme l’explique Beat Roth, chef du Service d’urologie du CHUV : « Les femmes représentent entre 25 et 30% des patients en urologie, en collaboration avec les gynécologues. Cette spécialité couvre de nombreux domaines de la médecine et de la chirurgie. On y trouve l’oncologie, qui s’occupe du diagnostic et du suivi des cancers, comme celui de la prostate, de la vessie ou des testicules. L’urologie fonctionnelle et la neuro-urologie traitent les problèmes d’incontinence ou de difficultés à uriner. Une grande partie du travail concerne aussi les calculs rénaux et urinaires ». Enfin le volet andrologie, équivalent masculin de la gynécologie, s’adresse spécifiquement à l’urologie de l’homme, où sont traitées « les questions d’infertilité, de dysfonction érectile ou plus rarement d’insuffisance hormonale ». DÉMYSTIFIER LA CONSULTATION UROLOGIQUE Au début, une

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TABOU


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consultation chez l’urologue n’est pas très différente d’une consultation chez un généraliste. « On discute de l’état de santé du patient et de ses antécédents. Puis on réalise un examen clinique. » La première visite inclut souvent un toucher rectal pour analyser la prostate chez les hommes, et un examen gynécologique pour les femmes. « Nous demandons aussi aux patient-e-s de venir avec la vessie remplie, afin de l’examiner par une mesure du jet urinaire », signale Beat Roth. La plupart des patients sont envoyés par d’autres urologues ou des généralistes. Ils sont donc déjà suivis, habitués à parler de leur situation et savent comment se passe une consultation générale. EN FINIR AVEC LES TABOUS Pour Beat Roth, les affections urologiques sont de moins en moins taboues. Il y voit une évolution positive pour le bien des patient-e-s : « Les instruments sont devenus plus petits, ce qui rend les examens moins désagréables. Au niveau de la pratique, notre travail se fait beaucoup en collaboration avec le personnel infirmier, qui voie les patients en amont. C’est un premier contact très important qui leur permet d’échanger et de poser des questions. » Il reconnaît pourtant que les hommes tardent généralement à venir consulter ; ils en ont moins l’habitude que les femmes qui voient leur gynécologue une fois par année. « Les patients qui ont un cancer du pénis, par exemple, viennent souvent assez tard parce qu’ils sont gênés à l’idée de se faire examiner. C’est différent pour la prostate : il y a maintenant moins de tabous, surtout chez les personnes de moins de 60 ans. Par ailleurs, CORPORE SANO

il devient de plus en plus normal pour les patients masculins de rencontrer des femmes urologues. » DES SIGNES QUI DOIVENT ALERTER Si des symptômes urologiques ou urinaires apparaissent, il est important de consulter assez rapidement. Les cancers des voies uro-génitales sont souvent détectés trop tard, ce qui diminue grandement les chances de guérison. Les troubles peuvent se manifester sous forme d’incontinence, de douleurs au niveau du bassin ou des reins, ou par des difficultés de vidange de la vessie. « Un signe d’alerte absolu qui nécessite une consultation obligatoire est la présence de sang dans l’urine, sans ressentir de douleur. Cela peut notamment indiquer une tumeur de la vessie », signale le spécialiste. Certaines maladies ne présentent cependant pas de symptômes dans les premiers stades, comme le cancer de la prostate. Il s’agit du type de cancer le plus fréquent chez les hommes, selon la Ligue suisse contre le cancer. Comme il touche principalement les hommes de plus de 50 ans, il est recommandé de faire des dépistages réguliers dès cet âge-là. /

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Plongée dans les mystères du coma Certaines personnes gravement atteintes par le Covid-19 sont placées en coma artificiel. Le but est de les protéger et de faciliter les soins. Mais le coma peut aussi être accidentel. L’urgence est alors d’en comprendre la cause afin de la traiter rapidement.

«

TEXTE : AUDREY MAGAT

Les troubles Un patient répercutent sur les parties de l’état émergeant du endommagées. » Répétés, de conscience familiers, individualisés, coma est comme pris les soins thérapeutiques dans une donnent des repères aux avalanche. patient-e-s. Il ne sait plus discerner le haut du bas, il est complèteContrairement au État normal ment engourdi et désoriensommeil ou à une activité cérébrale normale. té. » Karin Diserens est anesthésie, qui sont révermédecin adjointe responsibles à court terme, le sable de l’Unité de neuro-rééducation coma est un trouble de l’état de aiguë (NRA) du CHUV. Son quotidien : conscience sévère et pathologique. aider les personnes qui sortent du coma Selon l’Académie suisse des sciences à retrouver leurs capacités cérébrales médicales (ASSM), « un-e patient-e par une stimulation des cinq sens : dans le coma a les yeux fermés et est odeurs, musique, mouvements. Dans dépourvu de réactions cérébrales à des son unité – la seule du genre en Suisse stimuli internes (végétatifs, –, les patients tentent de se remettre de émotionnels) et externes leur accident au moyen d’une approche (douleurs, température) ». neurosensorielle, à l’instar du coureur Pour établir la profondeur automobile Michael Schumacher qui y d’un trouble de l’état de Locked-in (« enfermé avait été soigné après sa chute à skis. conscience, les spécialistes dedans ») « Les connexions dans le cerveau entre utilisent une modélisation en dépit d’une conscience réelle préservée, le patient la prédiction d’une action et sa réalisaen deux axes. Elle repose sur ne peut pas bouger tion concrète sont altérées, détaille un axe quantitatif, c’est-àau-delà des yeux (vertiKarin Diserens. Notre objectif est de dire le degré d’éveil ou la calement). Cette situation rétablir ce lien en stimulant la création capacité de mouvement, particulière et rare se de nouvelles liaisons cérébrales, en et un axe qualitatif, soit la rencontre par exemple insistant notamment sur les zones perception et l’interaction lors d’un AVC du tronc cérébral. intactes pour que les progrès se avec l’environnement. CORPORE SANO

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État de conscience minimale comportements volontaires reproductibles, comme le suivi du regard, réponse à une stimulation émotionnelle.

« Les raisons du coma peuvent être multiples, explique Andrea Rossetti, professeur associé en neurologie au CHUV. Il peut être dû à un traumatisme (accident de voiture, chute), à une infection (méningo-encéphalite), à une intoxication à des substances (drogues, alcool), à une attaque cérébrale, ou encore à un arrêt cardiaque (qui compromet l’oxygénation du cerveau). Dans tous les cas, plus on agit vite pour prendre en charge la ou le patient-e, plus on diminue ses risques de séquelles au cerveau, améliorant ainsi ses chances de survie. Mais c’est principalement la cause du coma qui détermine le pronostic. » METTRE LE CERVEAU AU REPOS

Dans le Service de médecine intensive adulte du CHUV, 15 à 20% des patients arrivent dans un état comateux. En dehors de ces cas, il est possible que, dans des situations sévères touchant d’autres organes que le cerveau et nécessitant des gestes invasifs donc très inconfortables, il soit préférable d’endormir les patients. « Dans le cas du Covid-19 par exemple, une partie des patient-e-s gravement atteints étaient placés en coma artificiel afin d’être intubés pour faciliter leur ventilation, détaille le neurologue Andrea Rossetti. Les patients réveillés peuvent en effet avoir des réflexes de toux, de lutte, qui les empêchent d’être soignés correctement. » Une personne dans le coma peut avoir des organes en état de marche, mais aura pratiquement toujours besoin d’un soutien aux soins intensifs. Il faut la nourrir avec une sonde et la mouvoir régulièrement pour éviter les escarres ou des plaies dues à une pression prolongée. CORPORE SANO

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Lors d’un coma artificiel, le cerveau est mis au repos. L’état est similaire à une anesthésie générale. Les médecins utilisent des sédatifs afin que le ou la patient-e perde conscience, des analgésiques pour diminuer ses douleurs, et des curares pour paralyser ses réflexes. Objectif : diminuer la demande d’énergie pour se concentrer sur le reste du corps et combattre l’inflammation ou l’infection qui affecte le patient. « Le coma artificiel est volontairement engendré par des médicaments, précise le professeur Rossetti. La cause est donc claire et il suffit de sevrer le patient pour induire son réveil. » Le réveil peut néanmoins prendre du temps, complète Nawfel Ben Hamouda, médecin associé au Service de médecine intensive adulte au CHUV : « L’organisme a souvent accumulé de fortes doses de sédatifs. Les réveils de coma sont donc lents et progressifs. Un patient hospitalisé dans un coma induit pendant dix jours mettra par exemple trois à six jours à se réveiller progressivement. »

État d’éveil sans réponse (ou « végétatif ») pas de perception consciente, pas de communication verbale et/ ou non verbale, possible réaction réflexe aux stimulations comme les lumières, les bruits, ou les pincements. Les patients ont une alternance d’yeux ouverts et fermés sur la journée.


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La plongée dans le coma d’une personne se caractérise par le fait qu’elle n’arrive plus à interagir avec l’extérieur mais peut conserver une perception de son environnement, des sons et des odeurs par exemple. Toutefois, ces informations ne sont pas toujours traitées par le cerveau. L’incapacité à communiquer du patient empêche parfois le personnel médical de savoir s’il est véritablement conscient ou non. Ainsi, la professeure Diserens explique qu’il subsiste plus de 30 à 40% de faux diagnostics, c’est-à-dire des situations où le patient ne répond pas et est considéré comme inconscient, mais a pourtant toujours une activité cérébrale supérieure.

approche neuro-sensorielle innovante fait ainsi du CHUV un établissement précurseur puisque c’est le seul hôpital de Suisse à avoir développé un tel dispositif thérapeutique. UN RÉVEIL DIFFICILE

« Le coma ne peut pas durer éternellement : soit l’état du patient s’aggrave et malheureusement il décède, soit il finit par ouvrir les yeux, explique Andrea Rossetti. Dès lors, son état peut varier, de séquelles légères à l’état d’éveil sans réponse, péjorativement appelé état végétatif (voir encadré). On peut toutefois affirmer que plus la ou le patient-e reste longtemps dans le coma, plus son pronostic sur le long terme est engagé. En effet, la guérison s’avérera souvent difficile et les séquelles profondes. » Contrairement aux imaginaires des films, « les réveils tardifs sont extrêmement rares », ajoute le professeur.

Plantes aromatiques, sensation du vent ou du soleil sur la peau : pour aider les patients à recouvrer leurs capacités après un coma, un jardin extérieur thérapeutique de 300 m2 a été spécialement aménagé dans l’enceinte du CHUV. Pour Karin Les séquelles potentielles sont des Diserens, « l’augmentation de la troubles cognitifs, autrement dit des stimulation des cinq sens permet de difficultés de mémoire, de perception, relier les informations des lobes un ralentissement de la pensée. Il peut cérébraux et de favoriser l’interaction aussi s’agir de problèmes de langage, du patient ainsi que sa capacité de de l’équilibre, de la marche. La bouger et de communiquer ». Cet question des séquelles reste néanmoins espace extérieur permet aussi aux toujours débattue. « Nous n’avons pas malades de voir leurs proches et leurs un scénario unique puisque tout animaux de compagnie, première dépend surtout de la cause du trouble porte d’entrée vers les de l’état de conscience, mais souvenirs motivant la aussi de la plasticité du récupération motrice. cerveau, de l’âge, de l’état Et les résultats sont au général des patient-e-s », rendez-vous : « Nous ajoute Andrea Rossetti. Coma avons eu une patiente abolition de la conscience Les patient-e-s qui sortent qui a commencé à avec les yeux fermés réagir lorsqu’elle a pu du coma peuvent également constamment, aucune caresser son chien », interaction avec l’environ- présenter une faiblesse se souvient Karin musculaire acquise. nement, aucune réaction aux stimulations. Diserens. Cette « Lorsqu’un patient reste et CORPORE SANO

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HEIDI DIAZ

Un patient est encouragé à recouvrer ses capacités après un coma, dans le jardin thérapeutique du CHUV.

sédaté, ses muscles ne donc extrêmement variables. sont pas sollicités, donc Pour Nawfel Ben Hamouda, leur masse diminue, spécialiste en neuro-réanidéveloppe Nawfel Ben mation, « la complexité Mort cérébrale Hamouda. Ces pertes réside dans cette zone grise, (ou coma dépassé) plus aucune activité peuvent atteindre 10% se situant entre l’état normal cérébrale, les autres de la masse musculaire et l’état d’éveil sans réponse. fonctions vitales peuvent dès le troisième jour de Dans ces situations, nous être maintenues coma. Tout le monde avons recours à des examens artificiellement. n’est toutefois pas complémentaires et à des concerné, la maladie en évaluations neurologiques. cause (en particulier les états infecEn fonction de ces résultats, des avis tieux), l’âge ou encore la santé des différents spécialistes et des physique entrent en ligne de compte. » directives anticipées du patient s’il en a Une personne jeune aura ainsi préalablement émises, nous discutons, probablement plus de facilités à entre collègues et avec la famille, des redévelopper ses muscles et à se chances de réveil et des séquelles remettre sur pied rapidement qu’une potentielles. » Les comas peuvent donc personne âgée. prendre des formes et des profondeurs très différentes, mais le pronostic Les conséquences des états comateux dépend toujours largement de la cause liés à une atteinte cérébrale (maladie, et de la sévérité de l’atteinte. / traumatisme, arrêt cardiaque) sont CORPORE SANO

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URGENCES À TOUTE VITESSE IMMERSION Incapables de se déplacer seules, frappées par la maladie ou un accident, des milliers de personnes ont besoin chaque année du Service de protection et sauvetage de la ville de Lausanne (SPSL). Plongée dans le quotidien de ces expert-e-s, rapides et formé-e-s aux gestes médicaux.

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TEXTE : AUDREY MAGAT PHOTOS : HEIDI DIAZ

« Nos yeux sont bien souvent les premiers à voir la victime. » Crises cardiaques, accidents de la route, chutes : tel est le quotidien des ambulancier-ère-s du Service de protection et sauvetage de la ville de Lausanne (SPSL). L’équipe de 55 collaboratrices et collaborateurs mène en moyenne plus de 7500 interventions par année, ainsi que 1500 missions SMUR. Le patient type a plus de 65 ans, et 70% des interventions concernent des cas de maladie, pour 30% d’accidents. Formant une équipe soudée, les ambulancières et ambulanciers travaillent toujours au minimum

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à deux. Depuis bientôt deux ans, la pandémie de Covid-19 bouscule le quotidien des équipes, compliquant les horaires et les pratiques. « Il a fallu repenser nos méthodes d’intervention pour garder une distance avec les patient-e-s, regrettentils. Pour limiter les risques de contamination, les tandems interviennent désormais de manière différente dans les domiciles : une seule personne entre, et la ou le partenaire reste à l’écart. » Ils peuvent également être accompagnés par le SMUR, l’unité d’intervention composée de médecins du CHUV, appelé principalement en cas d’urgence cardiaque ou respiratoire.


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1/Le métier d’ambulancier

UN MÉTIER À PART ENTIÈRE

a été reconnu comme profession de la santé à la fin des années 1990. « Auparavant, le travail était effectué par les policiers. Cela posait des problèmes, notamment vis-à-vis du respect du secret médical face à des obligations liées à une enquête, par exemple », se souvient Didier Langenberger, 54 ans. Aujourd’hui, les nouvelles recrues effectuent une formation spécifique de trois ans en école supérieure.

2/En Suisse, les ambulan-

DES EXPERTS DE TERRAIN

cier-ère-s effectuent des gestes médicaux dits « délégués », c’està-dire que l’ordre est émis par un médecin, mais le geste technique est effectué par l’ambulancière ou l’ambulancier en totale autonomie, selon des algorithmes précis et régulièrement entraînés. Une pratique largement plus étendue que dans les pays européens voisins.

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3/

COURSE CONTRE LA MONTRE

La centrale 144 « Urgences santé » traite les appels, puis mobilise le personnel ambulancier, qui a alors trois minutes pour partir en intervention. « Cette immédiateté de la prise en charge, l’imprévu, la prise de décision rapide, l’adrénaline : c’est un métier particulièrement stimulant ! » soulignent les ambulancières et ambulanciers.

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4/

PARÉS À TOUTE ÉVENTUALITÉ

Les ambulancier-ère-s constatent une augmentation de la violence verbale et physique à leur égard. Pour leur sécurité, ils doivent régulièrement ajouter à leur équipement un gilet de protection pareballes/couteau, et être appuyés par la police. Les ambulances sont conçues avec des ergothérapeutes afin de limiter les troubles musculo-squelettiques. Le véhicule transporte plus de 300’000 francs de matériel vérifié quotidiennement à chaque début de garde. Une fois par semaine, un inventaire complet et une désinfection du matériel sont effectués.

5/Les ambulancier-ère-s du RYTHME SOUTENU

SPSL se divisent en cinq unités de neuf personnes. Chacun-e travaille sur un rythme de deux jours et deux nuits par tranches de douze heures, suivis de quatre jours de congé (mais reste parfois disponibles sur appel). Le groupe compte 35% de femmes.

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Ce que l’on connaît moins des phasmes, c’est le fait qu’une bonne partie d’entre eux est asexuée. Mais pas tous. Dans le sousgroupe Timema, deux modes de reproduction cohabitent : certains phasmes s’accouplent entre mâle et femelle, tandis que d’autres espèces, uniquement féminines, se reproduisent par parthénogénèse. Il ne s’agit pas d’un procédé d’autofécondation, mais bien de femelles dont les œufs, une fois pondus, se développent de manière autonome. Leurs combinaisons de gènes se conservent alors sur des lignées entières. Cette dualité des modes de reproduction fait l’objet d’une attention toute particulière du groupe de recherche de Tanja Schwander au CORPORE SANO

NOM PHASME TIMEMA TAILLE A L’ÂGE ADULTE, DE 11 À 66 MM CARACTÉRISTIQUE LE GROUPE TIMEMA COMPTE À LA FOIS DES ESPÈCES SEXUÉES ET ASEXUÉES

Intrigant phasme Déployant deux modes de reproduction différents, les phasmes Timema font avancer la recherche sur le rôle de la reproduction sexuée dans l’évolution. TEXTE : STÉPHANIE DE ROGUIN

FAUNE & FLORE

Département d’écologie et d’évolution de l’UNIL, spécialisé dans les comportements sexuels atypiques des animaux. « Le groupe Timema permet d’évaluer les avantages et les inconvénients du brassage génétique. Ce dernier n’est pas toujours bénéfique », prévient la chercheuse. « Les phasmes asexués ont un net avantage écologique. En cas de catastrophe mettant à mal leur population, ils peuvent toujours se reproduire sans l’aide de personne. » Par contre, sur le long terme, ces espèces seront un peu moins capables de s’adapter à des contraintes extérieures. La parthénogenèse comprend un autre avantage pour les phasmes, qui se fondent dans le décor pour d’évidentes raisons de protection face aux prédateurs : « Chez les espèces sexuées, les parades qui précèdent l’accouplement génèrent du mouvement qui dénonce leur présence. Les phasmes asexués ne connaissent pas ce problème », souligne Tanja Schwander. Un atout de plus pour assurer sa descendance sans perturbation extérieure. /

STUART WILSON/SCIENCE PHOTO LIBRARY

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es phasmes intriguent et étonnent, au premier abord, par l’absolu mimétisme qu’ils développent avec leur environnement : certains prennent l’aspect d’une fine branche de bois, tandis que d’autres se font vert pomme en conformité avec le feuillage dans lequel ils évoluent.


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FABIENNE TEIKE LÜTHI

Infirmière clinicienne spécialisée (PhD) au Service de soins palliatifs et de support du CHUV

Pourquoi, dans une carrière infirmière, décider un jour de faire un doctorat ?

ERIC DÉROZE

La profession infirmière offre des opportunités multiples en termes de pratique du soin. Que ce soit en milieu hospitalier, institutionnel ou communautaire ; auprès des populations de tous âges et de toutes pathologies ; de la promotion de la santé aux soins de fin de vie ; dans le cadre d’une activité clinique, de gestion ou de formation, chaque infirmier-ère peut trouver le chemin professionnel qui lui permettra de se réaliser.

Depuis 2002, le cursus infirmier en Suisse romande s’est académisé et permet ainsi d’obtenir un titre bachelor en formation initiale. Cette voie académique est un formidable tremplin pour les infirmier-ère-s qui souhaitent réfléchir sur leur profession et faire avancer les connaissances disciplinaires. En effet, si le niveau bachelor favorise l’intégration des bonnes pratiques dans un service, et le niveau master au sein d’une institution et auprès d’une population, le doctorat permet le développement de nouvelles connaissances au service de la discipline à un niveau régional, national, voire international.

Mener des projets de recherche basés sur les préoccupations réelles des professionnelle-s du terrain et des patients/proches permet Une riche offre de formations continues de contribuer, en tant qu’actrice ou acteur, à et de spécialisations est également à l’évolution et à la reconnaissance de cette disposition pour le développement des profession essentielle pour les soins à la connaissances et des compétences. population. L’innovation est alors au cœur des Cela permet aux professionnel-le-s de faire réflexions qui sous-tendent un programme de face aux nouveaux enjeux liés à l’évolution recherche. Les connaissances issues de cette démographique, aux attentes plus imporrecherche infirmière doivent ensuite être tantes des patient-e-s et de leur famille, ainsi transférées dans la pratique dans la perspective qu’à la pression croissante sur les coûts qui d’améliorer continuellement l’activité clinique et bousculent les systèmes de santé, de prodiguer ainsi des soins de haute qualité. sans compter les épidémies. L’intérêt d’un doctorat en sciences infirmières est donc de déployer ses ailes comme chercheur-euse, de prendre son envol vers plus d’autonomie et de possibles, d’observer la pratique depuis une perspective différente afin d’y voir ce qui parfois n’est plus visible dans le quotidien et chercher à l’améliorer, tout en se posant régulièrement pour se nourrir de l’essentiel, à savoir l’activité clinique. /

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CHRONIQUE


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MERCAPTOPURINE C 5H 4N 4S

C 5H 4N 4S UNE MOLÉCULE, UNE HISTOIRE TEXTE : YANN BERNARDINELLI

Toutes sortes de traitements contre le cancer, le sida, la malaria et certaines maladies métaboliques et inflammatoires ont une inspiratrice commune : Gertrude Elion. L’invention de la mercaptopurine par cette scientifique new-yorkaise dans les années 1950 a apporté une impulsion sans précédent à la pharmacologie. Pourtant, dans les années 1930, le statut social modeste et les discriminations à l’égard des femmes dans la recherche ne prédestinent pas Gertrude Elion à inventer des médicaments. Ayant perdu son grand-père des suites d’un cancer, elle décide de se lancer dans la recherche médicale, mais c’est compter sans les écolages exorbitants des facultés de médecine nord-américaines. Elle se replie alors sur les sciences pour s’inscrire dans une faculté gratuite. « Étudiante

La mercaptopurine, mère de médicaments brillante, elle n’a pourtant pas eu accès au doctorat, un privilège masculin à l’époque », raconte Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. La voie universitaire obstruée, elle se tourne vers les compagnies pharmaceutiques. Son approche de la recherche est alors complètement opposée à la démarche de l’époque : plutôt que de tenter de mettre au point des composés ciblés contre une maladie spécifique, elle préfère étudier la biologie cellulaire et moléculaire. Son objectif est d’exploiter les mécanismes fondamentaux de la vie pour en dériver des appli-

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ZOOM

cations médicales. « C’est en étudiant la division cellulaire que lui est venue l’idée d’intervenir pharmacologiquement pour entraver la prolifération pathologique des cellules. » Elle identifie alors les purines comme une famille de substances essentielles à la survie et à la reproduction des cellules. Les purines font partie des quatre acides nucléiques de l’ADN, dont on ne connaît pas encore le rôle de support de l’information génétique. « Une prouesse avant-gardiste », s’émerveille Thierry Buclin. « Elle a fait un pas immense pour la recherche médicale avant que la fonction de l’ADN ne soit découverte ! »

Elle synthétise ensuite un composé, la mercaptopurine. « Son idée a été de créer une molécule capable de prendre la place des purines dans les cellules cancéreuses lors de leur division. Cette substitution bloque la duplication de l’ADN et donc la division cellulaire. » Grâce à cette substance et à d’autres médicaments introduits par la suite, les chances de guérison des enfants touchés par une leucémie aiguë atteignent aujourd’hui 90%, pour une maladie mortelle en l’absence de traitement. Cette prouesse va conduire Gertrude Elion à découvrir d’autres chimiothérapies, efficaces contre de nombreux cancers, mais aussi des immunosuppresseurs, des antiviraux, des antimalariques et un antigoutteux. Une voie de recherche encore poursuivie par ses innombrables héritiers scientifiques contemporains. /


CURSUS

Texte : Arnaud Demaison/ Simon Faraud

ÉCLAIRAGE

« Newsweek » : Les coulisses du classement

ÉCLAIRAGE

CURSUS

Le magazine « Newsweek » a retenu le CHUV à la 9e place de son classement 2021 des 10 meilleurs hôpitaux du monde. Ce palmarès a été établi sur la base des indications d’un panel international de médecins, de professionnel-le-s de la santé et d’administrateur-trice-s.

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elon l’hebdomadaire américain Newsweek, les événements de l’année 2020 ont fait prendre conscience à chacune et chacun que nos vies reposent plus que jamais sur un accès inconditionnel à des soins de qualité. Les 2000 hôpitaux listés dans leur classement se distinguent par leur niveau d’excellence en termes de prise en charge et de technologie. Le CHUV figure en 9e position sur une liste comprenant la Mayo Clinic à Rochester, la Cleveland Clinic, le Massachusetts General

« Les 2000 hôpitaux listés dans le classement « Newsweek » se distinguent par leur niveau d’excellence en termes de prise en charge et de technologie. »

Hospital à Boston et le Johns Hopkins Hospital à Baltimore, tous aux États-Unis, ainsi que le Toronto General Hospital, le Karolinska Universitetssjukhuset à Solna en Suède, l’Hôpital universitaire de la Charité à Berlin et le Singapore General Hospital. Mais qui est derrière ce classement ? Le top 10 des meilleurs hôpitaux dans le monde a été publié le 4 mars par le magazine en ligne Newsweek, mais le classement a été réalisé par l’entreprise allemande Statista Inc., spécialisée en statistiques et études de marché. Ce classement a été lancé en 2018, c’est donc sa troisième édition. in vivo

arnaud demaison*

Comment les 2000 hôpitaux ont-ils été choisis ? ad Newsweek et Statista Inc. ont retenu 25 pays en se basant sur le niveau de vie, la taille de la population, le nombre d’hôpitaux, l’espérance de vie et la disponibilité de données utiles à l’établissement iv

* responsable éditorial pour le Service de communication et création audiovisuelle du CHUV 77


CURSUS

ÉCLAIRAGE

du classement. Dans ces 25 pays, seuls les hôpitaux généraux de plus de 100 lits ont été pris en compte.

médecins, mais aussi administrateurtrice-s et infirmiers-ères – dans les 25 pays sélectionnés. Chaque professionnelle peut recommander des établissements de son propre pays, excepté son employeur, et des établissements à l’étranger ;

Sur quels critères les hôpitaux ont-ils été évalués ? ad La note sur 100 de chaque hôpital a été calculée sur la base de trois critères : iv

→ l’évaluation par des pairs, par le biais d’un sondage en ligne mené entre septembre 2020 et novembre 2020 sur le site de Newsweek, qui a mobilisé 74’000 professionnel-le-s de la santé selon Statista Inc. – principalement

La réaction du Pr Philippe Eckert, directeur général du CHUV « C’est une très belle reconnaissance pour un hôpital public. Cette place dans le classement salue les développements que le CHUV a menés et qui se poursuivent. Ils touchent tant le domaine clinique, la prise en charge des patient-e-s, le domaine académique, la recherche, que le management des collaboratrices et collaborateurs. Ce palmarès n’est pas une fin en soi, mais c’est un formidable encouragement à poursuivre les options de ces dernières années. Nous allons continuer à construire cet hôpital avec l’ensemble des collaborateur-trice-s au bénéfice de tous les patients qui nous sont confiés. Cette 9e place a une valeur particulière dans le contexte actuel. Aujourd’hui, nous traversons une crise qui atteint la population, mais aussi les collaboratrices et collaborateurs. Ils ont montré une solidarité́ et un engagement extraordinaires pour réorganiser l’hôpital, pour faire face à la pandémie et pour assurer la prise en charge des patients. J’aimerais que cette gratification leur soit dédiée. »

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→ la satisfaction des patient-e-s, évaluée à partir des enquêtes existantes dans chaque pays ; → les principaux indicateurs relatifs à la qualité et à la sécurité des soins, tels que publiés par les autorités compétentes de chaque pays. Les indicateurs principaux sont la qualité des prises en charge spécifiques et des traitements, les mesures d’hygiène et de protection des patient-e-s et le nombre de patients par membre du personnel. Les recommandations des professionnel-le-s constituent 55% de la note finale (50% pour les recommandations nationales et 5% pour les recommandations internationales). Elles constituent le poids le plus important, car les sondeurs estiment que les professionnels de la santé sont les plus à même d’évaluer la qualité des établissements. Pourquoi existe-t-il deux classements ? La première partie du classement est composée des 100 premiers hôpitaux mondiaux triés par note. Les 100 suivants constituent la seconde partie triée alphabétiquement et non pas par rang, car les données sont trop hétérogènes entre pays iv

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ÉCLAIRAGE

Pour établir son classement, Statista a évalué 2000 hôpitaux dans 25 pays : 80 Canada

220 30 Allemagne Hollande

30 Thaïlande

125 30 Royaume-Uni Suisse 125 20 France Belgique

135 Corée du Sud

125 20 Italie Suède 100 15 Espagne Danemark 50 15 Pologne Finlande 30 15 Autriche Norvège

350 États-Unis 100 Brésil

170 Japon

80 Inde 10 Israël 10 Singapour

60 Australie

55 Mexique

Ces 25 pays ont été sélectionnés en fonction de l’espérance de vie, de la taille de leur population, de leur nombre d’hôpitaux et de la disponibilité des données, indique «Newsweek» dans sa méthodologie.

pour établir une comparaison internationale. À noter que ces classements n’incluent pas les hôpitaux spécialisés. Le CHUV a-t-il soumis sa candidature ou payé pour figurer dans le top 10 ? ad Non. Le CHUV s’est vu attribuer un score selon la méthodologie décrite plus haut, au même titre que les 29 autres hôpitaux suisses. iv

Quelles sont les limites d’un tel classement ? La méthode utilisée par Newsweek et Statista Inc. se veut la plus scientifique possible. Toutefois, des limites demeurent. Newsweek précise par exemple qu’il a été impossible d’harmoniser certaines iv

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données entre les pays, notamment pour ce qui est des enquêtes auprès des patients ou des indicateurs de qualité. Et pour certains pays, faute d’enquêtes de satisfaction, les avis Google ont été pris en compte. Newsweek avertit ainsi que le score obtenu par chaque hôpital n’est pas directement comparable avec celui d’un hôpital situé dans un autre pays : un hôpital qui a obtenu un score de 90 dans un pays A n’est pas forcément meilleur qu’un hôpital situé dans un pays B qui aurait hérité d’un score de 87. La comparaison entre hôpitaux est donc surtout valable pour ceux qui sont situés dans un même pays. /


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LE PORTRAIT DE

PARCOURS

Marguerite-Marie Tollet-Delange Contrôleuse de gestion, infirmière décorée de l’Armée française et passionnée de littérature, Marguerite-Marie Tollet-Delange a déjà̀ vécu plusieurs vies. TEXTE : AMÉLIE KITTEL PHOTO : HEIDI DIAZ

« J’ai grandi avec la devise ‘Recherche l’excellence, dans les petites comme dans les grandes choses’, une pensée qui a guidé chacun de mes projets. Connaissant bien la réalité du travail sur le terrain, j’aime à croire que je suis une ‘passerelle’ entre les soins et l’administration financière. »

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CURSUS

PARCOURS

1966–1987

À la recherche de l’extraordinaire Marguerite-Marie Tollet-Delange voit le jour à Paris en 1966. Elle est la deuxième d’une fratrie de sept enfants. Pendant sa scolarité́, elle se passionne pour la langue française, le latin, le grec et l’histoire et obtient un baccalauréat littéraire. Mais son sens du service et du soin aux autres la dirige vers les études infirmières. Inspirée par les récits de soignantes au cœur de l’action (Valérie André, Geneviève de Galard), elle décide que sa carrière n’aura rien d’ordinaire.

1987–2004

Infirmière militaire À 21 ans, diplôme en poche, elle s’engage dans l’armée française. Ses missions se suivent et ne se ressemblent pas : secours de la population kurde en Irak, soins aux troupes et aux civils durant le siège de Sarajevo… Elle sera décorée pour son courage lors d’une embuscade sous les tirs de snipers. À l’hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, elle soigne des chefs d’État, une ancienne déportée, un empereur du Vietnam… Elle y développe également un vif intérêt pour la médecine interne et ses complexités.

2004–2011

Cap sur la Suisse et la médecine interne au CHUV Après avoir pris sa retraite militaire, Marguerite-Marie Tollet-Delange découvre le CHUV lors d’un salon professionnel à Paris. L’organisation de l’hôpital suisse et ses bonnes conditions de travail la poussent à mettre le cap sur Lausanne en rejoignant le Service de médecine interne du CHUV. Au chevet des malades du 17e étage, elle apprécie par-dessus tout de découvrir ce qui les anime.

2011–2021

Faire parler les chiffres Après vingt-quatre ans passés à temps plein dans les soins, la fatigue se fait sentir. Elle entame une reconversion vers le contrôle de gestion et, comme dans tout ce qu’elle entreprend, elle s’y plonge pleinement. Pour le Département de médecine, elle répond notamment de la préfacturation ambulatoire, du contrôle qualité des saisies, de l’application Relact et elle forme régulièrement les médecins à Tarmed. Sa double casquette fait d’elle une précieuse alliée dans l’efficience administrative et comptable des services. /

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BACKSTAGE

SHOOTING Une équipe de photographes du CHUV donne ses instructions aux chercheuses et médecins figurant dans le grand dossier, lors d’un shooting. L’idée étant de présenter chaque intervenant-e avec les mêmes tons de couleurs et de lumière pour avoir une certaine unité.

ILLUSTRATION Ces croquis ont été faits par Jelena Vasiljević. Ils représentent les premières étapes de son travail visant à illustrer l’article sur le programme One Health. Cette fresque évoque en effet des animaux, jouant pour certains un rôle dans l’émergence de maladies chez l’homme.

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CONTRIBUTEURS

ADRIANA STIMOLI

FABIENNE PINI SCHORDERET

Adriana Stimoli, 25 ans, a réalisé un stage à Large Network dans le cadre de ses études à l’Académie du journalisme et des médias. Elle a écrit de nombreux articles pour l’agence. Pour ce numéro d’In Vivo, elle s’est penchée sur la santé mentale des jeunes durant la pandémie, en questionnant les moyens à disposition de la société pour leur garantir un avenir plus serein.

Fabienne Pini Schorderet est spécialiste en communication institutionnelle. Elle a travaillé dans le sport international avant de rejoindre le service communication du CHUV en 2013. Ancienne soignante, elle est passionnée par l’évolution des pratiques dans le secteur de la santé. Pour ce numéro d’In Vivo, elle s’est entretenue avec Boris Cyrulnik à propos de l’impact de la pandémie sur les individus et comme révélateur des défis à relever pour le futur de l’hôpital.

JELENA VASILJEVIĆ Jelena Vasiljević est une illustratrice de Novi Sad (Serbie), qui travaille dans l’édition et l’animation depuis près de dix ans. Elle a obtenu sa maîtrise à l’Académie des arts de Novi Sad, avec une spécialisation en illustration et conception de livres. Son style est reconnu pour sa forme minimaliste, ses textures et ses couleurs riches. Notre article sur le concept One Health lui a inspiré l’illustration qui figure en page 49.

DR

STÉPHANIE DE ROGUIN Géographe de formation, Stéphanie de Roguin travaille régulièrement pour Large Network depuis 2016 en tant que journaliste freelance. Elle apprécie particulièrement les sujets touchant à l’humain, comme les portraits d’individus aux parcours remarquables. Elle a coordonné ce numéro d’In Vivo et assuré la rédaction du dossier consacré à la chercheuse Jocelyne Bloch.

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IN VIVO

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse Large Network www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch Large Network, www.largenetwork.com redaction@invivomagazine.com T. + 41 22 919 19 19 ÉDITEURS RESPONSABLES

Béatrice Schaad et Philippe Eckert DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Bertrand Tappy (ad interim)

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean DIRECTION DE PROJET

Stéphanie de Roguin

REMERCIEMENTS

DESIGN Alyssia Lohner, Amélie Kittel, Daphné Giaquinto, Large Network, Mónica Gonçalves et Sabrine Elias Diane De Saab, Dominique Savoia Diss, Élise Méan, Francine Billote, Jessica Scheurer, Joelle Isler, Katarzyna Gornik, Manuela Palma de Figueiredo, RÉDACTION Mélanie Affentrager, Muriel Faienza, Nicolas Berlie, Large Network (Yann Bernardinelli, Dorothée Blancheton, Stéphanie de Roguin, Nicolas Jayet, Sarah Iachini, Simone Kühner, Andrée-Marie Dussault, Clément Etter, Carole Extermann, Erik Freudenreich, Blandine Sonia Ratel Tinguely, Virginie Bovet et le Service Guignier, Audrey Magat, Patricia Michaud, Laurent Perrin, Antonio Rosati, Adriana de communication du CHUV. Stimoli), Arnaud Demaison, Simon Faraud, Amélie Kittel, Elena Martinez, Fabienne Pini Schorderet PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE

Sabrine Elias MISE EN PAGE

Aurélien Barrelet et Mónica Gonçalves COUVERTURE

Large Network IMAGES

CHUV (Rémi Clément, Eric Déroze, Heidi Diaz, Gilles Weber), Jelena Vasiljević IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA TIRAGE

15 000 exemplaires en français Les propos tenus par les intervenants dans In Vivo et In Extenso n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

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IN EXTENSO

Les poils

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