IN VIVO #19 FRA

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Penser la santé

N° 19 – DÉCEMBRE 2019

Ce nouveau type de prothèse est relié au cerveau.

MAIN BIONIQUE

TOUCHER, BOUGER, SENTIR ? EBOLA Comment les vaccins ont été conçus à Lausanne et à Genève SOCIÉTÉ Ces couples qui ne veulent pas devenir parents INTERVIEW Pierre-François Leyvraz sur ses onze ans à la tête du CHUV Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LA SANTÉ DES SUISSES


« Félicitations pour votre magazine, qui est très intéressant et fort apprécié des professionnels de mon institution. » Johanna M., Carouge

ABONNEZ-VOUS À IN VIVO « Un magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs. »

www.invivomagazine.com

Swissnex, Brésil

« Super mise en page ! »

Penser la santé

N° 19 – DÉCEMBRE 2019

Laure A., Lausanne Ce nouveau type de prothèse est relié au cerveau.

MAIN BIONIQUE

« Vos infographies sont géniales, faciles à comprendre et adaptées au public auquel j’enseigne. »

MAIN BIONIQUE

IN VIVO N° 19 – DÉCEMBRE 2019

TOUCHER, BOUGER, SENTIR ?

Isabelle G., Lausanne

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EBOLA Comment les vaccins ont été conçus à Lausanne et à Genève SOCIÉTÉ Ces couples qui ne veulent pas devenir parents INTERVIEW Pierre-François Leyvraz sur ses onze ans à la tête du CHUV Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO LA SANTÉ DES SUISSES

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Seule une participation aux frais d’envoi est demandée (20 francs).


IN VIVO / N° 19 / DÉCEMBRE 2019

SOMMAIRE

FOCUS

17 / DOSSIER Main bionique : toucher, bouger, sentir ? PAR YANN BERNARDINELLI

MENS SANA

26 / INTERVIEW L’auteure américaine Laura Carroll sur les couples qui ne souhaitent pas avoir d’enfants PAR ERIK FREUDENREICH

30 / DÉCRYPTAGE Les modèles du « spiritual care » sous la loupe PAR MONICA D’ANDREA

33 / PROSPECTION À l’école des patients PAR RACHEL PERRET

36 / TENDANCE L’homéopathie mise à mal

40 / COULISSES Brevette-moi si tu peux PAR BLANDINE GUIGNIER

Les chercheurs de l’université de l’Utah (États-Unis) s’inspirent de la saga Star Wars pour développer une prothèse bionique de la main. Appelée « Luke » – en référence au héros des films Luke Skywalker qui a perdu sa main dans un combat –, cette prothèse reliée au cerveau permet aux patients d’avoir presque 200 perceptions différentes. En Europe aussi, les scientifiques veulent comprendre le fonctionnement complexe de cet organe pour créer la prothèse parfaite, comme le montre notre dossier (p. 17).

Le magazine In Vivo édité par le CHUV est vendu au prix de CHF 5.- en librairie et distribué gratuitement sur les différents sites du CHUV.

TIMOTHY A. CLARY/AFP

PAR PATRICIA MICHAUD


SOMMAIRE

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CORPORE SANO

IN SITU

45 / PROSPECTION

7 / HEALTH VALLEY

Comment la Suisse s’est mobilisée contre le virus Ebola

Intégrer la médecine connectée à l’hôpital

PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

14 / AUTOUR DU GLOBE

49 / INNOVATION

Brésil : l’exode cubain

Ce que révèlent les larmes

52 / TABOU Sport et menstruations : en compétition ? PAR CAROLE EXTERMANN

54 / TENDANCE Le « check-up » annuel en débat PAR AUDREY MAGAT

57 / EN IMAGES Quand Instagram sert de psy PAR ROBERT GLOY SUIVEZ-NOUS SUR : TWITTER : INVIVO_CHUV FACEBOOK : CHUVLAUSANNE

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CURSUS

64 / INTERVIEW Le Prof. Pierre-François Leyvraz sur ses onze ans à la tête du CHUV

72 / TÉMOIGNAGE Quand se mettre au service des autres est une vocation

74 / TÉMOIGNAGE Un regard pétillant tourné vers l’avenir

DOMINIQUE FAGET, ALISON CROUSE, ILBUSCA

PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT


Éditorial

LA MAIN À L’ŒUVRE

HEIDI DIAZ

GARY DRECHOU Responsable éditorial

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« Contrairement à ce que les gens croient, la chirurgie n’est pas une affaire de mains. L’opération est un geste intellectuel. J’ai la chance d’avoir un peu les yeux au bout des doigts et je ne m’occupe jamais de mes mains. » Ces quelques mots de Pierre-François Leyvraz, glissés en marge d’une interview réalisée à la veille de quitter ses fonctions de directeur général du CHUV et de « passer la main » à son successeur, Philippe Eckert, traduisent la concentration du chirurgien. Premier médecin à avoir tenu la barre de l’hôpital universitaire et dirigé ses quelque 12’000 collaborateurs, le Prof. Leyvraz a accepté de revenir sur ses 11 années en tant que « patron » (p. 64), qui ont vu le CHUV se développer dans tous les domaines, au point d’être cité plus tôt cette année par le magazine Newsweek dans le top 10 des meilleurs hôpitaux au monde. Pourtant, avec ma collègue Rachel Perret, c’est bien l’homme que nous avons rencontré. Le même que racontent deux grands témoins, Dominique Arlettaz (p. 74) et Benoît Dubuis (p. 72), dans les pages « Cursus » de ce numéro un peu particulier. Mais revenons-en aux mains. Sans être chirurgien, saviez-vous que pour saisir ce magazine en salle d’attente ou en librairie, votre main effectuera un mouvement dans lequel se coordonnent pas moins de 36 muscles et 27 os articulés ? Indispensable au quotidien et omniprésent dans notre langue – plus de 80 expressions françaises tournent autour de la main ! –, cet organe est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Pour les 3 millions de personnes dans le monde amputées des membres supérieurs, qui éprouvent souvent des douleurs en plus de difficultés à effectuer les gestes du quotidien, l’espoir pourrait venir du développement de nouvelles prothèses guidées par le cerveau. La recherche est en pleine effervescence dans ce domaine, comme l’expliquent les scientifiques interrogés par Yann Bernadinelli dans le « Focus » de cette édition. Mais reconnaître une prothèse comme une partie de son corps reste une affaire délicate : il aura par exemple fallu cinquante ans à Marco Zambelli (p. 19), qui a perdu son avant-bras droit à l’âge de 15 ans, pour retrouver une « sensation tactile » sur le membre fantôme et être capable d’« ouvrir avec précision un étui avec fermeture éclair ». La main « bionique », que l’on pourrait demander, tendre ou serrer presque comme n’importe quelle autre, est-elle un scénario de sciencefiction, une « vue de l’esprit » en mouvement, une réalité palpable ou un peu des trois ? /


Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de « Health Valley ». La carte ci-dessous est un extrait de la carte Dufour, la première carte officielle couvrant toute la Suisse. Elle a été publiée entre 1845 et 1865.

IN SITU

HEALTH VALLEY

REPRODUIT AVEC L'AUTORISATION DE SWISSTOPO (BA190206)

Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

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FRIBOURG P. 6

Swibrace développe des attelles imprimées en 3D pour soulager les fractures au poignet.

LAUSANNE P. 6

Le CHUV et l’EPFL ont conçu une serviette hygiénique connectée.

RENNAZ P. 9

L’Hôpital Riviera-Chablais a été inauguré cet été.

GENÈVE P. 6

Le projet BrainCom veut rendre la parole aux personnes aphasiques.


HEALTH VALLEY

START-UP

«Le digital est une réponse au vieillissement, à la pénurie et au financement de la santé.»

OPHTALMOLOGIE

La société tessinoise Femtoprint pourrait révolutionner la prise en charge de l’occlusion veineuse rétinienne, une maladie entraînant la cécité et touchant 16 millions de patients dans le monde. Spécialisée dans l’impression 3D de micro-composants en verre, elle a conçu une très fine aiguille de seringue qui peut être directement introduite dans l’œil du patient afin d’y diffuser le traitement adéquat. L’invention a été présentée lors du Salon de la haute précision à Genève en juin dernier.

PARTENARIAT

ADC Therapeutics et Sophia Genetics, deux start-up suisses de renom international établies au Biopôle de Lausanne, ont annoncé début août avoir entamé un partenariat. Celui-ci s’inscrit dans des recherches visant à identifier les marqueurs génomiques associés à la réponse clinique d’un ADC (antibody drug conjugate) s’illustrant dans des cas de lymphomes. Cette collaboration pourrait favoriser la découverte de nouvelles mutations génomiques en la matière.

ORTHOPÉDIE

Dans le canton de Fribourg, Swibrace a pris place début juillet au sein de l’incubateur cantonal Fri Up, quelques semaines après avoir reçu un premier prêt d’amorçage de 100’000 francs de la fondation Seed Capital Fribourg. La start-up développe des attelles anatomiques innovantes, imprimées en 3D, pour soulager des fractures au poignet, évitant ainsi une intervention chirurgicale. Le dispositif orthopédique permet notamment de remédier au gonflement post-traumatique du membre. 6

VICTOR FOURNIER CHEF DU SERVICE VALAISAN DE LA SANTÉ, E LORS DE LA 7 ÉDITION DE LA CONFÉRENCE DIGITAL HEALTH CONNECT LE 7 JUIN DERNIER AU TECHNOARK DE SIERRE, ORIENTÉE SUR LES COMPAGNONS NUMÉRIQUES ET ROBOTS PERSONNELS

Comprendre la médecine de demain

SANTÉ DIGITALE Anticiper les enjeux de demain dans le domaine de la santé, c’est la vocation du Digital Health Hub, inauguré ce printemps au sein du parc scientifique Biopôle de Lausanne. En parallèle avec l’incubateur Startlab, cette nouvelle entité regroupe une vingtaine d’entreprises actives dans le domaine de la santé digitale, et accueille régulièrement des experts en la matière. Regroupés sous le nom de «Digital Pulse», ces experts correspondent à une vingtaine de profils variés, tels que cliniciens, chercheurs, professionnels de la santé publique et de l’industrie, investisseurs et entrepreneurs.

8,35

Il s’agit du montant alloué, en milliards d’euros, par la Commission européenne au projet BrainCom, auquel participe l’Université de Genève. Ce projet vise à développer des implants corticaux pour décoder les signaux du langage, afin de rendre la parole aux personnes aphasiques. Entamé en 2016, le projet se terminera en 2021.

L’OBJET

UNE SERVIETTE HYGIÉNIQUE QUI PRÉDIT LE RISQUE D’ACCOUCHEMENT PRÉMATURÉ 10% des femmes enceintes accouchent prématurément. En cas de suspicion, elles sont hospitalisées durant de longues périodes pour être surveillées. Pour permettre à ces femmes de rester chez elles le plus longtemps possible, deux chercheurs du CHUV et de l’EPFL ont développé une serviette hygiénique connectée. Celle-ci possède des biocapteurs capables d’analyser les sécrétions vaginales. Les informations sont ensuite communiquées à un ou une gynécologue via une application mobile. Pour être efficace, la serviette doit être utilisée une fois par semaine sur une courte période. Une demande de brevet a été déposée et une start-up sera créée prochainement pour commercialiser le produit.

DR

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HEALTH VALLEY

Intégrer la médecine connectée à l’hôpital Ingénieurs et médecins s’allient pour imaginer des traitements basés sur les nouvelles technologies. Un des défis: sécuriser les données. CYBERMÉDECINE Analyse biométrique par les veines du poignet ou capteurs de la maladie d’Alzheimer sur smartphone: les nouvelles technologies et le monde hospitalier se développent en symbiose aujourd’hui. Preuve que la Suisse romande prend cette évolution au sérieux, le Biopôle d’Épalinges a inauguré en 2018 son Digital Health Hub, un centre d’innovation entièrement dédié à la santé numérique. Économiquement, l’industrie suisse de la medtech s’affirme comme une des plus importantes du monde avec 1’400 entreprises et 15,8 milliards de francs de chiffre d’affaires en 2018.

TEXTE : AUDREY MAGAT

ERIC DÉROZE, DR, HEIDI DIAZ

Néanmoins, l’intégration des nouvelles technologies se heurte encore à quelques obstacles, comme l’explique Philippe Ryvlin, chef du département des neurosciences cliniques du CHUV : « Les ingénieurs créent des dispositifs médicaux novateurs dont il est nécessaire d’évaluer rigoureusement l’impact clinique avant leur mise sur le marché. » Le médecin est depuis 2016 directeur de la plateforme Neurotech qui accompagne les laboratoires de recherche et les entreprises dans le développement et la validation des neurotechnologies. Jusqu’à présent, la plateforme a accompagné le développement de quatre produits issus des start-up Empatica, DomoSafety, SwissCustom Watches et Gondola, ainsi que des innovations de l’EPFL. Pour Thierry Weber, médecin et CEO de Vivactis, une agence de communication spécialisée dans le domaine médico-scientifique basée à Épalinges, « les appareils connectés peuvent répondre aux problématiques d’avant et d’après l’hospitalisation. Ces dispositifs peuvent par exemple aider les patients à prendre leurs médicaments ou à suivre leur maladie à domicile, ce qui permettrait de diminuer les consultations de contrôle. » 7

EN HAUT : PHILIPPE RYVLIN, DIRECTEUR DE LA PLATEFORME NEUROTECH ; AU CENTRE : LE BRACELET EMBRACE D’EMPATICA ; EN BAS : EMBRACE PERMET DE DÉTECTER DES CRISES D’ÉPILEPSIE.

Prévention améliorée Les équipes académiques de Neurotech travaillent notamment avec la réalité virtuelle ou les jeux sérieux (« serious games » en anglais) pour aider à la réhabilitation et à la rééducation, par exemple après un AVC. Elles développent aussi des capteurs connectés capables de détecter préventivement des atteintes neurologiques. Le bracelet Embrace d’Empatica, ou le patch fixé sur le biceps de Brain Sentinel Speac, aujourd’hui certifiés et commercialisés, permettent par exemple de détecter des crises d’épilepsie convulsives. «Ces produits ont un grand potentiel prédictif, ajoute Philippe Ryvlin. Notre objectif est de les intégrer dans la pratique hospitalière, mais surtout dans le suivi des patients à leur domicile, notamment pour ceux souffrant d’affections chroniques afin de réduire leur handicap, d’accroître leur autonomie et ainsi leur qualité de vie. » Ces plateformes médicales connectées soulèvent toutefois la question de la sécurité des données. Ainsi, la société allemande Greenbone Networks qui teste la sécurité informatique des hôpitaux à l’échelle mondiale exposait cette année les résultats de son enquête : 24 millions de dossiers patients seraient vulnérables dans le monde alors qu’en Suisse, le nombre d’images médicales non séc urisées s’élèverait à 230’000. La récupération de ces données pourrait alors entraîner la monétarisation des données de santé, ou encore leur récupération par des assurances maladie. «Chez Neurotech, nous utilisons le système de cybersécurité de pointe du CHUV, rassure Philippe Ryvlin. Les données des patients sont sécurisées, tout comme leur transfert, leur stockage et leur partage de manière anonyme. » /


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HEALTH VALLEY

Données médicales partagées

COLLABORATION Les hôpitaux neuchâtelois (HNE), du Jura et du Jura bernois ont entamé simultanément en 2009 l’informatisation de leurs données « patients ». Dix ans après, le bilan se montre très positif : la numérisation des dossiers a permis de structurer les données médicales au sein des trois institutions et d’améliorer la sécurité des prises en charge. Le site de La Chaux-de-Fonds du HNE s’est par ailleurs équipé cet été d’un nouveau dispositif d’IRM pour 3,5 millions de francs. De quoi diminuer le temps d’attente des patients en radiologie et renforcer l’activité du site chaux-de-fonnier.

3 QUESTIONS À

MATHIAS HUMBERT

PRÉOCCUPÉS PAR LA DÉMOCRATISATION D’OUTILS D’ANALYSE DE NOTRE GÉNOME, DES CHERCHEURS ROMANDS* ONT MIS AU POINT, EN MARS DERNIER, L’OUTIL EN LIGNE « ADN, FAMILLE ET VIE PRIVÉE ». INTERVIEW DU CHEF DE PROJET.

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FACILITER LE MOMENT DU RÉVEIL Pour rompre le sommeil de façon agréable, cinq étudiants et doctorants de l’EPFL et de l’UNIL ont conçu Wakeit. L’application consiste en un réveil permettant de mobiliser ses amis pour se lever à temps. Par le biais des réseaux sociaux, l’utilisateur pourra se motiver à ouvrir les yeux grâce à des stories ou des photos qui s’ouvriront uniquement à ce moment de la journée. L’app prévoit également des jeux ou défis pour arrêter son réveil. De nouvelles fonctionnalités devraient être disponibles à intervalles réguliers. Les initiateurs du projet, qui se sont rencontrés à l’EPFL dans le cours d’Innosuisse Business Concept, ont imaginé ce dispositif lors du Startup Weekend Lausanne 2018.

Se développer en réseau

INCUBATEUR Regrouper des start-up innovantes et actives dans les sciences de la vie au sein d’un laboratoire de 700 m2, c’est l’objectif de l’incubateur Startlab, qui a ouvert ses portes il y a plus d’un an au sein du parc scientifique Biopôle à Lausanne. Cinq jeunes pousses, dont HAYA Therapeutics, y sont actuellement installées, bénéficiant ainsi d’une proximité avec les instituts de recherche et les dizaines d’entreprises déjà présentes au Biopôle. Ce printemps, l’incubateur a annoncé avoir durci les conditions d’accueil des start-up, afin de garantir la qualité des acteurs présents.

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Avec l’apparition d’entreprises, essentiellement américaines, comme 23andme ou Ancestry qui proposent d’analyser notre génome humain, nous constatons que les données d’un nombre grandissant d’individus sont connues et stockées quelque part. Ces entreprises comptabilisent à ce jour 26 millions de clients. L’outil que nous avons développé s’adresse aux citoyens suisses afin qu’ils puissent évaluer les risques qu’ils encourent si des membres de leur famille ont fait analyser leur génome.

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EN QUOI EST-CE RISQUÉ DE VOIR SON GÉNOME RÉVÉLÉ ?

Le principal risque est que ces entreprises vendent leurs bases de données génomiques aux assurances maladie. Ces dernières pourraient alors discriminer un individu en fixant ses primes en fonction de sa propension à développer tel ou tel problème de santé, ce que révèle l’analyse de génome. En Suisse, les assurances complémentaires par exemple pourraient suivre une telle logique.

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COMMENT EXPLIQUER CE SUCCÈS DES ANALYSES DE GÉNOME ?

Les entreprises américaines citées plus haut proposent une vision plutôt récréative: connaître son génome peut aider à retrouver ses ancêtres ou de lointaines origines. Mais du point de vue scientifique, connaître le génome d’un individu permet de mieux comprendre comment il fonctionne, les pathologies qu’il pourrait être en mesure de développer et d’anticiper cela avec la médecine personnalisée. / *issus de l’EPFL, de HEC Lausanne, de la HES SO Valais et d’Unisanté

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L’APPLICATION

DE QUELS CONSTATS OU BESOINS CET OUTIL EST-IL NÉ ?


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HEALTH VALLEY

LES DIFFÉRENTES MANIÈRES MIEUX COMPRENDRE DE S’EFFACER » LE «  CERVEAU Que faire d’un corps humain après la mort ? PLUSIEURS PROJETS ET ÉTUDES RÉCENTS CHERCHENT

À EXPLORER LES DE CET ORGANE SI COMPLEXE. Présentation de MÉANDRES trois méthodes.

L’HUMUSATION L’INCINÉRATION Brûler le corps du défunt de manière à le réduire en cendres : en Suisse, l’incinération reste de loin la méthode la plus sollicitée, puisque près de 90% de la population choisit cette option. C’est d’ailleurs 3 fois plus qu’au début des années 1980. Peu d’autres pays privilégient autant cette méthode à l’échelle européenne. En Suisse, la crémation ne peut avoir lieu que dans des centres funéraires agréés par les autorités. Les cendres sont ensuite déposées dans un jardin du souvenir (env. 50% des cas), dans un cimetière (env. 30% des cas), ou remises à la famille.

L’AQUAMATION Pas encore pratiquée sous nos latitudes, l’aquamation, aussi appelée liquéfaction, a été légalisée dans quelques États des États-Unis et provinces du Canada, en Australie, aux Pays-Bas et en Angleterre. Le principe est de dissoudre les tissus humains grâce à un processus d’hydrolyse alcaline, en plongeant le corps pendant une heure dans une eau chauffée à plus de 90°, additionnée de produits chimiques alcalins. À la fin du processus d’aquamation, il ne reste que les os, que l’on peut ensuite brûler pour les réduire en cendres. L’aquamation est présentée comme une alternative écologique à la crémation. En effet, cette dernière nécessite que les fours servant à la combustion des corps atteignent une température de 800°, ce qui demande beaucoup plus d’énergie qu’une machine chauffant de l’eau.

Transformer les corps des défunts en compost : l’humusation se veut une méthode parfaitement écologique, en laissant naturellement le corps se décomposer et devenir substrat. Au sein de sites réservés à cet effet, le corps du défunt est enveloppé dans un linceul puis déposé sur un lit végétal, et enfin recouvert avec des feuilles, de la terre, des branches ou des copeaux de bois. Cette pratique reste cependant encore très marginale. En Europe, seule la Belgique procède à des essais en vue d’une éventuelle légalisation, afin d’étudier le temps de décomposition des corps et la qualité d’un tel compost. Aux États-Unis, l’humusation est autorisée depuis ce printemps dans l’État de Washington.

Un hôpital valdo-valaisan CYRIL KEYSTONE STEVEZINGARO/ GSCHMEISSNER/SCIENCE PHOTO LIBRARY

INAUGURATION L’Hôpital Riviera-Chablais a été inauguré fin août. Cela faisait près de vingt ans que les discussions autour d’un établissement médical valdo-valaisan avaient commencé, mais le projet a été plusieurs fois retardé. L’établissement dispose d’une capacité de 300 lits et fonctionnera à terme avec près de 2’000 collaborateurs. Il est prévu qu’il regroupe cinq sites de soins vaudois et valaisans. Une permanence et un service de gériatrie seront néanmoins maintenus à Vevey et à Monthey.

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RAMER CONTRE LE CANCER Plusieurs études ont démontré les bienfaits de l’activité physique pour mieux supporter les effets d’une chimiothérapie. Pour soutenir les femmes atteintes d’un cancer du sein – qui touche une femme sur neuf en Suisse –, le Rowing Club Lausanne (RCL) a lancé, en mai 2018, le projet « Ramer en rose ». Puisque la propulsion du bateau est effectuée à plus de 80% par les jambes et le dos, les zones atteintes par le cancer – c’est-à-dire le ou les sein(s) – ne sont pas surchargées. « Cette activité entraîne notamment une réduction de la fatigue lors de la chimiothérapie et une meilleure mobilisation de l’épaule lors de la radiothérapie », explique Jean-Pierre Gervasoni, président du RCL. Actuellement, plus de 50 femmes se retrouvent deux fois par semaine pour s’entraîner sur le lac Léman. Plus d’informations sur www.rclausanne.com PHOTO : ERIC DÉROZE

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HEALTH VALLEY

ÉTAPE N° 19

LAUSANNE

SUR LA ROUTE

MINDMAZE

À la rencontre des acteurs de la Health Valley. Nouvelle étape : Lausanne.

Thérapie connectée La start-up lausannoise Mindmaze est pionnière dans l’utilisation thérapeutique de la réalité virtuelle pour les patients en réhabilitation neurologique. TEXTE : ANTOINE BAL

Se soigner en jouant: des patients munis de capteurs dans leur lit d’hôpital répètent des mouvements face à leur avatar sur un écran grâce à la technologie développée par Mindmaze. Lancée en 2012 par l’entrepreneur Tej Tadi, titulaire d’un PhD en neurosciences à l’EPFL, la société est pionnière dans la thérapie par la réalité virtuelle pour les patients en rééducation neurologique. Comptant une centaine de collaborateurs, Mindmaze est devenue, en 2016, la première «licorne» suisse – les start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars. La technologie fonctionne comme un «coach» intelligent du mouvement. À la suite d’un AVC, la récupération des facultés motrices se joue surtout au moment où la plasticité cérébrale est la plus forte, soit dès la reprise possible d’activités simples. L’avatar du patient projeté sur un écran (qui peut être visualisé avec ou sans casque immersif) fonctionne comme un miroir pour guider les mouvements. Si la durée de cette thérapie 12

est très variable, «on sait qu’il faut répéter au moins 1’000 fois le même mouvement pour activer les mécanismes de neuroplasticité», explique Andrea Serino, chef du groupe de neurosciences chez Mindmaze. À l’heure actuelle, la technologie de Mindmaze est utilisée par plus de 1’300 patients dans huit pays, dont les États-Unis et l’Inde. Dans un avenir proche, l’entreprise veut étendre son champ d’action à d’autres maladies telles que Parkinson ou la sclérose en plaques. Elle souhaite également implémenter de nouvelles fonctionnalités pour la téléréhabilitation, connectant ainsi les thérapeutes aux machines pour suivre leurs patients à distance. Autre défi: coupler des systèmes de neurostimulation avec des systèmes robotiques dans des cas de motricité très limitée. De nombreuses acquisitions récentes de start-up suisses et internationales dans le domaine de la medtech, comme Gait Up, témoignent de la volonté d’étendre la technologie à d’autres types de traitements. ⁄


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GLOBE

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BRÉSIL Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde. Nouvelle étape au Brésil.

Moins de fumeurs, moins de victimes de la route

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En millions, le nombre de Brésiliens souffrant de troubles anxieux, soit environ une personne sur dix, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il s’agit d’un triste record mondial. En parallèle, la dépression touche également 11,5 millions d’habitants, classant le Brésil au premier rang en Amérique du Sud, et à la deuxième place derrière les États-Unis sur l’ensemble du continent américain. Les inégalités sociales, la pauvreté et les traumatismes liés à l’enfance seraient les principales raisons expliquant ces taux élevés.

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Une vaccination immersive PRÉVENTION Les enfants sont souvent effrayés à l’idée de subir une injection pour se faire vacciner. Les laboratoires médicaux brésiliens Hermes Pardini ont développé une méthode basée sur la réalité virtuelle (VR) pour diminuer la tension lors de cette procédure. Les jeunes patients sont invités à s’équiper d’un casque VR pour visionner un film d’animation 3D qui raconte les aventures d’un groupe de héros en armure devant défendre leur terre contre un personnage maléfique. L’infirmière peut alors suivre le déroulement de l’histoire sur un écran, de manière à synchroniser ses actes de nettoyage de la peau et d’application de l’injection avec le scénario. En raison du succès rencontré par ce projet, le groupe Hermes Pardini a depuis doté 80 pharmacies du pays de casques VR.

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LES PAGES « GLOBE » SONT RÉALISÉES EN PARTENARIAT AVEC SWISSNEX.

PRÉVENTION En l’espace de douze ans, le Brésil est parvenu à réduire de 40% le nombre de fumeurs. En 2006, environ 15% de sa population consommait du tabac, contre 9% en 2018. L’État brésilien a notamment durci les lois en matière de publicité du tabac, augmenté les taxes sur les cigarettes et interdit la fumée dans les espaces fermés publics. En parallèle, les victimes de la route ont aussi connu une diminution de 17% entre 2010 et 2017. Pour souligner ces succès, la 74e Assemblée générale des Nations unies a récemment décerné deux récompenses au ministre de la santé, Luiz Henrique Mandetta.


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GLOBE

L’exode cubain L’arrivée de Jair Bolsonaro à la présidence du pays a entraîné le départ de milliers de médecins cubains, appelés il y a quelques années pour faire face à une pénurie de personnel soignant.

Tensions gouvernementales Retour en arrière : en 2013, confrontée à de nombreuses manifestations contre la pénurie de docteurs dans les zones reculées, la présidente auriverde Dilma Roussef met en place le programme « Mais Médicos », en collaboration avec l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS). Le dispositif vise à faire appel à du personnel étranger pour répondre au manque de professionnels de la santé. Cuba et ses milliers de praticiens répondent favorablement à l’appel. Les relations entre les deux pays se sont toutefois dégradées à la suite de l’élection de Jair Bolsonaro. D’un côté, le président brésilien a mis en doute la formation cubaine. Il a aussi

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dénoncé les conditions imposées par Cuba à ses médecins comme étant « dignes de l’esclavage », sans compter de supposés « actes de barbarie » commis sur les patients brésiliens. De l’autre, le gouvernement castriste évoque des « termes inacceptables » posés par Jair Bolsonaro. En guise de mesure de rétorsion, Cuba décide alors de rapatrier ses professionnels. Un désert médical grandissant Un an plus tard, la situation au Brésil a empiré de manière catastrophique. « Il manque essentiellement des docteurs, des infirmiers, des pharmaciens et des chirurgiens dentaires, explique Filipe Leonel de l’ENSP. Les médecins brésiliens, quant à eux, préfèrent travailler dans des infrastructures situées dans les grandes villes, mieux équipées et plus sûres. » L’interruption du programme « Mais Médicos » a entraîné environ 100’000 décès supplémentaires, selon une étude de la revue BMC Medicine, notamment au nord du pays qui représente 60% du territoire brésilien. « La région dite du Nordeste et l’Amazonie souffrent d’un désert médical effroyable. Les premières victimes sont essentiellement des indigènes qui ont besoin d’une assistance permanente. » Les populations vivant en périphérie des grandes mégalopoles ou dans les favelas connaissent une situation similaire. ⁄

ADRIANO MACHADO

CRISE MÉDICALE En décembre dernier, un long défilé de blouses blanches munies d’énormes bagages s’est formé dans les différents aéroports brésiliens. Environ 8’500 praticiens cubains ont été forcés de rentrer chez eux à cause de la fin prématurée du programme brésilien « Mais Médicos » (Plus de Médecins). « Le départ des médecins cubains a amorcé un chaos dans l’assistance à la population brésilienne, puisqu’ils représentaient la majorité du contingent médical de ce programme », se désole Filipe Leonel, porte-parole de l’École nationale brésilienne de santé publique (ENSP).


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GLOBE

3 QUESTIONS À

JEFFERSON PLENTZ

CE SPÉCIALISTE DE L’INNOVATION REVIENT SUR LES CHALLENGES DU BRÉSIL DANS LE DOMAINE SANITAIRE.

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QUELS SONT LES PRINCIPAUX DÉFIS QUI SE POSENT AU BRÉSIL EN TERMES DE SANTÉ ?

Le Brésil suit la tendance mondiale avec des coûts de la santé en hausse et une augmentation des maladies dites chroniques tels que le cancer et le diabète. Il voit aussi une migration de la population rurale vers les zones urbaines. Plus de 70% des Brésiliens vivent dans les grandes villes. Ce déracinement engendre non seulement un déséquilibre des centres de soins dans le pays – certaines zones comme le nord connaissent une désertification médicale – mais accélère le développement d’affections dont l’obésité et le stress, voire même des maladies psychiques comme la démence.

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QUELLES SONT LES SOLUTIONS AVANCÉES ?

On observe notamment l’émergence de projets de santé mobile et de télémédecine qui permettent d’observer à distance les premiers signes de maladie. Pour soutenir l’innovation, le gouvernement privilégie les partenariats entre le privé et le public afin d’augmenter les investissements, l’efficacité, et réduire les écarts dans le système de santé.

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DANS QUEL DOMAINE D’INNOVATION VOYEZVOUS LE PLUS GRAND POTENTIEL ?

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Le Brésil connaît une diversité ethnique unique au monde. Le pays peut devenir un laboratoire à ciel ouvert pour toutes les recherches médicales. En effet, les informations issues de la mixité ethnique constituent une riche base de données. Les intelligences artificielles pourront, dès lors, plus facilement livrer un diagnostic sur la base de la richesse du «big data» brésilien. Ce n’est pas pour rien que le Brésil semble être en avance en matière de détection et de diagnostic du cancer de la peau. / Jefferson Plentz est directeur de la société brésilienne Techtools Ventures, qui accélère le développement de start-up et d’innovations.

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L’OBJET

UN BANDEAU D’ANALYSE DU CERVEAU

Atteint de la maladie de Parkinson, Sérgio Mascarenhas a décidé de faire de son affection une bénédiction. Le professeur et médecin brésilien a développé Brain4care, un bandeau de monitoring de la pression intracrânienne. Applicable directement sur la tête, cette solution connectée via wi-fi surveille les changements de pression en interprétant la morphologie et les tendances du pouls de la boîte crânienne, sans qu’il soit nécessaire de la percer. Selon le fondateur, Brain4care peut prévenir des maladies comme la démence, l’hydrocéphalie, l’hypertension, les méningites et les anévrismes.

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Bacurau

LE SÉ VO LA VI IN

UN FILM DE KLEBER MENDONÇA FILHO ET JULIANO DORNELLES, 2019, PRIX DU JURY AU FESTIVAL DE CANNES 2019

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Folie et politique : activisme en santé mentale au Brésil DE PAULA BRUM SCHÄPPI,

GEORG ET LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, 2019

Dans un futur proche, le village brésilien de Dans cet ouvrage, la Bacurau fait le deuil de sociologue et psychologue sa matriarche CarmePaula Brum Schäppi s’est lita, décédée à 94 ans. intéressée à la prise en Quelques jours plus tard, charge de la folie au les habitants remarquent Brésil. À partir d’une que Bacurau a disparu enquête qualitative au de la carte, mais ce n’est sein de l’antenne du pas tout. Les habitants mouvement anti-asilaire et des objets se mettent, à Rio de Janeiro, elle eux aussi, à se comporter étudie les représentations étrangement. Dans ce sociales de la folie, et les long-métrage dystopique, effets de la désinstitules deux réalisateurs tionnalisation des soins Kleber Mendonça Filho et sur les débats publics et Juliano Dornelles dressent politiques sur la santé le portrait d’un village mentale. dans le but de présenter les enjeux politiques, sociologiques et environneR É OS S U LES VID mentaux du Brésil de OM 0 U ES ET .C IQ E N N O ZI HR GA Bolsonaro. IVOMA S LES C N S VE R WW.INV LES LIE

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POST-SCRIPTUM LA SUITE DES ARTICLES DE IN VIVO IL EST POSSIBLE DE S’ABONNER OU D’ACQUÉRIR LES ANCIENS NUMÉROS SUR LE SITE WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

p. 19

MATERNITÉ IV n° 14

ALZHEIMER p. 58

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Éternellement jeune

La vie des prématurés

Tests relancés

Neuf hommes entre 50 et 65 ans ont vu leur horloge biologique reculer de deux ans et demi après une expérience menée aux États-Unis. Pendant un an, ces hommes ont pris différentes substances qui agissent sur le thymus – un organe situé près du cœur qui lutte contre les maladies et dont la taille se réduit avec l’âge. Cette expérience a été menée par les universités Stanford et de Californie ainsi que par la société pharmaceutique américaine Intervene Immune. /

Des chercheurs de la renommée Icahn School of Medicine ont examiné pour la première fois les conditions de santé de personnes nées prématurément. Pour cela, ils ont analysé les données médicales de 2,5 millions de Suédois nés entre 1977 et 1997. Le résultat : 55% des prématurés n’avaient pas de problème de santé au cours de leur vie, contre 63% des personnes nées à terme. Toutefois, les personnes qui sont venues au monde après seulement 22 à 27 semaines souffrent plus souvent de maladies cardio-vasculaires et de troubles psychiques. /

En mars 2019, deux essais conduits à l’international avec plus de 3’000 patients pour trouver un traitement contre la maladie d’Alzheimer ont dû être stoppés, faute de résultats. Mais après des analyses complémentaires, les tests – basés sur l’usage d’un anticorps appelé « aducanumab » – ont pu reprendre, contre toute attente, en octobre. En effet, ces analyses ont montré que le déclin cognitif a été réduit de 23% par rapport au placebo. /

CANCER IV n° 1

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S’attaquer aux gènes des métastases Souvent, lorsqu’un médecin découvre des métastases, il n’est pas capable de localiser la tumeur initiale qui est à l’origine du cancer. Par conséquent, il lui est plus difficile de définir le traitement adéquat. Une nouvelle solution qui vise les modifications génétiques dans les cellules cancérigènes (au lieu de viser la tumeur initiale) est actuellement testée à l’Hôpital universitaire de Zurich. Les résultats sont attendus pour 2022. /

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VACCINS IV n° 7

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Dangereuse rougeole Deux études publiées dans les revues Science et Science Immunology ont montré que le virus de la rougeole était encore plus dangereux que les scientifiques ne le croyaient. En effet, en plus de causer des symptômes comme la fièvre, la rhinite ou une éruption cutanée, le virus endommage le système immunitaire sur le long terme. Les chercheurs ont ainsi montré pour la première fois que la rougeole « réinitialise » le système immunitaire humain au point de le réduire à un état semblable à celui d’un bébé. /

MANON ALLARD

HYPERLONGÉVITÉ IV n° n°17 17


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MAIN LABIONIQUE MAIN

MAIN BIONIQUE

TOUCHER, BOUGER, SENTIR ?

Cette illustration montre l’anatomie des tendons dans la main. Elle est issue d’un manuel allemand datant de 1913.

MICROSCAPE/SCIENCE PHOTO LIBRARY

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La recherche sur les prothèses de la main est en pleine effervescence. Une meilleure connaissance des liens entre les mains et le cerveau résout bon nombre des limitations jusqu’ici observées et laisse entrevoir l’apparition imminente de mains bioniques dignes des meilleurs films de science-fiction.

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TEXTE  :

YANN BERNARDINELLI 17


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MAIN BIONIQUE

abrice Bares n’est pas un Jedi comme Luke Skywalker. Mais, comme ce personnage de Star Wars, le Français de 44 ans est amputé de la main droite. « Mon Dark Vador – le personnage de science-fiction ayant coupé la main de Luke Skywalker au sabre laser – c’est une tondeuse que j’ai eu le malheur de croiser d’un peu trop près à l’âge de 4 ans », déclarait-il à la télévision française en 2014. En effet, son cas a été largement diffusé dans les médias, puisqu’il était le premier cas de l’Hexagone à s’équiper d’une prothèse améliorée, dotée d’une technologie permettant d’effectuer des prises complexes de la vie de tous les jours, comme lacer ses chaussures ou taper sur un clavier d’ordinateur. Après s’être débrouillé sans prothèse pendant près de trente-cinq ans, il s’est «offert» cette main bionique à l’approche de ses 40 ans. En se voyant dans le miroir après s’être muni pour la première fois de sa prothèse, il se sent enfin normal, avec deux jambes et deux bras. Cependant, un décalage s’est créé entre ce que son cerveau interprète et la réalité: «C’est très perturbant comme situation. C’est comme si j’avais un bloc de béton autour du bras, j’ai l’impression que la prothèse est trois fois plus grosse qu’elle ne l’est en réalité», disait-il à l’époque à la télévision.

étroite collaboration avec Andrea Serino. In Vivo vous invite à découvrir le monde futuriste de la prosthétique et des mains bioniques.

Une chance pour les amputés : les neuroscientifiques voient le développement de prothèses comme nécessaire à la recherche fondamentale. Les prothèses du futur dites bioniques éclairent en effet des interrogations du type « Comment notre cerveau développe-til le sentiment d’appartenance?» Le chercheur Daniel Huber, du Département des neurosciences de l’Université de Genève (Unige), y voit un moyen d’étudier la genèse d’une prise de décision ou encore de l’apprentissage du mouvement.

Malgré cela, reproduire la complexité mécanique d’une main ne semble pas effrayer les ingénieurs. «Ce n’est en tout cas pas le facteur limitant », selon le neuroingénieur Silvestro Micera, dont les travaux sont soutenus par le pôle de recherche national NCCR-Robotics et par la Fondation Bertarelli. Par contre, imiter le système nerveux sous-jacent permettant le pilotage précis de cette machinerie de précision est loin d’être acquis.

SUPER-ANATOMIE

La main est un membre très complexe. « C’est une partie dont l’anatomie, l’habileté, la sensibilité et la force développée par rapport à la taille de l’organe sont remarquables », déclare Thierry Christen, médecin au Service de chirurgie plastique et de la main du CHUV. Pour comprendre toutes ces subtilités, une visite s’impose au Département des neurosciences fondamentales de l’Université de Lausanne. Les lieux abritent la salle d’anatomie et de morphologie où Julien Puyal, chargé de l’enseignement Il s’agit d’une prothèse dont les de l’anatomie de la main, exEn effet, ce type de prothèse ne mouvements sont guidés par le plique : « C’est la cohabitation des permet ni de moduler la force avec cerveau pour reproduire au mieux les gestes d’une main « naturelle » muscles, tendons et articulations laquelle les objets sont saisis ni de conjuguée à une organisation ressentir leur forme et leur consistance. Un autre problème subsiste, comme le révèle fonctionnelle stricte qui permet de mettre la main Andrea Serino, chercheur en neurosciences à l’UNIL en mouvement dans toute l’étendue de ses multiples et au CHUV: «La grande majorité des personnes béné- axes de liberté. » La complexité anatomique de la ficiant de prothèses finissent par l’abandonner. » Les main se manifeste aussi par le fait que pas moins de chercheurs et ingénieurs sont en passe de comprendre 36 muscles et 27 os articulés se coordonnent pour les causes de ces rejets et de développer les solutions effectuer un simple mouvement de préhension de la main pour saisir un objet. technologiques pour y faire face.

Qu’est-ce qu’une main bionique ?

Parmi les nombreux projets internationaux en cours, Lausanne s’est fait pionnière depuis 2014, grâce au laboratoire de Silvestro Micera de l’EPFL et son 18

Les muscles sont contrôlés par les nerfs moteurs qui transmettent les signaux provenant du cerveau et de la moelle épinière. Les nerfs de la main contiennent également les fibres sensorielles qui envoient les informations vers le cerveau. Tels des câbles électriques, chaque


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MAIN BIONIQUE

« POUR LA PREMIÈRE FOIS, J’AI EU UNE SENSATION TACTILE SUR LE MEMBRE FANTÔME » Marco Zambelli a perdu sa main droite à l’âge de 15 ans, pendant son apprentissage. Cinquante ans après, il retrouve l’espoir grâce à un nouveau type de prothèse qui lui permet d’effectuer tous les gestes du quotidien. esthétique : ma prothèse me permettait de ressembler à tout le monde.

PROPOS RECUEILLIS PAR

L

ANTONIO ROSATI

a manipulation d’une scie circulaire dans un atelier métallurgique a changé sa vie : Marco Zambelli a perdu sa main droite quand il était adolescent. Après plusieurs décennies à tester différentes prothèses, l’Italien de 65 ans fait aujourd’hui partie d’un projet qui a pour but de mieux comprendre les représentations neurales du membre fantôme dans le cerveau et d’utiliser ces informations pour créer des prothèses plus performantes.

ANNALISA BOMBARDA

in vivo Comment avez-vous organisé votre vie après avoir perdu votre main droite ? marco zambelli Après avoir quitté mon apprentissage à la suite de l’accident, j’ai réintégré l’école et je suis devenu employé au sein d’un bureau d’études. Toutefois, cette amputation n’a pas représenté un problème social pour moi et j’ai tout de suite tourné la page en apprenant à utiliser ma main gauche pour toutes les tâches quotidiennes. Puisque j’ai appris à écrire avec la main gauche, je ne faisais plus attention à ma prothèse sur ma main droite. Elle est devenue une partie de mon corps.

Quelle a été votre prise en charge et quel type de prothèses avez-vous porté au cours de votre vie ?

iv

19

Depuis 2010, vous utilisez des prothèses dites polyarticulées. Quelles sont les différences avec les prothèses classiques ? mz Vigorso, en collaboration avec l’Istituto italiano di tecnologia (Institut italien des technologies), m’a proposé de participer à un essai de modèles polyarticulés (qui permettent au patient de bouger tous les cinq doigts, et à la prothèse de s’adapter à la forme des objets, ndlr). Depuis, il est possible pour moi d’utiliser les deux mains de manière de plus en plus naturelle pour accomplir les tâches quotidiennes, comme ouvrir avec précision un étui avec fermeture éclair. iv

J’ai été pris en charge dans le centre de prothèses de Vigorso (province de Bologne), un pôle d’excellence aux niveaux italien et européen. L’institution nationale d’assurance pour les accidents du travail m’a assisté en mettant à ma disposition au fil des ans une quinzaine de prothèses, allant de modèles purement esthétiques à des prothèses myoélectriques tri-digitales (fonctionnement à pince avec le pouce, l’index et le majeur actionnés par des contractions musculaires, ndlr). Elles ont toutes amélioré mon quotidien, mais leur fonctionnement ne ressemblait pas à celui d’une vraie main, car j’avais toujours besoin d’utiliser mon corps en appui. C’est pourquoi j’ai toujours vécu mon invalidité comme étant une question

mz

De plus, en 2018, j’ai rencontré le Prof. Andrea Serino du CHUV. Sous sa supervision, une analyse poussée a été conduite sur le moignon, afin d’identifier les zones sensibles correspondant au pouce et au petit doigt, ce qui m’a permis d’avoir pour la première fois depuis l’amputation une sensation tactile sur le membre fantôme. Ce projet permettra peut-être à terme de réaliser des prothèses encore plus performantes en termes de sensibilité et de précision des mouvements. Maintenant, je peux rêver de la prothèse idéale : un outil activé directement par les commandes musculaires données naturellement par le cerveau. /


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fil d’un nerf correspond à une fibre nerveuse ayant un rôle moteur ou sensoriel bien spécifique. Certains nerfs ont un diamètre de plusieurs millimètres alors que les fibres nerveuses qu’ils contiennent sont beaucoup plus petites. Les fibres de motoneurones ont un diamètre d’environ 20 micromètres, soit cinq fois plus petit qu’un cheveu. Elles permettent une vitesse de transmission allant jusqu’à 120 mètres par seconde. Les fibres sensorielles, selon les modalités qu’elles véhiculent, ont des diamètres de taille variable. « Par exemple, les fibres qui transmettent les informations douloureuses sont parmi les plus petites et peuvent faire un demi-micromètre de diamètre – 200 fois plus petit qu’un cheveu –, pour des vitesses de 2 mètres par seconde», précise Julien Puyal. Le défi technique pour la prosthétique consiste à réussir à se connecter correctement à la petitesse des fibres motrices et sensorielles.

L’ARSENAL PROSTHÉTIQUE Les prothèses actuellement disponibles sur le marché sont de plusieurs types qui n’assurent pas le même objectif. Le choix de la prothèse va d’abord dépendre du patient et de son besoin. « Tous les amputés ne désirent pas la même chose. Certains assument et arrivent à se débrouiller avec leur moignon, d’autres désirent une prothèse purement esthétique, tandis que les derniers veulent retrouver de la fonctionnalité », indique Thierry Christen.

Les fibres nerveuses sensorielles se projettent sans relais de la main à la moelle épinière. Toutes les informations sensorielles sont ensuite transmises au cerveau, dans le cortex dit somatosensoriel. Cette zone corticale dédiée à la main est très étendue, car La prothèse esthétique a un seul but : cacher le sa taille es t propor tionnelle au nombre de handicap. Ce sont des prothèses sculptées dans la cire connexions nerveuses. « La face interne des doigts en copiant la main valide restante. Afin de retrouver peut comporter jusqu’à 2’500 récepteurs sensoriels quelques fonctionnalités d’une main valide, il existe par centimètre carré. À titre de comparaison, une plusieurs sortes de prothèses de main dites « myoézone équivalente de la cuisse en possède environ lectriques ». Dans ce type de prothèse, deux capteurs 50 à 100 fois moins », indique et deux électrodes sont apposés Julien Puyal. sur les parties restantes des CHIFFRES muscles fléchisseurs et extenseurs Quant à la contrac tion des du moignon. Le signal reçu au muscles de la main – qui est à la niveau des muscles permet une Nombre de personnes dans le monde base de chaque mouvement –, rotation de la main ainsi que son ayant subi une amputation des membres supérieurs. c’est l’aire motrice de la main siouverture et fermeture telle une tuée dans le cortex moteur qui pince. / commande les motoneurones. Il est important de relever que ces Depuis 2012, il existe des processus de décision cérébraux prothèses améliorées comme celle En pourcentage, les personnes ne sont pas unidirectionnels. «En adoptée par Fabrice Bares. Celles porteuses d’une prothèse souffrant de douleurs fantômes. réalité, ils fonctionnent en boucle de la firme allemande Ottobock, à l’intérieur du cortex. Le cerveau leader mondial du marché des / utilise des informations sensoprothèses, sont capables d’effecrielles pour affiner les mouvetuer 14 mouvements et de reproments comme il utilise les mouduire 90% des gestes d’une main Le nombre de personnes qui ont reçu vements pour prévoir les humaine. Mais John Spillar, une prothèse bionique développée par Silvestro Micera à l’EPFL. sensations », dit Daniel Huber, spécialiste en marketing chez chercheur à l’Unige. Ottobock, explique que « lorsqu’il s’agit de recréer une main humaine, c’est le pilotage Dans l’idée de pouvoir créer une main bionique des différentes fonctions qui pose problème, plutôt similaire à celle d’un homme ou d’un Jedi, il faut donc que la technicité des prothèses en elle-mêmes ». être capable de transmettre des informations sensorielles au cortex pour que celui-ci soit en mesure En guise de pilotage, Ottobock a développé un mod’améliorer cette main le plus adéquatement possible. dule de reconnaissance de formes mis sur le marché

3 millions 70% 4

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début 2019. Huit électrodes dans la commande de la prothèse mesurent les mouvements des muscles de l’avant-bras résiduel et les affectent à certains mouvements de la main. «Lorsque le patient tend la main vers une bouteille d’eau, la commande de prothèse reconnaît le modèle de mouvement associé et donne automatiquement l’ordre d’effectuer la prise correspondante », indique John Spillar. Pour faire face aux coûts de ces prothèses – évaluées à plusieurs dizaines de milliers de francs –, des alternatives à bas prix (quelques centaines de francs) ont été imaginées grâce à l’impression 3D. Elles permettent uniquement d’ouvrir et de fermer la main et sont particulièrement rapides à fabriquer. Elles répondent parfaitement au cas particulier des enfants en pleine croissance qui doivent souvent changer de taille de prothèse. De plus, elles s’enfilent et se retirent sans difficulté, ne requièrent pas de chirurgie ou de réadaptation. En Suisse, c’est la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva) qui prend en charge les patients. S’ensuit un processus complexe qui définira le type de prothèse à adopter. « Il existe relativement peu de personnes amputées d’un membre supérieur en Suisse, certainement parce qu’il y règne de bonnes conditions de sécurité au travail et que le pays n’est pas en guerre », précise Sébastien Durand, chirurgien au Service de chirurgie plastique et de la main du CHUV.

JAMANI CAILLET/EPFL

RÉAPPRENDRE À MARCHER

Rétablir les connexions entre le cerveau et les membres aide aussi les personnes paraplégiques. Dans le cadre de l’étude STIMO (« Stimulation Movement Overground »), publiée l’an dernier, des chercheurs du CHUV et de l’EPFL ont implanté des électrodes dans la moelle épinière de trois patients. Celles-ci activent des zones spécifiques et reproduisent les signaux que le cerveau lancerait pour engendrer la marche. Grâce à cette stimulation électrique ciblée, associée à une thérapie de support de poids corporel, les patients ont pu marcher à l’aide de béquilles ou d’un déambulateur et contrôler les muscles de leurs jambes, jusqu’alors paralysés. 21

LE SOI DE CAOUTCHOUC Comme l’indique le chercheur Andrea Serino, la majorité des amputés abandonnent leur prothèse. «La raison est qu’ils n’arrivent pas à se l’approprier et préfèrent encore se débrouiller avec leur moignon », ajoute-t-il. De plus, bon nombre d’amputés souffrent de douleurs fantômes de leur membre perdu et les prothèses, aussi sophistiquées soient-elles, ne résolvent rien des douleurs. «90% des amputés ont des sensations fantômes et 70% d’entre eux souffrent de douleurs fantômes, comme si le membre amputé existait encore», précise-t-il. Ces sensations bien connues sont dues à la persistance de la représentation du membre amputé par le cerveau. Les recherches d’Andrea Serino et de son équipe, en particulier le Dr Michel Akselrod, visent à comprendre comment le cerveau humain génère le sentiment d’appartenance et quelles voies neuronales sont impliquées. Ses études ont démontré que la


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MAIN BIONIQUE

conscience de soi n’est pas uniquement due à la vision, mais à l’intégration de signaux multisensoriels. Par exemple, juste avant que le cerveau envoie une commande motrice à la main, il effectue une prédiction de la position de cette dernière. À la suite du mouvement, une batterie de retours sensoriels a lieu. « Si les retours sont cohérents avec la prédiction, le cerveau s’approprie le mouvement comme étant le sien. Si la main bouge à gauche alors que le cerveau voulait bouger à droite, il n’y a pas d’appropriation de la main », précise-t-il. Le toucher et la vision sont donc les aspects fondamentaux de la conscience de soi, comme le prouve l’illusion de la main en caoutchouc (« rubber hand illusion » en anglais). C’est un test bien connu au cours duquel un individu doit placer ses deux mains

sur une table face à lui. Un panneau l’empêche de voir une de ses mains. Une main en caoutchouc est placée dans le champ de vision de la personne de manière à ce qu’elle adopte la même position que la main cachée. L’expérimentateur caresse ensuite l’un des doigts de la main en caoutchouc avec un pinceau et effectue exactement la même chose et de manière simultanée sur la main cachée. « Cette stimulation simultanée va faire en sorte que le cerveau s’approprie la main en caoutchouc en quelques secondes seulement », relève Andrea Serino. Pour le démontrer et sans prévenir, l’expérimentateur écrase subitement la main artificielle avec un marteau. L’individu retire alors automatiquement sa vraie main. « Si les prothèses ne sont pas tolérées par les personnes amputées, c’est qu’elles ne les considèrent pas comme une partie de leur corps », indique le chercheur. Avec son collègue de l’EPFL, Silvestro Micera, il a réussi à prouver que cela venait du fait que les aspects sensoriels ont été négligés.

ATTENTION AU DIABÈTE Les amputations des membres supérieurs concernent actuellement 3 millions de personnes dans le monde. Près de 2,4 millions d’entre elles vivent dans les pays en voie de développement, selon une étude de l’Université d’État de Pennsylvanie publiée en 2015. Dans ces pays, plus de 75% des amputations d’une partie d’un bras sont dues à des traumatismes. Ils surviennent principalement dans l’environnement de travail ou dans des zones de conflit. Suivent les maladies congénitales, les cancers et les maladies infectieuses ou cardiovasculaires. Ces maladies sont par ailleurs les causes principales d’amputation dans les pays développés, avec les complications cardiovasculaires liées au diabète en tête. Et les amputations de ce type ne devraient pas ralentir, selon l’étude universitaire, à cause de la hausse du diabète due au changement des habitudes alimentaires. Rien qu’aux États-Unis, il y aurait approximativement 10’000 nouveaux amputés des membres supérieurs chaque année, selon le National Center for Health Statistics.

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LA SOLUTION SENSOMIMÉTIQUE Les équipes de recherche de Silvestro Micera tentent de restaurer les connexions bidirectionnelles entre le système nerveux et la main. Elles sont pionnières dans le développement de méthodes pour délivrer des retours sensoriels à l’utilisateur d’une prothèse. « Notre approche consiste à inclure des capteurs dans la prothèse et à les utiliser pour obtenir des informations sur la tâche de la main en cours. Nous les traduisons ensuite en paramètres électriques utilisés pour stimuler les nerfs périphériques sensoriels », décrit le chercheur. Pour ce faire, il implante des électrodes de stimulation directement dans les nerfs – une sorte de petit cheveu avec de multiples contacts électriques. « Tout en stimulant chacun d’entre eux l’un après l’autre, nous demandons simplement au patient s’il ressent quelque chose et de quelle sensation il s’agit. Nous connectons ensuite le capteur prosthétique correspondant au système nerveux du patient . »


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HISTOIRES DE MAIN(S)

STAR DE CINÉMA Une main tranchée à la recherche de son corps est au centre du film d’animation français J’ai perdu mon corps. Récompensé au Festival de Cannes cette année, le film sera même présenté aux Oscars en février 2020.

170’000 Le nombre de personnes qui utilisent la langue des signes française. Contrairement à une idée reçue, il n’existe pas de langue des signes universelle, mais de nombreuses familles et déclinaisons régionales.

DR, AGROBACTER, RICHARD JAMES LANE

Depuis 2013, quatre amputés volontaires ont reçu les prothèses expérimentales de Silvestro Micera. Elles ont été maintenues pendant six mois, le temps de l’expérience. Le feedback sensoriel a permis d’améliorer la qualité du mouvement puisque les patients peuvent l’adapter en fonction des retours. Les quatre volontaires étaient donc plus performants. L’appartenance de la prothèse, comme prédit par Andréa Serino, était bien meilleure grâce au feedback sensoriel, et finalement, les patients ne ressentaient plus de douleurs fantômes. Cette approche a généré une série de publications scientifiques, notamment dans les revues Science Robotics et Neuron, et fera l’objet d’une suite. Les chercheurs se préparent désormais à la pose d’implants définitifs pour la fin 2020. Dans ces essais, un nombre limité de capteurs sensoriels ont été utilisés alors qu’une main réelle est capable de détecter des vibrations, des mouvements dynamiques et statiques, des sensations de toucher, de pression ou encore de température. Alors, est-ce que la main bionique de Luke Skywalker sera un jour sur le marché des prothèses ? Pas avant vingt ans, selon les experts. De plus, la complexité sensorielle de la main ne sera pas reproductible à 100%, car les stimulations électriques ne sont pas assez précises pour cibler la petitesse d’une fibre sensorielle donnée. « En revanche, nous essayons 23

VIRTUOSE Niccolò Paganini, le grand violoniste du XIXe siècle, doit une partie de ses exploits musicaux à la morphologie de ses mains : en effet, celles-ci étaient dotées d’une grande extensibilité, lui permettant des mouvements de flexion hors norme.

déjà d’utiliser une véritable ‘ peau sensorielle ’ développée par des chercheurs à Singapour pour remplacer nos capteurs. De notre côté, nous essayons de gagner en spécificité de stimulation à travers des approches nécessitant de modifier génétiquement les neurones des fibres sensorielles afin d’utiliser de la lumière – au lieu de l’électricité – pour les stimuler et gagner en précision », prévoit Silvestro Micera. La balle est ainsi dans le camp des développeurs de détecteurs pour aller vers plus de sophistication. Intégrer un feedback sensoriel dans les prothèses de la main et les prothèses en général fait partie de nombreux projets de recherche. Le leader du marché Ottobock cherche actuellement des électrodes implantables avec « plusieurs instituts de recherche pour trouver des solutions de retour sensoriel à moyen terme », comme l’indique John Spillar. Les c o n s o r t i u m s e u r o p é e n s c o m m e D eTo p o u LifeHand2 de Silvestro Micera ont la même stratégie. Les projets diffèrent toutefois dans la manière de connecter une prothèse au système nerveux. Selon Andrea Serino, « leur principal défi consiste à trouver la combinaison minimale d’entrées sensorielles et de commandes motrices qui soit suffisante pour tromper le cerveau en lui faisant croire qu’il s’agit de retours sensoriels réels pour qu’il s’approprie la prothèse ». /


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EN LECTURES

« LÉONARD DE VINCI A ÉTÉ UN OBSERVATEUR HORS PAIR » Léonard de Vinci : L’Aventure anatomique PROF. DOMINIQUE LE NEN, EPA, 2019 275 PAGES, CHF 77.30

anatomique fait un retour sur la connaissance et la découverte du corps humain à la Renaissance, avec la chance d’avoir pu retranscrire de nombreuses planches de la collection privée de Windsor. Quelle a été votre démarche? Le parcours de Léonard de Vinci est intrigant. Quelle était sa méthode ? L’analyse de ses textes et de ses planches nous en apprend beaucoup. Malgré l’interdiction de la dissection par l’Église, Léonard avait ses « entrées », à Florence par exemple, et son travail de dissection (seulement en hiver, pour la conservation), a été intense, surtout dans les années 1505-1510. Il a par exemple « inventé » l’IRM : ses coupes sériées sont l’ancêtre du scanner. Et lorsqu’on les compare aux images modernes, on comprend qu’il était un anatomiste visionnaire – pourtant ni médecin, ni chirurgien. Il était à l’évidence un observateur hors pair.

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Le chirurgien français Dominique Le Nen est animé par trois passions : la main, l’anatomie et Léonard de Vinci. Le praticien a pu les faire converger à travers un livre magnifique et passionnant, L’Aventure anatomique, anatomique en cette année du 500e anniversaire de la mort du génie florentin. PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE BRACK, RESPONSABLE ÉDITORIALE PAYOT LIBRAIRE

Et après lui? Il n’a pas été suivi par les savants, qui le voyaient comme un artiste. Son travail était désordonné, ses textes en écriture inversée impossibles à déchiffrer. À sa mort, ses dessins ont été dispersés, et n’ont eu aucune influence sur la connaissance anatomique jusqu’au XIXe siècle. iv

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Qu’est-ce qui, de lui, marque le plus un chercheur du XXIe siècle? Dln Léonard de Vinci nous a appris à observer et à tirer parti de tout ce qui peut être observé, étudié. Il ne s’est pas contenté du savoir de son temps, il a remis l’Homme au centre de ses préoccupations, s’est intéressé à la gestation, au vieillissement, aux anomalies. Léonard de Vinci nous a légué d’extraordinaires planches anatomiques, une source énorme qui, avec un demi-millénaire de recul, nous fascine et nous stimule toujours autant. / iv

*Dominique Le Nen, Jacky Laulan, La main de Léonard de Vinci, Springer Verlag, 2010

DR

in vivo Comment êtes-vous arrivé à la synthèse entre votre passion de la main et Léonard de Vinci? DominiQUe le nen La main fut le sujet de ma thèse de 3e cycle, et plus j’en découvrais, plus j’étais passionné. C’est aussi un thème largement traité par Léonard de Vinci. Comme orthopédiste, on ne peut qu’être impressionné par son génie pluridisciplinaire : ingénieur, biomécanicien, peintre… En 2010, avec un autre chercheur*, nous avons refait les dissections des mains qu’il avait dessinées, pour mieux comprendre son travail, pour mieux le comprendre, tout simplement. En matérialisant ses dessins, nous avons découvert le perfectionniste obsessionnel qu’il était, préférant abandonner s’il ne lui était pas possible d’être complet. Avec le présent livre, j’ai souhaité aller plus loin : L’Aventure


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EN LECTURES

EN BREF Portraits de mains DOMINIQUE DE RABAUDY MONTOUSSIN, MAGELLAN & CIE, 2019 193 PAGES, CHF 54.30

CHRONIQUE

Le mystérieux tableau d’un maître de la Renaissance, une Scuola Grande (confrérie) de Venise à la puissance suspecte, une idéologie suprémaciste qui traverse le temps, des groupes de pression aux méthodes expéditives, des chercheurs menacés aujourd’hui par un Carnaval noir secret séculaire… Loin du facile Da Vinci METIN ARDITI, Code, Metin Arditi oppose l’impeccable POINTS, 2019 351 PAGES construction d’un roman généreusement CHF 13.00 nourri aussi bien de culture et d’histoire que de réflexion sur les origines, les développements et potentiels ravages des crises contemporaines. Qu’il s’agisse des énigmatiques événements du « carnaval noir », qui ensanglanta Venise en 1575, ou des meurtres qui frappent ceux qui l’étudient aujourd’hui, du sens mystique d’un Christ polydactyle peint il y a 5 siècles ou des complots actuels d’une Église cyniquement réactionnaire, des pouvoirs (supposés ou réels) d’une confrérie mêlant jadis art, finances et politiques ou de « notre » actualité – migrations, terrorisme, obscurantisme traditionaliste –, la matière spectaculairement brassée par Carnaval noir impressionne. Et lorsque l’écrivain jette au brasier une étudiante vénitienne et sa directrice de thèse, deux universitaires genevois, les puissants acteurs de la curie romaine et le pape lui-même (trop charitable ? via !), l’intrigue s’emballe dans une flamboyante suite de rebondissements ! Avec, en continum, une question curieusement peu étudiée, mais qui intrigue depuis toujours Metin Arditi, ancien enseignant à l’EPFL : pourquoi la révolution copernicienne ne renversa-t-elle les convictions qu’un siècle après sa proclamation ? Réponse, peut-être, dans ce passionnant thriller historique. /

Dans chaque numéro d’In Vivo, le Focus se clôt sur une sélection d’ouvrages en « libres échos ». Ces suggestions de lectures sont préparées en collaboration avec Payot Libraire et sont signées Joëlle Brack, libraire et responsable éditoriale de www.payot.ch. 25

Sous-titré « Une histoire parisienne » avec une certaine naïveté, le portfolio imaginé par l’auteure est d’une beauté très particulière. Captées dans leurs gestes les plus personnels et significatifs, les mains de dizaines d’artistes, de comédiens et célébrités diverses révèlent leur personnalité propre, avec un remarquable naturel. Rides, taches et cicatrices disparaissent dans le noir/blanc, qui sculpte la lumière et sublime l’expression. Découvrir à qui appartiennent ces mains magnifiques est parfois une surprise. La main coupée BLAISE CENDRARS, GALLIMARD, 2013 345 PAGES, CHF 15.00

Le caporal Frédéric Sauser, 28 ans, matricule 1529, engagé volontaire suisse, eut le bras droit arraché en 1915. Il y avait alors cinq ans qu’il signait « Blaise Cendrars » ses textes étonnants : il apprit donc à écrire de la main gauche, et poursuivit ainsi sa brillante carrière. À la fois violent, goguenard et cynique, troussé comme une tragique pochade aux millions de victimes, son récit des tranchées bouleverse, par sa virtuosité littéraire, mais aussi par la modernité évidente de sa dénonciation. Petite Poucette MICHEL SERRES, LE POMMIER, 2012 84 PAGES, CHF 18.60

C’est en grand-père affectueux que Michel Serres avait baptisé « Petite Poucette » cette jeunesse si habile à rédiger les SMS ou à « liker ». Mais c’est en philosophe et sociologue qu’il analyse le gouffre stupéfiant qui la sépare des générations précédentes, avec lesquelles elle ne partage plus ni expériences, ni savoirs, ni références, ni rapport au monde. Elle a « poucé » hors sol, tout lui est donc à réinventer. Le Vieux Sage s’en réjouissait avec confiance – et l’actualité lui donne raison.


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« Beaucoup de gens pensent que la parentalité est la meilleure façon de s’épanouir dans la vie, alors qu’il s’agit d’une voie parmi d’autres. »

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INTERVIEW

LAURA CARROLL L’auteure américaine s’intéresse de longue date aux couples qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Elle revient sur un choix qui s’imprègne toujours plus d’arguments écologiques.

INTERVIEW : ERIK FREUDENREICH PHOTO : JBJ PICTURES

« Le besoin de procréer trouve ses racines dans de fortes pressions sociales et culturelles » Désir d’indépendance, préservation du couple, considérations recherche d’un livre sur des couples dans financières ou écologiques… Le choix de ne pas devenir la même situation. Comme je n’ai rien trouparent suscite de nombreuses discussions. Il a aussi engenvé, je me suis décidée à l’écrire moi-même. dré plusieurs succès récents en librairie. En témoignent J’ai ainsi recueilli les témoignages d’une cendes livres comme Motherhood de la Canadienne Sheila taine de couples. Avec mon éditeur, nous en Heti, ou No Kid de la psychanalyste française Corinne avons sélectionné 15 pour le livre Families of Maier. Leur point commun ? Défendre l’idée que le fait Two, présentant une variété de profils profesde devenir parent ne mène pas forcément au bonheur. sionnels et de modes de vie. L’auteure américaine Laura Carroll s’est penchée sur ce sujet dès les années 1990, en interviewant notamIV Est-ce que vous-même avez eu à vous justifier ment des couples child-free («  l ibres d’enfants  » ). auprès de vos proches ? LC Je savais dès que j’ai Pour elle, le désir de se reproduire n’est pas inné, commencé à garder des enfants à l’adolescence que mais dérive de croyances pro-natalistes. Elle plaide je ne voulais pas faire de la maternité la priorité de pour que la maternité ou la paternité découle d’un ma vie d’adulte. J’avais la chance d’avoir des parents choix fait en toute conscience. qui m’avaient inculqué l’idée que je pouvais choisir ma voie. Je savais que, pour moi, cela impliquait de ne pas avoir d’enfants. Cela n’a donc pas été une surprise IN VIVO Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux quand mon mari et moi avons partagé notre choix. couples sans enfants par choix ? LAURA CARROLL Vers la fin des années 1990, je me trouvais dans un mariage sans enfants depuis dix ans, IV Quelles sont les raisons les plus fréquentes qui et me demandais comment ce type de relamotivent des couples à ne pas avoir d’enfants ? LC J’ai pu tion évoluait. Je me suis alors mise à la observer au cours de mes recherches que plusieurs

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INTERVIEW

arguments revenaient souvent. L’un d’entre eux concerne les croissance démographique a stimulé ressources financières nécessaires pour élever un enfant et l’expansion d’une société et accru son poufinancer ses études. Une autre question concerne l’incidence voir. Déjà en 18 av. J.-C., on a encouragé et d’un bébé sur la relation. Certains se disent qu’ils sont très rendu obligatoire la reproduction. Ainsi, heureux dans leur couple et ne veulent pas risquer de toules lois de l’empereur romain Auguste pénacher à ce bonheur. Enfin, il y a aussi la volonté d’atteindre lisaient l’absence d’enfants et offraient des certains buts de carrière ou personnels. Mais au-delà de avantages aux familles qui en avaient trois ces raisons plus objectives, la décision relève d’une ou plus. Mais la grossesse et l’accouchement absence de désir. L’envie d’avoir un enfant ne supplante s’accompagnent de risques. Cela a fait éclore pas les doutes du couple. des mythes pour idéaliser la parentalité afin que les gens veuillent avoir plus d’enfants. La psychologue américaine Leta Hollingworth appelait ces mythes des « dispositifs sociaux » qui mettent l’accent sur les aspects positifs de la reproduction et encouragent la grossesse.

« À L’ÉPOQUE ROMAINE, ON A ENCOURAGÉ ET RENDU OBLIGATOIRE LA REPRODUCTION »

IV Beaucoup de gens disent qu’il existe un désir biologique de procréer, ce que vous réfutez. Pourquoi ? LC Des processus biologiques se produisent au moment de l’accouchement et après la naissance d’un enfant, mais il n’existe pas de preuves qui pourraient indiquer des processus bioIV Est-ce que la question écologique est plus logiques qui créent le désir d’enfanter. Si vouloir fréquemment invoquée aujourd’hui pour justifier des enfants était instinctif, nous en aurions tous et ce choix ? LC Bien que ce ne soit pas la raison la plus continuerions à en avoir jusqu’à ce que nous ne courante, bon nombre de couples que j’ai interpuissions plus le faire. Nos capacités biologiques viewés à la fin des années 1990 mentionnaient déjà permettent de faire de la parentalité un choix. Au les problèmes de surpopulation pour expliquer en cours de mes recherches, j’ai trouvé que l’envie de partie leur décision de ne pas avoir d’enfants. procréer trouve plutôt ses racines dans de fortes L’inquiétude liée à la crise climatique est une influences et pressions sociales ou culturelles proraison qui pousse les gens à avoir moins ou pas natalistes. Ces dernières existent depuis si d’enfants. longtemps que les gens croient qu’elles sont BIOGRAPHIE des vérités innées de la vie. Au fil des généIV La question de la parentalité est-elle Diplômée en rations, cette croyance s’est imposée un motif fréquent de rupture ? LC Cela psychologie comme une norme. peut être un facteur, en particulier et forte d’une lorsqu’un partenaire est très ferme dans longue carrière en matière de son choix. L’important, c’est de parler des consulting et IV Comment s’exprime cette pression désirs de parentalité avant de s’engager de services sociale ? LC Parmi les principales, il y a ce pour la vie. Trop de couples ne le font pas, éditoriaux, Laura que j’appelle « l’hypothèse du destin », l’idée Carroll a signé et doivent y faire face plus tard. que nous sommes tous conçus pour vouloir une demi-doudes enfants. Lorsque vous ne scellez pas zaine de livres cette impulsion, on pense que quelque IV Vous affirmez que la société est fondasur le sujet d’être chose ne va pas chez vous, ce que j’appelle mentalement pro-nataliste. Comment « sans enfants « l ’hypothèse de normalité ». La majorité définissez-vous ce terme ? LC Il s’agit de par choix », dont Families of des gens ne veulent pas que leurs proches l’ensemble des attitudes et des croyances Two, The Baby ou eux-mêmes ressentent cela, ce qui crée qui encouragent la reproduction et exalte Matrix et Man le rôle de parent. Historiquement, la Swarm. Elle a

aussi contribué à la rédaction de divers ouvrages universitaires et est à l’origine de la « Journée internationale libre d’enfants ».

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une forme de pression directe ou indirecte I V Combien de personnes sont-elles concernées pour avoir des enfants. Troisièmement, il y aujourd’hui par la non-parentalité ? LC Aux États-Unis, le a « l’hypothèse de réalisation ». Beaucoup de bureau du recensement effectue un suivi des femmes sans gens pensent que la parentalité est la meilenfants, au sein de différents groupes d’âge. Dans la cohorte leure façon de s’épanouir dans la vie, alors des 40–44 ans, une femme sur cinq n’a pas d’enfants, qu’il s’agit d’une voie parmi d’autres. contre une sur dix dans les années 1970. Mais les raisons de cette situation ne sont pas recueillies. Est-ce qu’elles n’ont pas trouvé le bon partenaire ? Ont-elles rencontré IV Il semble que ce sont surtout les femmes des problèmes de fécondité ? N’en voulaient-elles pas du qui s’expriment sur ce sujet, alors que les tout ? Il n’existe malheureusement aucun chiffre concerhommes représentent la moitié de l’équanant les hommes. C’est une des raisons qui m’ont poustion. Pourquoi ? LC Les femmes subissent plus de jugement que les hommes lorsqu’il s’agit de sée à commencer mes recherches sur le sujet. Il faut noter que la non parentalité n’est pas nouvelle historijustifier le fait d’être « l ibre d’enfants » . Cela quement. Un livre récent de la chercheuse Rachel découle de la croyance pro-nataliste selon laChrastil, How to Be Childless, examine les vies de quelle la maternité est au cœur de ce que signifie femmes qui n’ont pas eu d’enfants sur une période qui être une femme. Mais je peux dire que beaucoup couvre les cinq cents dernières années. d’hommes ont des sentiments forts au sujet de leur choix. Dans bon nombre de mes entrevues, c’est l’homme que l’on pourrait qualifier de plus IV Quel impact ce phénomène peut-il avoir sur la catégorique. société ? LC Cela peut inciter les gens à réfléchir plus profondément sur le fait de devenir parent. Plus que jamais aujourd’hui, alors que le monde est confronté à une crise climatique, cette décision doit inclure aussi bien une réflexion sur la vie du futur enfant que sur ce que les parents en retirent sur un plan personnel. ⁄

« LES FEMMES SUBISSENT PLUS DE JUGEMENT LORSQU’IL S’AGIT DE JUSTIFIER LE CHOIX D’ÊTRE ‘LIBRE D’ENFANTS’ »

Faudrait-il instaurer un « permis de parentalité » ? C’est une idée que j’ai présentée dans The Baby Matrix qui a suscité beaucoup de discussions. Nous devons bien posséder un permis de conduire pour circuler en voiture, alors pourquoi ne pas donner la possibilité aux futurs parents de se préparer à une expérience qui va profondément bouleverser leur vie ? D’autant plus que la société a la responsabilité de veiller à ce que les enfants n’aient pas de mauvais parents. Il pourrait s’agir d’une formation conçue par une variété de spécialistes et présentée sous une forme incitative : par exemple un allégement fiscal si l’on suit ce cours avant d’avoir un enfant. IV

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DÉCRYPTAGE

RETROUVER L’ESPRIT Alors que la spiritualité prend une place de plus en plus importante dans la prise en charge des personnes hospitalisées, divers modèles de « spiritual care » sont à l’œuvre dans les institutions de soins. TEXTE  : MONICA D’ANDREA

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ourquoi est-ce que cela m’arrive à moi ? Serai-je comme avant à ma sortie ? Mes proches vont-ils continuer à m’apprécier si je suis diminué à mon retour à la maison ? Quelle qu’en soit la raison, une hospitalisation implique une multitude de questions et une réorganisation pratique de son quotidien. Pour quelques jours ou plusieurs semaines, il faut tout repenser, s’adapter à l’environnement hospitalier, renoncer à ses rituels. Certes, pendant cette période, la priorité accordée au corps peut détourner l’attention dont l’esprit a besoin. Mais plusieurs études américaines montrent que plus de 50% des patients souhaitent que leur médecin se soucie également de leur système de croyances. «Nous travaillons depuis cinq ans afin que les équipes médicales et soignantes puissent

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accompagner les questions existentielles ou religieuses des patients par ce qu’on nomme spiritual care, faute de bonne traduction française», explique le Dr Étienne Rochat, théologien et responsable de la Plateforme Médecine, Spiritualité, Soins et Société (MS3), un projet conjoint de la Fondation Leenaards et du CHUV, désormais rattachée à l’Institut des humanités en médecine. Pour favoriser une prise en charge effective de cette dimension spirituelle, «il est nécessaire de développer un paradigme scientifique inédit au sein de la médecine moderne», explique le spécialiste. LES 5 MODÈLES DU SPIRITUAL CARE Concrètement, la Plateforme MS3 mène des recherches, Écouter le patient, lui dispense des enseigneaccorder du temps et ments et propose des faire preuve de compasmodèles cliniques qui sion. Ainsi, il se « dit » intègrent la spiritualité dans une approche centrée sur la personne. dans les soins (voir les

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sociétés et cultures la compréhension, la reconnaissance et l’intégration de la spiritualité dans les milieux de la santé», explique Pierre-Yves Brandt, membre de Resspir et professeur de psychologie de la religion à l’Institut de sciences sociales des religions de la Faculté de théologie et de sciences des religions à l’UNIL. Si cette intégration se fait aujourd’hui dans un contexte de tension entre la biomédecine et les traditions religieuses et spirituelles, les travaux du réseau visent aussi à faire en sorte que «les personnes malades puissent être davantage le sujet de leur propre histoire et renouvelées dans Offrir un acte religieux leur lien à elle-même, aux comme le baptême ou autres et aux institutions», l’onction des malades – souligne le Prof. Brandt. notamment à la fin de la

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Environ la moitié des patients souhaitent que leur médecin se soucie de leur système de croyances. Le Dr Étienne Rochat, directeur de la Plateforme MS3 au CHUV, tente de répondre à ce besoin.

cinq modèles en encadré). Plusieurs types de spiritual care sont ainsi testés et mis en pratique au CHUV: quatre par les accompagnants spirituels du service de l’aumônerie de l’institution, deux par l’ensemble des professionnels de la santé, y compris les accompagnants spirituels, et un par un petit groupe de médecins cadres. «Mon expérience clinique en gériatrie, au CUTR (Centre universitaire de traitement et réadaptation) de Sylvana à Épalinges, par exemple, m’a montré l’intérêt de tester un spiritual care fondé sur une théorie du spirituel émanant de l’hôpital conçu comme une organisation de salut», souligne ainsi Étienne Rochat.

PLUSIEURS MODÈLES EN EUROPE La plateforme est une composante importante du Réseau Santé, soins et spiritualités (Resspir), qui regroupe des chercheurs de plusieurs disciplines Récolter des informations sur dans l’ensemble des pays les croyances du patient par francophones. Son but est de le biais d’un questionnaire. «promouvoir au sein de nos Ce modèle est plus courant

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aux soins palliatifs, où le rôle du médecin est central pour s’assurer que l’ensemble des besoins de la personne sont bien pris en compte par la structure hospitalière.

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vie – au moment où les

«Avant de regarder les patients ou leurs proches le demandent. Cette pratique manières d’intégrer la spirituaest réservée aux accomlité dans les hôpitaux ailleurs pagnants spirituels qui en Europe, rendons-nous dépendent de la religion. compte qu’il y a une foule de différences en Suisse. Ce que l’on fait au CHUV est impossible à Genève, le type de laïcité étant différent. En fait, tout dépend du système politique et des moyens que l’État se donne pour fournir des prestations religieuses dans le cadre de l’accompagnement spirituel, poursuit ce spécialiste de l’Europe du Nord. En Finlande, en Norvège ou au Danemark, ainsi qu’en Suède, des pays très sécularisés, le spiritual care relève directement de l’État par l’intermédiaire de programmes qui sont gérés par les institutions hospitalières bien plus que par les Églises.»


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Du côté de la France, pour Nicolas Pujol, psychologue clinicien, chercheur au Pôle Évaluer de manière structurée la dimension de recherche de la Maison spirituelle du patient afin médicale Jeanne Garnier à de déceler une éventuelle Paris, «ce métier tel qu’il est détresse spirituelle et pratiqué au CHUV ou au d’en tirer les conséquences Québec n’existe pas». C’est en pour le projet de soins. effet le modèle des aumôniers qui prévaut. «La règle en spiritualité de leurs patients. Le manque France est qu’il y ait une ou de formation a également longtemps été deux personnes salariées – des prêtres, un frein. L’évaluation de la première des pasteurs, des imams, des rabbins –, mouture du CAS (Certificate of Advanced mais que la majeure partie des prestations Studies) «Santé, médecine et spiritualité», soient assurées par des bénévoles, précise hébergé à la Fondation pour la formation Nicolas Pujol. Bien entendu, des spéciacontinue UNIL-EPFL, permettra de dire listes, médecins ou psychologues s’il est possible de former les professionnels par exemple, ont rédigé des mémoires sur de santé dans ce domaine. «Surtout, ce la question de la spiritualité dans les soins, que l’opinion générale relève, c’est la peur mais entre l’intérêt pour la thématique que le spiritual care s’apparente à un et une mise en pratique dans une routine viol de l’intimité du patient», conclut clinique, il y a une énorme différence.» Naomi Edelmann. Cette troisième barrière est, dans notre culture européenne, la plus ÔTER LES BARRIÈRES difficile à lever. Un important travail «Le problème est que l’on reste souvent théorique et de recherche reste donc à faire bloqué sur le fait que le spiritual care est afin que les institutions, les réseaux de réservé aux soins palliatifs, explique Naomi soins et leurs acteurs puissent déterminer Edelmann, psychologue collaboratrice de le type de spiritual care le plus adapté à recherche au sein de la Plateforme MS3. leur milieu. / Le but est que cette thématique pénètre l’ensemble des services et mette en avant l’importance d’améliorer la qualité de vie des patients et pas seulement le rétablissement de leur corps.» Depuis vingt ans, les réticences à une telle démarche se définissent en termes de temps restreint, surtout pour les médecins, dont certains hésitent aussi à endosser une responsabilité supplémentaire en proposant de se préoccuper de la

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Par un dialogue avec tout intervenant, valoriser les ressources spirituelles et/ ou religieuses du patient, voire proposer des activités spirituelles pour faire face à la crise.

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Aumônier ou accompagnant spirituel ?

Traditionnellement, les aumôniers apportaient les « secours de la religion » aux malades. Avec le temps, partout en Occident, ils se sont spécialisés dans l’écoute et la présence à l’autre souffrant au nom de la compassion que commandent toutes les religions. Le terme « accompagnant spirituel » est propre au CHUV. Il est utilisé pour signifier que, bien qu’employés par les Églises protestantes et catholiques, les personnels du service d’aumônerie accompagnent toutes les expériences spirituelles rencontrées chez les patients et les soignants, et pas seulement les expériences religieuses. Ailleurs en Suisse romande et en Europe francophone, le titre d’aumônier persiste. Au Québec, le titre d’intervenant en soins spirituels est utilisé pour signifier un travail aconfessionnel, sans plus aucun rapport formalisé avec les institutions religieuses.


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PROSPECTION

À L’ÉCOLE DES PATIENTS FACE AUX INQUIÉTUDES DES PATIENTS AVANT UNE OPÉRATION, LES HÔPITAUX METTENT EN PLACE DES SÉANCES D’INFORMATION COLLECTIVE . OBJECTIF : LES RENDRE ACTEURS DE LA RÉUSSITE DE LEUR INTERVENTION. TEXTE : RACHEL PERRET

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Jean-Luc Dorier a été opéré pour une prothèse de hanche et a bénéficié de séances d’information en groupe pour assurer un meilleur suivi.

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participation est déterminant, car cela a un impact direct sur l’évolution postopératoire. »

L’AVANTAGE DU GROUPE

ccueil, café et croissants : il est 9h30, l’auditoire Placide Nicod rue Pierre-Decker à Lausanne se remplit, bloc-notes et stylos se préparent. Dans l’assistance, une trentaine de personnes attentives et un peu tendues. « Bienvenue à l’hôpital orthopédique », entame le Dr Julien Stanovici, chirurgien au Service d’orthopédie et de traumatologie de l’appareil locomoteur, au CHUV. Il a, face à lui, non pas un parterre d’étudiants, mais ses patients. Dans un mois environ, ceux-ci bénéficieront d’une intervention pour une prothèse de hanche ou de genou et ont été conviés à une séance d’information en groupe. Un rendez-vous qui s’ajoute à la consultation préopératoire. À l’origine de cette initiative lancée cette année au CHUV – mais dont le concept a déjà été testé sous différentes formes dans d’autres hôpitaux américains et suisses – les Dr Stanovici et Éric Albrecht, médecin adjoint au Service d’anesthésiologie, expliquent : « Le contenu des informations données lors de la consultation préopératoire est très hétérogène. Durant cet entretien, le patient a peu de temps pour s’exprimer et poser des questions. Or, dans le cadre de cette chirurgie, obtenir son adhésion et sa

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Dans l’auditoire, chaque professionnel impliqué dans le futur parcours du patient à l’hôpital décrit son rôle. Il répond aux interrogations, qui sont nombreuses : « Quand est-ce que je pourrai conduire de nouveau ? », « Combien de temps durera l’opération ? », « Est-ce qu’il y a des activités qui réduisent la durée de vie des prothèses ? », « Risquent-elles de se casser ? », « J’habite au 3e étage, sans ascenseur… », etc. Pour Robin Philippossian, physiothérapeute répondant en orthopédie, ces questions représentent autant d’occasions non seulement de rassurer, mais aussi, et surtout, de faire comprendre les enjeux d’une mobilisation précoce pour favoriser le partenariat thérapeutique avec le patient et le rendre acteur de sa propre prise en charge. Selon lui : « Le groupe a aussi pour effet de libérer la parole et, peut-être, de se sentir moins intimidé face à la blouse blanche ». Jean-Luc Dorier, un patient opéré pour une prothèse de hanche en septembre, relève : « J’ai eu des réponses à des questions que je ne me serais pas posées. Surtout, j’ai eu le sentiment d’avoir en face de moi une vraie équipe, travaillant dans la même direction et de façon coordonnée. C’est cela qui m’a le plus rassuré. » De retour au travail après 7 semaines de

convalescence, il souligne par ailleurs la cohérence du discours avec son séjour, notamment concernant la prise en charge de la douleur, « remarquable ».

ANTICIPER UN RETOUR AU DOMICILE PLUS RAPIDE Jean-Luc Dorier est rentré chez lui après deux jours, contribuant sans le savoir à la diminution de la durée moyenne des séjours en chirurgie prothétique, passée en deux ans de huit à quatre jours. « C’était une des données de base de notre réflexion, précise Éric Albrecht. Différents facteurs, comme la mobilisation précoce ou le fait qu’on n’utilise plus de drain, ont contribué à réduire la durée des séjours. L’anesthésie rachidienne aussi, sur laquelle on insiste beaucoup durant la séance d’information, permet de mieux récupérer et de rentrer plus vite chez soi. Dans ce contexte, améliorer l’information donnée au patient était devenu indispensable pour lui permettre d’anticiper sereinement son retour à la maison et de comprendre pourquoi un séjour court est à son avantage. »

DEVOIR D’INFORMER ET DÉSIR DE RASSURER Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le Dr Domizio Suva, médecin adjoint agrégé au Service de chirurgie orthopédique et traumatologie, avait participé en 2002 déjà à la mise en place d’un programme similaire. Il tirait de l’expérience, qui a toujours cours, un autre constat : « Ce modèle de communication favorise


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À PARIS, LES PATIENTS ONT LEUR UNI À Paris, cet automne, 82 étudiants ont fait leur rentrée à L’Université des patients – La Sorbonne. Depuis sa création en 2009, près de 180 personnes malades y ont été diplômées. Sa fondatrice et directrice, la Prof. Catherine Tourette-Turgis, nous explique le principe de cette école, encore unique. À qui s’adresse l’Université des patients ? Ce programme propose de valider et valoriser des acquis de l’expérience de la maladie : des compétences psychosociales ou en auto-soin par exemple, qui peuvent servir à toute la communauté. Chaque parcours diplômant (il y en a trois : éducation thérapeutique, démocratie en santé et patient partenaire en cancérologie) est aussi ouvert aux professionnels de santé. L’Université des patients a d’abord été imaginée pour les malades chroniques, dans le cadre des dispositifs législatifs français sur le droit des usagers (2002), mais elle peut s’adresser à tous les patients, quelle que soit leur situation. iv

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Qu’est-ce qu’on y apprend ? L’Université des patients forme ses étudiants pour qu’ils puissent intégrer les équipes de soins comme patient partenaire, notamment en cancérologie. Elle décrypte le fonctionnement du système de soins et donne des compétences en termes de prise de parole et de communication en vue d’optimiser le pouvoir d’agir des patients en tant que malade et citoyen. Le but, au final, c’est de transformer les patients en acteurs de santé. iv

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Qu’est-ce que ce dispositif peut apporter à l’hôpital ? Le patient acteur, partenaire, expert ou ressource, peu importe sa dénomination, apporte son regard d’usager et peut donc guider les professionnels sur le chemin de l’amélioration du système. La prise en compte de son expérience est désormais une variable incontournable dans tout projet d’amélioration. iv

Plutôt que d’énumérer les risques, ils auraient dû davantage insister sur ce qui irait mieux. Tout cela m’a angoissé, même si, au final, tout s’est très bien passé.» Marie-Gabrielle Wick Brasey, ergothérapeute cheffe de service au CHUV, relève elle aussi la complexité de l’exercice: «Être bon dans l’information, tant au niveau du contenu que de la forme, représente un défi qui nécessite de s’adapter continuellement.» Anne-Sylvie Diezi, spécialiste du domaine de l’information patient au CHUV, rappelle les points de tension qu’il y a entre, d’une part, l’obligation légale pour le médecin de donner une information complète et objective à son patient, et, d’autre part, sa volonté de le rassurer et de lui offrir une véritable aide à la décision. « Il faut trouver le bon dosage. Ces séances collectives ont l’avantage de rendre possible la discussion et d’amener des informations générales que les professionnels n’ont pas le temps d’aborder en consultation individuelle. Elles offrent ainsi un complément précieux à cette dernière. »

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le partenariat et offre un bon compromis entre les principes d’autonomie du patient et celui de bienfaisance du soignant.»* Reste que l’exercice n’est pas simple. En effet, si Jean-Luc Dorier n’a vu

que des avantages à ce rendezvous en groupe, Jean-Pierre Polo, un patient opéré pour une prothèse de genou, n’a pas vécu les choses ainsi. «Cette séance, avec tout ce monde, m’a impressionné.

Retour à l’hôpital orthopédique du CHUV, auditoire Placide Nicod. Deux heures de discussion n’auront pas tout à fait suffi à certains, qui s’entretiendront encore sur le pas de la porte avec Julien Stanovici. Pour le chirurgien, «ces échanges permettent de faire passer de nombreux messages mais aussi d’en recevoir, instaurant entre professionnels et patients un nouveau mode de relation.» /

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* « Information et consentement éclairé des patients en orthopédie : mission (im) possible ? », Revue médicale suisse, 2011 35


TEXTE : PATRICIA MICHAUD

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TENDANCE

L’HOMÉOPATHIE MISE À MAL

Le débat autour de l’homéopathie reprend de plus belle en Europe, après la décision française de ne plus rembourser ce type de médecine complémentaire. Une piste se dégage pour sortir de la polémique : orienter davantage les pratiques vers la médecine intégrative.

e granule est amer pour les adeptes de l’homéopathie dans l’Hexagone : le gouvernement a décidé qu’à compter de 2021, l’homéopathie ne serait plus remboursée par la sécurité sociale. Il se range ainsi à l’avis de la Haute Autorité de santé, qui a conclu à l’absence d’efficacité avérée de ce type de médecine douce. Cette annonce, qui a fait couler beaucoup d’encre dans les médias, ne fait pas de la France un cas isolé. En Europe, de plus en plus de pays remettent en question le remboursement des traitements et médicaments homéopathiques. En Allemagne notamment, les détracteurs des globules et autres granules ont suivi de près le débat chez leurs voisins français. Résultat : un député spécialiste des questions de santé y a appelé à cesser le remboursement par l’assurance maladie. En Espagne, non seulement cette médecine complémentaire n’est plus prise en charge par l’assurance de base, mais les cours d’homéopathie au sein des universités ont été bannis. Rappelons qu’en Suisse, conformément à la votation populaire du 17 mai 2009, les traitements homéopathiques prescrits par un médecin sont remboursés par l’assurance maladie de base.

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CONTEXTE DE RATIONALISATION DES COÛTS LE PLACEBO FAIT (PRESQUE) L’UNANIMITÉ Si l’efficacité de l’homéopathie fait débat, celle de son effet placebo est reconnue bien au-delà du cercle des défenseurs de cette médecine douce. Par effet placebo, on entend la capacité d’une substance à avoir une conséquence positive sur certaines affections, qu’elle soit ou non pourvue de principes actifs. Ainsi, une personne convaincue d’avoir pris un médicament efficace voit dans certains cas ses douleurs ou les symptômes de sa maladie diminuer fortement, voire disparaître. L’effet placebo est attribué à un mélange de causes psychologiques, biologiques et comportementales.

Pourquoi ce débat enflammé sur l’homéopathie ? Certains de ses défenseurs n’hésitent pas à dénoncer une pression de l’industrie pharmaceutique conventionnelle, alertée de voir de plus en plus de patients se tourner vers les médecines complémentaires. Il faut dire que l’homéopathie, pour ne citer qu’elle, génère des recettes non négligeables. Rien qu’en terre helvétique, les ventes totales ont avoisiné les 43 millions de francs en 2017, soit une croissance de 3 à 5% durant les cinq dernières années, selon des chiffres de l’Association suisse pour les médicaments de la médecine complémentaire (ASMC). Ce qui est certain, c’est qu’à une époque où la rationalisation des coûts de la santé est sur toutes les lèvres, l’efficacité des traitements et des médicaments – toutes disciplines médicales confondues – est passée au peigne fin. Et c’est là que le bât blesse pour l’homéopathie : à ce jour, aucune étude scientifique n’est parvenue à établir son efficacité outre l’effet placebo, du moins en se

AUCUNE ÉTUDE SCIENTIFIQUE N’EST PARVENUE À ÉTABLIR SON EFFICACITÉ OUTRE L’EFFET PLACEBO.


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TENDANCE

référant aux critères pris en compte par la communauté médicale internationale. En Occident, c’est un rapport publié en 2015 par le Conseil national de la recherche médicale australien qui sert le plus souvent comme référence en la matière. La conclusion des chercheurs est sans appel : il n’y a aucun problème de santé pour lequel il existe des preuves satisfaisantes de l’efficacité de l’homéopathie. Des résultats qui, plutôt que de calmer les esprits, creusent encore le fossé entre adeptes et détracteurs. Peter Carp, pédiatre à Yverdon-les-Bains et détenteur d’une attestation de formation complémentaire en homéopathie, rappelle que l’homéopathie est « une médecine d’expérience, très personnalisée, avec ses propres règles ». Dès lors, il est « très difficile d’en prouver l’efficacité en appliquant les mêmes critères que pour la médecine conventionnelle ». Quant à Klaus von Ammon, le directeur de la recherche homéopathique de l’Institut des médecines complémentaires de l’Université de Berne, il rend attentif au fait qu’un autre rapport australien, datant de 2012, arrive pour sa part à la conclusion qu’il y a des signes encourageants de l’efficacité de l’homéopathie. Reste que son efficacité n’est pas le seul aspect de l’homéopathie qui soulève la polémique. De nombreux experts vont plus loin, estimant qu’il s’agit – à l’image d’autres médecines complémentaires – d’une pratique dangereuse, car susceptible de retarder le recours à des traitements conventionnels indispensables au maintien de la bonne santé, voire au maintien en vie. UNE TASSE DE CAFÉ PAR AN

« Parfois, les parents de mes patients arrivent avec des attentes un peu irréalistes concernant l’homéopathie », constate Peter Carp. « Je ne la considère pas comme un substitut à la médecine conventionnelle. Je l’utilise comme un enrichissement à ma pratique, susceptible

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LE POUVOIR DE LA DILUTION L’homéopathie a été créée à la fin du XVIIIe siècle par le médecin allemand Samuel Hahnemann. Cette médecine douce est basée sur l’idée qu’un mal peut être traité par la substance même qui le provoque, mais à une dose minime. L’homéopathie consiste donc à donner au malade, à doses très faibles, une substance qui provoquerait, chez une personne en bonne santé, des symptômes comparables à ceux du malade. Cette substance, qui peut être d’origine végétale, animale (venin de serpents, abeilles, encre de seiche, calcaire d’huîtres, etc.) ou minérale/ chimique (graphite, soufre, mercure, etc.) est broyée puis mise à macérer dans un solvant afin d’obtenir une teinture mère riche en principes actifs. La teinture mère fait l’objet de plusieurs dilutions et dynamisations (à savoir des mouvements de va-et-vient) avant de devenir un médicament homéopathique. Reste à lui donner une forme, que ce soit des granules, des globules, des gouttes ou encore des poudres.

d’apporter un élément de réponse à des défis tels que la résistance aux antibiotiques. » Le pédiatre observe notamment que de bons résultats peuvent être obtenus pour le traitement des affections courantes touchant les enfants, telles que les troubles digestifs (constipation, régurgitation, vomissements) ou lors d’infections des voies respiratoires à répétition (bronchites, bronchiolites, etc.). En Suisse, de plus en plus de personnes, tous âges confondus, ont recours à l’homéopathie, selon Klaus von Ammon. D’après le rapport PEK public réalisé par l’Office fédéral de la santé publique en 2005 et dont les résultats sont toujours considérés comme représentatifs, « 8 à 12% des habitants du pays prennent des médicaments homéopathiques ». Côté finances, on estime « à une tasse de café par personne et par an les coûts de l’homéopathie dans l’assurance de base, soit 0,1% du total ».

8 À 12% DES SUISSES PRENNENT DES MÉDICAMENTS HOMÉOPATHIQUES. Les amateurs suisses d’homéopathie ont-ils du souci à se faire à la suite de la décision française de déremboursement et du débat allemand ? A priori, non. Car en vertu de notre système politique de démocratie semi-directe, la volonté des citoyens prime sur les études scientifiques. Mais Klaus von Ammon déplore qu’« alors que la population suisse s’est clairement prononcée pour le remboursement de l’homéopathie en 2009 et que la demande générale pour les médecines complémentaires ne cesse d’augmenter », cette volonté populaire se heurte à « un manque criant de médecins qualifiés ». Or, « en l’absence d’accompagnement, de nombreuses personnes se procurent des médicaments homéopathiques ‘ de gré à gré ’ », avec les risques potentiels que cela comporte : surdosage, interactions avec d’autres médicaments, etc.


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TENDANCE

DU LABORATOIRE AU MARCHÉ : DES CHEMINS DIFFÉRENTS Alors qu’un médicament conventionnel a besoin de huit à douze ans avant d’arriver sur le marché, les traitements homéopathiques connaissent moins d’étapes avant leur autorisation.

MÉDICAMENT CONVENTIONNEL Traite une maladie en particulier

Contrôle et validation par les autorités. Pendant ce temps, les tests se poursuivent.

AUTORISATION ET MISE SUR LE MARCHÉ

TESTS

PHASE CLINIQUE III

Tests avec de grands groupes (cohortes).

PHASE CLINIQUE II

Tests avec des personnes malades.

PHASE CLINIQUE I

Tests avec des bénévoles en bonne santé.

PHASE PRÉCLINIQUE

La substance à l’origine du nouveau médicament connaît de nombreux tests in vitro et/ou sur les animaux. Définition des substances qui agissent sur un organisme malade.

RECHERCHES

GARE À L’AUTOMÉDICATION

Pour la Prof. Chantal Berna Renella, les médecins homéopathes offrent souvent une prise en charge globale du patient.

HEIDI DIAZ

Qu’en est-il au CHUV ? « Faute de validation scientifique et de disponibilité à la pharmacie interne », le personnel ne prescrit pas de traitements homéopathiques, explique la Prof. Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV (CEMIC). « Si les patients apportent leurs propres médicaments homéopathiques et désirent les prendre, leur médecin vérifie l’absence d’interaction potentielle avec d’autres médicaments, possiblement avec l’aide du CEMIC. » En effet, « il n’est pas rare que des produits se disant homéopathiques contiennent

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TENDANCE

LE SAVIEZ-VOUS ? L’impact sur un organisme malade d’un médicament homéopathique ne doit pas être prouvé – uniquement le respect des normes de sécurité lors de sa fabrication.

AUTORISATION ET MISE SUR LE MARCHÉ

Contrôle et validation par les autorités.

TESTS

La substance est testée chez le fabricant (ou dans un laboratoire choisi par le fabricant).

RECHERCHES

Définition des substances qui agissent sur un organisme malade.

en fait des substances en concentration suffisamment grande pour être à risque de toxicité ». D’où l’importance, conseille la Prof. Berna Renella, de se fournir auprès de laboratoires fiables, sur recommandation d’un médecin ou pharmacien compétent. La professeure estime par ailleurs qu’il faut distinguer les consultations chez des médecins homéopathes des traitements en automédication. En effet, « les médecins homéopathes sont généralement des thérapeutes qui offrent une prise en charge globale, intégrative, du patient. Dans ce sens, ils ont la même

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Sources : Interpharma, Swissmedic

MÉDICAMENT HOMÉOPATHIQUE Ne traite pas une maladie en particulier

approche que celle prônée par le CEMIC. » Pour mémoire, la médecine intégrative cherche à « soutenir les efforts du patient pour rester en bonne santé et se prendre en charge lorsqu’il est malade, que ce soit avec des médecines conventionnelles ou complémentaires, pour autant qu’elles soient bien validées ». Cette médecine cherche à « comprendre quels sont les besoins en termes de santé du patient pour y faire face en tenant compte de ses croyances, tout en mettant dans la balance les éventuels risques ». Une approche qui pourrait contribuer à sortir de la polémique autour de l’homéopathie. /


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COULISSES

BREVETTE-MOI SI TU PEUX TEXTE :

BLANDINE GUIGNIER

Protéger et commercialiser son invention s’apparente parfois à un casse-tête pour les chercheurs. Décryptage du soutien apporté par les bureaux de transfert de technologie.

technologie, sa possibilité d’être protégée par un brevet, ainsi que son impact potentiel. Sur ce dernier point, nous nous demandons par exemple si des retombées économiques, mais aussi sociétales, peuvent être escomptées. »

« C ’est très agréable de recevoir un soutien pour aller de l’avant et valoriser sa découverte », souligne Frédéric Grosjean. Pour son idée de kit d’analyse forensique en cas d’agression sexuelle, le spécialiste de l’ADN du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) a fait appel au service de transfert de technologie de l’UNIL et du CHUV, baptisé PACTT (pour Powering Academia-industry Collaborations and Technology Transfer). Ce dernier a travaillé à la valorisation commerciale de l’invention, des premiers résultats de la recherche en 2013 jusqu’à la conclusion d’un contrat de licence entre le CHUV et une entreprise en 2017.

L’impact a été facile à estimer pour l’invention de Frédéric Grosjean et de l’Unité de génétique forensique du CURML : « En cas d’agression sexuelle, l’échantillon prélevé contient en majorité du matériel biologique provenant de la victime, alors que c’est celui de l’agresseur supposé qui est important pour l’enquête, explique l’expert-chercheur. Notre méthode, qui utilise un anticorps spécifique couplé à des billes magnétiques, permet de facilement séparer les spermatozoïdes du matériel biologique provenant de la victime, et de pouvoir ainsi établir le profil ADN de l’agresseur supposé. »

Des centaines de chercheurs, dont plusieurs rattachés à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, ont ainsi été soutenus depuis la création du PACTT, en 2000. « Dès qu’ils ont une idée en tête ou réalisé des travaux prometteurs, nous les rencontrons pour évaluer leur projet, détaille son directeur, Stefan Kohler. Nous étudions les caractéristiques techniques de la

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COULISSES

5’000 À 10’000 EN FRANCS, LES COÛTS LIÉS À UNE DEMANDE DE BREVET.

Silence radio avant la demande de brevet Si la première évaluation de l’invention se révèle positive, le PACTT fait appel à un agent de brevet pour la rédaction et le dépôt de la demande de brevet commercial. « Ce dernier n’est possible que si les résultats scientifiques n’ont pas encore été divulgués, rappelle Stefan Kohler. À ce stade, un peu de patience est demandée aux chercheurs afin de sécuriser les droits. » Katzarov, au Petit-Lancy (Genève), fait partie des bureaux de conseils en propriété intellectuelle mandatés par le PACTT. « Ensemble, nous élaborons une stratégie de dépôt de demande de brevet, explique Gilles Pfend, conseiller en brevets et associé au sein de ce bureau, spécialisé dans le domaine des sciences de la vie. Nous rédigeons la demande en partant des données disponibles, soit bien souvent en nous basant sur l’article scientifique en préparation. » Les coûts liés à ce premier dépôt oscillent entre 5’000 et 10’000 francs et sont pris en charge par le PACTT. « Une fois la demande de brevet déposée, il est alors possible de diffuser les résultats scientifiques », relève Stefan Kohler.

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Partenaires industriels Valoriser une recherche sur le plan commercial suppose généralement, dans un second temps, de trouver un partenaire industriel. Le PACTT cherche alors activement à nouer des contacts. Pour cela, il participe à des manifestations internationales de partenariat (en anglais, « partnering meetings »). En Suisse, il organise des événements pour investisseurs et industriels comme le BioInnovation Day. Il arrive aussi régulièrement que les investisseurs et industriels contactent le PACTT directement, après avoir remarqué la liste des inventions sur son site internet, sur une publication scientifique ou via l’intervention d’un chercheur lors d’un congrès. Lorsqu’une entreprise se montre intéressée par une invention, les «  licensing managers  » du PACTT entament avec elle les pourparlers, négocient les droits et les conditions commerciales, puis rédigent le contrat de licence. Dans le cas du kit de Frédéric Grosjean, une société biotech allemande a décidé d’en exploiter la licence. Elle fut motivée à la fois par la technologie – cette entreprise développe un type de colonnes magnétiques utilisé dans le kit commercialisé – et par son potentiel.


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COULISSES

L’alternative de la start-up Deux autres voies existent pour les inventeurs. Ils peuvent, d’une part, lancer leur start-up en propre. Pour cela, le PACTT accorde, en collaboration avec la Fondation pour l’innovation technologique (FIT), l’aide InnoTREK de 100’000 francs maximum. Entre 2013 et 2018, 17 projets ont été soutenus par ce biais, dont sept ont débouché sur la création d’une start-up. « Cela permet aux jeunes entrepreneurs-chercheurs de faire avancer leur projet innovant et de développer leur modèle d’affaires », résume Stefan Kohler. Le lien entre la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et l’office de transfert de technologie est en ce sens très étroit. Il a débouché sur l’attribution de 14 bourses InnoTREK et la création de cinq start-up comme Sulfiscon, Flares Analytics, AgroSustain ou JeuPRO. Lymphatica fait aussi partie de ces jeunes pépites. Elle propose un implant médical rétablissant la circulation en cas de maladies lymphatiques. « Entre 2015 et 2017, grâce notamment à InnoTREK, nous avons développé notre produit avec le soutien de spécialistes du CHUV, dont Lucia Mazzolai, cheffe du Département cœur-vaisseaux, note le cofondateur Marco Pisano, bio-ingénieur de formation. Deux brevets ont aussi été déposés pour protéger notre invention, au nom de nos deux employeurs successifs, l’EPFL et le CHUV. » Créée en juillet 2017, la start-up ambitionne de lancer l’année prochaine les essais cliniques, puis la certification de son dispositif médical. D’autre part, les chercheurs souhaitant perfectionner leur projet peuvent obtenir l’aide InnoSTEP de 40’000 francs maximum. « Nous avons souvent affaire à des technologies à un stade extrêmement précoce, relève le directeur du PACTT. Il faut réussir à les rendre plus attractives pour de potentiels partenaires industriels. »

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100’000 EN FRANCS, L’AIDE MAXIMALE ACCORDÉE PAR LE PACTT POUR SOUTENIR LES JEUNES ENTREPRENEURS-CHERCHEURS.

Vingt ans de protection Avec le soutien de partenaires commerciaux ou d’investisseurs, il est plus facile de poursuivre financièrement le processus de protection intellectuelle. « Les coûts augmentent durant la deuxième étape, qui a lieu douze mois après le premier dépôt de demande de brevet », affirme Gilles Pfend. Puis, trente et un mois après la première demande, il faut décider dans quel pays le brevet est effectivement étendu. « En plus des frais de dépôt et de traduction, des frais annuels s’ajoutent pour garder actif le brevet auprès des offices de propriété intellectuelle, rappelle Gilles Pfend. Cela garantit la protection de l’invention pendant vingt ans. » Certes assez coûteux et long, le dépôt complet d’un brevet comporte toutefois des avantages pour Gilles Pfend. « Toujours plus d’institutions comme le Fonds national suisse y accordent de l’importance dans l’attribution de bourses. Les investisseurs et industriels sont également plus intéressés par des inventions brevetées, en particulier dans le domaine des sciences de la vie. » Concernant les revenus tirés des droits d’utilisation commerciale, la plupart des universités récompensent tous les acteurs institutionnels de la chaîne de valeur, avance Stefan Kohler. « Outre les 10% pour les frais de fonctionnement du PACTT, un tiers des revenus nets revient aux inventeurs à titre personnel, un tiers au service et le dernier tiers à l’institution qui l’emploie. » ⁄


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LABO DES HUMANITÉS

RECHERCHE

Dans ce « Labo des humanités », In Vivo vous fait désormais découvrir un projet de recherche de l’Institut des humanités en médecine (IHM) du CHUV et de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

Quand le suicide devient objet d’études médical

SHARON MCCUTCHEON, ELENA MARTINEZ

Pourtant, comme l’explique Eva Yampolsky, au milieu du XIXe siècle, les aliénistes ramèneront la morale au cœur du champ médical et verront dans le suicide le signe d’un manque de moralité. C’est l’époque du développement de l’hygiène publique, TEXTE : ELENA MARTINEZ/IHM associée à la médecine mentale, qui prend dorénavant en charge tout un spectre de comportements considérés comme immoraux et pathologiques. Leurs efforts thérapeutiques et préventifs visent non Commencer cette nouvelle rubrique par le seulement les soins des malades mentaux suicide, une drôle d’idée ? ! Pas tant que ça, à l’hôpital, mais de la population entière. car « la thématique a marqué les débuts de Différentes institutions et valeurs sociales la sociologie et de la psychiatrie », souligne tombent par conséquent sous leur regard : la Dre Eva Yampolsky, historienne à l’Institut la famille, le travail, les pratiques religieuses, des humanités en médecine FBM-CHUV. l’éducation, etc. Autant de facteurs qui, selon En octobre 2019, celle-ci a terminé sa thèse, eux, peuvent influencer la santé mentale EVA YAMPOLSKY Chercheuse à l’Institut sous la direction du Prof. Vincent Barras, et le risque de suicide chez un individu. des humanités en sur la «  F olie du suicide  » dans la France du médecine, elle s’intéXIXe siècle. Durant cette période, le suicide De nos jours, le flou autour du statut du resse aux liens entre médecine et religion n’est déjà plus considéré comme un crime suicide persiste. La vision psychiatrique au XVIIIe siècle. contre soi-même. Il devient, avec l’avèned’une étiologie psychopathologique domine, ment d’aliénistes comme Philippe Pinel mais la problématique actuelle du suicide ou Jean-Étienne Esquirol, un objet médical assisté vient redynamiser le débat. Deux à étudier, à soigner et à prévenir. Est-ce enquêtes, une aux Hôpitaux universitaires une maladie ? Une faute morale ? Un de Genève (HUG) menée par les Profs Samia symptôme ? Ou un acte libre ? La question Hurst et Bara Ricou, et l’autre au CHUV sous du statut du suicide, mais aussi de ses la responsabilité du Prof. Ralf Jox, sont sur causes, occupera les commencements de le point d’être publiées et devraient nous la psychiatrie. éclairer sur ces questions. / La chercheuse montre que, si pour Esquirol, le passage à l’acte relève d’une pathologie mentale, pour d’autres aliénistes, les frontières entre normal et pathologique sont plus floues. Mais tous s’accordent pour affirmer l’importance de ramener ce phénomène aux champs médical et sanitaire. L’expert dorénavant sera le médecin psychiatre ou l’hygiéniste, et non plus le juge ou le prêtre. 43


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CHRONIQUE

ANDRÉ GRIMALDI Professeur émérite de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière à Paris

L’éducation thérapeutique du patient: vers une autre médecine?

BSIP SA / ALAMY STOCK PHOTO

Plus qu’une simple affection, une maladie chronique exige une implication importante du patient dans la durée. Celui-ci doit apprendre à gérer son traitement, savoir mesurer et interpréter des résultats, prendre ses médicaments quotidiennement et si nécessaire à en adapter les doses. Il devra peut-être modifier son alimentation et son activité physique. Pour ce faire, il a besoin de comprendre sa maladie et le mode d’action des différents traitements en connaissant leurs éventuels effets secondaires. Il doit aussi savoir recourir avec pertinence au système de santé, connaître ses droits, gérer sa maladie au travail, en famille et dans la vie sociale.

L’idéal théorique de l’ETP consisterait à transformer le malade en son propre médecin. Pour cela, un défi reste à relever : l’annonce de la maladie n’est pas uniquement la mise en exergue d’un dysfonctionnement qu’il va falloir chercher à compenser. L’annonce du diagnostic est aussi un moment de rupture. Rien ne sera jamais plus comme avant et désormais, vous serez différent des autres. Cette double rupture provoque un choc psychologique. Pour ne pas s’effondrer, pour éviter la dépression ou l’angoisse paralysante, pour défendre son bien-être émotionnel, le patient met en place des mécanismes de défense psychologiques : déni, refus de la maladie, pensée magique, clivage, hyperactivité, addiction, projections…

Dans le cas d’une maladie chronique, ces mécanismes de défense peuvent se chroniciser Face à l’augmentation du nombre de et devenir une seconde maladie. En somme, maladies chroniques – une personne sur le malade est malade et il est malade d’être trois en France est concernée (en Suisse : une personne sur quatre), avec en tête le diabète malade. Il ne sert alors à rien, contrairement – je propose de repenser la prise en charge en à ce qu’imaginent de nombreux soignants, développant l’éducation thérapeutique (ETP). de lui rappeler les risques encourus. Il vaut Celle-ci comprend quatre éléments indisso- mieux lui demander avec empathie pourquoi ciables : une individualisation du traitement, il suit mal son traitement alors qu’il connaît un transfert de compétences des soignants au les risques. Il faut revenir à la pratique de la patient grâce à un apprentissage, une aide à « médecine narrative » permettant au malade la résilience et finalement une pratique de la d’exprimer son vécu – condition première pour décision médicale partagée. qu’il puisse entrer dans un processus de résilience. Des patients ayant connu et surmonté les mêmes difficultés peuvent être très utiles, jouant le rôle de PROFIL « tuteurs de résilience ». Mais ce rôle doit d’abord André Grimaldi est profesêtre celui des soignants. Ainsi s’établit un partenariat seur émérite de diabétologie où chacun peut prendre la place de l’autre, tout en aux Hôpitaux universitaires gardant la sienne dans un rapport, certes asymétrique, Pitié-Salpêtrière à Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages mais qui débouche sur une empathie réciproque, dont L’Hôpital malade de la condition d’une réelle décision médicale partagée. / rentabilité (Éd. Fayard) ou Les Maladies chroniques. Vers la 3e médecine (Éd. Odile Jacob).

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TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

COMMENT LA SUISSE S’EST MOBILISÉE CONTRE LE VIRUS EBOLA

FRANCISCO LEONG/AFP

DANS UNE COURSE EFFRÉNÉE CONTRE LA MONTRE, LES HÔPITAUX DE LAUSANNE ET DE GENÈVE ONT JOUÉ UN RÔLE DÉCISIF DANS LA LUTTE CONTRE L’ÉPIDÉMIE SÉVISSANT EN AFRIQUE OCCIDENTALE. RÉCIT D’UNE AVENTURE EXCEPTIONNELLE AVEC LE MÉDECIN TROPICALISTE BLAISE GENTON.

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L

e virus Ebola a certes disparu des unes des journaux, mais il continue à sévir, notamment en République démocratique du Congo. Deux vaccins sont actuellement utilisés sur le terrain pour endiguer la maladie. La Suisse romande a joué un rôle majeur dans leur développement, malgré un processus entamé dans des conditions particulièrement difficiles. Nous sommes le mardi 3 septembre 2014 : l’épidémie d’Ebola ravage la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie l’épidémie d’« urgence de santé publique de portée mondiale », près de sept mois après l’apparition des premiers cas. Marie-Paule Kieny, alors directrice adjointe de l’OMS, prend le téléphone et appelle Blaise Genton. Médecin tropicaliste, le Vaudois est co-chef du département de formation, recherche et innovation à Unisanté, à Lausanne. La spécialiste de l’OMS le connaît bien, notamment en raison de son engagement contre la malaria en Afrique. Elle lui demande s’il est disposé à mener d’importants tests de vaccins contre le virus Ebola dans un laps de temps très court. Le professeur contacte son collègue François Spertini, expert en immunologie au CHUV, pour CORPORE SANO

sonder s’il est prêt à faire avec lui, en trois mois, une étude qui normalement exigerait trois ans. C’est le début d’une course contre la montre où collaboreront étroitement l’OMS, le CHUV et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). GENÈVE-LAUSANNE, UN AXE GAGNANT Fin 2014, l’Ebola avait déjà causé la mort de plus de 2’000 personnes (voir l’encadré, p. 48). « L’opinion publique était touchée par ce qui se passait en Afrique de l’Ouest », se rappelle Blaise Genton. Avec ses collaborateurs, il a aussitôt averti tous les acteurs impliqués – comme la commission d’éthique et les autorités de régulation Swissmedic – dans le développement vaccinal afin qu’ils soient prêts à répondre aux sollicitations. Tout le monde a joué le jeu. « Tout de suite, nous nous sommes retrouvés avec 500 personnes faisant la file, ici en Suisse romande, se portant volontaires pour les tests, ce qui est tout à fait inhabituel. » Six semaines après le coup de fil de Marie-Paul Kieny, la première injection d’un vaccin avait lieu à Lausanne. « Un tour de force exceptionnel, puisque réunir une équipe de travail, développer les différents protocoles, trouver des volontaires, obtenir les divers feux verts prend généralement deux ans, au minimum », souligne-t-il, ajoutant que la proximité entre Genève et Lausanne a permis de procéder de concert et rapidement. PROSPECTION

Car deux vaccins ont été testés. Le premier est canadien. Il s’appelle VSV-ZEBOV. Testé aux HUG, il a été développé par l’Agence de santé publique du Canada et fabriqué par la société pharmaceutique Merck & Co. Le second est italien. Baptisé ChAd3-EBO-Z, il a été mis au point par une société italienne et racheté par GlaxoSmithKline (GSK), puis testé au CHUV. Les efforts de l’établissement vaudois ont d’ailleurs été soulignés récemment par un article du magazine américain Newsweek, classant le CHUV parmi les 10 meilleurs hôpitaux du monde (voir aussi notre article dans In Vivo 18, p.44). « Les deux vaccins possèdent la même plateforme technologique, explique Blaise Genton, mais ils utilisent un vecteur viral différent. » Celui testé au CHUV provient du chimpanzé, alors qu’à Genève, il est issu du virus de la stomatite vésiculaire du bœuf. Les deux vaccins contiennent la même protéine du virus Ebola générant des anticorps qui protègent le sujet vacciné de la maladie. « Nous avons développé en commun le protocole et nous avons ensuite comparé nos résultats. » La première étape consiste en des études précliniques, menées sur des souris et des lièvres. Ceux-ci doivent survivre et ne pas développer de problèmes majeurs à la suite de l’injection d’une dose 10 à 100 fois plus élevée que celle qui serait administrée à l’humain. « Les


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animaux ne doivent pas souffrir d’effets secondaires sérieux et ne pas développer de problèmes au niveau de leur progéniture. Cela prend généralement un an ou deux. Lorsque l’on a constaté que les animaux s’en sortaient bien et qu’ils présentaient une réponse immune significative, nous sommes passés au premier test chez l’humain, une étude de phase 1. »

MATHILDE MISSIONEIRO/WHO

Dans le cadre de cette étude, le vaccin italien a été testé à Lausanne, auprès d’une centaine de personnes. « L’objectif de cette étape était de s’assurer que le vaccin n’entraînait pas d’effets secondaires sérieux », précise le médecin. Le 3 janvier 2015, les deux équipes étaient en possession de leurs premiers résultats : les deux vaccins étaient sûrs et donnaient une excellente réponse immunitaire. Ils ont donc été déployés à la phase 2/3 dans la population cible en Afrique – le vaccin italien au Liberia et le vaccin canadien en Guinée et en Sierra Leone –, pour contrôler la sécurité du vaccin et évaluer leur immunogénicité, c’est-àdire la capacité de provoquer une réponse immunitaire spécifique. SUCCÈS SUR LE TERRAIN Enfin, concernant le vaccin italien, la phase 3, qui permet de voir si le vaccin prévient la maladie dans l’environnement où le virus est présent, éventuellement sur des milliers, CORPORE SANO

En octobre 2014, le vaccin canadien VSV-ZEBOV arrive aux HUG où il sera testé pendant plusieurs mois.

voire des dizaines de milliers de personnes, a été conduite au Liberia dès le 15 février 2015. « Il s’agit à ce moment de contrôler non seulement la sécurité, mais aussi l’efficacité du vaccin », dit Blaise Genton. Sur le terrain, les études ont été conduites par diverses institutions : les gouvernements locaux, « très engagés », et les ONG Médecins sans frontières et le National Institute of Health (NIH) américain. « Il y a d’abord eu quelques petits soucis avec le vaccin canadien, notamment des douleurs articulaires apparues chez certaines personnes, mais après des correctifs, tout est rentré dans l’ordre », indique-t-il. L’épidémie d’Ebola au Liberia s’est éteinte avant que l’efficacité du vaccin italien testé au CHUV PROSPECTION

ait pu être démontrée. « Ce qui est très bien ; cela veut dire que les autres stratégies de prévention pour lutter contre le virus – comme isoler toute personne fébrile et la tester pour Ebola ou ne pas toucher les personnes décédées sans équipement de protection – ont été efficaces », fait-il valoir. Le vaccin canadien a, quant à lui, été testé lors d’un essai clinique de phase 3 en Guinée et en Sierra Leone. Son administration à plus de 2’000 personnes dans l’optique de prévenir la propagation du virus a permis sa validation. Son efficacité à quasi 100%, s’il est donné suffisamment tôt, a été prouvée, ainsi que son utilité pour protéger le personnel de santé et les contacts des


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UN VIRUS CONTAGIEUX ET SOUVENT MORTEL Essentiellement présente en Afrique centrale et occidentale, la maladie à virus Ebola est une zoonose – une maladie qui se transmet d’un animal vertébré à l’homme – dont les hôtes naturels sont des chauves-souris. Les primates et certaines antilopes peuvent servir d’hôtes intermédiaires. Les humains s’infectent indirectement par l’ingestion de fruits, de singes ou d’antilopes contaminés, ou par contact avec des chauves-souris et leurs excréments. Le virus se transmet aussi de manière directe par les fluides corporels (sang, vomissements et excréments) d’humains ou d’animaux infectés, vivants ou morts. La période d’incubation du virus varie de deux à vingt et un jours. La maladie commence par une fièvre élevée, des maux de gorge et de tête, des douleurs musculaires et abdominales, ainsi que des diarrhées et une faiblesse généralisée. L’infection peut dégénérer en une forme sévère accompagnée de saignements et d’une défaillance des organes vitaux (foie, reins, cœur, poumons). Les personnes atteintes sont contagieuses après l’apparition des symptômes et la maladie entraîne la mort dans environ la moitié des cas.

personnes atteintes d’Ebola. « Désormais, nous vaccinons tous les contacts des victimes confirmées ainsi que les contacts des contacts. En somme, des villages entiers, car il existe une chaîne de transmission tertiaire », explique le médecin. Même si la fin de l’épidémie d’Ebola au Liberia n’a pas rendu possible la démonstration de l’efficience du vaccin italien, « il est raisonnable de penser que celui-ci protège également de la maladie, étant donné les similitudes des réponses immunitaires avec le vaccin canadien VSV », affirme-t-il, tout comme l’a souligné la revue scientifique médicale britannique The Lancet. CORPORE SANO

En République démocratique du Congo (RDC), où Ebola sévit actuellement, le vaccin canadien est utilisé dans le cadre de protocoles de recherche. C’est ce qu’on appelle un « usage compassionnel ». Quant au vaccin italien, il est encore en phase de développement pour obtenir un vaccin qui protège contre plusieurs souches du virus Ebola (en plus de la souche Zaire qui a frappé l’Afrique occidentale). Au moment d’aller sous presse, le cap des 3’000 morts a été franchi dans la dixième épidémie en cours en RDC. Plus de 90% des personnes admissibles ont consenti à la vaccination, affirme Tarik Jasarevic, porte-parole de l’OMS : « Mais PROSPECTION

l’insécurité, la méfiance de la communauté envers les étrangers, l’instabilité politique et les conflits internes, avec notamment les centres de santé pris pour cibles par les rebelles, font en sorte que toutes les personnes qui devraient être vaccinées ne le sont pas. La RDC est confrontée à l’une des urgences humanitaires les plus complexes au monde. » Les vaccins mis au point ont coûté cher, de l’ordre des 500 millions de francs. « Mais lorsque nous développons une plateforme technologique pour un vaccin, les informations obtenues servent pour d’autres recherches », fait valoir Blaise Genton. L’OMS a maintenant décidé de partager les doses du vaccin canadien testé à Genève car il a été observé que la réponse immunitaire est aussi bonne avec la moitié de la quantité injectée. Aux personnes très à risque, une demidose est administrée et à celles moins à risque, un cinquième de la dose. « Nous avons tous été mobilisés presque 24 heures sur 24, 7 jours 7, pendant ces quelques mois entre la fin 2014 et le début 2015, période d’autant plus stressante qu’il y avait les vacances et Noël, se remémore le médecin. L’expérience a montré que lorsqu’il y a une urgence de santé, une mobilisation rapide et efficace est possible. » ⁄


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Ce que révèlent les larmes

MEDICAL RF.COM/SCIENCE PHOTO LIBRARY

Sac lacrymal

Les médecins ont recours aux larmes pour diagnostiquer certaines pathologies des yeux. À terme, elles pourraient même devenir un indicateur pour la maladie de Parkinson, entre autres. TEXTE : ANDRÉE-MARIE DUSSAULT CORPORE SANO

INNOVATION

Canal lacrymonasal

Glande lacrymale


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eut-on utiliser les larmes pour diagnostiquer des maladies ? En effet, il s’agit d’un prélèvement facile, non invasif, moins désagréable qu’une prise de sang. De plus, certaines maladies oculaires n’ont pas de marqueur diagnostique décelable dans le sang. C’est par exemple le cas des orbitopathies dysthyroïdiennes (TAO). Cette maladie auto-immune touche les orbites (les tissus entourant l’œil) et la glande thyroïde. Son incidence est de 16 cas pour 100’000 personnes par an en Occident, avec un pic chez les 40 à 50 ans. Par ailleurs, les TAO sont très souvent associées à l’hyperthyroïdie – un fonctionnement excessif de la glande thyroïde qui touche les femmes cinq fois plus que les hommes.

« Le diagnostic est aisé lorsque les signes cliniques thyroïdiens et ophtalmologiques sont d’emblée présents, indique Mehrad Hamédani, responsable de l’unité de chirurgie palpébrale, orbitaire et lacrymale de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, à Lausanne. La difficulté survient lorsque la maladie orbitaire précède les signes de l’hyperthyroïdie, car à ce jour, il n’existe aucun biomarqueur de la maladie oculaire chez les patients. » Avec des collègues de l’Université de Genève, le Dr Hamédani a donc cherché des marqueurs de cette maladie dans les larmes des patients, et les premiers résultats sont très prometteurs.

CARTOGRAPHIE DES LARMES

Dès 2012, des chercheurs de la Fondation Asile des aveugles et de l’Université de Genève (Unige), dont le Prof. Yan Guex-Crosier, responsable de l’unité d’immuno-infectiologie oculaire et de l’antenne d’ophtalmologie du CHUV, ont commencé à étudier les larmes.

Les trois origines des larmes PROTECTION

ÉMOTION

RÉFLEXE

Les larmes dites Certaines émotions, Agressée par basales sont comme la tristesse, un corps sécrétées en la joie ou le stress, étranger, comme permanence par provoquent un moucheron notre système des larmes. Ces dans l’œil, lacrymal pour larmes ont une les larmes sécrélubrifier la cornée autre composition tées permettent de et la protéger chimique que les rincer et des agressions larmes basales et d’aseptiser la extérieures. les larmes sécrétées cornée. suite à un réflexe. Elles contiennent deux substances essentielles pour notre bien-être : l’ocytocine et les endorphines. Leur libération par les larmes entraîne, entre autres, des sensations de soulagement et de détente.

Cette maladie, qui entraîne une rétraction des paupières et une exophtalmie souvent bilatérale, ce qui donne un aspect saillant des yeux sortis de leur orbite, est essentiellement liée à une prédisposition génétique. Le stress joue souvent un rôle dans le déclenchement des TAO et la consommation de tabac ne fait qu’aggraver les signes. Le traitement fait appel à des médicaments anti-inflammatoires en phase aiguë et à la chirurgie pour les séquelles de la maladie. CORPORE SANO

« Si nous arrivons à trouver un marqueur suffisamment spécifique, nous pourrons diagnostiquer la maladie orbitaire dès les premiers signes, avant même l’hyperthyroïdie, et la traiter au plus vite, afin d’éviter les séquelles souvent invalidantes », explique l’ophtalmologue.

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« Nous avons récolté quelques microlitres de larmes d’une dizaine de patients sains, et, avec le soutien de Natacha Turck, experte en protéomique (sciences des protéines), nous avons analysé dès 2013 leur composition afin d’en établir le profil protéinique », explique Yan Guex-Crosier. Les larmes ne sont pas faites que d’eau et de sel, fait-il valoir. « Grâce à leur cartographie, nous avons répertorié plus de 1’300 protéines, notamment des immunoglobulines et des enzymes qui interviennent dans les processus biologiques. » Le but est donc de trouver des protéines qui permettent de diagnostiquer des maladies. « Certaines protéines sont plus caractéristiques de certaines pathologies inflammatoires. Par ailleurs, si une maladie produit un type de protéine en grande quantité ou à l’inverse de façon insuffisante, cela peut signifier quelque chose. La protéine en question est alors une bonne candidate comme biomarqueur de cette maladie. » Toujours au stade de la recherche fondamentale, l’étude des larmes doit se poursuivre, selon Yan Guex-Crosier. « Ce fluide facile à prélever devrait permettre de diagnostiquer des maladies systémiques graves, offrant ainsi un diagnostic précoce. » LARMES VERSUS SANG

Au-delà des pathologies oculaires, plusieurs maladies CORPORE SANO

Il est possible de déterminer les proportions d’un médicament dans des larmes afin de voir si la quantité absorbée par l’organisme est adéquate.

influencent la sécrétion des larmes, engendrant notamment des yeux secs. « Le syndrome de Sjögren, une pathologie rhumatismale, se manifeste entre autres par la sécheresse oculaire, cite le Prof. Yan Guex-Crosier. La mesure de la sécrétion lacrymale en millimètres par un petit buvard est une aide précieuse pour le diagnostic de cette maladie. » Les recherches se poursuivent et pourraient ouvrir de nouvelles pistes. Une équipe de la Keck School of Medicine de l’Université de Californie du Sud (USC) révélait par exemple l’an dernier des résultats prometteurs quant à la possibilité de diagnostiquer un jour, à l’aide des larmes, la maladie de Parkinson. Comme cette maladie peut affecter le système nerveux à l’extérieur du cerveau, l’équipe de recherche a émis l’hypothèse que tout changement INNOVATION

dans la fonction nerveuse peut être observé au niveau des protéines présentes dans les larmes. Les chercheurs ont en effet constaté un taux inférieur de la protéine alpha-synucléine dans les larmes des personnes atteintes de Parkinson par rapport aux témoins. Si le prélèvement lacrymal est moins invasif qu’une prise de sang, il est également possible de doser la concentration d’un médicament dans des larmes afin de voir si la quantité absorbée par l’organisme est adéquate, car l’on observe une corrélation entre la présence des médicaments dans le sang et les larmes. « Il n’est pas toujours possible de prélever un tissu dans un organe pour poser le diagnostic. En revanche, la collecte des larmes reste très accessible », conclut Yan Guex-Crosier. /


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SPORT ET MENSTRUATIONS : EN COMPÉTITION ? TEXTE  : CAROLE EXTERMANN

Les règles des sportives de haut niveau ne trouvent pas leur place dans l’exercice de leur activité. Or, une mauvaise gestion du cycle menstruel peut avoir de graves séquelles sur la santé.

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et été, lors de la Coupe du monde de football féminin, l’équipe américaine a épaté le public avec son jeu direct et offensif. Sacrées championnes, les joueuses ont également fait parler d’elles pour leur gestion des cycles de menstruation. En effet, elles ont utilisé l’application FitrWoman, qui permet d’ajuster l’alimentation et l’entraînement en fonction de la phase du cycle

menstruel dans laquelle se trouve l’athlète. Développée par Georgie Bruinvels, chercheuse du University College de Londres, l’application se base sur la corrélation entre les carences en fer et les menstruations chez les sportives de haut niveau. Forte de ce succès, la chercheuse souhaite ainsi mettre en avant le cycle menstruel, qui est encore tabou dans le sport de haut niveau. En effet, en août 2016, la nageuse chinoise Fu Yuanhui avait fait scandale en évoquant publiquement la fatigue liée à ses règles lors de la finale des Jeux olympiques de Rio. « Le milieu sportif, et celui du football encore davantage, est un monde masculin », explique Audrey Riat, footballeuse au Yverdon Sport FC. La joueuse a donc appris à ne pas parler de ce sujet dans le cadre de son activité sportive. Et la question est rarement abordée par ceux qui accompagnent les footballeuses. « Notre entraîneur encadre une équipe féminine pour la première fois. Les règles sont un facteur qu’il n’a pas l’habitude de prendre en compte. Même s’il voulait aborder la question, j’imagine qu’il n’aurait pas les outils. » ÉVITER LES RÈGLES, UNE MAUVAISE IDÉE Alors chacune s’arrange. Par exemple, les sportives peuvent éventuellement prétexter une indigestion si les douleurs empêchent l’exercice.

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Cette difficulté de parler des règles encourage les sportives à les négliger. Or, la stabilité du cycle menstruel est capitale et l’irrégularité, voire l’absence de menstruations, n’est jamais anodine. En effet, la pratique de sports à haut niveau pousse certaines athlètes à réduire leur alimentation, que ce soit pour des raisons esthétiques, comme dans le cas de la danse, ou performatives – par exemple en cyclisme. Cela peut provoquer un déséquilibre des menstruations. Ce dysfonctionnement peut aussi être lié à un stress important, à cause de la pression qu’engendrent l’activité sportive et la compétition. Martine Jacot-Guillarmod, médecin associée en gynécologie de l’enfant et de l’adolescent au CHUV, mesure l’impact de cette pression : « Il est particulièrement difficile d’accompagner les sportives souffrant d’aménorrhée – une absence de menstruations – car ne pas avoir ses règles est souvent arrangeant pour les athlètes. » Or, ce manque n’est pas anodin et peut engendrer des complications plus importantes. « L’absence de règles est souvent liée à un apport nutritionnel inapproprié en regard de la dépense énergétique qu’implique l’activité sportive. À long terme, ce trouble a un impact sur la densité osseuse pouvant aller jusqu’à l’ostéoporose », explique la spécialiste. La gynécologue salue l’innovation proposée par l’application FitrWoman, tout en recommandant de l’utiliser avec précaution : « L’équilibre alimentaire et l’effort qui peut être fourni dépendent de nombreux facteurs et sont spécifiques à chaque femme. Ils ne sont pas uniquement en lien avec le CORPORE SANO

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cycle menstruel. » La technologie aide les sportives à prendre conscience du fonctionnement de leur corps en réaction au cycle. Par exemple, la deuxième étape de celui-ci, entre la phase folliculaire et l’ovulation, est une période durant laquelle la sportive a tendance à montrer une meilleure résistance aux exercices qui demandent de la force. La plateforme recommande également des recettes ou des types d’aliments à privilégier pour assurer les apports graisseux nécessaires au bon fonctionnement du cycle menstruel. « En revanche, cette innovation permet de mettre le sujet en discussion et cela est juste excellent », ajoute-t-elle. UNE PRISE DE CONSCIENCE TIMIDE Une perspective que partage aussi le Comité international olympique (CIO), qui est convaincu que le sport peut contribuer à la promotion de l’égalité des sexes, notamment à travers l’inclusion de la question des menstruations. En effet, en 2014 le comité a intégré la problématique des règles en lien avec la dépense énergétique et son influence sur la densité osseuse dans sa charte intitulée « IOC Consensus Statement ». Cependant, aucune mesure concrète n’a été annoncée pour l’instant. /


TEXTE : AUDREY MAGAT ILLUSTRATION : MUTI ‒ FOLIO ART POUR IN VIVO

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LE « CHECK-UP » ANNUEL EN DÉBAT

Certains bilans de santé restent essentiels pour dépister des maladies de manière précoce, mais ceux effectués de manière systématique sont aujourd’hui remis en question. Inutiles voire néfastes, ils augmentent les risques de surdiagnostic.

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out homme bien portant est un malade qui s’ignore », écrivait l’écrivain français Jules Romains en 1923, dans sa pièce de théâtre Knock ou le triomphe de la médecine. Cette idée est aujourd’hui au cœur des bilans de santé annuels. Test d’effort, mesure de la capacité pulmonaire, dépistage du cancer de la thyroïde ou encore scanner du corps entier : ces contrôles systématiques visent à détecter un problème de santé le plus précocement possible chez des personnes asymptomatiques. Néanmoins, bien que certains dépistages soient utiles, plusieurs études scientifiques, dont une publiée cette année dans le Journal of the American Medical Association, ont démontré que ces « check-up » effectués sur des individus en bonne santé n’améliorent ni leur qualité ni leur durée de vie. Pire encore, un test de dépistage peut avoir des répercussions importantes. En cherchant des maladies à l’aveugle, les patients risquent le surdiagnostic. « Ce phénomène est la conséquence d’une médecine hautement technologique capable de détecter d’infimes anomalies, explique Arnaud Chiolero, professeur de santé publique au laboratoire de santé des populations de l’Université de Fribourg. Le surdiagnostic n’est ni une erreur ni un faux positif, mais l’identification d’une véritable anomalie chez des personnes sans symptômes (incidentalome). » Il est alors question de déterminer si cette anomalie va évoluer par exemple en cancer agressif ou croître lentement et ne jamais altérer la vie du patient.

LES DÉPISTAGES OBLIGATOIRES DE L’ADULTE Cancer colorectal : recherche de sang occulte une fois tous les deux ans ou coloscopie une fois tous les 10 ans, entre 50 et 75 ans. Cancer du sein : mammographie tous les deux ans pour les femmes de 50 à 75 ans ou avant si prédispositions familiales. Cancer du col de l’utérus : frottis vaginal une fois tous les trois ans pour les femmes de 21 à 65-70 ans.

Dans la pratique clinique, « l’usage excessif des tests de dépistage complique et peut avoir un impact préjudiciable sur la prise en charge du patient, analyse Marie Méan, médecin associée au sein du Service de médecine interne du CHUV. En effet, CORPORE SANO

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la multiplication des examens augmente les coûts de la santé – tout comme le risque de résultats faussement positifs et/ou d’incidentalomes –, peut créer un stress psychologique consécutif et vampirise les patients en leur prenant du sang à répétition. » Pour Arnaud Chiolero, c’est un problème majeur, « car le surdiagnostic aboutit à un surtraitement qui n’apporte aucun bénéfice au patient, mais qui peut être source d’effets secondaires et de complications ». OPÉRATIONS INUTILES En 2016, une étude du Centre international de recherche sur le cancer révélait que 70% des cas de cancer de la thyroïde dans les pays développés seraient surdiagnostiqués. Des centaines de milliers de thyroïdes auraient alors été enlevées pour rien, contraignant des patients à des traitements médicamenteux à vie. De nombreuses anomalies sont en effet découvertes de manière fortuite par imagerie médicale. Le vif débat public concernant l’efficacité de la mammographie et son risque de surdiagnostic illustre cette problématique. Le dépistage du cancer du sein est efficace, puisqu’il permet la réduction du risque de mortalité de 20%, selon la Revue médicale suisse. Par contre, la mammographie expose les femmes à des surtraitements. Ainsi, selon une étude anglaise publiée dans la revue scientifique The Lancet en 2012, pour 180 dépistages du cancer du sein, un décès sera évité, mais 19% de ces femmes seront surdiagnostiquées. Les patientes doivent donc évaluer le rapport bénéfice/risque avec leur médecin en fonction de leur historique personnel. Autre exemple : pour une étude, des chercheurs de l’Université de Californie à San Diego ont fait passer un CT-scan du corps entier à 1’192 personnes sans problème de santé particulier. Ils ont


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découvert que 86% des scans présentaient des irrégularités, avec une moyenne de plus de deux par personne. « Beaucoup d’individus peuvent avoir des anomalies dans le corps. Le problème est qu’une fois identifiées, il n’est plus possible d’ignorer leur présence, souligne le professeur Jacques Cornuz, médecin-chef et directeur général d’Unisanté, à Lausanne. Le besoin des patients d’être rassurés, combiné au souci des médecins de ne pas manquer une maladie représentent deux sources de surdiagnostic. » Avec le cancer de la thyroïde et l’embolie pulmonaire, le cas du dépistage du cancer de la prostate comporte aussi un risque de surdiagnostic. En effet, 30 à 70% des hommes âgés de plus de 60 ans auraient une tumeur de la prostate, dont la plupart qui resteraient longtemps bénignes. Selon une étude du centre américain de contrôle des maladies publiée en 2016, sur 1’000 hommes qui seront dépistés pendant dix ans, un seul sera sauvé d’un décès du cancer de la prostate grâce au dépistage. Par contre, au moins 30 hommes seront traités pour rien et risquent l’incontinence, l’impuissance ou des problèmes cardiovasculaires à cause du traitement. « Le personnel médical doit désormais engager un dialogue avec le patient pour lui expliquer les avantages et les risques des dépistages, conseille Arnaud Chiolero, professeur de santé publique à Fribourg. Une fois l’anomalie découverte, lorsqu’il y a de grands risques de surdiagnostic et donc de surtraitement, une possibilité est de suivre de près son évolution – on parle alors de surveillance active – afin de ne pas se précipiter sur une opération. »

POUR UNE MÉDECINE INTELLIGENTE

Inspiré de la campagne Choosing Wisely lancée en 2011 aux États-Unis, le mouvement Smarter Medicine Suisse lutte contre les examens inutiles en milieu clinique. Des médecins ont ainsi établi des listes de tests à l’utilité contestée ou carrément inutiles. En Suisse, ce sont des listes de cinq tests par spécialité qui ont été déconseillés. Pour Marie Méan, médecin associée au service de médecine interne du CHUV : « Tout examen doit être réalisé uniquement si son résultat a une influence prouvée sur la prise en charge du patient. » Voir aussi notre dossier « La chasse aux actes médicaux inutiles » dans In Vivo 16.

DÉPISTAGES EFFICACES Tous les dépistages ne sont pourtant pas inutiles. Certains examens restent plébiscités, comme le dépistage du cancer CORPORE SANO

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colorectal chez les femmes et les hommes, effectué par une recherche de sang occulte, c’est-à-dire du sang invisible à l’œil nu, dans les selles (une fois tous les deux ans) ou une coloscopie tous les dix ans, entre 50 et 75 ans. Le cancer du sein pour les femmes est également surveillé tous les deux ans entre 50 et 74 ans, ou avant s’il existe des prédispositions familiales (voir l’encadré). Ces bilans sont remboursés par l’assurance de base entre 50 et 70 ans. Si un bilan lipidique est recommandé dès 40 ans, les dépistages du diabète et de l’ostéoporose le sont surtout pour les personnes ayant des facteurs de risques, soit par hérédité, soit dus à leur style de vie, comme dans le cas d’un excès de poids. « Les demandes de check-up s’avèrent souvent motivées par ’ l’agenda caché ’ du patient, constate le Prof. Jacques Cornuz. Cela peut être un collègue qui a eu le cancer de la prostate, ou un voisin dépisté pour une hépatite. Les patients viennent avec des craintes qu’ils ne disent pas au premier abord, mais auxquelles il faut répondre. » Le programme national de prévention clinique EviPrev, qui réunit cinq centres académiques de médecine interne générale (Lausanne, Berne, Genève, Bâle et Zurich), a publié les recommandations suisses en matière de bilan de santé. Celles-ci priorisent les interventions de prévention et de dépistage non seulement en fonction des facteurs de risque et de l’âge des patients, mais également selon leur niveau d’efficacité. « Les bilans de santé représentent aussi un prétexte particulièrement utile pour discuter du comportement des patients, de leur consommation d’alcool, de tabac, des dangers d’une sexualité à risque, souligne Jacques Cornuz. C’est un moyen efficace et prouvé de prévenir de nombreuses maladies en amont. » /


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QUAND INSTAGRAM SERT DE PSY DÉPRESSIONS Le réseau social est devenu un lieu privilégié des jeunes pour parler de leurs troubles anxio-dépressifs. TEXTE : ROBERT GLOY

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En Suisse, le risque d’être atteint d’un état dépressif au moins une fois dans sa vie est de presque 17%. Même si beaucoup de personnes ont du mal à parler de leur dépression – ou simplement de leurs angoisses et de leurs phobies –, le sujet est de plus en plus traité par des jeunes adultes sur le réseau social Instagram. Dans la plupart des cas, ils sont illustrateurs, photographes ou graphistes et leurs comptes rassemblent des milliers de followers. Par le biais de dessins ironiques ou de motifs décalés, ils réussissent à digérer leurs souffrances de manière ludique et à aider ainsi d’autres personnes qui connaissent les mêmes problèmes. Pourquoi ce phénomène se produit-il sur Instagram plutôt que sur un autre réseau social ? « Grâce au focus sur les images de cette plateforme digitale, ces artistes créent un univers décalé où la souffrance mentale est transformée ou même caricaturée, estime le Prof. Yasser Khazaal, médecin-chef au Service de médecine des addictions du CHUV. Elles permettent de se détacher de la maladie ou de la souffrance et de libérer ainsi la parole. » In Vivo a sélectionné trois de ces comptes visibles sur Instagram.

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MONTRER LA VULNÉRABILITÉ AU QUOTIDIEN

La photographe américaine Alison Crouse se prend en photo, allongée dans l’espace public, souvent dans des scènes comiques, voire absurdes. Intitulé Devastation Portraits, le projet montre des moments de désespoir au quotidien. « La société ne sait pas comment réagir à la vulnérabilité qu’un individu peut ressentir. Avec mes photos, je veux montrer que de tels états d’âme peuvent survenir n’importe où et toucher n’importe qui », explique la photographe. Débutée en 2018 à la suite d’une période difficile sur le plan mental, la série contient environ 200 clichés. CORPORE SANO

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LIBÉRER LA PAROLE

L’artiste américaine Maureen Marzi Wilson traite de ses anxiétés quotidiennes en créant des petites bandes dessinées, appelées Introvert Doodles. Selon elle, en parler sur Instagram déstigmatise ce genre de trouble mental : « Grâce à cette communauté sur le réseau social, beaucoup de personnes se sentent moins gênées de demander de l’aide professionnelle si elles souffrent mentalement. » Ce projet lui a également permis de publier trois livres. CORPORE SANO

1 Certaines personnes pensent que si tu souffres d’anxiété, c’est parce que tu es faible et lâche.

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Or, tous les jours, tu te réveilles,

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Tu regardes la peur dans les yeux et tu la fixes.

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Et cela est la véritable définition du courage.


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LA FORCE DU RIDICULE

L’illustrateur français Théo Grosjean a créé l’histoire de L’Homme le plus flippé du monde : « L’idée est née du besoin de prendre du recul par rapport à mes angoisses, mais également après avoir constaté que même si l’anxiété avait quelque chose de tragique, elle était aussi vecteur de situations particulièrement drôles et ridicules. »

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L STEFAN KLEINE WOLTER

es loups ont fait leur grand retour en Europe centrale, notamment dans les régions alpines, durant la décennie 1990. Pour mieux comprendre le comportement de cet animal et anticiper les problèmes potentiels qu’il représente, Luca Fumagalli le traque depuis vingt ans et étudie ses excréments et autres échantillons biologiques récoltés sur le terrain. En séquençant l’ADN contenu dans les déjections, le spécialiste en génétique peut, par exemple, affirmer que cinq ou six meutes évoluent à l’heure actuelle dans les Alpes suisses, soit une cinquantaine d’individus. Ces résultats, l’enseignantchercheur au Département d’écologie et évolution de l’UNIL et à l’Unité de génétique forensique du Centre universitaire romand de médecine légale les partage notamment avec la Confédération en vue de la conservation de l’espèce. Il est ainsi sollicité lorsque des loups sont CORPORE SANO

NOM CANIS LUPUS TAILLE HAUTEUR AU GARROT : ENV. 1 MÈTRE LONGUEUR : ENV. 1,50 MÈTRE CARACTÉRISTIQUE VIT EN MEUTE COMPORTANT UNE DIZAINE D’INDIVIDUS

Science avec les loups Mieux cerner les actions du canidé passe par une bonne compréhension de ses habitudes… et de ses excréments ! TEXTE : ANTOINE BAL

FAUNE & FLORE

suspectés d’avoir croqué du bétail. En prélevant des échantillons de salive, de poils, d’urine ou de déjections sur un cadavre, Luca Fumagalli peut génétiquement cibler l’auteur du méfait – et ainsi contribuer à déterminer si un éleveur peut obtenir une compensation financière. Car, dans la plupart des cas, le canidé n’y est pour rien : chaque année, 2% des moutons périssent dans les Alpes suisses, mais seulement 7% de ces pertes sont attribuées à de grands prédateurs, dont le loup. Les moutons meurent essentiellement à cause de chutes de pierre, de maladies ou de la foudre. C’est ainsi que le loup est surveillé de près, avant tout pour sa protection. Car « s’il reste le catalyseur de nombreuses controverses économico-politiques dans un climat tendu sur les questions environnementales », précise Luca Fumagalli, ce grand prédateur féru de gibier et autres herbivores est le puissant régulateur d’un écosystème alpin lui-même en danger. /


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HYDROXYURÉE CH 4N 2O 2

CH 4N 2O 2 UNE MOLÉCULE, UNE HISTOIRE TEXTE : CHARLOTTE MERMIER

En 1869, deux chimistes synthétisent la molécule d’hydroxyurée, lors d’un exercice de chimie organique (une discipline alors naissante). Pendant ses cinquante premières années d’existence, son potentiel reste inconnu. Ce n’est qu’en 1928 qu’on lui découvre des propriétés biologiques : « Des scientifiques montrent que l’hydroxyurée est toxique, car elle provoque une diminution du nombre de globules rouges et blancs dans le sang. Dès les années 1960, elle est donc utilisée comme médicament pour des patients souffrant d’un excès de cellules sanguines, et devient ainsi une des premières chimiothérapies contre les leucémies », explique Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. Mais le destin de la molécule ne s’arrête pas là.

L’hydroxyurée, un potentiel insoupçonné Dans les années 1950, les médecins comprennent le mode de transmission et le mécanisme biochimique de la redoutable anémie falciforme. Cette maladie génétique, très répandue en Afrique, se manifeste dès l’enfance par des douleurs et des gonflements des mains. Elle affecte l’hémoglobine, moyen de transport de l’oxygène dans notre organisme, qui devient susceptible chez les personnes atteintes de former des filaments, donnant aux globules rouges une forme anormale de faucille et provoquant des occlusions sanguines. « Cela peut entraîner de graves complications : anémie chronique, crises douloureuses ou encore

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infarctus. L’espérance de vie des patients s’en trouve diminuée », précise Thierry Buclin. Elle reste cependant intraitable durant plusieurs décennies. Mais elle finira par croiser la route de l’hydroxyurée. Il faut en effet attendre les années 1980 pour que des médecins observent que l’hydroxyurée freine certes la fabrication d’hémoglobine, mais qu’en réaction l’organisme se remet à fabriquer une hémoglobine fœtale, qu’il ne produit normalement plus après la naissance. Or cette hémoglobine fœtale interfère avec l’hémoglobine anormale des malades et empêche la déformation des globules. C’est ainsi

que l’hydroxyurée est utilisée dès les années 1990, avec une efficacité remarquable, pour prévenir les occlusions sanguines des patients souffrant d’anémie falciforme. « Ce qui est extraordinaire dans cette histoire, c’est le temps – plus de cent ans – qu’il a fallu pour que cette molécule simplissime, plus facile à synthétiser qu’une poudre à lessive, se positionne comme salvatrice dans le cas de l’anémie falciforme, souligne Thierry Buclin. Cela montre bien le temps parfois impressionnant entre la découverte d’un mécanisme biologique et son utilisation effective au profit des malades. » Comme quoi, même pour une maladie dont on a élucidé la cause, pas facile de croiser la route de la molécule qui changera le destin des patients. /


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NICOLAS JAYET

Infirmier, adjoint à la Direction des soins du CHUV

L’Année des sages-femmes et du personnel infirmier

CHRISTOPHE SENEHI

L’Assemblée mondiale de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a officiellement désigné 2020 « Année internationale des sages-femmes et du personnel infirmier ». L’organisation souhaite ainsi « attirer l’attention sur leur participation et leur contribution cruciales à l’instauration de la couverture sanitaire universelle », à l’occasion du 200e anniversaire de la naissance de l’une des fondatrices des soins infirmiers modernes, Florence Nightingale. Mais qu’est-ce que la couverture santé universelle ?

La santé est l’un des droits fondamentaux de tout être humain, la couverture de santé universelle concrétise ce principe.

Naturellement, les réalités professionnelles des soignants sont bien différentes selon où l’on se situe autour du globe. Dans certains pays, Ebola et le HIV sont en tête des préoccupations sanitaires. Dans certains conflits, des personnels de santé sont pris pour cibles, kidnappés et assassinés, et les hôpitaux attaqués. Toutes les infirmières et sages-femmes du monde ne risquent pas leur vie pour sauver celle des autres, néanmoins quelque chose les unit. Et ce quelque chose est en relation directe avec les quatre piliers de la couverture de santé universelle. Il s’agit de leur capacité à se décentrer pour porter L’OMS la définit comme un but : celui de attention à l’autre, homme, femme, mère ou permettre à tous les individus d’accéder aux enfant, avec une conscience aiguisée de la services de santé dont ils ont besoin sans souffrance et des inégalités. De leur volonté que cela n’entraîne pour eux de difficultés de dispenser des soins avec professionnalisme, financières. Elle nomme aussi les quatre en cherchant à toujours faire mieux. De leur conditions à réunir pour y parvenir : contribution décisive à la sécurité des patients. un système de santé bien géré qui réponde Il s’agit enfin de leur engagement, chaque jour aux besoins de santé prioritaires au moyen de et partout dans le monde. soins intégrés centrés sur les personnes, un financement des services de santé qui Mais il manque aujourd’hui 9 millions d’infirmières rende l’accès aux soins supportable pour les et de sages-femmes dans le monde. L’année usagers, un accès aux médicaments 2020 est donc là pour nous rappeler certains et technologies, et, enfin, des effectifs enjeux, comme le fait Tedros Adhanom Ghebreyesus, suffisants de personnels de santé formés qui directeur général de l’OMS : « Même avec les répondent aux besoins des patients en meilleurs médicaments, les meilleurs moyens se fondant sur les meilleures données de diagnostic, les meilleurs hôpitaux et la meilleure factuelles disponibles. assurance maladie, s’il n’y a pas d’agents de santé qui dispensent des soins sûrs, efficaces et centrés sur la personne, il n’y a pas de système de santé. » /

CORPORE SANO

CHRONIQUE


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INTERVIEW

« La médecine doit être accompagnée d’une réflexion plus forte »

Propos recueillis par : Rachel Perret et Gary Drechou

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SPÉCIAL PIERRE-FRANÇOIS LEYVRAZ

Premier médecin à avoir dirigé le CHUV et ses quelque 12’000 collaborateurs, le Prof. Pierre-François Leyvraz quittera ses fonctions le 31 décembre. En poste depuis 2008, il a orchestré une décennie d’innovations dans tous les domaines et consacré sa vie à l’hôpital et au service public. Interview.

Jusqu’à l’été 2018, vous avez continué à exercer votre métier de chirurgien en parallèle avec vos responsabilités à la tête du CHUV. Pourquoi ce choix ? pierre-françois leyvraz C’était une respiration. Je continuais à être un acteur de l’hôpital et je ne devenais pas quelqu’un qui manie seulement du papier. En plus, cela me permettait de garder une certaine crédibilité vis-à-vis des collègues. Même si j’ai pratiqué des milliers d’opérations, lorsque j’ai dû arrêter, c’est moins le geste technique qui m’a manqué que la consultation et le contact avec les patients. in vivo

Auriez-vous pu faire un autre métier ? La médecine n’a pas été une vocation, mais un choix par exclusion. J’aurais pu devenir mécanicien, même si en fait j’aurais adoré être organiste. Comme je n’avais aucun talent musical, c’était cuit !

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Mon métier a été une passion et a occupé une place centrale dans ma vie. En dehors de cela, je suis un passionné de lecture (voir encadré, p. 69), et de cinéma. On ne naît pas « directeur ». Quand et comment avez-vous eu le sentiment de l’être devenu ? pfl Lorsque j’ai succédé à Jean-Jacques Livio à la tête du Service d’orthopédie et de traumatologie, je me suis demandé si je serais à la hauteur. C’était un patron de haut niveau et je le respectais beaucoup. Quand on succède à quelqu’un de ce gabarit, c’est dur ! Cela m’a pris une année pour entrer dans mes bottes. Plus tard, j’ai eu la même angoisse lorsque le Conseil d’État m’a proposé la direction générale du CHUV. D’ailleurs avec Pierre-Yves Maillard (ndlr : chef du Département de la santé et de l’action sociale de décembre 2004 iv


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INTERVIEW

PHILIPPE GÉTAZ

« Le CHUV peut aujourd’hui régater au niveau européen. »

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INTERVIEW

à mai 2019), nous avions convenu que nous ferions un bilan après un an. J’aurais lâché le poste de directeur si, au final, je n’avais pas rempli ses attentes. Je n’ai jamais été attaché au pouvoir. La possibilité de construire des choses, en revanche, m’attirait.

En onze ans, qu’est-ce qui a le plus changé selon vous ? pfl Le rôle du CHUV, que l’on a orienté vers une médecine tertiaire. J’ai l’impression que c’est sa mission. C’est en tout cas ce que j’ai voulu pousser. Le CHUV n’est plus l’hôpital régional de Lausanne, mais une institution de soins tertiaires qui peut régater au niveau européen. Cela a des conséquences. Le choix des personnes clés prend une importance plus grande. Le CHUV aujourd’hui est plus professionnel. iv

Quelles sont les réalisations qui vous ont le plus marqué ? pfl La première a certainement été le bilan des besoins en termes de modernisation et d’augmentation des surfaces. Avec le soutien de Pierre-Yves Maillard et du iv Y a-t-il un projet Parlement, j’ai pu que vous avez « Le principe de établir un plan de l’impression de concurrence en médecine laisser inabouti ? développement et obtenir les fonds pour est un concept qui n’est pfl Mon impression le mettre en œuvre. est que l’hôpital s’est pas juste. » Plusieurs choses me très bien développé tenaient à cœur, mais d’un point de vue la principale était de technique et qu’il est mettre en chantier l’Hôpital des enfants très performant. Mais l’évolution de (voir l’infographie, p. 70). La deuxième est la médecine actuelle est si rapide qu’elle sans doute l’élaboration du plan stratééloigne les professionnels du patient. gique 2009-2013 : j’ai eu la chance de Je constate que l’hypertechnicité a tendance pouvoir le faire selon mon idée, de à déshumaniser l’hôpital. Ce sujet me marquer la direction de base. Ce premier préoccupe et nous devons y travailler. plan était très « top-down », ensuite La médecine doit être accompagnée d’une il est devenu plus participatif. Enfin, j’ai réflexion humaniste, sociologique, eu la grande chance de pouvoir choisir politique, sociétale et spirituelle plus des collaborateurs-trices, des chef-fe-s de forte, sinon nous risquons de voir service et une partie des membres du l’hôpital devenir une usine, où le patient conseil de direction. Travailler avec des se résume à un organe ou à son corps. gens avec lesquels on s’entend bien Nous avons mis en place un certain n’a pas de prix. nombre d’outils, comme l’Institut des iv

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Profil 1949

Naissance à Lausanne, d’un père pasteur et d’une mère journaliste

INTERVIEW

humanités en médecine, et le virage a été amorcé. Il faudra cependant y veiller.

La nouvelle charte institutionnelle du CHUV, intitulée « La relation à l’autre, une priorité pour tous », décrit huit comporteObtient son diplôme ments attendus de de médecine l’ensemble des collaborateurs. Était-il nécessaire de Début d’un partenariat les rappeler ? avec l’EPFL avec pfl C’est un état d’esprit, une culture la création d’une unité d’entreprise que nous de recherche en souhaitons instituer. biomécanique Elle a toujours existé, mais il y a 30 ans elle était peut-être plus naturelle, car la techniNommé directeur cité n’avait pas pris une médical de l’Hôpital telle ampleur. La orthopédique charte institutionnelle est le fruit d’un travail collectif et le chemin que nous avons suivi Nommé directeur pour l’obtenir m’a général du CHUV passionné. Elle nous a donné l’occasion d’avoir des discussions ouvertes et constructives durant lesquelles les gens ont été écoutés. Ce qui m’importe maintenant, c’est qu’elle se traduise de

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manière pratique. La personnalité des gens que nous engageons est au moins aussi importante que leur capacité technique. Et la première vertu d’un soignant, que l’on soit médecin ou infirmier-ère, est de s’intéresser à la personne, pas seulement à son organe. Vous savez qu’étymologiquement le mot « profession » signifie « prêter serment ». Pour moi, la charte, c’est cela : un engagement fort, comme un serment. Que pensez-vous du débat politique sur la gouvernance du CHUV, qui pourrait le faire évoluer vers un établissement autonome de droit public, avec à sa tête un conseil d’administration ? pfl Ce que je peux dire, c’est que le système que j’ai connu durant dix ans m’a parfaitement convenu et nous a permis de réaliser de nombreux projets. Le Conseil d’État a été mon conseil d’administration : une expérience que j’ai vécue comme idéale. iv

Alors que l’offre du secteur privé se développe, est-ce que l’avenir est à la concurrence dans le domaine de la santé ? pfl Le principe de concurrence en médecine est un concept qui n’est pas juste. « L’acheteur » ou le « client » est captif de son médecin, de son angoisse, de sa maladie. Son aptitude à choisir en toute connaissance de cause est très diminuée. Or vous ne pouvez pas avoir un iv


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INTERVIEW

système de concurrence si l’acheteur n’est pas libre. Chaque institution a une mission claire. Celle du CHUV est d’être l’hôpital de référence et de dernier recours. Il doit avoir les capacités d’aider les autres, pas d’entrer en concurrence avec eux. Lorsque nous nous sommes interrogés sur l’avenir du 19e étage du Bâtiment hospitalier principal, nous aurions pu nous dire : il faut faire de l’argent, donc créons un étage privé. Mais à la place, nous avons choisi de créer un nouveau secteur avec des chambres qui fonctionnent comme des unités d’isolement autonomes, destinées aux patients dont le système immunitaire est particulièrement fragilisé. Nous avons ainsi mis à la disposition de la collectivité ces chambres qui ne vont pas nous rapporter d’argent – ça, c’est l’affaire des cliniques privées – mais qui ont une réelle utilité. C’est ça, la grandeur du service public. Le magazine Newsweek a classé le CHUV au 9e rang des meilleurs hôpitaux dans le monde en 2019. Comment avez-vous réagi ? pfl D’abord, quand j’ai vu cela, je suis tombé de ma chaise ! Newsweek, ce n’est pas rien. Je ne m’attendais pas à ce résultat en si peu de temps, même si les sondages doivent être lus avec du recul : dans un autre classement, nous ne serions peut-être pas au même niveau. Cela fait du bien au moral des troupes : figurer dans le top 10 aux côtés de la Charité ou de la Mayo Clinic, c’est une iv

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reconnaissance de l’engagement de nos collaborateurs. Pour la cohésion, c’est un cadeau du ciel. In Vivo se trouvait également cité dans ce classement. Quelles étaient vos motivations au moment de sa création, en 2013, autour de la ligne éditoriale « Penser la santé » ? pfl Ce nouveau magazine, qui succédait au CHUV Magazine, se devait de dépasser les strictes limites de l’institution. De journal d’entreprise, il devenait une publication en phase avec la médecine que nous pratiquons : ouverte et internationale. Il s’agissait de valoriser les collaborateurs, les projets et les recherches menés au sein de l’hôpital pour le rendre attractif. Cela a plutôt bien réussi, puisque nous avons pu faire quelques recrutements tonitruants. Au-delà, nous avions le souhait de créer un organe qui permette à la population de prendre connaissance de ce qui est fait, de se « plonger au cœur du vivant » avec des sources d’information précises. Nous existons dans un biotope où nous avons notre place, avec autour de nous des institutions prestigieuses telles que l’UNIL, l’EPFL et les HUG. L’objectif était donc également d’insister sur le « U » du CHUV, de le situer dans l’environnement lémanique, suisse et international. L’hôpital n’est pas qu’un endroit où l’on envoie les malades lorsqu’ils ne vont pas bien. C’est un lieu de développement académique et d’enseignement. iv


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INTERVIEW

En lectures Quelques livres qui ont marqué le Prof. Pierre-François Leyvraz.

Quel est votre sentiment, à l’heure de remettre les clés du CHUV à votre successeur, le Prof. Philippe Eckert ? pfl Vous savez, j’ai été directeur général et directeur médical pendant onze ans, j’ai travaillé près de quarante ans au CHUV et je viens d’avoir 70 ans. Le 31 décembre à minuit, je partirai en me disant que j’ai fait mon boulot. Je ne ressens pas de regrets particuliers. La seule chose qui me manquera fondamentalement, ce n’est pas le poste, mais les gens avec lesquels je travaille. iv

Avez-vous eu le temps de penser à la suite ? pfl Non, je l’avoue ! Mais je vais prendre le temps de respirer. La seule chose que j’ai acceptée, c’est une place dans le comité de l’association Intervalle, qui propose un hébergement aux parents dont l’enfant est hospitalisé. Cette structure était dirigée par Henri Corbaz, décédé il y a peu, qui m’avait demandé de lui succéder. Je le fais par fidélité à sa mémoire. / iv

LE CADAVRE DE LA MÉDECINE BOUGE ENCORE Bertrand Kiefer, Georg Éditeur, 2010 368 pages

Les chroniques rassemblées dans cet ouvrage portent sur les relations que la médecine entretient avec la société. Elles interrogent son rôle de contre-culture, évoquent ses crises, suivent ses stratégies dans la quête de nouveaux équilibres. Surtout, elles rappellent que la médecine est une démarche subversive. EMPATHIE ET MANIPULATIONS – LES PIÈGES DE LA COMPASSION Serge Tisseron, Albin Michel, 2017 176 pages

L’empathie au cœur du jeu social nous invite à réfléchir à nos bonnes intentions et aux pièges dans lesquels elles peuvent nous faire tomber. L’empathie peut être un terrain miné, un champ de manipulations et même un terrain de luttes idéologiques. MÉMOIRES D’HADRIEN Marguerite Yourcenar, Éditions Gallimard, 2019 364 pages

Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les mémoires d’un grand empereur romain, l’auteure a voulu « refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors ».

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INFOGRAPHIE

UNE DÉCENNIE STRATÉGIQUE

Infographie par : Pierre Dubois

Aperçu – non exhaustif – des grands projets qui ont changé le visage du CHUV pendant le mandat du Prof. Pierre-François Leyvraz.

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BEAUMONT Démarrage, en 2014, du partenariat avec MV Santé pour la chirurgie ambulatoire.

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HÔTEL DES PATIENTS En 2016, inauguration du premier Hôtel des patients de Suisse.

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SURÉLÉVATION DE L’HÔPITAL ORTHOPÉDIQUE En 2016, un nouveau bloc opératoire est construit en surélévation de l’Hôpital orthopédique.


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INFOGRAPHIE

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AGRANDISSEMENT DE SYLVANA En 2016, le Centre universitaire de traitement et de réadaptation se dote de deux nouveaux étages. Une optimisation de la toiture qui permet d’accueillir 29 nouveaux lits supplémentaires.

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LAUSANNE, RUE CÉSAR-ROUX 19 En 2017, 2 auditoires souterrains de 500 places pour les étudiants en médecine.

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BLOC OPÉRATOIRE En 2017, les activités du bloc opératoire déménagent dans le bloc complémentaire, construit sur deux étages au BH06 et BH07. La rénovation du bloc central au BH05 s’achèvera en 2021. 10

AGORA En 2018, inauguration du bâtiment dédié à la recherche sur le cancer et financé par la fondation Isrec.

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BUSSIGNY Le nouveau centre logistique de Bussigny, avec la Centrale de production alimentaire et le magasin central CHUV-HUG, est mis en service en 2019.

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CERY Le chantier du nouvel hôpital psychiatrique a débuté en 2016 et devrait s’achever d’ici à 2023.

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LA BRINE En 2017 à Yverdon, un nouveau bâtiment pour la psychiatrie ambulatoire.

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BH19 En 2018, inauguration d’un nouveau secteur au 19e étage du Bâtiment hospitalier, doté de 28 chambres individuelles pour les patients immunodéprimés.

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HÔPITAL DES ENFANTS En 2019 démarre le chantier du futur Hôpital des enfants, qui doit réunir, d’ici à 2023, toutes les activités de la pédiatrie sur un seul site.


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TÉMOIGNAGE

TÉMOIGNAGE

Quand se mettre au service des autres est une vocation

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Dans les Balkans, la guerre, les aspirations à l’indépendance, les déplacements de populations ont laissé des traces profondes, des divisions douloureuses relevant des religions, des ethnies, des nationalités… ou simplement de l’Histoire. Dans ces contextes difficiles, de nombreux «laissés-pour-compte» souffrent dans leur quotidien et rêvent d’un avenir au-delà des frontières de leur pays. Mais quand le handicap s’en mêle, la précarité devient inéluctable et la solidarité, le seul espoir. Cette solidarité, c’est d’abord celle de familles, de proches, de communautés, mais cela doit également être la nôtre.

rejoint son mari en Suisse et voit en notre pays un tremplin pour elle-même et ses enfants, à qui elle ne cesse de rappeler la valeur de l’accès à la formation. Ceux-ci le lui rendent bien, en prenant avec volonté la tête de leurs classes respectives. Ils voient en notre pays un terreau pour leur développement et nous pouvons nous en réjouir. Mais sa famille est restée dans son pays. Son père est souffrant et son espoir est à la ville située à quelques heures de route de la campagne qui les a vus naître. Comment se payer les médicaments prescrits? Comment ne pas être tenté d’interrompre le traitement au plus vite pour éviter des coûts prohibitifs, alors qu’il fait de son mieux pour aider son fils. C’est lui qui a sauté sur une mine alors qu’il était jeune. Alors on lui a posé une prothèse, un rayon d’espoir qui s’est éteint avec le temps, bien trop rapidement. En grandissant, cette dernière est devenue inadaptée, et désormais il fait partie des oubliés du système de santé. Comment trouver un travail quand il vous manque une jambe, dans un pays où votre éducation et la situation économique vous éloignent du secteur tertiaire? Un handicap qui vous englue dans la spirale de la précarité, embarquant par là même toute votre famille. Une nouvelle prothèse serait un premier pas pour lui offrir un futur.

L’histoire avait commencé ici avec elle. Elle, c’est une femme de ménage, qui travaille dur et bien. Elle a

Touché par la détresse pesante de cette femme de ménage qui serait prête à tout pour aider sa famille,

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on futur et celui des siens avaient explosé sur une mine antipersonnelle. Pourtant l’engagement du CHUV et de son directeur allaient rallumer l’espoir. Handicap, précarité, pauvreté : le cycle infernal bien connu qui affecte non seulement la personne, mais sa famille, ses proches. Vous penserez immédiatement à des contrées lointaines, à des guerres oubliées, et pourtant ce drame humain s’est joué il y a quelques années seulement à quelques milliers de kilomètres de la Suisse, et il n’est pas isolé.

Benoît Dubuis Ingénieur, entrepreneur, président de la Fondation Inartis et directeur du Campus Biotech, Benoît Dubuis consacre cette fois-ci sa chronique au Prof. Pierre-François Leyvraz.

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TÉMOIGNAGE

mais dont l’altruisme est à la mesure de son impuissance à trouver une solution, je contacte Pierre-François au début des années 2010, moins comme directeur du CHUV que comme chirurgien orthopédiste. C’est un des appels téléphoniques qui restera parmi les plus marquants de ma relation avec lui. Que savait-il de cet homme ? Rien ! Tout comme moi. Et pourtant, touché par la détresse humaine provoquée par ce handicap, il écouta, et, spontanément, il fit de ce cas, son cas. Quelques jours plus tard, il me demanda des informations médicales pour travailler sur une solution, impliqua le fonds humanitaire du CHUV. Un miracle pour cet homme qui n’était jamais sorti de son pays, qui se voyait offrir une prise en charge et la remise d’une prothèse adaptée par des personnes dont il n’avait jamais entendu parler. Un miracle rendu possible par un autre homme, Pierre-François, qui avait fait preuve d’une humanité hors norme, fidèle à sa vocation de médecin : se mettre au service des autres. Une chaîne de solidarité allait répondre aux nombreux défis qui se présentaient. Incapable de se déplacer par lui-même ou de s’offrir un vol, il fût pris en charge par des transitaires, accueilli par sa famille durant cette période. Ses compatriotes se chargèrent de la traduction lors des examens médicaux, et des transferts entre l’hôpital et son lieu d’hébergement. Un mois plus tard, il se voyait remettre une prothèse toute neuve. Après les adaptations habituelles, l’apprentissage de sa manipulation et de sa maintenance, il quitta la Suisse, et, rentré, il ne tarda guère à trouver un travail.

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La reconnaissance s’exprima plus par des regards que des mercis rhétoriques, et quelques mois plus

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Une paire de chaussettes tricotées pour remercier les médecins.

tard, à la faveur d’un voyage au pays, sa famille, s’excusant de ne rien pouvoir nous offrir, nous faisait parvenir deux paires de chaussettes. Le mouton avait été tué, la laine filée, les chaussettes tricotées. Trop chaudes pour être vraiment portées, elles resteront le témoignage de reconnaissance de celui qui donne ce qu’il a de plus précieux : son temps, exprimé dans un ouvrage dont le geste dépasse très largement la valeur pécuniaire. C’est dans ces situations que l’Homme se révèle dans sa grandeur. Bien au-delà de l’Homme de science, du directeur de cette institution prestigieuse qu’est le CHUV, je retiendrai ce magnifique témoignage d’humanité de la part d’un médecin au service des autres. Ce don gratuit et désintéressé qui était jusqu’alors resté sous le boisseau. Merci, Pierre-François, pour lui et pour tous les autres que tu as aidés, sans bruit, avec humilité et humanité. ⁄


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TÉMOIGNAGE

Un regard pétillant tourné vers l’avenir

À

chaque rencontre avec Pierre-François Leyvraz, je suis frappé par son regard qui dévoile un esprit pétillant de curiosité et de bienveillance.

Pierre-François est avant tout un médecin. Il m’a si souvent répété une chose qui peut sembler banale, mais qu’il estime fondamentale: «La médecine, c’est depuis toujours, une relation entre un médecin et un patient.» Avec un brin d’ironie en regard des développements récents, c’est ainsi qu’il aime résumer ce que doit être la médecine dite personnalisée! Sur la base de cette conviction simple et pourtant si vraie, Pierre-François est un fin connaisseur du métier de l’hôpital, ou plutôt de tous les métiers de l’hôpital. Il aime profondément l’hôpital public dont les activités sont gratifiantes pour celles et ceux qui s’engagent quotidiennement pour les mettre à la disposition des patients, mais qui sont si difficiles puisque le succès n’est jamais acquis d’avance et la relation de soin doit sans cesse être réinventée.

fonction de directeur général avec enthousiasme et détermination, avec vision et réalisme. À cette date, j’étais déjà Recteur de l’Université de Lausanne (UNIL) et j’ai eu le plaisir de travailler très étroitement avec lui sur de nombreux dossiers, jusqu’en 2016. Je l’ai vu apprendre son nouveau métier avec humilité et sens de l’écoute et j’ai découvert un homme discret – il ne se met jamais en avant – qui sait très bien où il veut aller, qui a l’art de saisir les chances et qui détecte les obstacles, sans avoir peur de les affronter. Au contraire, il conçoit sa responsabilité comme celle d’un leader qui doit trouver une issue à chaque problème et, si ça ne marche pas du premier coup, qui remet l’ouvrage sur le métier jusqu’à ce que la bonne (parfois la moins mauvaise) solution soit acceptée et mise en place. Pour moi, c’était un grand bonheur de travailler avec lui car il était conscient de l’importance du «U» du CHUV et avait une réelle ambition universitaire pour son hôpital. Nous étions capables, lui comme moi, de comprendre les enjeux de l’institution que l’autre dirigeait et nous avons ainsi beaucoup appris l’un de l’autre. Mais surtout, chacune de nos rencontres était un «bon moment» et la personnalité de Pierre-François, sa simplicité, sa franchise, son humanité et son sens de l’humour, voire de l’autodérision, faisaient du bien!

DR

Sa connaissance du terrain, son attachement au service public et sa vision de ce que doit être un hôpital universitaire ont fait qu’il était l’homme de la situation au moment où il a été nommé pour reprendre la responsabilité du CHUV en juillet 2008. Dès le premier jour de son mandat, il a habité sa

Dominique Arlettaz Mathématicien et ancien Recteur de l’Université de Lausanne, Dominique Arlettaz raconte sa collaboration étroite avec le Prof. Pierre-François Leyvraz.

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CURSUS

TÉMOIGNAGE

La meilleure illustration de cet apprentissage mutuel est l’aventure «MEDUNIL» qui avait pour objectif de réorganiser la gouvernance de la Faculté de biologie et de médecine et les relations entre le CHUV et l’UNIL. Nous avons conduit ce projet, Pierre-François et moi, pendant quatre ans, rédigé plusieurs rapports et procédé à de nombreuses consultations. Cependant, lorsque le nouveau dispositif était finalisé, nous nous sommes rendu compte, avec les conseillers d’Etat Anne-Catherine Lyon et Pierre-Yves Maillard, que le changement de gouvernance envisagé était inutile et qu’il était préférable d’y renoncer tant les relations entre nos deux institutions étaient au beau fixe et nos liens personnels garantissaient un développement harmonieux du CHUV et de l’UNIL. Ce magnifique climat de confiance a été une grande chance pour le canton de Vaud et a fait des envieux dans bien d’autres villes universitaires. Le CHUV et l’UNIL ont ainsi connu une période faste qui fait penser à un incroyable alignement de planètes particulièrement favorable! Pierre-François y a joué un rôle déterminant.

FÉLIX IMHOF/UNIL

Année après année, Pierre-François Leyvraz a construit le CHUV de demain, avec le pragmatisme qui le caractérise.

Pierre-François a compris mieux que personne comment on bâtit un édifice solide et durable. Sa capacité d’anticiper en pensant simultanément à l’avenir de l’institution et aux réalités du terrain me fait penser à la phrase que le mathématicien français Henri Poincaré écrivait dans son ouvrage intitulé La Science et l’hypothèse en 1902: «On fait la science avec des faits comme on fait une maison avec des pierres, mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison.» J’ai une grande admiration pour Pierre-François, pour ce qu’il a accompli pour l’hôpital public et surtout pour la manière toujours sensible et respectueuse avec laquelle il a franchi chaque obstacle et élaboré chaque réussite. Je veux avant tout lui rendre hommage car il est un grand humaniste, attentif aux gens et curieux de tout, et lui exprimer ma sincère gratitude pour l’amitié qu’il m’a offerte. Le CHUV est devenu un très bel hôpital grâce à l’impulsion de Pierre-François Leyvraz. Vous me direz qu’un tel succès n’est jamais l’œuvre d’un seul homme. C’est juste, et Pierre-François a su travailler avec les autres, mais j’affirme sans équivoque que sa vision, ses convictions, son sens des réalités et son écoute ont fait la différence. Pour illustrer son art de faire la différence, je me permets de conclure par le rappel d’une magnifique citation du dalaï-lama qui me disait lors de sa visite de l’Université de Lausanne en 2013: «Si vous croyez que vous êtes trop petit pour faire la différence, essayez de dormir avec un moustique.» /

Pierre-François Leyvraz et Dominique Arlettaz ont travaillé ensemble sur de nombreux dossiers entre 2008 et 2016. 75


BACKSTAGE

IN SITU

ILLUSTRATION Ces croquis ont servi pour illustrer l’article sur le check-up annuel à la page 54. Réalisées par le studio Muti pour In Vivo, les images proposent une mise en perspective des différentes étapes d’un bilan de santé.

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MUSÉE NATIONAL SUISSE

La carte Dufour a été utilisée pour représenter la « Health Valley » en page 4. Il s’agit de la première carte de l’ensemble du territoire suisse réalisée à partir de mesures géométriques précises. Sous la direction du général suisse Guillaume Henri Dufour, 25 plaques de cuivre ont été fabriquées entre 1845 et 1865.


CONTRIBUTEURS

ROBERT GLOY Journaliste bilingue françaisallemand à l’agence Large Network depuis 2015, Robert Gloy est responsable éditorial d’In Vivo. Auparavant, il était, entre autres, chargé du supplément In Extenso. Dans le magazine, il est surtout attiré par les sujets qui dévoilent le côté sociétal de la santé. Ainsi, le journaliste a pu s’apercevoir des bienfaits de la plateforme Instagram pour les personnes souffrant de troubles anxio-dépressifs (p. 57).

YASMINE AHAMED Titulaire d’un master en sociologie à l’Université de Genève, Yasmine Ahamed est coordinatrice de projets au sein de l’agence Large Network. Elle s’occupe notamment du processus de production de plusieurs magazines, dont In Vivo. « J’apprécie particulièrement le mélange entre la qualité et le sérieux des sujets et l’aspect ludique et dynamique des visuels », dit-elle au sujet du magazine.

MONICA D’ANDREA

LAURA SPOZIO, DR

Après avoir fait des études, entre autres, en journalisme, histoire et lettres, Monica D’Andrea travaille aujourd’hui comme journaliste free-lance et correctrice. Pour ce numéro d’In Vivo, elle s’est penchée sur le concept du « spiritual care » (p. 30) : « Le sujet m’a permis de m’immerger dans les recherches des professionnels de la santé, de comprendre les manières différentes de traiter et guérir l’esprit, parallèlement au corps… l’un ne va pas sans l’autre », dit-elle.

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IN VIVO

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse Large Network www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch Large Network, www.LargeNetwork.com redaction@invivomagazine.com T. + 41 22 919 19 19 ÉDITEURS RESPONSABLES

Béatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Gary Drechou

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean DIRECTION DE PROJET

Robert Gloy

REMERCIEMENTS

DESIGN Alessandro Sofia, Alyssia Lohner, Amélie Kittel, Large Network, Mónica Gonçalves et Sabrine Elias Daphné Giaquinto, Diane De Saab, Dominique Savoia Diss, Élise Méan, Francine Billote, Jessica Scheurer, Joelle Isler, Katarzyna Gornik, RÉDACTION Manuela Palma de Figueiredo, Mélanie Affentrager, Large Network (Antoine Bal, Yann Bernardinelli, Andrée-Marie Dussault, Muriel Faienza, Nicolas Berlie, Nicolas Jayet, Carole Extermann, Erik Freudenreich, Robert Gloy, Blandine Guignier, Audrey Magat, Sarah Iachini, Simone Kühner, Sonia Ratel Tinguely, Charlotte Mermier, Patricia Michaud, Tiago Pires, Stéphanie de Roguin, Antonio Rosati), Virginie Bovet et le Service Monica D’Andrea, Gary Drechou, Rachel Perret de communication du CHUV. PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE

Sabrine Elias MISE EN PAGE

Mónica Gonçalves COUVERTURE

Large Network Prothèse LifeHand2, photo de Patrizia Tocci IMAGES

SAM (Eric Déroze, Heidi Diaz, Philippe Gétaz, Gilles Weber), Annalisa Bombarda, Pierre Dubois, Muti ‒ Folio Art IMPRESSION

PCL Presses Centrales SA TIRAGE

17’500 exemplaires en français Les propos tenus par les intervenants dans In Vivo et In Extenso n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

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