IN VIVO #15 FRA

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NUMÉRO SPÉCIAL CHUV-HUG

Penser la santé

N° 15 – JUILLET - OCTOBRE 2018

DON D’ORGANES UNE QUESTION DE VIES

TÉMOIGNAGES DE DONNEURS ET DE RECEVEURS / TRANSPLANTATION ET INNOVATIONS TECHNIQUES / ÉTHIQUE ET CONSENTEMENT

JAMES LOVE «L’accès aux médicaments est toujours plus inégalitaire» GRATITUDE Un bienfait pour les patients en fin de vie ALIMENTATION Jeûne intermittent: une tendance en plein essor Édité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO CHUV-HUG: COLLABORER POUR MIEUX SOIGNER


«Félicitations pour votre magazine, qui est très intéressant et fort apprécié des professionnels de mon institution.» Johanna M., Carouge

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«Un magazine fantastique, dont les posters habillent toujours nos murs.»

Laure A., Lausanne

«Vos infographies sont géniales, faciles à comprendre et adaptées au public auquel j'enseigne.»

Swissnex, Brésil

Isabelle G., Lausanne

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Le magazine est gratuit. Seule une participation aux frais d’envoi est demandée (20 francs).


IN VIVO / N° 15 / JUILLET  -  OCTOBRE 2018

SOMMAIRE

FOCUS

13 / DOSSIER Don d’organes: une question de vies PAR STÉPHANIE DE ROGUIN, PEGGY FREY ET ANNEGRET MATHARI

MENS SANA

24 / INTERVIEW James Love: «Il n’y a aucun rapport entre le prix de vente et le coût de fabrication d’un médicament» PAR ERIK FREUDENREICH

27 / TENDANCE En reconnaissance au bout de la vie PAR GARY DRECHOU

CORPORE SANO

32 / APERÇU Contraception: où (en) sont les hommes? PAR WILLIAM TÜRLER

34 / PROSPECTION Les pendules au jeûne

IN SITU

07 / HEALTH VALLEY Cartographie de la relève infirmière CURSUS

38 / TANDEM Le neurologue Philippe Ryvlin et le généraliste Vincent Amstutz

Manifestation en faveur du don d’organes sur Oxford Circus, à Londres, en automne 2015. L’événement était organisé par la chaîne de télévision Channel 5 pour inciter le public à s’inscrire au registre britannique des donneurs d’organes.

PAUL BROWN / ALAMY

PAR TIAGO PIRES


IN VIVO

Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse LargeNetwork www.invivomagazine.com

ÉDITION

CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch LargeNetwork, rue Abraham-Gevray 6 redaction@invivomagazine.com 1201 Genève, Suisse T. + 41 22 919 19 19, www.LargeNetwork.com ÉDITEURS RESPONSABLES

Béatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE

Gary Drechou

REMERCIEMENTS

RESPONSABLES DE LA PUBLICATION

Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean DIRECTION DE PROJET

Erik Freudenreich

Francine Billotte, Valérie Blanc, DIRECTION GRAPHIQUE Gilles Bovay, Virginie Bovet, Darcy Christen, Diana Bogsch et Sandro Bacco Muriel Cuendet Teurbane, Diane De Saab, Frédérique Décaillet, Muriel Faienza, Marisa Figueiredo, Pierre Fournier, RÉDACTION Daphné Giaquinto, Katarzyna Gornik-Verselle, LargeNetwork (Martine Brocard, Erik Freudenreich, Peggy Frey, Joëlle Isler, Nicolas Jayet, Émilie Jendly, Sophie Gaitzsch, Blandine Guignier, Annegret Mathari, Charlotte Mermier, Cannelle Keller, Simone Kühner, Tom Monaci, Tiago Pires, Stéphanie de Roguin, Céline Stegmüller, Anne-Renée Leyvraz, Élise Méan, William Türler), Gary Drechou Laurent Meier, Éric Monnard, Manuela Palma de Figueiredo, RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE Nicolas Berlie, Isabel Prata, Sonia Ratel, Bogsch & Bacco, Sabrine Elias Ducret Myriam Rege, Marite Sauser, Dominique Savoia Diss, Jessica Scheurer, COUVERTURE Jeanne-Pascale Simon, Aziza Touel, Vladimir Zohil et le Service Bogsch & Bacco de communication du CHUV. PARTENAIRE DE DISTRIBUTION

BioAlps

IMAGES

SAM (Erik Déroze, Philippe Gétaz, Jeanne Martel, Gilles Weber), Martin Colombet, Sébastien Fourtouill, Julien Gregorio, Paweł Jońca

MISE EN PAGE

Bogsch & Bacco pour LargeNetwork IMPRESSION

AVD Goldach AG TIRAGE

60’000 exemplaires (numéro spécial en collaboration avec les HUG) Les propos tenus par les intervenants dans «In Vivo» et «In Extenso» n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.

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Éditorial

COLLABORER POUR LES PATIENTS PIERRE-FRANÇOIS LEYVRAZ Directeur général du CHUV

PHILIPPE GÉTAZ, JULIEN GREGORIO

BERTRAND LEVRAT Directeur général des HUG

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Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) sont les deux hôpitaux universitaires romands parmi les cinq que compte la Suisse. Si leurs fonctionnements et leurs structures sont différents, ils partagent les mêmes missions à l’égard de la population romande. Ensemble, ils drainent une population d’environ 2 millions d’ha­­ bitants et sont situés à 60 km de distance. À eux deux, ils disposent d’une masse critique suffisante pour être compétitifs au niveau national ou européen dans les activités de pointe. Dès lors, il ap­paraît comme une évidence que nos deux institutions doivent collaborer de manière étroite dans ces domaines spécialisés, pour le plus grand bénéfice des patients. Ce sont exactement les buts de l’association Vaud-Genève, qui réunit les directions de nos hôpitaux, des facultés de médecine et les représentants de la santé publique. À cet égard, la répartition des tâches dans la médecine haute­­­ ment spécialisée est exemplaire, en particulier pour la transplantation. Genève est spécialisé dans le domaine intestinal, hépatique et des îlots pancréatiques. Lausanne s’occupe des organes thoraciques, du poumon et du cœur. Les collaborations se déclinent sous bien d’autres formes encore. Le supplément «In Extenso» de ce numéro spécial, qui met en lumière le travail de cinq centres universitaires romands, en est une illustration. Au Salon Planète Santé live, qui se tiendra à Palexpo du 4 au 7 octobre, les stands des HUG et du CHUV sont reliés par une passerelle, symbole de ce rapprochement. Tout comme ce magazine «collector» réalisé ensemble pour cette occasion. ⁄


Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «Health Valley». Dans chaque numéro de «In Vivo», cette rubrique s’ouvre par une représentation de la région. Cette carte, inspirée par le test de Rorschach, a été réalisée par le graphiste genevois Sébastien Fourtouill.

IN SITU

HEALTH VALLEY Actualité de l’innovation médicale en Suisse romande.

LAUSANNE P. 06

L’entreprise SamanTree Medical a remporté 50’000 francs lors de l’édition 2018 du prix PERL.

GENÈVE P. 07

SÉBASTIEN FOURTOUILL

L’association des infirmières et infirmiers plaide pour l’adoption de solutions locales afin d’assurer la relève.

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IN SITU

HEALTH VALLEY

NEUCHÂTEL P. 08

La société SiMPLInext développe des outils pour réaliser des essais cliniques sans animaux de laboratoire.

FRIBOURG P. 09

La plateforme Innosquare compte parmi les moteurs de l’innovation en Suisse romande.

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IN SITU

HEALTH VALLEY

3 QUESTIONS À

EN SUISSE, PRÈS DE 10’000 PERSONNES SONT ATTEINTES DE MALENTENDANCE-MALVOYANCE, OU SURDICÉCITÉ. L’UNION CENTRALE SUISSE POUR LE BIEN DES AVEUGLES (UCBA) VIENT D’ORGANISER UNE JOURNÉE DE SENSIBILISATION À CE HANDICAP.

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QUELLES SONT LES PERSONNES LES PLUS TOUCHÉES PAR CE HANDICAP?

Il peut toucher tout le monde, mais guette davantage les personnes âgées. Une étude suisse parue en 2011 montre que la grande majorité des personnes atteintes est âgée de plus de 65 ans. Certains patients peuvent développer ces déficiences dès la naissance ou après avoir contracté le syndrome d’Usher, une maladie génétique.

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FORMATION S’exercer dans les conditions réelles d’une auscultation de patient ou d’une manipulation à l’aide d’un équipement de réalité virtuelle: c’est le projet inédit développé par l’Institut et Haute École de la Santé La Source et la start-up UbiSim, basée à l’Innovation Park de l’EPFL. Il vise notamment à améliorer la formation et l’évaluation des compétences infirmières en matière de transfusions sanguines.

COMMENT SE DÉFINIT LA SURDICÉCITÉ?

Une personne atteinte de surdicécité souffre à la fois d’une déficience visuelle et auditive. Il ne s’agit pas simplement du cumul de deux handicaps mais bien d’un handicap spécifique. Pour une personne malvoyante ou aveugle, il est possible de compenser sa baisse ou perte de vue par l’ouïe et vice versa, ce qui est impossible pour une personne atteinte de surdicécité. Cela rend le quotidien de ces personnes particulièrement difficile lorsqu’il s’agit de communiquer avec autrui, s’orienter, se déplacer, s’intégrer et s’informer.

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La réalité virtuelle pour former le personnel soignant

UBISIM

CAROL LAGRANGE

QUEL RÔLE JOUE VOTRE ASSOCIATION DANS LA PRISE EN CHARGE DE CES PATIENTS?

Nous proposons des conseils aux personnes atteintes de surdicécité ainsi qu’à leurs proches. Grâce à nos 49 membres ordinaires et 17 membres associés, nous formons des collaborateurs bénévoles pour accompagner ces personnes handicapées dans leur quotidien. L’UCBA offre en outre la possibilité au grand public de s’informer pour apprendre quelques règles qui peuvent favoriser le contact avec les personnes sourdaveugles ou malentendantes-malvoyantes. /

Carol Lagrange est responsable romande des relations publiques et de la récolte de fonds de l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles. 6

Réduire les risques d’effets secondaires des médicaments

DIAGNOSTIC Un tiers des hospitalisations est causé par les effets secondaires de médicaments, selon une étude menée par l’Office fédéral de la statistique. Pour changer cette donne, la société Gene Predictis développe des outils de diagnostic basés sur la génétique. Les algorithmes conçus par l’entreprise lausannoise permettent d’évaluer les risques nutritionnels et de prescription médicamenteuse propres à chaque patient. L’entreprise, qui commercialise aujourd’hui une soixantaine de tests, prévoit de lancer prochainement un nouveau tour de financement de 5 millions de francs pour soutenir son développement.

En francs, la somme remportée par SamanTree Médical lors de la cérémonie 2018 du Prix Entreprendre Région Lausanne (PERL). L’entreprise développe un outil qui vise à améliorer la précision des interventions chirurgicales sur les personnes atteintes de cancer et à réduire les risques de réopération. Le prix coup de cœur, doté de 10’000 francs, a été attribué à la start-up Twiice pour son projet de réhabilitation et d’assistance à la marche à l’aide d’un exosquelette.


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HEALTH VALLEY

Cartographie de la relève infirmière Près de la moitié du personnel soignant viendra à manquer dans les hôpitaux et les cliniques d’ici à 2025. Ce déficit entraîne une réflexion sur la formation et le recrutement du personnel étranger.

DR

SOINS La Suisse est menacée d’une pénurie de personnel soignant. D’ici à 2025, environ 40% des infirmières et des infirmiers manqueront, selon une étude de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan). Si les chiffres diffèrent selon les acteurs, le constat est alarmant: le nombre annuel de diplômés dans les professions de la santé couvre à peine plus de la moitié des besoins estimés en termes de relève. «Et la pénurie ira en s’aggravant, s’inquiète Jacques Chapuis, directeur de l’Institut et Haute École de la Santé La Source. Cela s’explique par l’évolution démographique de notre société et des maladies chroniques liées au grand âge. Sans compter les futurs départs à la retraite des baby-boomers.» Cette menace ne touche pas toutes les régions linguistiques du pays de la même manière, notamment en raison des différences entre les systèmes de formation. Dans les cantons romands, la formation initiale est de niveau HES, avec un accès aux cycles académiques. En Suisse alémanique, les élèves peuvent intégrer une école spécialisée ou une HES pour devenir infirmière ou infirmier. Ce double système entraîne des questions de fond sur le niveau de connaissance des diplômés. Pour Jacques Chapuis, une harmonisation de la formation, sur le modèle romand, permettrait d’augmenter le nombre de diplômés. Une revendication qui ne reçoit pour l’instant pas de réponse en Suisse alémanique. «La Suisse romande a doublé ses effectifs, car la formation est placée dans un cursus universitaire. Malheureusement, les régions cèdent un peu facilement aux sirènes de l’urgence et imaginent régler la pénurie par un abaissement du niveau des diplômes.»

Recrutement à l’étranger Pour combler le déficit de personnel soignant, les hôpitaux et cliniques sont contraints de se tourner vers l’étranger. Sur la période 2010–2014, pour trois personnes diplômées en Suisse, deux sont ainsi venues d’autres pays, selon l’étude de l’Obsan. «Nous ne devrions pas dépendre à raison de plus de 30% de l’étranger, estime Jacques Chapuis, à cause du phénomène de cannibalisme infirmier. Nous dégarnissons les autres pays qui sont confrontés à la pénurie de manière encore plus forte.» Pour Sophie Ley, vice-présidente de l’Asso7

TEXTE TIAGO PIRES

JACQUES CHAPUIS, DIRECTEUR DE L’INSTITUT ET HAUTE ÉCOLE DE LA SANTÉ LA SOURCE.

SUR LA PÉRIODE 2010-2014, POUR TROIS PERSONNES DIPLÔMÉES EN SUISSE (BLEU), DEUX SONT VENUES DE L’ÉTRANGER (ROUGE).

ciation suisse des infirmières et infirmiers (ASI), embaucher dans d’autres pays pose question: «Que ferons-nous lorsque nous n’aurons plus accès à ce personnel soignant étranger? Il faut trouver des solutions ici et maintenant.» Une revendication entendue par le canton de Vaud et le CHUV. «Depuis plus de 10 ans, explique Isabelle Lehn, directrice des soins au sein du Centre hospitalier universitaire vaudois, nous avons engagé un double processus: assurer une publicité permanente au métier et opérer une revalorisation de la fonction. Nous nous sommes également fixé comme but de recruter le plus possible de candidats locaux.» Une démarche qui porte ses fruits: le CHUV a engagé, en octobre dernier, deux fois plus d’infirmières et d’infirmiers formés sur le marché local qu’il y a cinq ans. «Nous sommes satisfaits de ces résultats, confie-t-elle. Mais nous devons continuer notre travail de valorisation du métier.»

La moitié abandonne Autre facteur aggravant la menace de pénurie: près de la moitié des infirmières et infirmiers quittent prématurément le métier, selon cette même étude. En moyenne, ils n’exercent que quinze ans, indique l’ASI. Un phénomène qui force tous les acteurs du domaine à s’interroger sur la question de la réinsertion et sur le travail en lui-même. «Les conditions de travail de ces emplois, majoritairement féminins, doivent être adaptées à la vie de famille, demande Sophie Ley. Notamment au niveau des horaires et des services de piquet le week-end.» Pour le CHUV, cela passe notamment par le fait d’offrir des formations continues et des perspectives professionnelles, d’assurer des temps partiels en cas de maternité et de négocier des places en garderie compatibles avec les horaires infirmiers. «Nous nous activons sur tous les fronts, note Isabelle Lehn. Nous favorisons également la mise en place d’un dispositif de réinsertion via des places de stage. De plus, nous étudions la possibilité de généraliser la notion de quota maximal de patients par infirmière ou infirmier audelà des unités de soins critiques. Le personnel infirmier constitue le dernier filet de sécurité des patients à l’hôpital. Il faut en prendre soin.» ⁄


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HEALTH VALLEY

ÉTAPE N° 15

NEUCHÂTEL

SUR LA ROUTE

Dans chaque numéro, «In Vivo» part à la rencontre des acteurs de la Health Valley. Neuchâtel est la destination de cette édition.

SIMPLINEXT

Des tests précliniques plus éthiques Développer des outils intelligents pour limiter les essais sur les animaux est devenu un enjeu majeur. La start-up SiMPLInext s’en est fait une spécialité. TEXTE: WILLIAM TÜRLER

Les essais cliniques sur les animaux sont toujours plus décriés, un peu partout dans le monde. Par ailleurs, en matière de recherche, il est de plus en plus important de se baser sur des modélisations propres à l’homme. Partant de ce constat, la société neuchâteloise SiMPLInext developpe des tests précliniques sur des tissus humains permettant de limiter l’utilisation d’animaux dans le processus d’élaboration de nouveaux médicaments. Concrètement, l’entreprise fournit des outils intelligents pour la production durable des tissus des barrières biologiques humaines, tels que l’intestin, les poumons ou la barrière encéphalique. «La science a considérablement progressé ces dernières années, notamment en ce qui concerne la compréhension du développement des tissus humains, souligne la responsable, Silvia Angeloni. On ne peut plus se contenter de se baser sur les données d’une souris, d’un primate ou d’un cochon. Il faut reproduire des modélisations à partir de cellules humaines.» Il est ainsi possible, aujourd’hui, de créer des agglomérés de cellules exprimant des fonctions spécifiques. C’est précisément à ce niveau qu’intervient la jeune société, qui compte quatre collaborateurs. 8

Les perspectives de développement sont intéressantes. Conscients des limites techniques, mais aussi économiques et éthiques d’une approche in vivo, les organismes de réglementation se focalisent toujours plus sur un travail cellulaire in vitro. SiMPLInext souhaite agir comme facilitateur de cette transition. Elle compte parmi sa clientèle des sociétés de recherche contractuelles précliniques, des unités R&D de l’industrie chimique et pharmaceutique, des universités, des hôpitaux et des laboratoires appartenant aux instituts gouvernementaux. Une première validation de son produit a été effectuée par un groupe du CHUV qui se consacre à la recherche sur le cancer du cerveau. Par ailleurs, un intestin reconstitué grâce à ses supports interconnectés sera bientôt disponible pour l’étude préclinique de nanoparticules servant notamment au traitement des infections chroniques. Une barrière pulmonaire est également en cours de développement pour la modélisation de l’exposition aux agents polluants, aux allergènes ou aux médicaments avec des formulations innovantes. L’entreprise, qui projette de dépasser un chiffre d’affaires d’un million de francs d’ici à cinq ans, vient de lancer sa première ligne de produits sur le marché. ⁄


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HEALTH VALLEY

BENOÎT DUBUIS

Ingénieur, entrepreneur, président de BioAlps et directeur du site Campus Biotech

Les technologies, ces trésors cachés

Le niveau d’activité entrepreneuriale d’une région, d’un pays, dépend de l’existence d’opportunités et de la faculté qu’ont les individus de les percevoir. La seule existence d’opportunités d’entreprendre et le fait d’en être conscient ne sont cependant pas suffisants. Encore faut-il avoir la capacité, c’est-à-dire la motivation et le savoir-faire, de concrétiser ces opportunités. Voilà bien le rôle du laboratoire d’intégration de systèmes opéré par la Fondation Inartis pour développer les opportunités innovantes issues de ses programmes d’accélération et d’incubation. Rares sont les institutions qui cherchent à valoriser de façon systématique toutes les technologies qu’elles développent. Ceci conduit à une sous-utilisation du potentiel de ces technologies et à un retour sur investissement au niveau de la propriété intellectuelle qui est largement insuffisant. Pour les entreprises, qui cherchent de leur côté des technologies pour renforcer leur activité, ce manque d’opportunités se traduit en manque à gagner tant en termes de croissance que de revenus ou encore de places de travail qui ne seront pas créées ou de produits qui ne seront jamais développés.

Pourtant, une réflexion approfondie et des moyens parfois minimes permettraient à ces innovations d’être remises en lumière et de conduire à des développements intéressants. La barrière entre ces deux attitudes est souvent ténue, et, comme je le résume dans ma remarque liminaire, tient plus à la motivation et à l’expérience de «chineurs technologiques». C’est l’une des missions de l’accélérateur translationnel de la Faculté de médecine de l’UNIGE et de nos nombreuses autres démarches destinées à faire émerger l’innovation. Mais cette première étape qui revient à décorréler l’innovation de son origine doit être suivie d’une phase de re-corrélation en définissant le positionnement le plus adapté et donc le marché qui sera le plus porteur. Si des domaines d’applications paraissent évidents, le laboratoire d’intégration de systèmes est là pour ouvrir des perspectives jusqu’alors non envisagées. La plupart des nouveaux produits et solutions résultent de l’agréation d’éléments technologiques existants et c’est de ce jeu de Lego qu’émergeront les opportunités qui façonneront notre devenir industriel. S’il est important de créer de nouvelles opportunités en générant de la connaissance et des idées, ce que font très bien nos institutions de recherche, il est essentiel de tirer le meilleur de l’existant, ce d’autant plus que la maturité de ces opportunités permet une appréciation bien meilleure du risque.

Alors que le concept d’open innovation est au cœur Les HES-SO ont compris l’importance de cette approche de toutes les stratégies d’innovation, ce constat a de et tout un programme de «maïeutique» technologique quoi surprendre. L’explication est pourtant simple, a été mis en place avec eux par la Fondation Inartis. provenant du manque clair de relais entre développeurs Cette démarche comprend un scouting efficace des de technologies et utilisateurs. Le cas le plus flagrant opportunités suivi d’une mise en valeur de ces opportunités, est peut-être le fait que la recherche se bâtit grâce à des notamment à travers des capsules vidéo, ainsi qu’in fine, financements compétitifs, qui doivent être renouvelés. une mise en relation professionnelle entre chercheurs À ce moment, le chercheur devra prouver qu’il explore et industriels, afin de s’assurer que les technologies de nouveaux territoires et les résultats précédemment n’enrichissent pas les archives des laboratoires, mais développés seront soit directement applicables, et donc profitent au développement de nouvelles opportunités susceptibles d’intéresser des partenaires qui prendront offrant autant de perspectives économiques et d’emploi le relais, soit finiront dans les tiroirs, qui regorgent pour notre «République de l’Innovation». ⁄ d’opportunités sujettes à un vieillissement accéléré, et dans l’oubli le plus total. EN SAVOIR PLUS

DR

www.bioalps.org www.republic-of-innovation.ch www.innosquare.com

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IN SITU

CORÉE DU SUD

IN SITU

AUTOUR DU GLOBE

L’OBJET

Nombre d’interventions de chirurgie esthétique en 2015 en Corée du Sud, selon les statistiques de la Société internationale de chirurgie esthétique plastique. Le pays se classe ainsi au quatrième rang mondial, après les États-Unis, le Brésil et le Mexique. La chirurgie des paupières est l’intervention esthétique la plus pratiquée en Corée du Sud.

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UNE LENTILLE DE CONTACT POUR MESURER LE TAUX DE GLUCOSE De nombreux diabétiques doivent se piquer le doigt plusieurs fois par jour pour mesurer leur taux de glucose. Pour leur proposer une alternative, des chercheurs de l’Univer­sité nationale de science et de techno­logie d’Ulsan ont développé une lentille de contact capable de récolter cette information. Concrètement, un moniteur de glucose est intégré à la lentille placée sur l’œil et transmet les données directement sur le smartphone du patient, via une application dédiée. Les chercheurs espèrent que le dispositif pourra être commercialisé dans les cinq années à venir.

UNIST

Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales au pays du matin calme: la Corée du Sud.


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CORÉE DU SUD

Soigner les plaies grâce à un patch lumineux INNOVATION Une équipe de chercheurs de l’Institut supérieur coréen des sciences et technologies et de l’Hôpital Bundang, à Séoul, ont mis au point un patch comprenant une diode électroluminescente organique pour favoriser la guérison des plaies. Le dispositif se base sur une méthode appelée photobiomodulation, une thérapie lumineuse utilisée pour améliorer la réparation des tissus et réduire les inflammations. Le patch stimule la prolifération et la migration des fibroblastes, des cellules qui jouent un rôle important dans la cicatrisation. De la taille d’une paume, il pèse 82 grammes et peut être actif pendant plus de trois cent heures.

3 QUESTIONS À

ALESSANDRA APICELLA LA CORÉE DU SUD SE DISTINGUE PAR SON SAVOIR-FAIRE NUMÉRIQUE. UN ATOUT PRÉCIEUX DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ.

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EN QUOI LA CORÉE DU SUD SE MONTRET-ELLE PARTICULIÈREMENT INNOVANTE?

DENNIS KUNKEL MICROSCOPY / SCIENCE PHOTO LIBRARY

La Corée du Sud investit 4,2% de son produit intérieur brut dans la recherche et le développement, alors que la moyenne des pays de l’OCDE se situe à 2,3%. Elle se distingue dans les technologies de l’information, sur lesquelles elle a beaucoup misé et qui ont servi de moteur à son incroyable développement économique ces dernières décennies.

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LES CRISES D’ASTHME MIEUX COMPRISES Une protéine engendrée par le système immunitaire joue un rôle déterminant dans les crises d’asthme, conclut une recherche de l’Université nationale de Séoul. Cette protéine appelée «XCL1» est produite quand les poumons sont exposés à des substances externes, comme les pollens. Elle interagit ensuite avec les cellules denditriques, d’autres cellules immunitaires, ce qui provoque une contraction du muscle lisse des voies aériennes. Cette découverte pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements.

COMMENT CELA SE TRADUIT-IL DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ?

L’Hôpital Bundang, à Séoul, est le premier établissement totalement numérisé au monde. Les données des patients sont partagées à l’intérieur de l’hôpital. Tous les médecins ont ainsi accès à toutes les informations concernant le malade en temps réel. Cela permet de gagner en efficacité. Le praticien le mieux à même de répondre au problème peut être identifié plus facilement, sans éventuel rendez-vous supplémentaire. Le diagnostic intervient ainsi plus rapidement. Par ailleurs, les équipements des salles d’opération sont digitalisés, ce qui permet de réduire les erreurs humaines. Quant à la prescription de médicaments, elle est affinée en fonction du profil spécifique du patient, en s’appuyant sur le big data.

3

COMMENT LA SUISSE ET LA CORÉE COLLABORENT-ELLES?

Depuis 2014, le partenariat public-privé SwissKorean Life Science Initiative vise à renforcer les liens entre les acteurs des deux pays. L’Institut tropical et de santé publique suisse et la start-up coréenne NOUL collaborent par exemple dans la recherche contre la malaria. L’Université de Bâle a aussi accueilli des start-up coréennes dans son parc d’innovation, et des jeunes pousses bâloises se sont rendues en Corée. / Alessandra Apicella est directrice du Science & Technology Office de l’Ambassade de Suisse en Corée du Sud.

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POST-SCRIPTUM

POST-SCRIPTUM LA SUITE DES ARTICLES DES PRÉCÉDENTS NUMÉROS DE «IN VIVO» IL EST POSSIBLE DE S’ABONNER OU D’ACQUÉRIR LES ANCIENS NUMÉROS SUR LE SITE WWW.INVIVOMAGAZINE.COM

TESTS ADN IV n° 1

POLLUANTS

MIGRAINES p. 42

Prédisposée au cancer ? La FDA, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, autorise la société californienne 23andMe à vendre des tests de prédisposition au cancer du sein aux États-Unis. Les kits seront disponibles sans ordonnance. Le test identifie, sur la base d’un échantillon de salive, si une femme est porteuse de mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, associées à un risque élevé de cancer du sein. 23andMe commercialise déjà un test de prédisposition qui cible dix maladies, dont Parkinson et Alzheimer. /

IV n° 4

p. 48

IV n° 5

Nouvelle découverte

Ménage risqué

Une nouvelle étude publiée dans la revue Brain remet en cause l’idée que le cerveau est globalement insensible à la douleur. Des chercheurs français ont conclu que ce n’est pas le cas de la pie-mère, un tissu qui épouse les sillons et circonvolutions du cerveau. Cette découverte pourrait ouvrir la porte à de nouvelles recherches sur le traitement des maux de tête et des migraines. Jusqu’ici, on pensait que seule la dure-mère, l’enveloppe qui tapisse notamment la voûte et la base du crâne, était sensible à la douleur. /

L’utilisation de produits de nettoyage affecte les capacités respiratoires. C’est la conclusion d’une étude menée par des chercheurs de l’Université de Bergen, en Norvège. Les femmes sont particulièrement touchées. Sur le long terme, le déclin de la fonction respiratoire chez celles qui font régulièrement le ménage correspond à celui d’une personne ayant fumé un paquet de cigarettes par jour pendant vingt ans. Les hommes exposés à ces produits s’y montrent moins sensibles, sans que les scientifiques parviennent à expliquer pourquoi. /

ALIMENTATION IV n° 4

AUTISME p. 19

IV n° 6

Une vaste étude française portant sur plus de 100’000 personnes conclut que les aliments ultratransformés favorisent le cancer. La recherche montre qu’une hausse de 10% de la consommation de ces produits augmente de 12% le risque de développer la maladie. La catégorie «ultratransformée» comprend de nombreux types d’aliments: barres chocolatées, petits pains emballés, boissons sucrées aromatisées, soupes déshydratées, plats surgelés ou prêts à consommer… En France, ils représentent entre 25% et 50% de l’alimentation totale. /

p. 60

Piste de traitement BO VEISLAND, MI&I / SCIENCE PHOTO LIBRARY

Gare aux produits ultratransformés

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p. 42

Le cerveau convoluté est recouvert de trois membranes. De droite à gauche: la pie-mère, située directement contre le cerveau et qui suit les plis de sa surface, l’arachnoïde élastique et la dure-mère.

La romidepsine, un médicament anticancéreux, pourrait améliorer les difficultés d’interaction sociale chez les personnes avec un trouble du spectre autistique. Des chercheurs de l’Université de Buffalo arrivent à cette conclusion à la suite d’une expérience sur des souris portant sur un ensemble de gènes en cause dans la maladie. Trois jours de traitement ont permis de rétablir durant trois semaines la fonction normale d’environ 200 gènes impliqués dans la communication entre les neurones et qui avaient été volontairement supprimés chez les souris. /


FOCUS

XXXXXXXXXX

L’an dernier, 42 greffes de cœur ont été réalisées dans les hôpitaux suisses. Cette image métaphorique illustre l’importance du don d’organes.

DON D’ORGANES

KEVIN CURTIS / SCIENCE PHOTO LIBRARY

UNE QUESTION DE VIES / La Suisse continue de connaître un important déséquilibre entre le nombre de personnes en attente d’une greffe et le nombre d’organes disponibles. Une initiative populaire veut faire de chaque adulte un donneur d’organes potentiel, prônant le principe du consentement présumé. Est-ce la bonne solution?

/ PAR

STÉPHANIE DE ROGUIN, PEGGY FREY ET ANNEGRET MATHARI ILLUSTRATIONS ET INFOGRAPHIES

BENJAMIN SCHULTE

13


FOCUS

DON D’ORGANES

E

n fin d’année dernière, 1’478 patients étaient inscrits sur liste d’attente en Suisse pour recevoir un organe: cœur, poumon, rein ou foie. À la même date, 594 malades avaient été transplantés. Et 75 personnes étaient décédées, faute d’avoir reçu l’organe qu’il leur fallait à temps. En comparaison internationale, la Suisse figure parmi les élèves moyens du don d’organes: on y compte 17 donneurs décédés par million d’habitants, contre 44 en Espagne, ou 28 en France.

Pour changer la donne, le Conseil fédéral a lancé il y a cinq ans un plan d’action qui vise à faire passer d’environ 13 (chiffre de 2013) à 20 le taux de donneurs décédés par million d’habitants. «Les campagnes menées par l’Office fédéral de la santé publique vont dans le bon sens. Mais il est nécessaire de mieux cibler les jeunes ou les seniors, qui pensent qu’ils ne peuvent plus donner leurs organes», remarque Philippe Eckert, médecin-chef du Service de médecine intensive du CHUV et responsable du Programme latin de don d’organes, le réseau pour la Suisse romande et le Tessin.

Les organes sont prélevés pour deux tiers sur des personnes en état de mort cérébrale ou, depuis quelques années, en situation d’arrêt cardiaque. «Lorsqu’un patient est en mort cérébrale, nous devons consulter la famille pour savoir comment il se positionnait sur la question du don d’organes. Dans une grande majorité des cas, la famille, déjà bouleversée, n’en a aucune idée et préfère ne pas autoriser le prélèvement», poursuit Philippe Eckert.

CHIFFRES

25

En pourcent, la proportion de personnes

qui ont rempli leur carte de donneur en Suisse.

57 /

80% des Suisses se disent favorables au don d’organes, mais ne le communiquent pas à leurs proches, selon Swisstransplant, la Fondation nationale suisse pour le don et la transplantation d’organes. Cette réalité explique le bas taux de donneurs par rapport à la France ou à l’Espagne, où le donneur est présumé consentant s’il n’a pas signé au préalable un registre pour manifester son opposition. Une initiative populaire a été lancée il y a quelques mois pour introduire ce principe dans la législation suisse (lire point 3).

En pourcent, le taux de refus de céder les organes exprimé lors du décès d’un proche.

17,2 /

ATTENDRE ET RECEVOIR

Évelyne Savary a passé deux ans et demi sous assistance ventriculaire avant de recevoir un cœur. «Je suis passée par des moments merveilleux, de pur bonheur, car l’assistance m’a permis de retrouver beaucoup d’indépendance. Mais il y a aussi eu des moments difficiles, bien sûr. Ma devise était: patience – confiance – courage – positivisme. Cette attente nous prépare à la greffe, qui est un magnifique cadeau de la vie. Je pense tous les jours à mon donneur, anonyme, sans qui je ne serais plus là.» La longue attente des malades est due, d’une part, au manque d’organes à disposition, mais aussi à la compatibilité entre le donneur et le receveur. «L’attribution des organes dépend de différents facteurs, qui ne sont pas les mêmes pour chaque organe, souligne Manuel Pascual, médecin-chef du Service de transplantation d’organes du CHUV et directeur médical du Centre universitaire romand de transplantation. Pour un rein, le temps d’attente du patient est déterminant, en considérant aussi des aspects génétiques ou d’autres facteurs propres à la personne. Pour un foie, ce sera essentiellement la gravité de la situation qui rendra un malade prioritaire.» 14

Le temps d’attente moyen s’élève, selon les statistiques de Swisstransplant pour 2017, à 142 jours pour un poumon et à 1’042 jours pour un rein. Le fait que les maladies des reins soient relativement fréquentes et que la dialyse permette de maintenir les patients en attente expliquent ce dernier chiffre. «Pour les autres organes vitaux, si le patient ne reçoit pas d’organe après un certain temps, il risque malheureusement de décéder», poursuit Manuel Pascual.

Le nombre de donneurs par million d’habitants en Suisse en 2017.

FAIRE DON Permettre à d’autres de vivre, sauver un malade en lui cédant un organe irremplaçable: ces motivations expliquent bien souvent la démarche des donneurs. Pour l’heure, la loi suisse leur demande un consentement explicite. Ils peuvent exprimer ce choix en étant titulaires d’une carte de donneur, via l’application smartphone Echo112 ou par des directives anticipées écrites ou orales auprès de leurs proches. Parfois, ce consentement n’a pas été formulé expressément. Au service des soins intensifs du CHUV, Delphine Carré coordonne le don d’organes et identifie les donneurs


FOCUS

DON D’ORGANES

«LES DONNEURS ET LES RECEVEURS SONT PLUS ÂGÉS» Déjà contraints par le manque d’organes disponibles en Suisse, les centres de transplantation sont désormais confrontés au vieillissement de la population, explique Manuel Pascual, médecin-chef du Service de transplantation d’organes du CHUV.

E PROPOS RECUEILLIS PAR

STÉPHANIE DE ROGUIN

organe particulièrement compatible avec eux (par exemple génétiquement, pour un rein) soit disponible et que leur temps d’attente s’en trouve fortement réduit. Mais cette chance est plutôt rare. Comment se passe la vie après une greffe? mp Dans le cas d’une greffe de rein, le patient reste hospitalisé une dizaine de jours après l’opération. Il rentre ensuite chez lui, et après un ou deux mois, selon qu’il s’agisse d’une greffe du rein, des poumons ou du cœur, il peut retrouver une vie presque normale. La cicatrisation prend généralement six à huit semaines. Dans certains cas, cela prend un peu plus de temps. Mais quelle que soit la transplantation, le patient devra prendre à vie un traitement antirejet, dit immunosuppresseur, ce qui est extrêmement important pour optimiser la survie de l’organe greffé. Un receveur fait parfois un rejet aigu, mais c’est quelque chose que nous gérons assez bien. Il y a aussi des cas de rejet chronique, qui sont plus compliqués à prévenir ou à traiter. L’adhérence au traitement est donc cruciale en transplantation.

in vivo Qui sont les donneurs d’organes en Suisse? manuel pascual Nous nous retrouvons face à des donneurs plus âgés qu’il y a quelques années (l’âge moyen des donneurs est passé de 52 ans en 2013 à 55 ans en 2017, selon Swisstransplant, ndlr). Les donneurs jeunes, comme des accidentés de la route, par exemple, ont heureusement diminué, tandis que le nombre de victimes de maladies ou d’accidents cardio-vasculaires, plutôt âgées, a augmenté. Les fonctions des organes d’une personne âgée peuvent être un peu diminuées. Il faut idéalement éviter de greffer un cœur ou un rein qui a déjà bien vécu chez une personne jeune. Nous pouvons souvent prélever un foie sur une personne de 80 ans. Pour un cœur, nous n’envisageons

15

en général pas de prélever celui de quelqu’un âgé de plus de 65 à 70 ans. À quels facteurs tient la compatibilité entre donneur et receveur? mp Il faut tenir compte de la morphologie de chacun, du poids, de la taille. Ces facteurs sont très importants pour les greffes du poumon et du cœur. Il faut aussi essayer, dans la mesure du possible, de respecter les âges du donneur et du receveur. Lorsqu’ils sont en attente d’un organe, certains receveurs ont un coup de chance: il se peut qu’un iv

MANUEL PASCUAL EST MÉDECIN-CHEF DU SERVICE DE TRANSPLANTATION D’ORGANES DU CHUV ET DIRECTEUR MÉDICAL DU CENTRE UNIVERSITAIRE ROMAND DE TRANSPLANTATION.

ÉRIC DÉROZE

iv

n Suisse, six hôpitaux possèdent un centre de transplantation d’organes. C’est là que se mène tout le processus, des examens d’aptitude à la transplantation, à l’accompagnement pendant l’attente, jusqu’à la greffe elle-même et au suivi post opératoire.


FOCUS

DON D’ORGANES

potentiels. «En cas de mort cérébrale ou lorsqu’il n’y a plus d’options thérapeutiques pour sauver un patient, le don d’organes peut être abordé avec la famille. Si le consentement du défunt n’est pas clairement identifié, nous leur demandons ce qu’aurait pu être sa décision. Nous le faisons avec beaucoup de tact et de sensibilité pour respecter leur douleur», explique l’infirmière. Dans la majorité des cas, la famille ne connaît pas les souhaits du défunt. «Parler de sa propre mort et évoquer le don d’organes reste tabou dans nos sociétés. Et dans le doute, en l’absence d’un positionnement clair de la personne, les proches préfèrent refuser par peur de se tromper.» D’autres renoncent pour des questions religieuses. Delphine Carré évoque aussi la mauvaise réputation de l’acte de prélèvement: «Les familles craignent que le corps soit mutilé ou défiguré.» Pourtant, le protocole est identique à celui d’une opération classique pratiquée sur un patient en vie. «La personne prélevée ne se résume pas à un corps, souligne Claire Peuble, coordinatrice de prélèvement et transplantation au CHUV. Nous en prenons soin et garantissons le respect de son intégrité.» DONNER DU SENS À LA MORT Parfois, le consentement de tous est difficile à obtenir. Dans ce cas, la discussion et les explications sur le déroulement d’un prélèvement brisent le doute et laissent du temps pour se décider. «Pour rassurer les familles, nous répondons à toutes leurs questions, explique Claire Peuble. Elles ont aussi la garantie que tout organe prélevé sera transplanté.» Lorsqu’une famille accepte, c’est souvent parce qu’elle pense que le défunt l’aurait souhaité. «Passé ce consentement, les organes du donneur sont préservés grâce à une assistance mécanique et médicamenteuse. Nous évaluons aussi la qualité de chaque organe par des examens biologiques et radiologiques spécifiques, afin de transplanter le receveur en toute sécurité. Comme tout doit se faire dans un temps limité, nous recherchons et convoquons les receveurs prioritaires et compatibles. Prélèvement et transplantation se font en parallèle avant que le corps du donneur ne soit rendu à la famille pour les obsèques.» La décision est encore plus difficile dans le cas de la mort d’un enfant (lire témoignage p. 21). «Un tel évènement n’est pas dans l’ordre des choses, souligne Delphine Carré. Les parents qui acceptent de donner les organes d’un enfant le font parfois pour donner un peu de sens à cette mort injuste.» Avec émotion, l’infirmière se souvient de ces parents qui ne souhaitaient pas donner le cœur de leur enfant: «Il y avait trop de symbolique pour eux dans cet organe synonyme de l’amour.» Une collègue se rappelle aussi d’une maman qui voulait entendre le cœur de son enfant s’arrêter: «Nous lui avons fait écouter sa fréquence cardiaque jusqu’au dernier instant.» Accepter de céder les organes d’un parent est une situation difficile pour les proches, mais ce type d’opération ne laisse pas non plus indifférent le personnel soignant. «De telles interventions ne sont pas si fréquentes dans le Service de soins intensifs du CHUV», note Delphine Carré. En 2017, sur 40 situations où le prélèvement d’organes était possible, il s’est concrétisé 16

LES TECHNIQUES DE TRANSPLANTATION DE DEMAIN Texte: Céline Stegmüller

36.5 °C

CONSERVER LE FOIE AU CHAUD Les foies en

attente de transplantation peuvent aujourd’hui être gardés en vie par un «utérus artificiel». Cette machine fournit du sang et des nutriments à l’organe, tout en le maintenant à température corporelle. La «metra» – le mot grec pour utérus – a été conçue par deux chercheurs de l’Université d’Oxford en 2013. Vingt-cinq de ces appareils ou utérus artificiels sont actuellement utilisés dans le monde, et l’idée est d’étendre leurs bienfaits à d’autres organes. Le greffon peut rester jusqu’à 24 heures dans ce récipient spécial: son état de santé est surveillé et l’apport de nutriments s’adapte automatiquement à ses besoins. La conservation à température corporelle diminue le risque que l’organe ne s’endommage, et par conséquent augmente les probabilités de réussite de la transplantation.

DES PORCS DONNEURS D’ORGANES Un groupe de

chercheurs américains espère pouvoir combler le manque d’organes transplantables en développant des organes humains chez les porcs. L’expérience a déjà donné des résultats positifs avec des souris et des rats. Un ou plusieurs gènes des cellules d’un ovule fécondé de porc sont découpés et le vide est ensuite comblé en insérant des cellules souches humaines. Le résultat de ce remaniement génétique est un fœtus de porc avec un organe humain, qui, neuf mois plus tard, peut être prélevé et transplanté sur le donneur des cellules souches. Ce processus a déjà fonctionné avec un pancréas de souris poussé dans un rat. Mais la distance génétique entre homme et porc complique la donne. Les chercheurs de l’Université du Minnesota étudient les mécanismes du développement pour obtenir un cœur 100% humain. Si le projet aboutit, les patients pourraient ne plus avoir besoin d’immunosuppresseurs, ce qui serait une révolution en transplantation. DÉCONGELER À L’AIDE D’UN CHAMP MAGNÉTIQUE Le succès de la cryoconservation a été attesté depuis des décennies sur les globules rouges, les spermatozoïdes et les ovules. Des chercheurs ont récemment réussi à congeler et raviver des sections de tissu cardiaque. Pour éviter la dégradation d’un cœur lors de sa décongélation, des chercheurs de l’Université du Minnesota ont injecté dans le tissu des nanoparticules magnétiques. Sous l’effet d’un champ magnétique, ces nanoparticules produisent un éclat de chaleur rapide et uniforme permettant de décongeler le cœur en minimisant les dégâts. Lorsque cette nouvelle technique pourra s’appliquer à des organes entiers, ceux-ci pourraient rester à disposition plus longtemps.


FOCUS

DON D’ORGANES

dans 22 cas. «Pour les soignants et le personnel du bloc, l’émotion est grande: contrairement aux soins classiques, dont l’objectif est de guérir, le patient est ici cliniquement mort. Seule la circulation sanguine est maintenue pour préserver ses organes», signale Claire Peuble. À la sortie de la salle d’opération, le corps est accompagné à la chambre mortuaire, ce qui est inhabituel pour les équipes du bloc opératoire.

DEMAIN, TOUS DONNEURS? En octobre dernier, une organisation de jeunes citoyens, la Jeune Chambre internationale de la Riviera, a lancé une initiative populaire pour faciliter le don d’organes. Intitulée «Sauver des vies en favorisant le don d’organes», elle vise à inscrire le consentement présumé dans la loi.

L’EXEMPLE HEXAGONAL La France connaît le régime du consentement présumé pour les dons d’organes depuis 1976. Concrètement, les médecins consultent systématiquement les proches pour connaître les intentions du défunt. La démarche aboutit à environ un tiers de refus de don, le plus souvent en raison des opinions des proches plutôt que de la personne concernée. Des modifications apportées à la loi, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017, visent à mieux prendre en compte la volonté du défunt. Les citoyens français opposés au don d’organes peuvent s’inscrire sur un registre national. Dans le cas contraire, le prélèvement sera réalisé, sauf si les proches attestent des circonstances précises du refus formulé par la personne, par un document écrit et signé. «La famille pourra transmettre un témoignage, soit un document écrit par le défunt de son vivant, soit un témoignage oral», a expliqué Olivier Bastien, directeur du prélèvement et de la greffe à l’Agence de biomédecine, dans une interview à RFI. Cette mesure, présentée par les députés comme une solution pour augmenter le nombre de transplantations, a suscité des inquiétudes parmi le corps médical, selon «Le Monde». L’Ordre des médecins et les associations pour le don d’organes et de tissus humains craignent d’affronter une «méfiance des familles» et, paradoxalement, une remise en cause de la volonté d’être donneur.

17

JEANNE MARTEL

Chaque personne vivant en Suisse deviendrait dès lors un donneur potentiel, sauf en cas de refus exprimé de son vivant. Concrètement, les individus qui s’opposent au prélèvement devraient faire part de leur refus en s’inscrivant dans un registre national. Le don ne serait cependant pas automatique. Même si le nom d’un défunt ne figure pas dans le registre, un contact avec la famille devrait avoir lieu avant toute démarche, à l’instar de ce qui se fait en France (lire encadré ci-dessous).

«J’AURAIS MÊME DONNÉ MA VIE POUR MON FILS!» Jozo Nevistic n’a pas hésité un instant à faire don de l’un de ses organes à son fils pour le sauver de la maladie. «Après un accident de karting sans gravité, les médecins ont décelé une anomalie chez lui. Une biopsie a révélé le dysfonctionnement de l’un de ses reins.» Le diagnostic tombe, sans appel: la greffe est l’unique solution pour éviter la dialyse. Le Croate, établi en Valais, se souvient d’une brève discussion en famille, de sa décision prise immédiatement. «Dans un tel moment, l’attachement que vous éprouvez pour votre enfant est inexplicable. On ne voulait pas attendre pendant des années l’organe d’un potentiel donneur. Faire don d’un de mes reins était une évidence. J’avais 54 ans, lui seulement 29. J’aurais même donné ma vie pour lui!» Après une série d’examens, père et fils s’avèrent compatibles pour la greffe. «Je me souviens de ses larmes, de son inquiétude pour moi, de sa peur de me “prendre” un rein. Les quelques jours précédant la transplantation, lorsque nous étions tous les deux dans une chambre d’hôpital, je l’ai rassuré et il a fini par accepter mon choix.» Avec le recul, Jozo Nevistic retient le côté positif de cette rude épreuve. «Je vis comme avant, sans aucun problème de santé. La maladie a soudé notre famille: donner un rein à mon fils a renforcé nos liens.»


FOCUS

DON D’ORGANES

LE DON D’ORGANES EN SUISSE EN 2017 Le nombre de donneurs a encore augmenté l’année passée, mais l’objectif visé par les médecins est loin d’être atteint.

I. LES ORGANES

LE REIN EST L’ORGANE LE PLUS DEMANDÉ En attente Transplantés Cœur 9 2

Cœur 40

Poumon 2 1

Poumon 82 32

Foie 13 9 Rein 16 8

148

Foie

ADULTE

143

Rein 1’556 360

ENFANT*

Pancréas 0 0

Pancréas 101 19 Intestin grêle 1 0

*Jusqu’à 16 ans révolus

II. LES DONNEURS AUX QUATRE COINS DE LA SUISSE

SUISSE CENTRALE

SAINT-GALL

Organes transplantés

Organes transplantés

Nombre de donneurs: 42

Nombre de donneurs: 16

PMP:

17,2

PMP:

28,1

SUISSE ROMANDE ET TESSIN

ZURICH ET SUISSE ORIENTALE

Organes transplantés

Organes transplantés

Nombre de donneurs: 50 PMP:

19,8

PMP = moyenne de donneurs par million d’habitants 18

400

LUCERNE Nombre de donneurs: 6 PMP:

11,5

Nombre de donneurs: 31 PMP:

13,1


FOCUS

ATTENDRE UN CŒUR PLUS D’UNE ANNÉE De quelques jours à plusieurs années, le temps d’attente dépend de l’organe nécessaire, de l’état de santé individuel du patient et de l’urgence médicale. Les patients entre la vie et la mort qui ont besoin immédiatement d’un organe peuvent être inscrits sur la liste avec un statut urgent, ce qui permet généralement de leur sauver la vie.

TEMPS D’ATTENTE MOYEN EN JOURS

DON D’ORGANES

DÉSÉQUILIBRE ENTRE DEMANDE ET PRÉLÈVEMENTS Nombre de transplantations

594

Nombre de patients sur liste d’attente

1’478

388 Cœur

332 Foie

142 Poumon

LES ORGANES S’ÉCHANGENT ENTRE PAYS

1’042 Rein

→ IMPORTATION Nombre d’organes importés

DEUX DONNEURS SUR TROIS SONT DES HOMMES

36

→ 4 cœurs → 4 poumons → 19 foies → 9 reins

Sexe 61% 39% hommes femmes Âge 35% 65% 0-50 51+ Nombre de donneurs décédés: 145 106 39 morts cérébrales arrêts cardiaques Nombre de donneurs vivants: 137 128 9 reins foies Nombre d’organes transplantés en moyenne par donneur: 3

19

Provenance → 25 France → 5 Scandinavie → 3 Lituanie → 2 Royaume-Uni → 1 Pologne

← EXPORTATION

Nombre d’organes exportés

8

← 3 poumons ← 2 reins ← 2 pancréas ← 1 foie Destinations ← 4 France ← 3 Allemagne ← 1 Autriche

LA LUTTE CONTRE LE TRAFIC D’ORGANES S’ORGANISE En raison de la pénurie d’organes, certains patients se rendent à l’étranger pour bénéficier d’une transplantation illégale. Comment les États répondent-ils à ce phénomène? Texte: Charlotte Mermier En 2008, l’arrestation d’un homme dans un état de santé inquiétant à l’aéroport de Pristina, au Kosovo, met au jour l’un des plus vastes trafics d’organes connus sur le continent européen. Une somme importante, jamais reçue, lui avait été promise en échange d’un prélèvement de rein. Une vingtaine d’autres victimes ont subi le même sort, tandis que les patients en attente d’une greffe déboursaient entre 95’000 et 120’000 francs pour l’opération. «Le trafic d’organes figure parmi les dix principales activités illicites dans le monde et il est souvent lié à la criminalité organisée, explique Salome Ryf, collaboratrice scientifique au sein de la section transplantation de l’Office fédéral de la santé publique suisse. Comme les autres formes de criminalité organisée, il s’agit d’un phénomène souterrain, difficile à quantifier.» Harmonisation de la législation Le trafic d’organes ne connaît pas de frontières. Or, les lois varient d’un pays à l’autre. «Acheter ou vendre un organe est déjà illégal dans la plupart des pays du monde, précise Oscar Alarcón Jimenez, cosecrétaire du Comité européen pour les problèmes criminels du Conseil de l’Europe. En revanche, le recrutement, la sollicitation, le rôle des médecins et des hôpitaux répondent à différentes normes juridiques.» Pour favoriser la coopération entre les États, le Conseil de l’Europe a établi une Convention internationale contre le trafic d’organes humains, qui a pour but de créer un cadre légal global afin de réprimer sur le plan pénal ce trafic. Vingt-trois pays ont déjà signé le traité, et cinq l’ont ratifié. Le texte vise aussi à assurer la transparence et l’efficacité des systèmes nationaux de transplantation. L’encadrement de l’allocation et de la traçabilité des organes, la formation des professionnels de la santé et la sensibilisation de la population font partie des mesures prescrites. Ce genre de dispositions a déjà fait ses preuves, comme en Espagne. Le pays a réorganisé son système de transplantation, notamment grâce à la formation continue dispensée aux coordinateurs hospitaliers, à des entretiens avec les proches des donneurs ou à l’indemnisation financière des hôpitaux, et affiche désormais le taux de donneurs le plus élevé du monde: près de 44 par million d’habitants. La Confédération a également signé la convention du Conseil de l’Europe. «La Suisse dispose déjà de solides bases légales, mais la loi sur la transplantation n’interdit le commerce d’organes que lorsque celui-ci a lieu en Suisse ou depuis la Suisse. La Convention va plus loin: désormais, les délits liés au commerce d’organes commis à l’étranger seront également punissables», précise Salome Ryf.


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DON D’ORGANES

JEANNE MARTEL

«DÈS LA FIN DE L’OPÉRATION, JE ME SUIS SENTI BIEN»

Le Vaudois Claude Reymond, 65 ans, parle de sa greffe de rein comme d’une libération. Elle lui a permis de reprendre la vie de forain qu’il aime tant. Texte: Blandine Guignier «Forain depuis mes 17 ans, j’ai voyagé dans toute la Suisse, mais aussi en France, à Dubaï, en Syrie, au Liban ou encore en Chine. J’ai eu toutes sortes de manèges, du petit carrousel au circuit de karting, en passant par le grand huit aquatique. J’ai bâti mon affaire tout seul. Je n’étais pas du milieu à la base et j’y ai découvert une seconde famille. Pendant mes trois années de dialyses, j’ai malheureusement dû laisser ma caravane à l’année à Lausanne. C’était très dur. Je n’ai eu qu’une moitié de vie durant cette période. Je ne pouvais plus voyager et je devais aller au CHUV trois fois par semaine. Quand je pouvais, j’allais voir mes trois filles qui continuaient, elles, sur les fêtes. Je partais aussi voir l’avancement d’un manège

20

que nous avions commandé. Ça m’a aidé à tenir le coup. J’ai finalement reçu un rein le 5 novem­bre 2008. Dès la fin de l’opération, je me suis senti bien. Pour moi, c’était comme si, après des années passées dans le noir, on rallumait enfin la lumière! Dix jours après la transplantation, j’étais sorti de l’hôpital. Douze jours plus tard, j’étais à nouveau sur un manège. J’aimerais remercier mon donneur, que je ne connais pas, mais aussi toute l’équipe de l’hôpital. Après l’opération, je suis d’ailleurs resté en contact avec le Centre de transplantation d’organes du CHUV. Je suis allé les voir en 2011 pour leur proposer une journée de levée de fonds en faveur du don d’organes et de la recher­che sur la transplantation. Je savais qu’en France, les forains avaient déjà organisé de telles journées de sensibilisation. L’idée était de montrer un peu de générosité, car nous pouvons tous être malades un jour et avoir besoin d’une greffe.

Deux années de suite, en 2011 et 2012, nous avons ouvert le LunaPark à Lausanne avec un jour d’avance sur le programme officiel. La totalité des recettes est allée à la Fondation lausannoise de transplantation d’organes. Nous avons réuni 100’000 francs au total. Il y avait aussi une exposition sous la cantine sur l’importance de prendre sa carte de donneur. Ces moments difficiles me reviennent parfois en mémoire quand je prends mes médicaments antirejet, mais j’essaie de ne pas trop y penser. Même si j’ai eu d’autres pépins de santé, je pense avoir encore au moins vingt ans devant moi. Je continue à voyager et à aider mes filles sur les fêtes foraines. Je suis aussi reparti à l’étranger, mais pour des vacances cette fois-ci. La vie continue!»


FOCUS

DON D’ORGANES

DAVANTAGE DE CLARTÉ Swisstransplant s’est prononcée en faveur de l’initiative et l’a soutenue financièrement à hauteur de 30’000 francs. «Concernant une question aussi importante, notre fondation estime qu’il faut plus de sécurité et de clarté pour pouvoir respecter la volonté d’une personne décédée», explique Franz Immer, directeur de l’organisation et chirurgien cardiovasculaire. Selon lui, l’initiative permettrait de soulager les familles ainsi que le personnel médical. Aujourd’hui, il revient aux proches de décider d’un don d’organes: «une pratique problématique», selon Franz Immer. «Dans le cadre du plan d’action de la Confédération et des cantons lancé en 2013, nous avons constaté que, malgré de grands progrès dans les hôpitaux, 60% des familles consultées refusent le prélèvement. Il ressort des entretiens avec les médecins que cela est souvent motivé par le fait qu’elles ignorent la volonté du défunt.» PLUSIEURS REJETS L’introduction d’un consentement présumé pour le don d’organes a été rejetée plusieurs fois par les parlementaires suisses. Une majorité de deux tiers s’est exprimée en sa faveur au Conseil national en 2015, mais le projet n’a pas passé la barre du Conseil des États. Au Conseil national, des opposants ont fait valoir, entre autres, qu’on pourrait se demander si «la société dans son ensemble possédait un droit aux organes». Avant de prendre des mesures supplémentaires, certains parlementaires voulaient aussi attendre les résultats du plan d’action, qui dure jusqu’à fin 2018. La Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine (CNE) s’est opposée au consentement présumé en 2012, estimant qu’il menaçait les «droits de la personnalité». Elle a alors également souligné l’absence de données empiriques attestant que le modèle entraînerait une augmentation du nombre de donneurs. Depuis, la CNE a toutefois décidé de se saisir à nouveau du sujet, comme elle l’indique sur son site internet. Pour Nikola Biller-Andorno, professeure et directrice de l’Institut d’éthique biomédicale de l’Université de Zurich, le consentement présumé n’est pas «immoral». Mais «il n’est peut-être pas la solution la plus habile d’un point de vue politique». Un tel changement pourrait, selon elle, être ressenti par la population comme une contrainte. ⁄

«SAUVER DEUX VIES NE ME RENDAIT PAS MON ENFANT» Accepter le don d’organes pour autrui: ce choix difficile repose souvent sur les proches déjà affectés par le deuil. Témoignage. TEXTE: PEGGY FREY Accident, traumatisme, maladie: certains patients admis en soins intensifs dans un état critique ne peuvent être sauvés. Au moment du décès, la question d’accepter pour autrui le don de ses organes peut se poser. Une décision difficile à prendre pour une famille déjà éprouvée par la perte d’un proche. Qui plus est lorsqu’il s’agit d’un enfant. Ce choix terrible a été celui d’Isabelle* et de son mari. Après un accident, ils ont décidé de céder les organes de leur fils pour sauver la vie d’autres enfants. «C’est étrange, avant cette épreuve nous avions déjà discuté du don avec mon conjoint, se souvient la jeune femme. Moi, j’étais vraiment pour et lui contre.» Au moment de prendre la décision pour leur fils de 6 ans, leurs points de vue se sont inversés. «Après l’annonce du décès, j’étais dans un déni complet et je ne voulais pas accepter la mort de mon enfant. Dans cet état d’esprit, donner ses organes me paraissait impossible. Cela n’avait rien à voir avec ses reins, ses poumons ou son cœur: je ne pouvais juste pas tolérer qu’il soit parti, que l’on touche à ce corps toujours en vie pour moi.» Décider dans la douleur Pour se faire aider dans leur choix, le couple demande conseil à une amie neurochirurgienne. «Elle et le personnel soignant des soins intensifs du CHUV, où était hospitalisé notre fils, nous ont expliqué le déroulement de chaque étape, du prélèvement à la transplantation des organes vers les receveurs en attente de greffes. J’ai mesuré l’importance de notre choix et j’ai aussi peu à peu compris l’irréversibilité de la mort cérébrale.» Après ces discussions, les parents ont disposé de trois jours pour se décider. De ce moment douloureux, Isabelle n’a plus de souvenirs. «J’ai complètement perdu la mémoire. Je me rappelle juste avoir accepté le don. Seuls ses reins, la cornée de ses yeux et son foie ont été prélevés. Pour les autres organes, il n’y avait heureusement pas d’enfant de son âge en attente.» Le jour de Noël, un appel du CHUV confirme la réussite des transplantations: deux enfants ont été sauvés grâce aux organes du fils d’Isabelle. «Ma réaction a été surprenante. Pendant quelques secondes, je me suis sentie soulagée par cette nouvelle, avant de retomber dans la réalité, celle de la perte de notre enfant. Si j’étais contente que deux vies aient été épargnées grâce à la sienne, lui ne reviendrait pas. Je me suis dit que ça ne changerait rien à ma vie, ni à celle de notre famille, et nous ne voulions plus avoir de nouvelles.» Même avec le temps, Isabelle et son mari perçoivent mal l’humanité et la beauté de leur geste. Lentement, le deuil opère, et ils parviennent maintenant à témoigner de leur choix. Un premier pas… *PRÉNOM MODIFIÉ

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FOCUS

PROPOS RECUEILLIS PAR

ERIK FREUDENREICH

DON D’ORGANES

INTERVIEW «LA QUESTION PRINCIPALE AUJOURD’HUI CONCERNE LE RETOUR À LA VIE QUOTIDIENNE APRÈS L’OPÉRATION» Valérie Gateau est l’auteure d’un ouvrage de référence sur les questions philosophiques posées par le don d’organes. Elle revient sur les symboliques liées à ce geste.

Comment le don est-il défini sur le plan philosophique? valérie gateau On parle de cycle du don en philosophie. L’anthropologue français Marcel Mauss a souligné que ce geste appelle à une réciprocité dans les sociétés humaines traditionnelles: il y a le fait de donner, de recevoir et de rendre. C’est ce processus qui permet l’égale dignité des partenaires de l’échange. De son côté, le sociologue Pierre Bourdieu a signalé le caractère incertain du don. Celui qui donne prend toujours le risque qu’il n’y ait pas de contre-don. Il remarque aussi que le don est différé et différent. Le retour n’est pas effectué au même moment et ce qui est échangé n’est pas identique, car ce qui compte dans le don, c’est le lien. in vivo

Vous vous êtes intéressée aux donneurs vivants dans le cas de transplantations hépatiques. Comment ces personnes perçoivent-elles leur geste? vg Les donneurs que j’ai interrogés se disaient complètement libres. Ils décrivaient une décision réfléchie, adoptée sans que personne ne les ait forcés. Cela répondait à une inquiétude du personnel médical. Il s’agissait pour eux de s’assurer qu’on ne mette pas trop de pression sur les donneurs lorsqu’on leur annonce qu’ils présentent un profil compatible avec leur proche atteint d’une maladie grave. Pour cela, les praticiens s’accordent à dire que plus on présente cette possibilité tôt dans la prise en charge, mieux c’est. Cela laisse à chacun le temps d’y réfléchir et augmente la liberté de la décision. iv

La greffe soulève-t-elle des problèmes d’identité pour les receveurs? vg La recherche s’est surtout intéressée à deux points liés à cette question. Le premier concerne la culpabilité éprouvée par certains patients vis-à-vis de leur donneur: comment peut-on participer au cycle du don quand le donneur est mort? Dans l’un de ses ouvrages, le sociologue David Le Breton remarque que l’adhésion à une association de greffés et la défense du don d’organes iv

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pourraient être une manière détournée, pour certains transplantés, de combler ce qui est perçu, consciemment ou inconsciemment, comme une «dette». L’autre aspect concerne effectivement l’identité. Certains patients éprouvent des difficultés d’incorporation de l’organe, ont le sentiment d’une modification de leur personnalité, se mettent à aimer des choses nouvelles, qu’ils vont attribuer à la personnalité du donneur. Mais en plus de ces aspects métaphysiques, je pense que la question qui émerge aujourd’hui concerne le retour à la vie quotidienne après l’opération. Cela tient au fait que les patients vivent de plus en plus longtemps avec une greffe. Comment peut-on revenir à une vie satisfaisante et équilibrée, malgré la chirurgie lourde et les traite­ ments? En termes philosophiques, Biographie Philosophe de cela interroge sur les inégalités formation, Valérie sociales de santé. Est-ce qu’il Gateau travaille sur y a des catégories socioles enjeux éthiques professionnelles plus touchées de la transplantation que d’autres par la difficulté d’organes. Auteure de du retour à l’emploi? Peut-on nombreuses publicaagir sur certains points pour tions sur le sujet, dont faciliter ces processus? «Pour une philosophie du don d’organes» (2009), elle est aujourd’hui chercheur à l’Espace de recherche et d’information sur la greffe hépatique (Centre Georges Canguilhem et Hôpital Beaujon / Université Paris Diderot) et post-doctorante du Programme interdisciplinaire Université Sorbonne Paris Cité.

Le développement des techniques de transplantation est lié à l’adoption du concept de mort cérébrale. Pouvezvous revenir sur la genèse de cette notion? vg La définition cérébrale de la mort est formulée à la fin des années 1960. Jusque-là, la mort était définie comme l’arrêt concomitant des fonctions cardiaques et respiratoires. iv


FOCUS

DON D’ORGANES

Or, avec les nouvelles techniques de réanimation, les médecins se retrouvaient face à des patients présentant un cerveau irrémédiablement détruit, mais dont la respiration et l’activité cardiaque étaient maintenues par la ventilation artificielle. Un débat éthique assez important a démarré au moment de l’adoption de cette définition cérébrale de la mort. Ainsi, le philosophe américain Hans Jonas prend position contre ce concept en 1974: il estime que la mort cérébrale marque un retour à une sorte de dualisme cartésien excessif, avec l’idée que l’identité tiendrait complètement dans le cerveau et que le corps ne traduirait pas l’identité de la personne.

Valérie Gateau s’intéresse aux enjeux éthiques soulevés par la transplantation d’organes.

Est-ce une question qui continue à faire débat? vg Oui, notamment aux États-Unis. Certains bio­éthiciens américains recommandent d’abandonner ce qu’ils appellent la «règle du donneur mort». Ils estiment qu’il serait plus clair de dire que les patients se trouvent dans un état tel que, dès l’arrêt de la réanimation, ils seront «définitivement morts». Malheureusement, cette idée devient extrêmement difficile à concevoir en pratique. S’y ajoute le risque de générer une autre confusion, à savoir qu’on pourrait alors penser que c’est le prélèvement qui conduirait à la mort. iv

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Outre ses bénéfices thérapeutiques, le don d’organes présente aussi des avantages financiers pour les systèmes de santé. Pourtant cet aspect semble être tabou? vg Effectivement, et il est dommage que l’on n’en parle pas. Bien sûr que la transplantation est avant tout pratiquée pour sauver des vies. Mais il est normal de se préoccuper des coûts de la santé. Plusieurs études ont montré que la greffe est une meilleure solution que la dialyse ou l’absence de greffe. Ce tabou sur les enjeux économiques s’explique peut-être aussi par la question du trafic d’organes, qui génère beaucoup d’anxiété auprès du grand public. ⁄ iv

MARTIN COLOMBET

«Les donneurs que j’ai interrogés décrivaient une décision réfléchie, adoptée sans contrainte.»


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«Je ne mènerais pas ce combat si je pensais que mon objectif était irréalisable» JAMES LOVE

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INTERVIEW

JAMES LOVE L’économiste américain se bat pour faire baisser les prix des médicaments. Pour In Vivo, il expose ses propositions, qui visent à permettre au plus grand nombre d’accéder aux traitements innovants contre le cancer. INTERVIEW: ERIK FREUDENREICH PHOTO: GILLES WEBER

«Il n’y a aucun rapport entre le prix de vente et le coût de fabrication d’un médicament» L’Américain James ou «Jamie» Love s’engage pour faire baisser les prix (pour des maladies rares, ndlr), on parle de 2 mildes médicaments depuis près de quatre décennies. Il s’est notamment liards par trimestre. illustré dans les négociations qui ont fait chuter le prix des trithérapies contre le sida au début des années 2000. Le directeur de l’ONG Ces entreprises réalisent de tels profits que leur inKnowledge Ecology International défend désormais un changefluence politique prend des proportions toujours ment de paradigme dans le système de santé mondial. Auplus inquiétantes. En plus des pratiques courantes jourd’hui, l’industrie pharmaceutique utilise les profits générés comme le recrutement d’anciens fonctionnaires et le par la vente de ses produits pour financer la recherche et le définancement de campagnes de communication, elles veloppement de nouveaux traitements. Jamie Love propose de débauchent aussi des scientifiques, toujours employés dissocier les sommes dépensées pour la mise au point de médans le monde académique, pour tenter de manipuler dicaments et leur prix de vente. Il estime que cette solution l’opinion publique. permettrait de faciliter l’accès aux traitements novateurs. IV Certains traitements innovants, comme les immunoIN VIVO Vous vous êtes battu pour faire baisser les prix thérapies utilisant des cellules génétiquement modifiées des médicaments anti-VIH pendant des décennies. Audu patient, peuvent coûter plus de 400’000 dollars par an. jourd’hui, c’est l’accessibilité des nouvelles thérapies Ces prix sont-ils parfois justifiés? JL Non, il n’y a simplement aucun rapport entre le prix de ces thérapies et le coût de fabricontre le cancer qui vous occupe. Pourquoi? JAMES LOVE Cette maladie affecte tant de gens. Il s’agit d’un combat cation, qui est insignifiant dans la plupart des cas. Récemment, essentiel à mener, même si son issue est incertaine, car nous avons aidé une association de patients basée en République les compagnies pharmaceutiques exercent une imdominicaine à examiner le prix d’Ibrance, un médicament utilisé mense influence. Je suis stupéfait de constater compour traiter le cancer du sein. Le prix américain par comprimé est bien elles gagnent: un traitement contre le cancer de plus de 500 dollars, alors que le coût des ingrédients pharmaceupeut générer plusieurs milliards de dollars de revetiques actifs est plus proche de 80 cents. Et cela, sans même négocier nus par an, et pour certains médicaments orphelins des rabais de quantité.

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INTERVIEW

«L’ACCÈS AUX MÉDICAMENTS EST TOUJOURS PLUS INÉGALITAIRE»

cherche et le développement s’adaptent aux besoins effectifs de la société. Un modèle déconnecté diminuerait également l’importance du marketing. Dans le système actuel, il est plus facile d’investir dans des copies de produits existants. Mais il faut dépenser beaucoup en publicité pour tirer un retour sur investissement d’un médicament peu innovant.

IV Un modèle tel que celui que vous préconisez fournirait-il suffisamment d’argent pour financer IV Les compagnies pharmaceutiques soutiennent qu’une partie l’innovation? JL Je vais donner un exemple très simple: le marché mondial des traitements contre le des prix élevés sert à compenser les travaux de recherche et VIH représente actuellement environ 25 milliards de développement infructueux. JL Il est vrai que le développement de médicaments est risqué, mais il en va de même pour toute endollars, alors qu’au cours des trente dernières années, treprise, qu’il s’agisse de tourner un film, lancer une nouvelle ligne on a compté à peine un ou deux nouveaux médicaments de vêtements ou ouvrir un restaurant. Quel est le pourcentage de par année. Cela montre que le système actuel n’est simmédicaments dont la mise sur le marché est refusée? La réponse plement pas efficace. Parce que même en prenant l’évaest: environ 25% au cours de la dernière décennie. Alors oui, luation la plus absurde sur les coûts de recherche et déc’est risqué, mais la vérité, c’est que plus les bénéfices attendus veloppement, vous allez obtenir une somme équivalant à sont importants, plus les investissements suivent. moins de 10% du marché global d’une année donnée. Maintenant, supposons que les États-Unis mettent en IV Pour que les nouveaux médicaments soient moins chers, place un fonds doté de 3 milliards de dollars pour dévelopvous proposez d’adopter un modèle qui supprime le lien per de nouveaux médicaments contre le VIH. Avec la entre le coût de recherche et développement et le prix de contribution des pays européens ou du Canada, on pourrait vente. Pouvez-vous expliquer comment fonctionnerait ce facilement atteindre 6 milliards par an. Il s’agirait certainemodèle? JL À l’heure actuelle, les entreprises développent des ment d’une offre suffisamment attrayante pour encourager médicaments, dont le coût de production est ensuite supporle développement de nouveaux médicaments. té par les compagnies d’assurances et les autorités en fonction IV Comment ce modèle est-il perçu par les décideurs que de leur utilisation. Imaginez que cet argent soit versé dans un vous rencontrez? JL Cette idée est bien reçue de la part de bon fonds récompensant le développement de nouvelles fornombre d’ONG et de politiciens. Des personnalités comme le mules, et que, dans le même temps, ces médicaments soient sénateur américain Bernie Sanders ou l’économiste Joseph mis à la disposition des patients à un coût marginal. Cela Stiglitz, lauréat du prix Nobel, comptent parmi nos soutiens. Le permettrait aux médecins de prescrire le meilleur compriproblème, c’est que de nombreuses personnes ont peur des commé disponible sur le marché. Et peu importe que vous pagnies pharmaceutiques et de leurs alliés. Les choses avancent soyez assuré ou non si un traitement coûte une centaine lentement parce que les résistances s’avèrent très intenses. de dollars par an. Dans ce système, vous aurez un meilleur accès aux médicaments et plus d’égalité. IV N’est-ce pas un combat perdu d’avance? JL Je ne mènerais pas IV Quels autres avantages ce système «déconnecté» ce combat si je pensais que c’était un objectif irréalisable. Conceroffrirait-il? JL Les compagnies pharmaceutiques senant l’accès aux médicaments contre le cancer, la question à se raient mises en concurrence. Celles développant les poser est la suivante: est-ce que les inégalités sont acceptables? meilleurs produits recevraient plus d’argent du Parce que nous n’obtiendrons jamais l’égalité d’acfonds d’innovation. Il serait par ailleurs possible de cès sans «déconnexion». Les inégalités deviennent BIOGRAPHIE verser cet argent sur une décennie, tout en vérifiant L’Américain James toujours plus fortes, et la problématique concerne la performance du médicament chaque année, sur Packard «Jamie» désormais aussi bien l’Occident que les pays en la base de données mises à jour, incluant par Love est le directeur voie de développement. Je pense que l’essentiel exemple le nombre de patients traités efficacement. de Knowledge Ecopour les décideurs est de ne pas penser exclusivelogy International, Un autre avantage: avec le temps, il serait possible une ONG basée à ment à court terme. Il faut savoir prendre du recul de changer les incitations de manière à ce que la re- Washington D.C. pour arriver à ses fins. /

et à Genève. Économiste de formation, il s’est spécialisé dans les questions de gouvernance et de droits de la propriété intellectuelle et conseille ONG, gouvernements et organisations internationales.

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TEXTE GARY DRECHOU ILLUSTRATION PAWEŁ JOŃCA

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EN RECONNAISSANCE AU BOUT DE LA VIE

La gratitude pourrait s’avérer une puissante alliée des soins, selon Mathieu Bernard et des chercheurs du CHUV, qui évaluent les effets du sentiment de reconnaissance chez les patients en fin de vie.

a gratitude est la plus saine des émotions humaines», disait Zig Ziglar, l’un des chantres américains du développement personnel. Dans ce «temps qui reste» caractéristique des soins palliatifs, où les patients, comme les soignants, sont inévitablement confrontés à la mort et aux processus de deuil, elle pourrait même s’avérer un levier favorisant le bien-être et la qualité de vie, conclut une étude menée au CHUV. Ainsi, face au bouleversement consécutif à l’annonce d’une maladie incurable, la gratitude pourrait être une aide pour percevoir, non pas «la vie du bon côté», mais certains «bons côtés de la vie» – un vecteur de «croissance post-traumatique» (lire interview p. 31). SIMPLE COMME «MERCI»? «Le mot qui symbolise la gratitude, c’est “merci”, mais il est un peu galvaudé. C’est souvent un automatisme de langage, un acte de politesse, pas forcément un acte de gratitude dont on a pleinement conscience», observe Mathieu Bernard, docteur en psychologie et responsable de recherche au Service de soins palliatifs et de support du CHUV. Du point de vue scientifique, il y a en effet deux conditions pour pouvoir parler de gratitude: «Il faut vivre, ressentir une expérience positive de bienfait et il faut avoir conscience ou prendre conscience que cette expérience de bienfait est due à quelque chose d’extérieur.

5 DÉTERMINANTS DE LA GRATITUDE

En tant qu’émotion, la gratitude se manifeste le plus souvent à la suite d’un don. Des mécanismes inconscients influencent alors le sentiment de reconnaissance: Reconnaître qu’il s’agit d’un don A-t-on conscience qu’il s’agit d’un don? La valeur du présent/cadeau Quelle valeur attribue-t-on à ce don? Le coût pour le donneur Quelle est la valeur de ce don pour le donneur? L’intention pour le donneur S’agit-il d’un acte complètement gratuit, ou existe-t-il une forme d’intérêt, une attente de quelque chose en retour? Le niveau d’attente envers les autres Est-ce que nous considérons ce don comme un dû, comme quelque chose de normal?

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La capacité d’apprécier quelque chose est au cœur du concept de gratitude.» De plus, il faut distinguer la gratitude en tant qu’émotion – qui peut être de courte durée et qui fait généralement suite à un évènement précis (voir encadré ci-­contre) – de la gratitude en tant que trait de personnalité, nommée aussi «orientation reconnaissante», qui fait que certaines personnes sont plus enclines que d’autres à ressentir de la gratitude et à l’exprimer dans leur quotidien. Associée au courant de la psychologie positive, qui connaît un fort essor depuis les années 2000 en se concentrant sur les conditions et les processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des individus, la gratitude a fait l’objet de multiples publications scientifiques, notamment dans les pays anglo-saxons (lire encadré p. 28), où la «science du bonheur» est vendeuse. Mais très peu de chercheurs s’y étaient intéressés dans le contexte des soins palliatifs. L’ESSENTIEL EST PROCHE «La caractéristique des soins palliatifs, c’est de pouvoir dépister des problématiques et de les traiter à un niveau holistique ou multi­ dimensionnel, souligne Mathieu Bernard. On ne s’arrête pas simplement aux symptômes physiques, à la prise en charge d’une maladie. Il y a aussi cette exigence de s’intéresser à la sphère psychologique, sociale, familiale, existentielle et spirituelle.»


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Dans cette phase où les soins ne visent plus la guérison, mais le soulagement et l’accompagnement, la question du sens de l’existence revient souvent, comme l’illustre ce témoignage anonyme, partagé dans le cadre d’une exposition présentée en 2016 au Musée de la main UNIL-CHUV: «Alors à mon cancer, je dirais merci. J’ai eu la chance à 40 ans d’avoir un cancer, parce que jusqu’à 40 ans, j’avais une famille mais je ne la voyais pas, j’avais des amis, mais je ne les voyais pas, j’avais un hobby, je ne m’en occupais pas. En fait, le boulot prenait tout mon temps... Mais tout d’un coup ça a fait un déclic: “Ho mais c’est quoi la vie?”» Derrière cette interrogation existentielle, peu de certitudes. «Avec le Prof. Gian Domenico Borasio, chef du Service de soins palliatifs et de support au CHUV, mais aussi le Dr Florian Strasser (Saint-Gall) et la Dre Claudia Gamondi (Bellinzone), nous nous sommes donc demandé ce qui donne du sens à la vie de personnes en fin de vie», explique Mathieu Bernard. L’étude suisse, menée entre 2012 et 2015 dans le cadre du Programme national de recherche 67 (PNR 67) sur la fin de vie, a livré un premier élément de réponse très clair: pour 80% des patients palliatifs, toutes régions linguistiques confondues, l’élément central de l’existence, ce qui donne du sens à la vie, ce sont les proches. GRATITUDE, QUAND TU NOUS TIENS Partant de ce constat, Mathieu Bernard, rejoint par Betty Althaus, Anne-Sophie Hayek et Giliane Braunschweig, a choisi de cibler ses recherches sur la gratitude. Avec l’appui indispensable des équipes cliniques, les chercheurs du CHUV ont mené, entre 2014 et 2017, une étude exploratoire auprès de 64 personnes prises en charge au Service de soins palliatifs et de support et dans le Service de médecine interne. La première conclusion de cette étude, financée en partie par la Fondation Leenaards, est que 61% du sentiment de reconnaissance éprouvé par les patients tient à la qualité des relations avec leurs proches, mais aussi avec le personnel soignant. L’autre enseignement majeur est que

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Des bienfaits à la loupe Nombreux sont les effets de la gratitude qui ont fait l’objet de publications scientifiques, même si relativement peu d’entre eux ont été évalués dans un contexte clinique. CŒUR Chez des personnes avec une insuffisance cardiaque encore asymptomatique, le sentiment de reconnaissance pourrait être associé à un moindre risque d’inflammation, a constaté Paul Mills, de l’Université de Californie à San Diego, après avoir suivi 186 participants. DÉPRESSION Certaines interventions quotidiennes de gratitude permettraient de diminuer le risque de dépres­ sion, ont conclu Fabian Gander, René Proyer, Willibald Ruch et Tobias Wyss, de l’Université de Zurich. COUPLE La gratitude serait un baume pour le couple, améliorant la relation sentimentale entre les partenaires et le niveau de satisfaction globale, ont constaté Sara Algoe, de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, Shelly Gable, de l’Université de Californie à Santa Barbara, et Natalya Maisel, de l’Université de Californie à Los Angeles.

la gratitude pourrait être un facteur protecteur important en fin de vie. Le sentiment de reconnaissance a en effet été identifié, d’une part, comme un facteur significativement et positivement associé à la qualité de vie – un indicateur essentiel en soins palliatifs (lire interview p. 31) – et, d’autre part, comme négativement associé à la détresse psycho­ logique, et plus particulièrement aux symptômes dépressifs. En d’autres termes, plus la gratitude est présente, moins la détresse psychologique a de prise, et plus la qualité de vie des patients s’en ressent positivement. Alors que la prise en charge psychologique «se concentre la plupart du temps sur ce qui ne va pas», comme le souligne Mathieu Bernard, ces résultats, qui ont été admis par le prestigieux Journal of Palliative Medicine, amènent donc de l’eau au moulin de la psychologie positive. «Si la gratitude apparaît comme une piste prometteuse, l’enjeu pour la recherche consiste maintenant à déterminer si elle peut être “entraînée” et utilisée comme une alliée des soins, en complément avec l’approche psychopathologique plus classique, axée sur l’identification et le traitement pharmacologique ou psychothérapeutique de la dépression et de l’anxiété, explique le scientifique. Certaines recherches ont en effet démontré des gains substantiels lorsque les deux approches sont combinées.» UNE LETTRE VAUT MILLE MAUX Un projet pilote, qui vient de débuter au sein du Service de soins palliatifs et de support du CHUV, en collaboration avec l’HFR Fribourg – Hôpital cantonal et la Fondation Rive-Neuve, vise ainsi à implanter une intervention psychologique centrée sur la gratitude et à en évaluer l’impact sur les patients et les proches. C’est la première phase d’une nouvelle étude financée par l’Académie suisse des sciences médicales. L’intervention privilégiée est la «lettre» de gratitude (lire témoignage p. 30), qui a déjà fait ses preuves dans d’autres domaines. Elle consiste dans un premier temps, pour le patient ou la personne proche identifiée, à exprimer


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TEMDANCE


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TÉMOIGNAGE

DR

«Elle connaissait déjà la lettre par cœur» Infirmière au sein de l’Unité de soins palliatifs de l’Hôpital du Valais, à Martigny, Élisabeth Pécora s’est intéressée à la gratitude dans le cadre de son certificat d’études avancées (CAS) en soins palliatifs. Pour In Vivo, elle fait le récit d’une lettre de gratitude – dictée à la main – qui l’a bouleversée. «Ce matin-là, je prends en charge un patient que je connais depuis quelques jours. Durant la toilette, je le perçois fermé, le visage contrarié. Je lui demande quelle est la cause de ce changement d’humeur et s’il souhaite s’en ouvrir. À ma surprise, il se met à pleurer. Il me dit que le lendemain, c’est l’anniversaire de son épouse, qu’il se sent moins que rien, nul et totalement impuissant, même pas capable de lui faire un cadeau. En être arrivé à une telle déchéance est trop difficile, me confie-t-il encore. Je lui parle alors des bénévoles, en lui indiquant que, s’il le désire, nous pouvons leur demander de passer chercher un bouquet de fleurs qu’il aura composé, et qu’il aura ainsi un cadeau pour elle. Il acquiesce en souriant. Puis je pense à ce que j’ai lu sur les interventions de gratitude, dans un article de Mathieu Bernard, et je lui propose d’y joindre une lettre. Sachant qu’il souffre d’une dyspnée aiguë et qu’il ne peut pas l’écrire lui-même, je lui dis que je me mets volontiers à sa disposition pour être sa main. Il trouve l’idée originale et me répond: “Pourquoi pas.” Par pudeur, je m’installe donc à côté de lui, de profil, sans que nos regards puissent se croiser, car je ne veux pas être spectatrice des émotions qu’il pourrait ressentir. Je ne suis que sa main et je désire qu’il m’oublie. La dictée commence, mais ses premières phrases sont d’une grande banalité. Je me dis qu’il n’a pas compris. Je lui pose la main sur l’avantbras et lui demande: “Et qu’est-ce que vous avez ressenti pour elle, la première fois que vous l’avez rencontrée? Qu’est-ce qu’elle vous a apporté durant votre vie?” C’est moi, qui, à partir de ce moment-là, ai du mal à retenir mes larmes. Ce qu’il me dicte est si puissant. C’est un flot d’amour et de reconnaissance. J’en suis bouleversée. L’exercice est physiquement très éprouvant. Chaque émotion lui provoque une dyspnée aiguë. À plusieurs reprises, malgré les médicaments, nous devons attendre qu’il retrouve sa respiration. Il veut aller jusqu’au bout de cette lettre, et je me dis que ses mots pèsent d’autant plus. Nous y arrivons. Le lendemain, j’ai congé. Mais à mon retour à l’hôpital, la femme de ce patient demande à me voir. Elle a reçu la lettre et veut parler avec la personne qui l’a rédigée. Je lui explique très exactement comment les choses se sont passées, et je lui dis que je n’ai été que la main de son mari. Que ce sont ses mots à lui. Elle tient la lettre contre elle, me regarde, puis me confie qu’elle la connaît déjà par cœur. C’est le plus beau cadeau qu’il lui ait fait. À peine une dizaine de jours plus tard, cet homme est mort. Je ne sais pas comment va son épouse, mais je sais qu’elle a accueilli cette lettre comme un trésor.»

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son sentiment de reconnaissance à une personne chère au moyen d’une lettre, en mentionnant les raisons à l’origine du sentiment de reconnaissance, puis, dans un deuxième temps, à transmettre cette lettre à la personne bénéficiaire. «Ce type d’intervention présente aussi l’avantage de pouvoir s’appliquer plus facilement qu’une démarche psychothérapeutique classique, dans un contexte clinique qui nécessite un ajustement constant à la fragilité des patients», souligne Mathieu Bernard. L’hypothèse des chercheurs est que cette intervention permettrait d’améliorer non seulement le bien-être individuel, mais aussi la qualité des relations. «Jusqu’ici, les indicateurs utilisés pour mesurer l’impact des interventions de gratitude étaient surtout des indicateurs personnels, précise Mathieu Bernard. Mais puisque la gratitude est une émotion fondamentalement tournée vers l’extérieur, il nous semble essentiel d’utiliser aussi des indicateurs interpersonnels, qui vont nous permettre d’évaluer l’impact sur la qualité de la relation, étant donné qu’il s’agit d’un enjeu majeur dans le contexte de fin de vie.» Si les résultats de cette première phase sont concluants, ils devraient déboucher sur une étude comparative entre les patients qui bénéficient d’une intervention de gratitude et ceux qui sont suivis sans intervention. Dans le 9e tome de son Journal, intitulé Gratitude, l’auteur français Charles Juliet écrit: «Certes, le temps emporte tout, mais donner forme à ce que je ne veux pas perdre, c’est mieux me comprendre, c’est dégager le sens de ce qui m’échoit. Et au terme de la moisson engrangée, c’est offrir les mots rassemblés à cet autre qui se cherche.» Un pas de côté pour accompagner, peut-être, cette mission de reconnaissance au bout de la vie. ⁄


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3 QUESTIONS À MATHIEU BERNARD «Chercheur en gratitude», Mathieu Bernard aime les ascensions exigeantes en montagne autant que la science des comportements. Versant positif. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la gratitude? mathieu bernard Après mes études en psychologie, j’ai eu l’occasion de travailler au Département de psychiatrie du CHUV sur un projet de recherche visant à mieux comprendre les conduites à risque à l’adolescence, notamment liées à la consommation de substances psychoactives. Étant moi-même amateur de certaines activités en montagne considérées comme risquées, j’avais du mal à me retrouver dans le discours «pathologisant» que l’on trouvait parfois dans la littérature. J’avais envie d’aller plus loin, mais je cherchais un angle. C’est alors que j’ai découvert, un peu par hasard, la théorie du flow développée par le Hongrois Mihály Csíkszentmihályi, qui s’inscrit dans le courant de la psychologie positive. Il s’agit d’«expériences optimales» que peuvent vivre un danseur, un chirurgien ou un grimpeur lorsqu’ils sont complètement absorbés dans leur activité, enchaînant les gestes comme si de rien n’était. Pour l’auteur, l’atteinte de cet état particulier – un juste équilibre entre défi et compétences – peut être un facteur d’accomplissement personnel et de bien-être. iv

Suivant cette piste, j’ai donc consacré ma thèse à l’expérience du flow dans le contexte de l’alpinisme. En parallèle, j’ai été engagé comme assistant pour un projet de recherche touchant à la communication en oncologie, mené au sein du Département de psychiatrie, puis pour le développement d’un projet centré sur les soins de support et la qualité de vie pour les patients oncolo­ giques. Ces deux contextes n’avaient pas grand-chose à voir au départ, mais ils se sont croisés. Je trouve particulièrement intéressant aujourd’hui de tenter d’appliquer certains principes

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Ça ne veut pas dire qu’on arrête les traitements, qu’on laisse tomber le patient, mais qu’on passe d’une optique curative à une optique palliative. Reste encore à savoir ce que représente la qualité de vie pour le patient lui-même, et ce qui peut y contribuer. Elle ne se résume pas forcément à son état de santé. C’est quelque chose de profondément subjectif: la qualité de vie est sans doute propre à chaque individu.

et concepts propres à la psychologie positive, comme celui de gratitude, dans le domaine des soins palliatifs et de la fin de vie, dans la continuité aussi des travaux centrés sur les besoins et les ressources du patient. La «qualité de vie» revient souvent dans vos propos. Mais n’est-ce pas un grand mot dans le contexte des soins palliatifs, où la vie des patients est comptée? mb La qualité de vie est l’indicateur-clé en soins palliatifs. On a le plus souvent tendance à opposer de façon binaire les logiques de quantité et de qualité de vie. Un patient à qui l’on vient d’annoncer un cancer à un stade avancé dira peut-être: iv

«Je veux tout. On essaie tout pour que je vive le plus longtemps possible.» L’approche est alors curative, parfois jusqu’au-boutiste: ce que l’on privilégie, c’est la quantité de vie. Cette réaction peut facilement se comprendre et doit être respectée. Si l’on me diagnostiquait une maladie mortelle, mon premier réflexe, et peut-être mon dernier, serait probablement de dire: «Je veux vivre!» Mais, au cours de la maladie et des traitements suivis, la question de la qualité de vie peut (re)devenir essentielle. Après avoir essayé trois traitements de chimiothérapie, par exemple, il est possible que les priorités du patient évoluent et qu’un changement d’orien­ tation thérapeutique intervienne, qui privilégie la qualité de vie.

Le stress post-traumatique est un état relativement bien compris. Mais vous parlez également de croissance post-traumatique. De quoi s’agit-il? mb La croissance post-traumatique fait référence à des changements psychologiques positifs qui peuvent survenir à la suite d’événements de vie traumatiques, comme peut l’être l’annonce d’une maladie potentiellement mortelle. Dans le cas d’événements de vie positifs, par exemple si vous gagnez au loto, certaines études montrent que vous allez sûrement connaître un pic de bien-être, puis que votre courbe reviendra assez rapidement à son niveau d’origine. L’inverse se vérifie aussi. Après l’annonce d’une maladie mortelle, il peut y avoir un processus psychologique, conscient ou inconscient, qui s’enclenche, qui fait que certaines personnes parviennent à «remonter la pente», à s’adapter, à trouver une raison profonde de continuer à vivre en s’appuyant sur de nouvelles valeurs ou de nouveaux objectifs. Cela peut notamment se traduire par le développement d’une certaine forme de spiritualité ou encore par le choix de privilégier et profiter pleinement des personnes chères. Ces changements peuvent participer à une certaine forme d’accomplissement personnel, ou du moins à une acceptation de l’évolution d’une maladie, à un certain niveau d’apaisement. iv

GILLES WEBER

INTERVIEW

TENDANCE

Ce n’est pas le cas de tout le monde, évidemment, mais c’est une trajectoire que l’on observe chez de nombreux patients palliatifs. Pouvoir comprendre les mécanismes qui y contribuent devient alors fondamental dans le but de pouvoir accompagner au mieux les patients palliatifs du futur.

MATHIEU BERNARD EST RESPONSABLE DE RECHERCHE AU SERVICE DE SOINS PALLIATIFS ET DE SUPPORT DU CHUV ET CHARGÉ DE COURS À L’INSTITUT DES HUMANITÉS EN MÉDECINE.


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CONTRACEPTION: OÙ (EN) SONT LES HOMMES? Alors que de nouvelles méthodes de contraception masculine sont à l’essai, le sujet reste délicat à aborder au sein du couple. Les hommes, comme les femmes, font de la résistance. TEXTE: WILLIAM TÜRLER

L’autre méthode la plus connue est la vasectomie. 10% des hommes sexuellement actifs y ont eu recours, selon l’Obsan. Mais nombreux sont ceux qui frémissent à sa simple évocation, car cet acte chirurgical est considéré comme irréversible. «Par définition, la contraception doit donner le choix à la personne de retrouver sa fertilité, souligne Maria Demierre. Les vasectomies ne sont réversibles que dans 20% des cas. C’est pourquoi elles ne doivent être réservées qu’aux hommes qui CORPORE SANO

ne souhaitent pas ou plus avoir d’enfants.»

E

VASECTOMIE Cette opération consiste en une ligature des canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes. A priori irréversible, elle n’implique en principe aucune modification de l’activité hormonale ou du comportement sexuel. Des méthodes d’obstruction temporaires sont actuellement testées.

ntre le préservatif et la vasectomie, le cœur des hommes balance rarement. L’idée même de contraception peut d’ailleurs être perçue par certains hommes comme une atteinte potentielle à leur virilité. «Nous avons choisi d’adapter nos pratiques sexuelles en fonction du cycle menstruel de mon amie, explique ainsi Laurent, informaticien lausannois de 32 ans. Je comprends qu’elle ne souhaite pas prendre la pilule et en subir les effets secondaires. Je ne souhaiterais pas non plus prendre ce type d’hormones si elles étaient un jour disponibles sur le marché pour les hommes.» MÉTHODES À L’ESSAI

Souvent annoncée, mais jamais adoptée, la pilule masculine contient encore des dosages hormonaux élevés et peut impliquer le même type d’effets secondaires que ceux observés chez les femmes (acné, troubles de l’humeur, etc.), en plus marqués. Cette conséquence peut aussi avoir des causes psychologiques, par exemple lorsque le

médicament est pris contre son gré. Diverses autres méthodes de contraception hormonales, par gels ou injections, sont en cours de développement dans le monde. En Inde par exemple, le RISUG (Reversible Inhibition of Sperm Under Guidance) en est à la phase III des essais cliniques. L’efficacité de ces méthodes hormonales n’est pas encore démontrée et une commercialisation à court terme n’est pas prévue, d’autant plus qu’elles nécessitent chez l’homme environ trois mois pour éviter la maturation des spermatozoïdes, alors qu’elles sont bien plus rapidement efficaces chez les femmes.

A

utre technique à l’essai: la cryptorchidie artificielle ou contraception masculine thermique par remontée testiculaire. Selon des études menées en France, cette méthode permettrait, après deux ou trois mois d’exposition à la température corporelle, d’abaisser le nombre de spermatozoïdes en dessous de 1 million par millilitre d’éjaculat. D’autres solutions thermiques se basent enfin sur l’altération de la fonction de thermorégulation du scrotum par le biais de bains

JOHN BAVOSI / SCIENCE PHOTO LIBRARY, GARO / PHANIE / SCIENCE PHOTO LIBRARY, BLOOMBERG

L

e préservatif reste aujourd’hui encore la seule méthode de contraception efficace à la disposition des hommes, disent Martine Jacot-Guillarmod, et Maria Demierre, respectivement médecin associée au Département femme-mère-enfant et conseillère en santé sexuelle au CHUV. C’est d’ailleurs l’un des moyens contraceptifs les plus répandus en Suisse. Il est employé par 38% des hommes âgés de 15 à 49 ans, selon la dernière étude en date menée par l’Observatoire suisse de la santé (Obsan). Mais au-delà du geste de l’homme, son usage implique une véritable responsabilité partagée au sein du couple, et il est donc difficile de ranger le préservatif dans la catégorie des contraceptifs masculins.


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RISUG

VASECTOMIE

chauds, d’accessoires chauffants, voire d’ultrasons. Elles entraînent cependant une réduction des spermatozoïdes inférieure au seuil contraceptif considéré comme efficace. RÉSISTANCES PARTAGÉES

Si les choses évoluent lentement et que les laboratoires demeurent peu intéressés à financer la recherche dans ce domaine, ce n’est pas que le fait des hommes et de leurs réticences supposées. «De tout temps, les femmes ont été davantage concernées par les questions de contraception, puisque ce sont elles qui portent la grossesse, et surtout, qui portent le choix de poursuivre ou d’interrompre la grossesse, observe Martine Jacot-Guillarmod. Rien qu’au niveau physique et biologique, l’impact est plus important pour elles.» Ainsi, en raison des risques encourus et de la mobilisation qui en a découlé, les choses ont historiquement davantage bougé en matière de contraception féminine que masculine. CORPORE SANO

C

CRYPTORCHIDIE ARTIFICIELLE Cette technique nécessite le port d’un dispositif sans accessoire chauffant, assurant le maintien des testicules au contact de la chaleur corporelle. En pratique, il est nécessaire de maintenir les testicules à proximité de l’aine une quinzaine d’heures par jour.

ertains facteurs psychologiques peuvent également entrer en compte: «Les résistances à la contraception masculine sont grandes, notamment chez les femmes qui ne souhaitent pas transférer cette responsabilité aux hommes, alors qu’en cas d’oubli, ce sont elles les premières concernées», souligne la spécialiste. Pour Martine Jacot-Guillarmod, la communication au sein du couple demeure donc un élément central. Un homme et une femme communiquant bien choisiront une forme de contraception convenant mieux aux deux partenaires. Or, cette situation est encore loin d’être la norme. «Pour beaucoup d’individus et de couples de tous âges, la contraception demeure un sujet APERÇU

difficile à aborder. Dans de nombreuses cultures, la contraception reste une question exclusivement féminine. Très souvent, les hommes préfèrent ne pas empiéter sur ce terrain. Parfois, on ne leur laisse pas non plus l’opportunité.»

P

our la gynécologue, les professionnels concernés pourraient contribuer à faire évoluer les mentalités en encourageant les femmes à venir accompagnées de leurs partenaires lors des consultations et en impliquant un peu plus systématiquement les hommes à cette problématique. Un point de vue que partage Adeline Quach, médecin-responsable à la consultation de santé sexuelle de la Fondation PROFA (entité active dans les questions liées à l’intimité et reconnue d’utilité publique par le canton de Vaud): «Nous essayons d’inclure le partenaire dès l’adolescence, afin de l’impliquer davantage, par exemple lors de prescriptions de pilules d’urgence ou dans le cas d’une interruption de grossesse.» ⁄


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LES PENDULES AU JEÛNE TEXTE TIAGO PIRES

Le Britannique Max Lowery est une figure du mouvement prônant le jeûne intermittent.

CORPORE SANO

PROSPECTION

TOM JOY

SE PRIVER DE MANGER DURANT UNE QUINZAINE D’HEURES S’IMPOSE COMME UNE TENDANCE NUTRITIONNELLE DU MOMENT. MAIS LES SCIENTIFIQUES SE MONTRENT PRUDENTS FACE AUX SUPPOSÉS EFFETS BÉNÉFIQUES DE CE TYPE DE JEÛNE PAR INTERMITTENCE, QUI POURRAIT ÊTRE ASSOCIÉ À UNE DÉSYNCHRONISATION DES DIFFÉRENTES HORLOGES DU CORPS.


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LEXIQUE Dans la conscience collective, l’expression de jeûne intègre plusieurs composantes, parfois contradictoires.

F

ini les brunchs du matin ou les délices du soir? La tendance est en tous les cas au jeûne intermittent. En vogue aux États-Unis, l’«intermittent fasting» consiste en une réorganisation des repas fondée sur la privation périodique de nourriture. Concrètement, il s’agit de consommer deux plats sur une durée de huit heures, puis de jeûner durant seize heures. Pour ses adeptes pratiquants, le jeûne intermittent est érigé en mode de vie, allant de pair avec la recherche d’un équilibre nutritionnel et d’une meilleure connaissance du corps. Le «fasting», comme on l’appelle parfois, a envahi les réseaux sociaux. Il suffit d’ailleurs de consulter sur Instagram les dernières photos de Max Lowery pour s’en convaincre. Quelque 47’000 abonnés, un livre en vente consacré au jeûne par intermittence, «The 2 Meal Day», et des interventions répétées dans les médias: le jeune Anglais de 27 ans s’est imposé comme une figure du mouvement. Cet entraîneur sportif a découvert le jeûne intermittent lors d’un voyage en Amérique du Sud en 2014. Et il le pratique désormais au quotidien: «Le jeûne par intermittence n’a rien à voir avec l’impression de mourir de faim. Il s’agit de donner à votre corps ce dont il a besoin quand il en a besoin. En décalant simplement votre premier repas un peu plus tard dans la journée, vous pouvez optimiser votre métabolisme.» Terminé les petits-déjeuners à base d’œufs, de tartines et de fruits frais: Max Lowery se contente d’eau jus­ qu’au dîner. À la pause de midi et le CORPORE SANO

soir, le Londonien consomme des plats sans restriction calorique: «En mangeant deux repas plus copieux avec une collation facultative, vous mangerez la même quantité de nourriture ou même davantage, mais dans un laps de temps plus court. L’idée est de vous apprendre à écouter votre corps et à comprendre vos sentiments de faim et de satiété.» À en croire Max Lowery, ce rythme nutritionnel produit des effets bénéfiques, sans s’astreindre à un régime. «Le jeûne intermittent n’est pas un régime. Il vous oblige d’abord à brûler la graisse corporelle stockée pour l’énergie, plutôt que d’utiliser les sucres que votre corps extrait de la nourriture. De fait, il augmente également votre sensibilité à l’insuline.» Et ces bienfaits n’engendreraient aucune perte musculaire: «Les méthodes classiques du régime touchent autant la graisse que le muscle. Lorsqu’il est combiné avec un entraînement de résistance, il peut aussi augmenter la masse musculaire.» PRUDENCE DES CHERCHEURS

Les scientifiques, eux, se montrent prudents, puisqu’il existe peu d’études menées sur les humains sur une longue durée. Pour Luc Tappy, médecin-chercheur en nutrition humaine au Département de physiologie de l’Université de Lausanne, si un jeûne intermittent relativement court, sur dix jours au maximum, ne fait courir aucun risque à une personne en bonne santé, les présumés effets bénéfiques du «fasting» sur une plus longue période restent encore à démontrer: «La plupart des études ne comparent pas le jeûne par intermittence avec un régime classique. De fait, nous n’avons aucun élément de preuve.» PROSPECTION

Le jeûne concerne une privation totale de nourriture accompagnée ou non d’une absence de boisson. D’un point de vue médical, la période de jeûne commence à partir de la sixième heure après le dernier repas. Le jeûne par intermittence consiste en une série de repas entrecoupée d’une période plus ou moins longue de jeûne. Il existe différentes formules (lire encadré ci-dessous). Dans le catholicisme, le carême est une période de jeûne et d’abstinence de quarante jours. Mais ce terme fait également parfois référence à un apport calorique limité. Dans certains cas, des personnes font «carême de viande» ou «carême de chocolat», par exemple. Le régime est une restriction calorique ou de certains aliments. Les diététiciens et les médecins parlent alors de régime restrictif.

JEÛNE(S) À LA CARTE Le jeûne intermittent existe sous plusieurs formes, allant de quelques heures à trois jours. La variante dite «5:2» permet de manger de tout durant cinq jours, avec deux jours limités à 500 calories ingérées. La formule «16:8» consiste à se priver de nourriture sur une période de seize heures, et à prendre deux repas pendant les huit heures restantes. Enfin la méthode fasting mimicking diet mise sur une alimentation restreinte pendant trois jours par mois.


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JEÛNE ET CANCER

DR

Sous sa forme intermittente ou continue, la pratique du jeûne lors d’un traitement contre le cancer présente des risques importants. Les explications d’Esther Guex, diététicienne au CHUV.

Une version corroborée par Tinh-Hai Collet, chef de clinique au sein du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. «Les courtes études montrent des résultats intéressants, notamment une baisse de la tension artérielle, une amélioration du métabolisme des graisses, une perte de la graisse abdominale et une meilleure sensibilité au sucre», note-t-il. Mais aucun effet bénéfique sur le risque cardiovasculaire ou de diabète n’a été démontré à long terme. La plupart des études qui se sont intéressées jusqu’ici aux rythmes alimentaires ont été menées sur des rongeurs. Certes, les scientifiques ont constaté chez les souris une meilleure sensibilité à l’insuline, une perte de poids, des effets sur les lipides sanguins et même une plus grande longévité, mais ces résultats doivent être évalués avec du recul, selon Tinh-Hai Collet, car il s’agit d’animaux nocturnes. Or, le rythme de l’horloge biologique pourrait avoir une influence sur le métabolisme.

De plus en plus de patients se posent la question de l’utilité du jeûne dans le cadre du traitement contre le cancer. Comment l’expliquez-vous? Cette tendance à la hausse se comprend au regard du nombre toujours important de témoignages et d’articles vantant les mérites du jeûne pour prévenir le cancer ou comme un moyen de le vaincre. Nous avons eu le cas d’une patiente qui a amené un témoignage d’une femme paru dans un magazine romand. Elle disait avoir vaincu le cancer grâce à la pratique du jeûne. Nous nous trouvons alors dans une situation délicate, car à ce jour peu d’études cliniques sur les humains existent et aucune n’a amené de preuves.

Si un patient souhaite jeûner, comment réagissez-vous? Nous agissons avec prudence, au cas par cas. À aucun moment, nous n’allons lui interdire le jeûne. Nous questionnons le patient pour bien comprendre ses raisons, et le rendons attentif aux conséquences possibles. Une évaluation de l’état nutritionnel est systématiquement réalisée dans la prise en charge: si cette évaluation est bonne, nous proposons de l’accompagner dans sa démarche. En revanche, si un patient présente déjà une perte de poids involontaire avant le diagnostic ou pendant le traitement, il est fragile et nécessite alors une surveillance régulière.

RYTHMES ET HORLOGES

Si ces effets bénéfiques peinent à être démontrés, il en va de même pour les dangers présumés du jeûne intermittent. Le manque de données ne permet pas en effet de mettre en évidence ses aspects néfastes, si ce n’est la question du rythme. «On peut suspecter un risque, précise Luc Tappy, car le jeûne par intermittence ne respecte pas les horloges internes, qui jouent un rôle important dans les régulations métaboliques», comme l’ont démontré les chercheurs américains Jeffrey C. Hall, Michael Rosbash et Michael W. Young, CORPORE SANO

distingués du prix Nobel de médecine en 2017 pour leurs études sur le contrôle des rythmes circadiens. «Une désynchronisation entre les horloges internes du corps et le rythme externe par l’alimentation peut induire cer­taines maladies comme des désordres métaboliques», souligne également Tinh-Hai Collet, qui mène d’ailleurs une étude sur le sujet, intitulée SwissChronoFood (www.swiss­chronofood.ch). Cette étude vise à explorer le rythme PROSPECTION

Concrètement, à quels risques peut-il s’exposer? En cas de perte de poids importante associée, le risque est de développer une dénutrition qui conduira à une perte des tissus adipeux, et surtout des réserves musculaires. Cela entraîne une grande fatigue et un manque de force, ainsi qu’une diminution de la fonction immunitaire, mettant le patient face à un risque d’infection. Ce changement de composition corporelle peut aussi avoir un impact sur les thérapies, avec une moindre tolérance aux chimios ou radiothérapies. C’est pourquoi nous restons attentifs à accompagner le patient avant tout en l’informant et en respectant ses choix.

ESTHER GUEX EST DIÉTÉTICIENNE AU SEIN DU SERVICE D’ENDOCRINOLOGIE, DIABÉTOLOGIE ET MÉTABOLISME DU CHUV.

alimentaire chez les adolescents et les adultes habitant en Suisse. Grâce à une application sur smartphone spécialement développée dans ce cadre, les participants photographient en temps réel tous les aliments et boissons consommés chaque jour. À partir de ces renseignements, Tinh-Hai Collet et son équipe évalueront si la restriction alimentaire chronologique («time restricted feeding» en anglais) a une influence sur le poids et les désordres métaboliques. ⁄


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KONSTANTIN NECHAEV / ALAMY

L

a reine du campus, c’est elle. «Drosophila melanogaster», que l’on appelle vulgairement la mouche du vinaigre, est un moucheron de quelques millimètres qui se nourrit de fruits pourris. Quelque 10 millions d’individus peuplent ainsi l’EPFL et l’Université de Lausanne (UNIL).

NOM DROSOPHILA MELANOGASTER (DU GREC: «AMATEUR DE ROSÉE AU VENTRE NOIR»)

«Grâce à sa petite taille, sa fécondité et son adaptabilité, elle est très facile à cultiver dans des flacons en plastique, explique Richard Benton, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Un laboratoire typique compte plusieurs centaines, voire des milliers de souches différentes.»

La Ferrari de la génétique

Cet insecte de la famille des drosophiles constitue l’un des plus anciens modèles utilisés pour la génétique. Son cycle de vie d’environ 12 jours, garant de quelque 25 générations par an, en fait un instrument de choix. «Dès le début du XXe siècle, on s’en est servi pour étudier l’hérédité et le rôle des gènes dans la construction du corps», poursuit le scientifique, qui s’intéresse plus particulièrement CORPORE SANO

TAILLE 2 À 4 MM CARACTÉRISTIQUES PRODUIT ENVIRON 25 GÉNÉRATIONS PAR AN

Cette mouche à la reproduction rapide est un modèle de choix pour l’étude des gènes. TEXTE: MARTINE BROCARD

à son odorat et à son cerveau. Des recherches qui nous touchent directement, puisque 60% des gènes de l’humain possèdent des homologues chez la drosophile. Aujourd’hui, celle que les scientifiques appellent tout simplement «la mouche» est utilisée dans le cadre de recherches en neurobiologie, sur le système immunitaire, le vieillissement ou encore le cancer. «Cette maladie peut prendre des formes très distinctes suivant les individus, pointe Richard Benton. On peut recréer ces mutations, voire ces cancers “personnels” chez la drosophile, pour mieux comprendre la maladie, et, peut-être, pour trouver des médicaments inhibant le gène en question.» De tels exemples de médecine personnalisée ne sont imaginables qu’avec cet insecte, dont la création d’une lignée transgénique dure quelques semaines et coûte quelques centaines de francs. C’est sûr, la prochaine fois qu’on la trouvera sur nos fruits, on la chassera avec respect. ⁄

FAUNE & FLORE


PHILIPPE RYVLIN

TANDEM

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VINCENT AMSTUTZ


CURSUS

N

UNE CARRIÈRE AU CHUV

Ils réfèrent également des os modes de vie Vincent Amstutz et Philippe Ryvlin patients atteints de ces actuels favorisent soignent les céphalées de tension dans maux de tête chroniques l’augmentation à d’autres spécialistes, des céphalées de une consultation multidisciplinaire, comme Vincent Amstutz, tension, des maux mêlant approche médicamenteuse généraliste et titulaire souvent décrits par leurs d’une formation victimes comme un bandeau et médecine manuelle. complémentaire en enserrant la tête avec une TEXTE: BLANDINE GUIGNIER, PHOTOS: ÉRIC DÉROZE médecine manuelle. pression ressentie jusqu’au «L’approche manuelle cou. L’utilisation des téléconsiste à rechercher des “trigger points” chez le patient, phones et ordinateurs, qui sollicite les muscles de la explique-t-il. Ces zones localisées dans les muscles, nuque, serait en cause, tout comme des positions toujours quand elles sont bloquées, peuvent provoquer des plus statiques. L’OMS distingue les céphalées de tension douleurs dans d’autres parties du corps. Des blocages épisodiques – qui peuvent toucher jusqu’à 70% des dans le muscle trapèze pourront ainsi déclencher individus – des formes chroniques. Ces dernières, qui des douleurs au niveau du front. L’approche manuelle se manifestent plus de 15 jours par mois, concernent complète la prise en charge classique, dans le 1 à 3% des adultes dans le monde. La consultation sens où elle ne cherche pas à détecter ce qui est des céphalées du Service de neurologie du CHUV lésé dans l’anatomie, mais ce qui dysfonctionne.» s’adresse surtout à cette dernière catégorie de patients. Outre les traitements manuels qu’il réalise durant la consultation, le médecin de la Policlinique médicale L’initiateur du projet, le professeur Philippe Ryvlin, universitaire recommande également à ces patients chef du Département des neurosciences cliniques, des exercices à réaliser chez eux. «Je les encourage ainsi que deux autres neurologues du CHUV organisent à stimuler eux-mêmes, ou avec l’aide de leur conjoint, quatre demi-journées par semaine de consultations. certains points musculaires.» Les patients reçoivent «La première étape de la prise en charge consiste à en outre des conseils en lien avec leur mode de vie: établir un diagnostic précis et à identifier les causes bonnes positions, activité sportive régulière comme potentielles de la céphalée de tension chronique», la natation, techniques de relaxation, etc. détaille-t-il. La prescription est ensuite généralement de l’amitriptyline. «Ce médicament de la famille «La synergie entre les différents spécialistes des antidépresseurs est un des seuls traitements est essentielle au succès de la prise en charge, efficaces sur ce type de céphalées. Pris à petites doses, relève Philippe Ryvlin. Les personnes qui nous d’environ 8 à 10 mg, soit bien inférieures à celles utilisées consultent ont déjà connu plusieurs échecs dans pour le traitement de la dépression, il est en général leurs traitements. Suivre plusieurs approches en bien toléré.» La consultation des céphalées s’assure parallèle permet, outre une plus grande efficacité également qu’il n’y ait pas d’abus d’antalgiques. sur le long terme, de multiplier les petites avancées, et de redonner ainsi confiance aux patients Mais les neurologues de cette consultation ne se quant aux possibilités d’issue favorable.» ⁄ limitent pas à une approche médicamenteuse.

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