Polaroid

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polaroïds De sa confrontation aux forces naturelles, Guillemette Bonvoisin a ramené, par la grâce du Polaroïd, des échantillons instantanément capturés et pourtant infiniment résistants à Jean Métellus dont les origines haïtiennes

imprègnent fortement l’écriture, nous livre sa

Jean Métellus Guillemette Bonvoisin

toute volonté d’être apprivoisés. En parallèle,

vision poétique de l'alliance des éléments, indomptables et mystérieux.

18  - ISBN 2-911410-04-1



polaroïds Guillemette Bonvoisin

texte Jean Métellus

éditions Intensité


© Guillemette Bonvoisin pour les polaroïds, 2005 © Jean Métellus pour les textes, 2005 © éditions Intensité, 2005


à Jean-Yves Dubois

« Les éléments sont des substances et des forces » Gaston Bachelard




































Jean MĂŠtellus


Alliance



La terre accueille pierres et plantes, Jusqu’aux délires et aux aboiements L’orage en l’ébranlant laboure ses profondeurs Réceptacle de forces et de matières inertes ou vivantes Elle en est le sculpteur, le démiurge Au centre de son épaisseur, au cœur de sa chaleur Se construit non pas un tombeau mais un réservoir Un univers dont les parois couleur d’arc-en-ciel Hébergent toutes les poses de l’imposture Jusqu’à la musique tapageuse qui masque l’agonie Fait taire les infamies et les vacarmes du vent C’est par la terre que se parfume la sève des arbres séculaires Que s’enivrent les corolles, les chanterelles Sous l’assaut joyeux des abeilles et de la rosée Égayant le spectacle magique de la nature Quand se repose le feu du soleil Après sa course aérienne sur les pétales de rose Dans la fraîcheur de la brise ou de la pluie Oui, l’alliance des éléments élabore un mystère Qui sert d’offertoire à l’existence de l’homme Comme un savoir inaccessible à la compréhension Inscrits dans la vie, énigmatiques Ils nous invitent à la fraternité Nous arrachant chacun à sa manière Un vœu, une prière, un élan généreux et créateur


Ô Terre de déraison toujours enceinte, Sans possesseur mais convoitée par tous Convertie à toutes les cultures par abandon entre des mains véreuses Saisie par l’étonnement étrange de ne jamais rien refuser Ni le chanvre, ni le safran, ni le café, ni le cacao, Ni le manioc, ni les haricots, ni le blé, ni les épices Toujours disponible Terre sulfureuse et parfois engourdie Terre inconsolée et mise en pièces mille fois Et mille fois remembrée Habitée par des tubercules et des sambas Des chiens sans voix, des hommes et des femmes de mille beautés À chacun de tes gestes tout l’univers s’ébranle Et ta respiration s’accordant à la création Nourrit le mystère invisible qui fait trembler les fondations Terre socle et réceptacle Confidente de l’homme qui vibre A l’unisson de douleurs éphémères ou terminales Et aussi des brisures, des misères et des cacophonies Terre toujours prête à rattacher au ciel, à l’air Des esprits égarés, définitivement rejetés hors du monde des vivants Tu t’acharnes à renouer le dialogue, Toi, la piétinée, la malmenée, autour de laquelle S’enroulent dans un sens ou un autre Les malheurs et les bonheurs des hommes


L’eau toujours présente, sans cesse diverse Transparente et chaste, douce et reposante Dans les nuages, la brume ou la buée Dans les larmes de l’enfant ou la sueur de l’adulte Sur le front du chercheur ou le torse du forgeron Dans la glace qui se rompt et la grêle qui crépite Dans la gelée, le givre ou le verglas Dans les lagons limpides ou les flaques de boue Partout où l’homme debout et vivant a soif et s’impatiente Substance vigilante, lumière secrète du corps L’eau accompagne les angoisses et les douleurs Offre son absolution à toutes les détresses Assèche les ardeurs dans l’ombre du tout- puissant Elle peut à la fois féconder les sols et dévaster les forêts Assombrir l’horizon, humecter la poussière Ravager les plages, ressusciter les semis Et confondre l’orgueil des visionnaires et des prophètes Par ses impulsions sans fin, son élan magique Elle peut maîtriser tous les sens, Atteindre à l’éternité en effleurant le sable ou les parois des rochers Dans la petite main qui tremble et dans le poing qui frappe Dans la houle déchaînée, sur les fleurs radieuses des hibiscus Dans le regard noyé du moribond Sur les paupières crispées du nouveau-né L’eau attend, fidèle au rendez-vous de la vie


Oui, l’air, d’abord un simple souffle, le souffle de la vie Première prise sur l’existence, sur le chemin actif qui transforme le corps Et le met au contact des hommes et du monde Oui, l’air, comme ouverture sur l’univers et le cosmos Comme chemin de l’illumination et de la contemplation Pour consacrer l’indispensable union des âmes et la fusion avec l’éternité Symbole primitif de l’harmonie entre toutes les formes du vivant Qui brillent sous le soleil, dans les eaux et par-delà le visible C’est encore le premier cri de l’enfant Le son joyeux des trilles des oiseaux, des gloussements des basses-cours Le bruissement qu’on devine dans la course des nuages s’écartant ou se rejoignant S’amoncelant pour obscurcir le ciel et noircir le lointain Éclaircir l’horizon ou voiler les collines Comme un navigateur ensorcelé, il se trouve partout où la nature n’ose décider Brouillant ici le paysage, confondant le regard, noyant la vision À grands coups de volonté et de bourrasques Il balaie l’atmosphère et nous la rend limpide Et par sagesse ou paresse, il s’installe d’aise devant nos yeux Pour irriguer notre détresse ou notre tristesse Mais qu’il est beau s’il se répand dans les champs de blé ou les hautes futaies Dans les poumons des coqs, dans l’émoi des amants essoufflés Ou dans le chant de l’alouette ou du pipirite Traversant ainsi tous les espaces créés ou à créer Et défiant le désir de l’homme de le maîtriser Ou d’accéder à sa pureté, à son essence


Le feu réjouit le cœur et fume à l’horizon pour mesurer le courage de l’homme Tout craque entre ses cheveux, flammes de l’éternité Ce géographe de l’univers comme un prince insatiable Toujours étranger au monde et si proche du jour dans sa cruauté radieuse Raconte tel un anarchiste inconscient la puissance de la terreur, les vertiges de la dévastation Il est l’orgueil et la peste de tous les temps La recrue incontrôlée du vent, l’alarme et l’ivresse de l’herbe sèche La crépitation de la joie, l’illumination de l’avenir Le feu vertigineux, obstiné comme le destin Nous met en garde contre les déraisons et les passions Il nous protège de la dépravation Nous tenant à égale distance des transgressions et des désordres Il nous éloigne de toute fornication Et nous unit au prochain et au divin Feu de sagesse priant sur la panse d’un monde nu ou échevelé Il redouble ses assauts contre les palais bouffis ou maculés Feu sur tous les chemins labourés par la patience ou l’inconvenance des hommes Feu ambulant contre les guerriers et les trompettes des jours en habit de fête Feu dansant sur les ruines et les espoirs balayant reliques et souvenirs Feu mystérieux alimentant les chants d’esclaves marrons Feu cuisant à pleines flammes espoirs et déraisons, goujateries et poltronneries Comme un musée de plein ciel invitant ses visiteurs À l’opulence d’histoires ouvertes sur les mondes marin et souterrain Feu émerveillé et soutenu d’images toujours prêtes au martyre Comme ces aventuriers qui ne s’arrêtent qu’aux portes de la mémoire


polaroïds Guillemette Bonvoisin

Conception graphique et réalisation Dominique Mérigard pour les éditions Intensité à Paris Numérisation des images et photogravure les artisans du Regard à Paris Impression sur papier Blanc Munken Lynx 170g pour l’intérieur et 300g pour la couverture sous les presses de l’imprimerie Expressions II à Paris

Achevé d’imprimer en juin 2005 Imprimé en France Intensité éditions 50, rue du faubourg du Temple 75011 Paris Tél./fax : 01 47 00 98 00


polaroïds De sa confrontation aux forces naturelles, Guillemette Bonvoisin a ramené, par la grâce du Polaroïd, des échantillons instantanément capturés et pourtant infiniment résistants à Jean Métellus dont les origines haïtiennes

imprègnent fortement l’écriture, nous livre sa

Jean Métellus Guillemette Bonvoisin

toute volonté d’être apprivoisés. En parallèle,

vision poétique de l'alliance des éléments, indomptables et mystérieux.

18  - ISBN 2-911410-04-1


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