Coopératives

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Université Toulouse 2 Le Mirail UFR Sciences, Espace, Société Département Sciences Économiques et Gestion

Master Professionnel IES (Innovation par l’Economie Sociale) La Nouvelle Economie Sociale

COOPÉRER SUR LES TERRAINS CONFISQUÉS AUX MAFIAS EN ITALIE : LE MODÈLE LIBERA TERRA

Présenté et soutenu publiquement le 22 septembre 2010 par

François Fameli

Composition du jury Jacques Prades, directeur de recherche, Université Toulouse Le Mirail Geneviève Azam, co-directrice de recherche, Université Toulouse Le Mirail 1


Remerciements

A Jacques Prades, pour m’avoir dirigé sur ce mémoire et soutenu dans l’élaboration de mon projet, A Geneviève Azam, pour ses conseils et son intérêt pour le sujet traité, A Umberto, président de Libera Palermo, pour sa patience et sa pédagogie, A Veronica, stagiaire de Libera Palermo, pour son soutien permanent, A toute l’équipe de Libera Palermo, qui m’ont accueilli comme un des leurs durant mon stage et m’ont donné l’opportunité de m’intégrer à leur réalité quotidienne, Aux coopérateurs de la coopérative ‘Le Terre di Don Peppe Diana’, qui m’ont donné l’envie de suivre l’aventure Libera au-delà de la Sicile ; que leur enthousiasme indéfectible les suivent le plus longtemps possible, A Anna, qui m’a fait connaître Palerme et la joie des rencontres palermitaines, A tous ceux qui m’ont apporté aide, connaissances et curiosité, A la Sicile, terre aux mille couleurs, et sa jeunesse radieuse Et à l’Italie de tous ceux qui défendent la liberté.

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« La lutte contre la mafia doit être un mouvement culturel et moral qui nous concerne tous, principalement les jeunes générations, les plus aptes à sentir le frais parfum de la liberté, qui s’oppose à la puanteur du compromis moral, de l’indifférence et de la complicité » Paolo Borsellino

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Sommaire

INTRODUCTION ................................................................................................................................. 5 PARTIE I : .............................................................................................................................................. 9 Du paradigme mafieux au coopérativisme vertueux ............................................................................... 9 A / La constitution de l’objet d’étude mafia .......................................................................................... 10 1 / Pour une définition de la mafia .................................................................................................... 10 2 / Les champs de recherche sur la mafia .......................................................................................... 13 3 / Mafia et système économique ...................................................................................................... 15 B / une approche socio-économique...................................................................................................... 18 1/ Civisme, capital social et confiance généralisée ........................................................................... 18 2 / Quels remèdes pour l’émancipation sociale : antimafia et économie sociale deux remèdes de la société civile locale ........................................................................................................................... 21 C / La requalification des biens saisis à la criminalité organisée .......................................................... 24 1 / La loi La Torre ............................................................................................................................. 24 2 / Les mécanismes d’assignation des biens...................................................................................... 26 3 / Critiques et observations sur la loi 109/96 ................................................................................... 27 D / Coopérativisme et émancipation sociale ......................................................................................... 28 1 / Définition de l’économie sociale.................................................................................................. 29 2 / Ethique, Innovation et émancipation sociale ................................................................................ 30 Conclusion ......................................................................................................................................... 30 PARTIE II : RAPPORT DE STAGE .................................................................................................... 34 LE MODELE LIBERA TERRA ........................................................................................................... 34 LIBERA : qu’est ce que c’est ? ............................................................................................................. 36 Libera en Sicile...................................................................................................................................... 41 Présentation du Stage ............................................................................................................................ 47 Les autres expériences locales ............................................................................................................... 50 Illustrations ............................................................................................................................................ 51 PARTIE III ............................................................................................................................................ 55 Le projet Libera Terra : le modèle Placido Rizzotto et la future coopérative Le Terre di Don Peppe Diana ..................................................................................................................................................... 55 Le modèle Placido Rizzotto .................................................................................................................. 56 La coopérative Le Terre di Don Peppe Diana ....................................................................................... 71 Conclusion ............................................................................................................................................. 79 Bibliographie ......................................................................................................................................... 82 Annexes ................................................................................................................................................. 84

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INTRODUCTION L’Italie du Sud et la Sicile en particulier, pâtissent encore aujourd’hui de l’image négative due à la présence mafieuse. Ces régions d’origine des mafias sont également les régions les moins riches, possédant le moins d’infrastructures permettant un développement des échanges économiques (autoroutes, réseau ferré …) et le moins de dépenses sociales par habitant en Italie. Une fois ce cadre établi, la question qui frappe l’observateur est de savoir si la mafia est cause ou conséquence du retard économique et social ? Le philosophe italien Gramsci est le premier à parler de la question méridionale dans ses écrits et de faire une analyse marxiste du développement du Mezzogiorno, faisant de la mafia une conséquence du mal développement. Il existe aujourd’hui un vaste champ d’études sur cette question prenant largement en considération la question mafieuse sous différents angles afin d’expliquer les liens qu’entretiennent mal développement et criminalité organisée. C’est dans ce contexte social particulier que naissent également de nouvelles pratiques économiques et sociales, fruits de la société civile et cherchant à affirmer une nouvelle culture antagoniste au laisser faire et au compromis mafieux. En m’informant sur les phénomènes mafieux et anti mafieux en Italie, j’ai rencontré l’association « Libera ,associazioni nomi e numeri contro le mafie » (Libera, associations, noms et chiffres contre les mafias) qui outre le fait de militer pour la confiscation et la réutilisation sociale des biens saisis à la criminalité organisée, crée à travers ses différentes coopératives sociales un nouvel élan économique dans des territoires particulièrement touchés par le phénomène mafieux. La dimension économique et non seulement militante de l’association, qui compte aujourd’hui plus de cinq coopératives sur des terrains appartenant autrefois à d’importantes figures mafieuses, m’a particulièrement intéressé et poussé à me déplacer directement sur le terrain afin de réaliser pleinement ce qu’économie solidaire et changement social signifient. L’objet d’étude de ce mémoire est la relation entre économie solidaire et société civile dans des territoires aux difficiles conditions économiques à travers l’exemple de Libera à Palerme et dans la province palermitaine.

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L’association, créée en 1995 par le père (ou prêtre) Don Luigi Ciotti est née autour de la question de la réutilisation sociale des biens saisis à la criminalité organisée en obligeant l’Etat à organiser un référendum populaire sur la question, grâce au million de signatures recueillis lors d’une pétition nationale, conformément à la loi en vigueur en Italie. La loi sur la réutilisation sociale des biens appartenant ou ayant appartenu à la mafia fut approuvé par le gouvernement par un décret en 1995 puis une loi cadre en 1996. On compte aujourd’hui plus de 9000 biens confisqués dont la moitié ont été assignés à des associations ou coopératives sociales, permettant de donner un signal fort contre la présence territoriale mafieuse. Si la réutilisation sociale permet de donner une visibilité grâce à des actions sociales concrètes comme la création de maison pour jeunes en phase de rupture avec le système éducatif, centre de désintoxication et réhabilitation pour toxicomanes ou encore crèches ou centre aérés, tous gérés par des coopératives sociales financées à la fois par les services publics et des financements privés, peu de biens réutilisés proposent toutefois d’entreprendre de nouvelles activités entrepreneuriales au sens propre du terme. Les coopératives de Libera Terra sont l’une des très rares réalités économiques mêlant lutte contre la criminalité organisée et défense de la légalité, esprit coopératif et entreprenariat social en phase avec les territoires concernés, dans une optique de changement économique et social durables ; au point d’être considéré aujourd’hui comme un modèle de référence pour l’Agence Nationale des biens confisqués aux mafias en Italie. L’objectif de ma recherche sera de démontrer dans un premier temps comment l’économie sociale se veut promotrice de valeurs antagonistes à celles de l’individualisme capitaliste et de l’esprit mafieux et peut à ce titre permettre un changement social grâce à la diffusion d’une culture de l’entreprenariat en phase avec le développement durable des territoires. Je m’appuierai sur l’exemple réel des coopératives de Libera Terra dans la province palermitaine et leur modèle économique s’appuyant sur un réseau dense d’entreprises et d’associations socialement responsables. Pour appuyer mes recherches nous essaierons d’établir un cadre théorique concret qui puisse correspondre à l’étendue de mes travaux. Nous émettrons l’hypothèse selon laquelle le modèle coopératif puisse être porteur de développement horizontal non seulement dans les territoires aux conditions historiques et sociales plus propices à ce genre de modèle économique, mais également dans des territoires plus pauvres et en apparence moins prompt à l’expansion de ce genre d’économie. 6


La première partie de ce mémoire sera dédiée au cadre théorique dans lequel nous situons notre recherche. Le premier chapitre nous permettra de nous familiariser avec le contexte local en cherchant de comprendre le phénomène mafieux à travers différents paradigmes et notamment celui de la complexité élaboré par le sociologue Umberto Santino , faisant du dit phénomène un domaine de recherche possible pour l’ensemble des sciences humaines et économiques. Nous examinerons l’évolution des paradigmes explicatifs du phénomène mafieux en fonction de l’évolution des organisations mafieuses elles mêmes et Cosa Nostra en particulier ; de l’explication culturaliste faisant de la mafia « un comportement, une mentalité ou code comportemental, une sous culture sans organisation » à l’analyse postmoderne considérant la mafia entrepreneuse comme une organisation principalement économique, hyper organisée dans la défense de ses intérêts. Le second chapitre approfondira la thèse culturaliste en définissant à l’aide des approches de sociologues ou politologues comme R.Putnam et les concepts de capital social des territoires et de société civile. Puis le paradigme entrepreneurial à travers le concept de confiance, indispensable à toute transaction économique, faisant de la mafia un intermédiaire de toute transaction comme une police d’assurance et donc une industrie de la protection privée. Une fois définis les termes suivants nous nous pencherons sur le cas de la coopération comme système économique et social capable d’agir sur le développement économique et l’émancipation sociale. Nous partirons d’une identification de la société civile locale ayant comme caractéristique commune la défense de la légalité. Le troisième chapitre nous permettra de donner de la profondeur aux thèses sur la responsabilité sociale en parlant de responsabilité économique et d’empowerment grâce aux apports théoriques sur la question.

Dans une deuxième partie nous analyserons les coopératives appartenant au consortium Libera Terra Mediterraneo, commercialisant les produits réalisés sur les terrains saisis aux mafias dans la province de Palerme. La coopérative Placido Rizzoto, situé à San Giuseppe Jato dans la plaine de l’Alto Belice à une trentaine de kilomètres de la capitale sicilienne, est la première expérience de réutilisation de biens ayant appartenu à l’organisation mafieuse Cosa Nostra dans le but d’en faire une coopérative agricole. Elle compte aujourd’hui plus d’une quinzaine de travailleurs fixes entre associés et employés. La coopérative Portella della Ginestra, situé dans une ex maison de campagne d’un chef mafieux local, est quant à

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elle devenue un agro-tourisme et est composée d’un restaurant et d’une maison d’hôte. Cette partie correspond à mon rapport de stage de master.

Dans une troisième et dernière partie nous parlerons du projet Libera Terra de création de nouvelles coopératives sur les terrains confisqués. La coopérative Placido Rizzotto, premier modèle créé par Libera, a fait l’objet de plusieurs recherches universitaires dans les champs de la sociologie, de l’économie ou des sciences politiques en Italie. Aussi je souhaiterai profiter des travaux déjà effectués pour élaborer une future recherche sur la nouvelle coopérative Le Terre di Don Peppe Diana dans la province napolitaine. J’ai pu lors de mon séjour de stage, profiter des cours de formation proposés aux futurs sociétaires de cette coopérative justement au sein de la coopérative sicilienne pour les rencontrer. Je souhaiterai donc parler ici de la création de la coopérative de Libera Terra dans la banlieue napolitaine, dont les statuts devraient être déposés courant septembre 2010. Je baserai mes travaux sur la grille d’analyse Cerises.

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PARTIE I : Du paradigme mafieux au coopérativisme vertueux

Nous essaierons dans cette première partie d’analyser le phénomène mafieux, à la fois comme une caractéristique historique et culturelle de régions méridionales d’Italie et de la Sicile en particulier, mais aussi selon une approche économique en analysant le système mafieux comme un véritable système économique propre au capitalisme. Nous nous pencherons sur la constitution de l’objet d’étude dit « mafia » au fil de l’histoire et selon les divers paradigmes témoignant l’évolution de la conception du problème mafieux ; d’une approche typiquement culturaliste de l’après guerre aux années 1970 jusqu’à la découverte d’un système économique et politique complexe au début des années 1990 et la chute de la première république italienne en 1992 suite à l’affaire Mains Propres2. L’essence de notre recherche servira à justifier l’importance du consensus économique permettant la survie du phénomène mafieux, fait à la fois d’illégalité, de corruption et de comportements pseudo illégaux, afin de démontrer pourquoi le système coopératif représente une opposition concrète au capitalisme philo-mafieux en vigueur dans l’Italie méridionale. L’étendue de ces découvertes éclairera le champ de l’économie sociale comme un outil adéquat de lutte pour l’émancipation sociale et économique de territoires comme la province palermitaine, aux ressources naturelles et sociales importantes.

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Affaire de corruption entre mafia et parties politiques portant à la dissolution de la Démocratie Chrétienne, principal parti de gouvernement à partir de l’après guerre.

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A / La constitution de l’objet d’étude mafia 1 / Pour une définition de la mafia Comment définir la mafia ? Est-ce une simple organisation criminelle provenant de l’Italie méridionale (et non seulement) ou plutôt une forme de sociabilité et de pouvoir propre à ces territoires ?

Le terme mafia apparait pour la première fois dans la seconde moitié du XIXème siècle pour définir le « brigandage de ville » à Palerme puis pour définir la population violente et primitive de la province palermitaine n’ayant pas la conscience d’un Etat libéral. Il s’agit alors d’un usage restreint utilisé d’abord par quelques auteurs3 puis par les autorités comme les préfets de police siciliens après l’unification de 1860 et la gestion de manière autoritaire de la Sicile par le nouveau gouvernement italien. L’avènement de l'Etat libéral et la découverte d’une nouvelle réalité socioculturelle dans l’ensemble du Mezzogiorno, représente pour les nouvelles autorités et l’aristocratie locale un problème de taille que Gramsci nommera Question méridionale. Il est alors de commune mesure de penser le début de l’organisation criminelle en tant que telle dans la médiation entre propriétaires terriens et paysans, dans la défense des intérêts des propriétaires terriens en échange d’une garantie politique auprès des masses. Il serait pourtant erroné de penser le phénomène mafieux à travers la seule explication de la réforme agraire, c'est-à-dire la correspondance entre latifundium4 et mafia d’une part et petite propriété et progrès social d’autre part. Selon l’historien sicilien Salvatore Lupo cette façon de lire le phénomène : « représente en réalité une façon de lire le phénomène comme un résidu plus ou moins féodal, en le projetant vers un obscur passé et en libérant l’avenir de cette sombre hypothèque 5». L’absence de marché économique concurrentiel et la carence de l’Etat de droit sont l’une des raisons du développement de la mafia en Sicile dès l’unité italienne. L’idée 3

Giuseppe Rizzotto in I mafiusu della Vicarra, 1863 Grand domaine agricole 5 Lupo in Histoire de la Mafia, des origines à nos jours , Flammarion 1999 4

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commune voudrait qu’il se soit diffusé en Sicile une société sans Etat, c'est-à-dire un système fait sur mesure par certains habitants en fonction de leurs intérêts et des avantages qu’ils pouvaient obtenir de leur constante opposition et négociation avec l’Etat central : « comme une bourgeoisie parasitaire caractérisé par de profonds aspects conservateurs comme la défense de l’ordre et de la stabilité »6. L’acceptation sociale (non sans violence et rebellions éphémères7) de cette nouvelle situation suite à l’unification italienne, fait ressortir non seulement l’archaïsme économique de la société féodale en vigueur avant le Risorgimento, « mais également son pendant socioculturel, qui fait du comportement mafieux une conséquence directe de l’anthropologie implicite des siciliens ou plus largement des méridionaux ; cette culture serait caractérisée par la méfiance vis à vis de l’Etat et donc par l’habitude de se faire justice soi-même, par le sens de l’honneur, le clientélisme, le familialisme qui soustrait l’individu à la perception de ses propres responsabilités face à une collectivité plus vaste que celle d’origine » 8. L’explication culturaliste pourrait cependant avoir le fâcheux défaut de faire du phénomène mafieux une fatalité immuable due à la mentalité méridionale et par là même occulter l’histoire de l’antimafia d’avant les années 1990 mais aussi faire le jeu de ceux qui font tout pour ramener l’ensemble de cette thématique à celle de l’anthropologie méditerranéenne et nier l’existence d’une organisation criminelle mafieuse10. Au-delà de l’interprétation anthropologique, qui reste certainement valable pour les classes populaires et encore peu instruites de l’Italie méridionale, l’explication du phénomène mafieux passe aussi par la violence utilisée pour maintenir le respect de l’ordre économique en vigueur. La mafia devient alors une industrie qui produit, promeut et vend de la protection privée11. Ce paradigme de la mafia entrepreneuse apparaît dans les années 1970 et le passage d’une mafia archaïque basée sur l’honneur et le pouvoir à une mafia moderne accumulatrice de capital grâce aux marchés illégaux et la généralisation de l’extorsion par l’impôt mafieux. 6

Umberto Di Maggio, in Le politiche di utilizzo sociale dei beni confiscati alle criminalità organizzate per lo sviluppo locale siciliano, 2008. 7 Du mouvement paysan appelé Fasci dei lavoratori (faisceaux de travailleurs) 8 Lupo, 1999. 10 Lupo : « on ne peut éviter de remarquer à quel point l’effort pour ramener l’ensemble de cette thématique à celle de l’anthropologie méditerranéenne coincide avec l’interprétation que tendent à donner d’eux même les mafieux, tous contents d’apparaître comme d’inoffensifs oncles de campagne plutôt que comme les membres de dangereuses organisations criminelles ». 11 « L’activité spécificique des mafieux consiste à produire et vendre un service rare, intangible, et indispensable dans la majorité des transactions économiques. Plutôt que de produire des voitures, de la bière ou des cacahuètes, ils produisent et vendent de la confiance. » Gambetta D., 1988, in Putnam, Making Democracy works, 1993.

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Cette industrie de la protection privée est rendue possible par une société ou domine un sentiment de méfiance vis-à-vis d’autrui et une insécurité permanente. Cette explication du phénomène se rapproche de la thèse culturaliste en faisant part de faibles relations de confiance entre les individus12 qui ralentirait les échanges économiques sans la présence d’un agent intermédiaire. Cette thèse de la mafia entrepreneuse s’oriente plus sur le facteur protection vendue par les mafieux que sur le facteur racket et insécurité, créé par les mafieux eux-mêmes13. C'est-à-dire que sans violence ni insécurité le marché de la sécurité ne pourrait exister. La mafia crée donc son propre marché pour pouvoir se proposer comme solution, une sorte de « désordre organisé » ou la création de fausses menaces afin de se porter garant de l’ordre. En voulant considérer la mafia comme un simple intermédiaire protecteur on alimente cette vision romancée d’une mafia défendant l’entreprenariat, qui a conduit non seulement a sous estimer le phénomène mafieux et nier pendant longtemps qu’il puisse exister une organisation structurée mais également à soutenir les mafieux et favoriser les rapports entre politique et mafia. Le marché de la protection possède aussi d’autres fonctions qui ne sont pas strictement économique comme le contrôle du territoire et la possibilité de prendre le contrôle d’entreprises par divers biais (intimidation, racket, usure, violence) afin d’en faire des coquilles vides servant au recyclage de l’argent sale. Enfin, la protection est seulement l’un des nombreux marchés des mafias. Rien ou presque rien n’empêche la mafia de créer son propre système économique ainsi qu’un système complexe de relations avec le pouvoir politique, dont la maçonnerie est un exemple à prendre en considération non seulement dans le modèle d‘organisation mais également dans les relations directes entre mafieux et hommes de pouvoir (cf. sentences juridiques sur les loges maçonniques P2 sous la première république italienne). Les nombreux cas de corruption et de connivence entre mafieux et hommes politique sont la pointe visible de l’iceberg ou plutôt de la pieuvre aux nombreux tentacules qu’est la mafia.

Le paradigme de la complexité implique donc deux considérations essentielles. La première est le polymorphisme du phénomène mafieux fruit de l’interaction de nombreux

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« L’absence d’Etat crédible dans le respect des lois fut une des raisons de l’émergence de la Mafia, l’autre, pas moins importante, fut la culture ancestrale de non-confiance. » Putnam R., Making democracy works, civic traditions in Modern Italy, 1993. 13 Umberto Santino, Stereotipi e paradigmi, 2006.

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aspects (accumulation capitaliste, code d’honneur, consensus social …) ; le second est le réseau de relations entre les mafias et leur contexte social et politique. L‘idée de network et de connivence entre politiciens corrompus et cosche14 criminelles fut déjà dévoilé par certains chercheurs dès les années 1970 : « pour détruire la mafia il est indispensable que le gouvernement cesse d’être le roi de la mafia » (Colajanni 1971). Cette interprétation, plus que jamais d’actualité, explique parfaitement la complexité de la problématique mafieuse et offre certaines solutions à la lutte contre la criminalité organisée.

2 / les champs de recherche sur la mafia Les historiens sont dans l’ensemble d’accord pour dater le début du phénomène mafieux durant la période de l’unification de l’Italie, sans nier l’existence de phénomènes pré mafieux auparavant. Les premières recherches sur la mafia furent toutefois d’ordre anthropologique. Elles mirent en évidence un type de comportement typique des sociétés méridionales ou le sens de l’honneur et l’omertà15 étaient de coutumes. L’ensemble des recherches se réduisaient à des caractères culturels, jusqu’aux premières observations participatives d’anthropologues américains dans les années 197016. La découverte d’une mafia organisée au début des années 1980 firent changer de bord les recherches successives, qui se portaient et continuent de se porter pour la plupart sur le mode d’organisation des cosche criminelles. Les attentats du début des années 199017 à Palerme et dans le reste de l’Italie par l’organisation mafieuse Cosa Nostra accentuèrent la vision d’une structure hyper organisée. La production scientifique et académique de ces dernières années a subi elle aussi un changement de cap. Les productions sur la société mafiogène ont été surpassées par les productions scientifiques sur les modes d’organisation et de gestion des clans mafieux, faisant dire au sociologue sicilien Santino que l’on est passé « d’une indigestion d’informel à une overdose de super structuré »18. L’apparition d’une mafia violente et organisée avec l’assassinat du général Dalla Chiesa en 1982 marque un tournant dans l’histoire de l’analyse de la mafia. La même année le délit 14

Clan mafieux Loi du silence 16 H.Hess, Mafia : le origini e la struttura, 1970 ; J.Schneider, Classi sociali, economia e politica in Sicilia, Rubettino, 1976 17 Contre les juges Falcone, Borsellino et autres représentants de l’Etat 18 U.Santino, 2006. 15

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d’association mafieuse fut créée, et la mafia devint un problème juridique mais également politique puisque l’Etat régalien était lui-même menacé pour la première fois. Le système juridique fut malheureusement incapable d’anticiper l’évolution de la mafia puisque toutes les grandes lois sur le sujet furent votées au lendemain d’évènements tragiques comme l’assassinat des juges antimafia Falcone et Borsellino.

Selon le sociologue sicilien Umberto Santino, spécialiste de la mafia et président du Centre de Recherches Peppino Impastato19 de Palerme, les recherches sur la mafia se réduisaient auparavant principalement sur les caractères culturels laissant de côté les possibles informations faisant référence à l’existence de structures organisées ; aujourd’hui la grande partie des recherches sur la mafia se réduit à l’organisation en oubliant les facteurs culturels et sociaux qui ont eu et continuent d’avoir une certaine importance. La recherche ethnographique a analysé les processus de transformation du phénomène mafieux à travers un regard anthropologique qui, par l’impossibilité de faire une observation participative, s’est basé principalement sur les témoignages de repentis et collaborateurs de justice. L’analyse socio-ethnologique s’est concentrée sur l’élaboration d’un « système » ou « contexte relationnel » définissant l’ensemble des relations externes, s’inspirant des thèses culturalistes. Les recherches dans le champ de la psychologie et de la psychanalyse dans les dernières années ont repris le mythe de la Sicile sans cesse dominée, accusant les siciliens d’un sentiment et d’un psychisme mafieux (lié à l’omertà) transmis trans-personnellement, c'est-à-dire inconsciemment, à l’intérieur duquel le familialisme amoral22 ne permet pas de développer le sens de l’Etat, de la polis, où les comportements positifs se limitent aux personnes inclues (à la famille, au quartier). Les économistes, italiens et étrangers, ont également analysé le phénomène mafieux à travers le problème du rapport entre mafia et développement. Le problème tient dans la définition du développement. Si on l’entend seulement sur l’aspect économique alors il faudrait prendre en considération les couts de l’illégalité mais aussi les recettes qui sont

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Centre de documentation et de recherches autonome sur le phénomène mafieux, dédié au militant Peppino Impastato assassiné en 1978. Voir le film I cento passi relatant la vie et la mort de Peppino Impastato. 22 « Familialisme parce que c’est l’intérêt du noyau familial qui commande le comportement à adopter ; amoral parce qu’en dehors de ce noyau les principes de bien et de mal abstraitement défini n’ont pas cours » in En attendant Putnam. La “culture de défiance ” italienne dans la science politique américaine de l’après-guerre : l’œuvre d’Edward C. Banfield, Roux C., 2003. Voir www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee2003-3-page-463.htm

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ensuite réinvesties dans l’économie légale et participent à la croissance du PIB

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(trafics de

stupéfiants et autres marchés illégaux). Si par développement on entend en revanche l’amélioration des conditions de vie dans les territoires sous influence mafieuses, alors le rôle de la mafia ne peut qu’être négatif, conditionnant la vie quotidienne des personnes et leurs relations sociales.

3 / Mafia et système économique L’analyse historique du phénomène mafieux nous montre comment mafia et capitalisme, à partir de l’unité italienne, sont liés. La première analyse économique du phénomène mafieux, inspirée de Max Weber et élaborée par Pino Arlacchi, s’intitulait « éthique mafieuse et esprit du capitalisme »24. On y fait l’analyse d’un sujet entrepreneurial même si cette analyse est dépassée car la mafia est un sujet capitaliste rentier, à tendance monopolistique. Pour pouvoir définir la mafia comme un sujet entrepreneurial il faudrait mettre en évidence son caractère innovant25, qui est difficilement identifiable dans les activités légales de celle-ci puisque servant uniquement de vitrine pour pouvoir recycler l’argent de la sphère illégale. Sa grande capacité financière lui permet pourtant d’investir dans des marchés innovants et prometteurs, nécessitant de gros investissements de base, comme le démontrent les enquêtes récentes sur l’énergie renouvelable dans le sud de l’Italie ou la pression politique pour l’opération du pont sur le détroit de Messine. L’expansion des entreprises philo-mafieuses ne peut à elle seule définir la mafia comme un sujet entrepreneurial car cette expansion obéit à de fortes règles clientélistes, redistributrices et anticoncurrentielles pour garantir aux affranchis une position dominante. Selon l’analyse de Pino Arlacchi26, les avantages d’un entrepreneur mafieux par rapport aux entrepreneurs agissant dans la légalité peuvent se constater par : la possibilité de décourager ses concurrents sur le marché, la possibilité d’obtenir un coût réduit de la force de travail en créant des conditions de précarité, une sécurité financière pour ses propres transactions. Le coté innovant, peu identifiable dans les marchés légaux infiltrés par les mafias, pourrait apparaître par le biais des activités illégales de celles-ci. 23

Chiffre d’affaire 2009 des mafias en Italie évalué à 135 milliards d’euros, selon l’agence nationale antimafia italienne. 24 P.Arlacchi, Mafia et Compagnies ou l'Éthique mafiosa et l'esprit du capitalisme, 1986 25 Cf. Schumpeter 26 Sociologue et politicien italien.

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Attardons nous sur a définition faite par Pollari27 sur l’aspect entrepreneurial de la mafia : « après avoir repéré les fonds à disposition pour construire sa propre activité, elle [la mafia] fournit des « biens » et « services » [illicites] à un ensemble de consommateurs/victimes d’elle même, et pour telles activités de « mise sur le marché » en récupère un « prix ». La différence se situe dans le caractère criminogène de ces biens et services qui ne peuvent être appréciés comme utilité ». Les activités d’extorsion comme le pizzo, dans les zones industrielles du Mezzogiorno, n’est plus une activité de simple extorsion nous rappelle Roberto Saviano28, mais peut permettre aux entrepreneurs d’accéder à un réseau détenu par les entrepreneurs affiliés leur permettant d’optimiser leurs relations économiques. On peut affirmer de manière provocatrice que mafia et développement ne sont donc pas incompatibles. Mais il s’agit évidemment d’un développement à sens unique. L’inventivité des circuits financiers de la mafia (capable aujourd’hui d’émettre des factures pour le pizzo ou d’infiltrer la plus grande entreprise de télécommunication privée du pays cf. affaire Fastweb29) font que l’on rencontre de grandes difficultés quand l’on essaie d’établir une frontière nette entre économie légale, semi-légale, mafieuse, corrompue … difficultés qui semblent insurmontables. La mafia dans son ensemble fait référence à un certain type de criminalité organisée caractérisée par la capacité de s’enraciner dans un territoire, d’exercer des formes de contrôle sur la société, de disposer de considérables ressources économiques et de type militaire et de bénéficier d’un certain de degré de consensus social30. D’un point de vue strictement économique, les considérables ressources dont dispose la mafia (170 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2008 selon les estimations31) lui permettent d’investir de nombreux marchés mais également de délégitimer l’Etat dans sa fonction sociale en assurant elle-même certaines fonctions indispensables pour les classes populaires (obtention d’un emploi etc.). La tendance actuelle de la mafia, forte de ressources financières énormes, est l’investissement sur les marchés financiers plutôt que dans l’immobilier devenu trop risqué à cause de la possible confiscation des biens : « les biens au soleil, plus facilement individualisables et confiscables par l’Etat ont été surpassés par le grand marché de la finance qui offre mille possibilités de camoufler de telles richesses et de les utiliser d’une 27

Général italien de la Guardia di Finanze Roberto Saviano, journaliste italien, Trente Festival dell’economia, avril 2010 29 Enquête financière en cours sur l’infiltration mafieuse au sein du premier opérateur internet italien Fastweb 30 Sciarrone R., Mafie vecchie, mafie nuove, radicamento ed espansione, 1998, p.44 in Di Maggio, 2008, p.14. 31 Source Cofindustria, syndicat patronal italien, rapport de 2008 28

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manière plus avantageuse »32, révèle le magistrat antimafia Antonio Ingroia, ancien acolyte de Paolo Borsellino. Ainsi, si la mafia n’est plus aussi visible qu’auparavant sur les territoires concernés il serait pourtant faux d’admettre sa disparition. Au mieux peut-on penser à un déclin de ses activités et de son consensus social S’il semble impossible d’esquisser une définition exacte de la mafia tant son analyse peut être transversale à toutes les sciences humaines (cf. paradigme de la complexité), on peut tout de même évoquer avec quelle habilité celle-ci réussit à pénétrer le système économique capitaliste avec si peu d’éthique.

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Ingroia A., magistrat antimafia, 2007, in Di Maggio, 2008, p20.

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B / une approche socio-économique Après avoir essayé de définir l’objet d’étude du phénomène mafieux, démontrant qu’il ne s’agit ni de le traiter d’une manière criminologique ni d’une manière « romantique » en faisant des mafieux des criminels et des anti mafieux des héros, nous essaierons de comprendre l’origine des liens entre la présence d’une « société mafiogène », pour reprendre les mots d’Umberto Santino34, c'est-à-dire d’une société qui présente certaines caractéristiques particulières qui facilitent la reproduction du phénomène mafieux, et un développement économique encore loin des standards de l’Europe occidentale. Nous nous attarderons sur l’approche culturaliste à la lumière de certains paradigmes éclairant le caractère éthique de l’économie solidaire. A partir de définitions des termes sociopolitiques de société civile et capital social, l’objectif sera d’identifier les leviers sur lesquels les politiques antimafias et de développement durable (au sens propre du terme) des territoires à présence mafieuse doivent s’appuyer.

1/ Civisme, capital social et confiance généralisée

a) La société civile Selon une approche marxiste-gramscienne la société civile est tout ce qui est tiers à l’Etat et qui n’est pas formalisé en définitions publiques35. Elle représente l’espace pour la circulation des idées et des modèles culturels. Pour cette raison c’est seulement à partir de la société civile que peuvent partir les vraies et profondes mutations structurelles permettant de réaliser des parcours de développement et de progrès. Le plus difficile reste l’identification de cette société civile. Dans l’exemple palermitain la société civile pourrait être la société qui s’opposerait avec force et vigueur contre les systèmes de relations sociales en place. Tel processus de changement est long et peut paraître vain faute d’espoir et d’attachement particulier au territoire36, mais on peut observer dans la capitale sicilienne une société civile active dans la bataille de la légalité, de la promotion de valeurs antagonistes au compromis mafiogène mais également dans la promotion de nouvelles règles 34

Santino, 2006. « Cette distinction même entre société politique et société civile et d’ordre ‘méthodique’ et non ‘organique’ car dans la réalité concrète, société civile et état se confondent ». Pour Gramsci, MA Macchiocchi, p 163. 36 Cf. Leonardo Sciascia : « Comment fait on à être sicilien ? Avec difficultés », répondait-il. 35

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de production et d’échange. Cette société civile représente le « bon capital social » sicilien. Malgré son déni envers l’Etat la mafia existe grâce aux comportements anti-éthiques de ses affiliés et ne peut à ce titre être partie prenante de la société civile.

b) Le capital social Pierre Bourdieu définissait le capital social comme « la possession d'un réseau durable de relations, d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance ». Cette définition sera reprise et modifiée par la sociologie nord américaine de Coleman37 puis le politologue R.Putnam. Coleman ajoute à la définition de Bourdieu que « le capital social est défini par sa fonction et est inhérent à la structure sociale »38. Il élude donc la question de la création de ce dit capital en le définissant uniquement par sa fonction. Robert Putnam va plus loin, pour lui le capital social doit pouvoir « améliorer l’efficacité de la société en facilitant les actions coordonnées »39. Il élargit la conception de capital social et le désigne alors par « les caractéristiques de l’organisation sociale telles que les réseaux, les normes et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel ». Ce capital social est fruit d’une production historique linéaire et constitue les normes et valeurs des groupes sociaux à l’intérieur desquels les individus vivent et créent de nouvelles valeurs. Dans son étude sur l’Italie, Putnam nous raconte pourquoi les régions les plus riches et développées sont aussi le plus civique : la chronologie est formelle, ces régions étaient civiques avant d’être riches. La confiance ou la capacité de coopération entre les personnes détermineraient le niveau de développement des territoires. Cette confiance chère à Putnam, promotrice de coopération sociale et économique doit représenter le bon capital social et la « révolution culturelle » que doit entreprendre le sud pour pouvoir s’émanciper et se développer. Le chemin pour renverser totalement le système de valeurs mafiogène basé sur la méfiance sera sans aucun doute un processus long et inédit. Le remplacement de la méfiance et de la défiance par la confiance dans l’ensemble des rapports sociaux sera l’aboutissement de la « révolution culturelle sicilienne »40 .

37 Coleman J. , sociologue maéricain in Social Capital in the Creation of Human Capital, 1988. 38 S.Pontieux, Le capital social, La Découverte, 2006. 39 Putnam, Making democracy work, 1993, Chapter 5. 40 Car il s’agit de la région plus riche et plus en avance sur la question dans le Mezzogiorno

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Toutes les innovations économiques et sociales locales, la promotion de la connaissance et de nouveaux savoirs participent à la création de ce renouveau culturel.

c) la confiance Comment une confiance privée peut elle devenir confiance généralisée ? Essayons avant tout de définir le concept de confiance. La confiance est plus qu’une condition nécessaire aux échanges économiques, c’est « la substance du lien social » nous dit la philosophe de l’économie Marie Cuillerai41, « ce que chacun tresse avec les autres, sans s’en apercevoir (…) au fil des interactions ». La confiance est le substrat sur lequel s’enracinent la solidarité et la réciprocité, « elle habite cet espace que Hegel appelait la société civile et qu’il concevait comme le milieu où se déroule la vie éthique ». Dans le champ économique, la confiance est une condition immatérielle nécessaire à toute transaction. Si la mafia « produit et vend de la confiance » selon Gambetta, c’est qu’il s’agit d’un bien privé que le système social tend à préserver comme tel dans l’intérêt d’une minorité. Dans un environnement social violent la culture de la méfiance devient une nécessité, une sorte de stratégie rationnelle pour survivre dans ce contexte social.

Pour Putnam, la confiance sociale « dans les complexes contextes modernes peut avoir deux sources originelles – les normes de réciprocité et les réseaux sociaux d’engament civique »42. Il est encore trop tôt pour voir des normes de réciprocité basées sur la confiance se répandre de manière générale dans les territoires à présence mafieuse, mais on peut voir une réelle expansion du réseau social d’engagement civique, principalement dans la capitale sicilienne, depuis le milieu des années 90’. « Les réseaux d’engagement social sont également essentiels. Plus le réseau est dense et développé, plus les acteurs coopéreront dans un intérêt mutuel »43. La Sicile a vécu une révolte légalitaire au lendemain des attentats qui touchèrent Palerme où les juges Falcone et Borsellino, ainsi que leurs escortes, se firent tragiquement assassiné. Un mouvement autonome de personnes se regroupant en collectifs et associations décidèrent de descendre dans l’arène publique pour que la bataille contre Cosa Nostra ne

41

Marie Cuillerai, Le capitalisme vertueux, Payot et Rivages, 2002 Putnam, 1993, Ch.6 43 Ibidem. 42

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s’arrête pas à ces tragiques évènements. Cette période est encore rappelée avec une grande émotion par les habitants de Palerme qui la définissent le « Printemps Sicilien ». Société civile, capital social et confiance généralisée sont directement liés et passent tous, en Sicile, par la bataille de la légalité (au sens éthique et non bureaucratique).

2 / Quels remèdes pour l’émancipation sociale : antimafia et économie sociale deux remèdes de la société civile locale

Le mouvement antimafia, tel qu’il est souvent décrit actuellement, est un mouvement spontané de personnes auto-organisées et autogérées, désirant lutter contre le compromis mafieux par des batailles d’information et de sensibilisation publique sur le système social corrompu dans lequel vivent sans le savoir (ou en le niant trop souvent) la majorité de la population. Ce mouvement caractérisé par le terme « anti » (mafia) peut facilement être caractérisé comme « dénonciateur », de la corruption ambiante, et arrive difficilement dans les classes sociales les plus basses où cet adjectif ne peut être perçu comme émancipateur. La vision d’une antimafia née dans les années 1990 ou en regardant un peu plus loin au début des années 1980, c'est-à-dire après l’assassinat de représentants de l’Etat (à partir du général Dalla Chiesa en 1982), est une vision tronquée oubliant l’histoire de la Sicile et des mouvements paysans du XIXème siècle œuvrant pour une réforme agraire et férocement réprimés par la mafia, qui portèrent à l’exil plus d’un million et demi de paysans en moins d’un siècle. Avant l’institutionnalisation du problème mafieux dans les années suivantes, la problématique était bien celle de l’émancipation économique et sociale des masses. On retrouve aujourd'hui cette problématique dans les mouvements sociaux mêlant antimafia et émancipation économique ou empowerment pour reprendre la théorie d’A.Sen.

a) le réseau antimafia Plus que de réseau antimafia, fait de milliers d’association dans le sud de l’Italie et non seulement, on peut parler d’un mouvement légalitaire antimafia. Ce mouvement légalitaire est en large partie informel ou formé de petites associations, groupements de citoyens, « interclassiste ou aclassiste » (Santino) dont la composante principale est formée de la classe moyenne : étudiants, enseignants, employés, avec une faible 21


présence des classes populaires. Les fonctions sont multiples (éducation, recherche, dénonciation, témoignage), les modalités d’actions diverses (manifestations de tous genre, évènements culturels), souvent précaires mais certaines agissant de manière continue et sur le long terme (formation dans les écoles, associations antiracket, utilisation sociale des biens saisis à la criminalité organisée). Ce mouvement très fort à ses débuts, dans une situation de crise et d’effondrement des structures de l’Etat libéral lors de l’affaire « mani pulite » (mains propres) et la chute de la première république italienne, a perdu de sa vigueur au fil du temps et du retour de la « paix sociale ». On remarque pourtant une renaissance à travers la composante économique du mouvement antimafia. Lorsqu’un matin de Juin 2004 les habitants de Palerme se sont réveillés en trouvant des milliers d’autocollants placardés dans la ville avec l’inscription « un popolo intero che paga il pizzo è un popolo senza dignità 44», il ne s’agissait pas seulement d’un happening antimafia, mais de la création d’un label à partir d’un réseau de défense des commerçants refusant de payer le pizzo à la mafia. Dans une ville ou 80%45 des commerçants paient l’impôt mafieux cette auto-mise à l’écart du système représente un signal important. On compte aujourd’hui plus de 450 commerçants et entrepreneurs adhérents, affichant sur leur vitrine ou leur emballages l’appartenance au réseau de commerce éthique, responsabilisant les clients qui en achetant chez eux refusent de financer le système dominant. La création de coopératives sociales agricoles sur des terrains d’anciens mafieux entre dans la même dynamique : dépasser la dénonciation de l’état d’esprit philo-mafieux et entreprendre différemment. Le mouvement antimafia ne peut prétendre changer la superstructure dominante sans une réelle volonté de justice sociale, de libération de la culture dominante faite de clientélisme mais également de l’Etat social créé par la mafia fait de « piston » ou de « faveurs » pour trouver un emploi.

b) La prise de conscience légalitaire La saison des attentats des années 1990, lorsque la mafia sicilienne avait reçu de sérieux coups après les premières dénonciations de repentis et les travaux des juges Falcone et

44 45

Tout un peuple qui paie le pizzo est un peuple sans dignité. Selon la préfecture de police de Palerme

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Borsellino qui découvrirent l’organisation de cet Etat parallèle, créèrent une prise de conscience légalitaire non seulement en Sicile et dans le sud mais dans tout le pays. Cinq attentats en deux ans avaient plongé le pays dans une guerre civile latente, une rage révolutionnaire contre ceux qui voulaient s’accaparer l’Etat libéral pour leurs propres fins. L’assassinat des deux juges palermitains, très appréciés dans leur ville natale, fut la goutte de trop. Spontanément les palermitains et les siciliens descendirent dire « NON » au compromis politique avec Cosa Nostra et montrer qu’être sicilien n’est pas être soumis à ces normes. On observe alors une révolte légalitaire capable de construire un conflit positif contre les pouvoirs mafieux dans l’organisation de la vie sociale. La marque indélébile sur Palerme et ses habitants que créèrent la saison des attentats donna naissance au premier « printemps sicilien » et un nouveau mouvement antimafia, symbole de la citoyenneté sicilienne.

c) La légalité : un pont entre solidarité et justice Le concept de légalité fait référence à l’existence et la conscience de l’existence d’un Etat de droit. Il ne s’agit pas simplement d’être un bon citoyen en respectant les règles de vie en société mais également d’être conscient de ses droits en tant que citoyen d’un Etat libéral et comprendre les possibilités qu’offre ou devrait offrir la justice sociale. Diffuser une culture de la légalité permet d‘abattre les privilèges d‘une société féodale sur lesquelles la mafia s’inspire et se base pour créer un consensus. Il s’agit aussi d’orienter le « devoir » d’action des citoyens contre les logiques égoïstes de la gestion de biens collectifs à des fins individuelles. Même si derrière ce concept se cache une volonté d’émancipation de la société et une remise en cause du consensus social toléré par l’Etat, le concept de légalité permet d’élargir le consensus politique contre la mafia. Le désir de justice ne peut être uniquement considéré comme une nécessité pour faire respecter les règles de l’Etat de droit mais peut également correspondre aux attentes de justice sociale de la part des classes non privilégiées. Dans le passage d’un Etat de droit à une conscience de citoyen libre, le respect des règles sociales semble naturel. C’est pourquoi le consensus qu’offre la légalité doit être un pont vers la diffusion d’une solidarité active qui doit passer par la création de nouvelles pratiques sociales entre individus tant que l’Etat social sera incapable de fonctionner de manière transparente et plus efficace que l’état mafieux. 23


C / La requalification des biens saisis à la criminalité organisée

La justice italienne est certainement la plus avancée au niveau mondial en termes de lutte contre la criminalité organisée. Même si les évolutions juridiques suivent l’évolution organisationnelle des mafias et ne les devancent pas, la législature antimafia italienne possède les bases juridiques pour contrer l’infiltration mafieuse, tout en restant dans un cadre constitutionnel et législatif très attaché aux libertés individuelles. Le terme « mafia » apparaît pour la première fois dans un texte de loi en 1965, sans que le délit mafieux soit réellement défini. La première loi anti-mafia date de 1982, avec la création du délit d’association mafieuse46 suite aux assassinats des députés Pio La Torre et du préfet de police, le Général Dalla Chiesa. Cette première définition du délit mafieux sera reprise par l’ONU en 1996, dans sa charte contre le crime international. Après 1982 la législature antimafia s’amplifiera, au gré des découvertes et des déclarations de repentis, agissant sur le levier sécuritaire (art.41 bis imposant l’isolement à perpétuité des boss refusant de collaborer avec la justice), informationnel (aide au repentis) puis économique en s’attaquant aux capitaux illégitimes. Ce panel d’outils juridiques dont dispose la justice italienne « un know-how47qui s’exporte dans le monde entier »48, défend Roberto Saviano, face aux ingérences gouvernementales en la matière dont subi l’Italie actuellement.

1 / La loi La Torre La loi italienne Rogni-La Torre49 de 1982 modifiée par décret le 7 mars 1996 et connu sous le nom de loi n.10950, prévoit la saisie des biens appartenant ou qui pourraient appartenir à la criminalité organisée. Le tribunal ordonne le séquestre des biens dont la valeur serait 46

Loi Rogni La Torre 1982, art 1 « l’association est de type mafieuse lorsque ceux qui en font partie profitent de la force d’intimidation de la dite association et des conditions d’assujettissement et d’omertà qui en dérivent pour commettre des délits, pour acquérir de manière directe ou indirecte la gestion ou le contrôle d’activités économiques , de concessions, d’autorisation, d’appels d’offres ou services publics pour réaliser des profits ou se procurer des avantages injustes, pour soi ou pour les autres ». 47 Savoir-faire 48 Extrait de la conférence de Saviano au festival internationnal de l’économie de Trente, Avril 2010 49 Du nom des deux députés à l’origine du projet de loi 50 Dispositions en matière de gestion et destination des biens séquestrés et confisqués aux mafias.

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disproportionnée au revenu déclaré ou à l’activité économique exercée, et dont le propriétaire serait présumé coupable d’appartenance ou de favoriser la criminalité organisée. Si l’imputé est ensuite incapable de démontrer l’origine légale des biens séquestrés, le tribunal ordonnera la saisie et l’acte de transfert des biens à l’Etat. L’application de la mesure dépend de l’appréciation du juge mais la non démonstration de l’origine légale des biens acquis et non la démonstration de l’origine frauduleuse des dits biens, suffit pour entamer la procédure de destitution des biens concernés. La loi 109 de 1996 prévoit également la réutilisation à des fins sociales des biens saisies à la criminalité organisée et appartenant à l’Etat, déplaçant l’axe de l’antimafia de la phase répressive à un ensemble d’actions positives pour l’ensemble de la collectivité. Les magistrats antimafia comme le célèbre juge Falcone jugeaient également la loi La Torre comme une opportunité car « elle autorise la saisie des biens acquis illicitement, touchant les mafieux dans leur point faible : richesses et gains ». La réutilisation sociale permet aujourd’hui à de nombreuses coopératives, associations et collectivités territoriales de profiter du bénéfice de la lutte contre la criminalité organisée par la création de micro entreprise sociales. Il faut rappeler ici l’expérience de Libera Terra, projet proposé par l’Association Libera qui depuis 2001 soutient la création de coopératives sur les terrains saisies à la criminalité organisée. Libera est une association de dimension nationale non politisée qui représente un nouveau front de lutte contre la criminalité organisée, pour l’Etat et la société civile, grâce au symbole fort de la loi 109/96 notamment. L’existence de coopératives, principalement agricoles, dans différentes régions méridionales, permettent également la réinsertion de personnes en difficulté, comme le prévoit la loi sur les coopératives sociales italiennes (30% des effectifs doivent être des personnes en réinsertion sociale). Dans certains cas l’agriculture de qualité accompagne également la promotion touristique des territoires, via des structures d’agro-tourisme toujours gérées par les coopératives de Libera. On compte aujourd’hui plus de 700 hectares de terrain gérés par les coopératives Libera Terra tous convertis en agriculture biologique avec un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 millions d’euros issu de la vente des produits finis (pâtes, vins, huiles …) sur le marché national et international.

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2 / Les mécanismes d’assignation des biens Il existe différentes typologies de biens saisies à assigner : ceux-ci peuvent être immobiliers à but habitatif ou commercial, ou bien des entreprises. Les biens immobiliers (terrains, appartements, boutiques) saisis restent propriété de l’Etat, qui les transfère ensuite en gestion aux communes qui en décident l’assignation finale, institutionnelle ou sociale. La commune peut gérer directement le bien ou bien le donner en gestion à un organisme social : association d’intérêt général ou coopérative sociale. Les destinataires profitent de baux emphytéotiques de longue durée, à loyer nul ou modéré. Le cas des entreprises saisies est plus difficile à gérer. Dans l’attente de la décision de justice finale sur la saisie de l’entreprise, l’entreprise est gérée par un administrateur public compétent. Une fois la procédure de saisie entamée, l’entreprise peut soit être reprise par les travailleurs et transformée en coopérative, à condition qu’il n’y ait pas de liens de parenté ou de proximité relative (locataire etc.) entre l’un des coopérateurs et l’ancien propriétaire, ou bien être mise en liquidation judiciaire par les autorités compétentes. On compte, selon les chiffres du ministère de l’intérieur italien au 30 juin 2010, environ 20 000 biens séquestrés aux organisations criminelles estimées à 10 milliards d’euros plus ou moins, parmi lesquels 4 768 biens confisqués en attente de destination pour une valeur estimée à 2 milliards d’euros51. La moitié des biens confisqués sont composés de biens à usage habitatif, l’autre moitié se divisant entre terrains et autres types de biens immobiliers. La majorité des biens confisqués se trouvent dans les régions méridionales : 83% des biens se situent entre Calabre, Campanie, Pouilles et Siciles, avec une forte concentration en Sicile (45% du total des biens confisqués). Cette cartographie n’est pas forcément fidèle à la réalité de la présence mafieuse mais plus à l’état des lieux de l’avancement de la justice antimafia dans les différentes régions italiennes. Les plus grandes difficultés dans l’assignation des biens saisis réside dans le long processus administratif : juridique puis bureaucratique, qui retarde l’assignation des biens aux organismes prétendants. Pour remédier à cette problématique, une Agence Nationale des Biens Confisqués, réclamée de longue date par les associations et militants antimafia, a été inaugurée le 4 Février 2010. Cette agence nationale dépendant du Ministère de l’Intérieur, qui gère le recensement, l’état des lieux et les procédures d’assignation des biens confisqués,

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Source site du ministère de l’intérieur italien : www.interno.it/mininterno

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possède son siège central à Reggio Calabre, la capitale calabraise (extrême sud de l’Italie) et une antenne délocalisée à Rome. Cette innovation bureaucratique est censée diminuer drastiquement les délais de destination des biens saisis par un regroupement de diverses fonctions administratives. Le second problème majeur réside dans la détérioration ou l’occupation des biens saisis assignés. Il semble cependant que ce problème soit la directe conséquence de la lenteur d’assignation des biens : il faut en moyenne 8 ans pour qu’un bien séquestré soit réutilisé, c’est dix fois plus que ce que prévoyait la loi originale.

3 / Critiques et observations sur la loi 109/96 Au-delà des problèmes de gestion des biens saisis, les organisations à but non lucratif sont d’accord sur certaines améliorations possibles concernant la procédure d’assignation des biens : -

La création d’une unique agence nationale s’occupant uniquement des biens saisis aux mafias : réalisée en février 2010.

-

La création d’un annuaire national des commissaires gestionnaires capable de gérer les entreprises confisqués pour éviter leur liquidation judiciaire et la perte de nombreux emplois.

-

Réduire la longueur des procédures d’assignation, surtout dans les régions du Sud.

-

Créer un fonds régional pluriannuel pour financer les nouveaux projets relatifs à l’utilisation des biens saisis

-

Garantir la transparence dans l’assignation des biens saisis via le renforcement des normes de publication en vigueur

-

Garantir la réutilisation sociale, en promouvant l’entrepreneuriat social dans la réutilisation des biens saisis. Promouvoir l’économie sociale comme source de développement économique et social via la création de nouvelles coopératives qui puissent garantir et favoriser l’emploi sur les territoires.

-

Renforcer la dimension européenne et internationale de la loi sur la réutilisation sociale des biens saisis pour fraude ou corruption. Le réseau FLARE (Freedom Legality and Rights in Europe), milite pour l’adoption d’une loi cadre européenne sur le modèle italien, qui pourra intervenir sur les justices nationales à partir de 2014 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. 27


Le bon fonctionnement de la loi est intimement lié à la réutilisation sociale des terrains confisqués, dans la perspective d’en faire des biens communs. La création de coopératives permet de créer de nouvelles perspectives, sociales et économiques, par la diffusion de nouvelles valeurs de solidarité et aspirant à un développement économique stable à long terme.

D / Coopérativisme et émancipation sociale La coopération est une forme d'organisation collective pouvant encadrer des relations économiques52. Le but d’une coopérative est de servir au mieux les intérêts économiques de ses participants (sociétaires ou adhérents) à travers l’exercice d’une activité économique commune. Il s’agit d’une association de personnes unis de manière volontaire pour satisfaire leurs aspirations économiques, sociales et culturelle grâce à une entreprise de propriété commune et contrôlée de manière démocratique53. Le principe de double qualité, actionnaire et employé pour les travailleurs, ou actionnaires (ou simplement adhérent) et clients pour les usagers, est également une caractéristique fondamentale de la coopération. « Les sociétaires de coopératives possèdent sans doute une autre motivation que l’utilitarisme, ils doivent certainement avoir l’exigence d’affirmer leur propre liberté à partir d’une nette tendance à l’équité » affirme le prix Nobel de l’économie A.Sen54. Le coopérateur en s’intéressant à son propre intérêt et bien être doit forcément se préoccuper du bien être des autres coopérateurs, ce qui fait de la coopérative un modèle par excellence de mutualité. Enfin il faut noter le sens des entreprises coopératives, qui dans un système économique globalisé, représentent une alternative basée sur la mutualité et la réciprocité face aux entreprises capitalistes basées uniquement sur l’échange. La coopérative possède donc des caractéristiques intrinsèques qui guident ses sociétaires vers une émancipation sociale en responsabilisant et rationalisant les actions de chacun dans un but commun.

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http://fr.wikipedia.org/wiki/Coop%C3%A9ration Draperi Jean-François, L’entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme, CestesCnam, Recma, Acte1, févr. 2010 54 Sen A. K. (1965), Labour allocation in a cooperative enterprise, California, Berkeley in Di Maggio, 2008. 53

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1 / Définition de l’économie sociale

Le coopérativisme est une réalité de l’économie sociale, que nous tenterons ici de définir comme un paradigme économique. « La finalité de l’économie sociale est l’émancipation de tous. Elle vise cette finalité en s’efforçant de produire au quotidien une économie a-capitaliste. L’ensemble des initiatives qu’elle mène en ce sens constitue un mouvement social articulant des pensées et des pratiques originales qui se nourrissent réciproquement »55. Par ces mots Jean François Draperi esquisse une définition de l’économie sociale en gardant comme point de mire l’émancipation sociale. Les objectifs économiques et sociaux des entreprises d’économie sociale, poursuivis par les coopérateurs, sociétaires ou associés qui construisent cette réalité économique, font de l’économie sociale un mouvement, comme le souligne Draperi, qui s’ancre dans l’histoire particulière des territoires. Il manque toutefois un cadre philosophique clair dans lequel un réel mouvement international de l’économie sociale puisse se développer. Draperi parle d’économie a-capitaliste, qu’entend-il par là ? Les entreprises de l’économie sociale, même si elles recherchent une alternative, coexistent au sein du capitalisme tout en ayant des caractéristiques et des modes de fonctionnement particuliers. Une de leurs caractéristiques communes est le fait d’être possédé et gouverné par des groupements de personnes et c’est ici que la propriété collective vient remettre en cause l’individualisme capitaliste. Le débat sur la propriété collective « contient une véritable problématique qui mériterait une réflexion intellectuelle soutenue »56, nous dit Jacques Prades. Il faudrait dépasser l’intérêt individuel de la logique économique classique, par une logique d’intérêt collectif qui puisse redonner au politique sa force et sa raison d’être. Les dysfonctionnements de l’économie libérale, dont la corruption est l’une des formes les plus visibles, doivent nous donner l’opportunité de créer une nouvelle régulation de l’activité économique par des instituions garantes de l’éthique et des pratiques basées sur l’intérêt mutuel.

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Draperi Jean-François, L’entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme, ACTE 1, févr. 2010 56

Jacques Prades, Réponse au camarade Draperi , 2010.

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2 / Ethique, innovation et émancipation sociale Remettre l’éthique au centre des lois économiques c’est admettre que l’économie est une science humaine ne pouvant faire l’économie de l’analyse de la condition humaine et de l’homme en société pour tenter d’améliorer cette dite condition. L’éthique fait également partie de la morale, souvent religieuse, qui a façonné l’évolution de l’économie au fil des siècles (cf. Weber). Ce qui fait dire au prêtre sicilien et grand coopérateur Don Sturzo : « les rapports de justice entre les hommes sont des lois morales avant d’être des lois économiques, puisque toute l’activité humaine, y compris l’activité économique, en tant qu’activité rationnelle, est pleine d’éthique ; l’activité économique est en elle et pour elle morale, car la moralité n’est autre chose que la rationalité de l’action 58». Don Sturzo rapproche ici morale et rationalité, souvent considérés comme deux notions antinomiques par la science économique. La rationalité morale doit porter au bien commun de l’action économique, et par ce biais le prêtre en profite pour fustiger l’économie mafieuse. « On ne peut attribuer aucun droit positif ou naturel, à l’association de malfaiteurs, laquelle peut rejoindre ( en volant, tuant, kidnappant ) le maximum de bénéfice, soit le maximum de profit à coûts quasi nuls, mais n’a aucun élément ethico-juridique de société ; elle [l’association de malfaiteurs] a pour fin le bénéfice individuel illégitime, car obtenu à l’encontre des autres, et ne peut être qualifiée de société humaine, c'est-à-dire rationnelle : à ce titre le bénéfice des mafieux ne peut être qualifié de bien commun 59», dit-il. Le discours se termine sur la notion de bien commun. Rationalité et éthique, en économie, doivent donc concourir au bien commun. C’est ce que tente de promouvoir l’économie sociale par ses différentes formes et manières innovantes d’entreprendre. Si l’innovation est la condition sine qua non pour définir l’entreprenariat (cf. Schumpeter) et l’éthique ou la morale, selon le point de vue posée sur la réalité, le moyen pour que l’économie serve le bien commun, alors le mouvement coopératif et les coopératives Libera Terra en particulier sont à la fois innovants et éthiques. Le mouvement Libera Terra, par ses coopératives agricoles sur les terrains confisqués aux mafias, a pour objectif de tendre vers le bien commun que l’on peut également définir d’émancipation sociale. La forme de propriété collective60 promeut la responsabilité sociale

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Sturzo L., Eticità delle leggi economiche, 1958, in Spampinato A., 1996. Spampinato A., 1996, p.44. 60 « Par « propriété collective », il faut entendre un projet commun, librement consenti, où les membres sont cooptés et où chaque individu tire avantage de ce que le bien commun s’agrandisse. » Prades J., Droits de propriété, coopération et égalité, article sur Mondragon. 59

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et en faisant l’intérêt de tous l’intérêt de chacun, l’avantage obtenu devient bien commun. La promotion d’une agriculture raisonnée et biologique permet également de défendre le bien commun qu’est la terre.

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Conclusion Nous avons tenté dans cette première partie de montrer comment l’économie sociale se veut promotrice de valeurs antagonistes à l’individualisme capitaliste, qui sans éthique ni droit porte les germes d’une économie corrompue. Ethique et droit sont d’ailleurs les deux instituions régulatrices de l’économie que prévoyait Hegel (M.Cuillerai, 2002). Le père du coopérativisme sicilien DonSturzo qualifiait également l’économie sans éthique « d’antiéconomie ». L’éthique doit être garante de l’intérêt commun et dans ce sens ne peut se résoudre à une société basée sur l’échange capitaliste et l’individualisme. L’approche culturaliste nous a permis d’identifier de manière limpide les caractères d’une société mafiogène, basée sur le consensus social et la violence économique. « La formation au consensus est la première arme de la mafia » disait Libero Grassi, entrepreneur palermitain refusant de se soumettre au racket et assassiné par la mafia en 1991. Ce consensus social est un véritable code culturel imposé par la violence et source de l’immobilisme méridional. L’ensemble des actions menées par la société civile locale tentent d’inverser cette tendance au compromis et à l’immobilisme par la promotion d’un nouveau consensus : celui de la légalité. Sans une valeur commune forte partagée, il ne peut y avoir de confiance généralisée qui puisse permettre de dépasser l’échange intéressé et renforcer la présence d’une solidarité organique. C’est sur ces bases et en « imitant la mafia dans sa capacité à créer un réseau durable de relations et d’imposer un consensus social 61» que le mouvement de l’économie solidaire local doit se développer. Plus qu’économie solidaire j’oserais parler d’économie civile, capable de diffuser des externalités positives en termes de signes et de diffuser un capital social porteur de développement, que l’on pourrait qualifier de bien public dans la mesure où il alimente la coopération et le bien être collectif d’une communauté civique (Putnam).

La loi sur la confiscation des biens entre dans cette optique en tentant de défaire ce consensus social et de rendre les biens acquis illégalement à l’usufruit de la société civile. C’est en créant des biens communs en lieu et place de biens privés mafieux que l’intérêt collectif et l’éthique sont préservés. Les coopératives de Libera Terra, que nous analyserons dans une seconde partie, créent un nouvel élan social dans les territoires ruraux qu’elles redynamisent. Enfin, l’agriculture raisonnée et biologique, dont elles possèdent le savoir-faire, 61

Selon les mots d’Umberto Di Maggio, président de Libera Palermo.

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permet de donner une nouvelle image à ces territoires grâce au réseau de distribution national dont elles bénéficient.

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PARTIE II : RAPPORT DE STAGE LE MODELE LIBERA TERRA

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Je voudrais présenter ici l’association Libera, association nomi e numeri contro le mafie, au sein de laquelle j’ai réalisé mon stage de fin d’études à Palerme et les coopératives Libera Terra de la province palermitaine que j’ai eue l’occasion d’aller visiter.

« se non sono ancora stanchi non si stancheranno mai non li fermano con gli spari, non li fermano con le TV sono i veri siciliani e non si fermeranno più » « s’ils ne sont pas encore fatigués ils ne se fatigueront jamais On ne les arrête ni à coups de canon, ni avec les télévisions eux sont de vrais siciliens et rien ne les arrêtera » Modena City Ramblers, La banda del sogno interotto.

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LIBERA : qu’est ce que c’est ? Présentation L’association Libera est née le 25 Mars 1995 avec l’intention de solliciter la société civile dans la lutte contre les mafias et la promotion des valeurs de légalité et de justice en Italie. Libera regroupe actuellement 1500 associations environ, comités, écoles ou autres groupements de personnes, engagés localement dans la construction de synergies politicoculturelles62 capables de diffuser une culture de la légalité. La loi sur l’utilisation des biens saisis aux associations mafieuses, l’éducation à la légalité démocratique, l’engagement contre la corruption, la formation antimafia, les activités anti-usure sont quelques uns des engagements concrets de Libera. Libera est reconnue association d’intérêt général et de promotion social par le Ministère de la Solidarité Sociale (et de la famille). Depuis 2008, Libera fait partie des excellences italiennes recensées par le laboratoire national de recherches politiques, économiques et sociales italien Euripses.

Historique La première pierre posée par Libera fut l’initiative d’une pétition d’un million de signatures pour la réutilisation sociale des biens confisqués aux mafias en Italie (la constitution italienne permettant un référendum sur une question sociale ayant récolté un million de signatures au minimum). L’amélioration de la loi La Torre fut approuvée par le premier gouvernement de centre gauche de l’histoire italienne en 1996, sous l’appellation loi 109/96. L’initiative de la création de Libra est due à l’engagement civique du prêtre Don Luigi Ciotti, militant de longue date de la cause sociale et fondateur d’associations d’aide aux personnes en difficultés sociale à Turin63. Il fut également membre fondateur de la première association de lutte contre le SIDA en Italie en 1986. A partir de ces engagements progressistes et face à la situation politique italienne au lendemain de la fin de la première République (disparition des partis traditionnels pour corruption), l’association Libera voit le jour en 1995 et tente de 62 63

Termes de Don Luigi Ciotti Création du Groupe Abele en 1966, venant en aide aux jeunes toxicomanes et ex délinquants juvéniles.

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regrouper tous les acteurs de la société civile, sans distinction politique, dans la promotion d’une culture civique contraire au compromis mafiogène. En moins d’un an l’association réussit à créer une coordination d’un millier d’association et groupements de personnes, toutes adhérentes à Libera, agissant localement pour une culture de la légalité et de la justice sociale. L’élargissement du champ d’activité de Libera démontre toute son activité et sa vitalité. Libera est reconnu d’utilité publique mais également comme modèle dans la réutilisation sociales des biens confisqués.

Vision Malgré la religiosité de son président Libera n’est en aucun cas une association religieuse. Toutefois l’image catholique que peut donner la figure de Don Ciotti peut être garante d’une non mise à l’écart du système dans un pays ou plus de 80% de la population se dit croyant. On observe une grande diversité d’origine des associations membres qui vont de l’aide aux démunis comme Emmaüs, au syndicat de travailleurs CGIL64, le syndicat d’entrepreneurs Confesercenti, les ligues de défense de l’environnement Legambiente ou encore la centrale du mouvement coopératif LegaCoop (pourtant considéré pendant longtemps comme l’antichambre du parti communiste italien). Les engagements de Libera lui permettent de dépasser les querelles politiciennes et de fédérer des groupements aussi divers ; l’association possède cependant une philosophie qui guide ses missions : celle de la défense des biens communs et l’émancipation sociale. Les actions de Libera ne se limitent pas à « l’antimafia », mais en créant un réseau d’associations représentantes de la société civile, la défense de l’intérêt général devient une nécessité. On l’a vu récemment avec la défense de la gestion publique de l’eau potable en Italie et l’engagement pris par Libera sur la question65. Libera s’oppose à la vision philanthropique du développement social, et fait la promotion d’une économie éthique et solidaire.

Objectifs Les objectifs globaux de Libera sont la diffusion d’une citoyenneté active à travers principalement la lutte contre la criminalité organisée et l’émancipation socioculturelle de

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Confederation Generale des Travailleurs Italiens, anciennement lié au parti communiste italien. Pétition pour un référendum sur la non privatisation de la gestion et de la distribution de l’eau en Italie

65

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tous les citoyens et travailleurs italiens. Dans la poursuite de ces objectifs Libera participe activement à de nombreuses missions, directement ou indirectement.

Missions Voici une liste récapitulative des principales missions et activités de Libera :

-

Diffusion d’une information libre et non partisane sur la corruption principalement économique : Revue Narcomafie (mensuel papier) et le site Libera Informazione.

-

Organisation de la Journée de la Mémoire et de l’Engagement en souvenir des victimes innocentes de toutes les mafias, chaque année aux alentour du 21 Mars, premier jour du printemps et symbole de la renaissance. Etats généraux de l’antimafia.

-

Création et engagement international dans la lutte contre les mafias via le réseau FLARE.

-

Observatoire Liberande de Libera sur la situation en Colombie, recueil d’informations et collaborations avec les associations de défense des droits de l’homme.

-

Formation à la citoyenneté active et cours d’éducation civique dans les écoles. Présentation de Libera et visite des terrains confisqués.

-

Réalisation de séminaires et collaboration avec les universités dans les domaines de lutte contre la criminalité organisée. Co-organsiation d’un cours de Master sur la Gestion des biens confisqués.

-

Promotion de coopératives sociales sur les terrains confisqués. Création de la marque Libera Terra pour les produits issus des terrains confisqués. Candidature et recrutement pour la création de nouvelles coopératives.

-

Organisation de champs de volontariat sur les terrains confisqués chaque année. Participation à la vie des coopératives et activités culturelles.

-

Défense de la loi sur les biens confisqués et leur réutilisation sociale. Militantisme antimafia.

Toutes ces activités sont promues par Libera au niveau national et réalisées par les coordinations territoriales de Libera de manière démocratique et autonome.

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Les composantes

La fondation Libera Informazione Fondation nationale finançant les activités de journalisme sur les thèmes mafia et antimafia. Libera Informazione est un site d’informations libre relayant sur internet. Il est composé de trois journalistes. Le siège de la fondation est à Rome.

Les boutiques de Saveurs et Savoirs de la Légalité Boutiques vendant les produits issus des coopératives Libera Terra, au détail. Elles organisent également des évènements culturels en collaboration avec les coordinations territoriales. On compte aujourd’hui cinq boutiques, la plupart dans des biens confisqués réutilisés. (Voir carte)

L’Agence Coopérer avec Libera Terra Réseau national de partenaires de Libera Terra permettant de former les nouveaux coopérateurs aux exigences de qualité de production et aux valeurs coopératives. Tous les nouveaux coopérateurs suivent un cours de formation d’un mois auprès de l’agence. L’agence fut créé grâce à l’idée de la Lega delle Cooperative et compte aujourd’hui plus de 50 collaborateurs dont les plus fameux sont : Slow Food, la Coop Italia, ou la compagnie d’assurance Unipol.

Le consortium Libera Terra Mediterraneo Le consortium regroupe toutes les coopératives et agritourismes de Libera (une dizaine environ). Depuis 2008 il a pour objectif de vendre les productions des coopératives, de promouvoir la marque Libera Terra et les agritourismes de Libera Terra. Créé grâce à la volonté de Libera, le nouvel objectif du consortium est de s’ouvrir vers de nouvelles

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collaborations avec des agriculteurs locaux qui partagent les mêmes valeurs de qualité agricole et justice.

Les coordinations territoriales Il s’agit d’associations partenaires ou de relais locaux de Libera. L’association principale se trouve à Rome, mais les coordinations territoriales, présentes plus ou moins dans chaque région italienne, servent de relais permanent avec les citoyens.

La répartition territoriale

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Libera en Chiffres 1500 associations adhérentes à Libera 700 hectares de terrains cultivés 1,5 M€ de chiffres d’affaires 6 boutiques de vente au détail 7 coopératives agricoles Dont 1 centre hippique et 2 agro-tourismes 100% d’augmentation du CA en 2 ans 100 postes de travail créés en Sicile 1 nouvelle coopérative par an = rythme actuel

Libera en Sicile En Sicile Libera se compose d’une association Libera Palermo, qui divise ses locaux avec la boutique des Saveurs et des Savoirs de la légalité de Palerme. Dans la province palermitaine se trouvent les premières et principales coopératives de Libera. On trouve 3 coopératives et un consortium. La province palermitaine est le territoire pionnier du développement de Libera. La conscience civique y est surement plus présente que dans d’autres zones du Mezzogiorno et le modèle entrepreneurial de Libera est défendu par les pouvoirs publics (cf. consorzio svillupe e legalità). Une autre coopérative vient de voir le jour en Sicile orientale, près de Catania, mais n’a pas encore démarré sa production.

Libera Palermo

Objectifs Relais de Libera au niveau régional et local, l’association a pour but de donner une visibilité à l’entrepreunariat social antimafia et aux actions de promotion de la lutte contre la mafia. La sensibilisation et la lutte contre l’oubli de la lutte sociale contre la criminalité sont les grands axes de Libera au niveau local. La collaboration avec les acteurs sociaux engagés permet de diffuser un capital social positif sur le territoire. 41


Mission La formation dans les écoles, primaires et secondaires, est le principal objectif de l’association. Elle propose des parcours éducatifs et des projets de collaboration avec les écoles siciliennes. Extraits du bilan social 2009 I numeri dell’area Formazione66I n. progetti attivati n. scuole coinvolte n. classi n. incontri Studenti partecipanti ai progetti Studenti che hanno visitato i beni confiscati Studenti che hanno effettuato una visita formativa presso la Bottega dei Sapori e dei Saperi della Legalità n. province coinvolte n. comuni

Percorsi educativi. Dalla legalità alla responsabilità sociale

Progetto “Io viaggio con Giovanni”

Progetto “Una finestra sulla legalità” – Bagheria

Progetto “Un parco di idee” – Mistretta.

Totali

43 17 137 94

9 8 18 9

25 4 47 25

5 5 25 16

82 34 227 144

2517

388

1034

708

4647

1356

294

312

-

1962

450

294

312

-

1056

2 8

4 7

1 1

1 6

5 16

En 2009, Libera Palerme a formé plus de 4500 jeunes sur les thèmes de la légalité, de la réinsertion sociale et de l’économie solidaire, et près de 2000 d’entre eux ont pu visiter les coopératives sur les terrains confisqués. L’objectif est de faire mieux en 2010/2011, qui sera la troisième année consécutive pour les projets éducatifs de Libera. (Voir annexe nouveaux projets formation 2010/2011). Libera Palermo, créé en 2008 par nécessité d’avoir une visibilité et un relais en ville, dans la deuxième métropole du sud du pays (1 million d’habitants), emploie aujourd’hui 3 personnes à plein temps et 2 à temps partiel et accueille plusieurs stagiaires universitaires chaque année. 15 organisations sociales dont 7 associations, 5 coopératives sociales et 3 écoles ont décidé de devenir

collaborateurs

de

Libera

en

2009/2010.

I dati sono aggiornati al 19 maggio 2010. Si noti, che i dati relativi al progetto NaturaSì sono stati aggregati a quelli relativi ai Percorsi educativi. Inoltre va precisato che nella colonna dei totali, la Provincia di Palermo ed i comuni di Palermo e Bagheria sono stati conteggiati una volta sola, per cui la somma dei valori di riga non corrisponde al totale di riga. 66

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La boutique des Saveurs et savoirs de la légalité, Palerme

Objectifs : Donner une visibilité à la marque Libera Terra et à l’organisation Libera. Promouvoir la consommation éthique et responsable. La boutique a été créée en 2008, dans un bien confisqué (autrefois un magasin de vêtements) en plein centre de Palerme. Le porteur de projet fut l’association Libera, qui grâce aux aides européennes et une campagne de dons a pu réhabiliter les locaux pour l’ouverture de la boutique. La boutique palermitaine n’a pas de statut juridique à part entière, ses activités font partie de l’association Libera Palermo, avec qui ils divisent les locaux. Il s’agit de la division commerciale de l’association Libera Palermo. L’association a doublé son chiffre d’affaire entre 2008 et 2009, avec un chiffre d’affaires de 100 000€ environ et un bénéfice de 26 000€ en 2009.

Le consortium Libera Terra Mediterraneo (LTM) Les coopératives Libera Terra (créées par un appel d’offre de Libera), ont décidé en 2008 de créer une structure commerciale adéquate pour la diffusion de la marque Libera Terra. LTM regroupe les différentes coopératives de Libera et toutes coopératives ou entrepreneurs adhérents à la charte éthique et qualitative de Libera Terra, afin d’augmenter la production de la marque et soutenir le développement économique, durable et local. Le siège du consortium est au sein de la coopérative Placido Rizzotto, à San Giuseppe Jato, province de Palerme.

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La coopérative Placido Rizzotto67 Il s’agit de la première expérience de coopérative agricole de Libera. Grace à la volonté de Libera, de la préfecture de Palerme et du « consorzio sviluppo e legalità », un appel d’offre pour la création d’une coopérative agricole sur les terrains confisqués de la plaine corleonaise fut lancé en 2001. 15 personnes furent retenues pour ce projet pilote, qui devint rapidement un modèle en la matière de gestion de biens confisqués. 155 hectares de terrains confisqués aux boss mafieux Brusca e Riina furent attribués à la coopérative avec un bail emphytéotique gratuit de 30 ans. Les fonds de départ provenaient de diverses donations : Fondation Coop 50 000 €, CoopAdriatica 52 000€, et un prêt de la Banca Etica de 100 000€ garanti par le « consorzio sviluppo e legalità ». La coopérative Placido Rizzotto gère également l’agro-tourisme Portella della Ginestra68 et le centre hippique « Giuseppe Di Matteo »69, deux biens confisqués aujourd’hui réhabilités et utilisés.

Production et chiffres L’agriculture biologique est la principale activité de la coopérative, qui produit (selon le bilan social de 2009) : 300 000 bouteilles de vins Centopassi 900 000 confections de pâtes biologiques 150 000 confections de légumes biologiques Sur 300 hectares de terrain cultivés. Composition : 14 coopérateurs et 11 employés.

Objectifs : Augmentation de la production et de la qualité des produits. Collaboration aves la Coopérative Pio La Torre et autres coopératives ou agriculteurs adhérents au projet Libera Terra. Développer et consolider la section Tourisme.

67

Syndicaliste italien originaire de Corleone, assassiné par la Mafia en 1948. er Localité montagneuse de la plaine corleonaise connue pour l’assassinat de 11 manifestants le 1 Mai 1947 dite ‘strage di portella della ginestra’ (attentat de Portella della Ginestra). 69 Fils d’un collaborateur de justice (repenti) assassiné sur ces terrains à l’âge de 15 ans en 1996. 68

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La coopérative Pio La Torre Suite à l’expérience positive de la Placido Rizzotto et vu le nombre important de terrains confisqués non cultivés dans la plaine Corleonaise, les mêmes acteurs décidèrent de réitérer l’opération de 2001 et de constituer une nouvelle coopérative. En 2007 un nouvel appel d’offre fut lancé par Libera pour le recrutement de 15 coopérateurs. Plus de 300 candidatures ont été étudiées avant de choisir les heureux élus et de les former à la coopération. Le 27 juin 2007 une nouvelle coopérative sociale Libera Terra (de type B70) est née.

Production et chiffres Au 1er Juin 2009 : 120 hectares cultivés 14 hectares de vignes en phase de plantation, destiné à la production de vin Centopassi 10 000 pots de miel biologique Libera Terra 14 coopérateurs dont 3 administrateurs et 11 coopérateurs agricoles

Objectifs : Augmenter la production et la collaboration avec la Placido Rizzotto au sein du consortium Libera Terra Mediterraneo. Développer les activités de tourisme avec le lancement du projet Terres de Corleone.

70

Statut italien sur les coopératives sociales. Type A pour les services socio-sanitaires ou éducatifs, type B pour l’insertion professionnelle de sujets exclus (ex-prisonniers, ex-toxicomanes, jeunes en rupture avec le système scolaire etc.)

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Le Consorzio Svillupo e Legalità Le consortium est né en 2000 de l’initiative du préfet de Palerme dans le but de permettre aux communes de la plaine corleonaise (Altofonte, Camporeale, Corleone, Monreale, Piana degli Albanesi, Roccamena, San Cipirello, San Giuseppe Jato) de gérer collectivement avec une finalité sociale les terrains agricoles confisqués. L’activité principale du consortium est la création de nouvelles coopératives sociales permettant la réutilisation des terrains laissés à l’abandon suite aux ordonnances judiciaires. Cette forme d’association publique-privée à but non lucratif a été réalisée grâce à l’engagement de la préfecture locale et de l’association Libera présidée par Don Luigi Ciotti. Grace aux fonds européens (FEDER environ 3M€ et FSE environ 350 000€) et l’innovation proposé par les porteurs de projet, le consortium a permis la création de deux coopératives et une centaine d’emplois dans un territoire rural aux difficiles conditions sociales. Le consortium a été classé « meilleure innovation sociale » en 2004 en Italie par l’administration publique et a reçu une médaille d’argent pour l’engagement social de l’initiative par les mains du président de la République Carlo Azeglio Ciampi en 2005.

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Présentation du Stage Introduction J’ai connu l’association Libera pour la première fois en 2009 à Catane, lors de l’inauguration d’une future coopérative sur un terrain confisqué. Je m’étais déjà informé sur les actions de l’association mais n’avait jamais eu l’occasion de toucher du doigt cette réalité. L’engagement des membres de l’association et l’engouement populaire que je trouvais en les rencontrant m’a poussé à en savoir plus sur le mouvement civique mené par Libera. J’ai rencontré en février dernier les membres du bureau national de l’organisation à Rome, qui m’ont ensuite proposé d’effectuer mon stage à Palerme. Cela fait presque une dizaine d’années que la première coopérative Libera est née, et on peut déjà lire plusieurs projets de recherche sur la question. Il n’existe pas d’analyse d’envergure sur le mouvement coopératif de Libera mais plusieurs études sur les premières coopératives siciliennes, qui m’ont en partie aidé à la réalisation de ce mémoire. J’ai pu parler de mes recherches avec mes collègues de travail ou d’autres chercheurs locaux qui m’ont permis de mieux comprendre la situation de Libera et de la lutte antimafia en Sicile. Le refus systématique de considérer leurs actions comme « extraordinaires », de vouloir romaniser ou héroïser la bataille menée, justement pour pouvoir convaincre, à travers la publicité et la protection que permettent les mass-média, de la possibilité de modifier le consensus social sur lesquels la société mafiogène prend racine, est une nécessité dont m’ont également fait part les personnes engagées que j’ai rencontrées. L’environnement universitaire duquel sont issues la majorité des membres actifs de l’organisation m’a aidé à me poser les bonnes questions sur l’organisation.

Contexte L’association Libera Palermo est le relais sicilien de Libera, médiatiquement connu grâce à l’activisme de son fondateur Don Ciotti. L’association est composée d’une boutique et d’une salle de conférence et de travail pour l’association. Environ 5 personnes y travaillent à plein temps. La principale activité est la création de projets formatifs pour les écoles locales. Ces

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projets sont le fruit de la collaboration entre Libera et diverses associations locales (Legambiente sur les questions d’environnement par exemple).

Mon expérience J’ai profité de ma présence pour pouvoir m’informer et me documenter sur le mouvement mené par Libera en Sicile et les projets économiques antimafia en général. En accord avec le président de l’association nous avons commencé la création d’une bibliothèque sur les thèmes de l’Antimafia, librement consultable afin de diffuser les savoirs en la matière mais également permettre de devenir un centre de ressources pour chercheurs et universitaires. Les activités économiques de Libera comprennent également la vente de livres (thématiques sur les mafias), nous avons dans un premier temps recensé et mis en ligne la bibliothèque de LiberaPalermo, qui à terme s’enrichira de nouvelles acquisitions et dons de livres. N’étant pas le seul stagiaire, j’ai pu épauler une autre stagiaire de Libera, également en économie sociale, dans la réalisation d’une étude sur les forces et faiblesses de l’association pour élaborer les grandes lignes de développement de l’association.

Voici un bref résumé :

Contexte social

Forces

Faiblesses

Opportunités

Menaces

Fort tissu associatif

Réseau fragmenté

Développer de nouvelles

Infiltration mafieuse dans

collaborations

le tissu associatif

Appui

Visibilité

médiatique

nationale

politique

aux

associations

Pression politique

Peu d’intérêt des médias

Détérioration de l’image

locaux

Perte

Hausse constante de

Financement

de

Déléguer à de nouveaux

décisionnel

pouvoir de

l’activité formative

Manque de personnel

partenaires

l’association

Diversité de ressources

Trop forte présence de

Développer de nouveaux

Manque d’intérêt pour

fonds publics

partenariats

les entreprises

avec

les

entreprises locales

Communication

Utilisation

des

Manque de mise à jour

Identifier un ou plusieurs

Déléguer

nouvelles technologies

des informations pour les

responsables

collectif.

pour communiquer sur

adhérents ou partenaires

communication externe.

l’association

(newsletter, lettres etc.)

de

la

un

travail

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Gouvernance

Réunions

mensuelles

ou bimensuelles entre

Manque d’ouverture vers

Risque de cloisonner les

l’extérieur.

rapports

tous les membres

l’association,

Rapports sociaux peu

partenaires

hiérarchisés malgré les

bénévoles.

entre les et

les

fonctions de chacun

Volontariat

Engagement

des

La collaboration avec les

Prévoir un nouveau statut

Agrandissement

volontaires permettant

volontaires

de

rapide du groupe et perte

de créer une forte

sporadique. Ils n’ont pas

Prévoir

identité

de

formation.

missions

est

clairement

défini et sont encore peu

volontaire des

sociétaire. cours

de

Déléguer

de

trop

d’identité.

nouvelles responsabilités.

considéré.

La méthode utilisée (SWOT) permet l’identification des forces et faiblesses de l’organisation à la lumière des opportunités et menaces de l’extérieur. Elle vise à identifier les stratégies qui maximisent le potentiel de forces et d’occasions et qui minimisent l’impact des faiblesses et des menaces. Une troisième partie de mon travail consistait à me déplacer pour le compte de Libera dans les rencontres thématiques d’autres acteurs locaux, dont Libera est partie prenante. La participation à ces diverses rencontres permet d’élargir le réseau citoyen activiste local. La défense de l’eau comme bien commun a permis à divers acteurs locaux de se rencontrer et de continuer aujourd’hui leur collaboration. C’est au fil de ces rencontre et initiatives locales communes que le la citoyenneté active se développe et que Libera réussit à s’ancrer dans le panorama local.

49


Les autres expériences locales AddioPizzo Addiopizzo (adieu pizzo) est une association antiracket regroupant des commerçants et entrepreneurs palermitains et des consommateurs s’engageant à soutenir le réseau. Il s’agit d’un mouvement de citoyens et commerçant refusant de se soumettre à l’impôt mafieux (pizzo) et désireux d’apporter une « révolution culturelle » contre la mafia. Il s’agit d’une association composée de volontaires,

défendant la consommation éthique pour un

développement économique libre. Le mouvement nait à Palerme en 2004 de l’initiative de jeunes palermitains (tapissant la ville d’autocollants « un intero popolo che paga il pizzo è un popolo senza dignità ») et propose aux commerçants d’adhérer à un réseau de consommateurs critiques et de l’afficher clairement et publiquement. On compte 500 commerçants et producteurs, et plus de 10 000 consommateurs palermitains inscrits. L’idée de réseau alternatif au soutien tacite à la criminalité organisée fonctionne grâce à la médiatisation de l’appartenance à un réseau antiracket et son nombre d’inscrits. L’initiative Addiopizzo a été reprise dans plusieurs villes du Mezzogiorno et non seulement en Sicile. L’idée de réseau de consommation éthique permet également aux entrepreneurs de travailler entre eux afin de soutenir la démarche et de diffuser le label éthique. La médiatisation du phénomène a permis une prise de position forte et sans ambiguïté du principal syndicat patronal industriel Confindustria : tout industriel dont il est avéré qu’il paie ou soutient financièrement la criminalité organisée sera automatiquement radié du syndicat. Cette annonce a été reçu jusqu’au niveau national par le principal syndicat patronal. Voici ce que pensent les personnes à l’origine du projet : « La vérité, nous siciliens, la savons tous : chaque commerçant qui effectue un bon chiffre d’affaires, s’il n’est pas ‘ami des amis’ doit payer le pizzo. Pas énormément peut être, mais tous versent de l’argent pour ‘être protégé’. Tout ceci est su des siciliens et quotidiennement oublié. Quand chaque jour nous faisons nos achats pensons nous qu’en achetant seulement de quoi vivre nous laissons de l’argent à la mafia ? Certainement pas, et pourtant. Si les 50


commerçants sont contraints de payer le pizzo, ils le font avec l’argent que nous dépensons chez eux. Si un pourcentage de leurs gains va à la mafia, un pourcentage, même minime de notre argent va à la mafia. […] Nous recherchons de nouvelles formes de lutte pour libérer nos mentalités et tout le territoire sicilien de toute forme de domination mafieuse. Notre objectif est d’éroder le consensus dont bénéficie la mafia dans l’étendue ‘zone grise’ de notre société»71. En six ans d’existence l’initiative adddiopizzo a été reprise dans plusieurs villes du Sud mais c’est à Palerme, lieu de naissance de l’initiative que celle-ci fonctionne le mieux. Le renouveau de l’équipe et des militants de l’association montre que le message prend et pas seulement chez les plus jeunes. Enfin, la difficulté principale réside dans la composition du réseau fait avant tout de petits commerçants qui n’ont pas la puissance financière nécessaire à l’expansion du label et du réseau.

71

Interview du Mattino, le 29 juin 2004.

51


Illustrations

Don Luigi Ciotti, fondateur de Libera

Produits Libera en supermarchĂŠ

Les vins Centopassi

LĂŠgumes secs et miel biologiques Libera Terra 52


Moissonnage sur un terrain confisqué

Vendange à la coopérative Placido Rizzotto

L’agro-tourisme Portella della Ginestra :

Boutique Libera à Palerme

Membres de Libera Palerme

L’agro-tourisme Portella della Ginestra

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Campagne pour le maintien de la gestion publique de l’eau :

Logo Libera, « le bon goût de voyager »

Logo de L’agence coopérer avec Libera Terra

Le label Addiopizzo et la boutique l’Emporio-Pizzo Free

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PARTIE III Le projet Libera Terra : le modèle Placido Rizzotto et la future coopérative Le Terre di Don Peppe Diana

55


Le modèle Placido Rizzotto 1. Le contexte socio-économique global Nous présenterons ici les caractéristiques démographiques, économiques et politiques de la Sicile dans l’environnement national italien.

Provincia

Popolazione (ab)

Superficie (km²)

Densità (ab/km²)

Provincia di Agrigento

454.462

3.042

149,39

Provincia di Caltanissetta

271.839

2.124

127,98

Provincia di Catania

1.087.749

3.552

306,23

Provincia di Enna

172.885

2.562

67,48

Provincia di Messina

653.647

3.247

201,30

Provincia di Palermo

1.246.614

4.992

249,72

Provincia di Ragusa

316.488

1.614

196,08

Provincia di Siracusa

403.160

2.109

191,16

Provincia di Trapani

436.239

2.459

177,40

Totale Sicilia

5.043.083

25.710

196,15

Avec 5 millions d’habitants et 25 000 km2 de superficie, la Sicile est la région italienne la plus vaste et parmi les plus peuplées. Les provinces de Palerme et Catane, les deux capitales (orientale et occidentale de l’île), sont les plus peuplées.

56


La Sicile est une région à statut spécial, bénéficiant d’une large autonomie depuis 1947. Toutefois elle n’utilise qu’une partie des prérogatives en termes d’autonomie, notamment en matière fiscale. La région a la pleine gestion dans certains domaines comme : l’agriculture et la pêche, le tourisme, la gestion des biens culturels, l’administration des provinces et la gestion des forêts. En matière de fiscalité, le statut spécial permettrait la levée et la redistribution de l’impôt sur le territoire, mais dans les faits seul Rome exerce ce pouvoir. Le gouvernement sicilien actuel a pour président le chef du Mouvement pour l’Autonomie (MpA). En 2008, la loi sur la levée des impôts commerciaux a été modifiée et stipule désormais que « les entreprises ayant leur siège social en dehors de la Sicile mais exerçant une partie de leurs activités en Sicile devront s’acquitter d’une partie proportionnelle de l’impôt sur les sociétés à la région sicilienne ». Le produit intérieur brut par habitant du sud de l’Italie est en moyenne de moitié inférieur à celui du nord. La Sicile reste cependant l’une des régions les plus développées du midi italien, grâce aux activités de services liées notamment au tourisme.

Le taux de chômage est largement supérieur à la moyenne nationale : la Sicile est la région au plus fort taux de chômage devant les autres régions méridionales, avec un taux de 15% environ contre moins de 10% au niveau national et seulement 3% pour le Trentino Alto Adige, région la plus dynamique. L’emploi des jeunes et des femmes présente également des taux loin des standards nationaux ou européens : 38% des jeunes sont à la recherche d’un emploi contre 25% au niveau national.

57


Dépenses sociales par habitant et par région 72

Le décalage entre Nord et Sud en termes de dépenses sociales est flagrant. Les dépenses sociales sont le plus souvent à la charge des régions en Italie et la différence entre régions riches et pauvres s’aperçoit en termes de dépenses sociales par habitant par an. La Sicile est à 75% du niveau national, meilleur taux pour le Mezzogiorno après l’exception de la Sardaigne.

72

Source site internet de la région sicilienne, dossier stat-on-line.

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2. Contexte micro social Nous analyserons ici le champ d’activité principal des coopératives Libera Terra qui est celui de l’agriculture biologique. Puis la localisation de la coopérative Placido Rizzotto, avant d’analyser les biens confisqués à la mafia et leur utilisation en Sicile occidentale.

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Le marché de l’alimentaire biologique représente environ 3% du marché agroalimentaire italien. L’Italie est le premier producteur biologique européen et le sixième mondial avec une superficie de cultures biologique d’environ 1 million d’hectares. Le marché du bio en Italie pèse entre 2,8 et 3 milliards d’euros, avec une tendance croissante continue, notamment dans les grandes surfaces. La Sicile compte le plus grand nombre de producteurs bio en Italie avec 6 500 producteurs environ, dont les productions se répartissent ainsi :

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73

Source : site de la région sicilienne, http://pti.regione.sicilia.it

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Malgré un nombre important de producteurs bio les entreprises agricoles converties au biologique représentent moins de 3% des entreprises agricoles siciliennes, ce qui laisse une belle marge de progression à ce marché.

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74

http://pti.regione.sicilia.it/portal/page/portal/PIR_PORTALE/PIR_LaNuovaStrutturaRegionale/PIR_Assessorat oEconomia/PIR_DipBilancioTesoro/PIR_ServizioStatistica/PIR_2092834.068146905/PIR_534700.7672519999/N _2_2008.pdf 75 Source Istat.it

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La plaine Corleonaise

Les huit communes sur lesquelles les terrains de la coopérative Placido Rizzotto se trouve dans l’arrière pays palermitain, appelé plaine de l’Alto Belice Corleonese. Il s’agit des communes suivantes : Monreale, Altofonte, Piana degli Albanesi, San Giuseppe Jato, San Cipirello, Camporeale, Roccamena et Corleone.

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Ces communes ont pour caractéristique commune une forte présence de criminalité organisée (l’organisation Cosa Nostra a été longtemps dirigée par des boss Corléonais comme Toto Riina) et une faible densité d’entreprises. Ces communes bénéficient d’un programme d’aide au retour à l’emploi financé par plusieurs fonds européens (FSE et FEDER principalement).

Les biens confisqués aux mafias en Sicile et dans la province de Palerme

La Sicile est la première région en termes de biens immobiliers saisis à la criminalité organisée, loin devant les autres régions méridionales à forte présence criminogène (Calabre et Campanie). La Lombardie est la première région septentrionale en termes de biens

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Carte des communes sur lesquelles exerce la coopérative Placido Rizzotto. Extrait de googlemap.

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confisqués, il s’agit d’une des régions le plus riches mais aussi le centre de la finance italienne.

La province de Palerme compte la majorité des biens immobiliers confisqués à la criminalité organisée en Sicile (66,4%). Moins de la moitié des biens ont cependant été assignés définitivement à des organismes sociaux (1096 + 190 = 1286), comme le montre le tableau suivant :

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77

Source site du ministere de l’intérieur italien : mininterno.it

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3. Conditions de réalisation de l’expérience Droit du travail

La coopérative Placido Rizzotto est une coopérative sociale de type B et obéit aux règles en vigueur fixées par la loi italienne de 1991 sur les coopératives sociales. Les coopératives sociales se divisent en deux catégories : les coopératives de type A ont pour but la gestion de services sociaux et sanitaires ou éducatifs en forme coopérative, et les coopératives de type B l’exercice d’activités productives (agricole, industrielle …) dont la finalité est l’insertion par le travail de personnes en difficulté (ex toxicomanes, jeunes délinquants etc.). La loi prévoit une fiscalité particulière et une priorité dans l’attribution de marchés publics pour ces coopératives. Les coopératives sociales de type B doivent compter au minimum 30% de sujets désavantagés dans leur composition. Elles peuvent être composées à la fois de coopérateurs, d’employés et de volontaires (maximum 50% du total des membres). Transférabilité de l’expérience

La coopérative Placido Rizzotto a été la première expérience de coopérative sociale agricole sur les terrains confisqués aux mafias en Italie. On compte aujourd’hui plusieurs dizaine d’expériences similaires, preuve de la transférabilité de l’expérience. La Placido Rizzotto est devenue modèle de référence en la matière pour l’Agence Nationale des Biens Confisqués et est partie prenante des formations organisée par la même agence pour les futures coopératives. Ses membres sont souvent invités dans divers types de conférence sur l’antimafia et la coopération dans le Mezzogiorno.

Mise en réseau L’expérience Libera Terra ne pourrait fonctionner sans un réseau dense d’associations et d’entreprises sociales ou à forte responsabilité sociale, et des interlocuteurs publics attentifs.

Le Consorzio Svillupo e Legalità dont nous avons parlé précédemment a été au centre de l’initiative Libera Terra. Ce consortium est composé des huit communes de l’expérience pilote, de l’entreprise publique Italia Lavoro (sorte de pôle emploi italien), de la préfecture de 63


police de Palerme et de l’association Libera. Ils ont suivi la mise en place et la formation de la coopérative Placido Rizzotto. L’agence Cooperare con Libera Terra dont le siège est à Bologne permet de recruter et de former toutes personne et sujet économique désireux de soutenir la marque Libera Terra. L’agence fournit des savoirs et connaissances pour l’amélioration et la diffusion de la marque Libera Terra. Elle permet également la mise en réseau entre les différentes coopératives et les entreprises partenaires pour mutualiser savoirs et savoirs faire dans le développement des entreprises sociales. L’association Libera a permis ensuite une publicité de l’opération grâce à son réseau d’associations et militants antimafia dont les plus importants ont pris part et soutenu le projet Libera Terra.

La Banca Etica, la fondation Slowfood per la biodiversità, la LegaCoop et ses fonds de soutien aux coopératives sociales ont également été présent dès les débuts de l’exprérience Liera Terra et ont permis la mise en réseau et le développement de cette réalité. Enfin dans l’optique de mutualiser les savoirs commerciaux et optimiser les productions biologique de Libera Terra, les différentes coopératives passent par le consortium LTM (LiberaTerraMediterraneo) pour la gestion commerciale des produits Libera Terra.

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78

Processus de vente des produits agricoles des adhérents à LTM. In Tesi di laurea in Sociologia, operare sui terreni confiscati alla mafia : l’esperienza della cooperativa Placido Rizzotto, V.Taschetti, p 298.

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4. Partenaires du projet Promoteurs et porteurs du projet L’association Libera est promotrice et porteuse du projet jusqu’à la formation de la coopérative, qui ensuite crée ses propres statuts et décide de manière autonome et démocratique de sa politique. L’association Libera se porte candidate pour les appels d’offres de gestion d’activité agricoles sur les biens confisqués aux mafias. Si l’appel d’offre est adjugé, la formation de la coopérative peut débuter. Les futurs coopérateurs retenus, choisis sur des critères professionnels, d’engagement et d’éthique, entament ensuite une formation avec les différents partenaires de Libera jusqu’à la formation de la coopérative. Appel d’offre public

Candidature de Libera

recrutement

formation

création de la coopérative

Usagers et accompagnateurs

Les usagers sont les coopérateurs dont le profil a été retenu par Libera pour le lancement de la nouvelle coopérative. Ce sont aussi les employés qui auront la possibilité de travailler, périodiquement ou de manière continue avec la coopérative, sur les territoires concernés, en occurrence les communes de l’Alto Belice Corleonese. Au départ personne sur ces territoires ne voulait travailler pour la coopérative, force est de constater qu’aujourd’hui les demandes sont plus nombreuses que l’offre ! En période de forte activité ce sont presque 100 personnes qui travaillent sur les champs des coopératives Libera de l’Alto Belice.

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Financeurs

La Banca Etica Première banque éthique italienne. Banque coopérative finançant le tiers secteur italien et tous projets à finalité éthique. La Banca Etica est l’un des premiers financeurs de Libera. Un prêt de 100 000 €, garanti par le Consorzio Svillupo e Legalità, a été accordé à la Placido Rizzotto à son lancement.

Coopfond

Coopfond est le fond mutualiste de la LegaCoop pour la promotion de la coopération. Les coopératives adhérentes à la LegaCoop cotisent une part minimale de leur chiffre d’affaires au fond Coopfond. Coopfond a fait une donation de 52 000 € pour le lancement de la Placido Rizzotto et un financement de 100 000 €.

La CoopAdriatica La CoopAdriatica, l’une des 9 grandes coopératives de consommation du système Coop, appartenant à la Lega delle Cooperative (LegaCoop), est entré au capital social de la Placido Rizzotto en investissant 50 000 € lors de la création de la coopérative.

FESR et FSE

Les fonds européens pour le développement prioritaire des régions faiblement industrialisées et le fonds social pour le maintien de l’emploi, sont deux financeurs indirects de la coopérative Placido Rizzotto puisqu’ils financent le consortium Svillupo e Legalità qui luimême garanti certains prêts de la coopérative par son fonds d’investissement.

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5. Financement Ressources marchandes

-

Vente

des

Ressources non-marchandes

produits Dons (Coopfond …)

LiberaTerra :

Réseau Libera et visibilité offerte par la médiatisation

Division agricole Division

Ressources non-monétaires

touristique

Mise à disposition des terrains autour de Libera ( gratuitement par les communes

gestion de l’agro-tourisme concernées, bail emphytéotique Valorisation du territoire Portelle della Ginestra)

de 30 ans

Division vins Travail bénévole : Financements bancaires

-les champs de la légalité : activités agricoles réalisées par des groupes de volontaires.

6. Chronogramme Définition du projet Création d’une coopérative sociale agricole pour développer une agriculture biologique sur les 155 hectares de terrains mis à disposition. Développement d’une marque et d’un réseau de commerce éthique. Développement d’une division touristique pour augmenter les ressources de l’activité. Permettre un développement social et économique des territoires concernées fondé sur la légalité et le respect des droits. Promouvoir une économie éthique et une justice sociale à travers une activité entrepreneuriale qui puisse valoriser les territoires concernés.

7. Difficultés La difficulté majeure est inhérente au projet et à la définition des terrains cultivés : « terrains confisqués à la mafia ». A partir de là il est facile de comprendre avec quels à priori les coopérateurs vont devoir commencer à travailler. 67


En premier, comme l’expliquent les coopérateurs de la Placido Rizzotto, vint la peur, légitime de représailles d’anciens propriétaires ou leurs sympathisants. Après plusieurs intimidations il est arrivé que le président de la coopérative dorme plusieurs nuits de suite sous le tracteur dans la grange de peur de voir partir en fumée le seul capital de la coopérative ! Les représailles, intimidations de personnes liées aux anciens propriétaires mafieux sont la première étape à passer. Les relations professionnelles et sociales avec l’environnement de la coopérative sont également difficiles dans un premier temps. En effet les coopérateurs choisis ne viennent pas forcément des bourgs de la coopérative et obtenir la confiance des voisins n’est pas chose facile mais pas moins nécessaire pour expliquer le travail effectué et faire son coming out et changer les mentalités locales. « Il faut y aller pas à pas pour pouvoir créer un rapport de confiance avec eux. Si j’expliquais d’entrée qui nous étions, ils auraient été beaucoup trop méfiants et se seraient dit ‘arrivau u sbirru’ (l’inspecteur est arrivé) » dixit le président de la coopérative. Pour les personnes habitant la ville de la coopérative, il faut s’habituer au regard des autres habitants, commerçants, la pression sociale de la société mafieuse : perte de confiance à votre égard, isolation dans les rapports sociaux … « à peine il comprenait que je travaillais dans une coopérative, dans ce type de coopérative, certains de mes amis me disaient ‘mais qui te force à travailler là bas, pourquoi tu travailles là bas, vas te trouver un autre travail plus tranquille’ voilà le genre de réactions dans la ville »79 dit un des responsables de la coopérative. Les relations professionnelles avec l’environnement de la coopérative ont également été difficiles au début. Aucun mécanicien n’était capable de réparer le tracteur de la coopérative lorsque celui-ci était en panne, aucun travailleur ne se présentait pour les vendanges etc. Enfin le double jeu des autorités publiques comme les représentants des communes ou des forces de l’ordre local sont un obstacle à dépasser. La non coopération des autorités publiques a mis un frein à l’expansion de la coopérative, qui à force de patience et persévérance à réussi à faire valoir ses droits, notamment pour l’acquisition de nouveaux terrains ou l’implantation de nouvelles coopératives.

79

In V.Taschetti p 248

68


Les difficultés rencontrées doivent être changées en opportunités pour poursuivre l’objectif initial de la coopérative. C’est cette volonté de persévérance que recherche Libera dans ses recrutements de coopérateurs.

Difficultés

Opportunités

Menaces mafieuses

Décrédibilité de la violence mafieuse Soutien populaire et médiatique

Rapports sociaux avec l’environnement de la Démontrer la crédibilité de la coopérative coopérative

Changer le consensus omerteux

Double discours des référents politiques

Ne pas entrer dans une logique politicienne Garder des contacts institutionnels avec les référents publics, faire valoir le droit

Ressources financières

Effort financier des coopérateurs Renforce la cohésion de groupe

8. Résultats escontés Insertion sociale et pérennisation de l’activité La coopérative sociale a pour objectif l’insertion sociale de sujets en grande difficulté par l’obligation d’employer un minimu de 30% de personnes correspondantes aux critères d’exclusion sociale. Au-delà de ce simple aspect formel, tout accès à un emploi stable, rémunérateur, respectant les règles du doit du travail en vigueur permet une meilleure insertion sociale surtout dans des territoires où le taux de chômage frôle les 30%. La coopérative est également une forme d’entreprise non spéculative puisqu’il ne s’agit pas d’une société par actions où les parts sociales peuvent fluctuer. Les coopérateurs ne peuvent revendre leurs parts sociales à des prix plus élevés que leur apport initial, ce qui est en soi un gage de pérennité de l’activité puisque l’intérêt financier ne peut être le seul intérêt de l’investissement coopératif. Enfin la pérennité de l’activité passe également par les choix économiques opérés. Les champs économiques investis par Libera se trouvent dans une conjoncture positive qui devrait durer (+7%/an en moyenne pour le bio). Le caractère innovatif de l’activité est garant de la pérennité de l’activité.

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Les financements de base et le fort soutien politique au début du projet sont des éléments important dans la pérennisation de l’activité, dont les intérêts sont loin d’être seulement économiques pour les acteurs engagés (visibilité politique et médiatique).

9. Evaluations La coopérative Placido Rizzotto existe depuis 2001 et a réussi a triplé son bénéfice en moins de trois exercices, avec un bénéfice net de 91.489 euro en 2008 et une production cinq fois supérieure en valeur à celle de 200380. Les bons résultats économiques (le total de la production est vendu un an à l’avance), la création de nouvelles activités (la division tourisme éthique) et l’amélioration de la qualité de la production (objectif de la division vin) démontrent la pérennité de la coopérative Placido Rizzotto. La création d’une gouvernance atypique dans l’autorisation de la gestion des terrains (consortium SEL) a permis le développement d’une « méfiance positive » entre les agents (personne ne peut se dire mafieux à l’intérieur du réseau) qui a profité à l’expansion de la coopérative. Le succès de l’opération, devenue modèle en la matière, a ouvert la voie de nombreuses nouvelles expériences, pas seulement en Sicile. C’est sans doute le plus beau succès des coopérateurs de la Placido Rizzotto.

80

V.Taschetti p.272

70


La coopérative Le Terre di Don Peppe Diana 1. Contexte socio économique global La région Campanie (Naples) est la région la plus peuplée du Mezzogiorno, avec une forte densité d’habitants au kilomètre carré. Naples, capitale de région, est la troisième ville plus importante d’Italie après Milan et Rome. La région compte 5 provinces (départements) dont celle de Caserte au nord de Naples, où se trouvent les Terre de Don Peppe Diana. regione Campania81 Capoluogo

Napoli

Province

5

Comuni Superficie Popolazione Densità

551 13.590 kmq 5.790.929 426 ab/kmq

La Campanie souffre des mêmes maux que l’ensemble de l’Italie méridionale : faible industrialisation, économie plus fortement basée sur l’agriculture, manque d’investissements industriels et forte population en conditions précaires. Voici quelques indices économiques globaux :

Le PIB de la campanie est resté stable à euros constants entre 1995 et 2008 alors que le PIB national a connu une croissance faible mais constante sur la même période. 81

Source Istat.it

71


Le PIB par habitant Campanien reste de loin inférieur au PIB par habitant national, qui est le 6ème au niveau mondial.

Une famille sur quatre vit sous le seuil de pauvreté en Campanie, c’est six fois qu’en Lombardie ou que dans le Veneto, et plus de deux fois et demi supérieur au taux national. Cet état préoccupant s’est accru de 20% environ entre 2007 et 2008, chiffre préoccupant quand on sait que la crise financière de 2008 n’a pas arrangé l’état de l’économie nationale et locale.

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La Campanie, au même titre que l’ensemble des régions du Mezzogiorno, fait partie des objectifs prioritaires des aides européennes pour les régions, FEDER 2007-2013.

2. Contexte micro économique local La future coopérative aura son siège social à Castel Volturno et gèrera dans un premier temps une ferme et des terrains agricoles pour opérer dans le secteur laitier dans la fabrication de mozzarella. Les terrains, confisqués à la camorra (mafia napolitaine) se trouvent dans les communes de Teno, Piganataro Maggiore, Carinola, Cancello ed Arnone et Castel Volturno dans la province de Caserte, réputé pour la qualité de ses mozzarelle mais aussi pour sa criminalité organisée. Non loin de là se trouve la ville de Casal di Principe, une des villes à plus haute densité criminelle actuellement en Italie sur laquelle a basé la plupart de ses enquêtes et récits Roberto Saviano (cf Gomorra).

82

82

Capture d’écran Google map.

73


Le tissu entrepreneurial local se base principalement sur des petites entreprises, mêmes dans les secteurs manufacturiers (production alimentaire, textile, transformation du bois et métallurgie) dont les chiffres d’affaires ne dépassent pas les 50 000€. La grande industrie (avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 000 000 €) ne représente que 0,05% des entreprises en Campanie dans les secteurs du tabac (100% de la production nationale), de l’automobile, de l’énergie, de la raffinerie et de la métallurgie.

Le secteur agricole

Les entreprises agricoles représentent 17% du total des entreprises en Campanie. Les principales productions sont les agrumes et fruits, et les fromages dont la mozzarella est le produit de référence.

74


La Campanie produit un quart de la production totale de lait du Mezzogiorno (1,2 million de quintaux – source Istat 2005) et possède un savoir faire vérifié dans la production de fromages dont les plus reconnus sont la Mozzarella di Buffala Campana, le Cacciocavallo et le Fiordilate dell’Apenino Meridionale tous protégés par des appellations contrôlées (DOP : Dénomination d’Origine Protégée). Toute l’ensemble de la province de Caserta bénéficie de l’appellation pour le Mozzarelle di Buffala.

La figure de Don Peppe Diana

Don Peppe Diana est un prêtre originaire de Casal di Principe, à quelques kilomètres de la nouvelle coopérative, assassiné par la camorra le 19 mars 1994 dans son église peu avant une cérémonie religieuse. Durant les années d’expansion de la mafia napolitaine et de guerre entre les différents clans, Don Peppe incitait la population à ne pas accepter la situation et à ne pas se taire pour espérer un changement. L’homicide eut lieu dans un moment de crise entre les différents clans et fut ordonné, selon les actes judiciaires par un des clans afin de faire intervenir l’Etat contre la bande qui avait désormais gagné le contrôle du territoire.

3. Partenaires

Promoteurs et porteurs de projet LIBERA

Libera, grâce à son expérience en la matière, a obtenu la possibilité de créer une nouvelle coopérative sur les terrains confisqués en Campanie. L’association copilote le projet de recrutement et de formation de la future coopérative laitière avec la fondation : Fondazione per il Sud.

LA FONDAZIONE PER IL SUD Dans le cadre de son projet ‘la mozzarella della legalità’ la fondation finance la création de coopératives sur les terrains confisqués en Campanie. La Fondazione per il Sud est née en 75


2006 de l’alliance entre fondations bancaires et sujets du tiers secteur et de la coopération pour promouvoir les infrastructures sociales dans le Sud. Elle soutient les initiatives solidaires capables de stimuler le développement local, dans un esprit philanthropique et ancrés dans le développement des territoires grâce à la collaboration avec les organisations sociales et solidaires. Elle disposait en 2009 d’un budget de 400 millions d’euros.

AUTRES PARTENAIRES :

-

L’agence Cooperare con Libera Terra

-

Legacoop Campania

-

CIA – Confederazione Italiana Agricoltori

-

Legambiente Campania (association de défense de l’environnement)

-

Comitato Don Peppe Diana Associazione di promozione sociale

-

Commune de Castel Voturno e commune de Cancelo ed Arnone

Financeurs A ce jour, seule la Fondazione per il Sud a promis un financement extraordianaire pour permettre le démarrage de la production de mozzarella et la restructuration des bâtiments ainsi que leur mise aux normes. En tout et pour tout la fondation a réservé un financement de 493 750 €.

Chronogramme 1. Projet ‘mozzarella della legalità’ Fondazione per il Sud + Libera 2. Appel d’offre pour le recrutement des coopérateurs 3. Premier recrutement de 10 personnes (2 par poste) 4. Formation à la coopération (Agence Cooperare con LT + visite fromageries avec C.I.A) 5. Recrutement final des 5 coopérateurs 6. Formation spécifique au sein de la coopérative Placido Rizzotto 7. Création des statuts 8. Dépôt des statuts puis démarrage de l’activité : septembre 2010

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Difficultés

DIFFICULTES

OPPORTUNITES

1ère coopérative Libera en Campanie

Profiter de l’enthousiasme initial Devenir modèle de référence dans la région

Zone à risque

Promouvoir une autre image de la région Renforcer la cohésion du groupe

Marché de la mozzarella : savoir faire Promouvoir l’excellence agro-alimentaire difficile et contraintes (chaines du froid etc.)

Augmenter

le

marché

de

la

marque

LiberaTerra

Conclusion Libera a acquis un savoir faire et une crédibilité dans la gestion coopérative des biens confisqués aux mafias qui font d’elle un acteur reconnu et partenaire de nombreux projets en la matière. Le projet ‘le mozzarelle della legalità’ en collaboration avec la Fondazione per il Sud démontre le crédit accordé à l’organisation. Le processus de création de la nouvelle coopérative débouchera sur un nouveau marché porteur et complexe à, la fois, d’où l’intérêt pour Libera de suivre avec attention l’avancement de la coopérative. Le processus de sélection et de formation des coopérateurs choisis a permis de recruter des personnes ultra-motivées (cf. questionnaire annexe p.100) et qui ont réussi à créer une cohésion de groupe très rapidement, comme j’ai pu le constater lors de mes différentes rencontres avec eux. En un mois de formation théorique et pratique ils ont pu comprendre la réalité du monde de la coopération et la spécificité de l’entrepreneuriat social dans les territoires difficiles grâce à la rencontre des coopérateurs de la Placido Rizzotto. La mise en réseau de tous les acteurs partenaires du projet est également intéressante : en amont par la formation des coopérateurs et en aval par la par les premiers travaux de restructuration de la future coopérative grâce à l’opération « E! State Liberi » (vacances sur les terrains confisqués) et l’aide des volontaires.

77


La coopérative devrait voir le jour en septembre, mais achètera le lait dans un premier temps avant de produire son propre lait et mozzarella. L’aboutissement du projet ‘le mozzarella della legalità’ pourrait créditer un nouvel engouement territorial pour la coopération. C’est tout le mal que l’on peut souhaiter à ces jeunes coopérateurs napolitains et le développement de Libera.

Les membres de la coopérative Le Terre di Don Peppe Diana, Castel Volturno

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Conclusion Nous avons tenté d’analyser la thématique de l’utilisation économique et sociale des biens confisqués aux mafias et de démontrer à quel point cet instrument peut fonctionner dans la lutte contre la criminalité organisée, en la touchant du point de vue juridique avec l’application de sanctions patrimoniales, dans sa dimension économique en la destituant des richesses acquises illégalement et dans sa dimension sociale dans la restitution du bien mal acquis à la société en dépassant les peurs liées à une supposée invincibilité de la mafia. Les expériences et le succès des coopératives sur les terrains confisqués sont significatifs puisqu’ils permettent à des jeunes d’entreprendre et de coopérer sur des biens restitués à la société civile. Ces expériences démontrent le changement de mentalité et la volonté de reprendre en main le destin de sa propre terre et donc de sa propre vie, en s’engageant de manière sérieuse et collective. On pourrait, en reprenant cette analyse, redonner une lecture éthique à l’économie et à l’entrepreneuriat, comme l’exprimait Max Weber dans « l’esprit du capitalisme » en 1904. Une nouvelle manière d’entreprendre, où au-delà de la juste recherche du profit s’insère l’objectif de créer des richesses globales fondées sur des principes intouchables comme le respect du territoire, l’utilisation raisonnée des ressources et une gestion éthiquement correcte. Les coopératives Libera Terra réussissent à redonner un sens à la terre en créant un développement économique sur des terrains ayant appartenu à la criminalité organisée et souvent inutilisés. Ces coopératives produisent des produits de qualité grâce au choix de l’agriculture biologique ; entreprennent des rapports commerciaux avec d’autres entrepreneurs éthiquement correct, alimentant le marché de référence, et créent de l’emploi sur les territoires concernés. Il s’agit de véritables entrepreneurs dotés d’innovation, élément fondamental dont doit être doté tout entrepreneur selon Schumpeter. Ces expériences représentent des exemples concret de développement économique et social responsable, mettant en évidence la virtuosité du capitalisme coopératif et de l’économie sociale plus en générale. Cette affirmation repose sur l’analyse antithétique de l’économie sociale et solidaire et du capitalisme philo-mafieux. Nous avons pu voir sur quels piliers repose le pouvoir mafieux, en esquissant une analyse sociologique de la société mafiogène. On peut définir le phénomène mafieux grâce à la présence des éléments suivants : un système de violence et d’illégalité, l’accumulation du capital, l’acquisition et la gestion de 79


pouvoir politique et enfin un relatif consensus social devenant code culturel à tous les effets avec le temps. La photographie de la société mafiogène est celle d’une société capitaliste poussant cette logique à l’extrême, faisant ressortir les traits principaux de la corruption comme système dominant. Le contexte particulier de l’Italie méridionale, enclin à ce genre de domination, nous a permis de mettre en évidence une société civile qui se construit par opposition au système dominant corrompu. La défense de la légalité devient un enjeu de société puisque de cette prise de position dépend l’identification de cette société, civile et civique, capable de créer des réseaux de solidarité venant contraster la méfiance ambiante et diffuser de la confiance pour établir de nouveaux rapports sociaux. L’objet d’étude de cette recherche était la relation entre économie solidaire et société civile, dans les territoires particulièrement faible en capital social, c'est-à-dire où les relations de confiance entre les agents économiques et non économiques sont moins importantes et limitent la circulation du capital aux agents dominants dans le réseau. La définition dans un premier temps de la mafia et de son système économique, puis de son soutien implicite par les populations locales ont été illustrées par le paradigme de la complexité, nous rappelant qu’il ne peut s’agir ni d’un phénomène rationnel ni d’un phénomène irrationnel, mais d’un phénomène complexe que les champs de lutte dominants actuellement ne prennent pas assez en considération. L’approche culturaliste est une porte d’entrée permettant de chercher à modifier le consensus social imposé dans une démarche bottom-up, de bas en haut de la pyramide sociale. Cette démarche ne peut s’autosuffir mais ne peut non plus être oubliée des politiques de développement des dits territoires. A partir de cette analyse on peut juger la loi de confiscation des biens à la criminalité organisée et leur réutilisation sociale comme une avancée sociale importante permettant de donner des signes forts de réappropriation sociale de biens privés immoraux. La gestion par des organismes à but non lucratif de tels biens permettent de développer une citoyenneté active à tous les effets : décrédibilisassions du propriétaire corrompu, gestion collective d’un bien devenu public, et entrepreneuriat social permettant une nouvelle considération du territoire et un développement économique alternatif. Libera et les coopératives Libera Terra sont sans doute l’exemple le plus abouti d’entrepreneuriat social innovant sur des territoires aux conditions économiques difficiles. Les coopératives profitent de domaines d’excellence agricole pour valoriser l’image de leurs produits et de leurs territoires, en mêlant tradition et innovation au service du consommateur. La coopérative Placido Rizzotto, située dans la plaine Corleonaise dans la province de 80


Palerme en Sicile est devenu le symbole de Libera en matière d’excellence agricole, économique et sociale. Il s’agit de la première expérience du genre en Italie, et la collaboration entre état, tiers secteur et entreprises socialement responsables a permis de consolider un réseau stable et fiable de partenaires économiques et pas seulement. Le modèle Placido Rizzotto doit à terme devenir le modèle Libera Terra. Les coopératives hors de la province palermitaine sont plus isolées mais leur consolidation passe aussi par leur développement économique. La mutualisation de la promotion et de la vente des produits Libera Terra par le consortium Libera Terra Mediterraneo pourrait permettre de soulager les coopératives de la tâche commerciale pour se focaliser dans un premier temps sur la fonction production. Le chiffre d’affaires de Libera Terra a triplé en trois ans et la demande reste plus importante que l’offre, grâce au réseau de distribution dans le centre et nord du pays. Cette perspective permet aux coopératives de se focaliser sur l’amélioration de la qualité de leurs produits. Le projet ‘mozzarella della legalità’ financé en partie par la Fondazione per il Sud et dont a profité la future coopérative de Libera Don Peppe Diana, dans la province de Caserta près de Naples, montre la crédibilité qu’offrent ce genre de projets aujourd’hui pour le développement du Mezzogiorno. L’apparition de nouveaux partenaires permet d’élargir le réseau de Libera et de consolider la marque Libera Terra et le projet de réutilisation des biens confisqués. L’implantation de Libera en Campanie pourra être facilité par la coopérative Don Peppe Diana, qui en mémoire du prêtre assassiné par la camorra pourra redonner un élan au développement légal sur le territoire. Enfin notons que le succès de Libera est lié au choix critique et éthique des consommateurs qui en achetant les produits Libera Terra deviennent des consom’acteurs de l’antimafia. C’est à partir de ce constat et des expériences novatrices comme celles de Libera que se créent les anticorps pour une société plus juste. C’est également à partir de ces expériences et de ces valeurs défendues (légalité, commerce éthique et biologique, économie solidaire …) que l’autre Italie prépare un avenir économique et politique différent, en partant du Mezzogiorno.

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Bibliographie Arlacchi P., 1986, Mafia et compagnie, l’éthique mafiosa et l’esprit du capitalisme. Anselmo I., 2008, La confisca dei beni e la criminalità organizzata. Esperienze di sviluppo economico in Sicilia, mémoire de master en économie, Université de Palerme Cuillerai M., 2002, Le capitalisme vertueux, mondialisation et confiance, Payot et Rivages. Coleman J. 1988, Social Capital in the Creation of Human Capital, American Journal of Sociology n.

9.4 Di Maggio U., 2008, Le politiche antimafia di utilizzo sociale dei beni confiscati alle criminalità organizzate per lo sviluppo locale siciliano, thèse de doctorat en Sciences Politiques, Université de Teramo. Draperi J.F, 2010, L’entrepreneuriat social, un mouvement de pensée inscrit dans le capitalisme, ACTE 1. Hess H., Mafia : le origini e la struttura, 1970, Laterza. Lupo S., 1999, Histoire de la mafia, des origins à nos jours, Flammarion. Macchiocchi M.A, 1974, Pour Gramsci, Broché. Pontieux S., 2006, Le capital social, Editions La Découverte. Prades J., Réponse au camarade Draperi, 2010 Prades J., 2006, Compter sur ses propres forces, Ed. de l’Aube. Putnam R., 1993, Making democracy work, Princeton University Press. Santino U. , 2000, Storia del movimento antimafia : dalla lotta di classe all'impegno civile, Roma: Editori riuniti Santino U., 2006, Stereotipi e pardigmi, Narcomafie, n. 4, Janvier 2006. Source : www.centroimpastato/publ/online/stereotipi_paradigmi.php3 Sciascia L., 1971, Il contesto, Einaudi. Sen A., 1999, Development as freedom, Oxford University Press. Schneider J. e Schneider P., 1976, Classi sociali, economia e politica in Sicilia, Rubettino, Soveria Mannelli, Catanzaro Spampinato A., 1997, L’economia senza etica è diseconomia, l’etica dell’economia nel pensiero di Don Sturzo, Centro Studi Luigi Sturzo. Taschetti V., 2009, Operare sui terreni confiscati alla mafia : l’esperienza dei soci-lavoratori della cooperativa Libera Terra – Placido Rizzotto, Mémoire de master en sociologie, Université de Trente.

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Sites :

http://www.libera.it http://www.liberaterra.it http://www.regione.sicilia.it/ http://www.beniconfiscati.it/ http://www.istat.it

http://www.addiopizzo.org/

http://www.centroimpastato.it/

http://www.cooperareconliberaterra.it

http://www.sviluppoelegalita.it

http://www.fondazioneperilsud.it

http://www.cerises.univ-tlse2.fr

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Annexes

Organigramme distribution de la production :

Les coopĂŠratives les plus jeunes, Pio la Torre de San Giuseppe Jato (PA) et Terre di Puglie (Bari) sont unis avec les coopĂŠratives Placido Rizzotto et Valle del Marro de Gioa Tauro (Calabre) au sein du consortium Libera Terra Mediterraneo (LTM), pour la vente et la valorisation des produits Libera Terra.

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Les produits Libera Terra : Les pâtes sont l’un des produits phares de Libera. La fabrication de pâtes est pour la majeure partie issue de blé biologique sicilien. Il existe une seconde catégorie de pâtes, biologiques et artisanales issues de la fabrication de blé de Gragnano (coopératives adhérentes à Libera Terra), dans la province de Naples. Dans une optique d’amélioration de sa qualité produit, Libera Terra pourrait augmenter son offre de pâtes artisanales. Les vins, comme les pâtes, représentent la principale production de Libera Terra. La marque Centopassi représente le vin sicilien, et les vins des Pouilles sont vendus sous l’effigie Libera Terra Puglia. Les vins siciliens sont pour la plupart issus de cépages autochtones (Syrah, Nero d’Avola, Catarrato, Grillo) et le travail des œnologues paie puisque plusieurs vins Centopassi ont reçu des distinctions et prix pour leur qualité. Les huiles d’olives proviennent des coopératives calabraises et des Pouilles. Elles sont issues de l’agriculture biologique et d’une première pression à froid, garantissant leur qualité et leur arôme. Différents types d’oliviers permettent la fabrication de ces huiles. Les huiles de l’Aspromonte (Calabre) sont d’une couleur jaunâtre avec des reflets verts et légèrement piquantes. Les huiles du Salento (Pouilles) sont elles plus vertes avec des reflets jaunâtres, légèrement amères et piquantes. Les préparations de sauces et conserves sous huiles viennent compléter la gamme Libera Terra. Les coulis de tomates et tomates séchées des Pouilles ; filets d’aubergine et sauces au piment de Calabre.

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Les légumineuses biologiques Libera Terra sont issues des coopératives siciliennes, la Sicile étant réputées pour les recettes à base de lentilles et poids chiches notamment. On peut trouver différentes sortes de lentilles, poids chiches et farines de poids chiches.

Enfin au rayon sucré on peu trouver des confitures d’agrumes siciliens (oranges, citrons) ainsi que du miel biologique, produit par des coopératives siciliennes partenaires de Libera Terra.

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Statistiques sur l’agriculture biologique en Italie : 83

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Tous les chiffres, tableaux et graphiques sont issus du rapport du Ministère des politiques agricoles, alimentaires et des forêts italiennes élaboré par le centre de recherche agricole SINAB (Système d’Information National sur l’Agriculture Biologique en 2009.

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Feuille de route des missions de Libera Sicilia pour 2010-2011 (en italien) :

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Descriptif des voyages proposĂŠs par la division tourisme de Libera, Il g(i)usto di viaggiare :

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Réalisé à partir de capture d’images du site www.ilgiustodiviaggiare.it .

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Coopérative Le Terre di Don Peppe Diana

Carte des biens confisqués à la Camorra dans la province de Caserte :

Source google maps : « beni confiscati alla camorra »

Localisation des terrains de la coopérative Le Terre di Don Peppe Diana, cf p71. 96


Extrait de l’appel d’offre public de constitution de la coopérative :

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Interview des futurs coopérateurs : Quels ont été les motivations qui t’ont poussé à participer à l’appel d’offre de Libera ? Mario : « […] se détacher d’une réalité nauséabonde et corrompue et chercher de reprendre notre terre » Emmanuele : « « envie de légalité – dépasser l’indifférence – requalifier les produits typiques – ne plus travailler comme salarié » As –tu déjà eu des expériences de travail en coopérative ? M : « non » E : « non » Quels sont, selon toi, les facteurs qui limitent l’entrepreneuriat sur ton territoire ? M : « le grand manque de confiance dans les institutions e sur ses propres capacités » E : « crise économique- peur de faire faillite – peur de ne pas pouvoir refuser de payer le racket – concurrence déloyale » Lesquels contribuent à stimuler l’entrepreneuriat ? M : « l’idéologie du ‘c’est impossible’ qui devient une façon de vivre » (non sens, incompréhension de la question ?) E : « l’inventivité, l’anticonformisme, la confiance envers les autres compétiteurs, le courage » Quels facteurs pourraient dans le futur stimuler l’entrepreneuriat ? E : « l’honnêteté, la légalité, la cohérence » Si tu n’avais pas été sélectionné par l’appel d’offre qu’aurais tu fais ? M : « je serais redevenu barman ou chômeur » E : « un travail quelconque (et volontaire pour Libera durant mon temps libre) » Selon toi, que pensent tes proches (amis, familles) de ton choix ? M : « ils sont tous très orgueilleux et enthousiastes » E : « certains orgueilleux, les autres méfiants » As-tu déjà été volontaire ou bénévole pour une autre association ? M : « assistance pour les SDF à la gare centrale de Naples » E : « oui, mais plus ciblé sur la spiritualité »

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Pour toi qu’est ce que représente la coopérative ? M : « l’union fait la force, l’intention de rejoindre ENSEMBLE [dans le texte] jour après jour des objectifs » E : « l’opportunité de créer de l’emploi, une manière de travailler plus adaptée et plus juste pour moi » Quels sont les aspects négatifs de la coopération ? M : « je les découvrirai bientôt » E : « le manque d’expérience – l’insécurité quant au territoire » Age, Formation, Dernier travail effectué, originaire de … : M : « 30 ans, licence en techniques audiométriques, barman, Naples » E : « 33 ans, diplôme de géomètre, gestion d’archives photographiques, Santa Maria Capua Vetere (Caserta) »

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