Fisheye Magazine n° 23

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N° 23 mars-avril 2017

Focus

Art vidéo FUTUR ET SÉRIES TV

Économie

LES FOIRES PHOTO EN GUERRE

Musique

BELLE ÉPOQUE EN HAUTE-VOLTA

Fisheye Gallery LE ROYAUME DE STÉPHANE LAVOUÉ

Portfolio

LES BAINS PUBLICS DE FLORENCE LEVILLAIN

N° 23 mars-avril 2017

BEL. : 5,20 € I CH. : 8,50 CHF

www.fisheyemagazine.fr

L’INDE EN SURCHAUFFE

POLITIQUE LE FN EN MODE ROMAN-PHOTO PORTFOLIO KEROUAC, L’AMI ARMORICAIN

MOIS PHOTO DE LA

LE PARI DU GRAND PARIS



Édito UN POINT DE VUE SUR LE MONDE Benoît Baume, directeur de la rédaction

© Shutterstock / Victor Maschek.

2017 va connaître un record d’expositions photo produites en France. Une inflation qui diffuse l’image de toute part et en tout lieu. Pendant longtemps, le combat exigeait de mettre en lumière la photographie face aux autres arts et aux autres formes de loisirs culturels. La quête a changé. La tâche consiste désormais à observer, défricher, sélectionner et mettre en perspective les expos qui se multiplient. Alors que des sites Internet, dont certains veulent garder un œil sur la photo, jouent la carte de l’exhaustivité et de la reprise de dossiers de presse, il nous semble évident chez Fisheye que notre rôle doit être de vous aider à comprendre, évaluer et choisir dans ce torrent d’images. Un flux fécond, mais qui peut vite vous noyer en mettant tout au même niveau. La hiérarchie existe, et elle est nécessaire. Cette année, le Mois de la photo du Grand Paris vient ajouter 100 expositions au flot sur la seule période d’avril. Les organisateurs ne produisent pas, ils fédèrent, galvanisent, mettent en lumière et tentent une aventure collective. Dans ces arcanes, nous sommes partis en quête de sens pour vous proposer notre lecture, vous aider à faire vos choix et partir dans cette belle aventure qui sera forcément émaillée de surprises. Sommes-nous objectifs ? Certainement pas, et c’est cela que nous vous proposons : une vision du monde, un point de vue à travers la photographie. Ce programme du Mois de la photo se révèle d’une grande richesse,

qu’aujourd’hui personne ne peut estimer dans sa globalité, car nul n’a vu les expositions accrochées définitivement. Mais nous en avons suffisamment humé pour vous livrer une belle épiphanie. Dans le lot, nous avons eu la chance de voir la Fisheye Gallery retenue avec l’exposition Le Royaume de Stéphane Lavoué. La manquer serait une erreur, mais encore une fois, je ne suis pas du tout impartial, car au-delà du fait qu’il s’agit de la galerie de notre magazine, nous y montrons le travail d’un photographe que j’aime particulièrement et qui aborde le média en auteur entêté avec une esthétique qui n’appartient qu’à lui. D’ailleurs, défendre les photographes, nous le faisons depuis bientôt quatre ans. Dans les pages que vous tenez entre les mains, et sur Internet. Grande nouvelle : nous allons désormais ouvrir notre site à l’anglais avec des articles orientés vers la photographie contemporaine internationale. Dans le même temps, nous vous proposons notre premier livre. Un ouvrage qui rassemble le meilleur de notre curation issu de notre site dans une somme de plus de 150 pages. Un très bel objet que vous pourrez acquérir en ligne ou en librairie contre 20 euros. Ne le cherchez pas en kiosque, il n’y sera pas. Tiré à 3 000 exemplaires, cet ovni va vite devenir un collector. Un objet rare qui vous donnera, on l’espère, autant de bonheur que nous en avons à découvrir les auteurs de demain et à les partager avec vous.


instantanés

P. 8

T E N DA N C E

Photograffée, la photo en réalité augmentée P. 11

CLIC-MIAM

Le trip romanesco

P. 12

I M AG E S S O C I A L E S

André Gunthert La communication visuelle, nouveau créole

P. 14

VO I X O F F

Jean-Christophe Béchet Un quasi-Gursky pour moins d’un euro

P. 16

MÉTIER

La magicienne de l’image Cathy Collin-Thuillier, retoucheuse

P. 18

P O RT R A I T

P.  2 0 — D O S S I E R

Mois de la photo Le pari du Grand Paris

© Marie Abeille. © Jérôme Bonnet / Modds. © Lucine Charon.

Olga Sviblova La force d’aimer


agrandissement

labo

P. 4 5

Le conte fantastique de Stéphane Lavoué « Le Royaume »

EXPOSITIONS

Vu d’ailleurs P. 4 8

FOCUS

H I S TO I R E

P.   8 5

CAMÉR A TEST

Inde : le souscontinent en surchauffe

PA RC O U R S

P.   8 9

AES+F : Provocation militante et esthétique

P.  112

P O RT F O L I O

Réaliser une lentille fish-eye P.  5 8

P.  110

Pépites oubliées de Haute-Volta

AT E L I E R P H OTO

Documenter la route

M U S I Q U E

Fred, coiffeur testeur P. 56

P.  10 8

CIMAISES

Kerouac, l’ami armoricain P.   9 0

P R I S E E N M A I N

Hasselblad X1D : le premier compact moyen format

P.   9 2

S H O P P I N G A P PA R E I L S

Matos

P.   9 4 S H O P P I N G AC C E S S O I R E S

Fly Me to the Moon

P.   9 6

P H OTO M O B I L E

Les applications et accessoires à découvrir

URBANI S ME

P. 6 4

À la recherche de Bouzloudja

sensibilité

Photoprojection : sur les pavés, l’image

P.   9 9

A RT V I D É O

mise au point

Séries télé : dans l’œil du futur

P.   10 2 P O RT F O L I O D É C O U V E RT E

POLITIQUE

P. 69

© AES+F. © Tania Franco Klein. © René Tanguy.

SOCIÉTÉ

24 TheWorkshop 24 semaines d’incubation

P.  12 2

LIVRES

Photothèque

P.  124

P.  127

FLASH

Une photo, une expo

P.  12 8

COMM UNIT Y

P. 8 0

ÉCONOMIE La guerre des foires

Un club qui assure

Précaires au sens propre

É D U C AT I O N

P.  12 0

Panorama

P. 74

Tania Franco Klein

E N A PA RT É

AG E N DA

Plongée en terres frontistes

P.  118

P RO J E C T I O N

P. 8 2

Tumblr des lecteurs

C H RO N I Q U E

P.  13 0


Contributeurs

6

Florence Levillain

Rémy Fenzy

Sabrina Silamo

Florence Levillain explore des territoires variés, du monde de l’entreprise aux banlieues, en France et à l’étranger. Toujours dans une recherche de proximité avec les gens qu’elle photographie, elle s’attache à nous faire découvrir des univers du quotidien. Lauréate de la bourse La France vue d’ici en 2016 avec le projet Bains publics, qui est exposé dans le cadre du Mois de la photo, elle signe le portfolio Société de ce numéro. Florence Levillain est représentée par la maison de photographes Signatures.

Après des études d’histoire de l’art, de photographie et d’esthétique qui le conduiront jusqu’en troisième cycle, Rémy Fenzy a enseigné en universités et en écoles d’art. De 2003 à 2010, il a dirigé l’École supérieure d’arts de Brest. Depuis sept ans, il est à la tête de l’ENSP d’Arles. Dans le cadre de notre dossier, il signe une analyse sur ce qui « fait école » dans les établissements photo d’aujourd’hui.

Diplômée en histoire de l’art et en études audiovisuelles, Sabrina Silamo participe à la programmation de l’auditorium du musée du Louvre de 1990 à 2000 où elle organise, dans le cadre des Midis du Louvre, les conférences et les projections de films sur l’art. Rédactrice en chef adjointe d’Arts Magazine jusqu’en 2014, elle collabore désormais aux rédactions de Télérama et d’Ideat. Pour Fisheye, elle s’est intéressée à la bataille que se livrent les grandes foires consacrées à la photographie.

Gilles Mora

René Tanguy

Nikola Mihov

Après avoir été rédacteur en chef des Cahiers de la photographie (1981-2013), directeur de collection au Seuil (1992-2007), et directeur des Rencontres d’Arles (19992001), Gilles Mora est depuis 2011 le directeur artistique du Pavillon populaire de Montpellier. Spécialiste de la photographie américaine, il a publié de nombreux ouvrages sur le sujet, dont Walker Evans : La Soif du regard, au Seuil, et Walker Evans en questions, chez Hazan. À l’occasion de la rétrospective que le Centre Pompidou consacre au photographe américain, Gilles Mora analyse le goût du vernaculaire d’Evans dans le cadre de notre dossier.

René Tanguy rebat les cartes du voyage en se lançant sur les traces de l’amitié entre Jack Kerouac, icône de la Beat Generation, et Youenn Gwernig, poète breton exilé à New York. Il invente une déambulation où s’entremêlent tribulations réelles et cheminements intérieurs, dont le déroulement aime à s’égarer dans les replis secrets de l’être et les coins sombres de la mémoire. Le portfolio publié dans ce numéro évoque le déracinement et ce désir irrépressible d’être ailleurs du photographe qui vit entre Paris et la Bretagne.

Né en 1982 à Sofia, Nikola Mihov est diplômé en arts visuels, spécialité photographie, de la Nouvelle Université bulgare en 2011. Il est le cofondateur de la plate-forme web www.bulgarianphotographynow.com dédiée à la photographie contemporaine de son pays. Il publie son premier livre, Forget Your Past, consacré aux anciens bâtiments de la période communistes dans son pays, en 2012. Pour Fisheye, il retrace l’histoire de l’un de ces monuments, qui est aussi l’un des plus photographiés au monde : Bouzloudja.

Ours RÉDACTION Directeur de la rédaction et de la publication Benoît Baume benoit@becontents.com Rédacteur en chef Éric Karsenty eric@becontents.com Directeur artistique Matthieu David matthieu@becontents.com Graphiste Maxime Ravisy max@becontents.com Secrétaire générale de la rédaction Gaëlle Lennon gaelle@becontents.com

Rédacteurs Marie Abeille marie@becontents.com Marie Moglia moglia@becontents.com Daniel Pascoal daniel@becontents.com Community manager Lucie Sordoillet lucie@becontents.com Ont collaboré à ce numéro Jean-Christophe Béchet, Carole Coen, Julien Damoiseau, Maxime Delcourt, Jacques Denis, Sofia Fischer, Gwénaëlle Fliti, André Gunthert, Jessica Lamacque, Rémy Lapleige (Dans ta cuve !), Sylvain Morvan, Mathieu Oui, Anaïs Viand

PUBLICITÉ Directeur commercial, du développement et de la publicité Tom Benainous tom@becontents.com 06 86 61 87 76 Chef de publicité Joseph Bridge joseph@becontents.com 06 64 79 26 13 Directeur conseil et brand content Rémi Villard remi@becontents.com SERVICES GÉNÉRAUX Directeur administratif et financier Christine Jourdan christine@becontents.com Comptabilité Christine Dhouiri compta@becontents.com

Service diffusion, abonnements et opérations spéciales Joseph Bridge joseph@becontents.com Fisheye Gallery Jessica Lamacque jessica@becontents.com Assistée d’Ella Strowel Marketing de ventes au numéro Otto Borscha de BO Conseil Analyse Média Étude oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 Photo de couverture : Thierry Fontaine, La peur a changé de camp, 2003. (© Thierry Fontaine, courtesy galerie Les Filles du Calvaire.) « Cette photo parle de la nécessité de demander ou d’apporter la justice, justice fragile comme une bouée gonflée à l’air. Cette photo a été réalisée sur une plage de La Réunion en 2003. » Thierry Fontaine.

Impression  Léonce Deprez ZI « Le Moulin », 62620 Ruitz www.leonce-deprez.fr Photogravure  Fotimprim 33, rue du Faubourg-SaintAntoine, 75011 Paris Fisheye Magazine est composé en Centennial et en Gill Sans et est imprimé sur du Condat mat 115 g Fisheye Magazine est édité par Be Contents SAS au capital de 10 000 €. Président : Benoît Baume. 8-10, passage Beslay, 75011 Paris. Tél. : 01 77 15 26 40 www.becontents.com contact@becontents.com

Dépôt légal : à parution. ISSN : 2267-8417. CPPAP : 0718 K 91912. Tarifs France métropolitaine : 1 numéro, 4,90 € ; 1 an (6 numéros), 25 € ; 2 ans (12 numéros), 45 € Tarifs Belgique : 5,20 € (1 numéro). Tarifs Suisse : 8,50 CHF (1 numéro). Abonnement hors France métropolitaine : 40 € (6 numéros). Bulletin d’abonnement en p. 126. Tous droits de reproduction réservés. La reproduction, même partielle, de tout article ou image publiés dans Fisheye Magazine est interdite. Fisheye est membre de


Laura PANNACK & Mélanie WENGER

Lauréates 2017

© Laura PANNACK

© Mélanie WENGER / Cosmos

Prix HSBC pour la Photographie

LE PRIX HSBC POUR LA PHOTOGRAPHIE ACCOMPAGNE TOUS LES ANS 2 PHOTOGRAPHES :

Publication de la première monographie avec Actes Sud. Exposition itinérante de leurs œuvres dans 5 lieux culturels en France et à l’étranger. Aide à la production de nouvelles images, présentées lors de la dernière étape. Acquisition par HSBC France de six œuvres par lauréat pour son fonds photographique.

Suivez-nous sur


8

févr

9

17

avr

© Vincent Perez

5/7 rue de Fourcy 75004 Paris Téléphone: 01 44 78 75 00 Web: www.mep-fr.org M Pont Marie ou Saint-Paul

Ouvert du mercredi au dimanche inclus, fermé lundi, mardi et jours fériés.

VINCENT PEREZ IDENTITÉS Avec le soutien de Central Dupon Images

En partenariat média avec


I N S TA N TA N É S

Ce chou revisité par la photographe Marie-Amélie Tondu et Hyes Studio a évoqué un souvenir d’enfance très gourmand au chef du restaurant Bonhomie, Nicolau Pla Gomez. Texte : Marie Moglia Photo : Marie-Amélie Tondu, Hyes Studio

CLIC Marie-Amélie Tondu

On l’appelle aussi le brocoli à pomme. Avec ses cônes, ses spirales et sa jolie couleur verte, le chou romanesco est un légume surprenant. Il a très vite inspiré Marie-Amélie Tondu, photographe, et Caroline Nedelec, directrice artistique, qui ont travaillé en binôme pour réaliser cette image. « Nous voulions un produit brut classique, mais aussi étrange dans sa forme et ses couleurs. Ce chou était parfait ! » Pour le mettre en valeur, le duo a joué autour de la brillance du fond et des reflets. Le résultat est troublant, volontairement psychédélique. Aussi étonnant que l’est ce légume, encore assez méconnu. Marie-Amélie confie d’ailleurs : « Je n’en avais jamais mangé avant le shooting. Après les prises de vues, j’en ai profité pour en cuisiner quelques-uns, et ça m’a bien plu ! » www.marieamelietondu.com www.hyes-studio.com

MIAM Nicolau Pla Gomez

« Je ne le cuisine pas souvent, mais j’en ai mangé beaucoup lorsque j’étais petit. C’est un chou qui a une apparence tellement cool ! » De l’enfance, on garde parfois le goût amer de certains légumes. Nicolau, lui, a les yeux pleins d’amour lorsqu’il nous parle du chou romanesco que sa mère lui préparait si souvent. De l’huile d’olive, du sel, du poivre, une pincée de gingembre, le tout saisi quelques instants dans une poêle bien chaude. « C’est un produit dont on se sert souvent comme garniture, mais qui se suffit à lui-même. Ça se voit sur cette image d’ailleurs. Ce chou, il peut faire planer ! » Bonhomie 22, rue d’Enghien, 75010 Paris. www.bonhomie.paris

CLIC-MIAM

LE TRIP ROMANESCO

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I N S TA N TA N É S

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PORTRAIT

La directrice du Multimedia Art Museum Moscow (MAMM) fête les 20 ans de son musée qui bénéficie d’une aura internationale de plus en plus importante. Rencontre avec une femme entière qui n’a que l’absolu comme référence. Texte : Benoît Baume – Photo : Jérôme Bonnet / Modds

Olga Sviblova

La force d’aimer

Dans le milieu de la photo, il suffit de dire « Olga » pour savoir de qui l’on parle. Son nom de famille est presque superflu. « Je suis positive et volontaire. Mais je peux aussi être dure avec les gens, car parfois le temps me manque. » Olga Sviblova manie également l’euphémisme, mais elle le fait avec tellement de brio qu’il serait dur de lui en vouloir. Ce samedi, la terrasse chauffée du café Paris London, place de la Madeleine, est pleine. Pour la photo à laquelle elle se livre sans résistance, on avait prévu une table à l’intérieur. Mais ce sera bien en extérieur pour discuter et fumer : deux activités majeures pour Olga. « Tu vois, depuis des années je mange dans ce restaurant des cœurs d’artichaut que j’adore. Aujourd’hui, j’ai pris des avocats. Je n’aime pas que la photo, même si les gens m’associent à elle. J’aime la sculpture, la peinture, l’histoire de l’art et l’art contemporain sous toutes ses formes. J’ai ouvert un musée de la photo à Moscou voici vingt ans, car dans un pays sans musée d’art contemporain, sans culture de l’image, sans galerie et sans critique d’art, il fallait commencer par un médium qui semblait facile d’accès afin d’éduquer le public. Aujourd’hui, le succès est immense. » Pour s’être rendu quelques semaines auparavant au MAMM, on ne peut que lui donner raison. Le musée de plus de 7 000 m2, construit aux normes internationales, est sublime. Les Moscovites s’y pressent, et la plupart se révèlent assez jeunes. Couvrant la photo, le cinéma, l’art contemporain et les arts numériques, le MAMM est un ovni aux services des désirs d’Olga qui sait très bien combler le cœur de son public. Organisatrice de deux biennales de photo à Moscou, sachant naviguer dans le monde des autorités russes et des mécènes oligarques, fondatrice d’une école photo et curatrice de plus de mille expositions dans le monde, cette femme semble porter à elle seule le dynamisme artistique incroyable qui s’est emparé de la Russie depuis le début du XXIe siècle. Sur la sublime bibliothèque en bois vert de son bureau, et sur celle de sa maison de campagne,

« J’aime la photo, car c’est un média esthétique et documentaire. Les photographes sont des témoins qui permettent de fixer un instant, une émotion, une forme qui va résister au temps et aux mythes. »

on retrouve des instruments de mesure aéronautique. Une trace de son père ingénieur dans ce secteur, et de la passion de son deuxième mari, Ollivier Morane, son amour absolu décédé trop tôt. De tout cela, Olga ne parle pas. Comme de son fils, Tim Parchikov, photographe de talent. VIVRE POUR SOI

En revanche, elle évoque le père de ce dernier : « Dans la vie, j’ai un regret. À 19 ans, j’ai épousé le poète Alexei Parchikov, c’était un génie. Peu après, j’ai terminé major de ma promotion à l’université de psychologie de Moscou avec une thèse intitulée “Métaphorisation comme modèle de processus créatif”. Je devais alors partir étudier à Budapest, mais je me suis demandé qui nourrirait et parlerait tous les jours au poète. Et je suis restée. Je regrette ce choix. Je pense qu’il faut vivre pour soi pour aider les autres. » Régulièrement, elle parle de ses six années comme balayeuse de rue : « Devant chez moi, tout était propre. J’aime réaliser des choses concrètes et qui se voient. » Elle se souvient avec émotion des soirées artistiques, quasi quotidiennes, à vingt ou trente dans son petit appartement. Un lieu d’échanges qui lui a appris à parler avec les artistes. « Parfois, j’ai un rapport fusionnel avec eux, cela peut être un peu conflictuel. Mais à la fin, seul le résultat compte : ce que nous allons montrer. » Toujours en quête de moyens pour les auteurs, elle déteste dépendre de quelqu’un et trouve toujours des solutions. « Il vaut mieux avoir des amis que du budget, c’est bien plus utile. » Tournée vers l’avenir, Olga regarde toujours le projet d’après. « Le travail que je vais montrer sur Brancusi, les projets avec les robots, l’intelligence artificielle, la réalité virtuelle, voilà ce qui m’anime et me rend heureuse. » Affective, Olga marche à l’émotion, et on le comprend assez vite tant il semble impossible de ne pas aimer cette dame de la culture qui a fait de la quête du sens son combat. « J’aime la photo, car c’est un média esthétique et documentaire. Les photographes sont des témoins qui permettent de fixer un instant, une émotion, une forme qui va résister au temps et aux mythes. » Chaque photographe qui a eu affaire à Olga en parle avec respect. Elle incarne une sorte de folie russe, mais une folie si généreuse et créative que l’on ne peut que souhaiter à un artiste de s’y confronter.


DOSSIER 20

MOIS DE LA PHO TO Le nouveau Mois de la photo joue l’ouverture et la curiosité. Au-delà des lieux institutionnels et des galeries spécialisées qui balisent d’habitude l’événement, cette édition s’aventure dans des espaces moins connus de la banlieue parisienne avec une programmation éclectique. Une offre diversifiée dans laquelle nous avons choisi deux manifestations participatives où les habitants du Grand Paris sont invités à livrer leurs points de vue. La logique du vernaculaire nous a ensuite conduits jusqu’à la rétrospective Walker Evans, que décrypte pour nous Gilles Mora. Ailleurs, la présence de plusieurs expositions de groupe mettant en avant les écoles photographiques nous a questionnés sur ce qui, justement, « fait école » dans l’enseignement aujourd’hui ; et Rémy Fenzy, directeur de l’ENSP d’Arles, nous en donne sa lecture. Enfin, d’autres expos, elles aussi collectives, nous racontent chacune à leur manière leur époque – que nous détaillent leurs commissaires. Cette sélection laisse évidemment de côté de nombreux accrochages d’auteurs que vous pourrez découvrir par ailleurs. Mais il nous a semblé intéressant, pour cette édition renouvelée, d’aller voir dans les marges, du côté de la photo amateur, dans le travail des étudiants-chercheurs et dans une approche plus sociétale, afin de tenter de comprendre ce que la photographie nous donnait à voir.

Thierry Fontaine « L’exposition Archipel propose de faire de l’installation photographique une série d’îles disposées dans l’espace sans souci de cadence particulière, de symétrie ou d’alignement au bâti. Il s’agit ici de faire divaguer le regard apportant un contrepoint à la rigueur de l’axe », précise Thierry Fontaine. On retrouve la thématique des îles dans toute l’œuvre de l’artiste né à La Réunion en 1969. Situé au croisement de la photographie et de la sculpture, le travail de cet artiste n’a de cesse d’interroger les maux de la société, l’identité ethnique et sociale, l’isolement, la difficulté du rapport à l’autre. « Ses interrogations trouvent des réponses subtiles au travers de photographies-sculptures fortes comme un cri, hurlé ou étouffé », précise la galerie Les Filles du Calvaire qui représente son travail. Archipel, exposition de Thierry Fontaine du 25 mars au 30 juin 2017. Les Terrasses de Nanterre, 47-313 Terrasses de l’Arche, à Nanterre (92). > week-end intense diagonale les 29 et 30 avril 2017. EN COUVERTURE Thierry Fontaine, La peur a changé de camp, 2003. THIERRY FONTAINE, L’ÎLE HABITÉE, 2002.

© ADAGP, Paris 2017, courtesy Thierry Fontaine et galerie Les Filles du Calvaire.

Le pari du Grand Paris


21 DOSSIER


CRÉÉ EN 1980 PAR JEAN-LUC MONTEROSSO, LE MOIS DE LA PHOTO EST UN RENDEZ-VOUS ATTENDU PAR TOUS LES PASSIONNÉS DE PHOTOGRAPHIE. LA BIENNALE QUI A ESSAIMÉ UN PEU PARTOUT DANS LE MONDE OPÈRE AUJOURD’HUI DES CHANGEMENTS DÉCISIFS. UN DÉPLACEMENT DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS AVEC UNE OUVERTURE AU GRAND PARIS ET UNE PROGRAMMATION AU PRINTEMPS, NOTAMMENT. JEAN-LUC MONTEROSSO, SON FONDATEUR, ET FRANÇOIS HÉBEL, LE DIRECTEUR ARTISTIQUE DE CETTE NOUVELLE ÉDITION, NOUS EXPLIQUENT LES RAISONS DE CETTE MUTATION. — PROPOS RECUEILLIS PAR BENOÎT BAUME ET ÉRIC KARSENTY

« Donner au Mois de la photo un second souffle » Qu’est-ce qui a motivé cet élargissement du périmètre du Mois de la photo ? François Hébel Le Mois de la photo a eu une grande importance en France et dans le monde depuis sa création. Je suis né dans la photo avec le Mois de la photo à Paris, en 1980, et j’ai vu comment Jean-Luc et ses équipes ont ouvert le musée d’Art moderne, le musée Carnavalet, et toutes sortes de lieux qui n’étaient pas destinés à montrer de la photographie. Et ils les ont ouverts avec des expositions majeures d’auteurs français, américains… Puis il y a eu l’Espace photographique de la Ville de Paris, en 1986, la MEP, en 1996. Sans oublier la création du Centre national de la photographie par Robert Delpire, en 1982, et l’apparition de Paris Photo en 1997. Autant d’événements qui font qu’aujourd’hui Paris est vu comme la capitale mondiale de la photographie. Quelle est votre volonté avec ce changement ? FH Avec le temps, le Mois de la photo a peut-être perdu un peu de sa fonction

JEAN-LUC MONTEROSSO, DIRECTEUR DE LA MEP ET CRÉATEUR DU MOIS DE LA PHOTO (À GAUCHE), ET FRANÇOIS HÉBEL, DIRECTEUR ARTISTIQUE DE LA NOUVELLE ÉDITION.

© Marie Abeille.

Le Mois de la photo est en pleine mutation, avec un déplacement dans le temps et dans l’espace, un directeur artistique unique et l’abandon des thématiques… Pouvezvous nous expliquer ces décisions ? Jean-Luc Monterosso Il fallait que le Mois de la photo prenne une autre dimension, François Hébel ayant quitté les Rencontres d’Arles, j’ai pensé que c’était l’homme capable d’assurer cette transformation. Au lieu de prendre trois délégués, je n’en ai pris qu’un. François a voulu marquer son empreinte, et c’est lui qui a proposé d’étendre le Mois de la photo au Grand Paris, ce qui correspondait à un vœu non exprimé de la Mairie de Paris. Ça s’est donc inscrit dans un projet politique et culturel plus large en donnant à l’événement un second souffle. Cette idée d’extension au Grand Paris a été approuvée par le conseil d’administration de la Maison européenne de la photographie (MEP), ainsi que par les autorités de la Ville de Paris qui nous subventionnent.


première, qui était d’ouvrir des nouveaux lieux à la photo. Ce que j’ai proposé de faire avec Jean-Luc, c’est de tenter de « casser le mur » du périphérique, de créer de la fluidité entre Paris et le Grand Paris. Le Grand Paris, c’est une sorte de promesse qui n’a pas de contenu. Le public se rend au théâtre à Bobigny, à Créteil, à Nanterre, mais il y va avec une navette, dîne sur place, rentre chez lui sans rien voir de la ville où est implanté le théâtre… On ne connaît pas la ville d’à côté. C’est vrai aussi des gens qui habitent la périphérie et qui ne connaissent de Paris souvent que quelques lieux comme les Champs-Élysées, la gare du Nord, les Halles ou Saint-Lazare, selon d’où ils arrivent… Je pense que ces méconnaissances

conduisent aux problèmes que l’on connaît, et si la photographie peut jouer un petit rôle politique, culturel et social, ça correspond à ce pour quoi je travaille dans la photo depuis trente-six ans, c’est-à-dire de ne rien faire d’exclusif. Comment va s’animer ce nouveau Mois de la photo ? FH On a créé trois « week-ends intenses », où les photographes et les commissaires seront présents sur les lieux d’exposition. On a divisé le Grand Paris en trois parties : le quartier Nord-Est [week-end des 8 et 9 avril, ndlr], le quartier Sud-Ouest [week-end des 22 et 23 avril], et la diagonale [week-end des 29 et 30 avril]. On a fait des réunions de préparation qui regroupaient tous les acteurs, avec

à chaque fois un enthousiasme incroyable… Il s’est passé quelque chose. Tout le monde voulait être présent, monter des lectures, des débats, organiser des signatures, des fêtes, installer des food trucks, les municipalités nous mettent à disposition des panneaux publicitaires… Il y a une vraie synergie. Quels seront les contenus des expositions ? FH On dénombre 99 expositions sur 32 communes : une moitié dans Paris, et l’autre en dehors. Je n’ai pas voulu produire d’exposition pour ne pas me retrouver juge et partie. En revanche, je me suis réservé le droit de concevoir le catalogue, édité par Actes Sud. Il y aura des contenus photographiques, et des contenus sur le territoire.


DOSSIER 24

Les contenus photographiques seront variables selon les budgets et les moyens d’expertise des institutions. Il est assez évident que les établissements importants (Centre Pompidou, musée d’Orsay…) ont un travail de fond, les centres d’art seront plus près des photographes qu’ils aident à produire. Si on regarde l’ensemble comme une seule et même exposition, on a un parcours incroyable du XIXe au XXIe siècle dans le portrait, le paysage, la photo de rue… et dans les manipulations sur l’outil lui-même au XXIe siècle. Le Mois de la Photo, est-ce différent de votre expérience des Rencontres d’Arles ? FH C’est différent dans le sens où je me prononce sur les propositions que l’on me fait, j’ai davantage un rôle de censeur. Alors que, pour les Rencontres, c’était moi qui sélectionnais les artistes : c’était mon choix. Là, je n’ai pas retenu les expositions qui ne me semblaient pas pertinentes. En revanche, je connais l’intention de chacune de celles qui figurent à l’affiche, mais je ne

les pas encore vues accrochées. On a un programme dont je serai le premier visiteur ! Pas de thématiques et une centaine d’expositions : n’avez-vous pas peur de perdre un peu votre public ? JLM C’est une critique qu’on me fait depuis le début, mais je pense qu’un festival, c’est du trop, toujours ! Est-ce qu’on fait cette critique au festival de Cannes, au festival d’Avignon ? Chacun choisit ce qui l’intéresse, il faut qu’il y ait une profusion de propositions, du moment qu’elles sont pertinentes et que les gens ne sont pas déçus. La date du printemps a-t-elle été décidée pour s’éloigner de Paris Photo, pour bénéficier d’une météo plus clémente, ou pour mieux préparer cette édition ? FH Les trois ! Ça a été un débat entre Jean-Luc et moi. Il a été le premier à poser la question : « Ne faut-il pas déplacer la date ?  » Au départ, je n’avais pas osé y penser. Une fois qu’il l’avait formulé, c’était devenu une évidence. Aux beaux jours, les gens auraient plus facilement envie de

AMBROISE TÉZENAS, VUE DEPUIS LA COLLÉGIALE DE MANTES-LA-JOLIE, DÉCEMBRE 2016. AMBROISE TÉZENAS A PHOTOGRAPHIÉ LA SEINE, DE MANTES-LA-JOLIE À PARIS, METTANT SES PAS DANS CEUX D’HENRI CARTIER-BRESSON. LEURS PHOTOS SONT EXPOSÉES AU MUSÉE DE L’HÔTEL-DIEU DU 8 AVRIL AU 9 JUILLET, À MANTES-LA-JOLIE. C’EST L’EXPOSITION LA PLUS ÉLOIGNÉE À L’OUEST DE PARIS.

circuler dans une région où ils ne vont pas d’habitude. Sachant que mai est occupé par le festival de Cannes et les élections, et qu’en juin on n’aurait aucun étudiant… on a donc choisi avril. C’est vrai aussi que l’encombrement de novembre [en événements photo, ndlr] n’aurait pas été favorable aux déplacements vers des lieux inconnus. Quelle est l’expo qui éveille le plus votre curiosité ? JLM L’expo qui pique ma curiosité, c’est peut-être celle qui est le plus loin du centre de Paris. Et celle-là, j’aimerais bien la voir… FH C’est celle de Mantes-la-Jolie, Ambroise Tézenas qui marche sur les traces d’Henri Cartier-Bresson. Il y a des promenades incroyables : à Pantin, au Bourget, à Saint-Denis… Il y a des lieux sublimes, entre l’architecture brutaliste du Centre national de la danse, les anciennes usines Cartier-Bresson, la promenade le long du canal de l’Ourcq… À Nanterre, au centre d’art des Terrasses qui va exposer

© Ambroise Tézenas.

« FAIRE UN FESTIVAL, C’EST COMME PRODUIRE UN FILM. ON FAIT UN SYNOPSIS, UN CASTING, UN EDITING, ON OUVRE, ET ON NE PEUT PLUS RIEN ! »


25 DOSSIER

ALAIN WILLAUME (PHOTO) ET BERTRAND MEUNIER, DEUX PHOTOGRAPHES DE TENDANCE FLOUE, ONT ARPENTÉ LA SEINE-SAINTDENIS, ET NOUS EN LIVRENT LEURS REGARDS SANS ANGÉLISME, AUX LISIÈRES DE LA POÉSIE. QUATREVINGTTREIZE PLUS QUE JAMAIS EST PRÉSENTÉE À LA CAPSULE, AU BOURGET, ET EST L’UNE DES EXPOSITIONS LES PLUS AU NORD DE PARIS. YAN MORVAN, LES BLOUSONS NOIRS, 1974. L’UN DES PREMIERS REPORTAGES DE YAN MORVAN A POUR CADRE LA BANLIEUE ET S’ATTACHE À RACONTER LA VIE DE LA JEUNESSE QUI EFFRAYAIT LA FRANCE DES ANNÉES 1950. SES IMAGES SONT PRÉSENTÉES DANS LE CADRE DU FESTIVAL L’ŒIL URBAIN, À CORBEIL-ESSONNES, L’UNE DES EXPOSITIONS LES PLUS AU SUD DE PARIS.

Thierry Fontaine, en passant à côté de l’université de Nanterre et de la préfecture, qui est un joyau architectural du milieu du XXe siècle, à la maison Robert-Doisneau à Gentilly… Je n’ai pas visité tous les nouveaux lieux, mais j’ai vu suffisamment de photos pour voir à quoi ça ressemble. Un festival, c’est une expérience globale. On peut dire qu’on a aimé telle ou telle expo, mais il faut vivre l’expérience du festival parce qu’il a une cohérence. Ce renouvellement du Mois de la photo laisse-t-il augurer des changements à la MEP ? JLM Ce n’est absolument pas lié. D’ailleurs, François est le directeur artistique de cette première édition. Après, il lui appartiendra de décider s’il veut continuer ou pas. Il y a eu des rumeurs qui ont couru sur le fait que François Hébel serait nommé directeur de la MEP. La Mairie de Paris est soucieuse de transparence, il y aura donc un appel à candidatures et un comité de sélection, et c’est le conseil d’administration

© Alain Willaume / Tendance Floue. © Yan Morvan. © Ellie Ga.

SEA, D’ELLIE GA EST L’UNE DES ŒUVRES PRÉSENTÉES DANS SOIXANTEDIXSEPT EXPERIMENT, UN ENSEMBLE DE TROIS EXPOSITIONS ORGANISÉES PAR LE CENTRE PHOTOGRAPHIQUE D’ÎLE-DE-FRANCE, À PONTAULTCOMBAULT, L’UN DES LIEUX LES PLUS À L’EST DE PARIS.

qui décidera du prochain directeur (ou directrice). Je veillerai au bon déroulement de la procédure, mais je n’aurai aucun pouvoir de décision, et c’est très bien comme ça. Quels seront les marqueurs du succès de cette édition ? FH L’affluence a son importance, mais c’est difficile à comptabiliser, vu que 80 % des lieux sont gratuits. On verra surtout si les espaces organisateurs ont envie de recommencer. Le premier truc à se demander, c’est de savoir si, du point de vue photographique, ça tenait la route ou pas – je crois à la direction artistique, je ne crois pas au consensus – et si ça a apporté des publics nouveaux dans des lieux qu’ils ne connaissaient pas. Après, on pourra se poser des questions techniques : est-ce que la circulation a bien fonctionné ? Est-ce que le plan a bien marché ? Mais les fondamentaux, c’est de savoir si les expos valaient la peine d’être vues dans un circuit. Je pense que Jean-Luc et moi

tirerons le bilan de cette édition. Là, on est en production, c’est difficile d’avoir une vision. Avez-vous des premiers indices de l’intérêt que suscite ce nouveau Mois de la photo ? FH C’est la grande inconnue, le saut dans le vide ! Faire un festival, c’est comme produire un film. On fait un synopsis (là, le territoire du Grand Paris), un casting (choix des expos), un editing, on ouvre, et on ne peut plus rien ! Puis c’est au public et à la critique de dire ce qu’ils en pensent. Je n’ai jamais fait un programme aussi français ! C’est le résultat des propositions des lieux, et je suis ravi d’apprendre des propositions de chacun. Il y a une diversité, une envie, un enthousiasme des opérateurs de la périphérie parisienne qui sont très mobilisés, avec parfois des petits moyens. C’est assez passionnant. www.moisdelaphotodugrandparis.com


PHOTO ISSUE DE LA SÉRIE ACTION HALF-LIFE. EPISODE 1, #6, 2004. « TOUS NOS JEUNES HÉROS SONT DES CONQUÉRANTS DU MONDE VIRTUEL. ILS SONT TELLEMENT ALIÉNÉS QUE RIEN, PAS MÊME LEUR CHAMP DE BATAILLE VIRTUEL, NE LES EMPÊCHE DE SE LIVRER À UN EXPLOIT PERSONNEL, NI D’ASSURER LA VICTOIRE SUR UN ENNEMI – UN ENNEMI QUI N’EXISTE PAS. »


AGRANDISSEME NT

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PARCOURS

On connaît les photographes à quatre mains, plus rares sont ceux qui opèrent à huit. Le quatuor d’artistes russes AES+F a dévoilé sa série controversée Islamic Project voici vingt ans. Une bonne raison de balayer la carrière de ces avantgardistes qui déroutent autant qu’ils fascinent. Texte : Benoît Baume – Photos : AES+F

AES+F

Provocation militante et esthétique Au début de l’histoire d’AES+F, on retrouve trois architectes qui fondent AES en 1987 à Moscou. Tatiana Arzamasova, Lev Evzovitch et Evgeny Svyatski se focalisent sur le design polygraphique, la vidéo et les installations. Ce n’est qu’en 1995, suite à la rencontre avec le photographe de mode Vladimir Fridkes, que AES devient AES+F et intègre la photo à son spectre. Islamic Project : Travel Agency to the Future montre des clichés retouchés de lieux célèbres qui semblent avoir été annexés par une culture islamique radicale. DIMENSION RÉVOLUTIONNAIRE ET DIVINATOIRE

En réaction à la pensée conservatrice du moment portée par Samuel Huntington et son célèbre essai Le Choc des civilisations, cette série sera particulièrement mise en lumière et critiquée après les attentats du 11 septembre 2001. Les uns y voyant un hommage à l’islam radical, les autres un acte islamophobe. Olga Sviblova, la charismatique directrice du Musée d’art multimédia de Moscou (lire aussi p. 18-19), qui suit AES+F depuis ses débuts, nous livre son analyse : « Ils possèdent une dimension visionnaire qui nous éclaire sur notre société. Certains ne voient que la dimension esthétique de leur travail ou une description littérale des choses. Évidemment, l’étendue contestataire est majeure dans leur approche. Ils ont la capacité et le talent de parler des thématiques qui vont façonner les années à venir dans la tradition de l’avant-garde russe. Ils savent lire le futur. » Leur série la plus connue

est certainement Action Half-Life qui met en scène des enfants avec des armes (ci-contre). Des images très fortes qui interrogent notre société, l’uniformisation des individus et la banalisation de la violence. Depuis, les séries s’enchaînent : Last Riot, Allegoria Sacra, Inverso Mundus qui mélangent photos, sculptures, vidéos et art numérique. Désormais collectif de premier plan présent dans des collections majeures, AES+F continue d’interroger les travers de nos vies modernes. Les quatre artistes font s’entrechoquer des éléments disparates afin de faire émerger des sens nouveaux : obscurantisme et modernité, innocence et vice, beau et laid, jeunesse et vieillesse. Évidemment marqué par la période postsoviétique et les années de capitalisme sauvage en Russie, le groupe n’y est pas resté bloqué pour autant. « Il ne s’agit pas seulement du glorieux monde moderne faisant intrusion en Russie après la perestroïka, ni du capitalisme sauvage et du rapport malade entre maîtres et esclaves. Nous mettons plutôt en scène les bases de toute société civilisée », explique Tatiana Arzamasova. Une ligne directrice forte qui devrait bientôt donner naissance à une nouvelle série très attendue. Olga Sviblova confirme le travail en cours et commente : « AES+F possède une dimension révolutionnaire et divinatoire. Chacun de leurs travaux annonce des changements de notre société. » Un rôle central qu’il faut saluer après trente ans de carrière qui n’ont altéré en rien leur détermination. www.aesf.art


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MIS E AU

POIN T

S O C I É T É

Les bains-douches, ce n’est pas qu’un club parisien branché des années 1980. C’est surtout une quinzaine d’établissements de la capitale qui comptabilisent, selon la Ville de Paris, environ un million d’entrées par an. On y croise les mille visages des « précaires » qui s’efforcent de rester propres et dignes dans un quotidien souvent difficile. Florence Levillain a imaginé un dispositif original pour tirer le portrait de cette population, aussi diverse qu’insoupçonnée. Texte : Éric Karsenty – Photos : Florence Levillain / La France vue d’ici / Signatures

Ils s’appellent Marcel, Patricia, Hayley, Anca, Émile, Dariusz, Massoud, Xavier, Julie, Xu ou Charlie. Ils viennent d’Aubervilliers, de Chine, de Roumanie, de Cuba, du Sri Lanka, de La Réunion ou de Lyon. Certains sont musicien, jardinier, maçon, secrétaire, cuisinier, jeune fille au pair… et tous utilisent les bains-douches parisiens, un service devenu gratuit en 2000. L’histoire de ces établissements remonte à la fin du XIXe siècle, et répond à un projet hygiéniste à l’initiative de sociétés philanthropiques. Un succès immédiat repris par la ville qui en a fait construire vingt et un dans ses quartiers les plus denses de l’est, jusqu’en 1940. On compte aujourd’hui dix-sept douches municipales en activité, et la mairie de Paris estime à environ un million le nombre d’entrées de personnes qui viennent s’y laver chaque année. Une réalité passée souvent inaperçue, dont Florence Levillain a pris conscience en discutant avec des SDF lors de permanences à l’association Mains libres, qui met à disposition une Bagagerie où les personnes peuvent déposer leurs affaires en toute sécurité. « Pour moi, c’est plus important d’être propre que de manger », lui confiera l’un d’eux. La photographe découvre alors tout un réseau d’adresses que se transmettent celles et ceux qui tiennent à rester propres malgré leurs vies chahutées. Un de ces établissements se trouve justement à côté de chez elle, tout près de l’école où elle dépose sa fille tous les matins. MIROIR SANS TAIN

« J’ai souvent l’habitude de dire qu’il y a la planète Mars au bout de la rue, et qu’on peut faire un voyage visuel incroyable en découvrant des univers qu’on croit connaître,

MICHAEL, 30 ANS, VIT DANS LA RUE DEPUIS NEUF ANS. IL A ÉTÉ VENDEUR, A TRAVAILLÉ DANS LE BÂTIMENT, CHEZ MCDONALD’S… ET SE TROUVE ACTUELLEMENT SANS EMPLOI. IL FAIT BEAUCOUP DE SPORT ET TIENT À ÊTRE PROPRE TOUS LES JOURS. BAINSDOUCHES RUE BLOMET, À PARIS, 2016.


PrĂŠcaires au sens propre


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S E NS I BIL IT É

C IM AIS ES

LE CONTE FANTASTIQUE DE STÉPHANE LAVOUÉ

Le Royaume La Fisheye Gallery tourne son regard vers une contrée du Vermont autoproclamée « the Kingdom ». L’exposition de Stéphane Lavoué nous entraîne dans une quête royale, parsemée de visages insolites et de paysages blancs comme neige.

Peu d’artistes se sont inspirés de cette terre située au nord des États-Unis à la frontière Texte : Jessica Lamacque – Photo : Stéphane Lavoué du Canada. Parmi ceux-là, Howard Frank Mosher. Dans ses romans, l’écrivain américain nous immerge dans un monde rural grinçant, comme figé dans le temps, qu’il décrit « coupé du reste de la Nouvelle-Angleterre par les montagnes Vertes à l’ouest et les montagnes Blanches à Le Royaume, l’est, et encore plus isolé par ses célèbres hivers, longs de sept de Stéphane Lavoué mois, et ses mauvais chemins de terre ». Comment un photographe Du 31 mars au 6 mai 2017. français, habitué des portraits de der de Libération, s’est-il retrouvé Du mardi au samedi, de 14 h 30 à 19 h 30. à arpenter les routes de ce royaume du nord-est des États-Unis ? La galerie sera exceptionnellement Il y a vingt ans, Stéphane Lavoué séjourna dans une famille qui ouverte tous les dimanches d’avril. habitait à Boston. À la retraite, le couple alla s’installer dans le www.fisheyegallery.fr Vermont et le photographe leur rendit visite. Il découvrit alors le Royaume. « Je partis à la rencontre des sentinelles et sujets du L’exposition Royaume. J’y ai croisé la désolation de ces maisons éventrées, Le Royaume comme soufflées par le temps, abandonnées par leurs propriétaires, de Stéphane Lavoué fait partie du victimes du déclin industriel, raconte Stéphane. J’y ai croisé de Mois de la photo du jeunes fermiers utopistes venus expérimenter une vie alternative Grand Paris 2017, décroissante, refusant la mécanisation, chuchotant aux oreilles et du parcours des bœufs et des chevaux une langue inconnue. » « Week-end intense du Nord-Est », LA LIBERTÉ DU RÉCIT les 8 et 9 avril 2017. www. Le parcours de Stéphane est atypique. Diplômé de l’École moisdelaphotodugrandparis. supérieure du bois de Nantes en 1998, il est parti vivre deux ans com en Amazonie brésilienne, chargé des achats de bois pour un groupe industriel français. De retour en France en 2001, inspiré notamment par Sebastião Salgado, il a choisi le métier de photographe et est devenu un portraitiste réputé, dont la lumière se reconnaît au premier coup d’œil. Après plusieurs années à photographier artistes, hommes politiques, acteurs, sportifs ou intellectuels, il a désiré s’évader du travail de commande pour accéder à un univers plus personnel. Le Royaume lui a offert cette opportunité. Il y eut la rencontre avec un chasseur d’ours à l’arc qui comprit sa démarche de photographe et l’introduisit dans la communauté. Sa fille, Josie, posa pour Stéphane au milieu des carcasses de viande. Elle est une des princesses du lieu, et sa beauté illumine la scène. Les portes du Royaume se sont ouvertes, le photographe a pu circuler de ferme STÉPHANE LAVOUÉ, en ferme pour photographier cette histoire américaine SHÉRIF TREVOR COLBY DANS SON BUREAU. GUILDHALL, un brin déglinguée. Un conte photographique où toute VERMONT. ISSU DE LA SÉRIE ressemblance avec des personnages existants ou ayant THE NORTH EAST KINGDOM. existé est loin d’être fortuite.



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S EN S IB I LITÉ

EN APARTÉ

Ouvert en janvier, le MAIF Social Club propose d’explorer les innovations d’une société collaborative à venir. Iconomania, la première exposition thématique, rassemble une quinzaine d’artistes interrogeant l’image à travers les nouvelles technologies. Stimulant. Texte : Éric Karsenty – Photos : Marie Abeille

Un club qui assure Situé à deux pas de la place des Vosges, au cœur du Marais, le MAIF Social Club inaugure un espace original, un « lieu de rencontres et d’échanges en faveur d’une société collaborative ». Sur 1 000 m 2 et deux niveaux, on trouve un lieu d’exposition, une salle de conférences, un espace enfant, une bibliothèque d’ouvrages et de supports numériques (dont des films en VR), le tout en accès libre et gratuit. La volonté de la MAIF avec l’ouverture de ce premier lieu – qui pourrait être suivi par d’autres dans le futur – est de « prendre le pouls des changements en cours dans la société. Innovations sociales, cultures numériques, économie collaborative, regards d’artistes… tout ce qui fait avancer les choses », détaille Chloé Tournier, responsable de la programmation culturelle. HYBRIDATIONS ENTRE TECHNOLOGIES ET ÉLÉMENTS VIVANTS

Cet ancien hôtel – ayant abrité Honoré de Balzac au cours de ses études en 1814, et transformé en séchoir à éponges quelques années plus tard – a été relooké pour devenir un lieu présentant de multiples initiatives « expérientielles ». Chaque trimestre répond à une thématique qui se décline en expositions, ateliers, conférences et débats. Le thème d’ouverture rassemble, jusqu’au 31 mars, des œuvres réalisées par une quinzaine d’artistes sensibles aux mutations engendrées par le numérique. « L’exposition Iconomania questionne l’image d’aujourd’hui, ses formes et ses symboliques, à travers le champ expérimental des nouvelles technologies. Dans cette relation entre art et science, l’exposition s’intéresse aux problématiques de transformation, de transmission, et de représentation », détaille Florence Guionneau-Joie, qui assure ce premier commissariat. On trouve ainsi des artistes qui réalisent d’étonnantes hybridations entre technologies et éléments vivants. Le duo Scenocosme, composé de Grégory Lasserre et d’Anaïs met den Ancxt, fait « chanter » des plantes selon la façon dont on les caresse. Le collectif Iocose détourne les médias d’une manière humoristique avec Drone Selfies, une série d’images de drones se prenant en photo. Julia Varga, artiste


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MAIF Social Club

37, rue de Turenne, à Paris (75)

www.maifsocialclub.fr

EXPOSITION Iconomania, jusqu’au 31 mars 2017. CONFÉRENCES « Le pouvoir des images : quels impacts sur notre représentation du monde ? » Le 9 mars à 19 h. PAGE DE GAUCHE : AKOUSMAFLORE, 2007, INSTALLATION INTERACTIVE SONORE RÉALISÉE PAR SCENOCOSME, DUO D’ARTISTES RÉUNISSANT GRÉGORY LASSERRE ET ANAÏS MET DEN ANCXT. CI-CONTRE, DE HAUT EN BAS : BIBLIOTHÈQUE EN ACCÈS LIBRE ET GRATUIT. SÉRIE DES DRONE SELFIES, 2014, RÉALISÉE PAR IOCOSE, COLLECTIF D’ARTISTES ITALIENS, ANGLAIS ET ALLEMANDS. ESPACE FORUM D’ÉCHANGES AVEC ORDINATEURS TACTILES.

« Image likée : nouveau moyen d’exister ? » Le 23 mars à 19 h.

roumaine, a collecté sur la Toile un ensemble de photographies touchant à la question de l’identité numérique. Avec Me 2009, elle nous livre un diaporama d’images grossièrement retouchées, dont ont été supprimés les visages des ex de celles et ceux qui les ont mises en ligne. On compte une quinzaine d’œuvres qui balisent un stimulant tour d’horizon des images de notre quotidien. Les prochaines thématiques concerneront le sport, du 20 avril au 13 juillet, puis la ville collaborative, à l’automne. À chaque fois, plusieurs conférences et ateliers sont organisés en prolongement de l’exposition, et des visites accompagnées d’une médiatrice sont programmées tous les mercredis (15 heures) et samedis (11 heures et 15 heures). Le travail en direction des scolaires concerne les publics les plus jeunes (à partir de 6 ans) jusqu’aux plus âgés, avec les écoles d’enseignement supérieur. On peut aussi rencontrer des personnalités comme Edgar Morin, Tobie Nathan ou JeanClaude Carrière lors de conférences auxquelles il est préférable de s’inscrire au préalable. L’ensemble orchestrant une mise en scène de regards croisés (artistiques, scientifiques, économiques…) destinée à accompagner les mutations de notre époque. Si cet espace n’a pas de vocation commerciale, des conseillers de « l’assureur militant » sont disponibles pour répondre aux questions que pourraient se poser de futurs sociétaires. Les partenaires culturels ou scientifiques (Grand Palais, Cité des Sciences, Futuroscope…) sont bien sûr associés à cette exploration des initiatives qui font bouger les lignes. Mais ce lieu, qui emploie une dizaine de personnes, est également ouvert aux propositions des particuliers ou d’associations extérieures. Les projets doivent venir en prolongement des thématiques abordées, sous réserve de gratuité et d’ouverture à tous les publics – sans quoi l’espace peut aussi être privatisé. Explorant les innovations d’une société collaborative qu’il entend promouvoir, ce nouveau lieu original donne une place de choix aux artistes.


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LIVRES

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TEXTE : ÉRIC KARSENTY – PHOTOS : MARIE ABEILLE

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A – Transbordeur.

Photographie histoire société Cette nouvelle revue annuelle a pour ambition de montrer la place de la photographie dans la société et d’analyser comment le huitième art a transformé notre rapport au monde. On y trouve un dossier intitulé « Musées de photographies documentaires », une section « Collections » où sont analysés des fonds photographiques, une partie consacrée à des articles de chercheurs internationaux, et des comptes rendus de livres. Du sérieux et du solide, sous la direction de Christian Joschke et Olivier Lugon. Éd. Macula, 29 €, 236 pages.

B – Drive Thru Flint

PHILIPPE CHANCEL Plongée dans la ville de Flint, Michigan, et les coulisses les plus sordides du rêve américain. La cité qui abritait le siège des usines General Motors est aujourd’hui une ville fantôme. Sa splendeur passée laisse place à des quartiers à l’abandon, à une pollution catastrophique de la nappe phréatique, et à une criminalité record. Les images sans concession de Philippe Chancel en dressent un tableau glaçant. Éd. L’Artière, 38 €, 112 pages.

C – HS. Images d’une

histoire souterraine AMAURY DA CUNHA Naviguant entre littérature et photographie, Amaury da Cunha poursuit un chemin singulier qui l’amène à publier simultanément Histoire souterraine, un roman aux éditions du Rouergue, et HS. Images d’une histoire souterraine, un journal de 18 photographies chez Filigranes. On retrouve l’univers trouble et inquiétant du photographe dont les images font écho au texte, dans lequel il est question de la mort d’un frère, d’une rupture amoureuse, et de bien d’autres choses… Éd. Filigranes, 15 €, 28 pages.

D – Les Années Combi

FRANÇOISE SAUR Les petits livres des éditions Médiapop ont souvent beaucoup de charme, et cette dernière livraison dédiée aux Années Combi sous le regard de Françoise Saur ne déroge pas à la règle. Avec un noir et blanc sans prétention, la photographe a enregistré ses aventures familiales, à bord de trois minibus Volkswagen, de 1978 à 2015. Un road trip familial et un voyage dans le temps qu’on parcourt avec plaisir. Éd. Médiapop, 16 €, 144 pages.


S ENSIBILITÉ

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LIVRES

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E – Unknown #2 : Tentative d’épuisement d’un livre STÉPHANE DUROY « Je ne respecte pas la photographie, je la désacralise complètement et je l’utilise comme un pinceau, de la peinture, un pochoir, une lettre ou un mot », déclare Stéphane Duroy à Libération pour expliquer ce travail qui est exposé au Bal (Again and Again, jusqu’au 9 avril 2017) et que l’on retrouve dans ce grand leporello. Le photographe y revisite les pages de son livre Unknown publié en 2007, sur lesquelles il intervient plastiquement. Éd. Filigranes, 40 €, 64 pages (leporello).

G F – La France vue d’ici

Contrairement à d’autres missions photographiques menées dans le passé, que ce soit France(s) territoire liquide (2010-2014), ou la Datar (1983-1989), le projet que s’est fixé La France vue d’ici s’attache en priorité à documenter la vie quotidienne des gens. Même si on trouve aussi quelques images d’architecture et de paysage parmi la cinquantaine de reportages réalisés par vingt-cinq photographes missionnés par ImageSingulières et Mediapart à l’origine de cette campagne depuis 2014. Le résultat est superbe ! Éd. de La Martinière, 40 €, 336 pages.

G – A : New York 1989-93 ANTOINE D’AGATA Ce livre en forme d’accordéon consacré à Antoine d’Agata est le premier d’une série de douze opus à paraître au fil des cinq années à venir. Sans découpage chronologique, ces « jetés d’images appellent à entrer dans l’énergie et le désir de vie qui en émanent ». On pourra les déplier et les afficher au mur, l’un en dessous de l’autre, et assembler progressivement un bloc images de 3,24 x 2,16 m. Une vraie expo en kit. Éd. André Frère, 32 €, 48 pages (leporello) + 20 pages textes.

H – Magnum, les livres de photographies FRED RITCHIN ET CAROLE NAGGAR Publié à l’occasion du 70e anniversaire de l’agence Magnum, cet ouvrage de référence présente pour la première fois l’ensemble des livres publiés par ses photographes depuis la création de la coopérative en 1947. On y trouve 1 300 références (les ouvrages majeurs, mais aussi des publications rares) avec des reproductions de doubles pages, et de précieuses notices biographiques. Une mine d’informations pour les amoureux du livre photo et les admirateurs des photographes de Magnum. Éd. Phaidon, 69,95 €, 272 pages.


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S EN S IB ILITÉ

COMMUNITY

Continuez à nous envoyer vos photos, Fisheye adore faire de nouvelles découvertes : moglia@becontents.com

Tumblr des lecteurs

UGOWOATZI.TUMBLR.COM

Ugo compose d’étranges tableaux où le corps est mis en scène comme un objet. Les visages sont masqués, les membres pliés, les dos courbés, les muscles saillants… Ce

photographe met en évidence la rondeur sensuelle de l’homme et de la femme à travers des performances qui interrogent le genre et la sexualité.

JUSTYNAANDRZEJEWSKA.TUMBLR.COM

Les scènes que Justyna photographie sont si évidentes et crues qu’elles en deviennent presque troublantes. Certains clichés sont

même assez remarquables. La jeune femme ose parfois des cadrages brillants pour mettre en valeur ce qui accroche son regard.


FOUCARTCLEMENCE. TUMBLR.COM Que de douceur et de poésie dans les images de Clémence ! Celles-ci révèlent une sensibilité à fleur de peau et peut-être une timidité qui rend l’usage des photos plus facile que celui des mots. L’univers de la jeune femme est un joli paysage, fait de menus détails pleins d’émotions, de portraits pris avec tendresse, de paysages qui peuvent bouleverser… Clémence est une photographe généreuse.

MIGVINTOF.TUMBLR.COM

L’iPhone de Vincent lui sert « plus souvent d’appareil photo que de téléphone ». Il présente sur son Tumblr des extraits d’une série au nom poétique : Là où mon regard s’égare.

PAULINETHEON. TUMBLR.COM Cette photographe amateur accumule les images de manière compulsive. L’ensemble est étonnamment cohérent, sans fausse note. Le regard de Pauline est précis. Il semble que, pour elle, la photographie est une réflexion constante, de l’instant où l’image est prise, jusqu’à celui qui précède la mise en ligne. Son écriture en noir et blanc est dense, profonde. L’empathie qui l’habite se mue en témoignages sincères et beaux.

VISUALYZ.TUMBLR.COM

La photographie devient une évidence pour Alyz en 2003 lorsqu’elle ressort de l’exposition dédiée à Sarah Moon, à la Maison européenne de la photographie. « Je découvrais qu’il était possible de créer des images esthétiquement

Sa démarche s’inscrit dans l’errance et l’instantanéité. Elle est la preuve qu’aujourd’hui, la photo s’émancipe et s’épanouit librement, révélant des talents prometteurs.

proches de la peinture, tout en produisant des émotions similaires. » La photographe joue avec le mouvement, les contrastes forts ou les couleurs, créant ainsi des atmosphères troubles, riches en symboles.


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