Mémoire 1ère année

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«Le sérieux n’est que la crasse accumulée dans les têtes vides». Roland TOPOR



CHAPITRES: 1 Faites entrer l’accusée

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2 L’imbécile

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3 Les spectacles vivants

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CHAPITRE 1 : FAITES ENTRER L’ACCUSEE


J’ai couru. Je savais qu’il fallait à tout prix trouver en un temps record la meilleure place de la classe. La place qui ferait de moi quelqu’un de supérieur aux autres, quelqu’un dont on envierait l’emplacement géographique. J’arrivais en avance, me pointais en première parmi les premiers. A l’ouverture de la porte, c’est le bureau du coin du fond de la salle que j’ai choisi. Il est important de trouver la bonne place, celle que je garderai tout au long de l’année. Au fond, je me sens à l’aise, et surtout l’atout charme de ce bureau c’est son double mur. Double-mur, double espace. Deux fois plus de surface pour afficher mes images d’enfant, les posters de mes idoles, mes dessins ridicules. Si je veux me faire oublier des professeurs, et des élèves, c’est au fond qu’il faut aller. J’apprendrai plus tard que je me trompais. Un regard sur l’ensemble de mes nouveaux camarades de classe avant de débuter ce workshop patrimoine. Aux cotés de mes copains de la Villa Thiole, il y avait le groupe des quatre, au look british rock’n’roll, qui ne jurent que par leur groupe de musique, une sorte de bébé rockeur, des petits enfants sortis d’un épisode de Tomtom et nana, un garçon en forme de coton-tige, très long et très fin, une fille aux allures de bonhomme des cités, une autre avec marqué TOUCH ME sur son t-shirt, et surtout, cette fille aux lunettes qui ne parle que d’ordinateur et agit et s’exprime comme une maitresse d’école robotisée.


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Pendant deux semaine eut lieu un workshop, dit d’intégration avec les deuxièmes année. J’étais impressionnée par leur facilité à s’exprimer, avec beaucoup de culture et de référence, de mots compliqués que seuls les adultes utilisent (les mots à plus de 2 syllabes). Je fus un peu perdue, on nous parlait de Nijinski, des Ballets Russes, un projet dont tout le monde avait déjà l’air très au courant. Il s’agissait de réaliser une fresque murale pour le Grimaldi Forum dans le cadre du MDF. On nous plongeait directement dans un

travail à long terme, collectif, avec des enjeux, des responsabilités. C’est effrayant. Et comme je suis de nature très optimiste et sûre de moi , nombreux sont les soirs où je m’ouvrais les veines et pleurais à ma mère que je n’y arriverais jamais. Je proposais mes projets timidement et puis je me cachais loin des autres pour dessiner des danseurs afin de me donner bonne conscience. C’est ainsi que naissait mon premier petit carnet laid.


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Débutèrent alors de multiples aller-retours en train. Quarante-cinq minutes de trajet pour regarder les gens, dessiner leurs nez, écouter leurs conversations absurdes. J’aime leurs mots, leurs phrases, la façon dont ils essaient de se rendre intéressants. Il y a aussi les batailles de regards, les gens que l’on croise tout le temps au même endroit, à la même heure dont on essaie de deviner la raison de leur voyage en train. C’est principalement dans le train où je vole les situations ridicules que je retranscris, déforme ou continue. Ils sont marrants les gens. C’est dans le train que je fais mes devoirs, dans le train que je me demande comment cette femme a pu, un jour , en venir à dire «  Tu sais, maintenant que je

suis devenue PDG, je voyage tout le temps gratuitement dans plein de pays et je gagne beaucoup d’argent, c’est épuisant ». J’enchainais les vernissages. Environ une fois par semaine, je déambulais, un verre à la main, dans les galeries niçoises telles qu’Halogène, Espace à vendre, RDF etc.


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Au fil des jours, je rencontrais l’équipe pédagogique. Il y avait Frédéric Pohl, un homme qui ressemble à un professeur de sport, très grand qui nous fit aborder la couleur avec une méthode moins académique que mon professeur de l’année précédente. Il tenta d’abord de nous faire travailler la transparence en nous présentant des artistes tels que Paul Klee, puis nous demanda de réaliser des compositions abstraites à la peinture. Autours de moi, mes camarades, pleins de bonne volonté, comme moi naturellement, s’exécutaient à la tâche. Ils passaient des heures et des heures entières à peindre des formes, recommençaient et recommençaient, quand moi j’essayais de rendre ma production la plus difficilement regardable possible

avec Franck, ce qui exaspéra Fred. L’important, c’est d’essayer après tout ? J’ai essayé. Mais je dois avouer que les constructions d’aplats de gouache sur format raisin pendant des heures et des heures d’acharnement me faisaient mal. J’avais l’impression de torturer des arbres et gâcher de la couleur. Je me trompe sûrement. Je réaliserais peut être plus tard que j’ai été bête. Sans doute que, le jour où je confectionnerai des pulls de noël colorés pour senior à la mode, je me mordrai les doigts et je regretterai de ne pas avoir fait plus de 45 planches d’aplats. Sans doute, oui.


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Mais il y a eu la photo! Ce médium que je n’ai jamais réussi a dompter malgré moult tentatives. Cadrer, prendre du temps pour régler les lumières, regarder à travers des yeux qui ne sont pas les nôtres, ne plus bouger, se concentrer et choisir le moment est difficile pour moi. J’aime faire les choses rapidement. J’aime me construire ma réalité, et l’esprit réel et figé de la photographie ne m’attire pas beaucoup. Néanmoins, il est intéressant de se prêter au jeu, l’appareil photo reste un outil utile et efficace. Mes essais se sont voués à l’échec. Oui, les photos étaient regardables. Personne n’a vomi, c’est sûr, mais elles étaient médiocres et dénuées d’intérêt. Je prend des cachets pour mieux le vivre. J’ai eu aussi beaucoup de difficulté avec la vidéo. Le thème de la Mélancolie m’a bloquée. Il était impossible pour moi de trouver une idée qui ne tombe pas dans ce cliché facile. Sur le thème de la mélancolie toujours, j’ai eu l’occasion de voir par un vendredi de pluie au TNN la pièce « La seconde surprise de l’amour ». Une histoire sur l’amour et la tristesse dans laquelle l’homme se complaît lorsqu’il le perd, sur la mélancolie qu’on cultive parce

qu’on aime à vivre dans le passé et le souvenir lorsqu’il ne reste plus que cela. Mais jamais de piste vidéo pour moi. A croire que j’étais maudite. Il m’a fallu six mois pour enfin démarrer un projet concret, celui de parler aux animaux. Agnès Roux pensa tout de suite au jardin animalier qui se trouvait à quelques minutes de l’école. On prit rendez-vous avec le responsable du zoo afin de tourner. Malheureusement, le ciel s’est acharné sur moi. Le tournage a été annulé pour cause de volcan en Island. Et c’est vrai en plus, ce n’est pas une excuse débile, personne ne me croit jamais de toute façon. J’ai été forcée de collaborer avec Mr. Henri, mon bébé lapin qui n’attendait que ça. Mais parce qu’il ne m’aime pas, il n’a pas été très participatif et s’est joué de moi pendant des heures. Je voulais rendre, en auto-filmage puisque c’était la contrainte, le dialogue sans intérêt de l’homme à son animal, mélancolique, fade et froid. Je voulais m’installer dans la routine de l’existence et dans l’ennui auquel on s’habitue avec des mots. Des mots sans sens, sans fond, adressés a un mur vivant. Ne dites rien à Mr. Henri.


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Le mardi était le jour le plus long, pourtant, j’aimais bien le mardi. C’était le jour où l’on pouvait jouer avec de la terre sans que ça paraisse immature. J’aime bien jouer avec la terre, et les cours de céramique m’ont permis de réaliser en trois dimensions, certains dessins improbables, que je n’imaginais jamais sortir d’un carnet de croquis. De plus, le mardi se transformait en un voyage linguistique avec, en début de matinée, deux heures de cours d’anglais avec Ivana La Fata ( et je me retiens de faire des jeux de mots inutiles sur les noms de famille parce que c‘est trop facile et moyennement rigolo…) puis, en l’occurrence, cours de céramique avec Daphné Corregan et Jeffrey, deux anglo-saxons. Je ne sais pas si Bosio a réparti les cours par thèmes. J’aime m’attarder sur des détails futiles qui ne feront pas avancer ce mémoire mais qui me font jouir d’une satisfaction personnelle. Après la technique du Pinch Pot, du colombin, la technique du moulage. Mes premiers projets n’étaient au départ que des

applications de technique afin de m’exercer mais ils m’ont conduit petit à petit (tardivement, oui ) vers des objets qui me plaisaient. J’ai découvert que je pouvais finalement prendre du plaisir à créer puis ensuite toucher, tourner, moduler des idées vaguement esquissées au stylo à bille. Ma dernière pièce qui représente un volume noir brut où règnent des machoires dentées et difformes m’a poussée à m’intéresser un peu au travail de Philip Guston qui aborde la figuration avec des personnages à la limite de la caricature comme cette boule dentée qu’il a représenté dans “Head and bottle” (1975). L’idée de cette pièce était, à la base, de représenter en trois dimensions des abstractions telles que des sentiments ou des pathologies, mais cette direction de reflexion ne me plaît guère. J’ai l’intention de poursuivre. Tout ceci n’était que pretexte à travailler la bonne terre chamottée et mes dents de porcelaine. Je suis un dentiste vous dis-je. Un vrai de vrai.


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C’est Olivier Nottelet, un homme au gros cou (le même que celui de JeanMarie Bigard, mais personne n’est d’accord avec moi ), taillé en V, qui est venu nous encadrer pour ce workshop dessin tant attendu de tous. Après une petite conférence nous expliquant son travail et sa manière d’aborder le dessin, la couleur, et ses installations, il nous donna ses premières directives en gardant beaucoup de mystère sur l’aboutissement du projet. Il était question dans un premier temps de trouver un objet intéressant sur lequel on serait prêt à dire des choses. Mon idée première se dirigea d’abord vers le couteau, puis la fourchette car cela faisait un petit bout de temps déjà que mes croquis étaient centrés vers ces ustensiles. Il s’agissait ensuite de détourner l’usage de cette fourchette, aller vers quelque chose de complètement absurde, à laquelle on ne s’attendrait pas. J’ai ainsi fait de ma fourchette un retire-gras que je pense commercialiser bientôt. Le but était de réaliser ensuite, un mode d’emploi du détournement de l’objet. Comme Jules Le Barazer, qui utilise souvent le modèle du mode d’emploi pour mettre en action les objets ou les pratiques des personnages de ses illustrations («Tchernobyl Fast Food » et «Plastic Land » par exemple), j’ai voulu rester dans la réalité et ne frôler qu’à peine la fiction pour donner plus de conviction à mon retire-gras. Je suis d’abord partie de shéma d’utilisation très épurés, avec des couleurs pastels qui renvoyaient à l’univers pharmaceutique et les produits minceurs mais, au fil de la semaine, mes dessins se sont assombris et le rendu final sur fond sombre fait plus penser à un objet artisanal à tendance voodoo de

torture sadomasochiste. Soit, cela me convenait et puis il fallait boucler le travail avant la fin de la semaine, la magie des workshop ! Assez parlé de mon travail, attardons nous sur ce personnage qu’était ce petit Olivier Nottelet. J’ai eu l’impression de me retrouver dans un roman de Chair de Poule. C’était un être maléfique, qui, lorsqu’il y avait des adultes, se comportait comme la plus douce des madeleines et, lorsque nous étions seuls avec lui, il mutait et se transformait en tyran diabolique. Il nous a forcé à se taire lorsqu’il faisait l’appel en nous gueulant “Je fais l’appel, ecoutez sinon vous allez être perdus”. Il nous a envoyé au piquet. Il a même tué deux élèves, Eugénie et Joanna. Paix à leur âme. Il nous a dit que nous étions une classe d’handicapés qui n’est même pas capable de scotcher une feuille correctement. Il nous comparait sans cesse à ses élèves lyonnais. Il nous a remonté les bretelles, tout ceci en cachette bien evidemment. Quand Fred est passé voir si tout se passait bien, je n’ai jamais été si contente de le voir. Dès lors, le soleil est réapparut. Mon travail qui était jugé de minable et sans interêt quelques minutes auparavant est devenu “chouette”. Cet homme souffrait, je crois, de skyzophrénie aigue. Mais je dois avouer, que c’était drôle de se faire battre et engueuler. J’ai aimé ça. Olivier Nottelet en fait, c’était une sorte de Super Nanny. Et comme à la fin de chaque épisode, nous avons tous pleuré son départ.


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Ouvrez soigneusement la zone où se trouve la graisse indésirable.

Retirez délicatement la graisse à l’aide de l’outil.


Recoudre avec précaution la

peau que vous aurez préalablement conservée

Vous pouvez également gratter à l’aide de vos doigts à condition qu’ils soient bien désinfectés


26 Vous voilà débarrassé de votre graisse.Vous ne pouvez pas renouveler l’opération sur la même

partie avant environ deux semaines.


Nous voilà déjà à l’approche du premier bilan. Il y avait des mythes urbains qui racontaient que les évaluateurs faisaient pleurer les élèves, leur arrachaient la glotte par les yeux et les apportaient à la directrice pour les manger à la prochaine pleine lune. Alors au moment du choix d’ordre de passage, j’ai préféré me mettre en avant-dernière sur la liste. Je ne voulais pas rater le spectacle. De mes petits yeux, j’observais mes camarades de classe se débrouiller, parler, se défendre, argumenter, avec toujours plus de choses à raconter. De toute façon, pour moi, il était clair que je n’arriverai jamais à me défendre et que j’adopterai la technique du cailloux. Mauvaise idée évidement. Ils m’ont torturé et maltraité, mais avant d’en finir avec moi, ils m’ont conseillé de m’investir d’avantage dans les cours avec

lesquels j’avais des difficultés. Ils ont ajouté qu’ils attendaient de voir la suite, qu’ils m’attendaient au détour (d’un coin sombre.) Depuis, je ne suis plus jamais sortie de chez moi. Mais, plus que jamais, ce bilan m’a encouragé à prouver que j’avais ma (micro) place dans cette école. Je suis devenue plus assidue, plus motivée et surtout moins défaitiste (et si vous avez du mal à y croire, sachez que moi non plus.)


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A présent, j’aimerais remercier le Pavillon Bosio de nous avoir permis de réaliser un voyage scolaire à Berlin. Depuis que les autres années ont été mises au courant, ils nous insultent, nous jettent des insectes dans nos ateliers par jalousie. Il est vrai que nous avons été très chanceux de pouvoir, dans le cadre de l’école, arpenter les galeries et musées allemands. Encadrés par Daphné et Mathilde, nous avons pris l’avion. Aurélie a pleuré car elle avait peur des avions. Elle nous a dit juste avant qu’on allait tous mourir car elle l’avait vu dans son rêve. Je crois qu’elle est possédée par le démon. Main dans la main, pour visiter cette ville fort accueillante ( je plaisante). Ce fut l’occasion de tester notre patience. Je fus surprise d’apprendre que notre classe regroupait les spécimens humains les plus lents du monde. Je ne suis pourtant pas l’exemple même du dynamisme, et pourtant je voyais, ma barbe et mes ongles pousser à chaque fois que l’on attendait que les autres nous rejoignent et terminent (à reculons) de photographier le ciel et les coccinelles. Je suis mauvaise, et le problème était surtout que nous avions beaucoup de choses à voir dans un laps de temps réduit. Mon coup de cœur

principal reste ce bâtiment classé historique berlinois contemporain que nous avons découvert par hasard lors de notre dernière sortie nocturne.


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CHAPITRE 2 : L’IMBECILE


Signer la feuille de présence le matin fut une thérapie pour moi. Elle m’a beaucoup appris sur moi-même. Je me suis cherchée graphiquement. Ca y est, j’ai trouvé ma signature de femme-dumonde-à-grande-responsabilité. Ca n’a pas été facile-facile tous les jours, ce n’était pas tout le temps très rose. Il y avait ces matins de flemme, où pensant à la feuille, je parvenais à me motiver, et me hisser de mon lit si possessif, et où, arrivée à l’école, elle était ellemême absente. Il y avait ces matin de colère où je n’avais qu’une

envie, c’était de colorier ma case en noir pour lui montrer à Christelle que j’étais capable de tout casser. Et il y avait ces matins sans stylo. Mais j’y suis arrivée car j’ai un moral d’acier, un moral en béton. Je ne suis pas une petite joueuse.


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A notre retour, pas de répit, juste le temps d’une journée pour déambuler dans les couloirs et parler allemand très fort que nous entamions déjà une nouvelle semaine de workshop à la Villa Arson cette fois . Nous avions à notre disposition, deux ateliers. Celui de la lithographie et celui de sérigraphie. L’idée de Fred était de réaliser des affiches monochromes, que nous avions pensées et dessinées quelques semaines auparavant. Pour mon slogan, je suis tout d’abord partie d’une série de phrase que j’avais croisée de ci et de là du type «  Il n’y a pas de zoophilie, il n’y a que des chèvres faciles ». J’ai décidé que mon slogan à moi serait «  Il n’y a pas de censure, il n’y a que des gens qui n’ont pas d’humour ». À cela, j’y ai ajouté un petit dessin qui illustrait bien l’ambiance que je voulais donner à mon affiche. J’ai passé la grande majorité de la semaine dans l’atelier sérigraphie car je suis tombée amoureuse de la technique, et d’Anne, son enseignante. Elle était colorée, dynamique et complètement folle. Souvent désespérée par nos bêtises et notre manque de concentration le premier jour, je crois que nous l’avons usée,. Malgré cela, elle est restée patiente et tolérente. Il fallait beaucoup de force, de rapidité, et d’habilité pour éviter que l’encre ne bouche les tipons, et je fus, naturellement, l’homme de la situation. De plus, je suis devenue la déesse du karcher, car il fallait faire bien attention de tout nettoyer pour ne pas tuer le matériel. Ma petite fierté. J’ai demandé à ce qu’on m’en offre un pour mon anniversaire. (Je l’ai demandé dans ma tête et je l‘attend toujours.)

Grâce à cette technique, nous avons pu, à la fin de la semaine, nous fabriquer des stickers et des t-shirts avec nos propres dessins. Nous étions comme des enfants le jour de Noël. Enfin, ils l’étaient tous, car moi, mon tee-shirt avec marqué « Lapin connexion » est sorti en inversé-miroir. Je ne peux le porter que devant une glace. Ce fut une expérience très enrichissante et ludique que je recommencerais volontiers. Ce que je retiendrais de cette semaine serait le professeur qui s’appelait FAYCAL. Je suis stupide et je n’ai pas encore passé le stade de la maturité. Soit !


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Plus tard, un workshop intitulé « Terre & Image » fit son apparition à l’école. On ne l’avait même pas invité. Il ne nous avait même pas prévenu. Ce fut la surprise. Alors que je m’apprêtais comme tous les lundis matins à manier mon gros appareil photo et me plaindre de ne pas réussir à prendre une photographie correctement, il se mit à nous entraîner un par un dans la salle du Garden pour nous projeter des films et images à base de terre et de boue. A ses côtés, sa meilleure amie, Daphné, Agnès Micha (mi-chien) et Florent Mattei. En plus d’arriver à l’improviste, il nous annonça aussi que, différemment des autres studios de l’année, celui-ci ne durerait que deux jours. Mince, nous avions déjà perdu un quart du temps qui nous était accordé. Il voulait d’un projet qui mêlerait terre et corps. Avec mon binôme, Chloé, on expérimentait des boulettes de terre. Ah ça ! Deux doigts plantés dans deux blocs de terre pour rigoler et nous voilà embarquées dans un projet fort ridicule, celui de chausser nos doigts de chaussures en terre. Il y avait les bottes sexy et les baskets tendance. C’est un don que je développe depuis des années déjà. En effet, je suis capable de faire marcher mon index et mon majeur dans les airs, et ce n’est pas si facile que ça en a l’air. J’ai peaufiné cette performance physique inégalable durant de longues heures de cours au lycée. Je suis imbattable. C’était donc l’occasion de la mettre en pratique sous le feu des projecteurs. La lumière était bonne et notre énergie au rendez-vous. Des gens lors du tournage vidéo se sont moqués de nous,

mais ils étaient simplement jaloux de mon pas de danse envoûtant. Nous trouvions intéressant le fait d’être déstabilisé et de ne plus savoir si le bras qui sert de chemin est immense ou si les pieds de terre sont minuscules. Mais aussi, c’était surtout l’occasion de nous approprier le sujet en faisant quelque chose qui nous amuse, et qu’on rêvait de faire depuis longtemps. Nous nous sommes celà dit, laissées un peu trop emportées par l’aspect anecdotique du scénario.


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CHAPITRE 3 : LES SPECTACLES VIVANTS


La télé, cette année, a eu une grande importance dans mon travail. Elle était ma source d’inspiration, ma boîte à image, ma caisse à paroles et mon casque à idées. C’était ma meilleure copine. Beaucoup diront que les émissions de téléréalité, de divertissement et de jeu vont à l’encontre de la culture, mais moi je les aime.


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J’aime les vannes des présentateurs, les bafouillages, j’aime entrer dans la vie des gens depuis mon canapé. Et puis surtout, j’aime les publicités, la lobotomie, rester figée devant mon poste sans réfléchir, la bave coulant sur le coin de ma bouche. Détourner, sortir des phrases de leur contexte m’amusent beaucoup et j’y prend beaucoup de plaisir.


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Jouons tous à la Wii !


Tout ceci me fait penser aux conférences. Nous avons eu le plaisir de recevoir de nombreux artistes. On nous avait dit qu’il fallait prendre beaucoup de notes. A coté de ma prise de note, les heures de conférence ont participé à la réalisation d’une série de portrait des spectateurs, camarades de classes et des intervenants. Durant la semaine du colloque nous avons eu la chance de recevoir de grands noms de l’art tels que Didi Hubermann , Ian Lauwers et surtout, Pierrick Sorrin. Je connaissais déjà beaucoup son travail, notamment ses vidéos très drôles que je me repassais en boucle quelques années auparavant. J’aime son personnage, sa façon de percevoir les choses. C’est d’ailleurs le seul intervenant qui a donné vie au sujet qui était celui du passage des arts plastiques à la scène, mais je manque sûrement d’objectivité ...

Les conférences sont intéressantes, sauf quand Mounir et Binelde choisissent de s’asseoir devant moi.


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En réalité, les chaises ne sont pas si confortables qu’elles n’y paraissent.


Ont défilé de nombreux spécimens rigolos et souvent intéressants. Des hommes qui associaient des choses à d’autres choses improbables. D’autres qui usaient d’une modestie sans égal. C’était fascinant. Parfois très long, mais toujours aussi fascinant.

Je m’inventais souvent des histoires dans ma tête pour me faire rire toute seule.


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Lorsque, le mercredi, nous revêtions le costume du lycéen assidu et concentré sur sa chaise avec les cours théoriques d’Ondine et de Mathilde, c’était l’occasion pour nous, pour moi, de visionner tout plein d’images. Des peintures, des photographies, des videos et des films. Tout un tas d’œuvres qui mettaient en appétit ma curiosité malheureusement un peu trop flemmarde et molle, comme du biscuit mouillé. Cependant, les quelques extraits de film que j’ai pu voir en esthétique m’ont donné envie de poursuivre dans le thème de la monstruosité, la perversion et la soif du laid et du dérangeant. J’ai ainsi visionné une série de film dont, à mon sens, ce chef d’œuvre de Fabrice du Welz, « Calvaire » (2004) où il y est question de scène de cannibalisme, défiguration dans un village a priori consanguin. Que de jolies images qui ont enchanté mes nuits et illuminé

mes songes. J’aimais aussi, pendant les cours théoriques, aussi bien que les conférences, regarder mes professeurs parler. C’est le seul moment dans une vie où l’on peut observer dans le détail, la façon de parler, les expressions récurrentes, les mimiques et l’attitude générale d’une personne afin de les saisir sur du papier ou les imiter. Non, je plaisante, je dis ça pour vous effrayer. Je ne suis pas une psychopathe, du moins, ce n’est pas dans ce mémoire que je me vendrai !


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Petit à petit, les couloirs de ce bâtiment me sont devenus familiers et je me suis retrouvé rapidement dans la peau des gens, qui criaient, sautaient, chantaient au début de l’année et que j’observais d’un œil sceptique en me demandant comment pouvaient-ils être si heureux et épanouis de posséder un simple monocouloir blanc. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Tout est allé si vite. Mes soupçons se tournent vers le cuisinier qui fait les frites chez le bouliste d’à côté. Il y met quelque chose, c’est certain. J’avais déjà trouvé très bizarre, dès le départ, cette obstination des élèves à toujours vouloir être gentils. Après les « bonjour » du matin, suivaient les « bon appétits » et les « à demain ». Nombreuses sont les fois où j’ai voulu me battre croyant que l’on se moquait de moi et que tous ces mots n’étaient que des messages secrets codés afin de se payer la tête des nouveaux arrivants. Mon psychologue m’a dit que ça finirait bien par passer et qu’à force ils se lasseraient. J’attend.


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Ainsi donc s’achève cette merveilleuse année d’amour, de paix, de joie et de fleurs enchantées. J’ai appris tant de choses, j’ai grandi, un peu mûri (mais pas trop), j’ai vu, vécu, entendu, et éprouvé des tas de choses. Je me suis fait des copains, du moins c’est ce que je peine à leur faire croire pour qu’ils me prêtent leurs tubes de peintures. Je me suis battue, engueulée, roulée dans la boue avec Arthur, Paul et Romain. Je leur ai montré qui était le chef. Je n’ai pas fait de bêtises. J’ai dépensé mon argent dans la machine à café. Je me suis battue avec la machine à café. Je me suis lié d’une amitié maternelle avec la boulangère, elle est depuis persuadée que je suis sa fille. Je la laisse faire et elle m’offre du chocolat avec mon club tomate-mozza.

J’ai salué le nouveau distributeur à friandise lorsqu‘il s‘est installé pour la première fois dans le couloir et je me suis prise en photo avec. Tous les jours, j’allais voir comment il allait, et il me donnait de la compote à la fraise avec un dessin de Mickey et Donald dessus. Je sais à présent dompter un mac et parfois les mac me domptent. Ils m’obligent à danser pour eux et je m’exécute pour pas perdre mes fichiers. J’ai fait des blagues et je me suis faite détester par un grand nombre de mes professeurs et des élèves des autres années, mais je n’y peux rien, je suis méchante. J’ai fait le bien et aidé des gens. Et puis j’ai rédigé ce mémoire.


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