8 minute read

Baudouin de Charry à Madagascar

Après nous avoir accompagnés au pèlerinage d'août 2022, Baudouin nous a informés qu'il partait un an à Madagascar. Souhaitant depuis 2020, partir quelque part pour aider les gens en difficulté, il a rejoint les Missions Etrangères de Paris. N’ayant ni le choix du lieu ni celui du contenu de la mission, il a été recruté sur sa personnalité, ses compétences et les besoins sur place. Il s’est ainsi totalement abandonné sans chercher à prendre le contrôle sur ce que Dieu offre. Après une semaine de formation qui l'a renforcé dans sa foi, en juillet 2022, il a été appelé pour partir à Madagascar. Baudouin de CHARRY, 22 ans, est hospitalier de Touraine depuis 2016. Il a reçu sa reconnaissance en 2017 et est un jeune engagé à l’Hospitalité de Touraine.

Extrait du premier article de sa newsletter

Advertisement

Un mois déjà dans cette vaste ville côtière nommée Tamatave, cité malgache qui offre tant de découvertes, tant de secrets et tant de rencontres. Il y a un mois, je sortais d’une dizaine d’heures dans

un taxi brousse pour découvrir ce monde où j’avais été saisi par les rizières à perte de vue de l’aéroport au centre de la ville : si peu de goudron pour tant de verdure. Dans les rues, les ruelles et les chemins de terre de la ville montagneuse, surgissent la misère, la pauvreté, la saleté, telles que je ne les ai jamais vues. Une femme se saisit dans le caniveau d’un morceau de je-ne-sais-quoi plein de poussière et de crasse avant de le porter à sa bouche. Une petite fille en haillons nous poursuit en nous suppliant de lui donner quelques choses, et tant d’autres scènes déchirantes encore. Le soir, je suis bouleversé : suis-je vraiment capable de vivre dans ce monde pour y apporter de l’aide ? Mais une image dissipe mon désespoir : alors que je suis dans le taxi brousse, j’aperçois une petite fille sur le bord de la route. Modestement vêtue, son regard exprime bien autre chose que du désespoir, son sourire, lorsqu’elle me voit, m’atteint au plus profond. Comment mes yeux et mon cœur ont-ils pu rester sourds à tout le bonheur qui m’entoure dans ce monde nouveau ? Certes, la tristesse et la misère y existent comme partout ailleurs, mais Dieu m’offre ici de contempler tout l’Amour, tout l’Espoir qu’il a mis en sa création. Ce sourire me crie que seul compte le partage : une discussion chaleureuse, un regard bienveillant. Là est ma mission. Je peux être un témoin de sa joie, un apôtre du partage, et il a fallu que ce soit cette petite fille et ses yeux plein de bonheur qui me le rappellent.

Mission principale

A mon arrivée à Tamatave, tout s’est enchaîné. Le père Thomas, mon référent, me laisse m’acclimater et découvrir la vie malgache avant de me donner un poste précis. Au bout d’une semaine, il m’annonce que je reprends la coordination du projet pour une association diocésaine nommé Tolo Tanana (tendre la main). Je sais pour quoi œuvre cette association, mais je n’en mesure pas encore l’importance. Tolo Tanana lutte contre la corruption qui est presque institutionnalisée à Madagascar, et aide à améliorer les conditions de vie des prisonniers vus comme des parias par la société.

L’équipe de Tolo Tanana, en partant de ma gauche :  Francky (responsable du centre d’écoute),  Chinatta (responsable pôle anticorruption),  Wendy (responsable prison),  Gaétan (dont je reprends l’activité). Pour la lutte contre la corruption, l’objectif est de sensibiliser la population à ses effets néfastes, par des conférences, des interventions dans les écoles, des conseils juridiques… Je dois assister les membres de l’association pour mettre en place ce projet ou poursuivre les projets existants. Actuellement, nous élaborons un concours artistique destiné aux lycéens et aux prisonniers mineurs sur le thème « corruption et éducation ». Le prix sera remis par le Cardinal de Madagascar ! Nous mettons également en place un partenariat avec les magasins locaux : récupérer leurs invendus et les distribuer aux prisonniers pour qu’ils vivent convenablement, retrouvent leur dignité et aient une seconde chance. Comme leur minimum vital n’est pas assuré, la violence règne au sein de la prison ; il est impossible alors de maintenir des activités de réinsertion ou de divertissement.

Enfin, pour montrer aux prisonniers que leur vie a une importance, une fois par semaine je leur donne des cours de français. Le père Thomas me confie une seconde mission pour le diocèse : monter un centre de doublage de films catholiques du français vers le malgache.

J’ai eu le droit à une moto pour me déplacer entre tous mes lieux de mission ! (Gabrielle prend la photo) La langue française est source d’inégalité à Madagascar ; elle est la langue des élites cultivées et marque la distance entre ceux qui ont les moyens de la pratiquer et ceux qui ne peuvent accéder à des postes de responsabilité car elle leur fait défaut. Il faut normaliser la langue malgache et sauvegarder le patrimoine culturel en donnant accès à toutes les catégories sociales au message christique. C’est un projet en devenir mais, avec mes collègues malgaches et le secours du Seigneur, nous trouverons la force de le construire.

Quotidien

La vie quotidienne à Madagascar reste une expérience unique ! Je prends mes déjeuners à l’évêché avec les prêtres, mais le soir je suis avec les autres volontaires dans notre lieu de vie et nous devons cuisiner sans les produits habituels français absents à Madagascar ou hors de prix. Mais rassurez-vous il y a de quoi faire tout de même ! Chaque coin de rue nous le rappelle avec ses étals remplis de beignets frits, de samossas et de tomates, d’épices et de riz. Ici, très peu de magasins fermés, tout se passe dans la rue, tout est accessible sans aller

s’enfermer dans un énorme entrepôt. D’abord la vue est touchée, vous apercevez des poivrons bien verts alors vous vous rapprochez, l’ouïe est alors impactée par le marchand qui vous repère et vous alpague. Très vite c’est au tour de l’odorat de se sentir visé, un parfum de tous les produits assemblés se mélange et pénètre délicatement vos narines.

Enfin, le toucher, vos mains ne peuvent s’empêcher de palper les différents ananas pour voir lequel sera le meilleur à déguster. Pour le goût, il faut attendre d’avoir négocié un bon prix avec le marchand. En somme, rien de comparable avec la boîte de conserve hermétique que nous achetons sans pouvoir même en apercevoir le contenu dans nos supermarchés. Le temple des étals, c’est le Bazar Kely (petit marché), qui est le plus grand de la ville. J’aime y passer du temps pour y négocier mes produits dans l’émulation des rues étroites et sales de ce marché couvert par des tôles et des bouts de tissus. Ainsi je pratique un peu la langue malgache tout en partageant un moment avec ces gens qui me montrent la vie quotidienne d’un malgache.

Je reviens du bazar Kely en pousse-pousse avec Anita, la cuisinière de l’évêché.

Culture malgache

L’un des principaux traits de la culture malgache est le MoraMora, ce qui pourrait se traduire par tranquille et qui fait vraiment partie de l’âme de cette île. Cette culture se traduit par un refus de se presser, de procrastiner pour finalement toujours faire dans l’urgence ou se dépasser jusqu’à l’épuisement physique. Evidemment, cette culture a tendance à être assez entravante pour un jeune volontaire qui rêve de faire mille choses à la seconde et qui imagine assez naïvement pouvoir tenir pendant un an un rythme effréné. A Madagascar, on priorise la relation humaine et la joie du partage, au profit de la surproduction. Au marché et dans les magasins, les hommes sont remplacés par des machines pour gagner quelques secondes, mais les Malgaches gardent ce plaisir d’échanger avec joie, même lors d’un rapport économique. Aucune vendeuse ne vous rabrouera parce que vous mettez du temps à choisir vos fruits, aucun marchand ne s’impatientera devant votre hésitation à prendre un kilo de riz en plus.

Evénement marquant

Le dimanche 2 octobre a lieu à Tamatave l’un des événements les plus importants de L’Eglise catholique de Madagascar ; le Grand Séminaire de la côte Est de l’île est inauguré. Il doit accueillir 80 séminaristes par an pour qu’ils y étudient la philosophie pendant trois ans. Depuis un an, ce projet titanesque mobilise une centaine d’ouvriers et d’ingénieurs malgaches. L’inauguration de ce projet est à la hauteur de son investissement avec une messe et un déjeuner prévu pour environ quinze mille personnes.

Le président de la République Malgache arrive accompagné de ses ministres ; il est accueilli par les évêques malgaches avant une messe de 4 heures dont l’offertoire est ponctué par des danses traditionnelles propres à toutes les ethnies présentes à la messe. Les malgaches sont venus avec des tentes pour se protéger du soleil. L’ambiance est priante mais avec une grande joie. Au fond, en blanc, c’est l’autel. Les chapiteaux sur la gauche sont réservés au Président et autres personnalités.

A la fin de l’événement, le retour des participants se fait parmi les embouteillages causés par les différents convois de personnalités du pays. Nous choisissons de rentrer à pied, avec la foule venue parfois de plusieurs dizaines de kilomètres pour vivre ce moment unique. C’est dans la joie et une extraordinaire bienveillance que cette foule entame son éprouvant retour. Des femmes rient de voir un vahaza (étranger) pieds nus dans la boue ou un prêtre en voiture s’amuse de nous voir le dépasser avant qu’il nous repasse devant. Ce jour-là est un vrai bain d’immersion au milieu du peuple malgache heureux de pouvoir se rassembler pour prier et partager un morceau de viande.

[ndlr : Ce premier partage de Baudouin est terminé ; les suivants vous seront communiqués via le blog de l’Hospitalité de Touraine.]