Honte à vous

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Dix, Max Ernst, Kurt Schwitters, Tristan Tzara. Tzara, un artiste révolté contre la bêtise humaine, rédigea le Manifeste dada en 1918, au sortir de la première guerre mondiale, dont quelques extraits trouvent une résonance particulière avec l’œuvre de Thierry Ehrmann. On lit par exemple sous la plume de Tzara : “comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme ?… Pas de pitié. Il nous reste après le carnage l’espoir d’une humanité purifiée”. Dans sa logique de table rase, son besoin d’indépendance et de poésie, l’auteur du Manifeste dada en appelle à déchirer “vent furieux, le linge des nuages et des prières” et à préparer “le grand spectacle du désastre, l’incendie, la décomposition”.

Dada et la Demeure du Chaos naissent d’une même rage, d’une volonté de faire table rase, de “noyer l’apparat bourgeois dans un état de guerre permanent”, de faire régner le désordre pour briser les repères conventionnels. Près d’un siècle après la naissance officiel de Dada en 1916, au cabaret Voltaire de Zurich, la Demeure du Chaos s’inscrit certes dans un autre contexte, mais toujours dans le rejet de la guerre, de l’horreur et du prêt à penser. Après tout, l’esprit dada naquit d’une révolte contre la première guerre mondiale et la Demeure du Chaos fut re-baptisée après le choc du 11-Septembre. Dada ou la Demeure du Chaos, c’est le règne du désordre et de l’incompréhension, de la provocation et de l’énergie créatrice. A la question du “Pourquoi ?” la réponse est la même : révolutionner le regard et les modes de pensées, sortir le spectateur de ses acquis, créer contre l’absurdité du monde, retrouver le terrain des émotions et de l’ivresse. A la question du “Comment ?” les réponses se ressemblent encore : dissoudre les limites de l’art, abolir les genres, briser les frontières artistiques, créer un ordre nouveau dans l’incohérence apparente.

La liberté si chère à dada se révèle par exemple dans l’architecture décalée du Merzbau d’Hanovre de Kurt Schwitters. Elle était un Work in progress (comme la Demeure du Chaos) sans cesse alimenté par toutes sortes de matériaux triviaux, objets de rebuts, petits restes insignifiants, déchets ramassés dans la rue qui déconstruisirent l’espace architectural pour construire une œuvre totale. Lancée avec une passion maniaque dans ses Merzbilder, Schwitters s’est fondu dans son projet, est devenu Merz comme on devient dada. Ce n’était plus lui qui habitait l’œuvre mais l’œuvre qui l’habitait(3). En 1937, il eut l’honneur d’être exposé en contre-exemple de l’art officiel du IIIème Reich, avec d’autres artistes “dégénérés”. L’art moderne était considéré comme une production bâtarde, un art de fous, impur par essence. Qu’on les taxent de “fous”, les artistes dada accueillent, comme Thierry Ehrmann, l’injure avec des hourras, se faisant une gloire de personnifier l’insensé. L’artiste se veut organe de l’inouï(4), il menace l’ordre des choses quitte à provoquer chez le (3)  Le Merzbau de Hanovre fut détruit par la guerre, au cours d’un raid aérien allié. (4)  Expression tirée du recueil artistique et littéraire édité par Hugo Ball, fin mai 1916.

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www.demeureduchaos.org


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