LA GAZETTE DES JOCKEYS CAMOUFLÉS

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« La Gazette des Jockeys Camouflés » est un tabloïd mensuel de littérature installé dans les marges de la collection « Les Jockeys Camouflés » publié par Bãzãr édition et dont les premiers livres sortiront en 2013. Parce que la poésie est inadmissible, le poème y tiendra une grande part avec des traductions inédites de poètes étrangers et des interventions d’auteurs contemporains.

LESLIE KAPLAn

Federico García Lorca

thomas pierre françois

christophe chemin Christophe Chemin Zone Tirage numérique et collages 150 x 200 cm

LA GAZETTE DES JOCKEYS CAMOUFLÉS EST ÉDITÉE PAR BÃZÃR ÉDITION - RÉDACTION : LILIANE GIRAUDON et thomas doustaly - CONCEPTION GRAPHIQUE : MARC-ANTOINE SERRA - téléchargez la gazette des jockeys camouflés sur bazaredition.com


Bテセテコ e d i t i o n w w w . b a z a rEDI t i o n . c o m


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Une collection dirigée par LILIANE GIRAUDON à paraître en 2013 Annie Zadek La Condition des soies suivi de Nécessaire et urgent Jean-Jacques Viton et Alexandre La Rochegaussen Catwalk Gertrude Stein Lucie Église Aimablement

Photo Fabien Montique


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Federico García Lorca Juin 1929 Lorca part pour New York via Paris et Londres. Il y séjourne de juillet 1929 (année du grand krach) à fin février 1930. Il découvre le jazz et Harlem, le cinéma parlant et Al Jolson. Il compose les poèmes et « conférences » qui constitueront plus tard Un poète à New York. Après un séjour de deux mois à Cuba où il compose Chant nègre de Cuba et rencontre Lezama Lima, il entreprend le voyage de retour en Espagne après une nouvelle escale à New York. Il a sans doute écrit l’Ode à Walt Whitman en cours de voyage. La première édition sera publiée en tirage limité à Mexico le 15 août 1933 par les éditions Alcancia. Traduction Atelier de la Nouvelle BS avec Arno Calleja, Liliane Giraudon, Brigitte Roussellier, Jean-Jacques Viton.

Ode à Walt Dans East River et le Bronx les garçons chantaient en montrant leurs hanches. Avec la roue, l’huile, le cuir et le marteau quatre vingt dix mille mineurs sortaient l’argent de la roche et les enfants dessinaient des escaliers et des perspectives. Mais pas un ne dormait, pas un ne voulait être fleuve, pas un n’aimait les grandes feuilles, pas un la langue bleue de la plage. Dans East River et Queensborough les garçons luttaient contre l’industrie et les juifs vendaient aux faunes du fleuve la rose de la circoncision et le ciel recrachait sur les ponts et les toits des troupeaux de bisons poussés par le vent. Mais pas un ne s’arrêtait, pas un ne voulait être nuage, pas un ne cherchait les fougères ni la roue jaune du tambourin. Quand la lune sortira les poulies rouleront pour renverser le ciel ; une limite d’aiguilles cernera la mémoire et les cercueils emporteront ceux qui ne travaillent pas. New York de boue, New York de grillages et de morts : Quel ange portes-tu caché dans la joue ? Quelle voix parfaite dira les vérités du blé ? Qui le rêve terrible de tes anémones salies ? Pas un seul instant, Walt Whitman, beau vieillard, je n’ai cessé de voir ta barbe pleine de papillons, ni tes épaules de velours usées par la lune, ni tes cuisses d’Apollon virginal, ni ta voix colonne de cendre ; vieillard beau comme la brume qui gémissais comme un oiseau le sexe traversé d’une aiguille, ennemi du satyre ennemi de la vigne et amant des corps sous la toile rêche. Pas un seul instant, beauté virile qui par les montagnes de charbons, les réclames et les voies ferrées, rêvais d’être fleuve et de dormir comme un fleuve avec ce camarade qui laisserait dans ta poitrine une petite douleur de léopard ignorant. Pas un seul instant, Adam de sang, vrai Mâle, homme seul sur la mer, Walt Whitman, beau vieillard, parce que sur les terrasses, réunis dans les bars, sortant par grappes des égouts, tremblant entre les jambes des chauffeurs ou tournant sur les plateformes de l’absinthe, les pédés, Walt Whitman, rêvaient de toi.


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Whitman Lui aussi ! Lui aussi ! Et ils se jettent sur ta barbe lumineuse et chaste blonds du nord, noirs des sables, foules de cris et de gestes, comme les chats et les serpents, les pédés, Walt Whitman, les pédés, en larmes, chair à cravache, à bottes ou à morsures de dompteurs. Lui aussi ! Lui aussi ! Des doigts peints montrent le bord de ton rêve quand l’ami mange ta pomme au léger goût d’essence et que le soleil chante sur les nombrils des garçons qui jouent sous les ponts. Mais toi, tu ne cherchais pas les yeux égratignés ni le marécage profond où l’on noie les enfants ni la salive glacée ni les poches tuméfiées comme ventre de crapauds aux visages des pédés, en voitures et sur les terrasses, tandis que la lune les fouette au coin des rues de la terreur. Tu cherchais un corps nu pareil à un fleuve, unissant la roue à l’algue, père de ton agonie, camélia de ta mort, et qui gémirait dans les flammes de ton équateur secret. Parce qu’il est juste que l’homme ne cherche pas son plaisir dans la forêt de sang d’un autre matin. Le ciel a des plages où éviter la vie et certains corps ne doivent pas se répéter à l’aurore. Agonie, agonie, rêve, ferment et rêve. Ami, voilà le monde, agonie, agonie. Les morts se décomposent sous l’horloge des villes, la guerre passe en pleurant avec un million de rats gris, les riches font à leurs maîtresses des petits moribonds illuminés, et la vie n’est ni bonne, ni noble, ni sacrée. L’homme peut, s’il le veut, conduire son désir par une veine de corail ou par un nu céleste. Demain les amours seront des rochers et le Temps une brise qui s’endort dans les branches. C’est pourquoi je n’élève pas la voix, vieux Walt Whitman, contre le petit garçon qui écrit un prénom de petite fille sur son oreiller, ni contre le garçon qui se travestit en mariée dans l’obscurité de la garde robe, ni contre les solitaires des clubs qui boivent avec dégoût l’eau de la prostitution, ni contre les hommes à l’oeillade verte qui aiment l’homme et consument leurs lèvres en silence. Mais bien contre vous, pédés des villes, à la chair tuméfiée et à la pensée immonde, mères de boue, harpies, ennemis sans rêve de l’amour qui offre des couronnes de joie.

Contre vous toujours, qui donnez aux garçons des gouttes de sale mort au venin amer. Contre vous toujours Bagouses d’Amérique Perruches de la Havane Pédales de Mexico Tapettes de Cadiz Canapés de Séville Tantouses de Madrid Emproseurs d’Alicante Rondelles du Portugal. Pédés du monde entier, assassins de colombes ! Esclaves de la femme, chiennes de ses boudoirs, ouverts sur les places dans une fièvre d’éventail ou embusqués dans les paysages raides de la ciguë. Pas de quartier ! La mort dégoutte de vos yeux et rassemble des fleurs grises sur les rivages de la boue. Pas de quartier ! Alerte ! Que les anonymes, les purs, les classiques, les insignes, les suppliants vous ferment les portes de la bacchanale. Et toi, beau Walt Whitman, dors sur les rives de l’Hudson barbe vers le pôle et mains ouvertes. Argile tendre ou neige, ta langue appelle les camarades qui veillent ta gazelle sans corps. Dors, il ne reste rien. Une danse de murs agite les prairies et l’Amérique se noie sous les machines et les larmes. Je veux que le vent fort de la nuit la plus profonde arrache les fleurs et les lettres de l’arcade où tu dors, et qu’un enfant noir annonce aux blancs de l’or l’arrivée du règne de l’épi. Le temps passe ; nous n’avons plus le temps de dire d’autres poèmes et nous devons quitter New York. J’arrête de lire les poèmes de Noël, les poèmes du port, mais un jour si ça vous intéresse, vous les lirez dans le livre. Le temps passe et je suis déjà sur le bateau qui m’éloigne de la ville hurlante, en route vers les belles îles des Antilles. La première impression que ce monde n’a pas de racine, se confirme…


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1 2 07 Christophe Chemin A Lot Of Work Awaits Me Tirage numérique et collages 183 x 130 cm

Christophe Chemin vit et travaille à Berlin. Ses tirages numériques et collages sont de véritables méditations sur l’espace. Celui d’univers architecturaux transitoires évoquant des lieux de passage

(portes, fenêtres, escaliers, ponts...) « Les Safety Windows sont des sortes de percées où l’intérieur et l’extérieur communiquent dans un rapport de proportions qui est sans doute la proportion des

émotions humaines » dit-il. Cet univers à la fois incertain et très précis a quelque chose à voir avec l’énigmatique fond sur lequel, dans les jeux vidéo, les héros traversent leurs épreuves et collectent

des objets. Il faut ajouter que Christophe Chemin est aussi l’auteur de plusieurs livres et qu’il a déjà un passé de filmmaker.


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leslie kaplan Leslie Kaplan publie depuis 1982 des récits, des romans, des essais, du théâtre, notamment L’excès - L’usine ; Le Psychanalyste  ; Les Outils  ; Fever ; Louise, elle est folle (tous ces livres sont chez POL). Son dernier roman, Millefeuille, est sorti chez POL en août 2012. Extraits d’une pièce en cours, prévue pour novembre 2013.

Déplace le 1.

moi j’aime bien l’anglais mais la supériorité de la langue française sur l’anglais c’est évident ça se voit ça s’entend c’est évident je suis d’accord tu prends vache il y a vvvvvvvv et ensuite ch ch ch ch ch on sent tout de suite la vache alors que cow, rien à voir mais rien si tu es honnête si tu es sérieuse tu vois bien que ça n’a aucun rapport ou encore tu prends l’herbe herbe her her her be be be ça fait de l’herbe, c’est clair alors que grass, c’est dur aucun brin même pas vert rien, je te dis rien du tout c’est vrai grass c’est tout dur même pas vert et la preuve vraiment c’est quand les mots sont les mêmes tu prends table, O.K. ? c’est le même oui c’est le même enfin tu peux le croire table mais table, en français c’est tout de suite carré ou rond il y a une forme oui il y a une forme


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2. moi je suis amoureuse mais je préfère rompre comme ça c’est pas lui qui me quitte moi je préfère rester avec quelqu’un que je n’aime pas comme ça je ne souffre pas s’il s’en va

le ciel alors que table, en anglais taïbel tu ne vois aucune forme qu’est ce que tu veux que je te dise aucune forme c’est tout mou oui c’est vrai taïbel c’est tout mou ça ne marche pas ou alors je ne sais pas il faut adapter changer triturer truquer traduire ? oui c’est clair traduire (…)

moi je préfère vivre avec quelqu’un que je méprise comme ça j’ai pas peur qu’il ne m’aime pas moi je préfère gâcher ma vie comme ça je ne regrette rien moi je préfère me ronger comme ça je n’accuse personne moi je préfère ne jamais rien dire comme ça je reste avec mon envie moi je préfère échouer comme ça je ne fais pas de jaloux moi je préfère être moche comme ça je me venge moi je préfère être laide comme ça ma mère me déteste moi je préfère être idiote comme ça je déçois moi je préfère me tromper comme ça je rassure tout le monde moi je préfère être bête comme ça c’est fait, je suis bête moi je préfère vivre avec un malade comme ça je sais que je suis en bonne santé moi je préfère travailler avec des imbéciles comme ça on voit d’où viennent les idées moi je préfère me cacher comme ça personne ne me trouve moi je préfère tout casser comme ça il ne reste rien moi je préfère vivre avec rien comme ça je garde tout moi je préfère donner des ordres comme ça je suis sûre d’être libre moi je préfère blesser comme ça je vois la haine chez l’autre moi je préfère humilier comme ça je suis la reine moi je préfère détruire l’autre comme ça je suis tranquille moi je préfère qu’il ne se passe rien comme ça je n’ai pas peur qu’il arrive quelque chose (…)


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P is t o le t s n u m é r i q u es Correspondances, conversations, commentaires… Réseaux sociaux, réseaux professionnels, réseaux secrets… Pif, pam, poum… À deux, à trois, à l’infini… Pistolets numériques, la rubrique de l’épistolaire en ligne.

Correspondance pour une cinéphilie de larmes en souvenir de Serge Daney (1944-1992) De : Thomas Pierre François <thomaspierrefrancois@yahoo.fr> À : Nicolas Girard <ngirard@soulkitchen.fr> Envoyé le : Mardi 25 septembre 2012 4h38 Objet : La liste de Thomas pour Nicolas - 1/10 Nicolas,

thomas pierre françois

books?id=sOwouuTTEAwC&pg=PA145& dq=la+r% C3%A8gle+du+jeu+un+des+plu s+importants+film+ de+l%27histoire+du+c inema&hl=fr&ei=3je QTbGsNYaWswa3_ qGMCg&sa=X&oi=book_ result&ct=result &resnum=1&ved=0CDIQ6AEwAA#v=onep age&q&f=false

J’ai mis au propre les 10 premiers % de la liste du BFI (Critics’ Top 250 Films). Soit 25 titres. J’ai gardé les titres anglais des films anglosaxons (titres français entre parenthèses) mais j’ai choisi le titre français des autres films étrangers (sans donner le titre original, russe ou japonais). J’ai aussi complété et francisé les noms des réalisateurs.

5. Sunrise (L’Aurore) - F. W. Murnau, 1927 Pour moi, le mélodrame est au cinéma ce que la peinture est à l’art occidental : tout vient de là, et tout y revient. Sur la forme, c’est hallucinant de beauté. Sur le fond, c’est un tire larmes qui te brise le cœur avec tellement de force que tu restes baba.

Pour le reste, la liste est telle que publiée par le BFI. Je garde l’ordre par commodité, mais je n’y attache pas trop d’importance.

7. The Searchers (La Prisonnière du désert) John Ford, 1956 Pour moi, Ford est LE grand maître américain. Dans la forme, pure à l’extrême, il est presque japonais tant il est rigoureux. Dans le fond, la frontière est son éternel sujet : c’est l’enfance de l’art, les cowboys et les indiens. Wayne est prodigieux ici, entre deux âges. De Ford, tu dois voir aussi le méconnu Sur la piste des Mohawks (Drums Along the Mohawk), qui date de 1939. Mais j’y reviendrai.

Presque tous ces titres sont essentiels à la culture d’un cinéphile. 1. Vertigo (Sueurs Froides) - Alfred Hitchcock, 1958 2. Citizen Kane - Orson Welles, 1941 3. Voyage à Tokyo - Yasujiro Ozu, 1953 Tu vas trouver plusieurs titres d’Ozu dans la liste. Ce sont des œuvres admirables, de beauté, d’intelligence et d’humanité. Il s’agit toujours de la tragédie de l’homme moderne. Tu verras les génériques, la musique, et surtout les plans : raccord dans l’axe en ouverture (trois plans de plus en plus serrés d’un même paysage, dans celui-ci ou dans les autres) et caméra «à hauteur de tatami». 4. La Règle du Jeu - Jean Renoir, 1939 Essentiel. Renoir joue dedans (comme beaucoup de grands maitres : Welles, Tati, Chaplin, entre autres). Comme tous les grands classiques occidentaux, La Règle du Jeu est un film extrêmement cinématographique (une œuvre que seul le cinéma peut produire - notamment parce qu’il a besoin de talents nombreux - scénario, casting, techniciens), une œuvre politique qui voit de son époque ce que personne ne voit à ce momentlà (tel Jacques Demy qui voit la guerre d’Algérie comme un drame de soldat dans Les Parapluies de Cherbourg, un an à peine après son achèvement) et enfin une œuvre complexe, foisonnante, polysémique, qui mérite d’être vue plusieurs fois. C’est aussi - et c’est très important - un film très drôle. Joyeux même. Tu peux lire, à son sujet, un excellent texte de Jean-Luc Nancy : http://books.google.fr/

6. 2001: A Space Odyssey (2001, L’Odyssée de l’espace) - Stanley Kubrick, 1968

8. L’Homme à la caméra - Dziga Vertov, 1929 9. La Passion de Jeanne d’Arc - Carl Th. Dreyer, 1927 Film muet, comme L’Aurore. Comme La Passion selon Saint-Matthieu de Bach, qui est portée par le texte de l’évangile, la Passion de Dreyer puise sa force des minutes du procès de Jeanne et de sa sainteté même. Falconetti est prodigieuse. Tu dois voir aussi Procès de Jeanne d’Arc, de Robert Bresson, qui date de 1962, et qui colle plus rigoureusement encore aux minutes du procès. Jeanne (Florence Delay) est plus forte chez Bresson, plus combative que la douloureuse et poignante Falconetti. 10. 8½ - Federico Fellini, 1963 11. Le cuirassé Potemkine - Sergei M. Eisenstein, 1925 12. L’Atalante - Jean Vigo, 1934 13. À bout de souffle - Jean-Luc Godard, 1960 14. Apocalypse Now - Francis Ford Coppola, 1979 15. Printemps tardif - Yasujiro Ozu, 1949 16. Au hasard Balthazar - Robert Bresson, 1966 17 =. Les Sept Samouraïs - Akira Kurosawa, 1954 17 =. Persona - Ingmar Bergman, 1966 19. Le Miroir – Andreï Tarkovsky, 1974 20. Singin’ in the Rain (Chantons sous la pluie) - Stanley Donen & Gene Kelly, 1951

21 =. L’aventura - Michelangelo Antonioni, 1960 21 =. Le Mépris - Jean-Luc Godard, 1963 Je trouve le chef d’œuvre de Godard bien loin dans cette liste. Pour moi il vient avant À bout de souffle, et quoi qu’il en soit dans les 10 plus beaux films de l’histoire du cinéma. Comme La Règle du jeu, c’est une mise en abyme : un film sur un film, un film sur la vérité, des sentiments et de leur disparition. J’aime tout dans Le Mépris : Bardot comme jamais ailleurs, Piccoli d’une puissance de jeu phénoménale (son rôle est très très difficile), Fritz Lang en vieux sage, Raoul Coutard à l’image, le générique «à la Guitry» et la Villa Malaparte, à Capri, comme un personnage. Je note ici qu’il manque Guitry dans cette première liste. C’est pourtant le cinéaste français, et peut-être même l’artiste français, le plus important des années 30. 21 =. The Godfather (Le Parrain) - Francis Ford Coppola, 1972 24 =. Ordet - Carl Th. Dreyer, 1955 24 =. In the Mood for Love - Wong Kar-Wai, 2000 Voilà. Il est tard. Je te laisse avec tout ça, que tu peux faire circuler sous le nom de « La liste de Thomas pour Nicolas ». Baisers, Thomas


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De : Nicolas Girard <ngirard@soulkitchen.fr> À : Thomas Pierre François <thomaspierrefrancois@yahoo.fr> Envoyé le : Mardi 25 septembre 2012 4h40 Objet : RE: La liste de Thomas pour Nicolas - 1/10

De : Thomas Pierre François <thomaspierrefrancois@yahoo.fr> À : Nicolas Girard <ngirard@soulkitchen.fr> Envoyé le : Lundi 1 octobre 2012 6h46 Objet : La liste de Thomas pour Nicolas 2/10

T’es sympa toi.

Nicolas, Voici les 25 numéros suivants.

De : Nicolas Girard <ngirard@soulkitchen.fr> À : Thomas Pierre François <thomaspierrefrancois@yahoo.fr> Envoyé le : Mardi 25 septembre 2012 4h45 Objet : RE: La liste de Thomas pour Nicolas - 1/10 Et je me régale de te lire comme de t’écouter.

26 =. Rashomon - Akira Kurosawa, 1950 26 =. Andreï Roublev - Andreï Tarkovsky, 1966 Tous les films de cette liste, assez bizarrement, ne sont pas des chefs-d’œuvre. De la même façon, d’immenses réalisateurs n’y figurent pas (nous le verrons), alors que des cinéastes comme Béla Tarr (je ne sais même pas qui il est…), Chris Marker, Claude Lanzmann ou Chantal Akerman y sont (et je ne cite pas Scorcese ou Fellini parce que ça nous entraînerait dans un débat sur les faux maîtres que j’ai toujours lancé à mes dépens). Je soulève cette question de parti pris ici parce que je crois qu’Andreï Roublev est bien plus un chef d’œuvre que Stalker, du même Tarkovsky, lui aussi dans la liste. Deux films vus il y a longtemps. La question du chef d’œuvre est au cœur de tout projet d’anthologie, et nous l’explorerons plus avant, notamment au regard de l’histoire - des hommes, de l’art et du cinéma. 28. Mulholland Dr. (Mulholland Drive) David Lynch, 2001 J’ai voulu rouler sur Mulholland Drive à Los Angeles. J’avais loué une voiture, j’étais avec une amie. Nous nous sommes arrêtés sous un arbre à l’endroit le plus étroit de la route, et nous avons vu la ville des deux côtés de la crête. C’était merveilleux. Je suis allé au Musée archéologique, à Naples, dans les pas d’Ingrid Bergman, à Biarritz avec Téchiné, à Bora Bora avec Tabu en tête, à Rome et récemment en Sicile avec Jean-Marie Straub et Danièle Huillet. Je ne suis jamais allé au Japon ni en Russie, mais je sais que si je devais y aller un jour, j’y trouverai Ozu et Eisenstein en regardant défiler les villes et les campagnes aux fenêtres des trains. 29 =. Stalker - Andreï Tarkovsky, 1979 29 =. Shoah - Claude Lanzmann, 1985 Shoah est très inaccessible au commentaire, pour la raison que l’Histoire ici dépasse tout, Lanzmann compris. Mais c’est intéressant comme engagement : engagement d’un homme – pour qui il s’agit du film d’une vie ; engagement de spectateur, puisque le film dure 6 heures et 13 minutes, et qu’il faut le voir en une seule longue soirée, avec une pause entre les deux époques. En dehors de ça, Lanzmann est un cinéaste antipathique. Je ne sais pas s’il faut en discuter, ni même si ça a du sens de le relever. Mais je le fais parce que c’est une des grandes affaires du cinéma, et de l’art en général : s’il est facile d’aimer et sans doute d’admirer un artiste dont on n’aime pas les œuvres, comment aimer entièrement un film quand son auteur vous apparaît comme un sinistre personnage ?

Il fallait que le néo-réalisme italien soit là. Il y est. 34. The General (Le mécano de la “Général”) Buster Keaton & Clyde Bruckman, 1926 35 =. Metropolis - Fritz Lang, 1927 Si nous faisons ce ciné-club, nous ne montrerons pas Metropolis. Il y a d’autres muets de Lang jeune si on veut faire dans le genre octogénaire, et surtout il y a des Lang américains sublimes. Sans compter que j’ai personnellement une admiration folle pour les deux chefs d’œuvre de la fin de sa vie, Der Tiger von Eschnapur (Le Tigre du Bengale) et Das indische Grabmal (Le Tombeau hindou), un diptyque tourné en 1959 et 1960. 35 =. Psycho (Psychose) - Alfred Hitchcock, 1960 Que c’est bien Psycho ! Nous nous concentrerons sur l’importance du sexe dans les premières scènes. Ou comment un petit gros complexé (et un peu gay sur les bords) arrive à nous faire littéralement ressentir l’excitation d’une femme pour un homme (le terrible John Gavin) et surtout pour l’argent. La douche et le rocking chair, ça va, on a compris ! Cela dit il y a une blague pédé – le cockring chair d’Anthony Perkins – que je vous raconterai si le public s’y prête. 35 =. Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles - Chantal Akerman, 1975 35 =. Sátántangó - Béla Tarr, 1994 39 =. Les Quatre Cents Coups - François Truffaut, 1959 39 =. La dolce vita - Federico Fellini, 1960 41. Voyage en Italie - Roberto Rossellini, 1954 Un des plus beaux films du monde, tout simplement. La gravité de Bergman est surnaturelle. Il s’agit évidemment d’un voyage spirituel, celui d’une femme et d’un homme qui vont à la rencontre d’euxmêmes. 42 =. La Complainte du sentier (plus connu sous le titre Pather Panchali) - Satyajit Ray, 1955 42 =. Some Like it Hot (Certains l’aiment chaud) - Billy Wilder, 1959 Marilyn est plus importante dans l’histoire du cinéma, selon moi, que bien des cinéastes. Il faut voir son chef d’œuvre, River of no return, de Preminger, pour s’en convaincre. Lèvres rouges, escarpins rouges, seins rouges, des larmes dans la voix et cent cowboys à ses pieds, elle chante : « There is a river called the river of no return. Sometimes it’s peaceful and sometimes wild and free… » Qui peut résister à ça ? 42 =. Gertrud - Carl Th. Dreyer, 1964 42 =. Pierrot le fou - Jean-Luc Godard, 1965 42 =. Play Time - Jacques Tati, 1967 42 =. Close-Up - Abbas Kiarostami, 1990 48 =. La Bataille d’Alger - Gillo Pontecorvo, 1966 48 =. Histoire(s) du cinéma - Jean-Luc Godard, 1998 C’est très amusant. Mine de rien.

31 =. The Godfather Part II (Le Parrain - 2e partie) - Francis Ford Coppola, 1974

50 =. City Lights (Les Lumières de la ville) Charlie Chaplin, 1931

31 =. Taxi Driver - Martin Scorsese, 1976 Je ne veux pas passer pour un snob, mais enfin ce n’est pas possible de mettre Taxi Driver dans cette liste. J’aime beaucoup Scorcese, il a construit une œuvre et il a du talent. Mais tant d’autres en ont plus que lui !

50 =. Les Contes de la lune vague après la pluie - Kenji Mizoguchi, 1953 50 =. La Jetée - Chris Marker, 1962

33. Le Voleur de bicyclette - Vittorio De Sica, 1948

Il manque à cette liste de 50 films des noms de cinéastes de génie dont l’importance, en terme d’influence, de sens et d’esthétique, ne fait aucun doute. Il s’agit de Fassbinder, de Straub et Huillet, de Visconti, de Pasolini et

de Guitry. Je devine que tu es étonné par la mention des Straub et de Guitry. Mais il n’y a rien d’étonnant à les mettre au-dessus du lot, il faut me croire là-dessus. Il faut comparer les films et se souvenir du vers de Pierre Corneille qui sert de sous-titre à Othon, de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet  : « Les yeux ne veulent pas en tout temps se fermer. » Ces six-là forment d’ailleurs une sorte de short list, que je pourrais compléter en citant Howard Hawks, Max Ophüls, Robert Flaherty, Joseph L. Mankiewicz, Tod Browning, Douglas Sirk, Philippe Garrel, Raymond Depardon, John Cassavetes, Éric Rohmer, Josef von Sternberg, Boris Barnet, Anthony Mann, Mikio Naruse, Paul Vecchiali, D. W. Griffith, Richard Brooks, George Cukor, Jacques Demy, Jean-Pierre Melville et Alain Cavalier. Tous ceux-là sont d’immenses cinéastes. Je dois te dire aussi qu’il existe deux films de Pierre-André Boutang, l’un consacré à Serge Daney (Serge Daney : itinéraire d’un ciné-fils) et l’autre à Gilles Deleuze (L’Abécédaire de Gilles Deleuze) qui sont essentiels à toute entreprise cinéphilique. On doit les voir comme des œuvres, comme des films. À ce niveau-là, le spectacle de l’intelligence est un divertissement qui vaut bien Hollywood. Le plaisir qu’on en tire est immense. Il faudra parler d’acteurs et d’actrices, et surtout de Marilyn Monroe, de Fred Astaire, de John Gavin cet inconnu, de Claude Laydu pour des raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, de James Steward qui est peut-être le plus grand acteur du monde, de Michel Piccoli et de Romy Schneider parce que nous sommes en France et de la sidérante beauté de Catherine Deneuve parce que le cinéma est en couleur. Si notre projet de ciné-club domestique prend forme, il faudra prévoir un moment pour projeter mes films préférés. Je ne sais pas s’ils sont les plus grands, les beaux ni les plus forts. Mais je les ai vu des dizaines de fois (40 fois Monfleet je crois, vers 1996, dans une année d’obsession totale), et je les aime (j’ai honte de te dire ça) comme j’aime peu de gens, au fond, et depuis si longtemps parfois. Il faudra essayer, si je te les montre, de te dire pourquoi ils m’émeuvent autant. Il y aura Hôtel des Amériques, Silverlake Life : The View from Here, Journal d’un curé de campagne, Razzia sur la Chnouf, La Chamade, The Philadelphia story, Monfleet et L’évangile selon saint Matthieu. Voyage en Italie, La Règle du jeu et Le Mépris aussi, mais ils sont déjà dans les 50. Je t’embrasse affectueusement, Thomas

De : Nicolas Girard <ngirard@soulkitchen.fr> À : Thomas Pierre François <thomaspierrefrancois@yahoo.fr> Envoyé le : Lundi 1 octobre 2012 7h25 Objet : RE: La liste de Thomas pour Nicolas - 2/10 Merci, tu avances vite, l’application avec laquelle tu t’attèles à la tâche me touche. Je suis au bureau et à la bourre, je lirai attentivement ton mail ce soir. Je t’embrasse n


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12 Christophe Chemin Thursday Afternoon - Safety Window V tirage numérique et collages 116 x 83 cm

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