Babybook Enfant - Nº5 - Automne / Hiver 2011/2012

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ON EN DéBAT

Entretien avec le Dr Eva Pigois, pédopsychiatre et cheffe de clinique en pédopsychiatrie de liaison au CHUV

Les naissances d’enfants intersexués sont-elles fréquentes ? Dans ma pratique professionnelle, je suis contactée pour de tels cas environ deux fois par an. Mais, l’incidence est plus élevée, et c’est ce que relatent les milieux associatifs qui s’occupent de cette question. Cela s’explique par le fait que ce qui est aujourd’hui appelé « trouble de la différenciation des organes génitaux » peut être le fruit d’une découverte tardive, et non lors de la naissance. Autrement dit, ce que nous pouvons voir en pédopsychiatrie au CHUV ne reflète pas l’ensemble de la problématique, qui est plus vaste.

Avez-vous un rôle de conseiller vis-à-vis des parents ?

Non. En tant que pédopsychiatre, je suis là pour écouter et soutenir au mieux les parents dans leur fonction parentale. Il faut que les parents puissent prendre leur rôle de parents le plus sereinement possible et je les accompagne à cet effet.

Que pouvez-vous nous dire des réactions des parents lors de la naissance d’un enfant au sexe non déterminé ?

Quelle est aujourd’hui la façon de procéder lors d’une telle naissance et quelles sont les options retenues ?

La naissance d’un enfant est déjà en soi une sorte de crise identitaire et un moment de forte remise en question. On doit se définir comme parent, avec tout ce que cela implique. Je vais peut-être vous surprendre, mais mon expérience «La tendance au CHUV En ce qui concerne le CHUV, une équipe m’a appris que certaines préoccupations de est de ne pas chercher composée du pédiatre, du chirurgien pédiatre nouveaux parents dépassaient la question du à tout prix à assigner et de l’endocrinologue pédiatre se réunit. L’avis sexe de l’enfant et pouvaient être d’un tout autre de manière précoce du pédopsychiatre est également sollicité. Le ordre, au point de reléguer cet aspect du genre chirurgien pédiatre et l’endocrinologue pédiatre un sexe à l’enfant.» non défini au second plan… Un trouble de la vont effectuer une évalution d’ordre anatomique différenciation des organes génitaux ne s’impose et endocrinologie qui va servir de base pour une éventuelle décision. ainsi pas forcément comme une priorité ! Cela démystifie selon C’est-à-dire qu’ils vont déterminer si oui ou non, l’enfant a plus de moi cette question: l’enfant est d’abord un individu et c’est en tant chances de se reconnaître plutôt dans un sexe que dans l’autre. qu’individu que les parents le rencontrent. Faire connaissance avec cet enfant est quelque chose d’immense, et va bien au-delà de la couleur Mais aujourd’hui, la tendance au CHUV est de ne pas chercher à tout de sa layette… prix à assigner de manière précoce un sexe à l’enfant. Les médecins préfèreront se donner le temps, de sorte à ne pas prendre une décision Cela nous amène à la réflexion suivante: qu’est-ce que finalement un qui prétériterait l’enfant et surtout, à prendre une décision qui ne homme? Une femme? Je crois que tous, nous « bricolons » pour savoir soit pas irréversible pour lui. Ce que nous pouvons faire, c’est tenter comment nous avons envie d’être un homme, une femme. Chaque d’acquérir un maximum d’éléments d’information. Nos décisions personne est une construction singulière… C’est une leçon que l’on devraient donc laisser une place importante au choix du sujet lui- va devoir intégrer, je crois. même, et lui laisser la latitude de prendre ses propres décisions par la suite.

Propos recueillis par Anne-Lise Reymond

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