En Valais, ils inventent une nouvelle morale touristique. // Le Temps: 5 février 2010

Page 1

Paysage Vendredi5 février 2010

En Valais, ils inventent une nouvelle morale touristique Par Xavier Filliez

Ils sont architectes, acteurs du tourisme ou écologistes et militent pour un développement urbanistique maîtrisé dans les Alpes, loin de la spéculation immobilière et des monocultures sans lendemain. Portrait de l’association Altitude 1400 Puisqu’il faut lui donner un titre au sein de l’association Altitude 1400, Bernard Attinger est président. Mais il est surtout une sorte de vieux sage impertinent. Ses blâmes sur le développement anarchique des stations de montagne en Valais, l’ancien architecte cantonal les distille généralement sur le ton du sarcasme. Du genre: «Ces trente dernières années on a construit davantage que les 10  000 ans auparavant.» Sur la place d’Anzère, dans le vide patibulaire du creux de janvier où un poivrot désorienté se dispute le trophée de la désolation avec les serveurs russes du café voisin parlant à peine le français, ainsi va sa prose: «Ici, des arrêtés fédéraux ont tout saccagé. C’était un début de station cohérent, concentré, organisé autour d’une place et voilà ce que c’est devenu…» Un héritage de dégâts Il fait référence à la Lex Koller et à ses antécédents. Comme chez la grande voisine Aminona où, depuis deux ans, le mégaprojet des Russes de Mirax réveille les fantômes du passé, les faillites qui ont suivi le coup de bride fédéral ont souvent laissé les stations à moitié terminées. Par la suite, les résidences secondaires se sont épanchées sur des zones à bâtir démesurées, situation qui prévaut dans à peu près toutes les communes touristiques du canton. Probablement le frein à main était-il nécessaire. Mais Dieu que les dégâts laissés en héritage sont navrants, martèlent aujourd’hui les membres d’Altitude 1400 qui organisent une nouvelle table ronde ce soir*. Qui sont-ils? Quelle est cette bande de moralisateurs qui stigmatisent la politique d’aménagement du territoire et les stratégies de développement touristique et appelle à une reprise en main de la communauté sur son patrimoine? C’est d’abord un noyau dur d’architectes. Ils ont créé le mouvement en 2007 autour d’une exposition et d’un débat plus vaste sur l’urbanisation des stations. Altitude 1400 débarquait en pleine période de crise existentielle en Valais. Le ministre de l’Economie Jean-Michel Cina venait de prononcer un moratoire interdisant la vente d’immeubles aux étrangers pour se donner le temps de la réflexion. Le dialogue était inexistant entre canton, communes, associations écologistes et promoteurs. Le groupe se proposait de combler ce vide. Deux ans après, la confrontation avec le monde politique laisse d’abord un faux goût de désillusion. Les rapports avec le canton sont bons. Ponctuellement, des promoteurs sollicitent l’association pour un coaching. Ce fut le cas pour un projet à Vichères, dans le Val de Bagnes. Mais la tentative de dialogue avec les communes s’est soldée par un échec retentissant. Aucune n’a répondu à l’invitation aux pourparlers, à deux exceptions. Rien d’étonnant à cette déconvenue, analyse a posteriori le comité, invoquant un attachement ombilical à l’autonomie communale ou encore les intérêts croisés entre responsables politiques et promoteurs qui dans toute proposition de soutien lisent forcément une menace d’ingérence. Altitude 1400 a donc choisi de recentrer son discours sur la population. «A la manière du discours écologiste, plus efficace s’il se traduit par des conseils aux consommateurs que par des directives de l’Etat, on veut mobiliser la conscience citoyenne», promet Lucien Barras, un des fondateurs.


de l’Etat, on veut mobiliser la conscience citoyenne», promet Lucien Barras, un des fondateurs. Cercle élargi Et puis, viser l’électeur, c’est avoir en joue le politicien, espèrent ces nouveaux guérilleros du développement durable. «Aujourd’hui, l’aménagement du territoire, c’est une patate chaude. Mais aux prochaines élections, les politiques feront leur campagne là-dessus», assure Philippe Venetz. Il dit sentir l’existence d’«un Valais visionnaire, éloigné des combines, de la spéculation, une sorte de majorité silencieuse», soucieuse des questions d’économie touristique durable. Les supporters cachés du moratoire Cina avaient fait leur coming out en réélisant le conseiller d’Etat très honorablement en mars 2009. Avant cela surtout, le vote valaisan très nettement en faveur du droit de recours des organisations écologistes avait été un signal fort. Et maintenant? Les architectes, seuls, se voyaient mal placés pour échafauder une morale. Autour du doyen Attinger et de ses acolytes, le groupe s’est ouvert à d’autres compétences. Yvan Aymon, directeur de la marque Valais, a rejoint les lobbyistes. De même qu’Eric Nanchen, directeur de la Fondation pour le développement durable des régions de montagne. Christophe Clivaz, politologue, professeur de tourisme à l’Institut universitaire Kurt Bösch à Bramois, unanimement reconnu comme un écologiste non dogmatique, complète l’équipe. Altitude 1400 ne se prive pas d’infliger la principale responsabilité du mitage du paysage aux communes, qui n’ont «pas respecté l’esprit de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire en surdimensionnant les zones à bâtir». Mais en fait, elle remet en question tout ce qui menace la durabilité de l’économie touristique et implore un interventionnisme urgent du canton aussi bien en termes de territoire que d’activités et de gouvernance. Eviter les monocultures C’est à cette condition que l’on vaincra la monoculture du ski. Que celle du thermalisme, émergente, sera évitée, qui sait. «On a une représentation de la montagne où on fait de tout et partout. Il faut élever le niveau de conscience. Il ne faut pas être interchangeable», analyse Eric Nanchen. «Les stations vivent de la rente foncière, de l’activité immobilière, plutôt que de l’activité économique liée au tourisme. C’est aussi un signe que le mal est profond», renchérit Christophe Clivaz. «Exploitons les 300 000 lits existants avant d’en construire de nouveaux.» Sa ligne de conduite, l’association l’a récemment renfermée dans une charte qui propose dix pistes de réflexion pour redéfinir les missions du tourisme, requalifier les espaces, penser mobilité et durabilité. Peut-être la période de crise actuelle est-elle propice à la réflexion? Au fait: Anzère élabore un règlement de gestion des résidences secondaires et prévoit des mesures politiques pour remplir les lits froids. Une petite flamme dans la grisaille valaisanne. *L’avenir des Alpes: de la proposition à l’action.Table ronde avec Xavier Fischer, président de la section romande de la Fédération suisse des urbanistes, Dominique Fumeaux, directeur de CransMontana Tourisme, et François Genoud, architecte-promoteur à Grimentz. Ce soir à 19h au bâtiment de l’Association valaisanne des entrepreneurs, rue de l’Avenir 11 à Sion.

© 2009 Le Temps SA


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.