Pandora Project • V2 • Chapitre 3

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c III d

đ?„ž (Audiomachine - Lachrimae) Une pluie ininterrompue de balles rythmait la fuite des deux fugitifs sans qu’aucune, heureusement, n’atteigne sa cible. A chaque bifurcation, Ienzo et son compagnon gagnaient de prĂŠcieux mètres sur leurs assaillants, mais leur obstination ne suffisait pas Ă les semer. EntraĂŽnĂŠ dans la course folle de cet homme sorti de nulle part dont il ne possĂŠdait pas l’aisance, le voyageur progressait avec difficultĂŠ, concentrĂŠ sur la capuche du sweat-shirt de son guide. Sa main ĂŠtait plaquĂŠe sur sa poitrine comme s’il tentait par ce geste de retenir ses poumons Ă l’intĂŠrieur de son corps, et ses muscles paraissaient si douloureux qu’il avait l’impression que le choc rĂŠpĂŠtĂŠ de ses pieds sur le goudron finirait par les briser. Bien qu’il n’eut aucune idĂŠe de la raison de cette traque si soudaine, il avait vite compris que leurs poursuivants ne plaisantaient pas. Chacune des ruelles bondĂŠes qu’ils empruntaient formait dans sa tĂŞte l’Ênième embranchement d’un immense labyrinthe qui s’Êtendait dans tous les Bas-Fonds de la ville. Plusieurs fois il avait manquĂŠ d’abandonner, mais impossible de s’arrĂŞter et encore moins de rebrousser chemin ; s’il perdait Ienzo de vue, il ĂŠtait condamnĂŠ. Comment s’Êchapper seul de ce dĂŠdale ? De temps Ă autres, le jeune homme s’autorisait pourtant un coup d’œil en direction des immeubles qu’ils longeaient Ă la hâte,

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manquant de trébucher et de heurter les passants qui le dévisageaient sans comprendre. La hauteur des bâtisses était variable, mais celles-ci comptaient rarement moins de vingt étages. Le sommet des plus hautes tours disparaissait derrière d’épais nuages accrochés aux colonnes de grès striant les façades. Jamais il n’avait admiré de telles constructions jusqu’alors. Pourtant, malgré leur démesure, toutes paraissaient avoir égaré leur panache au détour d’une guerre civile qui avait ravagé les rues des années auparavant. Le chaos qui possédait désormais cette ville et tous ses habitants avait eu raison de leur grandeur passée et le temps semblait s’être soudainement suspendu. Les vitres brisées des niveaux inférieurs étaient condamnées à grands renforts de ciment et de vieilles planches de bois sommairement clouées, comme des pansements de fortune apposés pour empêcher la noirceur du dehors de pénétrer les demeures. Des graffitis aux pointes acérées comme des pics, mêlés à une poignée d’affiches publicitaires, s’accumulaient en innombrables couches sur les murs et formaient un patchwork délavé qui ondulait au gré des filets d’eau suintant le long des briques vermillon. Un peu partout, des feux de poubelles illuminaient les rues dans une danse de lumières mouvantes et résistaient farouchement à l’averse incessante. Il sembla au voyageur que la nuit les rattrapait à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les zones les plus insalubres du quartier, grignotant les faibles lueurs du soleil qui perçaient encore laborieusement entre les bâtiments et se reflétaient dans leurs façades. Le ciel plombé, taché de fumées anthracite émanant des usines autour de la cité, rendait l’atmosphère encore plus lourde et oppressante qu’elle ne l’était. Une balle siffla soudain non loin de ses oreilles et se ficha dans le tronc d’un arbre mort qu’il dépassa dans sa fuite. Comme si cela pouvait servir à quelque chose, il rentra la tête dans ses épaules et pressa le pas tandis que les semelles des bottes de leurs poursuivants, cinglant le sol sans relâche dans un brouhaha monstrueux, se rapprochaient Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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toujours un peu plus. Son souffle haletant devint alors la seule mélodie qu’il percevait encore, entrecoupée par les impacts de balle qui se multipliaient, de plus en plus précis et de plus en plus nombreux. Puis, subitement, plus rien. Un ordre autoritaire, beuglé par le meneur de l’assaut, stoppa net ce déluge de projectiles et la course soutenue de ses sbires, devenus hésitants. — Arrêtez! Il nous les faut vivants, n’oubliez pas ! hurlait-on, dans leur dos. Profitant de cette diversion inespérée, les deux fuyards s’engouffrèrent au milieu d’une longue procession de voitures qui avançaient au ralenti, bloquées par un contrôle d’identité en contrebas. Accroupis tout contre les carrosseries tièdes et rouillées qui vibraient à chaque coup de Klaxon, et malgré les reproches répétés de leurs conducteurs, ils remontèrent l’une des avenues les plus fréquentées de la ville à l’abri de leurs oppresseurs avant de déboucher, quelques minutes plus tard, sur ce qui semblait être un cul de sac obscur, enserré par deux hauts bâtiments. Seul un mendiant, affalé contre une benne à ordure, se fondait dans l’obscurité des lieux. Ici, personne ne se soucierait d’eux. — Qu’est- ce qu’on fait ici ? Et pourquoi nous tirent-ils dessus au juste ? souffla le visiteur, apeuré. Un doigt en travers de ses lèvres, Ienzo aventura un regard furtif en direction de la rue puis se plaqua contre le mur, à l’ombre d’une benne géante, tirant son compère en arrière pour le protéger. Puis il désigna du menton une autre troupe de mercenaires, en patrouille à deux pas de leur cachette. Ils n’entendirent à cet instant que leurs cœurs battant si fort dans leurs poitrines qu’ils avaient l’impression que même la milice pourrait les entendre. Ils restèrent là, recroquevillés l’un contre l’autre, le souffle court, pendant de longues minutes. Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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Silence.

— Ça a marché, répondit simplement Ienzo tout en inspectant fébrilement les lieux tandis que son compagnon s’appuyait de tout son poids contre le mur le plus proche, la tête renversée en arrière. Exténué, celui-ci laissa les grosses gouttes glacées battre son visage, les lèvres entrouvertes et les yeux clos, ignorant le sans-abri qui le dévisageait de ses grands yeux vides. La poitrine du fugitif ne cessait de se soulever dans un rythme bien trop rapide sous ses vêtements détrempés. Ses mollets étaient en feu malgré le froid qui mordait ses orteils au travers de ses sandales ouvertes et ses jambes le soutenaient à peine. Mettre un pied devant l’autre était devenu un douloureux automatisme. Derrière ses paupières refermées ne défilaient plus qu’une succession de bâtiments qui se ressemblaient tous et de passages plus mal famés les uns que les autres. Le souffle coupé, il tendit une main tremblante vers Ienzo qui s’éloignait déjà. — Attends ! — Hors de question, on ne peut pas rester là ! coupa l’homme aux cheveux blonds. Ils peuvent revenir d’une minute à l’autre. Il faut qu’on trouve une planque, et vite ! Il s’immobilisa au fond de l’impasse et, les deux mains sur ses hanches, observa la vieille entrée de service de ce qui devait autrefois être l’une des plus grosses conserveries de la ville. Le bâtiment n’était pas en ruine, mais les déchets en tout genre et les conserves rouillées qui s’accumulaient le long de la façade prouvaient qu’elle n’était plus en activité depuis bien longtemps. Les carreaux étaient noircis de suie et de lourdes planches en condamnaient l’entrée. Mais Ienzo savait y faire dans ce genre de situation ; d’un simple coup de pied, il défonça la serrure et poussa le battant d’un mouvement d’épaule maîtrisé. Le petit loquet vola en éclat puis la porte s’entrouvrit dans un grincement Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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sinistre, rĂŠvĂŠlant une pièce sombre dont s’Êchappa un nuage de poussière, enfin dĂŠlivrĂŠ de l’obscuritĂŠ. Le jeune homme rampa sous le barrage de bois et, sans se redresser, se retourna vers son compagnon qui s’Êtait approchĂŠ timidement, lui enjoignant de l’imiter. Celui-ci recula de quelques pas et se libĂŠra prestement de l’Êtreinte de Ienzo qui venait d’agripper son pantalon. — Entre lĂ -dedans ! — Hey ! Je ne t’ai rien demandĂŠ ! maugrĂŠa-t-il. Qui me dit que je peux davantage te faire confiance qu’à ces gars ? — Écoute, je suis prĂŞt Ă t’expliquer tout ce que tu veux, mais lorsqu’ils ne seront plus Ă nos trousses. Je ne tiens pas Ă perdre ma libertĂŠ en tentant de sauver la tienne ! Le jeune homme, hĂŠsitant, resta figĂŠ plusieurs secondes avant de se rĂŠsigner, persuadĂŠ d’avoir entendu leurs assaillants Ă quelques mètres Ă peine de la ruelle. Une fois tous deux en sĂŠcuritĂŠ dans l’entrepĂ´t, Ienzo referma discrètement la porte derrière eux, non sans avoir au prĂŠalable inspectĂŠ Ă nouveau l’impasse, puis cala une chaise sous la poignĂŠe relevĂŠe. Il rampa avec une remarquable aisance jusqu’à une fenĂŞtre crasseuse et observa attentivement la route. L’obscuritĂŠ ambiante leur permettait d’Êpier l’extĂŠrieur sans pour autant ĂŞtre vus.

Alors seulement ils seraient les chasseurs.

đ?„ž (Trent Reznor & Atticus Ross - Eventually we find our Way) Ă€ nouveau, les jurons et le cliquetis des armes se rapprochèrent. Le ronronnement militaire de leurs pas sembla rĂŠsonner dans tout le bâtiment.

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— Mais qu’est-ce que… ? Ienzo désigna d’un signe de tête les ombres qui se mouvaient de l’autre côté de la vitre. Pour la première fois depuis leur départ précipité de l’aéroport, ils pouvaient découvrir le visage de leurs assaillants. Ceux-ci étaient au nombre de vingt, armés jusqu’aux dents, l’air décidé. Leurs yeux sévères étaient en partie dissimulés derrière de grands casques à visières teintées, tous estampillés du même insigne évoquant une plume enfermée dans un cercle de feu. Un coup de poing résonna dans la ruelle tandis qu’ils passaient à tabac le pauvre vagabond qui avait trouvé refuge près des poubelles. Les deux fuyards retinrent leur respiration, les yeux rivés sur la porte de l’usine qui volerait peutêtre en éclat d’un instant à l’autre. Finalement, l’homme désigna la rue principale d’un doigt tremblant, aiguillant les mercenaires sur une fausse piste. Puis il s’écroula au sol, tremblant de peur. Face à lui, les hommes se regroupèrent. — Rien à faire, grommela le meneur en secouant un petit boitier sombre qu’il tenait fermement dans sa main droite. Avec toute cette flotte, les radars ne captent rien. Trop d’interférences ! — Ce sont des exilés. À coup sûr, ils n’ont pas d’ID, répondit son second. Fouillons les lieux en visuel, on n’a pas le choix. On se déploie ! De longues minutes défilèrent avant qu’ils ne se décident à disparaître enfin, persuadés que les fugitifs avaient poursuivi leur route et s’étaient enfoncés plus profondément encore dans les abîmes des quartiers pauvres. Ne restèrent alors plus que deux gardes exténués qui fermaient la marche, usant de leurs armes comme des cannes. — Ces saletés de clandestins n’apparaissent pas sur nos radars. Comment veux-tu trouver qui que ce soit dans cette purée ? — Raison de plus pour les rattraper et les Lui ramener le plus vite possible. — Ouais, un nouveau raid par ce temps, non merci ! Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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— Il n’hésiterait pas à nous buter si nous ne les Lui ramenons pas… Un soupir sans discrétion vint clore la conversation. Tous deux s’éloignèrent à leur tour, traînant leurs bottes sur l’asphalte mouillé. Dans un soupir, Ienzo se retourna, s’adossa au mur et se laissa lentement glisser, jusqu’à reposer sur ses talons.

La course ne sera jamais terminée.

— On a eu chaud, cette fois… — Tu t’attends peut-être à des remerciements ? lança l’autre, en se redressant. Je ne t’ai rien demandé ! — Eh bien mon vieux, ce n’est pas la reconnaissance qui t’étouffe ! Si je n’étais pas intervenu, tu serais entre leurs pattes à l’heure qu’il est. Allez, on bouge. — Qui me dit que je peux te faire davantage confiance qu’à ces types ? Le guide fit volte-face et bouscula son protégé qui perdit l’équilibre et tomba les fesses les premières sur un tas de cartons. — Écoute-moi, maintenant ! lança-t-il, excédé. Ces mecs, ce sont les Suiveurs. Fais ce que tu veux, mais si tu souhaites vivre, fuis-les comme la peste. — Ou quoi ? insista l’étranger. — Ou tu ne seras plus qu’un chien avec un joli collier. L’inconnu haussa un sourcil lourd de doutes puis saisit finalement la main que Ienzo lui tendait pour l’aider à se relever. Le semblant de calme qui régnait dans l’usine avait réveillé ses doutes, ses questions et ses peurs. Et maintenant, qu’allait-il se passer ? Après s’être assuré que les environs étaient enfin sûrs, son protecteur adressa un signe de main discret à son camarade de fuite et entrouvrit le battant. — La voie est libre, dépêchons-nous. Avec un peu de chance, nous serons en sécurité avant la tombée de la nuit.

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