Tribune magazine #1

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Tribune Plus N° 1 - mensuel - décembre 2012 - Prix: 3 DT (3 Є)

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Kamel Jendoubi (Président de l’ISIE 2011)

Un Tunisien qui doute ne peut pas raisonner L’espoir de Siliana et le besoin de mise au point !

L’imbroglio syrien : Quelle issue ?

L’Enseignement supérieur en Tunisie: situation et perspectives

Ne Foutez pas la pagaille à notre foot !


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Décembre 2012


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par Mansour M’henni Rédacteur en chef

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TRIBUNE PLUS, tribune pour tous

n politique, on est soit du côté du gouvernement, soit du côté de l’opposition, quand on choisit de s’inscrire dans une logique partisane, ou encore dans une position plus nuancée, qui peut paraître plus confortable, celle dite de l’esprit indépendant. Il en est de même dans le secteur de l’information et de la communication où l’on est soit dans l’alignement partisan (comme dans un organe de presse de parti ou un organe de connivence déclarée), soit dans l’indépendance des positions qui favorise l’esprit critique et l’information objective (comme dans certains organes privés qui se déclarent de l’indépendance médiatique, même si la pratique les mets souvent, pour une raison ou pour une autre, à l’épreuve de certaines connivences altérant de façon plus ou moins sensible, plus ou moins préjudiciable, cette indépendance érigée en principe déontologique et en ligne éditoriale). Evidemment, il y a également le grand problème des médias publics qui est plus délicat selon qu’il est considéré comme « un pouvoir du peuple » (une notion à définir clairement) ou « un pouvoir du gouvernement » (tel qu’il est toujours dans les régimes autoritaires). En période de transition démocratique, ce problème devrait être un grand sujet de débat, à l’échelle nationale, et finalement l’objet d’un consensus admis et assumé par tous. Ce nouveau magazine que vous avez entre les mains est édité par une entreprise de presse privée, Dal Al-Hiwar, « La maison du dialogue », qui a adopté la ligne éditoriale de l’indépendance, fondée, comme chacun sait, sur l’information neutre et la liberté d’opinion. En effet, après étude et réflexion, Tribune Plus a choisi de s’inscrire dans une approche de l’information aussi objective que possible (car

l’objectivité absolue est soit une chimère, soit une supercherie), en essayant de traiter son objet aussi profondément que possible grâce au travail d’investigation et à la pluralité des perspectives. Tribune Plus, comme son nom le suggère, se présente aussi comme un espace ouvert à la liberté de pensée et à la diversité des opinions. Elle se veut une tribune supplémentaire pour tous ceux qui ont quelque chose à dire, dans les règles du respect des valeurs et des personnes. En effet, le discours le plus intègre étant inévitablement subjectif, parce que « humain trop humain », la seule chance d’être au plus près de l’objectivité ne peut donc résider que dans l’intelligence du lecteur confronté au pluralisme des voix et à la multiplicité des avis, sans doute, lui aussi, conforté également par ce pluralisme et cette multiplicité.

Tribune Plus a choisi de s’inscrire dans une approche de l’information aussi objective que possible On dirait presque : « L’avis, c’est la vie ! ». Nous avons failli prendre l’expression pour le slogan de notre magazine ; mais nous avons finalement opté pour une formule dont nous avons voulu nous décrire : « TRIBUNE PLUS, tribune pour Tous : le Mensuel de toutes les opinions pour l’intelligence de l’information ». C’est notre manière à nous de vous dire que ce magazine est le vôtre : issu de vous, par vous et pour vous, selon la formule qui sert souvent à définir la Démocratie.

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Tribune Plus N° 1 - mensuel - décembre 2012 - Prix: 3 DT (3 Є)

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Un Tunisien qui doute ne peut pas raisonner L’espoir de Siliana et le besoin de mise au point !

1 Numéro chaque mois

L’imbroglio syrien : Quelle issue ?

L’Enseignement supérieur en Tunisie: situation et perspectives

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Edito Sommaire Nation L’Observatoire français des retraites Ipsos/ UMR – Liaisons sociales magazine L’Observatoire français des retraites Ipsos/ UMR – Liaisons sociales magazine Monde Un directeur en phase avec l’ADN de l’Anact Chercheur amer, syndicaliste en colère Entretien du Mois L’enjeu électoral de l’emploi américain Economie La CGT clôt sa guerre des chefs PSA Télécoms Société La grande distribution en hypertension Dossier La grande distribution en hypertension Culture Un management à géométrie variable Un management à géométrie variable Sport Un management à géométrie variable Une inflation de contentieux Détente Humeur de clôture

situation et perspectives

édité par Dar Al Hiwar Rédaction: 8 rue Mongi Slim - Tunis Siège : rue Docteur Moreau - Immeuble Essayes - 4000 Sousse - Tél./Fax: 73 202 755 Email: journalalhiwar@gmail.com - Site web: www.alhiwarnews.tn Directeur Responsable: Mohamed Chawki Ben Amor Rédacteur en chef: Mansour Mhenni Consultant-Directeur de rédaction: Mansour M’henni Comité le rédaction (ordre alphabétique): Adel Ben Amor; Fraj Maatoug; Kamel Ben Ouanès; Maher Chaouch; Monia Kallel; Samir Marzouki; Walid Ghezal. Mise en page et pré-presse: Tél: 27 000 040 / Imprimerie: SIMPACT Tél: 71 236 111 Tr i b u n e p o u r t o u s

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L’espoir de Siliana et le besoin de mise au point !

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es derniers événements de Siliana ont provoqué une vraie secousse dans le corps de l’Etat tunisien et une profonde douleur dans le corps social tunisien. Ils ont permis de remettre les pendules à l’heure pour tout le monde, pourvu que la leçon des événements en soit tirée.

le gouvernement a sans doute commis une erreur stratégique qui a entamé une part de sa crédibilité. D’un côté, qu’on le veuille ou non, pour l’essentiel, les instances supérieures de l’Etat ont donné aux citoyens l’impression de reproduire le scénario de décembre 2010 dans le traitement du cri de Siliana, tonnant de sa douleur alarmante, parce qu’émanant des couches sociales les plus fragiles, donc les plus fébriles quand elles n’en peuvent plus. La violence a donc fait dégénérer la situation, une violence à visages multiples. Au départ sans doute la violence d’une incompréhension par manque de dialogue, et le cheveu de Mouaouia a rompu, ce cheveu qui devait entretenir la relation d’un gouverneur avec les citoyens de la région. Une incompréhension qui a d’ailleurs failli rompre le cheveu de la relation du gouvernement avec la plus large partie de la population. En effet, en se pressant de placer ses militants à la tête des principaux rouages de l’Etat et presque à tous les niveaux, ce qui Tr i b u n e p o u r t o u s

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Sadok Abderrahman peut se comprendre en situation non transitoire, le gouvernement a sans doute commis une erreur stratégique qui a entamé une part de sa crédibilité. De fait, une fois en place, ces gouverneurs et ces délégués, tous ces responsables intermédiaires inexpérimentés en matière de gestion, se sont enfermés dans leur logique partisane et se sont contentés de l’avis des militants de leur parti, au lieu d’être à l’écoute de tous les citoyens de leurs régions respectives à travers leurs représentants politiques, syndicaux et associatifs. Comme ils étaient les vrais symboles du gouvernement au plus près de la revendication citoyenne, leur surdité et leur cécité sont systématiquement perçues comme celles du gouvernement. Car ils n’ont pas su être au plus près de l’espoir citoyen. Un autre niveau de violence est celui-là qui s’est généralisé entre les différents acteurs politiques, surtout au plan national, une violence quotidiennement rapportée par tous les médias au point de donner aux citoyens le sentiment de la nausée politique. Pour un oui ou pour un nom, une agressivité gratuite et même parfois une arrogance étonnante caractérisent ce relationnel politique de façon à laisser régner une ambiance de tension au moment même où tout le monde devait contribuer à un apaisement politique et social susceptible de permettre une relance de la

machine de développement et de trouver au moins des débuts de solutions aux problèmes les plus pressants, notamment celui du chômage qui a été le nerf moteur de la révolution. Le troisième niveau de violence est celui qui a présidé à la manière dont les forces de l’ordre ont géré leur affrontement avec les contestataires. Dans tous les cas de figure, au-delà du grand retard pris à se pencher rationnellement sur les doléances des citoyens, il y a eu une relative précipitation à faire usage d’une force violente et mal maîtrisée, physiquement mutilante et socialement révoltante. Mais le plus grave dans tout cela, c’est peut-être aussi une violence moins manifeste et tout aussi agissante sur les humeurs citoyennes, cette violence des élus du peuple qui sommeillent dans un hémicycle où ils semblent avoir élu domicile éternel, inconscients du temps qui passe et qui, en avançant, piétine un capital de confiance placé en eux pour sortir rapidement le pays de sa situation transitoire, car dans une telle situation, le pays est à tous points semblable à un malade en soins intensifs. Or ni le médecin de Carthage ni celui du Bardo ne semblent à même de trouver le remède ; ils ne peuvent donc que tambouriner ou danser sur la musique qu’on leur impose, elle aussi remplie de notes violentes sonnant la division des citoyens au nom de nombreux slogans Décembre 2012


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anachroniques ou peu conformes aux attentes des citoyens. Siliana n’a en définitive que

discours qui, à court d’arguments convaincants, ne peuvent tourner qu’à l’incitation à la violence.

Maintenant, il est trop tard pour faire marche arrière répondu à la violence sournoise des dirigeants par une forte violence citoyenne, comme cela se passe chaque fois que la communication tourne au dialogue de sourds et que se rompt le lien social par le couteau politique, celui du pouvoir et celui de l’opposition. Siliana, au nom de la Tunisie, voudrait que tous les responsables actuels cessent de pleurer devant les ruines, invoquant, à chacun de leur échec, les manquements de l’ancien régime, les complots de ses anciens adeptes et les soixante ans de dictature. Ils sont là pour agir et donner la preuve concrète de leur action, au-delà de tous les

En définitive, sans doute la solution la plus rationnelle, après les élections du 23 octobre 2011, était-elle d’opter pour un gouvernement de technocrates, aussi peu politique que possible. Même pas ce qu’on a appelé un gouvernement d’union nationale ou d’intérêt national, qui aurait été politique de toute façon et qui n’aurait que manifesté, en plus creusé, les traits de fissure qui, aujourd’hui, balafrent le visage de la troïka. Maintenant, il est trop tard pour

faire marche arrière. La solution réside alors, comme tardivement reprise par l’allocution du président de la république à propos des événements de Siliana (mais avec quel pouvoir d’action ?), dans une réduction manifeste de l’équipe gouvernementale, à tous les niveaux, de façon à décharger le budget de l’Etat d’un poids aussi lourd qu’inefficace et à nettoyer l’équipe de tous ces dirigeants qui, faute de compétence à gérer leurs dossiers, se limitent au rôle d’animateurs de conflits politiques qui ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu et alimenter encore des violences latentes. Que l’ANC enfin se penche exclusivement sur le seul objet pour lequel elle a été élue, écrire la nouvelle constitution et que l’année 2013 s’ouvre alors sur ce qu’on pourrait appeler « l’espoir de Siliana », en fait celui de tous les Tunisiens, douloureusement exprimé par Siliana.

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l’UGTT et le gouvernement: la lampe et le papillon ?

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n apprenti fabuliste a écrit, sur les pas de La Fontaine, une fable racontant l’histoire de « la lampe et le papillon », très connue chez nous et, sans doute, dans toutes les cultures. J’en extrais ici deux vers qui anticiperaient sur la morale de l’histoire et qui me permettent ici de poser la question centrale de mon propos : « Mieux vaut broyer du noir qu’en flammes rayonner Et voir en soi le feu sans aller s’y brûler. »

La rupture consommée entre le chef de file du gouvernement de la troïka et la centrale syndicale, en Tunisie, quel qu’en soit l’évolution ultérieure, chauffait doucement depuis le dernier congrès de l’UGTT, le premier après la « révolution » en décembre 2011, soldé par un échec de la liste soutenue par Ennahdha, quelques jours seulement après l’intronisation du gouvernement issu des élections du 23 octobre 2011. C’était alors le signe fort annonçant une impossibilité de reconduire un quelconque monopole absolu du pouvoir dans le pays. Malheureusement, les nouveaux Tr i b u n e p o u r t o u s

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gouvernants ont péché par excès de confiance, voire par une démesure inappropriée, mettant souvent en péril la marche et la démarche de transition. Les provocations et les altercations se sont alors multipliées, prévenant d’une recrudescence de la tension entre les deux forces à même d’aboutir à un éclatement caractérisé. Finalement, ce qu’on appréhendait eut lieu au début décembre, regrettablement à l’occasion de la soixantième célébration de l’assassinat du leader du syndicat et du mouvement national, Farhat Hached. Et voilà la Tunisie sous la menace d’une grève générale décidée par l’UGTT pour le 13 décembre, la première du genre depuis l’indépendance. Que vont faire les uns et les autres pour sauver le pays d’une telle catastrophe dont les conséquences seraient fâcheuses pour les secteurs clés de l’économie nationale, sans parler de la fracture sociale qui en découlerait ? D’abord essayer de réparer les dégâts en rétablissant l’UGTT dans son statut et sa dignité bafouée par une violence irresponsable : une

violence en mots et une violence en actes. Ensuite et surtout arrêter de réclamer une dépolitisation de la centrale syndicale, ce qui n’a jamais été le cas dans l’Histoire de la Tunisie. L’UGTT a toujours été le refuge des citoyens opprimés : hier les Tunisiens colonisés, puis les opposants au régime de Bourguiba et Ben Ali, demain peut-être tous ceux qu’on est en train d’essayer d’exclure de la vie politique par une décision arbitraire et sans procès ni verdict de la justice. A ce propos, le Secrétaire général de l’UGTT Houcine Abbassi a été le plus clair possible et on ne peut plus explicite : la maison de Hached sera la maison de tous les citoyens de par leur qualité essentielle de travailleurs là où ils peuvent être, surtout ceux-là que des calculs politiques pourraient priver de leur droit à la pleine citoyenneté. Il importe aussi de se rappeler que jamais dans l’Histoire de la Tunisie on ne s’est frotté à l’UGTT sans se brûler à son feu. Les papillons d’aujourd’hui ne devraient pas l’oublier. A.G. Décembre 2012


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Du portrait d’un militant aux traits d’un président Dictateurs en sursis de Moncef Marzouki: entre visions et illusions.

Monia Mouakhar Kallel Le livre parut en octobre 2009, Editions de l’Atelier, et fut réédité chez Cérès le 16 janvier 2011, deux jours après la fuite du dictateur et deux jours avant le retour de Moncef Marzouki, exilé en France depuis 2001. Simple coïncidence ? Opération commerciale ? Ou coup de cœur de l’éditeur ? L’ouvrage séduit, par sa forme déjà. Il s’agit d’un dialogue léger et profond, spontané et savamment orchestré entre le militant Moncef Marzouki et le politologue, Vincent Geisser, auteur de l’excellent essai sur l’histoire de la première République tunisienne, Le syndrome autoritaire, (publié en 2003 et interdit de vente dans la Tunisie de Ben Ali). Ce dialogue, réparti en sept chapitres, retrace le long parcours de Moncef Marzouki (le médecin, le Président de la Ligue des droits de l’Homme, l’opposant contraint de s’exiler, le fondateur du CPR…). Il montre également les contradictions du personnage et explique en amont et en aval les erreurs voire les échecs de celui qui deviendra le Président de la République.

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iche en exemples et en références, Dictateurs en sursis, témoigne de l’étendue du savoir de Moncef Marzouki et de sa parfaite connaissance de l’Histoire (ancienne et moderne, orientale et occidentale), de la réalité et de la politique (nationale et internationale). Il décrit, avec une remarquable finesse, le fonctionnement du système répressif de Ben Ali et des dirigeants arabes, distingue les dictateurs de la première génération (Nasser, Bourguiba, Boumédiène) qui ont apporté une forme de justice sociale à travers une politique développementaliste, des dictateurs de la seconde génération (Ben Ali, Moubarek, Al Assad) qui n’ont rien à proposer à leur peuple et dont la chute est imminente ; il croit aux vertus de la « résistance civile», prédit le soulèvement de la « rue arabe » contre leurs dirigeants et l’accès au pouvoir des islamistes « dans les années à venir

», dénonce l’attitude de l’occident qui continue à soutenir des régimes corrompus et « irréformables » contribuant ainsi à la montée de l’intégrisme, du terrorisme et de l’émigration clandestine, critique les politologues (et les politiques) qui pensent qu’Islam et démocratie sont incompatibles et que les sociétés arabes s’accommodent de l’autoritarisme, regrette, par ailleurs, l’immaturité et l’infantilisme des peuples arabes qui restent prisonniers de l’image du « père protecteur », appelle à d’autres distributions géo-politiques en vue de consolider le lien entre les deux rives de la Méditerranée et de créer une « méga-culture » ou une « culture-monde » pour le bien-être de tous. Pourtant ces points de vue, brillamment argumentés, ne se constituent pas en une pensée cohérente. Ils rappellent les perles (signalées par Flaubert) qui ne font pas le collier parce qu’il manque

le fil (conducteur); un manque relevé par Vincent Geisser qui parle, à maintes reprises, de la « naïveté» de son interlocuteur, de son raisonnement « caricatural », sa « vision réductrice » et même son « fétichisme » et son « manque de réalisme politique ». Les angles morts de Moncef Marzouki se voient clairement lorsqu’il développe les trois thématiques suivantes : ses rapports aux islamistes, sa vision de l’Occident et son programme politique. Tout en dénonçant l’autoritarisme des islamistes, tout en admettant qu’ils n’ont pas « d’avenir politique », qu’ils « répètent les mêmes erreurs depuis 15 siècles » en prétendant réformer la société par la « justice » « au détriment de la démocratie» (p.150), Moncef Marzouki affirme, au nom du principe de l’égalité, qu’il est décidé de dialoguer avec eux, qu’il n’est pas un « anti-islamiste » ou plutôt qu’il n’est plus l’« éradicateur »

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Nation + d’autrefois. « La démocratie, c’est la pluralité » assène-t-il ; une déclaration qui lui vaut cette question-réponse: « N’est-ce pas un retournement surprenant ? » (p.83). Comme semble l’insinuer Vincent Geisser, l’idéal droitd’hommiste de Moncef Marzouki n’explique pas tout. En fait, les islamistes fonctionnent, chez lui, comme un miroir et un repoussoir (à la fois) au moyen desquels il tente de dépasser les incohérences où il est pris lui-même. Son discours est sous-tendu par une logique binaire et surchargé d’oppositions, modernité vs tradition, laïcité vs religiosité, démocratie vs islamisme, qui s’articulent autour d’un autre axe moteur : l’opposition Occident /Orient.

Tout en dénonçant l’autoritarisme des islamistes, tout en admettant qu’ils n’ont pas « d’avenir politique », qu’ils « répètent les mêmes erreurs depuis 15 siècles » Qu’il parle de situation présente ou de devenir politique, d’affaires locales ou internationales, l’auteur du Mal arabe (l’Harmattan 2004) parle toujours d’une « troisième voie » ou d’une « alternative » qu’il ne définit pas ou plutôt qu’il définit par ce qu’elle ne doit pas être. C’est au ni, ni…que s’arrêtent ses réflexions. On peut lire au troisième chapitre (« L’islamisme : l’alibi de la dictature ») : « notre travail est de continuer à […] rejeter les extrémistes, ceux que j’appelle les intégristes laïques comme les intégristes islamistes » (p.85), des appellations qui deviennent des lieux communs dans la Tunisie d’aujourd’hui gouvernée par la Troïka. Tr i b u n e p o u r t o u s

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L’autre pilier que Moncef Marzouki ne perd jamais de vue est l’occident et plus exactement l’occidental: ses principes, ses médias, son système politique. Il est « l’autre moi-même » (Antonio Damasio) qui permet au « je » de se structurer et de se projeter dans l’avenir, et en même temps, il est présenté essentiellement comme la face noire de l’être, le double narcissique, borné, conquérant, fossoyeur, arrogant ; bref le « pompier-pyromane » qui n’a rien compris au monde araboislamique, et constitue la source de ses maux. L’évaluation des gouvernants et des régimes politique obéit à la même grille. D’un côté, la démocratie et son corollaire la liberté (préférée à la justice, première valeur dans la pensée islamique) sont jugées comme l’unique voie de salut, et, d’un autre côté, elles sont soumises à des conditions et regardées avec suspicion parce qu’elles ne concordent pas avec « notre propre échelle de valeurs » (p.145). A propos de certains travaux effectués et financés par les associations arabes, il note qu’elles sont «à la recherche d’une autre voie fondée sur la liberté, non pas comme la conçoivent les Occidentaux en tant que valeur suprême, mais une liberté au service de la justice » (147). Il faudrait un sociologue, un politologue et un psychologue chevronnés pour comprendre le sens de cette déclaration sortie de la bouche d’un militant des Droits de l’homme ... « L’identité » est le mot qui révèle le mieux les incohérences de l’opposant-penseur et du penseuropposant. Il a beau se montrer critique à l’égard du « repli identitaire » caractéristique du nationalisme arabe, son discours s’inscrit dans

la même logique exprimée dans une terminologie qui se veut moderne et pragmatique. « Nous démocrates laïques, avons accepté de reconnaître que l’islam, faisait partie de notre identité politique, et […] les islamistes ont admis que la démocratie était un horizon politique pertinent » (p.134). Laissons répondre le chercheurintervieweur. « N’est-ce pas là contradictoire avec la conception universaliste de la démocratie ? » Mais il est de l’identité comme de la polarité et des « schémas binaires » : plus Moncef Marzouki les stigmatise, plus il les consolide et creuse la ligne qui les partage. Il apparaît donc que son raisonnement relève davantage d’un bricolage idéologique et d’une transaction populiste ou électoraliste que d’une véritable conviction. Est révélateur le système figural déployé dans le texte. Moncef Marzouki compare le « sentiment identitaire » aux « cercles concentriques » ou aux « étages d’une maison » (168). Cette spatialisation (omniprésente dans ses écrits) n’est pas très loin de l’imagerie nationaliste des « racines » de l’arbre. Elles dénotent, l’une comme l’autre, le fixisme, le figement et la compartimentation que refusent un Amine Maalouf ou un Tzevan Todorov, plus à l’aise dans la métaphore du chemin ouvert et la thématique du perpétuel mouvement…. Malgré les tergiversations et les incohérences qui traversent le texte, le lecteur y adhère pleinement compte tenu du moment de l’écriture, et de la situation de Moncef Marzouki. Il apprécie son courage, sa fougue, la justesse de ses prévisions, et surtout sa sincérité et son humilité. Il avoue, par exemple, que le parti qu’il a créé (le CPR) n’est nullement une « Décembre 2012


Nation + structure » forte (comme Ennahda « qui pourrait être démantelée en une nuit ») mais « quelques têtes d’affiche pour fixer des images fortes » (118). A la question frontale de Vincent Geisser : « Audelà des bonnes intentions, quelles sont vos propositions concrètes ? », il répond : « Allons-y rêvons sans se faire trop d’illusions » (156) avant d’enchaîner sur des propositions bateaux du type changer les « mentalités », dialoguer, s’ouvrir à autrui ….

L’identité » est le mot qui révèle le mieux les incohérences de l’opposantpenseur Mais la sympathie envers le militant exilé se mue en un violent mécontentement lorsqu’on pense au dire et au faire de Moncef Marzouki, Premier Président de la Tunisie postrévolutionnaire. Un an après l’exercice de ses fonctions, il est toujours dans le même « vide idéologique et programmatique», le même manque d’«imagination au pouvoir » qui aboutissent nécessairement, note Emmanuel Todd, à la « décomposition politique». Et ce n’est pas tout. Le Président-penseur semble se momifier lui-même avec les mêmes calculs étroits, dictés par les mêmes visées électoralistes et populistes. Voici, en guise de conclusion, un petit jeu de devinettes : de qui, à qui et de quoi parle l’auteur de Dictateurs en sursis dans les énoncés suivants ? « Face à la contradiction entre leurs idéaux et leurs intérêts, [ils] sacrifieront les premiers aux derniers » (p.162). Il y a « des hommes et des

femmes politiques pour qui l’horizon de toute action est celui de la prochaine électorale. D’où cette complicité objective et contre-nature de la démocratie et de la dictature… » (158)

pourtant critiqués en leur temps. Les islamistes ont largement joué sur cette confusion, en amalgamant la gauche aux soutiens du régime, comme s’ils ne faisaient qu’un bloc. » (p.70)

« Cela a été le drame de la gauche démocratique indépendante que d’être confondue avec ces modèles autoritaires que nous avons

NB. L’expression « azlam ennidham essabak», (les sbires de l’ancien régime) n’était pas d’usage à l’époque…

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Marzouki et Ghannouchi primés à Londres Mardi 27 novembre à Londres, L’Institut Royal des Affaires internationales ‘’Chatham House’’ a décerné à Moncef Marzouki et Rached Ghannouchi son Prix 2012, « pour le rôle constructif qu’ils ont joué dans la période de transition démocratique en Tunisie ». Le président de la République et le président d’Ennahdha ont reçu le prix des mains du Prince Charles. (D’après Agence)

Sondage de Tunivisions: Béji Caïd Essebsi personnalité de l’année 2012 Pour la deuxième année consécutive, le sondage d’opinion de notre confrère tunivisions.net a classé Béji Caïd Essebsi Personnalité de l’année, très loin devant toutes les autres personnalités en vue dans le pars. Le phénomène est à analyser profondément pour les enseignements qu’il permettrait de tirer. Il y en a certes qui sont de l’ordre des qualités propres à l’homme politique distingué et peut-être de l’homme tout court qu’il est ou qu’il représente. Mais il y en a surtout qui sont de l’ordre de l’attente des Tunisiens et de leurs espoirs dans un contexte des plus incertains. Quand on sait la nature des lecteurs et visiteurs de Tunivisions, essentiellement des jeunes, il y a grand lieu de se demander pourquoi cet homme si « vieux » pour certains reste encore le symbole de la jeunesse tunisienne, la Tunisie de demain. A bon entendeur salut

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Un statut de partenaire privilégié ne faisant pas l’unanimité La Tunisie vient d’être promue au rang de « Partenaire Privilégié » avec l’Union Européenne, suite à un accord politique qui a été paraphé à Bruxelles, lundi 19 novembre 2012, en marge de la 9ème Session du Conseil d’association Tunisie-UE. Ce statut est certes important pour certains avantages qu’il permet. La Tunisie y a toujours œuvrée, bien que suscitant la suspicion à cause du dossier des droits de l’homme. Il est l’aboutissement logique d’une dynamique initiée par la Convention de Barcelone dont certains veulent contester l’effet. Néanmoins, cet accord n’a pas plu à d’autres Tunisiens qui ont manifesté contre sa signature et des protestants, dont une majorité appartiennent à des militants du Front populaire (coalition de partis politiques de gauche), se sont regroupés à la Kasbah (Place du gouvernement) pour scander des slogans contre la politique de l’actuel gouvernement, appelant les dirigeants à revenir sur cette signature. S.R. Décembre 2012


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Tunisie : Troïkisation et recherche d’une nouvelle voie

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out semblait indiquer que la Tunisie « se troïkisait » dans son esprit, en tout cas celle de ce qu’on s’accorde à appeler « La Tunisie de la seconde étape de transition », autrement dit la Tunisie de l’après 23 octobre 2011, date des premières élections postrévolutionnaires ayant débouché sur la constitution d’une troïka au pouvoir constituée des partis Ennahdha, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakattol. En effet, la plupart des formations politiques ayant une influence ou pressenties pour en avoir semblaient se (re)structurer sur la base d’une nouvelle « sainte trinité », sans doute jugée salutaire pour un quelconque (re)positionnement efficace sur la scène politique tunisienne. Il faut dire que dans le fond, c’est peut-être une bonne chose parce qu’avec plus de 160 partis avant octobre 2011, c’est à une vraie

dislocation du corps électoral qu’on avait assisté et c’est vraiment dommage d’avoir raté une si importante échéance d’élections, démocratiques malgré tout, alors qu’un juste équilibre des tendances politiques en présence aurait pu s’installer pour favoriser une transition rationnelle et peu impliquée dans la violence et dans l’exclusion.

Qui a eu cette idée folle ? On pourrait vraiment parodier, pour la circonstance, une chanson française de la jeunesse des années soixante, en disant : Qui a eu cette idée folle / De nous imposer l’idole / De cet imposant tracs /Qu’on appelle la troïka ? On ne le sait que trop, j’espère ! La troïka est une invention russe, sur le modèle du Triumvirat romain. On le sait aussi, peutêtre, le triumvirat a conduit aux massacres, la troïka à la dictature.

Ahmed Gacem

D’autre part, le triumvirat scelle l’alliance de trois personnalités de poids égal, ce qui ne semble pas être le cas dans notre combinaison nationale, autrement l’issue aurait pu être meilleure, au moins au vu du résultat présent, à moins que le temps qui reste ne rectifie le paysage. Quelle idée donc d’aller choisir ces références peu glorifiantes, à un moment de l’Histoire où la Tunisie prétend instituer la démocratie dans le monde arabe, en tout cas au sud de la Méditerranée ? Les partenaires de la troïka avaient-ils un message à communiquer aux Tunisiens qui ont mis du temps à le comprendre ? Et puis, quelle ironie, cellelà qui fait que deux partis au moins (Ennahdha et le CPR), qui se revendiquent d’un certain enracinement dans la culture arabo-musulmane, recourent à une symbolique étrangère chargée

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Nation + négativement pour sceller leur accord et porter leur emblème de gouvernement ? A moins que Ben Jaafar, Jébali et Marzouki n’ait pour idoles Brejnev, Kossyguine et Podgorny, toute comparaison, guère plus flatteuse, avec le Front National français demeurant inadéquate.

De l’implantation de l’idée ! sinon la totalité, de nos structures politiques agissantes. Voyons voir ce qu’il en est pratiquement :

opportunité offerte par les prochaines élections, dont on attendrait plus de régularité et de transparence par rapport à celles du 23 octobre 2011, plusieurs partis ont commencé à se regrouper en coalitions, en fusions, en fronts, etc., mais presque tous, peutêtre dans leur inconscient même,

Sainte trinité des autres ! N’estce pas toi qui nous commande, même dans les moments de notre plus violente détermination à prendre une distance nécessaire à ton égard ! On aurait compris, certes, qu’une telle proposition vienne du parti de Hamma Hammami et ses environs, eux qu’on a longtemps taxés d’hérétiques et de marxistes athées ; mais venant d’un parti islamiste, l’idée est on ne peut plus curieuse, et c’est le moins qu’on puisse dire ! A moins qu’on ne voie dans la troïka une étape prénatale d’une forme de gouvernement absolutiste à venir, plus adapté au nouveau contexte socio-culturel préconisé pour la Tunisie de demain. Ne brûlons pas les étapes et laissons (se) faire l’Histoire, qui se fera avec ou sans nous, et qui, se faisant quand même, gagnerait à faire et à se faire avec nous, nous tous, pour le bien de tous et pour le salut de la Tunisie. Consciemment ou non, l’idée troïkiste s’est bien installée dans la vie et les esprits des Tunisiens sans que personne ne vienne à interroger ses soubassements et ses motivations, si bien que ce modèle de gouvernement, emprunté et importé dans la conscience réfractaire de notre spécificité, a fini par servir de modèle à la structuration de notre pensée et à l’organisation de la plupart, Tr i b u n e p o u r t o u s

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Brejnev

Kossyguine

Il y a eu d’abord la troïka au pouvoir qui est née d’une longue tractation hésitante qui semblait s’achever dans une logique de chantage et de marchandage ; cela se comprenait du fait de l’incongruité de cette alliance au vu des références idéologiques des partis en place, d’autant qu’ils sont tous démunis du minimum d’expérience permettant de gouverner sans trop de méprises, donc de heurts. De fait donc, l’inévitable ne pouvait pas ne pas survenir, si bien que le déséquilibre d’influence à l’intérieur de l’alliance et les divergences flagrantes éclatées au grand jour ont fini par jeter le discrédit sur l’instance tricéphale de gouvernement, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, remettant carrément en question les espoirs unanimes de voir la Tunisie fournir au monde un vrai nouveau modèle de « la démocratie du Sud ». Comme en réaction à l’échec annoncé de la troïka au pouvoir et en prévision d’une nouvelle

Podgorny

avec cette configuration ternaire au centre de leur recomposition. Ainsi, le PDP (Parti Démocrate Tunisien), qui partait de son leadership de l’opposition (Mis à part Al-Aridha Achaabia qui

Rached Ghanouchi

paraissait comme un enfant contre-nature du paysage politique tunisien, le PDP est le premier classé en pourcentage de vote après les trois partis de la troïka), se voyait en position de polariser l’essentiel de l’opposition centriste libérale et de faire face à la troïka au pouvoir en tant Décembre 2012


Nation + qu’opposition forte, d’abord pour garder le processus de transition dans les limites du socialement contrôlable, ensuite pour se présenter en tant que concurrent sérieux dans la course

longuement, avec le nouveau parti de Béji Caïd Essebsi, Nidaa Tounès (Appel de la Tunisie), sur le projet de ce qu’on a désigné par « la troïka de l’opposition », sauf que celle-ci paraît encore en état d’hésitation et l’on ne sait pas trop si cela est dû à des causes endogènes ou des causes exogènes.

par Ennahdha et Nidaa Tounès, ce qui ne nous dégage pas de la structure ternaire. Son objectif n’est plus de se positionner comme une opposition influente, mais comme une coalition pour le pouvoir, ce qui a poussé certains observateurs politiques à l’inscrire dans un marché conclu avec la troïka au pouvoir (ou au moins avec le président de transition) pour l’affaiblissement de Nidaa Tounès, de plus en plus ressenti comme un sérieux concurrent des gouvernants.

Maya Jribi

à l’alternance. De cette logique est né Al-Joumhouri, le parti républicain, dans la bonne logique ternaire puisque les constituants consignés dans le bureau national (en plus d’un indépendant) sont des représentants de trois partis (en flagrante disproportion, compte tenu sans doute du poids de chacun dans les élections) : le PDP, Afek Tounès et le Parti Républicain.

Béji Caïd Essebsi

D’un autre côté, le Parti Attajdid, du communisme réformiste (et réformé), s’est senti dans le besoin de renforcer sa petite présence en rassemblant une coalition du centre gauche (ou centrisme socialiste), elle aussi troïkiste puisque ce parti s’est rallié le Parti du Travail Tunisien, et le groupement du Pôle Démocratique. De là est né Al- Massar, comme une nouvelle voie démocratique.

Du coup, dans la foulée de cette troïkisation quasigénéralisée, la gauche (ou ce qu’on entend communément par « l’extrême gauche ») n’a pas manqué à cette tendance et a constitué sa coalition troïkiste en rassemblant, non plus trois partis (il y en aurait douze), mais trois tendances politiques d’extrême gauche, en l’occurrence la Gauche révolutionnaire, les Nationalistes arabes et les Ecologistes. Cette nouvelle coalition s’est donné un nom à référence troïkiste, Le Front Populaire, qui n’est pas sans rappeler le gouvernement du même nom qui, pour avoir initié plusieurs réformes sociales importantes, n’en conduisit pas moins la France à la guerre et à la défaite de 1940.

D’ailleurs ces deux derniers partis, Al-Joumhouri et Al-Massar, issus chacun d’une coalition foncièrement troïkiste, ont été

De fait aussi, le Front populaire s’est présenté comme une troisième voie, contre la bipolarisation politique en Tunisie

Ahmad Ibrahim

Il faut dire que l’idée de pouvoir jouer un rôle déterminant dans toutes coalitions futures du pouvoir après une nouvelle légitimité électorale n’est pas pour déplaire à Hamma Hammami. Dix pour cent des prochains résultats électoraux suffiraient au premier responsable du Front pour atteindre cet objectif.

Les prémices d’une autre voie Le dernier-né de ces coalitions, l’Alliance démocratique, comprend, à sa naissance, « le Parti de la réforme et du développement, le Courant réformiste, ainsi que des personnalités politiques, des membres de l’Assemblée nationale constituante, élus sur des listes

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Nation + d’autres partis avec lesquels ils ont rompu entre-temps, des syndicalistes et des défenseurs des droits de l’homme ». Ainsi dit Mohamed Hamdi, son coordinateur général. On peut donc retenir le fait que cette dernière formation politique rompt avec la formule troïkiste, franchement mal adaptée à l’esprit tunisien et on ne peut plus suspecte du fait de l’impression qu’elle laisse chez les citoyens de se constituer sur la base d’un partage des trois instances les plus en vue du pouvoir : présidentielle, gouvernementale et législative.

Hamma Hammami

D’aucuns diraient que Nidaa Tounès aussi s’est constitué sur des bases non troïkistes ! C’est vrai, mais par sa coalition annoncée, et vite donnée comme une simple coordination, avec Al-Joumhouri et Al-Massar, on est resté dans la logique troïkiste. Cependant, le groupe prend de plus l’aspect d’un concert ouvert à toutes les voix modernistes. Ainsi donc, la percée de l’Alliance démocratique et certains signes d’une « détroïkisation » des alliances politiques semblent plaider en faveur d’une nouvelle voie à instituer dans le débat politique Tr i b u n e p o u r t o u s

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de transition démocratique en Tunisie. De par sa simple existence, cette nouvelle alliance participe activement d’une déstructuration des coalitions réelles ou envisagées. En effet, à peine cette formation officiellement annoncée qu’Abdeljalil Bédoui d’Al-Massar (ancien président du PTT) annonce, à Monastir, un possible ralliement d’Al-Massar à l’Alliance, alors que Samir Bettaïeb resterait plus favorable à une coordination avec Nidaa Tounès (l’Alliance n’envisageant pas pour l’instant un quelque contact avec ce dernier).

une excessive personnalisation des formations politiques qui s’en reconnaissent (ont-ils vraiment besoin d’un si grand nombre ?), des considérations de différents ordres et des pressions psychologiques dues à un certain arbitraire présidant à la façon de traiter avec les symboles de l’ancien régime, tout cela contribue, pour le bonheur de leurs adversaires, à la timidité du rôle que jouent et que joueront les destouriens, à moins que le projet de leur exclusion de la vie politique ne les amène à constituer un front uni et assez solide pour contrer, avec les soutiens d’une partie de l’opposition, le principe de l’exclusion pour son caractère antidémocratique et en contradiction avec les droits de citoyenneté.

Mohamed Hechmi Hamdi

Il y a évidemment lieu de se demander, dans cette dynamique, la place occupée par les anciens destouriens (PSD et RCD confondus car, qu’on le veuille ou pas, toute séparation entre eux reste historiquement arbitraire et peu convaincante) est bien peu importante, en tout cas difficilement perceptible, si bien que les différents acteurs politiques n’hésitent pas à en faire une pierre jetée de l’un à l’autre et vice versa, comme un péché dont on voudrait souiller son adversaire. Peut-être le mériteraient-ils, disent certains observateurs de tous bords ? Car

Mohamed Hamdi

En conclusion, la démocratie tunisienne est en pleine recherche de la voie qui puisse la conduire vers la maturité et la perduration ; plusieurs embûches sont sur son chemin, mais une grande volonté anime les Tunisiens pour atteindre cet objectif salutaire. Un avenir proche nous dira si ceux-ci auront su être au niveau de l’opportunité que l’Histoire leur a fournie ou s’ils auront raté, encore une fois, une précieuse occasion d’initier l’Histoire de la région. Décembre 2012


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Tr i b u n e p o u r t o u s

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Et la grève générale n’a pas eu lieu ! La Tunisie a vécu une semaine longue et pénible du 4 au 12 décembre 212, des suites de l’agression, par des groupes au statut contesté, du siège de l’UGTT, et de la décision par celle-ci d’une grève générale pour le 13 du mois en cours. Les raisons de la décision de l’UGTT paraissaient de deux ordres : les unes liées à l’image symbolique de la centrale syndicale et de sa place Historique dans l’image globale de la Tunisie ; les autres liées au rôle dont elle se croit redevable dans la dynamique politique du pays, surtout en cette période de transition où les équilibres requis

paraissent totalement remis en question et où l’aboutissement démocratique paraît compromis. Tout un cafouillis de discours et de bavardages, toute une course vers la monture de la circonstance ont balisé les jours, voire les heures et les minutes de ces dix jours d’intense tension. A la fin un accord conclu entre l’UGTT et le gouvernement a amené la commission administrative de la centrale syndicale à annuler la grève, contre une part de ses adhérents qui s’y opposaient. Le « pire » (façon de voir) est évité, mais les avis restent partagés

Menaces terroristes sur les frontières tuniso-algériennes Au nom de la révolution et du potentiel de liberté qu’elle peut procurer, on n’a pas fait attention, en Tunisie depuis le 14 janvier 2011, à la mouvance terroriste qui profitait des situations de trouble pour renforcer ses rangs, consolider ses moyens et assurer ses positions. Pour certains, on l’aurait même laissé faire ! Aujourd’hui, le danger est là qui guette la paix et la stabilité dans le pays ; qui fait surtout obstacle à un vrai projet de démocratie. En pleine crise de la grève générale de l’UGTT, avortée pour le bonheur d’Ennahdha, surtout dans le rapport de force actuel, les violences sur objectifla frontière algérotunisienne sonnent l’alarme d’un foyer dangereux qui couve les braises d’une violence plus meurtrière pouvant affecter l’équilibre de toute la région. Un jeune gradé de la garde nationale y a laissé la vie, Dieu ait son âme, scellant une liste déjà longue de tués au nom de ce conflit ! Mais si on n’y prend pas garde, la liste peut devenir plus langue et le paysage plus sombre. Contrairement à tout objectif de la révolution et à toute idée rationnelle de la liberté. S.R.

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: pour les uns, c’est la voix de la raison qui a primé pour l’intérêt de la patrie ; pout les autres, c’est l’UGTT qui a capitulé devant Ennahdha, malgré les apparences et l’illusion de sauver la face et de ménager la dignité, ouvrant ainsi grande la voie devant la libre initiative de celui qui a le pouvoir pour décider, seul ou presque, du destin du pays et de ses citoyens. Inconnu d’aujourd’hui, futur te montrera ! M.M.

La nouvelle ISIE est-elle un piège ? Les grands traits de la nouvelle ISIE (Instance Supérieure Indépendante des Elections) peuvent être imaginés à partir du projet de loi portant sur sa création et adoptée par l’Assemblée Nationale Constituante (ANC), le mercredi 12 décembre 2012. Il y aurait, semble-til, la possibilité de reconduire une ou deux personnes de l’ancienne de l’ancienne ISIE. A croire que la page de Kamel Jendoubi est à pratiquement à tourner définitivement. Mais indépendamment de telle ou telle personne, il y aurait probablement à craindre pour l’indépendance de l’ISIE ; auquel cas ce serait l’éternel recommencement de l’Histoire ! S.R.

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L’imbroglio syrien : Quelle issue ?

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omparé aux autres « printemps» arabes, celui de la Syrie s’avère être le plus long, le plus compliqué et le plus meurtrier. A l’heure où nous sommes, rien à l’horizon ne permet de présager une issue proche ou rassurante pour un conflit qui prend l’allure d’une véritable guerre civile, opposant un régime tenace, qui ne semble pas prêt à lâcher le pouvoir, à

une opposition qui gagne certes des points sur le double terrain politique et militaire, mais qui ne réussit pas encore à gagner le soutien politique de tous les syriens, ni à en découdre sur le terrain militaire, avec une armée encore loyale dans sa majorité au régime, et ce, malgré les défections et les revers qu’elle a subis au cours des derniers mois.

Boubaker Ben Fraj

Dans ce pays qui compte 22,5 millions d’âmes, le coût humain de ce conflit est déjà considérable. Certaines sources avancent le chiffre de 40000 morts, et près d’un demi-million de réfugiés répartis dans les quatre pays limitrophes : La Turquie, La Jordanie, Le Liban et l’Irak. Et même si ces chiffres avancés par l’Observatoire syrien des droits de l’homme « OSDH » sont contestés

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Monde + par certains observateurs, ils n’en constituent pas moins des indicateurs significatifs, qui prouvent l’extrême violence de ce conflit et l’ampleur des dégâts qu’il ne cesse d’occasionner. Au vu de la gravité de la tournure, la question que tout le monde se pose aujourd’hui, avec autant d’inquiétude que de scepticisme, est de savoir si la Syrie a encore des chances, après tout ce qui s’est passé, de s’en sortir et de traverser rapidement et sans plus de dégâts le bourbier dans lequel elle s’est empêtrée depuis le mois de Mars 2011 : date du déclenchement des premières convulsions dans la ville frontalière de Deraa, durement réprimées dans une effusion de sang par le régime de Bachar Al-Assad Rien n’est moins sûr, estiment les observateurs avertis, et les raisons de leur doute sont probantes : En effet, les événements tragiques qui se déroulent dans ce pays, véritable « pivot » géostratégique du Proche Orient, mettent en relation des facteurs endogènes et d’autres exogènes, enchevêtrés, et le nœud ne fait que se compliquer chaque jour davantage, éloignant du même coup les perspectives de trouver, à terme, une issue politique définitive et durable à ce conflit. Politiquement, et quoi qu’en disent ses adversaires et ses détracteurs, le régime de Bachar Al-Assad n’a pas à l’intérieur de la Syrie que des ennemis qui veulent l’abattre ; il reste encore soutenu par une frange importante de la population dont, en premier lieu, tous ceux qui demeurent attachés à son référentiel idéologique baathiste, encore profondément enraciné chez la large Tr i b u n e p o u r t o u s

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nomenklatura politique, militaire, administrative et intellectuelle, qui refuse de perdre ses privilèges ou de changer les paradigmes laïcs, panarabes, modernistes et socialisants du parti Baath, par d’autres paradigmes qu’imposerait à la Syrie, en cas de chute du régime baathiste, un pouvoir issu de l’obédience islamiste, qui domine actuellement la Coalition Nationale Syrienne, dernièrement constituée à Dhoha, pour être le représentant officiel de l’opposition. A cela s’ajoutent les solides soutiens que le régime de Bachar Al-Assad trouve encore auprès de la plupart des minorités, aussi bien Alaouite que chiite en général, et auprès des chrétiens, des druzes, des kurdes , voire, de la part de la majorité des 500 mille palestiniens qui résident dans les camps de réfugiés à Damas et dans les principales villes du pays. Ces minorités prises ensemble ne représentent que le tiers de la

population syrienne, mais elles occupent des régions, des villes et des quartiers entiers, et détiennent en plus d’une bonne partie des ressources économiques du pays, des positions élevées au sein de l’armée et de la société. Ces minorités, que la guerre civile risque de retrancher dans une plus grande crispation identitaire, appréhendent une insurrection qui cherche à amener au pouvoir à la place du Baath, un régime marqué par l’hégémonie des sunnites, et à fortiori des islamistes. Une hégémonie qui déstabiliserait les fondamentaux de la société syrienne plurielle, et représenterait de ce fait, une menace pour la coexistence traditionnelle entre les multiples entités communautaires, qui se côtoient sans s’affronter depuis des siècles. Dans ce climat d’expectative et de méfiance, la prédominance de l’Islamisme politique au sein de l’opposition, et surtout l’activisme des Décembre 2012


Monde + terrain aux insurgés que pour mieux se cramponner dans des positions stratégiques essentielles, en mesure de bloquer la progression des insurgés vers les centres névralgiques du pays, qui demeurent encore sous l’emprise du régime.

groupes radicaux prônant le jihad, ne semblent pas rassurer ces minorités, ou relâcher leur crispation et leur solidarité vis-àvis du régime baathiste. Sur le plan militaire et au vu de l’état actuel des choses, la situation demeure confuse et surtout indécise : l’insurrection armée qui a gagné au cours des derniers mois du terrain et des batailles, au point de menacer l’armée loyaliste dans ses bastions les plus solides, et de marquer des points à l’intérieur même de la ville de Damas par les opérations récurrentes et

spectaculaires de sabotages qu’elle a réussi à mener, ne semble pas capable pour autant, de gagner davantage de terrain, au-delà de ce qu’elle a pu dominer dans les régions frontalières, et notamment celle du Nord limitrophe de la Turquie. Quant à l’armée restée fidèle au régime, qui semble encore en possession de la plus grande partie de ses arsenaux et de sa cohérence organisationnelle malgré les nombreuses défections qui ont touché ses rangs, elle n’aurait consenti à céder du

Pour toutes ces raisons, la guerre civile en Syrie risque fort de se prolonger dans le temps et même d’évoluer vers une pernicieuse guerre de position qui ne mènerait, à vue, ni l’une ni l’autre des forces en présence vers une victoire déterminante , sauf au cas où il y aurait une intervention étrangère directe, ordonnée ou non par le conseil de sécurité : hypothèse qui paraît à l’heure actuelle fort improbable, à cause des risques de débordements du conflit dans la poudrière du Proche-Orient, et des complications qu’une telle intervention pourrait engendrer en Syrie même. Pour dénouer l’imbroglio, le premier émissaire de l’ONU, Kofi Annan a lamentablement échoué, et le second, Lakhdar Brahimi continue à mener ses tractations sans cacher ses craintes et son scepticisme. Entre temps, la Syrie continue à s’enfoncer.

Jordanie : Après le gouvernement, le Roi est en question Depuis le 14 janvier 2011, date à laquelle Ben Ali a quitté le pouvoir en Tunisie, la journée du vendredi est devenue, dans la plupart des pays arabes, l’occasion privilégiée des principales manifestations de contestation populaire, débouchant souvent sur des violences de degrés variés, en fonction des circonstances,

du nombre des mobilisés, des slogans brandis et de la réaction du pouvoir en place. En Jordanie, des milliers d’islamistes et de sympathisants de gauche maintiennent la pression sur un gouvernement qu’ils accusent d’avoir aggravé la situation des plus pauvres, surtout après l’augmentation des prix des

carburants. L’opposition cherche à imposer un gouvernement de salut national pour apaiser une rue tellement en colère qu’elle a franchi un grand tabou en passant d’un appel pour le départ du Premier ministre Abdallah Ensour, à celui du roi Abdallah. S.R.

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Obama face aux intellectuels américains

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ontrairement à son prédécesseur, G.W.Bush, allergique comme son père à tout ce qui touche à la culture, le président Barak Obama, lui-même écrivain de valeur, se distingue de plusieurs autres présidents par sa haute culture, par sa connaissance profonde de la philosophie antique et moderne, ainsi que par son respect pour de grands philosophes comme John Dewy, William James et W. E. B. Du Bois, auteur d’un ouvrage célèbre intitulé: « les âmes du peuple noir

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». Pour lui, des écrivains comme Mark Twain, Richard Right, W. Faulkner, Ernest Hemingway, Dos Passos, ainsi que plusieurs autres sont « les grandes âmes de l’Amérique ». Son accès à la présidence en 2008 a été salué par les intellectuels de gauche non pas comme « un triomphe de la conquête », mais comme « la délivrance des angoisses ». Certains d’entre eux avaient même parlé d’une « Révolution qui allait changer l’histoire des U.S.A ». Le prestigieux The New York Times l’avait décrit comme « un grand

De notre correspondant aux USA, Hassouna Mosbahi visionnaire ». L’écrivain Jonathan Safran Foer avait exprimé sa satisfaction en disant: « Avoir un président écrivain – et je ne veux pas parler d’un auteur publié, mais d’un homme qui sait la valeur des mots – fait que je ne me sens plus écrivain habitant aux États -Unis , mais un écrivain américain ». Au mois de juin dernier, préparant sa deuxième campagne électorale, le président Obama avait encore une fois exprimé son attachement à la culture et son grand respect pour les intellectuels et les créateurs en décernant Medal

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Monde + of Freedom, la récompense civile la plus importante, à des figures majeures de la littérature et de l’art américains. Au cours des festivités organisées en cette occasion grandiose, Obama a déclaré : « Ces lauréats extraordinaires viennent d’horizons différents avec des parcours différents, mais chacun avait apporté une contribution durable à la vie de notre nation. Ils nous ont challengés, ils nous ont inspirés, et ils nous ont rendu le monde meilleur. Je suis impatient de les récompenser avec ce prix ». La grande romancière noire Toni Morrisson était parmi les lauréats. Elle est l’un des auteurs préférés du président Obama, qui l’avait décrite comme « celle qui, dans ses romans caractérisés par une force visionnaire et son importance poétique, donne vie à un aspect essentiel de la réalité américaine ». En novembre 2008, il l’avait reçue à la Maison Blanche. Après la rencontre, elle avait déclaré: « Il a commencé à me parler des livres que j’avais écrits, et de l’influence qu’ils avaient eue sur lui. Et moi j’ai lu son livre Les rêves de mon père et j’ai été étonnée par son écriture, par son analyse, sa réflexion et sa capacité à tourner les phrases. Très impressionnée même. Ce n’était pas une simple biographie d’un homme politique ». Mais il faudrait rappeler que Toni Morrisson avait commencé par soutenir Hillary Clinton lors de la campagne présidentielle en 2008. Il a fallu un coup de fil d’Obama pour qu’elle change de cap. Aujourd’hui, elle ne regrette pas son choix. Elle se dit même bien satisfaite du bilan de son premier mandat, et il est « devenu meilleur que ce qu’elle espérait! » Le deuxième lauréat n’est que le célèbre musicien Bob Daylan

connu surtout par ses prises de position courageuses et sa grande influence sur les mouvements de défense des droits civiques. Comme Toni Morrisson, il avait exprimé « son bonheur » d’être récompensé par le président Obama. Mais certains intellectuels de grande valeur n’hésitent pas à dévoiler leur déception et leur amertume aprés le premier mandat de Barack Obama. L’un deux n’est que Russel Banks, romancier de notoriété internationale dont les romans, traduits dans plusieurs langues, reflètent les crises et les maladies de l’amérique depuis la guerre du Vietnam jusqu’à nos jours. Né en 1940 et appartenant à un milieu pauvre, Russel Banks s’était engagé dans les différentes luttes de l’extrême gauche, politiques et sociales, au cours des années 60 et 70, années de sa jeunesse. Aprés les évènements du 11 septembre, il a condanmné vivement la guerre en Irak et en Afganistan, traitant le président G.W. Buch de « boucher cruel

». Soutenant Obama lors de sa première campagne présidentielle, Russel Banks se sent aujourd’hui comme trahi: « Au début , j’étais trés excité quand j’ai lu les livres d’Obama; il utilisait les mots qui respiraient l’autenticité. Et puis il est devenu président, je l’ai soutenu, j’ai été très heureux qu’il soit élu et je le suis encore, mais il est très modéré, très centriste. Je n’attendais pas des mesures réellement progressistes, mais j’aurais aimé qu’il soit un peu actif dans le domaine exécutif. Je suis déçu qu’il n’ait pas fermé Guantanamo, ou démantelé des mesures sécuritaires prises par Buch aprés le 11 septembre ». Russel Banks critique aussi le niveau de l’éducation qui a baissé dans son pays et qui continue à baisser sans que le gouvernement agisse contre cette détérioration qui aura des conséquences graves dans l’avenir proche: « on a arrêté d’investir dans le domaine de l’éducation. La capacité des américains à utiliser la langue et à la décrypter s’est détériorée. Ils ont

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Monde + des diplômes mais plus les mêmes compétences des années 50 et 60 ; on est devenu une société de consommation à un point tel que ça a pris le pas sur le reste. Les enfants sont bombardés de milliers de pubs chaque jour. Voilà l’ambiance ». Pour Russel Banks le mythe américain de l’homme robuste et tout puissant, qui forge son destin sans l’aide de personne, qui descend le Mississipi comme Huckle- berry Finn dans le roman de Mark Twain , ou qui combat contre les requins dans les hautes mers, comme le capitaine Achab dans “Moby Dick” , est révolu ; la société américaine souffre aujourd’hui de plusieurs maladies et la politique menée par Obama ne semble pas capable de redresser la situation. Pour Russel Banks le paysage politique aux U.S.A n’a pas cessé depuis quleques années de glisser vers la droite. « Les démocrates sont là où Reagen se trouvait, il y a 20 ans », dit –il ; et il ajoute: « Il faut avoir mon âge pour se souvenir qu’aujourd’hui Nixon serait presque à l’extrême gauche, et qu’Eisenhower ne pourrait pas faire partie du parti républicain. Je pense que le changement a commencé du temps de Reagen, quand l’opposition entre les deux partis est devenue d’ordre racial. Dans l’imaginaire américain, les démocrates sont le parti des gens de couleur : Latino-américains, Afro-américains...et des Blancs libéraux comme moi... ». Mais la critique la plus violente et la plus acerbe de la politique d’Obama vient de la part de Nancy Fraser, philsophe jouissant d’une place de premier plan dans son pays, ainsi qu’au Canada. Née en 1949, elle appartenait à la classe moyenne de Baltimore Tr i b u n e p o u r t o u s

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; ses parents étaient des électeurs de Roosevelt et partisans de la politique du New Deal: « ils me parlaient toujours de leurs idées égalitaires. Mais ils menaient une vie de petits bourgeois dans la banlieue blanche de la ville. Ce n’était pas conscient mais il y avait en moi une forme de colère devant cet écart entre ce que j’entendais professer et la réalité de notre vie. Je crois que cela a joué pour beaucoup dans ma sensibilité au fait que la pratique ne doit pas être en décalage avec les idéaux... ». Dans les années 60, Nancy Fraser s’était enthousiamée pour la révolte de la jeunesse au printemps de mai 68. Ce fut pour elle un moment d’un grand optimisme; elle avait cru que sa génération pourrait changer le monde et jouer un rôle considérable dans les nouvelles révolutions contre les dictatures et le capitalisme. Mais le marxisme ne l’attirait pas; des philosophes comme M.Foucault, Habermas, ainsi que Derrida et les structalistes qui allaient l’influencer dans son parcours philosophique, ont inscrit ce parcours dans la lutte ayant pour but l’émancipation pour tous. Après avoir milité pendant de longues années dans le mouvement féministe, lui consacrant plusieurs ouvrages, Nqancy Frase se sent aujourd’hui frustrée et déçue. Pour elle le mouvement féministe a cessé d’être le symbole d’une lutte juste pour une vraie émancipation pour « devenir un groupe d’intérêts parmi d’autres ». Comme de nombreux intellectuels de gauche, l’arrivée d’Obama à la maison blanche allait donner une meilleure image de la vie politique ; mais aujourd’hui sa déception est trés grande: « vous savez ce qu’on disait autour de moi, à New York? Si Romney est élu, ce sera la

catastrophe. Mais si c’est Obama, ce sera une catastrophe. En 2008, il a raté une occasion historique, celle d’un vrai changement. Qu’attendre aujourd’hui? »

Obama, de nouveau, président des USA Le peuple américain a accordé, une seconde fois, sa confiance au président sortant Barack Obama (51 ans) qui a été réélu Président des Etats-Unis d’Amérique. Une réélection sans surprise, car les estimations le donnaient déjà ‘’vainqueur’’ dès le débit de ces élections. A l’issue d’un duel animé avec Mitt Romney, Obama a déclaré devant ses partisans à Chicago que pour les Etats-Unis d’Amérique, le meilleur est encore à venir, féliciant, à l’occasion, son concurrent républicain pour « sa campagne menée avec ardeur ».

Entouré des membres de sa petite famille, Barack Obama a prononcé un discours enthousiaste de 25 minutes, ne cachant pas sa joie et affirmant vouloir travailler avec M. Romney pour « faire avancer le pays ». Décembre 2012


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Egypte: Bras de fer spectaculaire entre Mohamed Morsi et l’opposition Une foule, estimée à environ 10.000 manifestants, s’était réunie mardi 4 décembre 2012 aux abords de mosquées dans le nord du Caire, dans une nouvelle journée de mobilisation contre le président égyptien accusé de dérive autoritaire, depuis la publication le 22 novembre d’un décret qui empêche toute contestation des décisions présidentielles dans l’attente de l’élection d’un nouveau parlement. La foule a marché ensuite en direction du palais présidentiel que le président Mohamed Morsi a dû quitter, le célèbre cri « Dégage ! » ayant été lancé à son adresse. Quelques centaines de manifestants se sont par ailleurs réunis près du domicile du chef

de l’Etat, situé dans une banlieue ouest du Caire, où ils ont scandé des slogans hostiles au décret du 22 novembre et aux Frères musulmans. De nombreux journaux égyptiens indépendants ont suspendu leur parution mardi pour protester contre «la dictature» de Morsi et les banques ont fermé trois heures plus tôt. Mohamed ElBaradeï, coordinateur du Front de salut national, a appelé le président à abroger son décret et à renoncer à l’idée d’un référendum ; mais, malgré certains signes d’assouplissement possible, Morsi persiste et signe. S.R.

Protocole de coopération militaire tuniso-qatarie Le ministre de la Défense nationale Abdelkrim Zbidi, a effectué, du 18 au 21 novembre, une visite à Qatar, à l’invitation du Général-major et chef d’étatmajor des forces armées du Qatar Hamad Ben Ali Al-Atia, pour participer à une conférence de hauts cadres militaires sur les manœuvres communes «Faucon Prédateur III» pour l’année 2012. Il a signé à l’occasion, à Doha, un mémorandum d’entente relatif à la coopération militaire entre la Tunisie et le Qatar et un projet de protocole exécutif relatif au détachement de militaires tunisiens auprès des forces armées qataries. (D’après agences)

Algérie, Libye et Tunisie : sécuriser les frontières est une priorité La visite de travail du président du Congrès national Libyen Mohamed Youssef El Megaryef, à Tunis, les 23 et 24 novembre, s’est soldée par une 1ère aide libyenne de 200 millions de dollars destinés au Développement. C’est à Moncef Marzouki qu’est revenue l’exclusivité pour l’annoncer. Une façon comme une autre de tourner la page de Baghdadi Mahmoudi ? Le responsable libyen a souligné que la Libye était disposée à accueillir les compétences tunisiennes dans le plus grand projet de reconstruction qui sera bientôt ouvert en Libye et qu’une collaboration tuniso-libyenne était prévue en vue de contrer les éventuelles menaces des groupes armés venant du Mali. De son côté, le président du

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au service de la sécurité et de la prospérité» des peuples des deux pays et ceux de l’ensemble de la région.

gouvernement transitoire en Tunisie, Hamadi Jebali, en visite officielle de deux jours (3-4 décembre) en Algérie, à la tête d’une importante délégation ministérielle, à l’invitation du Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, a souligné la volonté de son pays de développer les relations de coopération avec l’Algérie dans tous les domaines «sans exception

La visite au cours de laquelle H. Jébali a été reçu par le président Bouteflika, s’est soldée par un projet de rencontres bilatérales entre les responsables algériens et tunisiens des secteurs de la Défense et de l’Intérieur en vue de dégager de nouveaux mécanismes susceptibles de «sécuriser et de développer les frontières communes» entre les deux pays. Toutefois, la délégation des hommes d’affaires prévue pour cette visite n’a pas pu faire le déplacement, « pour des problèmes d’organisation ». S.R. (D’après agences) Décembre 2012


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réalisé par Mansour M’henni

avec Kamel Jendoubi:

le président de l’ISIE pour les élections du 23 octobre 2011

Pour une ISIE aussi forte que les attentes des Tunisiens, une ISIE indépendante et respectueuse de la loi

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Interview + Kamel Jendoubi, président de l’ISIE pour les élections du 23 octobre 2011: Un Tunisien qui doute ne peut pas raisonner. Il ne peut pas penser tranquillement, sereinement, ne peut pas se poser avec sangfroid les questions auxquelles il est confronté. Contraint à l’exil pendant dixsept ans pour son engagement et son militantisme dans les domaines de l’immigration et des droits de l’Homme, Kamel Jendoubi a été élu par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique pour présider l’Instance supérieure indépendante pour les élections des membres d’une Assemblée nationale constituante. L’homme présentait le profil idoine. Ayant le contact humain facile, serein et respectueux, une note de

rigueur renforçait ce profil et inspirait plus confiance, malgré la défiance réservée de quelques-uns. Ce militant des droits de l’homme, né à Tunis en 1952, était de ceux qu’on mettait dans la famille politique de la gauche tunisienne, mais avec une indépendance intellectuelle caractérisée à l’égard des partis politiques et avec une honnêteté non contestée. Kamel Jendoubi est titulaire d’un diplôme de l’IAE de Paris et d’un DEA de l’Université Paris Sorbonne II. Il est président du REMDH (Réseau Euro-méditérannéen pour la Défense des Droits de l’Homme) depuis 2003 ; membre fondateur de la Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR) et du Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme Tunisie (CRLDHT) dont

il est l’actuel président ; membre du conseil exécutif de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) ; président de l’Institut du Caire pour les Etudes des Droits de l’Homme (CIHRS) ; et membre du bureau de la Fondation Euroméditerranéenne de soutien aux défenseurs des droits de l’Homme (FEMDH).

Il avait tout pour réussir sa mission et, pour l’écrasante majorité des observateurs, il y a réussi. Or voilà qu’en marge des discussions autour du projet de création d’une nouvelle ISIE, permanente cette fois, et après un semblant d’accord de la troïka au pouvoir pour soutenir la candidature de K. Jendoubi à sa tête, on parle de mauvaise gestion dans l’ISIE et on demande même une enquête à ce propos. Nous avons donc sollicité un entretien avec K. Jendoubi qui a bien voulu répondre à nos questions avec la franchise qu’on lui connaît et le respect dont il a toujours témoigné à l’égard des médias. Pour commencer, que pensezvous de la campagne qui s’est déclenchée contre vous dernièrement après qu’un consensus de la troïka a semblé acquis autour de votre personne pour une éventuelle candidature à la présidence de la nouvelle instance des élections ? > Ce n’est pas la première fois que certains essaient de faire campagne contre ma personne et

contre l’ISIE ; depuis des mois, des pages sur facebook et autres publient des mensonges pour discréditer l’ISIE et son président. Mais vous voulez sans doute parler de la campagne qui s’est déclenchée dernièrement après les fuites relatives à une partie de la note de la Cour des comptes sur la gestion financière de l’ISIE. Cette campagne-là est plus grave parce qu’elle instrumentalise la

L’objectif de la campagne : installer le doute chez le Tunisien, le faire douter de lui-même Cour des comptes d’une manière indigne et illégale, pour des calculs strictement politiques et sans rapport réel avec la volonté de se faire une opinion objective et juste sur la gestion administrative et financière de l’ISIE.

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Interview + En effet, le document publié n’était qu’une note, qui n’a pas suivi les procédures réglementaires de la Cour des comptes , ni pris en considération les réponses de l’ISIE pour la simple raison que l’ISIE n’avait pas encore reçu la note ; elle a été divulguée en l’absence de toute contextualisation ; beaucoup d’éléments suspects entourent les mobiles de sa publication et poussent à s’interroger sur la responsabilité de la Cour des comptes ainsi que sur celle du gouvernement et la relation que ce dernier entretient avec cette institution. On ne peut pas ne pas penser à une machination politique qui a vraisemblablement un lien avec un certain consensus déclaré de la troïka autour de ma personne pour la candidature à la présidence de la nouvelle instance des élections. Des éléments totalement déconnectés du contexte politique, social et sécuritaire de l’époque ont été « balancés » avec l’intention de nuire. Pour revenir à ce qui a été publié de la note en question, plusieurs éléments sont inexacts et pour cause! Il s’agit d’un travail provisoire, préliminaire, qui devait être confronté avant publication aux réponses de l’ISIE. Malheureusement, ce que j’ai appris, c’est que cette note, car il s’agit bien d’une simple note, a été adressée au président du gouvernement et a fait l’objet d’une réunion ministérielle. Du coup, je me pose des questions sur les motivations et les fondements de cette démarche ! Elle a ensuite fait l’objet d’une réunion de la Troïka et, finalement, elle a été diffusée sur les pages facebook Tr i b u n e p o u r t o u s

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comme une sorte de campagne médiatique, selon un plan de communication qui s’est élargi à la presse écrite, etc. Cette campagne, à mon avis, vise bien entendu l’ISIE et les responsables de l’ISIE, mais elle vise surtout la prochaine ISIE. Il s’agit d’une campagne de diffamation pour salir l’image de l’ISIE, la discréditer en vue d’un objectif double : d’abord chercher à entacher l’image de ce type d’instance pour faire en sorte que la prochaine ISIE soit la moins indépendante possible, ensuite, tout aussi important, pour en écarter ses responsables qui peuvent prétendre assumer, dans la future ISIE, des responsabilités en toute indépendance. La campagne ne vise pas seulement le conseil de l’ISIE et son président, mais tous ceux qui y ont travaillé ; dès lors qu’on laisse croire que cette ISIE est pourrie, corrompue, qu’elle dilapide le bien public, il est évident que cela entache son image. Evidemment, c’est une question qui amène à se poser d’autres questions parce que, je peux dire aussi, par extension, que ce qui est grave, c’est de laisser entendre, de manière quasiment claire, que les élections du 23 octobre 2011 étaient en fait entachées d’irrégularités graves. Or si l’ISIE était pourrie et corrompue, comment a-t-elle pu superviser, diriger des élections avec les marques de succès qu’on lui a reconnues et aboutir à des résultats acceptés par tout le monde ? Enfin, cette campagne s’en prend à un capital important de confiance en semant le doute et le questionnement, en tout cas

chez ceux qui le veulent bien face à des gens honnêtes qui ont fait confiance. Il s’agit d’une opération de déstabilisation pour détruire le capital de confiance que le citoyen tunisien a acquis ; car ce que nous avons réalisé, c’est quelque chose de formidable, personne ne croyait à cela, nous l’avons fait ensemble. Les Tunisiens ont fait confiance au processus électoral, à la transition et à l’instance comme modalité de fonctionnement et de gestion ; cette réussite est bien leur propre réussite, parce qu’en fait ils ont eu confiance en eux-mêmes et ils ont réussi en réalisant, devant le monde entier, ce qu’ils n’ont pas fait durant toute leur Histoire. Pour moi, tel est l’objectif de la campagne: installer le doute chez le Tunisien, le faire douter de luimême parce qu’un Tunisien qui doute ne peut pas raisonner, ne peut pas penser tranquillement, sereinement, ne peut pas se poser avec sang-froid les questions auxquelles il est confronté. Donc on va le désorienter, le manipuler, l’utiliser, l’instrumentaliser sous des prétextes divers et variés. C’est donc une campagne de désinformation et de destruction de la confiance que le Tunisien avait dans le processus électoral. Pensez-vous qu’il y ait vraiment une intention de nuire à votre personne ou tout simplement la mise en place d’une plateforme de négociation pour la nomination par l’exécutif d’une direction administrative et d’un contrôle particulier des dépenses ? > Au-delà de ma personne et de toute autre personne, c’est l’indépendance de l’ISIE, dont la loi de création est en discussion au sein de l’ANC, qui est en jeu Décembre 2012


Interview + et c’est l’angle sous lequel on va voir tout le reste, y compris la gestion, le contrôle, le personnel, la cohérence des structures, etc. L’angle de l’indépendance. Si, sous prétexte de contrôle, on met en cause l’indépendance, c’est un vrai hic ; le contrôle doit renforcer l’indépendance ; la transparence doit renforcer l’indépendance. Mais ce prétexte et la campagne qui s’en est suivie visent à discréditer les responsables actuels de l’ISIE qui ont vécu, dirigé et managé une expérience exceptionnelle à partir de quasiment rien et qui ont fait un effort, une expérience qui, de toute façon, avec ses défauts et quoi qu’on dise, ont donné un bon résultat. C’est, de fait, le seul acquis depuis la révolution, reconnu par les Tunisiens et par le monde. Qu’on me donne un seul dossier depuis la révolution, faisant l’unanimité ou presque et à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie. Il faut donc regarder les manquements, les insuffisances, les erreurs, sous cet angle-là. Et je dis clairement que cela ne signifie en aucun cas que l’ISIE n’est pas disposée à rendre compte et à assumer sa responsabilité. Je le répète encore : l’ISIE est disposée à rendre compte et j’assume personnellement toutes les responsabilités de tout ce que l’ISIE a fait, de bien, de moins bien, de défaillant. Nous sommes donc prêts au questionnement, à l’imputabilité et même au jugement si l’on doit aller devant la justice. Mais là, on nous fait un procès sans défense ; certains même cherchent à nous poignarder dans le dos. Ce n’est même pas face à face parce que dans ce cas, à la limite, on peut affronter les

accusateurs et regarder les yeux dans les yeux celui ou celle qui veut nous assassiner. Vous avez toujours déclaré avoir la conscience tranquille et accepter de vous soumettre à toute l’imputabilité, au nom de la responsabilité qui vous incombe ; mais rien ne paraît s’engager dans le sens d’une mise au clair des termes du reproche. Ne s’agit-il donc pas d’un autre ballon d’essai en faveur d’un certain rapport de force qui cherche à peser lourdement sur la décision de nomination du prochain président de l’instance électorale ? Oui, la conscience tranquille je l’ai assurément, je ne dors peutêtre pas assez, mais à ces quelques heures de tranquillité, je n’ai pas de cauchemars, je fais plutôt des rêves et je rêve beaucoup. Nous avons collaboré très honnêtement avec la Cour des comptes ; j’ai ouvert tous les bureaux aux contrôleurs et je leur ai même dit : « vous pouvez disposer des clés ». D’ailleurs, ils le reconnaissent et le rapporteur général l’a déclaré publiquement : je n’ai rien retenu et rien caché. Tout est à leur disposition. Il est vrai que le groupe de contrôle travaille dans des conditions difficiles parce que l’ISIE a été vidée de la quasi-totalité de son personnel, de ceux qui ont géré les dossiers, il y a donc parfois des difficultés pour avoir les dossiers à temps, mais on y arrive toujours. Voilà tout ! Gérer 37 millions de dinars… Mais on a avancé le chiffre de 40 à 50 millions et on souligne le déficit ?

> Les recettes s’élève à 37 millions et les dépenses à 42. Tout a été expliqué, même le déficit, qui n’en est pas un : c’est plutôt un différentiel ; je n’ose même pas parler de déficit, sur le plan comptable. Je le précise pour ceux qui veulent calculer honnêtement : il s’agit en fait de deux factures volontairement consignées : une facture de 3,5 millions de dinars au profit de l’armée nationale pour mettre en valeur le travail fondamental qu’elle a réalisé, et ce n’est pas assez d’ailleurs, un travail sur tous les plans, qui n’a pas été seulement d’ordre sécuritaire, mais logistique aussi; cela a été la marque de sa participation. Cela ne veut pas dire que les autres ministères n’ont pas travaillé, mais là c’était un travail déterminant et nous avons voulu le souligner. Et puis, deuxième volonté de notre part, nous avons établi une évaluation au profit de notre télévision nationale qui a consenti un effort important. Une facture d’un peu plus d’1 milliard a été établie pour mettre en valeur sa contribution, une facture qui n’est pas à la hauteur de l’énergie fournie et du temps investi, et nous l’avons fait. Donc 3,5 milliards ajoutés à 1 ; le compte y est. Nous avons demandé au gouvernement, par courrier avec décharge, de prendre en charge ces factures, parce que cela relève du budget de l’Etat, dans les pays qui se respectent; mais on ne nous a pas répondu. On attend donc l’arrivée du rapport préliminaire ; on s’y prépare dans des conditions difficiles, car on n’a plus rien. J’ai ici un collègue avec moi qui a organisé une petite équipe. L’intérêt, dans ce rapport, c’est

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Interview + aussi de tirer les enseignements utiles pour la future instance, pour l’avenir de l’instance. Depuis le 28 décembre 2011, nous avons attiré l’attention du gouvernement sur la nécessité d’anticiper, de préparer le terrain à la nouvelle instance ; malheureusement on n’a pas été entendu. Que pensez-vous de ceux qui désignent Ennahdha, précisément, comme le chef d’orchestre d’une campagne de discréditation de votre personne pour ne pas avoir affaire à se confronter à votre rigueur et à votre incorruptibilité ? > Ce que je peux dire pour répondre à cette question, c’est que j’ai entendu parler de la déclaration de M. Sahbi Atig, sur Express FM, où il aurait déclaré, au moins aurait laissé entendre que certaines personnes de son groupe (celui d’Ennahdha) à l’ANC ne sont plus disposées à soutenir ma candidature. C’est leur droit évidemment, on ne peut pas discuter de cela, ils sont libres. Mais, simple observation, M. Atig est président du groupe d’Ennahdha; je pense qu’il doit asseoir ses déclarations sur des données fiables et incontestables. Il parle d’un rapport de la Cour des comptes, mais il sait très bien qu’il

On a relevé le défi et on a gagné le pari n’y a pas encore de rapport de la Cour des comptes, que celui-ci est en préparation et que le document dont il parle est celui d’un groupe de contrôle, n’ayant donc aucune espèce de valeur juridique. Il doit donc être plus prudent dans ses déclarations pour être crédible. Tr i b u n e p o u r t o u s

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Pour le reste, qu’ils veuillent soutenir ou pas ma candidature, cela les regarde. Revenons un peu sur la première ISIE, n’y a-t-il pas eu des maladresses ou des négligences qui ont nui à l’image et à la crédibilité de votre travail ? > Vous savez, l’ISIE est un bébé

qui a été créé par la volonté des Tunisiens, qui a été enfanté par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, Instance où s’est concrétisée la volonté des Tunisiens pour la liberté, pour la dignité, etc. Ce bébé a été enfanté et on nous a demandé de le faire marcher. On l’a mis sur ses pieds, on l’a fait courir alors qu’il était encore bébé pour qu’il arrive à destination. Il est arrivé. Maintenant, on nous dit : vous auriez dû quand même lui apprendre à respecter le code de la route, parce qu’il n’a pas parfois respecté un feu ou parce qu’il n’a pas bien regardé à droite, à gauche, pour traverser ! Tout cela est perçu comme si l’ISIE travaillait dans un contexte apaisé, un état démocratique consolidé disposant d’une administration installée, avec son personnel, avec ses procédures, avec ses services, etc. Et ce regard-là, s’il ne tient pas

compte du contexte dans lequel l’ISIE a été créée et fonctionnait, il risque d’aboutir à une injustice et un constat erroné. D’autre part, même si nous avons eu conscience, dès le départ, d’un certain nombre de retards, d’un certain nombre de failles, voire d’un certain nombre d’erreurs, il reste qu’on travaillait sous la pression d’un calendrier ; ce qui a fait que les Tunisiens nous font confiance, c’est que nous avons respecté tous nos engagements, l’intégralité du calendrier, toutes les dates, alors qu’on était dans des conditions qui pouvaient mettre en cause sérieusement le respect de ces dates. On nous demandait de travailler en toute indépendance, en rupture avec l’administration. On a créé tout de zéro. Tous les recrutements qui ont été faits, l’ont été par appel public à candidature dans un contexte des plus tendus à cause des problèmes de sécurité notamment et d’autres problèmes, et dans un contexte régional qui était lui-même source de tensions. Souvenons-nous de ce qui se passait à l’époque à nos frontières avec la Libye. Ce sont donc des circonstances exceptionnelles que traversait le pays à l’époque. Il y avait un grand défi. Il fallait lancer plusieurs chantiers simultanément : la mise en place de l’instance et de ses représentations régionales (démembrement), l’administration électorale, les recrutements pour préparer l’enregistrement qui devait démarrer le 11 juillet 2011. Donc en un mois, de début juin (le 8 juin 2011 précisément) à cette date, il fallait installer l’instance en tant que telle avec Décembre 2012


Interview + son personnel, ses locaux, ses agents d’enregistrement, ses bureaux d’enregistrement, les équipements, etc. Mettre en place les IRIE à partir de rien. Mobiliser les partenaires pour mettre en place des systèmes informatiques. Il fallait être prêt le 11 juillet 2011, et tout cela sans budget pendant plusieurs semaines. Ce sont des circonstances exceptionnelles qui font qu’il y a eu des insuffisances, des tâtonnements et des dysfonctionnements. Je vous donne des exemples : En démarrant l’enregistrement le 11 juillet, deux jours après le système a « buggé » parce qu’on n’avait pas eu le temps de le tester. On était devant un dilemme: ou bien on teste le système et on repousse les dates, et là plusieurs parties nous guettaient et c’était une nouvelle et grave crise politique. On nous attendait comme des snipers. Qu’est-ce qu’on n’a pas dit de l’ISIE en ce temps-là ! Ou bien on démarre à temps et on corrige au fur et à mesure ; on a opté la seconde option. On a donc plongé et on a appris à nager, en avançant coûte que coûte. Un autre exemple : Il faut préciser que les IRIE (les instances régionales) avaient été installées deux ou trois jours avant le 11 juillet 2011, pour être fonctionnelles le jour J de l’enregistrement des électeurs. Certaines n’étaient pas tout à fait en capacité d’être fonctionnelle, à temps. Physiquement, le personnel d’enregistrement, plusieurs milliers de personnes, certaines d’entre elles venaient de terminer une formation, parce qu’elles ont été recrutées à peine quelques jours

avant. Dites-moi si, dans de telles circonstances, on pouvait respecter toutes les procédures quelles qu’elles soient, celles du code du travail ou je ne sais quoi d’autre. Dans un climat de suspicion générale quant à la transparence, quant au climat des élections, quant à la compétence aussi, car certains se demandaient ce qu’on faisait là et disaient qu’on n’avait jamais fait l’expérience des élections. Moi-même, j’ai été attaqué et j’ai fait l’objet d’une campagne des plus haineuses. On remettait en question mon patriotisme et mon intégrité, on me reprochait ma double nationalité.

Je voudrais revenir sur des exemples précis, pour espérer les éviter une prochaine fois : d’abord à propos des personnes employées par l’ISIE : elles étaient à plus de 80% nahdhaouis et les Tunisiens le savaient ; certains concitoyens s’étaient plaints d’eux et de la pression exercée par eux en Tunisie, en Belgique, en Italie et ailleurs (des médias s’en sont faits l’écho). N’était-il pas possible d’intervenir explicitement pour donner plus de confiance aux Tunisiens et pour les rassurer sur la neutralité de l’opération ? > D’abord, je ne sais pas où vous avez trouvé le pourcentage de 80 % de nahdhaouis ? Les gens le disent, certains des cercles de discussion, d’autres sur facebook, etc.

Il y a certes des insuffisances, et pour quelqu’un qui lit le rapport de l’ISIE (publié depuis février 2012), il constate que nous les avons formulées, nous-mêmes, mais formulées positivement dans un esprit constructif. Donc sur l’ensemble des observations, cette note fuitée montre que, pour l’écrasante majorité d’entre elles, ce sont des insuffisances que nous avons déjà signalées dans nos rapports ou de manière directe. Malgré tout, on a réussi : on a relevé le défi et on a gagné le pari.

> Non, il faut affiner davantage. En fait, il y a un sentiment basé sur des faits épars qui tendent à accréditer l’idée que dans certains cas, il y a la présence plus marquée d’un parti particulier (vous l’avez cité, Ennahdha mais cela aurait pu être un autre ; en tout cas ici c’est de lui qu’il s’agit). Or, il faut distinguer deux choses : premièrement, la mise en place de l’ISIE et son démembrement (instances régionales), notamment les IRIE et le recrutement qui s’est fait à cet effet ; deuxièmement, les personnes chargées des bureaux de vote. Pour le premier cas, sachez que pour les IRIE, nous avons reçu 4500 candidatures ; nous – les 16 membres- les avons traitées, sans personnel : ouverture des dossiers, tri, classement, etc. On avait juste demandé l’aide du secrétariat du Conseil économique et social. Il

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Interview + faut dire qu’on était agréablement surpris d’un tel engouement. Mais il fallait choisir 364 parmi les 4500 candidats. Ce n’était pas simple, parce qu’on ne connaissait pas ces personnes. Nous avons donc mis en place une procédure de sélection combinée par des déplacements sur le terrain pour prévenir les risques d’infiltration et tout ce qui pouvait altérer l’indépendance. Rappelons qu’à l’époque, la crainte était surtout que des membres de l’ancien régime s’infiltrent. A notre grande surprise, on a réussi aussi puisqu’il n’y a eu aucun « dégage » à notre adresse, alors que c’était l’époque du « dégage » quasi-généralisé. Quelques personnes seulement ont été contestées. Or pour nous, dès qu’un élément factuel ou un détail d’appartenance à un parti nous était signalé et vérifié, la personne était systématiquement écartée. Mais il est possible qu’il y ait eu quelques personnes qui soient passées inaperçues. Il ne s’agit pas seulement de proches d’Ennahdha, puisque ce parti a lui-même formulé la critique que l’ISIE était orientée vers d’autres horizons politiques. En fait, ce qui nous est reproché c’est d’avoir des convictions personnelles ce qui, à ma connaissance, n’est ni un crime, ni une tare. Moi, je me reconnais dans la famille intellectuelle de gauche, mais je n’ai aucune appartenance politique, je n’appartiens à aucun parti. Je suis indépendant. Or, l’indépendance n’est pas contraire aux convictions personnelles. Mais si on s’en sert pour orienter ou exécuter des décisions partisanes, là, oui, c’est un problème. Le plus difficile était l’établissement des IRIE à l’étranger. D’abord, il y avait très Tr i b u n e p o u r t o u s

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peu de candidats et puis on a traité cette question tardivement, trop tardivement. Vous vous rappelez, les IRIE à l’étranger ont démarré plus d’un mois après la Tunisie, après même le démarrage des enregistrements. En tout cas, le recrutement s’est fait sur un appel public ; on a privilégié les jeunes chômeurs diplômés, en particulier ceux bénéficiaires du programme Amal. On a aussi utilisé les données du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle et on a adopté des critères objectifs qui n’ont pas été contestés. A chaque fois qu’on a un doute confirmé que la personne n’était pas indépendante, elle était écartée. Le second point concerne les personnes chargées des bureaux de vote. On a fait un appel à candidature plus d’un mois avant la date fatidique. C’était très peu, l’objectif étant de recruter 50000 personnes pour les 9000 bureaux de vote. Trois semaines avant cette date fatidique, il n’y en avait que 15000. On a dû accélérer les choses en contactant le ministère de l’Education afin qu’il incite ses directions régionales à pousser les enseignants à se présenter et l’UGTT aussi dans le même but, les enseignants étant les plus à même et les plus adaptés à assurer cette tâche, outre leur statut social. A notre charge alors de leur assurer la formation nécessaire et de leur attribuer une indemnité de 80 dinars par jour. Cependant, étant donné l’immensité du travail et en l’absence d’un système de contrôle ou d’une organisation de contrôle permettant de bien s’assurer de la conformité du recrutement avec les conditions affichées, il est

Vers un fondement juridique et un mécanisme de contrôle du financement des partis politiques et de la campagne électorale probable, certain même, que les formations politiques les mieux organisées ont capté l’information, qui était publique, et ont encouragé leurs partisans, sous couvert d’indépendance, à se présenter, car on n’a pas de fichiers pour les adhérents des partis politiques. Ce qui a sans doute donné l’impression que, dans certains bureaux, un parti avait une présence plus importante. Il y a tout de même un autre critère, objectif, d’évaluation qu’il importe de souligner : vous savez qu’on a ouvert 1000 bureaux spéciaux de vote pour ceux qui ne s’étaient pas inscrits volontairement et qui auraient voulu voter. Je ne veux pas revenir ici sur le débat de qui est électeur et qui ne l’est pas. Mille bureaux de vote, c’est énorme et il fallait chercher les personnes qui allaient s’en charger. Il a fallu trouver 4000 personnes pour ces bureaux de vote dans lesquels 500000 Tunisiens ont voté. Quand on compare les résultats dans ces bureaux avec ceux des autres bureaux, censés être mieux préparés, on constate que les résultats sont pratiquement les mêmes, à peu près les mêmes pourcentages pour tous les partis politiques, le différentiel étant d’un ou deux points seulement. Imaginons le cas extrême où les 1000 bureaux de vote supplémentaires seraient dominés par un seul parti, comment se faitil qu’ils produisent des résultats comparables à ceux des autres bureaux ? Décembre 2012


Interview + Mais si on affine encore davantage, on va trouver – le travail n’est pas encore finalisé – que dans certaines circonscriptions, les résultats peuvent nous amener à nous poser des questions. L’opération de vote elle-même a connu plusieurs irrégularités (au moins 6000 seraient relevées par les représentants de la société civile, nationale et internationale) : intimidation des électeurs, le fameux bureau de Paris dont le président est rentré chez lui avec les urnes, les bureaux de tri où, semble-t-il, certains membres avaient pour tâche d’ajouter une croix sur certains bulletins pour les annuler, etc. Puis, cerise sur le gâteau, l’affaire des voix en faveur d’Al-Aridha Ach-chaabia, le retard exagéré dans la déclaration officielle des résultats, l’aveu que plusieurs centaines de votants se sont avérés des décédés, etc. Sans parler de l’argent politique contre lequel on n’a rien vu se faire qu’une grève de la faim d’un membre de l’ISIE, ce qui aurait contribué à l’installation du doute à l’égard de l’instance. Par quoi expliquezvous tout cela ? > Ainsi quand certains parlent de 6000 irrégularités, le chiffre est peut-être à revoir ; mais ce n’est pas important. Il y a eu toutes les infractions que vous évoquez : Oui, il y a eu le problème du bureau que vous citez mais il est sans influence sur le résultat ; il y a eu ajout de croix pour annuler des bulletins, mais cela ne pèse pas sur le résultat. Si l’on veut donner la dimension exacte du poids de ces infractions, il faudra avancer des chiffres. Pour la décision d’annulation, elle n’a concerné qu’une erreur en

Italie, c’est ce qui a nécessité une rectification. Pour ce qui est des décédés ayant voté, il n’y en avait pas 1500, mais 160 et cela a été expliqué. Toutefois, au-delà de tout ce qui est partiel et épisodique et qui peut être utile, on peut s’attarder sur le retard, qui n’est pas du même ordre ; car pour une première expérience, c’est important d’en parler. Cela veut dire quoi « retard » ? On a déjà parlé des conditions de mise en place de l’ISIE, des personnes qui n’ont pas l’habitude de ces PV, de certaines erreurs d’addition, de cohérence, etc. Pour une première expérience, c’est énorme ! Le temps, c’est variable ! Il faut partir de l’existant. D’ailleurs, nous avons filmé l’opération : le premier PV nous est arrivé le deuxième jour à 2 heures du matin ; Imaginez le chemin qu’il met pour arriver au centre des opérations : il faut réunir les données, les transférer au bureau centralisateur, puis il y a la centralisation des données afin qu’elles parviennent enfin au centre des opérations. Autre chose, le système informatique mis en place a eu du mal à fonctionner. La priorité, c’était donc d’établir des PV manuels qui servent de base juridique et les gens attendaient. D’autre part, on a attendu plusieurs siècles pour avoir des élections libres et démocratiques ; on peut donc bien attendre 3 jours pour avoir les résultats. Il y a certes des gens qui se sont précipités pour annoncer leurs propres résultats. Or, parfois on a dû refaire le travail ou exiger de refaire le décompte. Par ailleurs, vous évoquez l’intimidation, c’est-à-dire les

infractions qui se déroulaient autour des bureaux de vote et il y en a eu. Il conviendrait peutêtre de souligner d’abord que, sur ce plan, ainsi que sur celui de l’argent et la publicité politique, il y a un vide juridique. Nous avons mis des contrôleurs autour des bureaux de vote. On a récupéré les agents d’enregistrement et on les a formés pour cette tâche ; on les a répartis pour le contrôle. On a établi la démarche, un système qui consistait à constater, à vérifier, puis transmettre au service juridique. Mais ce système n’a pas fonctionné parce que ces contrôleurs ont été redéployés pour renforcer les équipes des bureaux de vote, en raison de l’afflux des électeurs. En plus, le système n’a pas été testé, donc il n’a pas bien fonctionné. On a utilisé une technologie utilisée dans d’autres pays, mais qui n’a pas été forcément adaptée à la Tunisie. D’un autre côté, on a eu très peu de sollicitations, y compris des associations concernées. S’il ne s’agit que d’observer, c’est bon ; mais coopérer pour aboutir à des réactions, à des sanctions éventuellement, en tout cas à des actions est une entreprise bien plus complexe. Quant à la grève de la faim d’un membre de l’ISIE, c’est une protestation contre la publicité politique. En fait, il y avait à l’époque deux choses, voire trois. Il y a la question du financement des partis politiques pour lequel on a un vide juridique total ; il y a aussi le financement de la campagne électorale, qui est un financement public auquel ont droit toutes les listes avec

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Interview + cependant une contrepartie, celle d’un contrôle de ce financement. Entretemps il y a eu, enfin, le problème de la publicité politique parce que certains partis ont continué à fausser notre lecture de la publicité politique ; ils ne se sont pas conformés à notre décision de l’interdire dans les limites de certains délais. C’est ainsi qu’un collègue a protesté, de façon personnelle, contre ce qu’il a considéré comme une provocation, une manière d’ignorer et de mépriser l’instance. Par contre, pour le financement des partis politiques, on ne dispose d’aucun instrument. De toute façon, on n’était pas chargé de le faire. Même l’Etat, à cette époque, ne pouvait pas le faire. Pour l’avenir, il faudra donc se préparer à cela. Même dans les pays les plus développés, ce sujet n’arrête pas de faire débat et, parfois, de faire scandale. Il faut dire que la Cour des comptes a publié son rapport relatif au financement de la campagne électorale, rapport dont on peut tirer des enseignements. Il y a la loi sur les partis politiques qui doit traiter de cette question importante, le financement, qui a un effet direct sur les résultats des élections. Il y a la question de la publicité politique aussi qui est une forme de financement indirect qui doit être traitée. Certains pays l’interdisent à partir d’une certaine date, par souci d’égalité et d’équité. Par rapport à l’annulation de certaines listes d’Al-Aridha Ach-Chaabia, d’aucuns ont prétendu qu’elle est basée sur des considérations politiques. Ce n’est pas exact. Le contrôle Tr i b u n e p o u r t o u s

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dont ces listes ont fait l’objet (contrôle assuré par des magistrats de la Cour des comptes, en plus d’experts du ministère des Finances), a relevé des infractions réelles, et cela ne concernait pas Al-Aridha seulement. Nous, nous étions de bonne foi. Puis le Tribunal administratif en a jugé autrement ; il a le dernier mot. Que pensez-vous alors de ces propos de Hamma Hammami : « Nous lui reprochons principalement le fait qu’il n’a pas dénoncé le financement des partis. Non plus d’ailleurs que le gouvernement Béji Caïd Essebsi. En plus, il n’y a eu aucune enquête concernant certains bureaux de vote où il y a eu réellement des irrégularités graves… Lorsque nous l’avions dit à l’époque, personne ne nous a pris au sérieux » et il ajoute : « Une personnalité en qui j’ai entièrement confiance m’avait assuré qu’il y a entre 400000 et 500000 de voix suspectes » ?

> Pour la substance du propos, je viens de répondre. Quant à l’attitude de M. Hamma Hammami à propos du financement politique, s’il veut que cela soit structuré juridiquement, il faut qu’il milite pour cet objectif. En tout cas, ce n’était

pas à l’instance de le faire dans les conditions qui étaient les siennes : ni moyens humains, ni une assise juridique. L’Etat lui-même est à l’épreuve sur cet objectif, ainsi que sur le rôle immédiat des médias, qui est fondamental. Il faut espérer que les choses évoluent vers un fondement juridique nécessaire et un mécanisme de contrôle efficace du financement des partis politiques et de la campagne électorale. Quant à la personne qui lui a dit qu’il y a entre 400000 et 500000 de voix suspectes, j’ignore qui, je ne sais pas ce que cela veut dire ; mais s’il y a des preuves, il faut les donner. Il conviendrait d’éviter d’utiliser des déclarations et des chiffres de toute pièce. M. Hamma Hammami assume la responsabilité de ce qu’il dit, je ne me sens pas visé. On vous a reproché aussi de verser dans le show politique en organisant des cérémonies et des réceptions qui n’étaient pas de votre ressort ? > En fait, à partir d’un élément fuité et sans valeur juridique, certains cherchent à extraire les éléments de leur contexte Décembre 2012


Interview + et à fabriquer un semblant d’accusation. On veut nous mettre dans la position d’accusés.

sommes une institution publique, la loi dit qu’il faut établir un rapport ; la rencontre se justifie par la présentation de ce rapport aux médias et à l’opinion publique.

La démocratie est le moins mauvais de tous les systèmes

Dans le même esprit, nous avons pris une autre initiative, tenue le 18 mai 2012, à laquelle ont participé les trois présidents, des députés, plusieurs partis politiques pour ne pas dire l’écrasante majorité de la classe politique, pour annoncer la fin de nos travaux. Vous pensez que ce n’est pas notre rôle ? Je respecte votre opinion, mais telle est la mienne.

Prenons la cérémonie en hommage aux martyrs et aux blessés de la révolution, organisée à la Cité olympique ! Notre motivation, après des élections réussies, c’était, en tant qu’institution publique, de rendre hommage, par cette rencontre, à nos martyrs, à nos blessés et à leurs familles pour leur dire : « Merci, c’est grâce à vos sacrifices, grâce à vos enfants, à votre douleur, que nous avons réussi les élections ». Nous étions la seule instance publique à avoir pris cette initiative. Nous nous sommes sentis le devoir de le faire. Ce n’est pas de notre ressort, nous dit-on ? Je respecte cette position. Nous, nous avons considéré qu’il était de notre devoir de le faire. Il y a aussi la première rencontre de la Commission centrale organisée avec les IRIE, n’estce pas normal de rencontrer les personnes des IRIE qu’on n’a pas eu le temps de regrouper avant les élections? Nous l’avons fait ; c’est dans notre mission. On aurait dû le faire plus souvent, mais on l’a fait une seule fois pour les remercier du travail qu’ils ont fait. L’ISIE, ce sont toutes ces personnes. C’est la moindre des choses que de rendre hommage à leur mérite. Il y a eu encore l’annonce de notre rapport d’activité : nous

Il y a enfin la journée d’étude, le 23 octobre 2012, un an après les élections, pour présenter de la matière aux différents intervenants – députés, partis politiques, médias, que sais-je d’autre ? – matière qui permette de mieux comprendre cette expérience, ses acquis, ses défauts, ses insuffisances et de donner des pistes concrètes, matérielles, écrites sur des recommandations pour le présent et l’avenir de l’instance. C’est aussi notre mission. Simplement là, si les autres activités ont été financées par le budget de l’ISIE, celle-là, contrairement à ce qui a été dit des 130000 dinars qu’elle a coûtés, elle a été totalement supportée par une fondation qui a pignon sur rue et que nous nommerons, quand nous publierons nos réponses et nous la remercierons. De toute façon, ce n’est pas de la démonstration politique, ni du show politique ! Ce n’est pas notre préoccupation et si nous avions voulu le faire, nous l’aurions sûrement fait différemment. Le considérer ainsi et le croire, c’est ridicule et simpliste. C’est tout

simplement notre lecture de notre mission et cela fait partie du travail de l’ISIE. D’ailleurs, on n’a pas assez fait avec les médias, par exemple, avec les partis politiques aussi, surtout après les élections, et avec la société civile. Les conditions dans lesquelles on était, limitaient notre initiative ; mais on aurait dû le faire. Cependant, malgré tous ces reproches imputables à tout travail humain, surtout dans une première expérience du genre, la conduite à terme des élections est, en soi, une grande performance et un moment historique dans l’Histoire de la Tunisie, un moment nodal de sa transition démocratique. Pensezvous qu’avec les nouvelles attitudes de dénigrement de son travail, on soit déjà au stade de mise en danger de cette transition ? > Là aussi j’ai déjà avancé des éléments de réponse, par anticipation. Il importe cependant d’insister sur le travail considérable, monumental, qui a été réalisé, sans parler du travail bénévole qui a été accompli. Tout cela a fait la réussite de l’expérience électorale. Un jour, l’Histoire dira l’importance de ce travail et cela me rend fier pour mon pays et pour les Tunisiens. C’est pour cela que nous avons réalisé un film sur cette opération, pour l’Histoire. Personnellement, à chaque fois que je le regarde, je suis ému par cette rencontre avec les visages des Tunisiens. C’est déjà un résultat considérable que d’avoir réussi ces élections, car nous doutions de nous-mêmes, mais nous avons relevé le défi, ensemble. Nous ne cherchons pas à être remerciés. Il nous suffit de rappeler qu’il y a deux dates dans la Tunisie :

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Interview + la révolution du 14 janvier qui a annoncé le printemps arabe et puis les élections. Il n’y en a pas d’autres ! Cela est un constat objectif. C’est là que tout le monde, pas seulement moi, doit réagir : cela me rend, (comment dire ?), agacé quand on touche à cet acquis qui a commencé à faire de nous des citoyens. Car c’est un acte de naissance de la citoyenneté. Et quand on veut nuire à cela, je ne peux pas l’accepter. Il ne faut pas le regarder avec le regard de ceux qui sont déçus par le résultat, et qui seraient tentés de le regarder avec mépris. J’appelle tout le monde à penser cet acte important. Avec la campagne actuelle, contre moi et à travers moi, contre cet acquis, plusieurs personnes sont amenées à douter. Il y a toujours des mauvais perdants, je n’y peux rien. Ensuite, il y a les nostalgiques de l’ancien système qui y trouvent une mauvaise nouvelle pour leur nostalgie idéologique totalitaire où le peuple était traité comme un troupeau de moutons. Il est temps pour eux de comprendre la citation de Churchill : « La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes.» A votre avis, au-delà des recommandations du rapport de l’ISIE, quelle serait la démarche la plus efficace pour tirer profit des acquis et des réussites de la première ISIE, en rectifiant les erreurs et en comblant les lacunes et les insuffisances ? > Nous constatons d’abord qu’on nous a écartés de toutes les instances élaborant la nouvelle Tr i b u n e p o u r t o u s

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ISIE. On n’a pas été consulté, ni par la commission du gouvernement qui a travaillé sur le projet pendant plus de deux mois, ni par la commission de législation générale de l’ANC. Ils se sont limités à nous inviter, en septembre 2012, pour présenter notre avis, dans le cadre de qu’on appelle une séance d’écoute. Et le comble de l’affaire, c’est que notre invitation a même fait l’objet d’un vote, des députés refusent de nous entendre ! Des députés qui ont été élus grâce à cette ISIE et à son pilotage de l’opération électorale!! C’est quand même le comble. Mais, que voulez-vous ? Libre à chacun de tirer les conclusions de ces épiphénomènes ; mais ce sont des faits qui indiquent bien l’état d’esprit dans lequel certaines personnes, certains députés même travaillent sur le rejet de l’ISIE, ce qui rejaillit d’ailleurs sur le travail d’élaboration du projet de la nouvelle ISIE. Ce que je peux dire rapidement de ce projet, c’est que, tel qu’il a été soumis, il paraît fondé sur une philosophie qui pose problème parce qu’il est basé sur « qui va être ? » dans l’instance, donc sur les personnes. Du coup, tout le reste en découle. On a donc une instance juridique basée d’abord sur qui va y être, et avec différents cas de figures. Alors, il y a dans un premier temps une approche qui prônait la rupture avec l’ancienne ISIE. D’ailleurs, cela s’est matérialisé par la dénomination : le premier projet gouvernemental disait « Instance nationale » et non pas supérieure ; en quelque sorte on a voulu nationaliser l’instance comme si l’ISIE était en dehors de la nation ; il y a eu un débat, mais les choses sont rentrées dans

l’ordre et maintenant, elle est ISIE. Bien, mais toujours la question mise comme préalable : « Qui va être dans cette ISIE permanente ? », et après on construit le reste.

Je comprends et j’interprète cette démarche comme une volonté d’écarter au maximum l’ISIE actuelle. Et quand bien même des membres de l’ISIE actuelle vont être partiellement présents, la philosophie de ce projet vise à vider de sa substance les prérogatives des membres de l’instance. Je m’explique : l’ISIE, dans ce projet, est composée d’un conseil et d’une direction générale administrative et financière. Le projet ne définit aucune prérogative pour le conseil. Quelles seraient les prérogatives du président ? Il se contente de convoquer les réunions, d’être le représentant légal de l’instance et de faire l’ordonnateur des dépenses. A part cela, rien ! Par contre, pour le directeur exécutif, on a une liste interminable de prérogatives. En fait le projet lui donne l’ensemble des prérogatives qui sont celles du conseil et du président. Et comme la philosophie du projet est toujours fondée sur le « Qui va être ? », il Décembre 2012


Interview + faut bien qu’on contrôle ceux qui vont être. Le président délègue au directeur exécutif les prérogatives que la loi a définies pour le directeur exécutif. Mais qui est responsable ? Le responsable, c’est le président. Donc le directeur exécutif peut faire ce qu’il veut et c’est le président qui assume. Et comme il y a des « abrutis » qui veulent être absolument à l’ISIE, on va leur mettre un système de contrôle hybride de telle façon qu’il ne fonctionne pas normalement. Et puis, il y a d’autres éléments, quant au pouvoir réglementaire, et bien d’autres questions…

un calendrier à mettre en place, ce qui relève de la compétence de l’ISIE. Puis, outre le calendrier, il s’agira de prendre en considération les préalables au fonctionnement de l’ISIE : le recrutement, la formation et tout ce qui se rapporte à ce fonctionnement. Le temps nécessaire à ces préalables est incompressible. En tenant compte de tout cela, il faut un minimum de 8 à 10 mois. Mais la loi électorale n’existe pas encore, ce qui rend la date aléatoire. On ne peut donc que donner un ordre de grandeur à partir de notre modeste expérience.

En fait, cette construction va donner une ISIE qui, non seulement, n’est pas indépendante ; mais qui est ingérable et qui va donner une administration électorale, purement bureaucratique, totalement incontrôlable par le conseil de l’ISIE.

Outre le préalable législatif qu’est le code électoral, il faut la garantie d’un environnement juridique sécurisé, sécurisé sur le financement politique, sur les médias, sur les droits fondamentaux et les libertés publiques comme la liberté d’expression et de réunion, et sécurisé d’un point de vue sécuritaire. Tout cela peut influencer la date. Il faut donc créer les conditions pour un bon déroulement des élections. C’est pourquoi un délai de 8 à 10 mois me paraît probable et encore il faut travailler dur, plus dur qu’avant, parce que plusieurs éléments ont changé.

La question est de savoir si c’est de cela que le pays a besoin maintenant et de se demander à qui profite une ISIE affaiblie, non indépendante et ingérable. Pour ma part, je crains fort qu’on va dans la mauvaise direction ; j’espère me tromper, je l’espère de tout mon cœur. Quelle est la date la plus plausible à votre avis pour les prochaines élections ? > On va dire qu’il y a deux éléments à souligner : d’abord, la date sera déterminée par la Constitution. Pour cette étape de transition, cela découle du code électoral, ce dernier étant de la seule compétence du législateur. Lequel code doit se traduire par

Il importe de signaler par exemple que désormais, le gouvernement est élu, certes par l’ANC, et est directement concerné par l’issue des élections. Comment trouver avec lui l’équation viable pour des élections sans influence, tout en sachant qu’il est concerné ? L’administration a changé ; c’est sans doute légitime, mais comment, alors, garantir

l’indépendance de l’action du personnel de l’ISIE ? Comment va travailler une petite équipe de 5 ou 6 personnes dans une circonscription ou une des régions de la Tunisie ? Et si l’échiquier politique a changé, comment sauvegarder l’indépendance de l’ISIE face aux pressions des comités de ceux-ci ou de ceux-là, de l’administration locale, etc. ? Tout cela va impacter le travail et la prestation de l’ISIE. Et donc si nous disons que nous aimons vraiment la Tunisie, que nous voulons vraiment la démocratie et des élections libres conformes aux standards internationaux, notre intérêt est que l’ISIE soit indépendante, opérationnelle et forte. Parce que nos attentes sont fortes, il nous faut une ISIE forte et non une ISIE qui va servir pour certains de bouc émissaire, pour des choses qui peuvent être très dangereuses et très graves pour le pays. Ce n’est pas une ISIE audessus de la loi, mais une ISIE respectueuse de la loi et en même temps aussi forte que le sont les attentes des Tunisiens, et les défis à relever, notamment en matière d’indépendance ; l’essentiel est que cette ISIE organise des élections dont les résultats ne seront pas contestés. Quels que soient les résultats par ailleurs. Au cas où vous ne seriez pas reconduit à la tête de l’ISIE, comment envisageriez-vous votre avenir politique ? > (réponse éludée). Quel est le dernier mot de cet entretien ? > Garder confiance.

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Lettre ouverte de l’UTICA au ministre des Finances par intérim, Slim Besbès cadre d’une concertation avec les professionnels d’un secteur qui emploie plusieurs milliers de personnes, la Chambre syndicale des producteurs de boissons alcoolisées tient à vous apporter les éclaircissements suivants : Ouided Bouchamaoui

Suite à une déclaration du ministre des Finances par intérim à propos de la révision du droit de consommation sur les boissons alcoolisées dans le projet de la Loi de Finances 2013, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), lui a adressé une lettre ouverte dont voici le texte: « Dans votre interview accordée à l’agence TAP et relayée par le journal La Presse du 11 novembre 2012 vous avez donné des précisions sur la Loi de Finances 2013 et fait remarquer, concernant la révision du droit de consommation sur les boissons alcoolisées, que ‘la taxe appliquée sur les boissons produites localement sera régularisée, vue sa faible pression fiscale, alors que les boissons alcoolisées importées ne seront pas concernées par ladite hausse’. Tout en regrettant de ne pas avoir été associé par votre ministère à ce projet, dans le Tr i b u n e p o u r t o u s

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Tout d’abord, il est nonconforme à la réalité d’affirmer que la bière et le vin subissent une faible pression fiscale, puisque, par rapport aux boissons alcoolisées importées (whisky, vodka, cognac…), la bière, qui contient que 5° d’alcool, paie un droit de consommation de presque 200%, alors que le whisky, qui contient 45°, soit 9 fois plus d’alcool, paie 395%. L’augmentation du droit de consommation, telle qu’annoncée sur le vin et la bière, ne ferait qu’aggraver cet anomalie puisque la bière, faiblement alcoolisée, supporterait le même droit de consommation que le whisky qui, selon votre déclaration, subit une pression fiscale trop forte qu’il ne faudrait pas augmenter. Nous sommes en droit d’attendre, Monsieur le ministre, que votre département encourage les produits fabriqués localement, lesquels font travailler des milliers de personnes et font vivre des milliers d’agriculteurs, en maintenant ou en diminuant la

Slim Besbes.

pression fiscale actuelle, qui est la plus forte de la région, et non en l’augmentant, favorisant ainsi les produits importés fortement alcoolisés. Une augmentation violente du droit de consommation, entraînant une forte augmentation des prix, aurait des répercussions néfastes sur les emplois précités et porterait un préjudice considérable à l’hôtellerie et à la restauration. Son impact financier sur les charges des hôteliers serait bien plus important que la taxe de deux dinars par nuitée que votre ministère s’est résolu à différer au 31 octobre 2012. Conscients des difficultés budgétaires, nous nous adressons à vous, Monsieur le ministre, afin d’apporter notre collaboration pour trouver une solution qui léserait le moins possible l’activité économique ». Wafa F.M. Décembre 2012


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Décès d’Aziz Miled: le départ d’un grand promoteur Aziz Miled est parti, un mercredi 7 novembre 2012 à Tunis, discrètement comme il a toujours été, peu porté sur le show, simplement soucieux de travailler, de bosser au point d’accéder au statut de « Grand Boss ». Il est parti, sans doute un peu tôt, car il n’avait que 72 ans, mais personne ne décide vraiment de la date fatidique du grand départ. Avec sa mort, c’est non seulement le secteur du tourisme, mais tout le monde des affaires aussi qui sont en deuil. Pourtant, il a commencé comme petit fonctionnaire de l’Office du tourisme, après une brève expérience à Tunisair ; mais il était en plein dans sa passion et il n’allait pas lâcher prise. Il savait

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que la vie se gagnait à coup de labeur et de ténacité et que les affaires réussissaient ainsi aussi. Aziz Miled, le travail, ça le connaît. Dès son plus jeune âge, il n’hésitait ni à aller, dans les villes balnéaires, vendre à la criée des tapis traditionnels, ni à travailler comme employé saisonnier dans les hôtels. Puis, avec son diplôme de l’Ecole de tourisme de Nice, il plongea dans les vagues d’un secteur naissant de la Tunisie indépendante et se fit voyagistepromoteur du nouveau secteur. Ce n’est qu’en janvier 1968 qu’Aziz Miled créa son propre groupe, la fameuse T.T.S. (Tunisian Travel Service) et que la grande aventure allait prendre

petit à petit les dimensions de l’ambition, de l’enthousiasme et du labeur du jeune entrepreneur. C’est ainsi qu’il y a maintenant Nouvelair, la compagnie aérienne, qu’il y a la marina de Cap Carthage, etc. Finalement, Aziz Miled a couvé silencieusement son méchant cancer, le temps qu’il fallut, avant de tirer sa révérence et d’aller reposer dans le sol de sa ville natale, Kairouan où il naquit en 1940. Dieu ait son âme, il a su, à sa manière servir son pays et donner sens à sa vie ! N’est-ce pas cela, le sens même de la vie ?

Nous sommes les invités de l’olivier

ous sommes 11 millions d’habitants en Tunisie mais 65 millions d’oliviers ; nous arrivons, nous naissons et on le trouve cet olivier ; puis, nous partons et on le laisse. Nous sommes les invités de l’olivier, nous vivons dans le berceau des valeurs que nous renvoie l’olivier. Je voudrais dire que l’olivier c’est notre civilisation. Pourquoi ? Parce que l’existence de l’olivier a fait que le Tunisien, dans le temps lointain, qui était berbère, Carthaginois et punique, a pu inventer – et quand je dis inventer, c’est dans le vrai sens du mot, c’était ingénieux de le voir – le pressoir romain et la

meule romaine, les séparateurs par décantation et les bassins de décantation… : chose que nous pouvons affirmer, c’étaient nos racines dans la technologie. Qu’est-ce qui a permis ça ? C’est l’olivier. L’olivier, c’est notre civilisation parce que du fait qu’on a développé cette technologie d’extraction du jus du fruit de l’olivier, l’huile d’olivier, on a inventé. Ensuite, la nécessité a fait qu’on développe l’emballage ; visitez les musées de la Tunisie et vous verrez les jarres qui servaient à exporter, à transporter, à conserver ce produit-là. Tout cela a permis de faire déplacer le produit,

Vincent van Gogh. La cueillette des olives

c’est-à-dire de l’exporter ou de le vendre et, de là, toute une vie commerciale a débuté avec l’olivier. Je crois qu’en apprenant à respecter l’olivier on apprend à respecter la nature entière et l’humanité entière. Abdelwahab Mahjoub (Universitaire sociologue)

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Eco +

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La perduration de la fermeture d’Afripaper: un autre cas de mise en péril de l’économie tunisienne Il y a maintenant presqu’une année que l’usine de papier de Chebika (Kairouan), Afripaper, a arrêté sa production. La décision a été prise suite à ce que le directeur général avait désigné à l’époque comme « une campagne calomnieuse, contre l’usine, menée par 6 personnes qui propageaient des rumeurs sur Facebook » selon lesquelles l’usine, soupçonnée d’un quelconque rapport aux Trabelsi, poserait un grave problème de pollution. Selon la direction générale de l’usine, Abdelfattah Mahjoub, propriétaire d’Afripaper, est originaire de Msaken (Sousse) et n’entretenait aucun rapport avec l’épouse du président. L’usine Afripaper, précisait-on, n’utilise aucune substance chimique et ne pose aucun problème pour l’environnement comme le précisent les rapports élaborés par les services chargés de l’environnement, contrairement aux rôles économique et social qu’elle joue au profit de la région et du pays.

Rappelons que les habitants de Chbika avaient, dans le temps, observé un sit-in devant l’usine pour réclamer la fermeture de cette usine employant une centaine de personnes, et que les employés de l’usine avaient séquestré deux responsables de l’usine qui n’ont pu être libérés qu’après l’intervention de la garde nationale.

possibles, n’est-ce pas important de se poser la question : Jusqu’à quand la fermeture sera-telle maintenue ? Le problème est même plus grave puisqu’il concerne plusieurs entreprises et plusieurs hommes d’affaires, maintenus dans une paralysante indécision altérant largement le processus de relance économique et d’apaisement social.

Au-delà de tous les contentieux

A.B.A.

Billets retirés de la circulation La Banque centrale de Tunisie (BCT), a rendu public un communiqué, ce jeudi 8 novembre, dans lequel la BCT a annoncé avoir décidé ce qui suit : • Retrait des billets de 30 dinars (année 1997) • Remplacement des billets de 20 dinars (année 1992) • Remplacement des billets de

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50 dinars (année 2008). Ces billets seront donc retirés de la circulation parce qu’ils portent des symboles de l’ancien régime. Les 3 types de billets cesseront d’avoir cours légal le 1er janvier 2013, mais resteront échangeables auprès de la Banque Centrale de Tunisie, jusqu’au 31 décembre 2017. Décembre 2012


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La femme tunisienne: to be or not to be

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e propre de la révolution tunisienne est qu’elle n’avait ni leader, ni arrièreplan idéologique, dit-on. La levée en masse du peuple, « ech-chaab », qui s’est imposé comme un acteur politique, libre et puissant, a causé la chute immédiate du dictateur et des murs du silence et de la peur. Du jour au lendemain, et après cinquante ans de dictature qui les a unis dans l’exclusion, les ex-opposants de tous bords, se (re)trouvent dans un violent face à face. L’entrée dans l’espace (médiatique et politique) se fait moins sur des programmes socio-économiques que sur des idéologies et sur la représentation de la Tunisie après Ben Ali et son illustre prédécesseur. Les « querelles » entre les conservateurs et les progressistes rappellent celles qui ont opposé les chefs politiques au lendemain de l’indépendance. Elles s’expriment dans la même rhétorique, se cristallisent autour des mêmes questions avec une place privilégiée pour la femme : pilier, outil et cible de tout pouvoir. La situation « exceptionnelle » de la femme tunisienne fait l’objet de débats et ses acquis (politiques, sociaux et juridiques) sont réévalués à l’aune de la double législation, islamique et civique. Durant leur campagne électorale, les chefs d’Ennahda ont joué efficacement sur les deux tableaux : ils ont insisté sur la sauvegarde des acquis de la femme (et adopté, avec moins de réticence

que certains progressistes, le principe de la parité dans les listes électorales) et réajusté à leur taille le code du statut personnel (CSP) en amendant quelques articles qui ne touchent pas directement au vécu de la femme (comme la tutelle en substitut de l’adoption) et en réécrivant l’histoire (des textes et des hommes). Dans les meetings, les candidates nahdaouies répètent (à la suite de Rached Gannouchi) que le CSP est l’initiative d’un Cheikh de la Zitouna « digne de foi » (Abdelaziz Djaïet), initiative, ajoutent-elles, qui fut reprise et institutionnalisée par les fondateurs de la Première République. C’est ainsi que les noms de Bourguiba (le « laïc » formé à l’école occidentale) et de Tahar Haddad (le rebelle zitounien) furent écartés, qu’un lien fut scellé entre Islam et liberté, lois divines et lois positives, droits de la musulmane et droits de la citoyenne et que, par ricochet, les démocrates furent mis hors-

Par Monia Kallel

jeu. Non seulement ils n’ont rien à proposer aux électeurs (rien qui ne figure déjà dans la pensée islamique), mais ils sont associés à l’Occident, d’un côté, aux dictateurs et aux échecs passés d’un autre côté. Un an après, les femmes, y compris celles qui ont contribué (comme militantes ou électrices) à l’accès du parti islamiste au pouvoir, voient que leurs libertés (privée et publique) se rétrécissent aussi bien au niveau du vécu que des débats d’idées et des projets de lois. Ce changement va impulser un souffle nouveau au combat des tunisiennes qui investissent massivement la scène politique. Si, dans les partis, leur présence reste timide, elles effectuent un travail remarquable au sein des associations dont le nombre augmente et les activités deviennent plus variées et plus ciblées. Défendre les acquis, constitutionnaliser « les

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44 droits humains de la femme » (tels qu’ils sont mandatés par la CEDAW, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes), diffuser la culture de l’égalité, la parité, la citoyenneté effective des femmes, réhabiliter leur rôle dans l’histoire sont les objectifs principaux des ONG. Le travail se fait sur le terrain (auprès de la femme rurale et citadine), et aussi dans des ateliers de réflexion, des séminaires, des manifestations culturelles… Mais face à la montée de l’extrémisme religieux et à la régression de la situation sécuritaire, face aux tergiversations et aux lenteurs dans la rédaction de la constitution, les ONG se réorganisent et développent d’importants réseaux de communication à l’échelle locale, nationale, arabe, africaine et internationale) en vue de lutter efficacement contre toutes les formes de discrimination notamment celles basées sur le sexe. En 2012, quinze associations ont créé la « Coalition pour les Femmes de Tunisie » et élaboré un projet de Constitutionnalisation des Droits des Femmes en tant que droits humains, signé par près d’une cinquantaine d’associations de femmes et remis au Dr Mustapha Ben Jaâfar, Président de l’Assemblée Nationale Constituante. Ce travail de réseautage vise à faire pression sur les pouvoirs (exécutif et législatif ), et à nouer le dialogue entre les femmes quelle que soit leur obédience politique ou idéologique. Il faut dire qu’Ennahda n’a cessé d’alimenter les braises et que les occasions n’ont pas manqué. Le projet de l’article 28, par exemple, Tr i b u n e p o u r t o u s

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a suscité une vive polémique et alimenté des débats autour des notions de « complémentarité » vs «égalité ». Malgré les divergences et les tensions, ces rencontres ont permis de saisir la « logique » des unes et des autres et de trouver une « zone de contact » (Bakhtine) entre les différentes participantes. Les nahdaouies semblent moins préoccupées par la citoyenneté que par l’identité arabo-musulmane et s’expriment dans un discours paternaliste. Elles sont, par ailleurs, très attachées aux principes fondateurs de la citoyenneté à savoir la liberté, le droit au travail, le partage des rôles… Le cas de la jeune femme violéeaccusée dans la nuit du 3-4 septembre fut une véritable onde de choc. Les déclarations du porteparole du ministère de l’intérieur et de certains chefs politiques qui ont tenté d’expliquer et de contextualiser cet acte crapuleux, ont mobilisé toute la société civile, redynamisé les échanges et élargi la plate-forme d’entente. Il se dégage du plaidoyer des femmes nahdaouies que leur engagement dans le parti relève plus d’une logique compassionnelle et relationnelle que d’une orthodoxie religieuse ou d’une morale rigide omniprésentes dans le discours de leurs homologues masculins. Eux parlent de normativité et de légalité islamiques et se réfèrent à la charia. Elles sont plus sensibles à l’équité, à la justice sociale, et évoquent souvent leur histoire, et l’équilibre perdu de la famille traditionnelle (qu’elles comparent presque systématiquement à la famille occidentale, éclatée et donc source de tous les maux). Un grand nombre de militantes (et de sympathisantes) ont

adhéré au mouvement par l’influence d’un proche, ou suite à l’emprisonnement d’un mari, un père ou un frère qu’elles ont dû, par la suite, remplacer dans leurs rôles habituels. Légalité, parité, justice, c’est sur cette plate-forme que s’est constitué, début septembre, un groupe de femmes à l’ANC dont l’objectif est de créer une commission des Droits des femmes qui sera valable pour les futurs parlements des Tunisiens. Le début de cette initiative fut timide (seules quelques nahdaouies ont salué l’initiative de Selma Baccar). La députée Nadia Chaabane explique que « la transversalité des thématiques » qui devait les unir se réduisait à un « minima » qui n’était même pas perceptible à toutes. Mais l’affaire du viol suivie de l’affaire de Bahri Jlassi (qui appelle entre autres au mariage des mineures) resserre les rangs des parlementaires qui signent, fin septembre, leur premier communiqué commun pour dénoncer les abus et les violences exercés sur les femmes au nom de l’Islam. A part quelques irréductibles, et quelques dépositaires fidèles d’une pensée figée, les parlementaires semblent bien décidées à approfondir cette coopération et à repenser les grandes questions (identité, modernité, démocratie, religion) en les articulant sur l’histoire, la mémoire, le vécu et non sur des théories ou des systèmes préconstruits. Le dialogue par, avec et entre les femmes (à l’intérieur et à l’extérieur de l’ANC) est donc bien lancé. Il s’inscrit dans un contexte marqué par la polarité entre traditionalistes/progressistes, conservateurs/ laïcs, une polarité Décembre 2012


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dont souffre actuellement la société tunisienne, et que les partis politiques maintiennent en voulant la briser. Et plus ils en parlent, plus ils la creusent et l’aggravent. Mais ce travail coopératif ne peut être efficient que s’il s’approfondit et s’étend à tous les secteurs de la vie publique. L’amélioration des conditions de la femme (travail, santé, circulation dans l’espace public), la lutte contre la violence et l’insécurité, et le maintien de la paix font désormais partie des activités inter-associatives. Les consultations déjà entamées avec le gouvernement (ministères des Droits de l’homme, des Finances,

de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères) portent sur différents projets (réforme de la police, de l’administration pénitentiaire, des services d’enquêtes et de poursuites pénales…). L’« ongisation des Droits des femmes » (Vanessa Farr) est un long « processus » qui nécessite un «dialogue social» comme l’ont signalé les participantes au séminaire organisée par l’AFTURD (le 20 novembre 2012) sous le titre « Eliminer la Discrimination et Renforcer la Paix et la sécurité des Femmes dans la région MOAN ». (Moyen

Orient et Afrique du Nord). Ces activités quotidiennes menées auprès des autorités et des citoyens pour le respect de l’intégrité (physique et morale) des femmes, pour la reconnaissance de leurs compétences, de leurs spécificités et de leurs autonomies doivent être complétées et consolidées par la recherche académique, cela nécessite la création d’un département spécialisé dans les Etudes féminines et dans la notion de « gender » bien avancées dans certains pays arabes (comme le Maroc et le Liban). L’Université tunisienne devrait (s’) investir dans ce domaine…

Message de Ban Ki-Moon,

Secrétaire général de l’ONU, à l’occasion du 25 novembre (Célébration de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes)

‘’ Dans le monde entier, des millions de femmes et de filles sont agressées, battues, violées, mutilées ou même assassinées, victimes en cela de violations choquantes de leurs droits fondamentaux. Que ce soit sur le champ de bataille, dans leur propre foyer, dans la rue, à l’école, sur leur lieu de travail ou au sein de leur communauté, la proportion de femmes qui subissent des sévices physiques ou sexuels à un moment de leur vie peut atteindre 70 %, et jusqu’à un quart de l’ensemble des femmes enceintes. Bien trop souvent, les auteurs ne sont pas inquiétés. Les femmes et les filles n’osent pas les dénoncer, en raison de l’impunité qui prévaut. Il nous faut lutter contre la peur et la honte chez ces victimes qui, après avoir connu le calvaire, doivent encore endurer les effets de la stigmatisation qui les frappe. Ce sont les bourreaux qui devraient avoir honte, pas leurs victimes. Ma campagne « Tous unis pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes » a pour but de mobiliser les gouvernements, les organisations internationales, les groupes de la société civile, les médias et les citoyens ordinaires. L’an dernier, nous avons demandé à des jeunes du monde entier comment ils comptaient contribuer à la promotion de cette cause essentielle; leurs réponses m’ont semblé très encourageantes. Beaucoup ont appelé à combattre l’ignorance. Ils ont estimé que nous ne devrions pas fermer les yeux sur les comportements répréhensibles et réclamé que nous défendions plus ardemment les droits de l’homme et prêtions main forte aux victimes. Un jeune homme a dit en toute simplicité que les garçons pouvaient lutter contre la violence à l’égard des femmes en s’efforçant de devenir des pères et des maris responsables et respectueux. L’ONU s’investit sur tous ces fronts. Nous menons des programmes de sensibilisation du grand public. Pas plus tard que ce mois-ci, notre fonds d’affectation spéciale à l’appui de la lutte contre la violence à l’égard des femmes a annoncé qu’il entendait consacrer 8 millions de dollars à des initiatives locales réparties dans 18 pays. Les membres de mon réseau d’hommes influents, dont le nombre va croissant, combattent la violence en informant le public, en plaidant pour de meilleures lois et en exigeant des gouvernements qu’ils rendent des comptes. En nous appuyant sur ces initiatives, nous devons remettre en cause les fondements mêmes de la culture de discrimination qui permet à la violence de se perpétuer. À l’occasion de cette Journée internationale, je demande à tous les gouvernements de tenir l’engagement qu’ils ont pris de faire cesser toutes les formes de violence contre les femmes et les filles dans toutes les régions du monde, et j’exhorte tout un chacun à soutenir la réalisation de cet objectif important.’’ (D’après communiqué) Décembre 2012 Tr i b u n e p o u r t o u s

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Journée Internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes: des hommes témoignent Le 25 novembre 2012 a été fêtée, en Tunisie comme ailleurs, conformément à une décision des Nations Unies, la Journée Internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes. A l’origine ? L’assassinat de deux sœurs en République Dominicaine parce qu’elles luttaient pour leurs droits. La femme continue d’être battue partout dans le monde : aux USA, en Afrique, et ailleurs. En Tunisie aussi. Les Tunisiennes ont organisé une marche pour célébrer cette journée et plusieurs hommes se sont associés à leur cause. D’autres hommes ont réagi spontanément sur les réseaux sociaux. Nous avons sélectionné, à titre symbolique, trois de ces témoignages masculins de soutien pour la femme tunisienne dans sa lutte pour la dignité. Mohamed Ali Halouani (Candidat du Parti Ettajdid contre Ben Ali en 2004) a noté sur sa page facebook, le 25 novembre 2012, Journée Mondiale contre la violence sur les femmes, pour commenter le désengagement du gouvernement tunisien de la Convention Mondiale contre la ségrégation contre les femmes) : C’est dans la nature d’un gouvernement islamiste de

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ne pas souscrire aux droits universels des femmes reconnus par la charte des droits de l’homme. L’islamisme, c’està-dire l’Islam politique, considère que la femme n’est pas tout à fait l’égale juridique de l’homme parce qu’elle a des attributs et des attributions sexuelles différentes!!! D’où l’obligation pour elle d’avoir une protection masculine, soit son mari ou bien quelqu’un de sa parentèle proche. En somme, la femme possède dans ce cas la personnalité d’un citoyen en situation de minorité juridique. Comment voulez-vous alors qu’elle soit reconnue comme étant l’égale à part entière de l’homme? Mounir Mestiri (responsable local dans le secteur de la culture): Bonjour à toutes les femmes, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs, qu’elles aient appris à se défendre ou qu’impuissantes elles se laissent faire pour toutes les raisons insensées qu’elles trouvent. Bonjour à toutes les femmes, qu’elles soient battues ou non. Bonjour à toutes les femmes, qu’elles soient déjà emballées dans un linceul noir ou libres comme le vent. Bonjour à toutes les femmes, mes sœurs de genre, qu’elles travaillent chez elles, pour

elles, ou pour autrui dans une institution. En cette journée internationale de la femme battue (combien douloureuse situation), je voudrais pouvoir vous prendre dans mes bras, vous consoler, soigner vos blessures, panser vos plaies, écouter vos plaintes et surtout vous exhorter à vous rebeller, à dénoncer vos bourreaux, à dire non à la honte. A vous mes pensées les plus solidaires et mes prières profondes. Rachid (Universitaire):

Gargouri

Ce 25 novembre, Journée mondiale contre la violence sur les femmes, puissiez-vous vivre libres, femmes de mon pays, et demeurer comme une épine dans la gorge de tout bouc obscurantiste. Mille grâces et lumières aussi au leader Bourguiba et à l’émancipateur de la femme, l’honnête militant Tahar Haddad. Les femmes de Tunisie resteront un collier de jasmin sur la tête des femmes du monde. Sélection proposée par Raja Ouerghui Décembre 2012


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Maître Wikipédia Par Habib M’henni pédagogiques et scientifiques. « Au cours des dix dernières années, Wikipédia est devenue incontournable dans le monde de l’éducation. Les étudiants la consultent pour faire leurs recherches, les enseignants ont des avis partagés sur sa valeur comme source. Comment se construit cette encyclopédie libre ? Qui sont les rédacteurs de cette oeuvre monumentale ? Quelle est la valeur des informations disponibles ? Est-il possible d’utiliser Wikipédia comme outil pédagogique ? » (Antoine Letarte - Administrateur de Wikipédia francophone) Les avis restent mitigés quant à ce nouvel outil d’éducation. Plusieurs enseignants ont manifesté leurs réserves aux sources des articles, leurs contributeurs, etc. Mais certains diraient que ces

Depuis l’avènement d’internet comme outil pédagogique dans et des nouvelles technologies mon cours d’astronomie. Je de l’information et de la demande aux étudiants de se communication, l’enseignement créer un compte d’utilisateur et s’est offert une nouvelle manne de d’effectuer quelques travaux sur ressources et de nouveaux outils l’encyclopédie en ligne. » (Simon pédagogiques lui permettant Villeneuve - Enseignant de d’ouvrir de nouveaux horizons et Physique) de nouvelles pratiques. Wikipédia, Forte du succès de Wikipédia l’encyclopédie libre, multilingue dans ce domaine, la fondation et universelle s’est imposée dans le Wikimedia, l’association qui gère paysage cybernétique et l’éducation les activités de la communauté en comme étant « La Référence » en dehors de l’encyclopédie, a engagé la matière, jouissant du titre du un projet ambitieux consistant cinquième site le plus visité dans à intégrer Wikipédia dans les le monde : 5 millions d’articles en programmes de l’éducation. plus de 250 langues. L’expérience a pris lieu aux ÉtatsLancée en 2001, l’encyclopédie Unis où un groupe d’enseignants collaborative Wikipédia (wiki assistés par des wikipédiens (en = vite, ~pédia = instruction/ ligne, les ambassadeurs du web et éducation) a vite suscité l’intérêt sur les campus, ambassadeurs du et l’engouement des internautes. campus) a encadré des étudiants au Ce site interactif, précurseur des cours d’une année universitaire afin réseaux sociaux sur la toile du de créer et d’éditer des articles net, fidèle à ces cinq principes dans Wikipédia relatifs fondateurs (pas de travaux à leurs champs d’études. inédits, neutralité, licence libre, Actuellement on compte respect des autres contributeurs plus d’une soixantaine et la non existence d’autres d’enseignants engagés dans ce règles fixes) a fondé une processus. communauté diversifiée, riche et multidisciplinaire qui L’expérience ne s’arrête pas contribue à l’édification de cette là, officiellement ce projet est encyclopédie. Tout internaute, maintenu en Inde, au Brésil, ayant une connaissance basique au Canada, en Macédoine, en informatique pourrait Participants à la conférence du Caire, juillet 2012 (CC BY SA Frank Schulenburg) en République tchèque et en ajouter sa pierre à l’édifice, dans Égypte. le sujet qui l’intéresse. Le système enseignants sont mécontents du wiki collaboratif garantit une fait que Wikipédia fait le travail Et la Tunisie dans tout cela ? Il parfaite supervision des éditions des étudiants ! Chose qui semble se est difficile d’avancer les chiffres par la communauté étayée par concrétiser sur une page du réseau exacts de l’utilisation de Wikipédia des administrateurs dévoués à la social Facebook portant le nom « dans les milieux scolaires et maintenance des articles et du site Merci Wikipédia de faire tous mes universitaires en Tunisie, mais une d’une manière générale. devoirs » (page en anglais : Thank chose est certaine, les avantages et Wikipedia for doing all my les facilités qu’offre l’encyclopédie Les différents intervenants dans you homework ) et comptant plus de libre, la promettent en position le processus de l’éducation ont 35 000 adhérents. de partenaire essentiel dans l’acte trouvé dans cette encyclopédie à portée de clic une aubaine pour « ...depuis l’automne 2008, pédagogique bien qu’il y ait des leurs travaux de recherche, supports j’utilise Wikipédia en français réserves sur certains volets. Tr i b u n e p o u r t o u s

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Dossier coordonné par Abdelhamid Ladhaari

L’Enseignement supérieur en Tunisie, situation et perspectives (1ère partie)

De quelques maux endémiques d’un secteur vital et de quelques remèdes possibles Décembre 2012 Tr i b u n e p o u r t o u s

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Quelques maux de notre enseignement supérieur

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otre éducation est malade et ses maux ne datent pas d’aujourd’hui. Ils risquent seulement d’empirer. Nous évoquerons aujourd’hui quelques maux endémiques de l’enseignement supérieur. L’une des causes de la révolution, en effet, est le désespoir ressenti par les cohortes de diplômés du supérieur non seulement chômeurs mais incapables, vu la qualité plus que médiocre de leur formation, de s’insérer dans un tissu économique en soi exigu. Cette situation désastreuse est le fruit de décisions démagogiques dues à une fuite en avant du régime de Ben Ali qui n’a pas affronté les problèmes mais, conforté dans une vision soporifique par des ministres qui confondaient leur zèle peut-être sincère et la réalité, a toujours renvoyé aux calendes grecques les vraies solutions, préférant les emplâtres sur les jambes de bois. Cette situation, pour l’essentiel, est toujours en vigueur et continuera à avoir les mêmes effets désastreux si des décisions courageuses parce qu’impopulaires ne sont pas prises. Mais, dans le cadre transitoire qui prévaut en ce moment, il est difficile d’imaginer qu’elles le soient. Gonfler artificiellement le nombre de bacheliers en comptabilisant pour 25% de leur Tr i b u n e p o u r t o u s

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moyenne les notes de terminale toujours supérieures aux notes obtenues au baccalauréat et en favorisant un rachat très généreux a envoyé en effet, dans le supérieur, année après année, des masses de bacheliers qui ne possèdent pas les bases minimales requises permettant de suivre une formation et d’en tirer profit. Pour accueillir ces bacheliers, on a ouvert des universités et des instituts de toutes sortes un peu partout à travers la république, sous-équipés en matériel, en bibliothèques, en laboratoires, en enseignants qualifiés. Partant d’un postulat discutable qui est la volonté d’assurer à chaque bachelier une place dans l’enseignement supérieur grâce à un système d’orientation par défaut sans doute équitable mais inefficace, on a peu pris en compte l’issue des études supérieures et le sort de ses diplômés. Les facultés et instituts supérieurs que nous venons d’évoquer se sont donc transformés en garderies d’adultes qu’ils relâchent dans la nature au bout de plusieurs années soit sans diplôme ou avec quelques modules obtenus Dieu sait comment soit avec un diplôme qui ne pèse pas lourd dans le marché de l’emploi, la pression du nombre de bacheliers arrivant à l’université ayant fait créer à la va-vite des diplômes totalement aberrants comme cette série de licences dites appliquées et qui ne sont appliquées à rien du tout,

Par Samir Marzouki la plupart ayant été pondues en quelques jours pour obéir au diktat de la hiérarchie par des enseignants fonctionnant dans le cadre de licences fondamentales et n’ayant aucune expérience et aucune aptitude à l’étude et à la programmation de formations appliquées. L’alignement sur le système LMD, système quasi international, qui ne s’est pas fait en conformité avec sa philosophie, mâtiné qu’il fut par des choix pris avant son adoption, a donné à la crise de l’enseignement supérieur et à son inadéquation avec le marché du travail une ampleur jamais égalée. Ce système, qui est modulaire, suppose en effet que chacune des composantes de la formation soit indépendante et que l’étudiant puisse accumuler, une à une, toutes ses composantes. Chez nous, parce qu’on se soucie moins de la formation que de la diplomation alors que la première, plus que la seconde, permet une insertion durable dans le marché du travail, on a autorisé, dans la comptabilisation des résultats, la liaison des composantes de sorte qu’une bonne note dans l’une permette de compenser une mauvaise note dans l’autre. On a aussi gardé dans le système des modules dits transversaux c’est-à-dire imposés à tous les étudiants, quelle que soit leur spécialité, et ces modules ne sont pas pour rien dans le Décembre 2012


Dossier gauchissement de ce système et l’éclosion de sa variété tunisienne hybride. Il s’agit des modules d’anglais, d’informatique, de droits de l’homme et de culture de l’entreprise. Pour enseigner ces modules hors spécialité, on a été contraint de faire appel à toutes sortes d’enseignants, vacataires, contractuels ou maîtrisards recrutés directement dans le supérieur après réussite au CAPES donc frais émoulus, sans aucune expérience de l’enseignement. L’instauration de ces enseignements partait d’un bon sentiment. On voulait donner aux diplômés des atouts en dehors de leur spécialité mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Dans les faits, les heures d’anglais et d’informatique ne font que ressasser ce que les étudiants ont déjà appris dans le secondaire et, bien souvent, l’informatique, faute d’équipement suffisant, se transforme en cours théorique ou se pratique par le partage d’un ordinateur quelquefois en panne. Les droits de l’homme, alibi pour le régime déchu dont on poursuit encore l’apprentissage, sont enseignés sans programme, au gré de l’enseignant. La culture de l’entreprise, censée être utile à l’étudiant diplômé au chômage pour qu’il puisse éventuellement devenir opérateur économique, donne également lieu, à travers le pays, selon la formation et les choix de l’enseignant, à un spectre de cours totalement différents. L’ensemble de ces cours, en raison de la non appartenance de leurs enseignants aux départements de spécialité et de leur inexpérience,

sont souvent désertés par les étudiants et, sauf exception dont nous voulons bien imaginer qu’elle existe, ne leur apprennent rien qu’ils ne sachent déjà ou qui leur soit utile. Mais ils sont en général sanctionnés à la fin du semestre d’une manière qui n’est nullement comparable à la manière dont sont sanctionnées les matières de spécialité c’est-à-dire très généreusement, ce qui gonfle artificiellement les moyennes, permet à des étudiants médiocres ou faibles de réussir, ces matières n’appartenant pas à la spécialité compensant les notes des matières de spécialité, et augmente en conséquence, à la longue, le nombre de diplômés sans capacités réelles et avérées dans le domaine de formation. Ce qui, on s’en doute, ne favorise guère l’insertion professionnelle. Ce ne sont là que quelques aperçus d’un système construit autour d’idées toutes bien intentionnées mais appliquées d’une manière qui les a vidées de leur substance et a transformé une volonté de réforme en désastre

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Moncef Ben Salem

national. Un baccalauréat moins laxiste, un enseignement supérieur plus centré sur les spécialités, regroupé autour de quelques universités où seraient concentrés les moyens humains et matériels, un système développé et cohérent de formation professionnelle intervenant très tôt dans les cursus, voilà les ingrédients de la potion magique qui pourrait inverser le processus de déliquescence où est englué notre enseignement supérieur depuis quelques décennies. Mais c’est une potion amère, politiquement incorrecte et impopulaire. Osera-t-on demander au peuple tunisien de la boire ?

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Dossier

Témoignages de professionnels de l’Enseignement supérieur:

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ans un premier volet de notre dossier sur l’enseignement supérieur, nous présentons des témoignages des acteurs du secteur, des enseignants cette fois de par leur statut de croix de transmission mais aussi de compétence de conception, pour engager le débat sur la question. Notre espoir est que tous les intéressés, étudiants, syndicats, responsables officiels, chefs d’entreprises, société civile, tous enrichissent la réflexion sur ce secteur vital, le vrai nerf moteur de notre société et son capital d’avenir. Six questions ont été posées aux premiers invités de ce dossier conçu en trois parties, réparties sur les trois premiers numéros de Tribune Plus. Les témoignages recueillis sont ceux d’enseignants pris dans les spécialités des lettres, des arts et des sciences humaines, en attendant d’explorer les autres spécialités ; ils sont présentés par ordre alphabétique des noms de leurs auteurs dans chacune des six rubriques retenues dans ce premier volet du dossier. Ce sont : Mme Zouhour Ben Aziza, née Messali (Ancienne directrice de département, Université Tunis AlManar) [BAZ] ; M. Fakher Hakima (Enseignant, musicien et musicologue, Université de Sousse) [HF] ; M. Habib Jerbi (Directeur de département, Université de Kairouan) [JH] ; Mme Afifa Marzouki,née Chaouachi (Directrice de département, Université de La Manouba) [MA].

1 - Evaluation et prospection En ce moment charnière de révision du schéma de développement de la Tunisie, quelle évaluation pouvezvous faire de la situation de l’enseignement supérieur dans notre pays ? Et comment envisagez-vous l’organisation d’une action efficace d’évaluation générale et de prospection fiable ? BAZ: L’enseignement supérieur en Tunisie semble être « à côté » des réalités du pays. Nous avons gardé majoritairement une formation « classique » mais avec une baisse de niveau inquiétante, quant aux formations techniques et technologiques, elles ne semblent pas (à vérifier) répondre réellement aux besoins du pays et surtout elles ne semblent pas s’être suffisamment imposées dans le paysage de l’enseignement supérieur. Tr i b u n e p o u r t o u s

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Il faut donc mener des enquêtes, des ateliers-débats… avec toutes les composantes de l’Université (le corps enseignant /les étudiants/ l’administration). Instaurer une dynamique de réflexion et de dialogue dans le cadre de différentes séries d’activités. HF: Le vrai problème de l’enseignement supérieur en Tunisie est dû essentiellement à sa massification. Cette stratégie entamée depuis presque une quinzaine d’années avait un impact fort important sur la qualité de l’enseignement. Malgré les efforts fournis et les projets de restructurations (les projets d’Appui à la Qualité, et les Projets d’Etablissement, gestion par objectif…) qui ont été mis en place depuis cinq ans les résultats demeurent très faibles par rapport aux attentes.

Afifa Marzouki

JH : la situation est mauvaise : elle l’est « objectivement » car l’évaluation des différentes institutions internationales de référence pour l’évaluation des institutions de l’enseignement supérieur de par le monde le signalent par le déclassement des universités tunisiennes à chacune de leurs évaluations périodiques ; et « subjectivement » aussi, car elle est « perçue » comme telle par les différents protagonistes Décembre 2012


Dossier (enseignants, étudiants et décideurs politiques). Or le mode suivant lequel un fait est perçu constitue une composante intrinsèque de la réalité de ce fait et devient déterminant dans la façon avec laquelle tous les protagonistes vivent, agissent et réagissent vis-à-vis de la situation dans laquelle ils se trouvent. L’action d’évaluation a été en partie faite par les organismes internationaux concernés (des rapports ont été soumis au ministère de tutelle dans ce sens). Mettre sur pied des commissions ou des comités rassemblant les différents acteurs reconnus aujourd’hui comme les parties « intéressées » (enseignants étudiants syndicats) n’a aucun sens : car on peut être enseignant mais sans aucune compétence pour évaluer la situation, et je ne vois pas comment les étudiants dont le statut véritable est d’être des « consommateurs » de la « marchandise » universitaire uniquement (sinon c’est la porte ouverte à tous les dépassements), et que dire alors de faire participer le syndicat en tant que tel dans

une entreprise scientifique sauf à octroyer à l’action syndicale des vertus que nous serons les premiers à lui reconnaître de par le monde…il ne s’agit point pour nous de réinventer le monde mais d’appliquer les normes bien reconnues dans le domaine et il s’agira de mettre en place un comité de compétences reconnues (mais sommes-nous au jour d’aujourd’hui capables de cela c’est-à-dire aptes pour la reconnaissance de la compétence des compétents et de se plier à leur verdict et à leur diagnostic ? que nenni…) il s’agit pour cela de revenir à l’esprit authentique de l’université or ceci semble aujourd’hui plus qu’improbable… Car l’université n’est point la mosquée quel qu’en soit le dieu (transcendant ou immanent : politique ou théologique mais c’est l’espace « neutre » du savoir) (le Jama5 ne peut contenir la Jam5â). MA: La situation catastrophique, elle coûte d’argent à des étudiants dans leur majorité écrasante, profitent aucunement et

tirent aucun résultat positif et pratique et elle coûte encore plus au gouvernement qui est en train de financer une machine qui tourne à vide depuis plusieurs années. Pour remédier à la situation, il faut reconsidérer l’enseignement à sa base c’est-à-dire en repensant le passage du primaire au secondaire c’est-à-dire en revenant à un système d’évaluation structuré par un concours d’entrée en première année secondaire ; en revenant à un baccalauréat évalué objectivement et d’une manière anonyme c’est-à-dire géré sans complaisance et exclusivement par des examens nationaux où le rachat obéit à des règles plus strictes et enfin en revoyant le système d’orientation universitaire, en l’assouplissant par l’instauration de concours scientifiques d’entrée aux différentes sections de spécialisation.

est trop qui, n’en n’en

2 - LMD et les raisons d’un échec Zouhour Ben Aziza

Le système LMD semble constituer la pierre d’achoppement du secteur, pourtant il réussit bien en Europe et dans deux autres pays du Maghreb, le Maroc et l’Algérie ! Qu’est-ce qui a empêché sa réussite chez nous et que préconisez-vous comme solution pour le redressement de la situation ? BAZ: Tout d’abord, la Tunisie

doit être consciente qu’il n’y a pas de « modèle » à transposer.

aujourd’hui pose plus problèmes qu’il n’en résout.

Le LMD n’est pas positivement parce que :

c - Le LMD tel qu’il est aujourd’hui correspond à une réforme « tronquée » : par exemple le régime d’examen est une hybridation entre ancien système et nouveau système, à la fois semestriel et annuel, ce qui le rend complétement incohérent ;

vu

a - Le LMD a été présenté comme une « obligation » internationale ; b - Les conditions matérielles sont insuffisantes. Je donnerai comme exemple le logiciel de gestion « Salima » qui jusqu’à

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Dossier d - la disparition du bac +4 Il faudrait donc : - Une meilleure information auprès des étudiants, des parents et des professionnels - Choisir entre le système semestriel ou le système annuel - Réinstaurer une 4ème année : passage automatique en M1 avec une véritable sélection en M2 et pour les étudiants non admis en M2 un diplôme « national » (qui ne serait valable qu’en Tunisie) du style » maîtrise ». HF: Je pense que le passage d’ancien régime au régime lmd de manière précipitée avec une politique de massification de l’enseignement supérieur et avec en plus une situation économique chaotique ont été les raisons de cet échec total de ce régime en Tunisie JH: le système LMD n’est point en cause et ne doit pas l’être n’en déplaise à certains : c’est un système qui permet de mettre en œuvre une formation ciblée et efficace et qui est susceptible de mettre en place des passerelles

réelles entre les différents secteurs de la formation universitaire et le monde du travail , mais à condition de comprendre par cela qu’il ne s’agit pas seulement de fournir aux différents secteurs d’activités existants des acteurs bien formés mais d’ouvrir de nouvelles activités et de déblayer de nouveaux secteurs par des protagonistes censés être capables de « créer » au sens propre du terme, des activités nouvelles c’est-à-dire littéralement qui n’existaient pas avant. Or cela nécessite a priori une conception moderne du sens du travail ce qui passe par dépasser la perception du rôle de l’Etat dans ce domaine et de dépasser les archaïsmes syndicaux …autant dire être moderne dans son esprit… MA: En Tunisien on pratique un LMD bâtard qui cumule en toute démagogie les avantages de l’ancien système et ceux du nouveau c’est-à-dire en maintenant le rachat à partir de neuf de moyenne et même en offrant aux étudiants l’occasion de rattraper mêmes les notes de DS sans tenir compte exclusivement

3 – Des problèmes relationnels Cela peut-il être tributaire de la nature des relations entre les différents intervenants ? Entre l’Université et le gouvernement ; entre le ministère et les universités ; entre les enseignants et les étudiants ; entre l’université et la société ? BAZ: Entre l’Université et le gouvernement et le ministère : Tr i b u n e p o u r t o u s

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définir une véritable autonomie des universités : Académique ; organisationnelle, et en partie financière Entre les enseignants et les étudiants : Instaurer un véritable « contrat » d’apprentissage par une méthodologie de la responsabilisation et de la participation.

des crédits comme le veut le système LMD, ce qui fait que la majorité des étudiants réussissent sans qu’ils aient un niveau scientifique crédible dans les matières principales et arrivent en troisième année sans le minimum exigé d’un licencié. L’introduction de matières obligatoires comme l’informatique, l’anglais ou la culture de l’entreprise dans toutes les sections confondues, est une aberration totale qui permet à des apprenants très faibles de gagner par de simples devoirs à la maison ou simples tests organisés par leur professeur, des modules mineurs (dans leur spécialité spécifique) qui leur donnent le statut de dérogataires à vie à qui on finit parfois par octroyer le diplôme par simple complaisance parce qu’ils redoublent pour la nième fois !

Habib Jerbi

HF : certainement JH: cela est tributaire de plusieurs « archaïsmes » d’une société qui vit au XXIème siècle avec des réflexes du 19ème siècle : incapable de réfléchir l’université parce qu’incapable de se réfléchir…Or c’est le rôle de l’université de permettre à une société de se réfléchir et de se Décembre 2012


Dossier refléter … MA: Cela est tributaire uniquement des relations étanches entre le gouvernement ou les ministères et les universités. Il faut réinstaller le dialogue entre ces instances par la réactivation de commissions sectorielles qui soient composées essentiellement des enseignants les plus anciens et les plus expérimentés et non pas réunies selon des critères régionaux démagogiques et politiques.

4 – Inadéquation entre formation et emploi Le vrai problème n’est-il pas dans l’inadéquation caractérisée entre la formation et le marché de l’emploi ? BAZ: Oui, il faudrait donc : - Penser à former des adultes aptes à s’insérer efficacement dans le marché du travail (non seulement la formation en ellemême mais aussi le contenu de la formation qui amènerait l’étudiant à développer des qualités d’autonomie, de réflexion, d’adaptation à une situation nouvelle…) - Développer les formations supérieures à caractères technique et technologique - Réfléchir sur les futures formations à partir de données exactes sur les besoins du monde du travail HF: je pense que cette adéquation entre la formation et les exigences de l’emploi est un faux problème. L’universitaire doit former selon ses exigences scientifiques et c’est au marché

professionnel d’instaurer des structures économiques solides et des stratégies d’insertion professionnelle pour bien exploiter ce produit « universitaire » considéré normalement comme l’élite de la société. JH: Non point. Car poser la question ainsi c’est considérer le marché du travail comme stable : composé d’une quantité définie et déterminée de métiers et de fonctions qu’il s’agit pour la formation universitaire de fournir en agents. Or il s’agit en fait, sauf dans les secteurs bien déterminés comme l’enseignement et pour des raisons bien connues, de mettre non sur le marché du travail justement, et le terme est ici révélateur, mais dans le monde du travail des acteurs capables d’inventer de nouvelles activités en concevant de nouveaux besoins : car les métiers aujourd’hui sauf des cas rares ont la vie courte. Or chez nous on est toujours à rechercher le travail « stable » pour ne rien faire en fin de compte,

après que le travail fait cesse d’être un travail au sens propre du terme sous la pression du monde qui change et vite. MA: Pas du tout et nullement ! Car un étudiant bien formé à la base est toujours facilement convertible, voyez l’exemple des anciennes générations qui n’étaient pas formées pour des emplois spécifiques ! Le vrai problème est un problème de niveau scientifique et linguistique et basta ! Soyons plus exigeants et moins démagogues et tout ira mieux ! Le problème de l’employabilité est un faux problème, le seul, le vrai c’est le niveau intellectuel et scientifique général sans lequel aucun emploi n’est gagné d’avance, l’expérience le prouve au quotidien.

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Dossier

5 – Problème de l’orientation obligatoire Finalement, le système d’orientation obligatoire au niveau du baccalauréat ne serait-il pas inefficace puisqu’il débouche sur une recrudescence du chômage au lieu de réaliser l’adéquation entre la formation et l’employabilité ? BAZ: Certainement. Il serait peut-être pertinent d’introduire une année propédeutique pour deux raisons : a - une mise à niveau (le niveau bac ne suffit plus aujourd’hui à la majorité des étudiants) pour mieux se préparer à l’enseignement supérieur b - amener l’étudiant à choisir en toute connaissance de cause les études qu’il poursuivra

c - Instaurer un service d’orientation universitaire qui disposerait de toutes les données de l’employabilité de telle ou telle formation. HF: pour le système d’orientation obligatoire au niveau du baccalauréat je ne pense pas qu’il est inefficace mais c’est le niveau de la formation et les critères d’évaluation qui vont déterminer l’importance des acquis du bachelier, en effet ces derniers sont essentiels pour la formation universitaire.

une propédeutique réelle à une formation scientifique et académique véritable. Le mal est connu et le remède aussi. Mais le temps, celui du politique, celui de l’« opportun » ou de l’«inopportun » n’est pas le temps des réformes. La science et ses intérêts ne sont pas une affaire de démocratie mais de compétence. MA: Le système d’orientation est à revoir entièrement par des spécialistes du terrain, il a donné des catastrophes sur tous les plans.

JH: Le bac a perdu totalement sa vocation première : de préparer à l’université et d’être

6 - Interférence du politique et de l’universitaire

L’actuelle période de transition est marquée par une interférence du politique et de l’universitaire, souvent par syndicats ou associations interposés ; cela est jugé normal par certains, très grave pour d’autres ; et vous qu’en pensez-vous ? BAZ: Je n’ai pas vraiment d’avis mais je pense que cela fait partie du difficile apprentissage de la démocratie. HF: c’est tout à fait normal l’universitaire doit jouer un rôle important dans cette période de transition. Il a des compétences, chacun dans son domaine de spécialisation, scientifiques économiques culturelles sociales et politiques aussi, pour analyser et évaluer et ensuite proposer un constat réel de la situation et Tr i b u n e p o u r t o u s

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pourquoi ne pas proposer une stratégie pour surmonter les difficultés. JH: c’est d’une extrême gravité. L’interférence du politique dans la « chose » universitaire ou scientifique ne peut mener qu’à la perte de la vocation véritable de l’université. Mais à qui en vouloir quand ce sont les universitaires eux-mêmes qui considèrent que leur consécration sur le plan du mérite académique ne peut se concevoir que sur le plan politique. Ce fut le cas avant la révoltion et ça s’est exacerbé après : les dégâts hier comme aujourd’hui sont considérables. MA: En aucun cas le politique ne doit interférer avec les principes et les valeurs qui gèrent l’université : le politique est un facteur de dévoiement et de démagogie

Fakher Hakima

nocive quand il prétend réformer ou redresser l’enseignement qui ne doit être que l’affaire des enseignants, des chercheurs et des universitaires. Tout étudiant qui a une formation de base solide sur le plan linguistique et scientifique est « employable » partout au prix d’un assez courant court stage de formation in situ, j’entends dans la boite qui le recrute. N.B. Ma réflexion est inspirée d’une longue expérience dans l’enseignement en faculté de lettres, c’est-à-dire de mes échanges avec des étudiants qui, dans leur majorité ont réussi au bac avec neuf ou dix de moyenne et qui n’ont pas choisi en priorité la section où ils étudient. Décembre 2012


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Idées Quelle culture ? Pour quelle Transition ? Amor Ben Gamra

L

a déclinaison culturelle de la Transition politique que connaît le pays depuis le 14 janvier 2011 invite à engager une réflexion sur les conditions d’une métamorphose de la culture, si nous voulons donner naissance à une nouvelle dynamique culturelle à même de protéger le processus de Transition démocratique des dérapages et des déviances qui le menacent. Et surtout afin de donner au processus de Transition ses repères humanistes et ses points d’ancrage dans la continuité du combat de la modernité amorcé depuis le milieu du 19ème siècle. Mais est-ce que la culture de Transition va pouvoir contrecarrer la tendance contre les Lumières animée par les salafistes et leurs alliés sous couvert d’attachement à l’identité et de retour à la tradition ? Quel que soit l’élément de réponse, on mesure bien l’enjeu que constitue la transition de la culture dans un contexte de Transition politique. Il s’agit de dégager et construire une voie inédite en ouvrant dans toutes les institutions culturelles, les écoles, les universités et les médias, toutes grandes les portes et les fenêtres à la créativité et à l’imagination. Et non pas au discours gratuit et digne de tous les nihilismes. Aux querelles byzantines. Sans visée éthique ni politique ni

pédagogique. C’est ainsi qu’on peut concevoir une culture pour l’Homme, par l’Homme et lutter en ce sens. Cette perspective appelle un combat sans merci contre tous les corbeaux qui croassent, contre les différentes expressions de l’enfermement et de repli sur soi. La valorisation de la subjectivité créatrice comme puissance d’autodétermination aboutit à faire de la Tunisianité sans doute la valeur suprême de la modernité. Et du modèle sociétal tunisien une ligne rouge que personne n’a le droit de dépasser. Or, de nombreux événements se télescopent pour montrer l’orientation dans laquelle s’inscrit la culture ici et maintenant. Rappelons les plus significatifs. Les violences qui ont eu lieu en octobre 2011 après la diffusion du film Persépolis accusé d’«atteinte aux valeurs sacrées». L’agression des espaces culturels (El Teatro …) vecteurs d’un projet culturel progressiste et, par conséquent, d’un projet sociétal moderniste. Les œuvres d’une exposition d’artistes plasticiens,

Kheireddine Pacha

jugées blasphématoires, ont été endommagées par des salafistes en juin 2012 au palais d’Elabdellia . Et tout récemment, les agressions contre les monuments-lieux culturels emblématiques de la mémoire culturelle soufie. Or, la transition de la culture ne peut produire du sens et instituer des valeurs qu’en engageant la créativité, la responsabilité et la liberté sans tabous et sans limitations. Cette exigence trouve dans le contexte de la Transition politique une signification progressiste et elle construit la culture de transition

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Culture + par l’actualisation obstinée de la faculté de penser qui se traduirait à la fois par un combat contre toutes les formes de déraison dogmatique et aveugle et par une promotion des valeurs de tolérance et d’ouverture sur l’Autre. C’est ainsi que les idéaux politiques caractéristiques d’une Transition politique qui se réclame de la Liberté, la Dignité et la Justice se trouveront enrichies par des valeurs favorisant la créativité de tous, où l’interactivité, l’ouverture sociale à la créativité différentielle de chacun, avec sa dimension de création d’un style de vie ou artistique, tout en promouvant l’écoute, la circulation des idées, leur enrichissement commun, le développement culturel de chaque citoyen. Le danger est de voir cette minorité agissante continuer à envahir en toute impunité l’espace public pour débattre sur le sexe des anges, la polygamie, le port du niqab, la mixité, etc. Démarche politiquement correcte pour détourner l’attention sur ce qui devrait donner consistance aux concepts de Dignité, de Liberté, de Justice : Travail, sécurité, bien être, prospérité. La promotion de la créativité implique, dans les conditions de la Transition que connaît le pays depuis le 14 janvier 2011, un combat pour les autres autant que pour soi, combat pour d’autres différents de soi. Il s’agit pour chaque citoyen et pour chaque créateur de se construire ponctuellement en référence à un héritage toujours en mouvement. Il s’agit de permettre au discours spirituel de reprendre à son compte la problématique des Tr i b u n e p o u r t o u s

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Lumières, d’affirmer la supériorité de la raison sur toute autre forme de pensée ou de sacralisation des dogmes, de développer un nouveau discours religieux dans le sens d’une spiritualité saine, humaniste, mystique et poétique et de chasser les démons du ressentiment et de la haine. C’est ainsi que la culture comme enjeu et moyen de la Transition politique concourt à la formulation d’un humanisme conformément aux valeurs de la Dignité, de la Liberté, de la Justice. Cette orientation est une garantie d’une transition pacifique et constructive. C’est un atout pour agir sur les esprits et les comportements. Elle inscrit l’esprit du 14 janvier dans la continuité du combat de la modernité et de l’héritage culturel réformiste. C’est-à-dire un héritage qui a vu se former les grands repères d’une culture humaniste autant que prospective, se nouer les liens les plus dialectiques entre la Tradition (al-‘naql) et la Raison (al-‘aql). Héritage aujourd’hui outragé, bafoué, profané par l’agitation des salafistes. Une posture positive et créatrice d’avenir se traduit dans une culture de transition par une créativité qui débouche sur une vaste exploration de l’aventure intellectuelle de l’universel dans ses efforts théoriques les plus puissants pour penser les conditions objectives et subjectives de la Dignité, de la Liberté et de la Justice. Ainsi le créateur qui s’inscrit dans cette vision des choses, trace son chemin dans un dédale de références, où il exprime, d’une part, sa fascination pour l’infinie capacité rationnelle, scientifique, critique

Kheireddine Pacha

et politique de l’héritage culturel national et universel et, d’autre part, son attitude critique face au travestissement hégémonique et totalitaire de ce que pourrait être une identité absolue et aveugle. Pour la culture de transition, il n’est pas question de sombrer dans une attitude antioccidentale infantile, comme on le voit avec ces formes diverses d’ankylose identitaire que représentent les salafistes. Loin de tout esprit de ressentiment, mais il est nécessaire, voire vital pour réussir l’œuvre de transition et de construction de l’avenir, de s’approprier le savoir et la connaissance comme patrimoine de l’humanité. La perspective d’une culture de transition engage d’une manière ou d’une autre les créateurs à partir, à l’image d’un Kheireddine Ettounsi ou d’un Tahar Haddad, à la recherche d’un autre climat d’être dans l’imaginaire de l’universel, de la modernité et de l’intelligence critique de l’héritage culturel. La modernité aux couleurs de la Dignité, de la Liberté et de la Justice ne peut être que le fruit d’un engagement des créateurs revendiquant à la fois leur part d’ici et de l’ailleurs, de l’autrefois, du présent et du futur dans une dialectique créatrice. Décembre 2012


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Lettres Le Dialogue du Coran et de la poésie dans l’œuvre d’A. Shahawy (Un livre de H. Khiari) Mansour M’henni

Q

u’est-ce qui peut amener une universitaire tunisienne à s’attaquer, dans sa thèse, à une problématique aussi potentiellement polémique que celle de la relation entre le Coran et la poésie ? En effet, les poètes ont rarement fait bon ménage avec les systèmes clos et les règles dogmatiques. Historiquement, quand ils se sont accommodés d’un commerce à l’amiable avec le système comme pouvoir, c’était toujours pour montrer que le pouvoir du verbe était plus fort que l’exercice du pouvoir. Les poètes ont été exclus de la Cité par Platon qui voyait en eux une entorse à la logique philosophique devant imposer sa suprématie à la société. Le Coran a consacré une sourate aux poètes pour les traiter d’éternels errants sur la voie du délire et de la transgression, sauf ceux d’entre eux qui ont choisi de croire en Dieu. Pour conduire l’étude de sa problématique, « Le Dialogue du Coran et de la poésie », Dr. Hayet Khiari a choisi comme corpus privilégié la poésie de l’Egyptien Ahmed Shahawy, un poète ayant plusieurs cordes à son arc, apprécié par les uns, attaqué par d’autres, surtout parmi ceux qui se reconnaissent d’un certain « salafisme » religieux et qui se sont pressés d’inventer des « fatawi » pour le discréditer et

même l’accuser d’hérésie. Voilà qui pourrait compliquer les choses pour H. Khiari. En fait, l’universitaire tunisienne a une autre idée de la question, celle de montrer que le Coran et la poésie sont parfaitement conciliables, et que leur dialogue est fructueux, comme l’illustre convenablement la poésie d’Ahmed Shahawy, en plus d’autres poètes dont elle n’a pas manqué d’approcher l’expérience poétique, comme Adonis ou l’Irakien Adib Kameleddine. La thèse de l’universitaire tunisienne s’inscrit certes dans la continuité de la tradition critique arabe qui s’est attaquée à la question, mais elle le fait avec un esprit de méthode adapté à la critique moderne, surtout à l’approche intertextuelle, et à la spécificité de la poésie de Shahawy, de par sa richesse et son ouverture aux lectures plurielles, donnant ainsi un argument supplémentaire à l’interaction heureuse du texte sacré, dans ce qu’il a d’éternel et d’universel, et

du texte poétique en tant que reflet et réflexion du génie de la langue et de la richesse d’une culture que le Coran a consacrés et dont il a fait une matrice créatrice à même de toucher l’universel humain. Pour H. Khiari, A. Shahawy s’est détourné de l’orientation de certains poètes arabes qui ont cherché la modernité sur les pas des poètes occidentaux, prenant le risque de rompre avec leur culture d’origine. Il a choisi, de son côté, un enracinement dans le terroir par la référence régulièrement entretenue au texte fondateur et au repère culturel fondamental qu’est le Coran. Cependant, il ne l’a pas fait avec l’esprit d’assujettissement de l’action poétique à une quelconque imitation mineure. Il a usé de ce qu’il a appelé, dans le titre d’un de ses recueils, « la langue de feu » pour montrer que le contexte coranique est un contexte de créativité, d’innovation et d’une autre modernité transitant par la langue du spirituel pour atteindre la spiritualité de la langue,

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celle-ci étant l’essence même de l’acte poétique et se manifestant éloquemment dans l’expérience soufie qui reste le principal abreuvoir du poète égyptien. En effet, ne le voit-on pas, sur plusieurs exemples, sculpter son poème à la forme de la lettre, lui cherchant en même temps un rythme recréé tout autant dans l’adoration soufie que dans la psalmodie coranique pour réaliser ce mariage heureux entre le son et le sens. Dès lors, le texte coranique n’est plus le seul texte de référence ; il est souvent actualisé comme le souffle fondateur de plusieurs genres littéraires, riches et variés, faisant des lettres arabes un patrimoine vivant, toujours renouvelable

grâce au génie créateur que des poètes authentiques savent y retrouver et peuvent redynamiser à la manière d’A. Shahawy. En définitive, H. Khiari l’a bien précisé dans l’introduction de sa recherche, Le Dialogue du Coran et de la poésie est une lecture parmi tant d’autres, légitimée par les études académiques et par la polysémie des textes poétiques les plus réussis, comme c’est le cas des poèmes d’A. Shahawy dans lesquels l’écriture s’affirme en tant qu’interrogation ontologique dans la langue, par la langue, pour la langue, retrouvant ainsi l’essence littéraire du texte coranique. Ce serait donc de ce point de vue, selon H. Khiari, qu’il importerait de percevoir le

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Dès lors, ce n’est plus le critère moral qui devrait présider à ce dialogue, mais le critère littéraire, sinon il faudrait condamner à l’autodafé tous les grands poètes de la littérature arabe, ceux d’avant et d’après la proclamation de l’Islam. Ce serait vraiment dommage de n’avoir plus à lire la poésie de Kaab Ibnu Zouhir, d’Abu Nouas, d’Ahmed Shahawy et sans doute aussi de notre Chebbi ! Ce serait surtout dommage pour la littérature arabe, pour son rayonnement parmi les cultures du monde et pour sa participation à l’expression de l’universel humain.

L’incontournable

Le Prix Abou El Kacem Chebbi attribué au poète Tunisien, Adam Fathi

Parmi les 99 poètes qui ont participé à la 25e édition du Prix Abou El Kacem Chebbi, financé par la Banque de Tunisie, c’est Adam Fethi qui a eu le bonheur de cette consécration largement méritée, au vu du parcours de l’auteur et de la profondeur de son écriture où la poéticité est au centre de l’engagement, exprimant alors brillamment

rapport de la poésie et du poète au Coran.

Rendez-vous du festival de Douz

toute forme d’engagement. C’est le recueil « Le souffleur de verre aveugle » qui a valu la consécration à son auteur, un recueil dont plusieurs poèmes ont été traduits en français, en anglais et en version espagnole pour du festival international de la poésie à Costa-Rica. Fathi Gasmi dit Adam Fathi est né en 3octobre 1957. Devenu entre 1980 et 1990 l’un des poètes engagés les plus en vogue de sa génération, parolier des chansons par la plupart des artistes engagés tunisiens et arabes, il s’ouvre, à la fin des années 90 à d’autres activités dont l’écriture journalistique, la production audiovisuelle et la traduction. S.R.

Du 22 au 25 décembre, la ville de Douz célèbrera la 45ème session du festival international du Sahara, dotée d’une nouvelle direction constituée de plusieurs intellectuels, éducateurs et activistes dans le domaine de la jeunesse et de la culture, avec à sa tête Sadok Bettaieb, éducateur et militant associatif et culturel. Le programme comporte une série d’activités dont une conférence sur «les oasis sahariennes: réalités et perspectives» évoquant les oasis sous ses différents aspects culturels, anthropologiques, environnementaux, touristiques et économiques. Le théâtre, Le cinéma, la poésie, les jeux et les chants populaires, l’informatique et les expositions (artisanat, dattes et foire commerciale), tous seront au rendez-vous pour l’agrément des fidèles et des curieux du festival. Décembre 2012


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Cinéma Les films tunisiens de la compétition officielle des JCC

De la fibre militante aux choix esthétiques L’intérêt majeur d’un festival de cinéma est d’offrir l’occasion non seulement de voir des films nouveaux, mais aussi de les comparer et de les confronter les uns aux autres. Cet exercice spontané et presque mécanique permet de capter les signes de nouvelles tendances, tant thématiques que formelles, du cinéma d’aujourd’hui. Cet exercice, nous nous proposons de l’appliquer à certains films tunisiens programmés dans la récente session des JCC, notamment ceux qu’on a sélectionnés pour représenter la Tunisie dans la compétition internationale, à savoir, Le professeur de Mahmoud Ben Mahmoud, Beautés cachées de Nouri Bouzid et Le Royaume des Fourmis de Chawki Mejri Ces films illustrent, de part leur diversité, les traits saillants du nouveau cinéma tunisien. Un de ces traits est sa nette tendance à se démarquer d’un certain nombrilisme qui l’a caractérisé pendant au moins deux décennies, avant de se ressourcer dans une sorte d’un moi collectif et forcément soucieux de son engagement social et historique. Hormis Le Professeur de Mahmoud Ben Mahmoud qui a obtenu le prix du scénario, les films tunisiens n’ont pas décroché de prix à la faveur de la dernière session des JCC. Cela n’enlève en rien à leurs qualités intrinsèques. D’ailleurs, presque tous les films sus-cités, avaient reçu des distinctions remarquables sous d’autres cieux. Ce qui souligne la relativité de la valeur d’un prix, lequel est en vérité

en relation directe avec la sensibilité (légitime) des membres de chaque jury. Mais, reconnaissons le : la vitalité qui nourrit le cinéma ne provient guère du choix des jurys, mais plutôt de cette alchimique négociation que le cinéaste doit entreprendre entre le contexte historique et les modalités formelles et esthétiques du langage filmique. Tout l’enjeu de l’acte de filmer consiste surtout à faire coïncider l’œuvre cinématographique avec les attentes, conscientes ou non, du contexte historique, tout en le transcendant afin de lui donner une valeur universelle. Voilà la complexité de l’enjeu de l’art filmique. Un enjeu qui s’appliquerait volontiers à toutes les formes d’expression artistique, mais qui a une importance particulière dans le septième art, en raison du caractère populaire du cinéma et la performance de ses moyens de promotion. C’est à l’aune de ce critère que nous pouvons appréhender et évaluer les longs métrages tunisiens présentés à Carthage. Le Professeur de Mahmoud Ben Mahmoud revient aux origines de la naissance de la Ligue tunisienne des droits de l’homme dans les années soixante-dix. En effet, à travers un contexte politique pesant, dominé par un parti politique hégémonique et soucieux de sa pérennité, le film décrit la trajectoire d’un intellectuel, d’un apparatchik qui passe d’un comportement docile à une résistance, voire à une opposition farouche contre son parti. Cette mutation ou rupture n’est pas le résultat, comme

Par Kamel Ben Ouanès on pourrait le supposer, d’une quelconque cogitation idéologique. Elle relève plutôt d’un ressort psychologique, voire sentimental. Khalil, l’universitaire, change de camp et se forge une analyse lucide de la situation, le jour où il assiste impuissant à la condamnation de sa maîtresse, victime d’une machination diabolique dont les fils sont tissés par l’appareil du parti.

Quand on sait que le film a été tourné quelques semaines seulement avant le 14 janvier 2011, on comprend le sens de la démarche de Ben Mahmoud. Ce dernier s’est appliqué à évoquer le passé (récent), afin de mieux cerner la pesanteur du présent. Tout laisse à penser que le film a été réalisé dans l’urgence, comme si c’était une œuvre de circonstance. C’est pourquoi l’enjeu ici réside moins dans la valeur esthétique du film que dans son message politique ou son enseignement éthique. Il s’agit donc de témoigner, d’exhumer les démons du passé et d’exhiber les contours de la mémoire. Le film de Nouri Bouzid Beautés cachées est riche de bonnes intentions. Faut-il souligner, à ce

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propos, que le réalisateur a apporté d’importantes modifications à son projet initial, et cela pour deux raisons au moins : d’abord, N. Bouzid ne peut évacuer, suite au séisme de la révolution, la menace qui pèse sur la liberté civique du Tunisien en général et de la femme en particulier; ensuite, parce que, Nouri Bouzid, étant lui-même victime d’une agression de la part d’un jeune fondamentaliste, tient à imprimer le vécu personnel, comme dans ses précédents films, au cœur de son dernier opus. Ces deux motifs constitueront la matière scénaristique du film. Ce dernier sera par conséquent à la fois une défense et une apologie de la liberté de la femme, et une mise à mort de l’artiste. Dans ce sens, la femme apparaît sous la figure d’une farouche résistante, alors que l’artiste est hissé au rang du martyr. Incarné sous les traits d’un aveugle accordéoniste marginal, campé par Nouri Bouzid, l’artiste domine le film de bout en bout, nullement par une quelconque conduite héroïque, mais par des apparitions intermittentes où s’impriment progressivement les images de sa mise à mort, puis les préparatifs de sa sépulture. Au gré de ce montage parallèle, se dessine le message du film : c’est au prix du sacrifice de l’artiste que se réalise la liberté de la femme, et par conséquent de la société en général. Cependant, ce principe argumentatif, le film de Nouri Bouzid l’a exposé dans une mise en scène schématique, presque didactique, où sont gommés aussi bien les traits d’une narration fluide que la composition convaincante de principaux personnages féminins. Dans ce cas, les beautés cachées que suggère le titre du film ne sont pas nécessairement enfouies dans les replis de la réalité ou dans la conscience intime des êtres, mais se Tr i b u n e p o u r t o u s

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profilent à travers les traits fins des protagonistes féminins. Cela signifie que Bouzid a tendance à filmer ses deux principales comédiennes avec une pudeur prononcée où fleurissent paradoxalement une sensualité à fleur de peau et un désir à érotiser (visuellement) le monde. Autrement dit, il y a quelque chose

de troublant dans ce parallélisme que le film établit entre une beauté féminine qu’on s’entête à voiler et la dépouille de l’artiste martyr qui reçoit les derniers soins avant son inhumation. C’est quasiment la dualité Éros/Thanatos à l’envers. Le troisième film tunisien dans la compétition officielle est Le Royaume des fourmis. L’opus de Chawki Mejri nous convie à un univers étrange, presque irréel et carrément souterrain. Bien sûr, la référence affichée est la Palestine et le drame de l’occupation. Mais là, le cinéaste adopte une approche allégorique, propice à un foisonnement de symboles, souvent simplistes et lourds de stéréotypes (la pomme, la colombe, le papillon ou l’innocence assassinée...). Résultat : un écran s’érige devant la réalité et la voile d’une épaisse couche de signes symboliques. Mieux encore, la métaphore de la fourmi, laborieusement appliquée à entreprendre un inlassable va-et-

vient entre son terrier et la surface de la terre, se réduit ici à un lyrique héroïsme de pacotille qui rappelle davantage les saynètes communes des feuilletons télévisuels que la vitalité de la recherche visuelle du grand écran. Le film de Chawki Mejri administre la preuve que les bons plans ne font pas nécessairement un bon film. Cela est d’autant plus vrai que Le Royaume des Fourmis pourrait impressionner à partir d’un fragment isolé, mais nourrit le doute et le malaise dans la réception de son intégralité. Cela est d’autant plus vrai que le style tantôt maniériste, tantôt grandiloquent du film sied mal avec les intentions militantes et engagées du sujet. Tout genre a ses règles et sa grammaire, si bien que l’écart que suppose, voire exige la création doit se déployer à l’intérieur des contours du genre. À quel genre appartient le film de Chawki Mejri ? Un film historique ? Un psychodrame historique ? Un poème lyrique ? Un

film d’aventure ayant comme toile de fond la question palestinienne ? Le Royaume des Fourmis veut renvoyer à tout cela à la fois jusqu’à son dévoiement dans les limbes de la confusion. Mais on doit toutefois reconnaître à Chawki Mejri des qualités incontestables d’excellent technicien esthète parfaitement en mesure de les prévaloir s’il rencontre un bon scénariste. Décembre 2012


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Le Passé au Futur

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el est le titre de la chronique que j’ai accepté d’écrire à partir d’aujourd’hui, et le terme « chronique » est adéquat pour le sujet envisagé, puisqu’une chronique est à la fois un recueil de faits historiques rédigés selon un ordre chronologique et un article consacré à un domaine particulier de l’actualité : il relie du passé à du futur à travers le présent qui les rapproche. Le lecteur peut s’interroger sur cette bande-annonce que constitue le titre de la chronique ; ne fallait-il pas dire plutôt « Du Passé au Futur » ? Certes ! Mais il ne s’agirait pas de l’objectif que je me fixe. Se proposer de tenir une chronique « Du Passé au Futur », c’est envisager une chronologie rigoureuse, c’est additionner des faits, c’est traverser dans un seul sens l’Histoire depuis un terminus a quo (le passé) vers un terminus ad quem (le futur). Cette démarche retrace des faits, empêche l’oubli, redonne vie – ce qui est déjà un élément positif ! –, mais elle ne problématise pas, parce qu’elle est strictement linéaire. L’on peut ainsi retracer l’histoire d’un pays ou d’une ville à partir d’événements successifs, mais la démarche sera et restera simplement historique. On fait la visite et on remercie le guide pour ses explications. Le Passé au Futur propose un autre projet. L’expression peut certes sembler (mais seulement sembler) incorrecte, si l’on pense que « au » désigne toujours une direction ! Où est alors le point de départ, en l’absence de préposition – contrairement à « Du Passé au Futur » ? En fait, il faut voir dans ce titre une pratique d’écriture éminemment littéraire, la brachylogie (en référence à un projet en gestation), dont on fait

Par Patrick Voisin (France) une variante de l’ellipse alors qu’elle a une définition et une fonction propres. Il ne saurait être question d’ellipse pour une démarche qui s’effectue dans le champ historique – contrairement au champ du roman historique où cette figure prend sens ; l’Histoire ne peut être aveugle, elle n’admet pas les zones d’ombre, elle prétend éclairer la vie des hommes et des peuples. En revanche, la brachylogie, qui est une figure du « faire bref », du raccourci, du rapprochement des mots – donc des signifiants et des signifiés – pour en faire des balles de fronde, ne passe rien sous silence mais accélère la saisie du sens. Il n’est point étonnant qu’elle ait été pratiquée par les moralistes et les essayistes en particulier. Le Passé au Futur est une brachylogie

sens que l’expression peut prendre. D’une part c’est « joindre ensemble » ou « unir ensemble » : il s’agira donc de relier le passé au futur via le présent, de montrer la cohérence de l’Histoire, de tisser des liens entre des époques qui n’ont pu échanger. Mais, d’autre part, c’est, au sens où l’on dirait conjuguer un verbe au futur, mettre en relation un sémantisme et une temporalité – donc donner la valeur de futur à un événement du passé. Autrement dit, cela signifie non seulement relier une tradition (quelque chose qui a été transmis du plus lointain des temps) à du futur, mais relire cette tradition comme une histoire du futur, comme un continuum dont les transformations, plus ou moins récentes, éclairent d’une lumière nouvelle le déroulement antérieur.

qui peut trouver son sens clair dans une expression complète telle que « Envisager le Passé au Futur » ; mais notre brachylogie sera la suivante : « Conjuguer le Passé au Futur ». Loin d’être une suite de vignettes historiques, d’images d’Épinal, d’anecdotes datées, la chronique intitulée Le Passé au Futur va « conjuguer le passé au futur » aux deux

Dans une chanson moins connue qu’Alice au pays des merveilles, « La Chanson du Jardinier fou », Lewis Carroll écrit ces vers : « Il crut voir un serpent à sonnette / qui lui parlait en grec. / Regardant de plus près, / Il comprit que c’était / Le milieu de la semaine prochaine. » Dans l’histoire de la Tunisie, il s’est trouvé à maintes reprises que les éléments les plus anciens de l’Histoire fussent le milieu de la semaine prochaine. C’est à cela que notre chronique s’attachera régulièrement, preuve s’il en fallait que ce pays à l’histoire trois fois millénaire a une cohérence, parce qu’il a été tour à tour (et non pas bien qu’il ait été tour à tour…) berbère, punique, romain, vandale, byzantin, à nouveau berbère, arabe, ottoman, sous protectorat français, tunisien – tantôt sous le regard des dieux puniques et/ou des dieux des Romains, tantôt sous celui du dieu des chrétiens, des juifs et/ou

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64 d’Allah des musulmans. Les passerelles entre ces strates de l’histoire de la Tunisie sont parfois tellement fortes qu’on en vient à se demander dans quel ordre chronologique deux faits se sont déroulés. Passé de notre avenir ou avenir de notre passé ? L’immense Carlo Ossola parle de « l’avenir de nos origines ». Mais ne conjugue pas le passé au futur qui veut ! Récemment, un ami (je ne préciserai pas s’il est tunisien ou français, parce que l’amitié n’est pas déterminée voire limitée au sein d’une catégorie par une identité nationale, elle est amitié ou n’est pas, absolue et non relative), cet ami donc a voulu voir dans Habib Kazdaghli, le doyen de la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, « un Léonidas des temps modernes »… et dans celles et ceux qui résistent aujourd’hui aux entreprises salafistes, telle Najiba Hamrouni, présidente du Syndicat des journalistes tunisiens, une résurgence des fameux « 300 combattants spartiates qui ont longtemps résisté aux assauts des milliers de Perses, annonçant ainsi la prochaine victoire des Grecs face à Xerxès et ses troupes ». Et il achève ainsi : « Oui, je crois en la lumière ! Je crois qu’Habib Kazdaghli, Najiba Hamrouni et tant d’autres figures de la société civile tunisienne sont les premières hirondelles du véritable printemps tunisien. L’avènement d’une Tunisie libre, belle et rayonnante qui va bientôt renaître de ses cendres. Tenez bon ! Une aube nouvelle se lèvera bientôt sur cette terre. » Mabrouk ! Rien à dire en apparence. Mais ce ne sont que des mots – chacun en est conscient – et en plus, au lieu que ces mots fassent naître, ce sont des mots qui tuent. Pourquoi ? Parce que ne conjugue pas le passé au futur qui veut ! Celui qui fait d’Habib Kazdaghli « un Léonidas des temps modernes », et de ceux qui le soutiennent « les 300 », ne voit que la victoire des Grecs sur les Perses au bout. Certes c’est une magnifique conclusion. Mais qu’estil advenu de Léonidas et des 300 ? Ils Tr i b u n e p o u r t o u s

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sont morts. Quand on conjugue le passé au futur, on prend la précaution de ne pas écrire des condamnations à mort de vivants dont on espère qu’ils verront eux aussi « une aube nouvelle [se lever] bientôt sur cette terre ». À la « colombe poignardée » du célèbre calligramme d’Apollinaire succèdent à présent les « hirondelles » condamnées par une comparaison bien malencontreuse. Un linguiste de renom, J. L. Austin, a fondé un courant d’études que l’on appelle « pragmatique du discours » ou « théorie de l’acte de discours » et dont la définition maîtresse est How to do things with words / « Quand dire, c’est faire ». Dire qu’Habib Kazdaghli est « un Léonidas des temps modernes » et ceux qui le soutiennent « les 300 », c’est mettre en mouvement une équivalence mortifère, c’est un propos de matamore, non seulement fanfaron (celui qui n’est pas au premier rang du combat, mais fait « comme si » dans la tente et dans l’attente…), mais étymologiquement « tueur de Maures ». Mon ami n’a jamais pensé à mal en faisant ce rapprochement, cela va de soi, et il soutient de tout cœur Habib Kazdaghli. Mais il ne sait tout simplement pas conjuguer le passé au futur ! Il fait ce qui est relativement commun : une faute de conjugaison. Bien conjuguer le passé au futur… c’était trouver dans l’Histoire un Léonidas qui ne serait pas mort avant de connaître la victoire des siens ! Le costume du héros peut être difficile à endosser quand on sait qu’il s’agit d’une tunique de Nessos, celle qui conduisit Héraklès à la mort ; et pourtant… Déjanire, qui donna la tunique du centaure à son époux parce qu’elle pensait que l’habit le rendrait fidèle – selon ce que lui avait dit le centaure perfide –, lui fit un cadeau empoisonné au sens propre du terme. Nous ne le souhaitons pas à Habib Kazdaghli à qui il eût mieux valu l’appellation de « Cincinnatus » ; la tunique de ce dernier l’attendait chez lui, une fois la guerre remportée et les armes rangées ; et il reprit sa vie habituelle, sauveur de la patrie.

Lorsque je fis remarquer cela à mon ami, il me dit : « Nous, en Tunisie, on n’aime pas les Romains ! » C’est une deuxième faute de conjugaison ! Errare humanum est, perseverare diabolicum / « Se tromper est humain, persévérer est diabolique », dit l’adage. La Tunisie fut d’abord punique, mais elle devint ensuite, pour sa gloire et pour ses trésors archéologiques qui contribuent à faire vivre l’économie de la Tunisie aujourd’hui, le centre intellectuel de la Méditerranée, au IVè siècle ap. J.-C., grâce à d’authentiques Africains – souvent originaires du

Habib Kazdaghli

centre de la Tunisie actuelle (Kasserine et Sidi Bouzid) et non des Berges du Lac – qui surent apporter à cette province de l’Empire romain une richesse que l’Italie n’avait plus depuis longtemps, et ce dans tous les domaines. Conjuguer le passé au futur suppose de ne pas lire l’Histoire en choisissant, en laissant de côté ce qui peut être gênant, en travaillant dans l’approximation et dans le gargarisme des mots. C’est un travail d’historien et peut-être pas de poète. Cette chronique, Le Passé au Futur, essaiera au moins de ne pas commettre de telles fautes de goût et elle tiendra compte des deux thèses qui président à un travail de type comparatiste sur l’Histoire. Se répète-t-elle sous des formes différentes en apparence, mais toujours avec les mêmes structures Décembre 2012


65 et les mêmes motivations qui sont à l’œuvre, en particulier les mêmes conflits entre les hommes ? Ou estelle un éternel changement, chaque époque constituant une aventure nouvelle ? La Tunisie d’aujourd’hui, celle qui a fait sa Révolution, est-elle une Tunisie complètement nouvelle ou répète-t-elle des épisodes de son histoire trois fois millénaire ? Paul Morand dirait : « L’Histoire, comme une idiote, mécaniquement se répète

» (Fermé la nuit), précédé de Charles Alexis de Tocqueville : « L’Histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies » (L’Ancien Régime et la Révolution). En face, Louis-Ferdinand Céline affirmerait que « L’Histoire ne repasse pas les plats » (L’Express n°312) et Paul Valéry que « L’Histoire est la science des faits qui ne se répètent jamais » (Variété) ou encore que « L’Histoire justifie ce que l’on veut » (Regards sur

le monde actuel). In medio stat virtus / « Au milieu se tient la sagesse », proclament toutes les philosophies tournées vers le bonheur de l’Homme. Alors conjuguons bientôt Le Passé au Futur – en posant le curseur sur cet idéal du juste milieu… Midi le juste – en Méditerranée… Al-Bahr Al-Abyad Al-Muttawasit …

Brachylogia, ou la renaissance d’un concept

Brachylogia est le nom d’une nouvelle association scientifique se définissant comme une « coordination des études brachylogiques ». L’association agit dans les domaines de la recherche, des études, de la pensée et de la création, ainsi que dans la coordination et la coopération entre les chercheurs, les créateurs, les penseurs et les industriels dans le domaine des êtres, des objets et des formes à petites dimensions. Les académiciens savent que la brachylogie est une figure de la rhétorique classique et quevle terme est tombé en relative désuétude depuis le début du XIX° siècle pour se laisser supplanter par ce que l’on nommera, bien plus tard, la poétique de la brièveté ». Le Professeur Mansour M’henni a une autre vision de choses en relançant le concept et surtout le terme qui le désigne avec une perspective plus élargie et un champ d’investigation plus large, comme cela sera développé dans son prochain livre sur la question. A titre amical et en exclusivité, il a bien voulu nous faire d’un brin d’information qui préside à sa pensée : « Ce que l’on voudrait proposer ici, c’est la mise en place d’une plateforme de recherche pluridisciplinaire où les sciences fondamentales et les sciences humaines se tendent les interrogations et esquissent ensemble des éléments de réponse pour ce qui concerne ce que l’on s’accorderait à appeler « le petit et

le bref », le « minus » si l’on préfère, en dehors de tout préjugé de valeur, et que cela se fasse à la rencontre, en amont ou en aval, et pourquoi pas en parallèle, de la littérature et des arts dans le champ culturel le plus large possible, assez en tout cas pour embrasser toutes les expressions langagières. La brachylogie ! Telle est cette présumée science, ou au moins une certaine déclinaison de la science qu’on pourrait commencer par désigner comme étant « l’étude des petites formes ». A première vue, on songe immédiatement aux petites formes discursives, surtout les littéraires d’entre elles, et on répliquerait que la périphrase « poétique des formes brèves » suffirait largement, avec l’avantage de la précision, de la clarté et des mots simples. Cependant, l’intention est ici plus ambitieuse, car elle prétend qu’une science générale des petites formes, aussi bien en biologie, en sciences de la matière qu’en sciences du langage, gagnerait à se constituer comme telle et à se donner à l’étude la plus appliquée et la plus minutieuse pour amener peut-être de nouveaux enseignements et d’autres vérités sur l’homme et son environnement, sur son potentiel relationnel et ses insuffisances, sur sa capacité créatrice et les limites de sa puissance. La brachylogie sera pour nous cette science ou ce champ de connaissance et de savoir qui englobe tout ce qui se reconnaît, tout

ce qui est reconnu, structurellement et fonctionnellement, de l’ordre du « petit », du « minus », dans toutes ses configurations, toutes ses manifestations et avec tous ses outils et ses moyens. Les sciences physiques et naturelles, au sens large, ont leur brachylogie dans les études anatomiques, morphologiques et microscopiques. La technique aussi, en conséquence, a cultivé le sens du petit et de son usage ; les Japonais, entre autres civilisations, y ayant trouvé le champ privilégié de leur excellence, ne tardant pas à avoir des disciples dans le domaine. Les sciences humaines et la pratique du langage n’ont pas dérogé à la règle, avec tout de même une certaine dispersion et une disparité certaine de la considération accordée aux modes d’usage de la brièveté et à leur dynamique spécifique. L’ambition de ce travail, à tous points de vue préparatoire, est de (re-) lancer le concept, à partir de son apparentement étymologique et de ses racines herméneutiques, en vue de mettre en perspective les jalons structurels de son orientation éclectique et de le présenter dans la cohérence supposée qui lui donnerait les raisons de se constituer comme un champ propice à l’exploration scientifique dans ses dimensions larges et plurielles. » P.V. Patrick Voisin, auteur de Il faut reconstruire Carthage. Méditerranée plurielle et langues anciennes, Paris, 2007

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Ne Foutez pas la pagaille à notre foot !

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e Foot, c’est l’histoire de ce ballon rond qui a traversé plusieurs décennies, qui a survécu aux guerres et conflits, et qui a connu de grandes joies et de très grandes peines dans les stades du monde, y compris la Tunisie, où beaucoup de citoyens curieux, d’ex dirigeants, de techniciens à la retraite, d’anciens joueurs, et de supporters se mordent les doigts pour notre football. Le Foot pendant la Révolution Depuis le déclenchement de la révolution populaire du 14 janvier 2011, le football tunisien est demeuré confus pour ne pas dire meurtri, et peine encore à se remettre sur pied pour avoir été pris dans le tourbillon de nombreux motifs avant le déclenchement de la Révolution, et en payant également les frais après la révolution. Il faut l’avouer, personne ne s’attendait à un tel changement et n’avait prédit le basculement de l’ancien régime. C’est pourquoi le football tunisien n’en a pas encore totalement digéré les effets. Nous nous rappelons tous que le championnat 2010-2011 avait été interrompu entre janvier et avril, essentiellement pour des raisons de sécurité qui étaient liées à un très délicat problème de violence dans les stades. Difficultés financières Les clubs, qui avaient dû respecter une trêve de plus de trois mois d’interruption ont vu certains d’entre eux aller vers la faillite, leurs caisses étaient complètement vides et leurs joueurs impayés. Une délicate situation qui a Tr i b u n e p o u r t o u s

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même poussé certains joueurs à faire la grève, sachant que ces derniers vivaient au jour le jour avec ce que les clubs leur versaient tous les mois. Il ne faut pas oublier que la plus part des joueurs sont issus d’un milieu très moyens. De ce fait, le tarissement des ressources de financement avait fait que le monde du ballon rond tunisien fasse grise mine, à quelques exceptions près. Certains clubs étaient plus touchés que d’autres,

Tarak Dhieb

et il y avait ceux qui étaient à l’abri du fait des moyens considérables qui étaient en leur possession, tels que l’Espérance Sportive de Tunis, l’Etoile Sportive du Sahel, ou le Club Sportif Sfaxien, derrière lesquels se dressent de solides hommes d’affaires et riches particuliers. D’ailleurs, Riadh Bennour, président de la section football de l’Espérance sportive de Tunis avait déclaré un jour : ‘’Le club se porte bien financièrement grâce à Hamdi

Par Anouar Chennoufi Meddeb, son président’’. Ce qui confirme notre point de vue. La situation s’était engouffrée davantage encore, lorsque les traditionnels sponsors du football tunisien qui s’étaient retrouvés eux même en grande difficulté, avaient fermé en quelque sorte les robinets. Un peu plus tard, c’était au tour de l’État de ne plus subventionner le championnat comme avant, la situation devenait ainsi de plus en plus compliquée et le secteur footballistique commençait vraiment à agoniser. Hormis tout cela, le football tunisien était confronté à bien d’autres problèmes, sa reprise était tributaire d’une réelle lutte contre la violence dans les stades, et devant l’insuffisance d’agents de sécurité, il a été fait appel à la mise en place de ‘’stadiers’’ pour essayer de calmer l’affrontement entre le public et les policiers en cette période. Réformes Oublions un petit peu les conséquences de la révolution et voyons grosso modo certaines des difficultés du football en Tunisie. Les techniciens, les observateurs et les administrateurs du secteur, adoptaient tous ensemble un même point de vue ‘’réformer le football tunisien’’, qui buttait selon eux à d’énormes difficultés à tous les niveaux. Il fallait donc opter pour des réformes qui couperaient définitivement avec les anciennes pratiques et qui mettraient plus d’ordre et de sérieux du côté organisationnel. Ces réformes, doivent Décembre 2012


67 impérativement toucher divers volets, ’’la consolidation des ressources financières et leur élargissement, la primauté des règlements, imposer la compétence sur le plan technique, la promotion de l’arbitrage, la modernisation des méthodes de travail de la Fédération Tunisienne de Football, et bien entendu la remise en état des infrastructures et le développement de celles-ci’’. On devrait réfléchir à permettre aux associations sportives professionnelles à se doter du statut de société commerciales, de façon à ce que ces dernières pourraient trouver des moyens pour renforcer leurs ressources financières et faire fructifier leurs actifs, ce qui leur permettrait d’investir et d’honorer leurs engagements. Il faudra également œuvrer à moderniser l’administration et donner plus de liberté d’action aux ligues régionales pour assurer aux associations sportives une décentralisation efficace et un suivi plus méthodique et rapproché. Encadrement des jeunes passionnés Un autre point très important, mais trop négligé, qui reste à remettre en cause : la promotion du football amateur, trop marginalisé, qui nous incite forcément à créer plus de centres de formation qui soient équitablement répartis géographiquement. Ceci, nous oblige à penser à l’encadrement de tous ces jeunes qui tapent dans le ballon quelque part dans les rues, dans les jardins publics et même devant les établissements scolaires. Ces jeunes enfants qui cachent bien des potentialités et des dons de ‘’footballeurs’’, mais qui disparaissent dans la nature par négligence et absence d’encadrement. Les Pros Les joueurs, quant à eux, ceux de Ligue 1 et 2, ont voulu réagir

autrement, commençant d’abord par manifester devant le ministère de la Jeunesse et des Sports, puis en se regroupant en syndicat pour promouvoir leurs revendications, dont des questions qui concernent la couverture sociale, les contrats ou encore les dédommagements en cas de blessures graves auxquelles ils sont perpétuellement exposés. Accusés par plusieurs médias de ne penser qu’à leurs ‘’bourses’’, les ‘’pros’’ se sont défendus néanmoins de ne penser qu’à l’argent, en clamant leur soutien à la Révolution du 14 janvier. Equipe nationale Là, il faut bien le crier assez haut, ce sont bien les Aigles de Carthage qui doivent sincèrement être ‘’remodelés’’. Nos internationaux essayent tant bien que mal depuis quelques années à se resituer parmi les meilleurs en Afrique, sans toutefois réussir à donner le mieux d’eux-mêmes pour reprendre leur place de leader qui leur a valu de participer à une première phase finale de la Coupe du monde en 1978. Faisons donc un pas en arrière et revenant à l’année 1977 où, sous l’impulsion du grand technicien Abdelmajid Chetali, nouvel entraîneur à cette époque, la Tunisie était parvenue à se qualifier pour la CAN 1978 et en même temps pour sa première coupe du monde, après avoir éliminé l’Égypte et le Nigeria. Lors de CAN 1978, après un premier tour où les tunisiens ont pu éliminer le Maroc, la Tunisie s’était inclinée en demi-finale face à ‘’sa bête noire’’, le Ghana. En coupe du Monde, il faut bien le rappeler également, car c’était un match inscrit dans l’histoire, la sélection nationale avait frappé un grand coup, en battant le Mexique par 3 but à 1, devenant ainsi le 1er pays africain à remporter un match durant une phase finale de la coupe

du monde. Ces moments magiques du football tunisien sont malheureusement rares, et les consécrations tardaient à venir. Il a fallu attendre CAN 2004, où menée par Roger Lemerre, la Tunisie pût remporter la Coupe d’Afrique des Nations. Les années blanches ont continué à sévir jusqu’au début de l’année 2011, la Tunisie vivait sa révolution, et son football essayait de survivre sous la houlette de Sami Trabelsi qui avait su mener le bateau jusqu’à la finale du Championnat d’Afrique des Nations. Les Aigles de Carthage avaient trouvé leur vivacité et leur génie face à l’Angola

Abdelmajid Chetali

et remportèrent facilement le match et le titre sur le score de 3-0. Les défis sont toujours là, et les autorités de tutelles doivent impérativement mettre de l’ordre dans ce secteur ‘’trop vital’’ et ‘’très attractif’’, en laissant les gens du métier faire leur métier pour de bon. Les dirigeants doivent observer un peu plus de recul pour laisser le staff technique prendre plus d’initiatives. Quant aux financiers, ils sont appelés à continuer à renflouer les caisses des clubs. C’est de cette manière que notre football pourrait avancer, former des ‘’stars’’ du du ballon rond et bien entendu glaner des titres.

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Un mois difficile pour l’Espérance ‘’CHAMPION DE LIGUE AFRICAINE 2012’’ en battant l’EST 2 but à 1.

L’Espérance sportive de Tunis a connu un mois de novembre relativement difficile. C’est sans doute à l’image du pays ! A preuve : L’EST n’a pas réalisé son rêve de remporter la finale-retour de la Champions League à Radés, face à son public, samedi 17 novembre, face au club égyptien d’Al Ahly qui se fait sacrer

Les Sang et Or ont été éliminés de la course au titre pour la Champions League de handball, vendredi 23 novembre, après avoir été battus par le club égyptien Al Ahly au Caire, lors des demis finales, sur un score final de 24-23 après les prolongations. Pire encore, un enfant de six ans inscrit à l’Espérance sportive de Tunis s’est noyé dans la piscine d’El Menzah. Sa tante a ainsi présenté l’accident sur sa page facebook : « Mes amis, mon neveu Yassine Haj Ayed, né le 15/06/2006,

Le Volley tunisien champion arabe 2012

La sélection tunisienne de Volleyball a réussi à belle performance qui lui a valu une nouvelle consécration à l’échelle internationale, celle de ‘’Champion arabe 2012’’, en s’imposant, mardi 13 novembre 2012, contre la sélection nationale du Bahreïn au score de 3 sets à 2. Lors de cette compétition, Marouene Garci a reçu le prix du meilleurs joueur au contre, et Ilyes Karamosli celui du meilleur service.

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est décédé noyé à la piscine olympique d’El Menzah. Le petit Yassine, âge de 6 ans, a été aspiré par le filtre sans cache et mort sur place dans le petit bassin en présence des moniteurs et monitrices. Il était au fond du bassin à côté du filtre ouvert et personne ne s’en est rendu compte. Le rapport d’autopsie atteste qu’il a bien été noyé et ses parents sur place le cherchaient partout et ne le voyaient pas noyé. » Elle conclut en dénonçant l’irresponsabilité des personnes « qui ne font pas leur travail et tuent les enfants des autres par leur nonchalance ». S.R.

Ons Jabeur, championne d’Afrique de tennis

La championne tunisienne de tennis, Ons Jabeur, forte de son expérience internationale et de sa ténacité, a été sacrée « Championne d’Afrique 2012 », vendredi 9 novembre, après avoir battu en finale l’égyptienne May Kammech en 2 sets, 6-3, 6-2. Décembre 2012


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l’ONTV revient à Tarak Ben Ammar Après l’expérience de Nessma TV et sa portée maghrébine, Tarak Ben Ammar est on ne peut plus à l’aise avec son acquisition, mercredi 5 décembre 2012, de la chaîne ONTV en Egypte, achetée au milliardaire égyptien Naguib Sawiris. En effet, c’est la dimension méditerranéenne que convoite l’homme d’affaires tunisien, plus rompu à la production cinématographique mais de plus en plus enthousiasmé par le secteur audiovisuel. Son principal objectif c’est, en

complémentarité avec Nessma Tv (appelée à s’enrichir bientôt de Nessma France avant le ramadhan 2013, la construction d’un projet culturel panarabe ouvert horizontalement sur le monde arabe et transversalement sur le Nord de la Méditerranée où vivent plus de 16 millions de musulmans, rien que dans l’espace de l’Union Européenne. Une grande ambition pour une noble cause. Bonne chance !

Le sport et les médias, orphelins d’Abdelmajid Ben Ismaïl

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n l’a dit et répété, avant mon même son décès : il est vraiment rare de rencontrer un homme si cohérent dans sa manière d’être avec les gens et de faire dans la profession. En effet, feu Abdelmajid Ben Smaïl qui nous a quitté lundi 26 novembre 2012, après une longue maladie, à l’âge de 54 ans, était un homme de bon contact humain, amical et sympathique sans déroger au respect, un journaliste de grande compétence, renseigné et rigoureux, intelligent et pertinent, une vraie école

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dans le domaine. Plusieurs jeunes journalistes ont été directement ou indirectement ses disciples, consciemment ou inconsciemment : dans la presse écrite ou dans les médias

ausiovisuels. En tout cas, les familles respectives de la SNIPE-La Presse As-Sahafa, de la Télévision tunisienne, surtout Canal 21, et d’Hannibal TV se souviendront particulièrement de lui ; les sportifs aussi, surtout ceux du football. Puisse Dieu accueillir son âme avec son infinie miséricorde et prodiguer à sa familles et ses amis, notamment ses trois enfants, la patience nécessaire pour supporter sa disparition. M.M.

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Attounissia Tv dans l’œil du cyclone ?

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’audiovisuel tunisien est dans la tourmente, c’est le moins qu’on puisse dire, vu le nombre de situations problématiques qui semblent s’installer de manière persistante. Il y a évidemment cette question de la mise en application des articles 15 et 16 qui, après un contentieux souligné avec le gouvernement, tend à s’étendre à la présidence de la République à l’occasion de sa démarche pour la nouvelle instance de l’audiovisuel tunisien. Il y a ensuite cet incident, plus tape-à-l’œil qu’autre chose, provoqué par Lotfi Abdelli dans la mouvance d’un conflit gratuit avec Samir Dilou, ministre des Droits de l’Homme et de la justice transitoire, à propos d’un doigt montré et d’un autre insinué, lors d’une émission d’Hannibal Tv. Mais il y a surtout Attounissia Tv qui a provoqué le plus d’attitudes variées, parfois contradictoires, notamment que tout a tourné

autour d’une série de procès. D’abord le procès-feuilleton de Sami Fehri dont rien de clair ne transparaît et qui nous replongerais dans le célèbre Procès de Frantz Kafka. L’affaire est encore à suivre et il n’est peutêtre pas temps encore de lui envisager une issue probante. Ensuite, il y a ce procès intenté contre la chaîne, « étrangère », par d’autres consoeurs tunisiennes qui voient leurs intérêts publicitaires affectés par une concurrence jugée déloyale. N’est-ce pas l’occasion, à ce propos, de mettre sur la table de

discussion la loi se rapportant à cette question ? Il y a même eu un projet de procès contre Alaa Chebbi ; mais les arguments de ce dernier semblent avoir dissuadé ses accusateurs. Mais il y a surtout cette série de procès tournant autour de l’émission de Moez Ben Ghabia où il a interviewé Slim Chiboul, le gendre de Ben Ali et ancien président de l’Espérance sportive de Tunis. Au-delà de tout cela, la grande question est de savoir si l’actuel spectacle de ce remue-ménage médiatique aboutira à des temps nouveaux de libération du secteur, dans les règles éthiques et déontologiques qui se doivent, ou si des forces occultes réussiront à tenir fermement les rênes qui le dirigent pour le réduire à une discipline qui résonne comme un assujettissement et une aliénation. S.A.

Un bureau de l’UPF à Tunis

La HAICA, viendra ? Viendra pas ?

L’Union internationale de la presse francophone (UPF) a inauguré, vendredi 2 novembre, son nouveau bureau à Tunis ; la présidence du bureau a été confiée à Mouldi Zouabi.

Le président transitoire de la République, Moncef Marzouki a annoncé la naissance de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) pour le10 décembre 2012 à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale des droits de l’Homme. C’était à l’issue d’une séance de travail ayant réuni, lundi 19 novembre, au palais de Carthage, le président de la République avec plusieurs responsables de médias publics et privés, de représentants d’instances et de syndicats professionnels et spécialistes.

L’UPF est la plus ancienne association francophone de journalistes, elle a été fondée en 1950. Elle regroupe plus de 3000 journalistes, responsables et éditeurs de la presse écrite et audiovisuelle répartis sur 110 pays. C’est une organisation internationale « non-gouvernementale », qui remet chaque année le prix de la libre expression attribué à un journaliste qui a, dans un environnement difficile, maintenu son indépendance.

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Si l’urgence de la HAICA est certaine, sa création effective ne semble pas l’être pour autant, en tout cas pas à la date annoncée. S.R.

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Siège social: GP1 route de M’Saken 4013 Messadine Décembre 2012 Tél.: 73 32 30 25 - Fax: 73 32 30 33 - Email: sme.ondule@gnet.tn - Site web: www.sme-ondule.com

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Un ajouté à deux font combien ? « Symbole de l’être mais aussi de la Révélation qui est la médiatrice pour élever l’homme par la connaissance à un niveau d’être supérieur. L’Un est aussi le centre mystique, d’où rayonne l’esprit, comme un soleil ». Jean Chevalier & Alain Cheerbrant, Dictionnaire des symboles, p. 984 Un ajouté à Deux font, incontestablement, selon l’instituteur qui m’a appris les rudiments du calcul, Trois. C’est là, ajoute-t-il, une règle arithmétique incontestable. Il faut que le soleil se lève à l’ouest, reprend mon instituteur, soucieux du bien-être intellectuel de ses « chers enfants », pour que Un ajouté à Deux fasse autre chose que le trois convenu. Soit dit en passant, mon instituteur ne cache pas son aversion pour le nombre trois qu’il accuse ouvertement d’être le support de l’irrationalité. La trinité (qu’il ne se donne pas la peine de nous expliquer) n’est-elle pas, comme son nom l’indique, la grotesque mystification du trois ? Puis, se rendant compte qu’il s’est écarté de l’essentiel, il nous demande d’oublier tout cela et ajoute, grave et sentencieux : « Il ne faut jamais oublier que, dans tous les cas de figure, Un ajouté à Deux font bien Trois ». Comment se fait-il donc que, dans le contexte politique tunisien de l’aprèsrévolution, Un ajouté à Deux n’ont fait qu’Un ?! Demandez à n’importe quel tunisien de répondre à la question suivante : Ennahdha ajoutée au CPR et à Ettakattol font combien ? Surprise, au lieu de la Troïka attendue, la personne interviewée vous sert, sans la moindre hésitation, la réponse suivante, qu’il prend d’ailleurs la peine de qualifier de tout à fait logique : Ennahdha cher monsieur ! Inutile de vouloir le raisonner ou de lui demander de justifier sa réponse, il n’en démordra pas. Il n’y a pas d’autre réponse possible que celle-là. C’est à prendre ou à laisser. Mon instituteur, qui m’a appris, Tr i b u n e p o u r t o u s

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en plus de l’arithmétique, les rudiments de l’arithpolitique, était un visionnaire. Il nous disait en guise de commentaire, après nous avoir lu à trois reprises la fameuse fable de L’agneau et du loup de feu Jean de La Fontaine, qu’il n’est pas de l’intérêt de la fourmi de se mettre en ménage avec l’éléphant. Si, par chance, elle ne se fait pas, sciemment ou par inadvertance, écraser par son allié le pachyderme, elle risque fort d’être inféodée et de perdre ainsi son âme. Cela prouve, si besoin est, de conclure le sage qui a illuminé mon enfance, que le Petit ne deviendra pas grand au contact d’un Grand ! Un silence conséquent ponctue cette précieuse sentence, à la suite de quoi le maître, le visage radieux et l’œil étincelant, ajoute non sans emphase : la grandeur et la petitesse ne sont pas affaire de physique ! Un nain, confiant dans ses moyens, peut parfaitement mettre à terre un géant. Tout est affaire de stratégie. La morale de l’histoire, nous prévient le maître, le doigt braqué sur nos petites faces sidérées, est la suivante : « Un éléphant ajouté à une fourmi, ou à mille, font Un éléphant. Et rien de plus. Retenez bien cela. Vous en aurez un jour besoin ». Soucieux de mettre les points sur les I, mon précepteur de génie, revient à la charge en martelant son bureau branlant de son poing, criant qu’on ne peut additionner que les choses de même nature. Une pomme ajoutée à deux pommes font bien trois pommes. Le maître observe un moment de silence et, nous narguant de son regard intelligent, il ajoute souriant : « Attention, il ne faut pas les manger toutes les trois en même temps. N’oubliez pas les enfants que la gourmandise est une maladie mortelle ». L’adulte grisonnant m’a appris ainsi à me méfier des baguettes magiques, des baumes revigorants, des féeriques panacées et, d’entre toutes les illusions

Par Fredj LAHOUAR pernicieuses, des miracles ! Voilà pourquoi, me dis-je aujourd’hui, cinquante ans après la mort du génie anonyme qui m’a initié aux humanités, que le Califat ajouté à la République, les deux ajoutés au Libéralisme socialisant ne donnent rien du tout ou accouchent, comme c’est le cas pour la Tunisie postrévolutionnaire, d’un monstre hideux, dont la paternité à l’élément premier de cette association contrenature, baptisée frauduleusement Troïka, est trop flagrante. Un monstre où la sainte Chari’â ferait bon ménage avec la Charte universelle des droits de l’homme et la Laïcité. A cette synthèse dissonante, il faudrait ajouter un certain nombre d’autres ingrédients, stipulant – ô sublime trouvaille ! – la complémentarité de l’homme et de la femme dans la Cité idéale où, pour dissuader les sitinneurs, un bataillon de bourreaux bien entraînés par les grands maîtres d’Arabie, s’emploieraient à découper en morceaux les plus coriaces d’entre eux ! Mon maître d’antan nous disait, pour nous mettre en garde contre les faux calculs et les rêves démesurés, que l’essentiel n’est pas dans le résultat, mais dans la démarche. Le petit homme que j’étais à l’époque avait du mal à saisir la portée de ce propos, ô combien édifiant ! Aujourd’hui, au spectacle désolant du désastre commis par la sainte Troïka au pouvoir, je me dis, non sans amertume, que mon instituteur est le plus grand visionnaire de tous les temps, ne serait-ce que parce qu’il a réalisé, lui dont les moyens intellectuels étaient fort limités, que le bon sens est loin d’être la chose la mieux partagée entre les hommes. C’est cette perversion congénitale qui explique que, dans la Tunisie postrévolutionnaire, Tartuffe ajouté à Hippocrate font… font combien à votre avis ? Décembre 2012


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