Allez savoir ! 57 - Mai 2014

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NUMÉRO

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POLITIQUE Ils peuvent resservir, alors pourquoi disparaître ? 16-21

GÉOSCIENCES Un minuscule cristal raconte l’histoire de la Terre 22-26

BIOLOGIE Nos cimetières peuvent sauver les papillons 50-55

FOOTBALL

NOUS SOMMES

CHAMPIONS DE LA MONDIALISATION

!

ALLEZ

SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Mai 2014 | Gratuit


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ÉDITO

IMPRESSUM Magazine de l’Université de Lausanne No 57, mai 2014 www.unil.ch/allezsavoir Editeur responsable Université de Lausanne Une publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuel Quartier UNIL-Sorge Bâtiment Amphimax 1015 Lausanne Tél. 021 692 22 80 allezsavoir@unil.ch Rédaction en chef Jocelyn Rochat, David Spring (UNICOM) Création de la maquette Edy Ceppi (UNICOM) Rédacteurs Sonia Arnal Elisabeth Gordon Cynthia Khattar Virginie Jobé Alberto Montesissa Nadine Richon Anne-Sylvie Sprenger Muriel Sudano Correcteur Albert Grun Direction artistique Secteur B Sàrl www.secteurb.ch Photographie Nicole Chuard Illustration Eric Pitteloud (pp. 3, 27) Couverture © Thinkstock – Andrey Kuzmin Impression IRL plus SA Traitement de la couverture KMC, Le Mont-sur-Lausanne

ISSN 1422-5220

Tirage 17 000 exemplaires Parution Trois fois par an, en janvier, mai et septembre Abonnements allezsavoir@unil.ch (p. 4) 021 692 22 80

LE FUTUR S’ÉCRIRA, AUSSI, AU PASSÉ

À

quoi ressemblera la Suisse de 2024, et quels bouleversements marqueront la décennie à venir ? La votation du 9 février sur « l’immigration de masse » va-t-elle remettre en cause le modèle qui nous a assuré une prospérité et une stabilité très enviées ? Et comment allons-nous relever les défis démographiques et climatiques qui se poseront inévitablement ? Autant de questions qui seront posées aux participants du prochain Forum des 100 qui se tiendra à l’UNIL, le jeudi 15 mai, puisque le magazine L’Hebdo a choisi de célébrer les 10 ans de sa manifestationphare en se projetant dans la décennie à venir. Dix nouvelles années qui demanderont encore à la Suisse de clarifier ses rapports avec l’Union européenne, et, plus largement, avec le reste de la planète. Ces défis colossaux, nous allons peutêtre les résoudre en faisant du neuf avec du vieux. Car, comme vous le vérifierez dans ce magazine (lire en p. 16), dans les dix ans qui viennent, nous allons aussi apprendre à écrire le futur au passé. Rien à voir avec une quelconque réforme grammaticale qui vous aurait échappé: on parle ici de politique. Parce qu’il se produit dans nos contrées un changement significatif dans les habitudes des ministres qui ont quitté le pouvoir. Alors que, depuis 150 ans, nos exconseillers fédéraux s’offraient le plus souvent des retraites discrètes et /ou lucratives, en prenant garde de ne plus jamais intervenir frontalement dans les affaires du pays, un changement de tendance s’amorce.

CHRISTOPH BLOCHER, MICHELINE CALMY-REY, RUTH DREIFUSS, ET, DANS UNE MOINDRE MESURE, PASCAL COUCHEPIN, SE SONT INVENTÉS UN NOUVEAU RÔLE D’AÎNÉS HYPERACTIFS.

Allez savoir !

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JOCELYN ROCHAT Rédaction en chef

Christoph Blocher, Micheline Calmy-Rey, Ruth Dreifuss, et, dans une moindre mesure, Pascal Couchepin, se sont inventés un nouveau rôle d’aînés hyperactifs. Ils font sauter des tabous et lancent des débats, stimulants, futuristes ou carrément embarrassants. Et pas question de les ignorer. Car ces initiatives sont désormais relayées en boucle par les hypermédias contemporains, qu’ils soient sociaux ou plus classiques, permettant ainsi aux seniors de la politique suisse d’agiter la blogosphère, comme on l’écrit au XXIe siècle ;-) Libérés des règles strictes qui leur étaient imposées quand ils siégeaient au gouvernement, ces « nouveaux » retraités échangent le pouvoir contre l’influence. Libérés de la collégialité, donc moins taiseux, ils retrouvent leur liberté de parler, et en jouent avec plaisir et habileté. A l’image, finalement, de ce qui se produit un peu partout dans le reste du monde, où l’on ne cesse de se tourner vers ceux qui ont servi. Par exemple au prochain Forum des 100, où l’un des invités vedette s’appelle Joschka Fischer, qui fut un brillant ministre des Affaires étrangères avant de devenir un sage écouté. A ce stade, on ne sait pas encore si cette troisième vie des retraités du pouvoir va changer la politique. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que ces nouveaux seniors ont commencé à réinventer la société. Ces pionniers de la retraite active nous proposent une piste intéressante pour les dix ans qui viennent, où nous serons de plus en plus nombreux à quitter le monde du travail en pleine forme, et à nous demander comment utiliser cette énergie.  Mai 2014

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Découvrez les magazines de l’UNIL sur vos tablettes et smartphones

Allez savoir ! et l'uniscope (le magazine du campus) peuvent être consultés partout, grâce à leurs versions pour tablettes et smartphones. Leur contenu est enrichi de vidéos, de sons, de galeries photographiques et de liens. Disponible via Google Play et App Store.

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SOMMAIRE

PORTFOLIO Fréquence Banane, histoire de l’art, Dorigny.

BRÈVES L’actualité du campus : distinctions, formation, international, publications.

POLITIQUE Ils peuvent resservir, alors pourquoi disparaître ?

GÉOSCIENCES Un minuscule cristal raconte l’histoire de la Terre.

RÉFLEXION Les métamorphoses du couple lecteur-auteur. Par Raphaël Baroni, professeur associé à la Faculté des lettres.

UNIVERSITÉ Comment l’UNIL mesure-t-elle sa qualité ?

SPORT La mondialisation sublime le football suisse.

HISTOIRE DES RELIGIONS Le « Notre Père » ne nous soumet plus à la tentation.

C’ÉTAIT DANS « ALLEZ SAVOIR ! » Les chercheurs ont-ils un avenir sur Internet ? Article paru en 1995.

IDENTITÉ Qui suis-je sur Internet ? Mystères de l'UNIL.

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SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Mai 2014 | Gratuit

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IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

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BIOLOGIE

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MOT COMPTE TRIPLE

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ÉDITION

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LIVRES

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FORMATION CONTINUE

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MÉMENTO

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CAFÉ GOURMAND

Ariane Baehni pleine de grâce.

Nos cimetières peuvent sauver les papillons.

Que sont les humanités digitales. Avec Claire Clivaz et Dominique Vinck.

Le livre n’a pas dit son dernier mot. Avec François Vallotton.

Histoire, justice, pauvreté, roman, écologie, cinéma et évangéliques.

La formation continue en 7 mots. Statistiques de la criminalité.

Evènements, conférences, musique, sorties et expositions.

Un aventurier de la langue italienne. Avec Lorenzo Tomasin.

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EN DIRECT SUR FRÉQUENCE BANANE

Le 27 mars dernier, entre 17h et 19h, dans les sous-sols de l’EPFL. Etudiante en Lettres à l’UNIL, Najia s’exprime en direct sur les ondes de Fréquence Banane, la radio associative qui fête ses 20 ans cette année. Sous le titre La Suisse dans l’espace, l’émission Micropolis Jeudi était ce soir-là consacrée aux suites de la votation du 9 février 2014, et au décollage du pays – dans son entier – pour les confins intersidéraux, histoire de couper physiquement les liens avec l’Europe. Au micro, dans un studio à l’encombrement joyeux, plusieurs animateurs incarnaient les différents personnages embarqués, de l’UDC alémanique à la socialiste romande en passant par le capitaine Burkhalter. Périlleux, l’exercice a été réussi, ce qui n’est pas évident si l’on considère que l’équipe d’étudiants est aussi enthousiaste que débutante. Petit stress supplémentaire, l’émission était diffusée sur la bande FM, pendant un mois. Le reste du temps, Fréquence Banane est accessible via le net (www.frequencebanane.ch) ou le câble (94.55 MHz). DS Reportage photographique et informations supplémentaires sur www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO NICOLE CHUARD © UNIL




UN AIR DE MADONE

« La fille Jayet et son enfant ». Réalisée au début des années 1760, cette œuvre fait partie d’un ensemble de boiseries installées aujourd’hui au Château de Mézery, non loin de Lausanne. Ces pièces charmantes, où figurent une soixantaine de personnages identifiés en partie, ont été commanditées par David-Louis Constant d’Hermenches. « Elles mettent en scène ses intérêts, comme la danse, la musique, le théâtre ou la peinture, ainsi que sa vie familiale, sans oublier sa propre personne », explique Béatrice Lovis, doctorante au Centre des sciences historiques de la culture. Amateur d’art, ami de Voltaire, acteur et claveciniste en prime, cet officier haut en couleur a été une figure importante de la vie culturelle et sociale à Lausanne au milieu du XVIIIe siècle. Son salon peint constitue un signe tangible de l’influence des Lumières dans le Pays de Vaud. DS Entretien avec Béatrice Lovis et images supplémentaires sur www.unil.ch/allezsavoir. Le site Lumières. Lausanne contient beaucoup d’informations sur ces boiseries et la famille Constant. https ://lumieres.unil.ch

PHOTO DALBERG (ATTRIBUTION), VERS 1760, HUILE SUR BOIS. © COLLECTION PRIVÉE. PHOTO MUSÉE HISTORIQUE DE LAUSANNE / ARNAUD CONNE


DORIGNY AVANT L'UNIL

Collaborateur à Unibat – Service des bâtiments et travaux, Serge Treboux a découvert cette photographie aérienne du site occupé aujourd’hui par l’université et l’EPFL. A gauche, la route cantonale file vers Morges. Sur la droite, on reconnaît le Château, qui accueille aujourd’hui plusieurs services centraux de l’institution. Juste à côté se trouvent la Ferme (la Fondation Jean Monnet pour l’Europe) et la Grange (le théâtre). Ce document ne comporte aucune légende. Mais Gérard Bagnoud, responsable du Service des archives de l’UNIL, et Eloi Contesse, archiviste aux Archives cantonales vaudoises, ont trouvé une piste. Ce cliché pourrait dater de 1953 et faire partie du fonds « Photo Aéroport Lausanne », constitué par Alphonse et Gilbert Kammacher. Cet ensemble, où se trouvent plusieurs images aériennes similaires, comporte 3068 négatifs noir-blanc sur plaque de verre et 56 tirages positifs. Ils datent des années 1930 à 1961 et couvrent presque l’ensemble du territoire vaudois, vu du ciel, ainsi que de nombreux évènements. Les lecteurs d’Allez savoir ! qui posséderaient des informations supplémentaires sont invités à contacter le magazine via allezsavoir@unil.ch. DS Davantage d’informations sur « Photo Aéroport Lausanne » : www.davel.vd.ch/detail.aspx ?ID=488041

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BRÈVES

RECHERCHE

ENQUÊTE

LE LABORATOIRE DU FÉDÉRALISME FISCAL

Un site internet présente les recherches en cours sur le fédéralisme fiscal, dans le cadre du projet Sinergia The Swiss Confederation : A Natural Laboratory for Research on Fiscal and Political Decentralization. Les différences cantonales en matière d'imposition ou encore l'impact des politiques sociales sur les revenus des contribuables y sont approfondis. Des vidéos, animations et articles scientifiques sont à disposition. Soutenu par le Fonds National Suisse (FNS), le projet s'effectue en collaboration avec les professeurs Marius Brülhart (Université de Lausanne), Monika Bütler (Université de St-Gall), Mario Jametti (Université de la Suisse Italienne) et Kurt Schmidheiny (Université de Bâle). (RÉD.) www.fiscalfederalism.ch

ARCHIVES

TOUT ALLEZ SAVOIR! EN UN CLIC

Les magazines de l’Université de Lausanne sont accessibles sur la plateforme Scriptorium, créée par la Bibliothèque cantonale et universitaire Lausanne. Désormais, les éditions complètes d'UNI-Lausanne (19711993), L'uniscope (1988-2012) et Allez savoir ! (1995-2012) sont disponibles sous forme numérique. Des recherches poussées par mots clés peuvent être faites dans plus de 13 000 pages d'archives. La plateforme Scriptorium propose un très large choix de documents (livres, journaux, revues et livres) publiés dans le canton de Vaud ou écrits par des Vaudois. (RÉD.)

COMMENT TRAVAILLEZ-VOUS? Avec le concours de la Fédération des associations d’étudiant-e-s (FAE), et depuis 2006, l’UNIL mène chaque hiver l’enquête téléphonique « Comment allez-vous ? » auprès des étudiants qui se sont inscrits pour la première fois. L’occasion de voir comment se déroulent leurs premières semaines.Pour la dernière édition, un accent a été placé sur les méthodes de travail. Une minorité des personnes interrogées (16,4%) déclare rencontrer des difficultés dans ce domaine. Lesquelles ? Dans l’ordre décroissant d’importance : la gestion du temps et l’organisation, le manque de motivation (dû au décalage entre l’image que l’on se fait des études et la réalité des premiers mois de mise à niveau), la concentration pendant les cours ou la mémorisation. Pour répondre à ces soucis, le Service d’orientation et conseil de l’UNIL a mis sur pied des « ateliers

Les deux-tiers des étudiants prennent des notes principalement sur papier

La proportion des étudiants qui déclarent travailler en groupe

LA CITÉ VA BOUGER!

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Lors des cours, une courte moitié des étudiants ose poser des questions

SPORT UNIVERSITAIRE

http ://scriptorium.bcu-lausanne.ch

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Résultats complets de l’enquête 2013 : www.unil.ch/soc/page79295.html

66,3 % 49,5 % 50,7 % La Fédération internationale du sport universitaire (FISU), le Service des sports universitaires UNIL-EPFL et l’Institut des sciences du sport de l’UNIL (ISSUL) inviteront la population à se bouger dans le cadre du premier Festival international du sport universitaire : « Lausanne in motion » – c’est le nom choisi par les étudiants de l’ISSUL qui ont réfléchi à ce projet – aura lieu le 20 septembre 2014 sur la Place de la Navigation. Festif, l’évènement proposera des activités participatives, telles que zumba, capoeira ou power yoga, mais également éducationnelles autour du sport santé,

Allez savoir !

réussite » réguliers (www.unil.ch/reussir), destinés justement à fournir les outils nécessaires à l’apprentissage du métier d’étudiant. Lors des cours, la jeune génération prend des notes principalement... sur papier (66,3%), ou sur ordinateur portable (25,9%). Une infime minorité a choisi la tablette et les autres n’ont pas de préférence affirmée. Les champions du clavier se trouvent en psychologie et en droit. 41,6% des personnes interrogées relisent leurs notes après les cours, ce qui constitue une bonne pratique. En médecine, ils sont 87,2% à indiquer le faire ! Enfin, un mythe s’effondre. 36,9% des étudiants estiment que le matin est le meilleur moment pour réviser. Les oiseaux de nuit ne représentent que 2,3%. DS

et culturelles avec une soirée de clôture en musique. La FISU a également souhaité promouvoir les capacités des étudiants et organise pour cela un talent show artistique et sportif, ainsi que trois concours pour les étudiants (création de nouveaux sports ou pédagogies sportives, sciences & technologies, art & culture). Une édition nationale de ce festival aura lieu en 2015, à la même période, et marquera le lancement officiel de la première journée internationale du sport universitaire en collaboration avec l’Unesco. MS www.fisu.net


Félix Imhof © UNIL

ERASMUS, C'EST LE SUPPLICE DE TANTALE. VOUS TENDEZ LA MAIN VERS LA GRAPPE, ET LE VENT L'ÉLOIGNE. VOUS VOUS BAISSEZ POUR BOIRE, ET L'EAU SE RETIRE. Dans Le Temps du 3 mars 2014, Antoinette Charon Wauters, responsable des Relations internationales, parle des suites de la votation du 9 février.

ALIMENTATION

INTERNATIONAL

groupes se produisaient sur une scène voisine. La soupe, concoctée dans un grand chaudron, a ensuite été offerte au public. En Suisse, chaque ménage de quatre personnes jette en moyenne et par an pour 219 francs de légumes et 209 francs de fruits. Sans parler de ce que les commerces bazardent au quotidien. Un gâchis auquel les opérations comme la Disco Soupe sensibilisent. DS https://unipoly.epfl.ch

UN FORUM SUR LA CRISE EN ASIE Le 19 février dernier à Singapour, le HEC Lausanne Finance Forum était placé sous le thème : « Cinq ans après la crise financière : qu’avons-nous appris ? ». Un événement organisé par Swissnex Singapour, la Faculté des HEC et son club des Alumni. A cette occasion, le vice-doyen Jean-Philippe Bonardi est revenu sur le lien entre l’organisation du Finance Forum et la recherche scientifique. Lorenz Goette, professeur et directeur du Département d’économétrie et d’économie politique, a abordé les recherches qu’il mène. Elles portent notamment sur les comportements communs à l’origine des défauts de paiement hypothécaires et la crise financière. Le professeur Philippe Bacchetta a présenté les résultats de ses recherches sur le rééquilibrage mondial et l’épargne des entreprises. (RÉD.)

© Céline Brichet, FRC Vaud

Le 10 avril dernier, sur la place de l’Europe à Lausanne, l’association UniPoly et Slow Food organisaient une Disco Soupe festive. Le principe, qui se répand un peu partout en Europe: éplucher des légumes destinés à la poubelle sur fond musical. Attablés au soleil, passants et étudiants ont préparé patates, poireaux ou carottes – principalement des invendus offerts par des marchands locaux – pendant que plusieurs

© swissnex Singapour

UNE SOUPE CONTRE LE GASPILLAGE

HISTOIRE DES IDÉES

LE CENTRE WALRAS-PARETO CHANGE DE NOM ET DE FACULTÉ Autrefois chapeauté par la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique, le Centre Walras-Pareto a rejoint l’Institut d’études politiques et internationales (IEPI) de la Faculté des sciences sociales et politiques, le 1er janvier 2014. Il s’est mêlé au Centre d’histoire des idées politiques et des institutions pour former le Centre Walras-Pareto d'études interdisciplinaires de la pensée économique et politique.

« IL EST OPPORTUN DE REGROUPER LES CHERCHEURS QUI TRAVAILLENT SUR DES THÉMATIQUES VOISINES. » FABIEN OHL, DOYEN DE LA FACULTÉ DES SSP

« Il est opportun de regrouper les chercheurs qui partagent des méthodes de travail semblables et qui travaillent sur des thématiques voisines », souligne Fabien Ohl, doyen de la Faculté des SSP. Mené dans un souci de cohérence, ce rapprochement renforce aussi l’encadrement des étudiants, dont l’effectif croît d’année en année. A la rentrée de septembre 2013, ils étaient ainsi 2754. (RÉD.) www.unil.ch/cwp

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BRÈVES

SCIENCE-FICTION

PASSAGE EN REVUE

JACCOTTET, FOURMIS ET GÉNÉTIQUE

DES TEXTES QUI ONT DU SOUFFLE

LES ENTREPRISES COMME ACTEURS POLITIQUES

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ressent physiquement dans le corps du lecteur et le rend vivant. » Colin Pahlisch s’est penché sur l’analyse de la communauté que forment les 23 narrateurs du roman. « Le texte, c'est sa force, se donne tout autant à lire comme un récit d'aventure que comme un réservoir d'idées, de perspectives, pour interroger notre époque. C'est fascinant ! » souligne-t-il. Une autre manière d’approcher la sensualité qui caractérise le roman. DS www.unil.ch/archipelessais

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C’est le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques en 2014 (d’après Serval, au 17 avril 2014). C’est à une intéressante passe d’armes que convie la California Management Review (vol. 56, numéro 2), éditée par l’Université de Californie à Berkeley. Titré Contesting the value of « Creating Shared Value », un article co-écrit par Guido Palazzo, directeur du Département de stratégie de la Faculté des HEC, s’en prend à un concept popularisé par deux autres chercheurs, Michael Porter et Mark Kramer. En une phrase, la notion récente de Creating Shared Value(CSV) consiste, pour une société, à réaliser des profits en intégrant les problèmes sociaux et environnementaux qui la touchent. Un modèle dans lequel toutes les parties seraient gagnantes. En une vingtaine de pages, Guido Palazzo et ses collègues se livrent à un réquisitoire sévère d’une idée « sans originalité ». « Le danger de la CSV, c’est qu’elle incite l’entreprise à se concentrer sur les petites difficultés faciles à résoudre, ce qui lui fait perdre de vue la vision d’ensemble des problèmes », explique le professeur. Il faut de plus être naïf pour penser que les crises se résolvent de manière winwin, alors qu’en réalité, il s’agit souvent de compromis, voire de dilemmes pour le management. Si Guido Palazzo soutient, comme Michael Porter, que le capitalisme connaît une crise de légitimité, ce n’est certainement pas la CSV qui va l’en sortir. Avec l’affaiblissement des Etats-nations, « les entreprises deviennent des acteurs politiques dans les régions où les gouvernements ne veulent ou ne peuvent agir », note le chercheur de l’UNIL. Pour elles, au XXe siècle, créer des postes de travail, payer des impôts et être un peu philanthropes suffisaient. « Aujourd’hui, on attend des multinationales – notamment – qu’elles analysent l’ensemble de leur chaîne de production, qu’elles repèrent les problèmes sociaux et environnementaux et qu’elles jouent un rôle dans leur résolution. » Par exemple, en s’attaquant à l’abolition de l’esclavage ou du travail des enfants, des luttes qui devraient être assurées par les Etats. Optimiste, Guido Palazzo note que cette responsabilisation, et le changement de mentalité qu’elle implique chez les managers, se répand dans les entreprises. DS http ://cmr.berkeley.edu/

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Le nombre de références faites à l’Université de Lausanne et au CHUV dans les médias en 2014, selon la revue de presse Argus, au 17 avril 2014. En janvier, la sortie (et les critiques) de L’amour est un crime parfait, des frères Larrieu, a propulsé l’UNIL dans les pages culturelles des journaux. En effet, Mathieu Amalric y incarne un professeur de littérature. Sur le plan politique, la votation du 9 février dernier et ses conséquences sur la recherche et la mobilité des étudiants, ont bien entendu mis l’institution à contribution, et notamment sa direction et son service des Relations internationales. Les médias ont en effet régulièrement relayé leurs inquiétudes. A la mi-février, l’entrée de Philippe Jaccottet dans La Pléiade, de son vivant, a été saluée. Sur Twitter et sur son blog très suivi, Pierre Assouline a par exemple traité de cet évènement. La responsabilité de l’édition de l’œuvre du poète a été assurée par José-Flore Tappy, collaboratrice scientifique au Centre de recherches sur les lettres romandes. Une recherche en biologie a connu un écho mondial. Jessica Purcell et l'équipe de Michel Chapuisat, au Département d'écologie et évolution (DEE), ont découvert que certaines fourmis habitant les plaines alluviales du Rhône s'accrochent les unes aux autres pour former un radeau vivant, lorsqu’elles sont confrontées à une inondation. Les larves et les pupes, qui flottent mieux, servent même de bouée ! Comme nombre d’autres médias, The Economist a traité de travaux menés par Sébastien Jacquemont, professeur assistant et médecin associé au Service de génétique médicale du CHUV, en collaboration avec l'Institut suisse de bioinformatique (SIB) et une équipe de l'Université de Washington à Seattle. Il s’avère que les filles résistent mieux que les garçons aux troubles neuropsychiatriques de l'enfant, dont l’autisme fait partie. DS

La Horde du Contrevent raconte le voyage de 23 personnages partis à la recherche de la source des vents qui balaient leur planète. Ce roman d’Alain Damasio, paru en 2004, fait l’objet de deux excellents essais publiés chez Archipel. Il s’agit de condensés des mémoires de master de Colin Pahlisch et Stéphane Martin. Ce dernier a eu un vrai coup de foudre pour le texte de l’écrivain français. « Jean-Michel Adam, aujourd’hui professeur honoraire, a très bien accueilli l’idée de s’attaquer à cette œuvre avec les outils de la linguistique. » « Il faut lire La Horde du Contrevent à haute voix, ajoute Stéphane Martin. La puissance du style se © DR

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L’UNIL DANS LES MÉDIAS


BIOLOGIE ET MÉDECINE

INTERNATIONAL

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LA FONDATION LEENAARDS SOUTIENT LA RECHERCHE

L’OMC, UN JEU TRÈS SÉRIEUX

En mars dernier, quatre étudiants de master en Science politique à l’UNIL ont participé à la 11e édition de la simulation de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui s’est tenue à HEC Montréal. Aux côtés de plus de 100 étudiants canadiens, français et libanais, Gwendoline Bessot, Arnaud Wicky, Pierre-Alain Blanc et Fabienne Tiambo ont participé à quatre jours de débats intenses. Par groupes de deux, ils ont incarné la délégation de l’Afrique du Sud et de la Banque mondiale. Un exercice pratique qui permet de mieux comprendre le fonctionnement de l’institution, de s’exprimer en public à la tribune et de se mettre dans la peau de lobbyistes. DS Article complet sur www.unil.ch/allezsavoir

Le 27 mars dernier, la Fondation Leenaards a attribué deux Prix à des projets de recherche biomédicale dite translationnelle, pour un montant total de 1 750 000 francs. Le premier projet, présenté par Nicolas Vuillemier (HUG), Oliver Hartley (UNIGE), Fabrizio Montecucco (UNIGE), Pedro Marques-Vidal (UNIL-CHUV), Martin Preisig (UNIL-CHUV) et Peter Vollenweider (UNIL-CHUV), a pour but d'identifier des biomarqueurs de l'athérosclérose pour prévenir l'apparition des maladies cardiovasculaires qui restent une cause de mortalité prépondérante dans nos sociétés. Le second projet combine l'expertise en biologie du cancer d’Anita Wolfer (UNIL-CHUV), à celle en chimie bio-organique d'Elena Dubikovskaya (EPFL) et de Yann Seimbille (UNIGE-HUG), en imagerie moléculaire. Il propose une approche innovante pour amener des agents chimiothérapeutiques directement en contact de cellules malignes, tout en préservant les cellules saines. (RÉD.)

NOMINATIONS ET RÉCOMPENSES

Félix Imhof © UNIL

Ruud B. van Heeswijk, postdoctorant au Centre de recherche en résonance magnétique cardiovasculaire, a été récompensé par la Fondation du Prix Pfizer de la Recherche pour son travail intitulé « Détection plus précoce de la myocardite ». Grâce à la résonance magnétique cardiaque, les médecins sont capables de déceler des lésions infimes du myocarde. En revanche, ils ne savent pas pour autant quel est le stade d'évolution de l'inflammation et quelles sont les cellules qui sont concernées. Chez la souris, le chercheur a développé une méthode d'examen qui lui a permis de mettre en évidence très tôt certaines cellules inflammatoires. (RÉD.)

Félix Imhof © UNIL

© Fondation du Prix Pfizer de la recherche

Professeure en systèmes d'information à la Faculté des HEC, Solange Ghernaouti est entrée le 1er janvier 2014 dans l'Ordre de la Légion d'honneur française. Pionnière en matière d'approche interdisciplinaire concernant la maîtrise des risques, la sécurité informatique et la criminalité des technologies du numérique, elle est reconnue en tant qu'experte internationale en cybersécurité. Première femme nommée professeure à la Faculté des HEC en 1987, Solange Ghernaouti préside la Fondation Erna Hamburger, qui apporte une aide matérielle à des femmes qui effectuent des études postgrades dans le Canton de Vaud. (RÉD.)

Le Prix Friedrich Miescher de la Société suisse de biosciences moléculaires et cellulaires est remis tous les ans à un-e jeune scientifique suisse ou ayant effectué ses recherches en Suisse. Il vient récompenser cette année le travail extraordinaire de Sophie Martin, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL, sur l'organisation spatiale de la cellule. Comment ces dernières acquièrent-elles leur forme ? Comment cette forme contribue-t-elle à leur prolifération ? La chercheuse utilise la levure fissipare comme système modèle pour chercher à répondre à ces questions. Avec son équipe, elle a publié plusieurs études dans Cell et Nature. (RÉD.)

Le Prix de l’Université de Lausanne 2014 est remis à Doris   Jakubec, professeure honoraire de l’UNIL, directrice du Centre de recherches sur les lettres romandes de 1981 à 2003. Elle a, par exemple, dirigé l’édition des romans de Ramuz dans La Pléiade. Mais il faudrait parler aussi de ses travaux et contributions sur JeanJacques Rousseau, Charles-Albert Cingria ou Guy de Pourtalès, parmi tant d’autres écrivains. Quatre doctorats honoris causa sont également décernés cette année, lors de la cérémonie du Dies academicus. Les récipiendaires sont Susan Gasser, Donatella della Porta, James Arthur Beckford et Geert Bouckaert. (RÉD.)

Félix Imhof © UNIL

QUATRE CHERCHEURS À L’HONNEUR

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POLITIQUE

MICHELINE CALMY-REY

Peu avant la votation du 9 février, la Genevoise a publié La Suisse que je souhaite. Ici, elle est photographiée au Forum des 100 édition 2007, alors qu’elle était présidente de la Confédération. © Bertrand Cottet - Strates

Le Forum des 100 www.forumdes100.com


ILS PEUVENT

RESSERVIR ALORS POUR UOI DISPARAITRE ? Calmy-Rey, Dreifuss, Blocher ou Couchepin, ces ex-conseillers fédéraux ne se contentent plus d’avoir été. Ils monopolisent la scène médiatique et annoncent l’émergence de nouveaux seniors hyperactifs, qui vont compter dans la prochaine décennie. TEXTE JOCELYN ROCHAT Allez savoir !

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L’Institut des sciences sociales www.unil.ch/iss

POLITIQUE

L’énergie des francs-tireurs Disparaître après avoir servi, voilà bien une idée qui n’a pas traversé les esprits des francs-tireurs Blocher et Calmy-Rey. Depuis 2007, et son éjection du Conseil fédéral, le tribun alémanique n’a cessé de rebondir. Le Zurichois est revenu en politique. Il s’est fait réélire au Conseil national en 2011, et le voilà, à la télévision, âgé de 74 ans, qui savoure le succès de l’initiative « Contre l’immigration de masse » dont il a été l’un des plus ardents défenseurs. Face à lui, Micheline Calmy-Rey est à peine plus discrète. Retirée du Conseil fédéral depuis 2011, elle a publié un livre quelques jours avant le scrutin du 9 février dernier. Dans cet ouvrage intitulé La Suisse que je souhaite, la Genevoise a remis sur la table avec fracas un sujet que les politiciens en activité évitent soigneusement d’évoquer. Elle propose aux Suisses d’adhérer à l’Union européenne, alors que la politicienne a défendu (avec succès) la voie bilatérale durant les neuf années qu’elle a passées au Gouvernement.

L

a télévision est allumée, comme d’habitude, mais les images qui défilent instillent un doute : en quelle année sommes-nous ? Car les deux stars qui débattent à l’écran, lors du grand « duel » politique organisé sur Arena, l’émission-phare de la chaîne alémanique SRF, sont la socialiste Micheline Calmy-Rey et l’UDC Christoph Blocher. A charge pour ces deux débatteurs aguerris de dire aux téléspectateurs de 2014 si « La Suisse est divisée » ou non. Pourtant, nous ne sommes pas revenus dix ans en arrière, quand ces deux « bêtes » politiques cohabitaient au gouvernement. L’émission a été diffusée quelques jours après le scrutin coup-de-poing du 9 février 2014, qui a vu l’acceptation surprise de l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Voir deux membres du gouvernement se contredire en direct était inimaginable quand Blocher et Calmy-Rey étaient tous deux conseillers fédéraux. Mais ce « duel » reste tout aussi extraordinaire de nos jours, quand on sait que, depuis 1848, la très grande majorité des conseillers fédéraux à la retraite a préféré suivre la règle tacite du « servir et disparaître ». Une tradition qui enjoint aux ministres de prendre leurs cliques et leur chapeau claque avant d’aller « faire des confitures de cerises », selon la boutade lancée par Pascal Couchepin dans 24 heures, quand il a annoncé son départ du Palais fédéral. 18

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OLIVIER MEUWLY Historien. Docteur en Droit et ès Lettres à l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

« DEPUIS 1848, ON AVAIT DÉJÀ VU DES EX-CONSEILLERS FÉDÉRAUX PRENDRE LA PAROLE, MAIS ÇA RESTAIT ASSEZ RARE. CES DERNIERS MOIS, LES CAS SE MULTIPLIENT. » OLIVIER MEUWLY

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Les cas se multiplient « Comme tous ces grands sujets relatifs à l’histoire politique suisse, il n’y a jamais rien de nouveau, mais on voit des phénomènes marginaux prendre des dimensions plus importantes, observe Olivier Meuwly, docteur en Droit et ès Lettres à l’UNIL. Depuis 1848, on avait déjà vu des exconseillers fédéraux prendre la parole, mais ça restait assez rare. Ces derniers mois, les cas se multiplient. » Car Blocher et Calmy-Rey ne sont pas les seuls à s’exprimer librement dans les médias. Pascal Couchepin a profité du scrutin du 9 février pour rappeler que son issue allait forcer les Suisses à travailler davantage avant de bénéficier de leur retraite. Lui-même a donné l’exemple en livrant des chroniques pour Forum, sur La Première. Et c’est encore à la Radio romande que l’ex-conseillère fédérale Ruth Dreifuss a choisi, elle aussi, de lancer un pavé dans la mare. Le 10 mars de cette année, la politicienne retraitée est venue dans le Journal du matin pour suggérer une alternative à la politique qui a été menée en Suisse ces 30 dernières années en matière de drogue (notamment sous son règne). Elle a défendu « l’autre possibilité qui se dessine peu à peu ». Celle qui consisterait à admettre que « c’est la prohibition qui pose des problèmes ». Bien sûr, a-t-elle ajouté, « les drogues peuvent être dangereuses… mais la politique d’interdiction est encore plus dangereuse ». Une analyse qui incite l’ex-conseillère fédérale à proposer que la Confédération s’octroie le monopole de la vente de certaines drogues, et enlève ce marché aux criminels et aux mafias ! Les bruits des médias Bref, les propositions les plus originales, les plus ébouriffantes ou les plus clivantes qui ont été lancées ces derniers mois en Suisse ont été suggérées par des ministres


à la retraite. Cet activisme tardif est d’autant plus spectaculaire qu’il n’est pas dans les habitudes des anciens gouvernants suisses. Comment expliquer ce retournement de situation, qui donne l’impression, en ce début d’année, qu’on entend plus l’ancien Conseil fédéral que l’équipe actuelle ? « Les médias jouent certainement un rôle dans l’affaire, estime l’historien des partis politiques Olivier Meuwly. Parce que les anciens ont du bagout et du charisme, et qu’ils donnent la garantie d’un show facile. » Les médias « jouent évidemment un rôle, enchaîne René Knüsel, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL. Arena n’existait pas il y a 150 ans, Internet et la Radio romande non plus. Mais ces nouvelles opportunités médiatiques n’expliquent pas tout. » Alors quoi ? Faut-il penser que les conseillers fédéraux actuels, plus fades ou plus technocratiques que leurs prédécesseurs, ont de la peine à remplacer une génération particulièrement riche en « bêtes » politiques ? « C’est vrai que les animaux alphas, les Alpha-Tiere dont parlent les Alémaniques, ne sont plus au gouvernement. On y trouve plutôt des technocrates », observe Olivier Meuwly. Le résultat de l’expérience Blocher « Il faut peut-être laisser le temps d’éclore à l’équipe actuelle, ajoute René Knüsel. J’ai cependant l’impression qu’il y a un affadissement des conseillers fédéraux. L’expérience Blocher a laissé des traces. Le parlement, qui s’est fait imposer un trublion par une partie de l’Assemblée fédérale, a été un peu effrayé par cet épisode. Il a entendu l’avertissement lié à l’élection de trop fortes personnalités, et il a préféré choisir par la suite des gens un peu plus fades, plus collégiaux. » A côté de ce gouvernement assagi, moins partisan des coups d’éclat, la génération précédente n’a rien perdu de son mordant. « Il n’y a pas d’école pour être conseiller fédéral, et pas non plus d’école pour être un ancien ministre, ajoute Olivier Meuwly. Le monde actuel où il faut être visible n’encourage pas à la retenue. Personne ne va leur dire: taisez-vous ! » Les ex ne se gênent donc pas pour prendre la parole. Ils ne sont d’ailleurs pas les premiers à déroger à la règle du « servir et disparaître », cette tradition qui remonterait aux patriciens bernois de l’Ancien Régime. « Et notamment à Niklaus von Steiger, à qui l’on prête cette expression, et qui fut le dernier avoyer de Berne (avant la Révolution de 1798), ainsi qu’un partisan de la résistance aux troupes françaises », précise Danièle Tosato-Rigo, qui enseigne à la Section d’histoire de l’UNIL. On a écrit des livres avant Micheline Calmy-Rey L’histoire a aussi gardé le souvenir de ministres retraités qui sont restés très actifs. « Je pense au fameux Numa Droz, rappelle Olivier Meuwly. Le Neuchâtelois quitte le Conseil fédéral en 1892, pour prendre la direction de

RENÉ KNÜSEL Professeur à l’Institut des sciences sociales de la Faculté des sciences sociales et politiques. Nicole Chuard © UNIL

l’Union des transports privés, et il ne cesse de prendre la parole à propos de la politique menée par ses successeurs au Conseil fédéral, notamment dans La Gazette de Lausanne ou dans La Bibliothèque universelle, une grande revue culturelle de l’époque, et ça énerve d’autant plus qu’il n’était que rarement d’accord avec ses anciens collègues. » On conserve encore le souvenir de retraités du Conseil fédéral, qui, comme Micheline Calmy-Rey, ont rédigé des ouvrages politiques après leur passage à Berne. « Georges-André Chevallaz a notamment écrit un livre intitulé La Suisse est-elle gouvernable ? Et Paul Chaudet, a aussi été très actif après son départ, notamment à l’Unesco. Lui aussi a livré des essais politiques. Il a notamment publié une analyse de Mai 68 nettement plus pertinente que les écrits de Chevallaz sur le même sujet », observe Olivier Meuwly. L’attrait du business On trouve enfin dans l’histoire politique suisse d’innombrables exemples de conseiller fédéraux à la retraite qui se sont tournés vers l’économie. « Le départ d’un Moritz Leuenberger pour le conseil d’administration d’Implenia (le numéro 1 de la construction en Suisse) a fait jaser, rappelle Olivier Meuwly, mais c’est surtout parce que le conseiller fédéral sortant était socialiste, alors que les ministres qui quittent le gouvernement pour aller dans

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POLITIQUE

le business sont traditionnellement des radicaux, le dernier exemple étant Kaspar Villiger, parti présider UBS. » Même le cas de Christoph Blocher, revenu au Parlement après avoir siégé au gouvernement, n’est pas une nouveauté. « En 1863, Jakob Stämpfli, l’adversaire emblématique d’Escher, a quitté le Conseil fédéral parce qu’il n’arrivait plus à nourrir ses nombreux enfants. Il est devenu le directeur de la Banque fédérale, un des grands établissements privés qui avait pignon sur rue à Berne, raconte Olivier Meuwly. Après son départ du gouvernement, il est revenu au Conseil national pour y jouer un rôle en vue lors du débat constitutionnel de 1872-1874. Avec Ruchonnet et d’autres, il a cherché les compromis qui ont permis d’établir la constitution de 1874. » Reste que ce transfert des leaders de la politique vers l’économie n’est pas une garantie de succès, comme le montre l’exemple du Vaudois Constant Fornerod, le successeur de Druey au Conseil fédéral en 1855. « Lui aussi a quitté le gouvernement pour entrer dans une banque genevoise, mais il a fait faillite, et il a fini garde-barrière au Jura-Simplon, un poste que lui ont trouvé ses anciens amis politiques qui avaient pitié de ses mésaventures », rappelle l’historien des partis politiques. Qui parle ? La politicienne ou l’experte ? Pourtant, si l’on a déjà tout vu, ou presque, dans la Berne fédérale, le nombre d’ex-ministres qui mènent une « retraite » aussi ouvertement active que les Dreifuss, CalmyRey, Blocher, Couchepin, Villiger et Leuenberger, n’a jamais été aussi important. Comment expliquer ce début de XXIe siècle exceptionnel ? Le politologue de l’UNIL René Knüsel avance une première hypothèse : « Comme la classe politique est gênée par certains sujets, elle n’ose pas 20

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RUTH DREIFUSS L’ex-conseillère fédérale a lancé cette année un pavé dans la mare en estimant que « les drogues peuvent être dangereuses... mais la politique d’interdiction est encore plus dangereuse ». Félix Imhof © UNIL

PASCAL COUCHEPIN Le Valaisan a profité du scrutin du 9 février pour rappeler que son issue allait forcer les Suisses à travailler davantage avant de bénéficier de leur retraite. © Sacha Bittel - Le Nouvelliste

« J’AI L’IMPRESSION QU’IL Y A UN AFFADISSEMENT DES CONSEILLERS FÉDÉRAUX. L’EXPÉRIENCE BLOCHER A LAISSÉ DES TRACES. » RENÉ KNÜSEL

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prendre la parole de manière aussi tonitruante que les anciens, ce qui laisse un vide dont profitent les ex-membres du gouvernement ». Leur omniprésence dans les médias s’expliquerait encore par les nombreuses casquettes portées par ces personnalités, qui ne sont jamais « que » des ministres à la retraite. Quand Ruth Dreifuss vient à la Radio romande, on doit se demande qui parle ? Est-ce l’ex-conseillère fédérale responsable de la Santé publique, ou la membre de la Commission mondiale sur la politique des drogues ? Ou un mélange des deux ? Cette ambiguïté intéresse beaucoup René Knüsel : « Ruth Dreifuss ne s’exprime pas seulement en tant qu’ancienne politicienne. Elle est également reconnue internationalement sur ces questions. Elle bénéficie donc d’une aura qui n’est plus seulement celle de la conseillère fédérale, mais également de l’experte. On a la même sensation avec Micheline Calmy-Rey qui a pratiqué la politique étrangère de manière un peu différente. Les deux ex-ministres ne jouent plus tout à fait le même rôle, mais il y a une sorte de continuation. » Enfin libres ! La retraite offre aussi des avantages aux ex-ministres qui ont choisi d’être après avoir été : une certaine liberté, et une prise de hauteur par rapport aux problèmes. « C’est plus difficile de prendre de la distance quand on est actif dans le monde politique, en raison de l’effet partisan, souligne René Knüsel. A la retraite, ces ex-dirigeants se retrouvent dégagés des engagements politiques. Leur avis bénéficie dès lors d’autant plus de crédit que les arcanes du pouvoir n’ont pas de secret pour eux. Le sage, au fond, c’est quelqu’un qui n’a plus les défauts de la jeunesse, qui connaît et qui est capable de prendre de la distance. Et au-


jourd’hui, cette distance par rapport aux affaires devient un avantage. » Reste une légère ambiguïté sur les prises de parole des ex-conseillers fédéraux : « Leurs messages servent incontestablement à la réflexion politique. Maintenant, s’agit-il de conseils ? Des propos d’un expert ou de ceux d’un vieux sage ? Ou bien avons-nous affaire à des gens qui défendent leur bilan ? Ce nouveau rôle d’ancien conseiller fédéral médiatique est complètement à inventer. Il faudra être très attentif à ce qui va se passer dans les années qui viennent », estime René Knüsel. Ces observations, il faudra les faire en Suisse, mais aussi à l’étranger, où l’on a davantage l’habitude de voir les anciens rester sous la lumière des projecteurs, en réserve de la république, au cas où. En France, on a vu le vétéran Alain Juppé, jadis conspué par les manifestants des années 90, apparaître récemment comme un sauveur possible de la droite, à 68 ans. « Il y a encore un Schröder en Allemagne, un Bill Clinton aux Etats-Unis et un Gorbatchev qui font des apparitions remarquées, poursuit René Knüsel. Sans oublier Nelson Mandela, qui est resté une référence longtemps après avoir quitté le pouvoir. On se tournait vers lui, vers le sage, pour lui poser des questions. Parce qu’on a besoin d’avoir des boussoles politiques de gens qui disent : “Attention, là, il y a l’orage.” » Les nouveaux seniors Ce trend mondial des vétérans de la politique qui squattent les écrans de télévision, comme Micheline Calmy-Rey et Christoph Blocher, pose enfin la question de savoir si la génération qui a traversé Mai 68 n’est pas en train de réinventer la retraite, après avoir bouleversé tant d’autres pratiques et traditions durant leur carrière politique. « C’est vrai qu’on attend des retraités du XXIe siècle qu’ils conti-

ARENA

Le 22 février dernier, Christoph Blocher et Micheline CalmyRey débattaient des conséquences de la votation sur « l'immigration de masse » dans l'émissionphare de la télévision alémanique. © Copyright by SRF

nuent à être présents, poursuit le professeur de l’UNIL et spécialiste des fins de carrières professionnelles. Avant, les politiciens quittaient le Conseil fédéral pour des fonctions discrètes. Là, on a une génération qui pense qu’elle doit continuer à jouer un rôle dans la société, qui dans l’enseignement, qui à la radio, qui en écrivant des livres. Ces politiciens semblent indiquer que le sens de “senior” change. Ce n’est plus la personne qui s’affadit dans une courte retraite. Aujourd’hui, le positionnement du senior est appelé à évoluer, et l’on se dit, en regardant ces ex-conseillers fédéraux, qu’ils jouent peut-être un rôle de pionniers. » A l’heure de la transparence, d’Internet, des clashes, du buzz incessant, et de la société médiatique et des vieilles images qui tournent en boucle sur YouTube ou à la télé, pas étonnant que ces vétérans fassent de la résistance. Après tout, comme il n’est plus possible de disparaître, autant servir à quelque chose. 

UNE DÉCENNIE DE FORUM DES 100

Jeudi 15 mai, l’Université de Lausanne accueille la 10e édition du Forum des 100 de L’Hebdo. Les invités se projetteront dans la décennie à venir, avec des débats centrés sur le thème : « Les dix prochaines années ». Le modèle économique et de gouvernance de la Suisse lui a assuré jusqu'ici une prospérité et une stabilité enviées dans le monde entier. Ce succès est-il remis en cause par la votation du 9 février ? La cohésion nationale estelle mise à mal ? Comment relever les défis démographiques qui nous attendent ? Et ceux de nos rapports avec l’Europe et le monde ? www.forumdes100.com

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GÉOSCIENCES

L’Institut des sciences de la Terre www.unil.ch/iste

UN MINUSCULE

CRISTAL RACONTE L’HISTOIRE

DE LA TERRE

C’est confirmé : un fragment de zircon trouvé en Australie est âgé de 4,4 milliards d’années, ce qui fait de lui le plus vieux minéral terrestre connu. Témoin de la plus tendre enfance de la Planète bleue, il prouve que notre Terre s’est refroidie plus vite qu’on le croyait. Et que les conditions favorables à la vie seraient peut-être plus anciennes que prévues. TEXTE ÉLISABETH GORDON


HADÉEN

Vue d’artiste de la Terre dans ses premiers millions d’années d’existence. Recouverte d’un océan de magma, elle était bombardée de météorites. © Keystone/Science Photo Library Mark Garlick

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4,54 milliards d’années.   C’est l’âge de la Terre.

DROIT GÉOSCIENCES SCIENCE

I

l a beau être microscopique puisqu’il n’est que deux fois plus gros qu’un cheveu, ce fragment de zircon d’origine australienne a fait beaucoup parler de lui. A juste titre. Vieux de 4,4 milliards d’années, comme vient de le confirmer une équipe internationale de chercheurs, il est en effet le plus ancien minéral terrestre connu. Ce qui fait de lui un précieux témoin de notre planète, telle qu’elle se présentait lorsqu’elle n’avait que quelques millions d’années.

ZIRCON

Vu en cathodoluminescence, ce zircon d’une taille de 400 microns (0,4 mm) est le plus ancien connu, puisqu’il compte 4,4 milliards d’années. © John Valley, University of Wisconsin

Des zircons très âgés L’histoire débute dans la région de Jack Hills, à l’ouest de l’Australie. C’est dans cette zone, dont le socle géologique est très ancien, que, « dès le début des années 80, l’existence de zircons très âgés a été mentionnée pour la première fois », précise Pierre Vonlanthen, collaborateur scientifique à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de l’UNIL. Il a toutefois fallu attendre 2001 pour qu’une équipe internationale dirigée par Simon Wilde, géologue 24

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à l’Université technologique Curtin, en Australie, puisse dater les fragments de zircon les plus anciens. Les chercheurs en ont conclu que ce microcristal « violet foncé, mesurant 220 microns sur 160 » (un micron est un millième de millimètre), selon la description que Simon Wilde en donne dans Nature, était vieux de 4,4 milliards d’années. Ce résultat, se rappelle Pierre Vonlanthen, « a créé le buzz » chez les scientifiques. Comme c’est toujours le cas en la matière, il a aussi fait débat. Il vient toutefois d’être confirmé en mars dernier dans Nature Geoscience par une équipe internationale, menée par John Valley, géologue à l’Université du Wisconsin aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le doute n’est donc plus permis. « Il y a maintenant un faisceau d’évidences qui montre que l’âge de ce zircon peut difficilement être mis en cause », commente le minéralogiste de l’UNIL. Datation : la transmutation de l’uranium en plomb La méthode utilisée pour sa datation est en effet bien ro-


dée. Elle tire parti du fait que le zircon renferme deux isotopes radioactifs de l’uranium, les 238 et 235 (238U et 235U), qui sont instables et qui se désintègrent successivement en divers éléments pour donner finalement naissance à des isotopes de plomb (206Pb et 207Pb). « En mesurant les quantités d’isotope-mère (l’uranium) et d’isotope-fils (le plomb) présentes dans un échantillon, ce géochronomètre permet de déterminer l’âge du minéral », explique le chercheur lausannois. La transmutation de l’uranium étant extrêmement lente, puisqu’il faut 4,468 milliards d’années à l’238U et 0,704 milliards à l’235U pour que la moitié de leurs atomes se transforment en plomb, il est possible de remonter très loin dans le temps et de dater des matériaux très anciens. Le zircon, un minéral stable et robuste « Ce cristal de zircon, et c’est là son intérêt, poursuit Pierre Vonlanthen, s’est formé à une époque très proche, à l’échelle géologique, de celle de la naissance de la Terre » qui, elle, a eu lieu il y a 4,54 milliards d’années. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le plus vieux minéral connu soit du zircon. Ce silicate de zirconium – qu’il ne faut pas confondre avec la zircone, l’oxyde de zirconium très utilisé en bijouterie pour imiter le diamant – est « particulièrement stable et robuste », selon le chercheur de l’ISTE. Les roches magmatiques dans lesquelles il a pris naissance et s'est cristallisé n’existent plus : elles ont été détruites par l’érosion et la tectonique des plaques. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’existe plus sur Terre de roches plus anciennes que les gneiss d’Acasta, au Canada, qui n’ont « que » 4 milliards d’années. Mais le zircon, lui, a perduré. « Il résiste très bien aux attaques physico-chimiques liées à l’érosion; il est donc bien armé pour faire face aux aléas du temps. » Lorsque sa roche mère s’est désagrégée, « il a pu être libéré et transporté, puis il s’est accumulé dans des roches détritiques », c’est-à-dire des roches sédimentaires formées par l’accumulation de débris d’autres roches. En outre, ajoute le minéralogiste lausannois, le zircon a aussi, aux yeux des géologues, l’avantage « d’être présent dans un grand nombre de roches différentes, notamment dans les roches magmatiques telles que le granit ». On en retrouve donc des fragments, d’âges moins respectables toutefois, dans de nombreuses régions du globe, y compris en Suisse.

PIERRE VONLANTHEN Collaborateur scientifique à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE). Nicole Chuard © UNIL

la petite enfance de la Terre. Grâce à lui, les scientifiques ont pu confirmer la validité de certaines de leurs théories, en particulier celle dite de la « Terre primitive froide ». Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut remonter très loin dans le temps, au moment où notre globe a pris naissance. Notre planète, comme celles qui composent le système solaire, s’est formée à partir de la nébuleuse solaire, un nuage en forme de disque constitué de gaz, de poussières et de roches. Sous l’effet de la gravité notamment, cette matière s’est peu à peu condensée. Les grains se sont alors agrégés en de plus gros blocs qui, en entrant en collision les uns avec les autres, ont créé des corps plus importants, les planétésimaux. Ceux-ci ont grossi à leur tour, donnant finalement naissance à des planètes. En particulier, il y a 4,54 milliards d’années, à celle que nous habitons. Pendant quelques millions d’années, le chaos régnait sur Terre « Les premiers millions d’années d’existence de la Terre ont été très tourmentés », précise Pierre Vonlanthen. A cette époque, selon la description que livre John Valley dans le magazine Pour la Science, « notre planète était d’une lueur orangée, telle une étoile refroidie. Des blocs rocheux, certains de la

Un témoin de la petite enfance de la Terre L’affaire est donc entendue. Le fragment de zircon australien provenant de Jack Hills est le doyen des matériaux terrestres jamais datés. Mais ce n’est pas ce record digne du Guinness Book qui intéresse les géologues. Pour ces derniers, ce cristal est avant tout un précieux document d’archives, puisqu’il témoigne d’évènements qui ont marqué Allez savoir !

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GÉOSCIENCES SCIENCE DROIT

taille d’une petite planète, tournaient autour du jeune Soleil et nombre d’entre eux se fracassaient sur la Terre. En se brisant, voire en se vaporisant, ils contribuaient à créer des océans de roche fondue. » Autant dire que le plus grand chaos régnait sur cette très jeune Terre qui était, toujours selon John Valley, « cruellement inhospitalière ». Elle était en effet recouverte d’un océan de magma, « une véritable fournaise », précise Pierre Vonlanthen, et elle était sans cesse bombardée par des météorites. C’est d’ailleurs l’une d’entre elles, grosse comme la planète Mars, qui est venue heurter la Terre il y a plus de 4,5 milliards d’années, éjectant autour de notre planète la matière qui a donné naissance à la Lune. L’impact a été si violent « qu’il a en partie fait fondre et vaporisé les deux corps célestes », écrit le géologue américain dans la revue Elements. Ce n’est donc pas un hasard si cette période agitée, qui commence à la naissance de la Terre et se termine à l’apparition des premières formes de vie, a été nommée l’Hadéen, en référence à Hadès, le dieu grec de l’enfer. Coup de froid sur la planète Restait une question qui a longtemps préoccupé la communauté scientifiques : combien de temps a duré l’Hadéen ? Combien de millions d’années a-t-il fallu pour que la planète se refroidisse suffisamment pour que le chaos laisse place à des conditions plus propices à la vie ? On sait en effet que, durant ces premiers temps géologiques, la température a sérieusement baissé à la surface de la Terre. Au départ, elle « se chiffrait à plusieurs milliers de degrés Celsius, précise le chercheur de l’ISTE. Puis elle est peu à peu descendue à des valeurs de l’ordre de 300°C. Certains scientifiques avancent qu’elle aurait été plus basse encore, puisqu’ils pensent que les océans auraient été gelés à certaines périodes. » Quoi qu’il en soit, notre globe a bien subi un coup de froid. Il faut dire qu’alors, « le rayonnement du jeune Soleil était 30% plus faible qu’aujourd’hui. En outre, poursuit le chercheur lausannois, pour conserver une température élevée, il aurait fallu que l’atmosphère de la Terre renferme une très importante quantité de gaz à effet de serre, comme le CO2. Or, s’il y avait beaucoup plus de gaz de ce type que maintenant, il n’est pas certain qu’il y en ait eu suffisamment pour garantir, en permanence, un effet de serre très prononcé. Ces considérations ont donc conduit certains scientifiques à penser que la Terre avait pu se refroidir plus rapidement que ce que l’on pensait auparavant. »

FOURNAISE

LA PÉRIODE AGITÉE QUI COMMENCE À LA NAISSANCE DE LA TERRE ET SE TERMINE À L’APPARITION DES PREMIÈRES FORMES DE VIE A ÉTÉ NOMMÉE L’HADÉEN, EN RÉFÉRENCE À HADÈS, LE DIEU GREC DE L’ENFER.

Le zircon confirme la théorie de la Terre primitive froide C’est à ce stade qu’intervient le fragment de zircon, qui vient apporter de l’eau au moulin des partisans de cette hypothèse dite de « la Terre primitive froide ». Puisque ce cristal date de 4,4 milliards d’années, cela signifie que 26

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dès cette époque, le magma originel avait en partie fait place à des roches et donc qu’« une croûte terrestre primitive était déjà en train de se différencier, explique Pierre Vonlanthen. D’autant, ajoute-t-il, que l’on a retrouvé dans ce zircon des micro-inclusions de quartz prouvant que le magma granitique duquel il était issu avait commencé à cristalliser ». Un autre indice plaide en faveur du refroidissement précoce de la Terre. « L’étude de la signature isotopique du cristal a révélé que le zircon était enrichi en oxygène 18, ce qui est compatible avec la présence d’eau à l’état liquide qui aurait donc coexisté avec le magma. » Cette eau aurait été amenée sur Terre par les différents planétésimaux et autres proto-comètes qui l’ont heurtée. Incorporée dans les roches comme les silicates, « elle a ensuite été vaporisée libérée dans l’atmosphère lors de l’impact géant qui a créé la Lune ». Quand la vie est-elle apparue sur Terre ? Des températures relativement clémentes, une croûte terrestre, de l’eau : les conditions étaient-elles réunies pour que les premières formes de vie puissent avoir fait leur apparition plus tôt que prévu ? « C’est possible, répond Pierre Vonlanthen. Mais le zircon ne prouve en rien que cela était le cas. » D’autant qu’à l’époque, « les rayonnements cosmiques étaient beaucoup plus importants qu’aujourd’hui. On ne sait pas si des molécules organiques auraient pu y résister. » Il ne faut pas non plus oublier, souligne le minéralogiste, que « le zircon n’apporte qu’un indice indirect de la présence d’océans à la surface de la Terre au moment où il s’est formé. Les preuves directes les plus anciennes que l’on possède à ce sujet sont constituées par les laves en coussin (coulées de laves qui se solidifient dans un milieu subaquatique) et les sédiments subaquatiques de la formation d’Isua, au Groenland, qui datent de 3,8 milliards d’années. » Quant à l’apparition de la vie sur terre, les premières preuves indiscutables remontent à 3,5 milliards d’années. C’est en effet l’âge des plus anciens stromatolithes (structures calcaires stratifiées qui ont été édifiées par des microorganismes) mis au jour. Par ailleurs, « il existe des biosignatures plus anciennes encore, datées à 3,8 milliards d’années. Elles se présentent sous la forme de sédiments contenant du graphite très appauvri en carbone 13, un isotope dont la présence ne peut s’expliquer facilement que par l’existence d’une activité biologique. » Toutefois, note le chercheur, « personne n’a jamais exclu que la vie aurait pu apparaître plus tôt ». Sur ce point, le mystère reste entier et il ne faut pas compter sur le fragment de zircon pour nous éclairer. Ce minuscule cristal a toutefois beaucoup contribué à la connaissance de notre lointain passé puisqu’il a permis de réécrire les premières pages de l’histoire de la Terre. 


RÉFLEXION

LES MÉTAMORPHOSES DU COUPLE LECTEUR-AUTEUR

RAPHAËL BARONI Professeur associé à la Faculté des lettres

T

raditionnellement, dans le champ littéraire, les activités de lecture et d’écriture appartiennent à des espaces clairement différenciés, tant d’un point de vue social ou culturel que d’un point de vue cognitif. Un auteur produit un texte à visée esthétique, qui acquiert son statut littéraire à travers un processus éditorial qui le transforme en marchandise culturelle. Le lecteur, quant à lui, transforme cette marchandise en une expérience esthétique plus ou moins enrichissante et contribue, par son achat et ses éventuels commentaires, à légitimer la littérarité du texte. Dans cet échange, on remarque que l’éditeur joue un rôle essentiel : il préserve la valeur des textes en les soumettant à un processus de sélection, ce qui permet aux auteurs de se distinguer. Le monde de l’édition produit ainsi une frontière pratiquement infranchissable pour les lecteurs qui se rêveraient auteurs. Par ailleurs, sur un plan cognitif, on peut souligner une asymétrie : ainsi que l’affirmait Sartre, pour l’écrivain, « le futur est une page blanche, au lieu que le futur du lecteur ce sont ces deux cents pages surchargées de mots qui le séparent de la fin ». Les théories formalistes aussi bien que l’histoire littéraire ont contribué à renforcer cet écart en fondant le discours critique sur une description objective du texte et de

LES RÉCITS DE LECTURES SONT ESSENTIELS POUR APPROCHER L’EXPÉRIENCE PERSONNELLE QUE LE LECTEUR NOUE AVEC LE TEXTE.

son contexte, disqualifiant les projections des lecteurs, c’est-à-dire la part subjective, passionnelle et imaginative de l’interprétation. Ainsi que le soulignent les travaux menés dans le domaine en expansion des humanités digitales (lire également en p. 57), des mutations affectent cet équilibre précaire : d’un côté, Internet et les livres électroniques rendent la frontière éditoriale de plus en plus poreuse. La diffusion (certes restreinte) d’un texte à visée esthétique devient alors à la portée de chacun, que ce soit via Facebook, sur des blogs, ou des sites de « fanfiction ». Aujourd’hui, de plus en plus d’auteurs-lecteurs partagent gratuitement leurs productions avec d’autres auteurs-lecteurs, sans passer par le processus de sélection éditorial, de légitimation et de marchandisation des objets culturels. C’est donc le verrou éditorial qui est en train de sauter dans le monde numérique. Du côté du monde académique, on peut aussi remarquer une redistribution des cartes entre auteurs et lecteurs. Les cours d’écriture créative florissent à la Faculté des lettres : par exemple ceux de Jérôme Meizoz ou d’Anne-Lise Delacrétaz. Marc Escola a, quant à lui, posé les fondements d’une Théorie des textes possibles en retenant de Pierre Bayard « l’idée qu’un lecteur n’est nullement tenu d’adopter les conclu-

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sions auxquelles l’auteur prétend s’arrêter, que la critique littéraire peut donc être la continuation de la création par d’autres moyens, et qu’en définitive il n’y a jamais bien loin de la lecture d’une œuvre à sa réinvention ou réfection ». Pour ma part, j’ai essayé de montrer qu’une approche interactive des récits transforme en profondeur notre façon d’appréhender l’intrigue, qui ne se contente pas de raconter une histoire, mais projette aussi, grâce au lecteur, un vaste réseau d’histoires virtuelles. Avec Antonio Rodriguez, nous avons récemment dirigé un numéro de la revue Etudes de Lettres consacré au retour des passions dans la théorie et l’enseignement de la littérature (*). Cet ouvrage souligne l’importance croissante de la subjectivité de l’interprète, et la médiation essentielle que constituent les biographies de lecteurs, usagers ordinaires de la littérature ou auteurs célèbres. En effet, l’expérience concrète, passionnelle, personnelle que le lecteur noue avec le texte ne peut être approchée, discutée ou même didactisée qu’à travers les récits de lectures. Ecriture et lecture apparaissent ainsi comme des activités différenciées, mais de plus en plus intriquées. 

*Les passions en littérature. De la théorie à l’enseignement », Etudes de Lettres, n° 295, 2014.

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UNIVERSITÉ

COMMENT L’UNIL MESURE-T-ELLE

SA UALITE? Qu’est-ce qu’une bonne université ? En quoi la notion de « qualité » se comprend-elle différemment dans les mondes académique et industriel ? Alors que l’UNIL vient de terminer un audit fédéral, le vice-recteur Jacques Lanarès, en charge de la qualité et des ressources humaines, fait le point. PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID SPRING

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La Qualité à l’UNIL www.unil.ch/cover

L

e troisième audit fédéral du Système Qualité de l’UNIL arrive à son terme en ce début d’été. Il a été mené par l’Organe d’accréditation et d’assurance qualité des Hautes Ecoles suisses (OAQ), pour le compte du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI). La procédure a débuté en mars 2013 par une période d’auto-évaluation qui a duré huit mois. Ce travail a débouché sur la production d’un document de synthèse, mis à disposition d’un groupe d’experts issus du monde académique européen. En décembre, ces derniers ont passé plusieurs jours sur le campus, pour mener des entretiens avec une centaine de personnes. Leurs conclusions figurent dans un rapport final amendé, qui fonde la décision du secrétaire d’Etat Mauro Dell'Ambrogio, communiquée au début de l’été 2014. Cet exercice régulier, auquel se livrent toutes les universités du pays, est important sur le plan financier. Car la reconnaissance du droit aux

subventions fédérales dépend en partie du résultat. Ces dernières représentent environ 15 % du budget de l’UNIL, qui se monte à 421,8 millions de francs (2012). De plus, le canton de Vaud reprend les conclusions du rapport final de l’OAQ. Or, l’Etat contribue à plus de 55% du budget de l’institution. A la tête du dicastère « Qualité et Ressources hu­ maines », le vice-recteur Jacques Lanarès a occupé une place centrale dans le déroulement de l’audit. Il répond à Allez savoir !

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UNIVERSITÉ

Nous sommes loin d’appréciations personnelles ! Cela ressemble à la démarche des chercheurs, qui fondent leurs conclusions sur des bases vérifiables. De nombreux documents sont d’ailleurs consultables librement sur www. unil.ch/cover. Le rapport final de l’OAQ y figurera. LA QUALITÉ On imagine bien ce que signifie la « qualité » dans une usine de capsules de café. Mais à l’université, on navigue dans l’immatériel la plupart du temps. Pouvezvous me donner une définition générale de ce mot dans notre contexte académique ? Il existe toute une littérature scientifique à ce sujet et même des journaux spécialisés, dont Quality in Higher Education. Depuis 2006, un accord s’est fait jour : il n’y a aucune défi­ nition unanime (sourire). Toutefois, les hautes écoles, en Europe, parlent de fitness for purpose. C’est-à-dire d’atteindre les objectifs fixés, quels qu’en soient les périmètres. Loin d’une définition absolue venue de l’extérieur, la qualité est donc liée à la mission. Cette notion se décline d’ailleurs à tous les niveaux.

LA DÉMARCHE L’enjeu financier de l’audit est clair. Mais qu’est-ce que l’UNIL gagne dans l’opération, qui a demandé beaucoup de travail en interne, par exemple lors de l’auto-évaluation ? Jacques Lanarès : Le premier bénéfice de l’audit réside en ce qu’il permet de faire le point sur notre système qualité et d’avoir une vision globale de nos démarches dans ce domaine. C’est notre pari : même s’il s’agit d’une demande externe, nous l’utilisons pour poursuivre notre développement. Pour moi, l’enjeu principal des processus qualité consiste à impliquer la communauté universitaire, qu’il s’agisse du corps enseignant et intermédiaire, des étudiants ou des services. Et que chacun se sente concerné par l’amélioration de nos activités.

JACQUES LANARÈS Vice-recteur de l’UNIL, en charge de la qualité et des ressources humaines. Félix Imhof © UNIL

L’audit a débuté par une vaste auto-évaluation, qui a mobilisé de nombreuses personnes. Ce mot peut porter le parfum de la satisfaction de soi. Comment l’éviter ? Le cœur de l’audit revient à démontrer que l’UNIL possède un système qualité qui fonctionne et qui corresponde à des standards. Pas juste sur le papier, mais en vrai. Or, l’auto-évaluation doit montrer en quoi nous répondons aux standards. C’est pour cela que nous documentons tout, et que notre rapport d’auto-évaluation (RAE) est accompagné d’annexes (Il désigne plusieurs volumes reliés, empilés sur plus de 30 cm). La mission des experts, en décembre dernier, était justement de déterminer si les informations rassemblées dans le RAE et les entretiens leur donnaient une conviction raisonnable que les standards sont remplis. 30

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Par exemple ? Le plan stratégique de l’UNIL, négocié avec les Autorités politiques, est le premier de nos onze « processus qualité ». Il formalise notre engagement vis-à-vis de la société. En échange, nous y gagnons notre autonomie. Des raisonnements similaires s’appliquent pour l’évaluation des facultés, des cursus, des enseignements, des services, etc. La notion de qualité, comprise sous l’angle ISO du terme, sous-entend l’idée de norme, qui peut être perçue négativement. Qu’en est-il à l’UNIL ? Le discours sur la qualité est très imbibé de schémas venus de l’industrie. Dans cette optique, vous faites entrer des étudiants d’un côté de l’usine et vous en ressortez des diplômés « conformes », quelques années plus tard. Si ce résultat n’est pas atteint, il est facile de trouver quelles pièces de la fabrique il convient de changer. Ce n’est pas notre vision, au contraire. L’université est un monde complexe, peuplé d’interactions imprévisibles entre êtres humains. Chacun apprend à sa manière. Nous souhaitons plutôt la plus grande diversité possible chez nos étudiants, à la fin de leur parcours à l’UNIL. Bien entendu, un bagage minimal commun est assuré, mais ce n’est pas le seul objectif. LES ÉTUDIANTS C’est assez peu connu : l’UNIL fait évaluer les cours par les premiers concernés, les étudiants. Comment cela fonctionne-t-il ? Tous les enseignants sont tenus de faire évaluer leurs enseignements par les étudiants (EEE). Cela fait partie de notre Système Qualité. L’opération se déroule au moyen de questionnaires, qui sont traités, selon les cas, par le Centre


UNE QUESTION DE CULTURE Tout le monde a sa petite idée sur ce que devrait être une bonne université. Comment en tenir compte sans briser la cohérence de l’institution ? Certains adorent les indicateurs et les rankings, alors que les étudiants s’y intéressent très peu. C’est l’avis de leurs amis qui compte dans le choix de leurs études. Pour les chercheurs, ce sont les peer reviews qui comptent. Chacun tire de son côté. Il faut donc trouver un lieu géométrique acceptable, en affirmant que la définition de la qualité ne résulte pas de l’opinion d’un groupe de personnes ou d’un milieu économique, mais qu’elle s’inscrit dans une perspective dynamique, et non pas normative. Elle régule les tensions et réduit justement les écarts entre les points de vue.

de soutien à l’enseignement (CSE) ou l'Unité de pédagogie de la Faculté de biologie et de médecine. Une synthèse et les résultats bruts sont ensuite fournis aux enseignants. D’ailleurs, les « règles du jeu » sont affichées dans toutes les salles de cours, par souci de transparence. Il faut être clair : l’objectif n’est pas le contrôle, mais l’amélioration des compétences pédagogiques et de la réponse aux attentes des étudiantes et étudiants. Quels sont les résultats ? Cette démarche bottom-up fonctionne très bien. Nous comptons en effet, de la part des enseignants, 50% de demandes d’évaluations de plus que ce qui est requis ! Certains publient la synthèse des résultats sur le site de leurs cours. De plus, l’an passé, 450 heures de conseils ont été données par le CSE, auprès de 160 personnes. Car il est inutile d’évaluer des enseignements sans agir ensuite. LES ENSEIGNANTS Comment jauge-t-on les professeurs ? Tous les postes stables, des maîtres d’enseignement et de recherche (MER) aux professeurs, sont basés sur des contrats renouvelables d’une durée de six ans, jusqu’à la fin de la carrière. Ce renouvellement, qui prend le cahier des charges comme référence et qui se mène au niveau des décanats en premier lieu, s’appuie sur un rapport d’activité. Il comprend une auto-évaluation et prend notamment en compte l’intégration à l’institution, la recherche et l’enseignement. La manière dont les professionnels modifient leur pratique en tenant compte des EEE figure aussi dans leur dossier. Plus de 100 enseignants sont ainsi évalués chaque année. Ainsi que deux facultés et plusieurs services : c’est un processus continu ! LA SOCIÉTÉ Comment l’opinion des employeurs est-elle prise en compte dans la démarche qualité ? Outre des nombreux contacts directs avec les milieux professionnels concernés, les facultés mènent des enquêtes auprès des anciens étudiants. Elles leur demandent par exemple comment la formation dispensée leur est utile dans leur activité actuelle et ce qu’il faudrait améliorer. L’Office fédéral de la statistique, qui réalise également des enquêtes auprès des diplômés un an et cinq ans après la fin de leur cursus, propose des données intéressantes sur le lien entre les compétences acquises à l’université et les demandes du monde du travail. En général, les employeurs cherchent des personnes à la formation solide et généraliste et ne veulent pas transformer l’université en école professionnelle. Car en interne, elles assurent un complément spécifique à leurs besoins. Toujours sur la question de l’adéquation, nous rencontrons chaque année quelques membres de la sous-commission de gestion du Grand Conseil et régulièrement les partis politiques.

« LA RECHERCHE COLLECTIVE DE L’AMÉLIORATION FAIT PARTIE DES VALEURS DE L’UNIL. » JACQUES LANARÈS

La notion de « culture qualité », à mettre en place dans l’institution, revient régulièrement dans les documents. Pouvez-vous la définir ? Cette notion vient en rupture de celles d’assurance ou de contrôle qualité. Il s’agit de faire en sorte que la recherche collective de l’amélioration fasse partie des valeurs de l’institution. Elle est établie quand les collaborateurs voient la pertinence des démarches qualité et y adhèrent par conviction. Mon but, pour les prochaines années, consiste à enraciner cette culture, à élaguer ce qui, dans notre système qualité, ne produit que peu d’effet et à alléger l’ensemble… sans perdre en pertinence ou en cohérence. 

LEXIQUE

OAQ Indépendant, l’Organe d’accréditation et d’assurance qualité assure et promeut la qualité de l’enseignement et de la recherche dans les Hautes Ecoles suisses. Basé à Berne, il travaille par exemple sur mandat de la Conférence universitaire suisse ou du Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation. www.oaq.ch Peer review Centrale dans le domaine de la recherche, l'évaluation par les pairs consiste à évaluer, de manière critique, les travaux d’autres chercheurs. Cette notion s’exerce aussi bien sur les articles proposés pour publication dans des revues que pour juger de la carrière d’un scientifique. Plan stratégique Le Plan stratégique constitue l’accord de base entre l’Etat de Vaud et la direction de l’UNIL. Il garantit l'autonomie de l’institution pour autant qu'elle respecte ce cadre. Le Plan stratégique 2013-2017 a été adopté par le Grand Conseil le 26 novembre 2013. Il peut être consulté sous www.unil.ch/central/page2866.html

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SPORT

ÉQUIPE NATIONALE

Les joueurs suisses pendant l’hymne national, avant un match amical contre la Corée du Sud, le 15 novembre 2013 à Séoul. © Kim Hong-Ji / Reuters

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LA SUISSE EST DÉJÀ CHAMPIONNE DU MONDE DE LA

MIXIT

Le 12 juin, c’est le coup d’envoi de la Coupe du monde de football, au Brésil. Une compétition que la Nati aborde avec le statut de tête de série, et une sélection miroir de la nouvelle Suisse du football: mélangée, bigarrée, multiculturelle et qui gagne. Explications. TEXTE ALBERTO MONTESISSA

B

elo Horizonte, Brésil, le 8 juillet 2014. Demi-finale de la Coupe du monde, 18 h 30, heure locale. Centre de Shaqiri, tête de Drmic. La Suisse bat le Brésil 1 à 0. Le ciel auriverde se plombe, les Helvètes triomphent… et il ne reste plus que la finale à jouer…Utopie ? Plus le moins du monde. L'an dernier à Bâle, les Benaglio, Rodriguez, Behrami, Xhaka, Seferovic, Klose et Inler sont déjà venus à bout des quintuples champions du monde, 1 à 0 ! Prémonitoire ? Nous le vérifierons cet été.

En attendant, on peut déjà jouer à trouver le point commun entre tous ces Helvètes: leurs origines diverses et variées. Il y plus de vingt ans, on parlait des Suisses, allemands, français ou italiens. Mais surtout des Suisses. Aujourd'hui, ce sont des joueurs avec plusieurs passeports qui s’épaulent dans la Nati où ils sont majoritaires. Miroir d'une nouvelle Suisse du football mélangée, bigarrée, multiculturelle. De cette Suisse qui a pourtant voté contre l'immigration de masse le 9 février dernier.

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L'Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne www.unil.ch/issul

SPORT

CHAMPIONS DU MONDE

Le 15 novembre 2009, l'équipe suisse des moins de 17 ans battait le Nigéria en finale de la Coupe du Monde, à Abuja. ©AP Photo/Sunday Alamba/Keystone

Championne du monde de la mixité Une Suisse homogène malgré tout. Ambitieuse, fière et conquérante qui disputera sa troisième Coupe du monde consécutive. La consécration pour ce pays qui a réussi à se défaire de son éternel qualificatif de « petit », en tout cas dans le monde du ballon rond. Et cela, la Suisse le doit aussi à la majorité de ses sélectionnés qui possèdent des racines hors de ses frontières. Il y a les « secondos » originaires d'Italie comme Barnetta et Benaglio, d'Espagne par son père pour Senderos (sa mère est Serbe), de Turquie (Inler, Derdiyok) ou d’Afrique – Fernandes est né au Cap-Vert, Djourou à Abidjan en Côte-d’Ivoire, avant d’être adopté. Cette Suisse multiculturelle est aussi à l’image de Rodriguez, l’homme aux trois passeports (il aurait aussi pu jouer pour le Chili ou l’Espagne). Et elle « profite » dans une large mesure de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, avec les apports de Gavranovic (mère croate, père bosnien) et Drmic (parents croates), de Shaqiri, Xhaka et Behrami (aux origines kosovares), sans oublier Dzemaili et Mehmedi (macédoniens albanophones).

40%

DES 250 000 LICENCIÉS QUI ÉVOLUENT SUR LES PELOUSES DE NOTRE PAYS N'ONT PAS LA NATIONALITÉ SUISSE.

Intégrer ces jeunes issus de l’immigration Ce n'est plus la Tour, mais l'équipe de Babel, « made in Switzerland ». Une sélection à l'image de son immigration, 34

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ce qui, en soi, n'est pas une totale nouveauté. Par le passé, il y a déjà eu des Barberis, Ponte, Subiat, Pascolo, Sforza, Fernandez, Türkyilmaz pour faire briller le maillot rouge à croix blanche… Mais depuis 1995, l’Association suisse de football (ASF) a mis en place un système de formation autrement plus efficace et performant. Des entraîneurs compétents et qualifiés assurent le suivi des joueurs depuis leur plus jeune âge. Avec le souhait d'intégrer rapidement ces nombreux jeunes issus de l'immigration de manière plus structurée. Le football devient un modèle social et sportif. « Je ne suis pas certain que cela soit lié à une réelle volonté d'intégration de la part de l'ASF, souligne Jérôme Berthoud, assistant à l'Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Mais plutôt au fait que l'ASF s’est concentrée sur la formation. Puis de manière quelque peu indirecte, ces changements ont touché beaucoup de jeunes issus de l’immigration qui forment près de la moitié des jeunes amateurs qui jouent au football dans les clubs suisses. Ensuite, on les retrouve logiquement au plus haut niveau. » 40% des licenciés n’ont pas la nationalité suisse Sur les quelque 250 000 licenciés qui évoluent sur les pelouses de notre pays, 40% n'ont pas la nationalité suisse.


Un vrai réservoir. Rempli de pépites. Mais ne soyons pas dupes: « L'ASF ne pas fait tout ce travail pour l'intégration. Ce n'est pas son but, ce n'est pas son rôle non plus ! Elle l’a fait pour bénéficier des meilleurs joueurs », précise Raffaele Poli, qui fut maître assistant à l'Institut des sciences du sport de l’UNIL, avant de devenir responsable de l'Observatoire du football au Centre international d'étude du sport (CIES) à Neuchâtel. « Attention, avec l'équipe de Suisse, on parle surtout d'une élite que l'on va chérir, dit-il, et même si elle est le reflet de notre immigration, elle ne concerne qu'une minorité. Donc, au point de vue quantitatif, on ne parle pas vraiment d'intégration. C'est plutôt de l'ordre du symbole. Et le symbole a besoin de la victoire pour fonctionner. » Ça tombe bien, car les équipes au maillot rouge récoltent des succès depuis 2002 avec les sélections nationales juniors qui s'illustrent sur la scène internationale. Mais « la Suisse qui gagne » est surtout née un jour de finale en novembre 2009, quand les moins de 17 ans sont devenus les premiers Suisses champions du monde de football, avec, notamment, un buteur nommé Nassim Ben Khalifa. Il y a 60% de binationaux dans les sélections suisses de foot Hors de nos frontières, le reste de la planète observe avec surprise que la Suisse permet à beaucoup de jeunes joueurs talentueux d’arriver au plus haut niveau. Sur les vingt-trois sélectionnés en moins de 17 ans, 60% sont des binationaux. Le constat est identique pour toutes les sélections suisses de 15 à 21 ans. Un chiffre qui ne reflète pas la réalité du pays. Rappelons que la Suisse n'accepte la double nationalité que depuis 1992. Très restrictive en matière de naturalisation, la Confédération fait partie des pays européens qui ont le plus haut taux de population étrangère (23,3% en 2012). En revanche, le nombre exact des bi- ou des multinationaux reste difficile à comptabiliser avec précision, même si l’on sait qu’il augmente. Les chiffres restent imprécis (entre 750 000 personnes et 1 million de résidants possèdent une autre nationalité). En effet, dès qu’une personne se retrouve en possession du passeport de la Confédération, l’Office fédéral de la statistique la comptabilise comme Helvète, et l'autre nationalité n'est plus prise en compte. Reste à savoir pourquoi les enfants d'immigrés sont à ce point surreprésentés dans le football suisse. Parce que c'est un sport populaire, peu onéreux et plus facile d'accès que le ski ? « C'est vrai que, ces dernières années, il y en a de plus en plus…, constate Raffaele Poli. Ce n'est pas seulement du talent intrinsèque, c'est aussi lié à l'importance que l'on attribue à la prédisposition à aller jouer au football plutôt qu'à un autre sport. Après, il y a la passion, la volonté qu'on y met. Le rôle de la famille est tout aussi

JÉRÔME BERTHOUD Assistant à l'Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Nicole Chuard © UNIL

important. Souvent, les parents d'origine étrangère encouragent leurs enfants à faire carrière dans le football. Les parents suivent, soutiennent et encouragent leur progéniture dans cette voie. » Black-Blanc-Beur et Multikulti Cela dit, la Suisse n’est pas un cas à part. La Belgique, par exemple, possède plus ou moins le même profil: petit pays avec beaucoup d'immigration; un accent mis sur la formation; des joueurs qui s'exportent et un succès international. « En fait, l'ASF s'est inspirée de ce qui a été fait en France et qui a amené au titre de 1998 son équipe "BlackBlanc-Beur", résume Jérôme Berthoud. L'Italie, l'Espagne et les pays du Nord de l'Europe devront s'y résoudre à cause d'une population vieillissante. Même l'Allemagne a changé sa politique suite à ses mauvais résultats internationaux. Depuis 2004, elle intègre de nombreux Turcs, Polonais ou Africains doubles nationaux dans ses centres de formation. » Et cela a produit la fameuse équipe « Multikulti » qui a obtenu un gros succès populaire, à défaut de remporter la Coupe du monde 2006. Très présente dans les médias, cette question des passeports des joueurs joue en revanche un rôle moins important sur le terrain, quand il s’agit de composer les

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L’équipe nationale suisse www.football.ch/fr/ASF.aspx

SPORT

Cela dit, ce choix de la formation implique aussi des risques financiers et humains. Car, depuis 2009, la Fédération internationale de football (FIFA) a assoupli les règles concernant les binationaux. Elle permet désormais à un joueur de changer de sélection nationale, à condition qu'il n'ait jamais participé à un match international d'une compétition officielle avec l'équipe A du pays où il évoluait jusqu’alors. Les sélections juniors et les matchs amicaux ne sont donc plus pris en considération. Cette évolution a poussé certains responsables du foot français à prononcer le mot de « quotas » pour limiter le nombre de jeunes d'origine étrangère dans les écoles de football, avec pour résultat des semaines de polémiques. Reste un vrai casse-tête, comme le montre cet exemple, choisi parmi tant d’autres par Yves Débonnaire: « Prenez Diego Costa, qui est, à 25 ans, le buteur de l'Atlético Madrid. Il est d'origine brésilienne, et vient de disputer un match amical avec l'Espagne, mais il pourrait tout à fait disputer la Coupe du monde cet été avec le Brésil… » Casse-tête et casse-pied…

équipes. « Nous sélectionnons des joueurs qui évoluent dans notre football d'élite, des joueurs qui ont un passeport suisse ou pas encore, explique Yves Débonnaire, responsable à l'ASF de la sélection Suisse de moins de 17 ans et enseignant à l'Institut des sciences du sport de l’UNIL. Lors des détections de jeunes joueurs, nous cherchons le potentiel des joueurs, Suisses ou pas. Nous recherchons le talent. Ensuite, pour jouer en équipe nationale, dès les moins de 17 ans et les premiers matchs officiels de qualification, un passeport suisse est obligatoire. »

RAFFAELE POLI Responsable de l'Observatoire du football au Centre international d'étude du sport (CIES) à Neuchâtel. Nicole Chuard © UNIL

Des risques financiers et humains L'ASF a poussé jusqu’au bout une logique que l'on retrouve aussi ailleurs. Pour le responsable de l’Observatoire du football du CIES Raffaele Poli, « l’ASF a compris le potentiel que peuvent apporter les populations émigrées. Dans l'identification du talent dès le plus jeune âge, elle fait un maximum abstraction du critère d'origine. C'est en prenant en compte l’ensemble des jeunes footballeurs qui évoluent dans le pays qu'il est possible d'élargir la pyramide, et ensuite de trouver de bons éléments. L'ASF en a fait une vraie stratégie. C'est ce qui fait le succès de la Suisse, malgré sa petite taille. » 36

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En foot, on risque de former… des concurrents ! Avec ces nouvelles règles, les pays formateurs ne sont plus certains d’être récompensés pour leurs efforts et leurs investissements. Place à la fuite de crampons. Avec le risque de perdre, après des années de formation et d'intégration, donc d'investissements, des joueurs qui préfèrent évoluer pour une nation concurrente, celle de leur deuxième passeport. Ce qui fut le cas des Suisses Rakitic, Petric ou Kuzmanovic…Mais c'est le prix à payer de cette politique. « Notre but est de montrer à ces joueurs que notre football est intéressant. Que nous leur amenons autre chose que simplement jouer, explique Yves Débonnaire. Il y a une structure, un suivi. Les équipes nationales permettent d'évoluer au plus haut niveau, de se mettre en vitrine, de se montrer ! Et si certains joueurs choisissent leur deuxième pays, nous n'avons pas le choix. Il y a un règlement. Nous ne pouvons pas nous battre. Mais les Shaqiri, Mehmedi, Xhaka… sont les meilleurs exemples, même si ça fait dire à certains que ce n'est pas une "vraie" équipe de Suisse. Pour moi, ils ont tous un passeport rouge à croix blanche et une fierté à jouer pour la Suisse. » Finalement, porter les couleurs de la Suisse, ce n'est pas qu'une question de passeport. Mais un choix qu'Yves Débonnaire résume ainsi: « La finalité, ce n'est pas le résultat en lui-même. La finalité c'est la formation du joueur. C'est que Rodriguez, Seferovic et Xhaka jouent avec la première équipe. Quand on est dans la formation d'un sport collectif, le but c'est de développer le talent et surtout son potentiel. Ce n'est pas seulement de gagner. Le titre des moins de 17 ans a prouvé que la Suisse en était capable. Alors si cela a été possible avec eux, un jour on pourra le faire avec les moins de 19 ans et pourquoi pas avec la première équipe. » Passe de Lichtsteiner, centre de Shaqiri, tête de Drmic. La Suisse bat le Brésil 1 à 0… Alors, utopique… ? 


S’INTÉGRER PAR LE FOOT, C’EST POSSIBLE?

Une étude récente a montré que les clubs de football amateur albanais et portugais permettent aux étrangers de mieux s’intégrer.

© pressmaster - Fotolia.com

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ui, les clubs de football amateur composés d'immig rés permettent aux étrangers de mieux s'intégrer. C'est en substance le constat que dressent Raffaele Poli et Jérôme Berthoud, deux des quatre auteurs d'une étude qui a porté sur douze clubs, six portugais et six albanais, répartis en Suisse romande et alémanique. « Il y avait des préjugés sur les clubs de migrants comme le FC Dardania ou le FC Kosova, considérés comme trop communautaires. Pour l’Office fédéral du sport, les modèles d'intégration sont les clubs mixtes », expliquent les auteurs. Leur recherche visait à comprendre si les clubs créés en Suisse à partir des années 70 par des migrants portugais et albanais jouent un rôle de « support à l’échange » qui favorise le

FOOTBALL ET INTÉGRATION Les clubs de migrants albanais et portugais en Suisse. Par Poli R., Berthoud J., Busset T., Kaya B. Editions Peter Lang, Collection « Savoirs sportifs » (2012), 162 p.

développement de liens sociaux harmonieux ou s’ils sont au contraire l’expression d’un « repli communautaire » contribuant à fragmenter la société et à exacerber les tensions. « Nos résultats plaident clairement en faveur de la thèse du support à l’échange. » Leur travail montre que ces clubs

répondent a un besoin d'intégration. Ils ne cherchent pas à rester entre eux puisqu'ils participent au championnat. « C'est bien une preuve ! » S’il y a des tensions, elles sont inévitables. Elles s'estompent avec le temps… « Encore une preuve que le processus est en marche. »  AM

LES TROIS VISAGES DU FOOT SUISSE

En 2012, Raffaele Poli, coordinateur de l'étude « Swiss Football Study », a disséqué le championnat suisse de Super League. Il y a découvert une situation unique, en tout cas en Europe. « Nous avons fait la distinction entre un premier groupe que nous avons nommé les expatriés. » Il est composé de ceux qui viennent en Suisse uniquement pour jouer au football. « Ce sont les migrants du football. » Ils représentent le 35% de la population évoluant en Super League. « Un deuxième groupe composé de Suisses qui ne possèdent qu'un seul passeport. » Presque le même pourcentage que les expatriés: 36%. Il y a enfin

un troisième groupe où l'on trouve « des Suisses qui possèdent aussi une autre nationalité, le 29% des joueurs, soit environ un tiers ». C'est le visage du football suisse aujourd'hui. Une redistribution entre ces trois catégories homogène et unique. « Le championnat d'AnSuisses Expatriés monogleterre par exemple est composé de 60% d'exnationaux patriés ; en Belgique, en Italie c'est aussi plus de 50%. » En Suisse, les deux tiers des joueurs ont grandi et ont été formés dans le pays. « Ces chiffres sont une preuve de la bonne santé du football suisse qui se répercute jusqu'au plus haut niveau. » Un autre Suisses plurinationaux succès lié à la formation et à l'intégration dans le football suisse, d'élite cette fois.

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L’Institut romand des sciences bibliques www.unil.ch/irsb

HISTOIRE DES RELIGIONS

LE SERMON SUR LA MONTAGNE

Huile sur toile du nabi Maurice Denis (1870-1943). La prière du « Notre Père », commune à tous les chrétiens, se trouve dans l’Evangile de Matthieu, 6 : 9-13. © akg-images / André Held

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LE « NOTRE PÈRE » NE NOUS SOUMET PLUS LA TENTATION La nouvelle traduction française catholique de la Bible liturgique, publiée en novembre dernier, suscite nombre d’interrogations. Notamment face aux changements apportés à la plus célèbre des prières qui visent à montrer qu’il n’y a pas, en haut des cieux, un Dieu sadique, voire pervers qui prendrait plaisir à tester ses fidèles. TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

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« Ne nous soumets pas à la tentation »   a été reformulé en « Ne nous laisse pas entrer en tentation » dans une traduction récente.

HISTOIRE DES RELIGIONS ÉCONOMIE

E

videmment, on n’ira pas jusqu’à dire que la Bible n’est plus ce qu’elle était. Mais tout de même : cela fait un drôle d’effet d’apprendre que la fameuse prière du Notre Père, oraison commune à tous les chrétiens (catholiques, protestants ou orthodoxes), est aujourd’hui modifiée ! Entre autres révisions, la nouvelle traduction française catholique de la Bible liturgique, publiée en novembre dernier, a opté pour une reformulation de la sixième demande, à savoir la supplique « Ne nous soumets pas à la tentation » qui devient alors « Ne nous laisse pas entrer en tentation ». Changement infime, diront les non-croyants, qui n’y verront pas de différence spectaculaire. Nuance radicale, répondront les plus pratiquants, car cette phrase du Pater Noster faisait débat dans la communauté chrétienne depuis son acceptation au lendemain du Concile Vatican II, dans les années 1965-1966.

DANIEL MARGUERAT Professeur honoraire, spécialiste du Nouveau Testament. Nicole Chuard © UNIL

Un besoin de clarification Mais quelles étaient donc alors les raisons de la contention ? Selon les protestataires à cette désormais ancienne version, à savoir « Ne nous soumets pas à la tentation », cette formulation laissait à entendre que Dieu serait celui qui soumet à la tentation. D’où le risque de répandre auprès des croyants l’image d’un Dieu sadique, voire pervers, qui prendrait plaisir à tester ses fidèles. 40

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Il n’en est rien, évidemment, mais l’ambiguïté du langage restait persistante – et obsessionnellement dérangeante pour certains. Avec sa phrase « Ne nous laisse pas entrer en tentation », la nouvelle traduction souhaite effacer toute équivoque. Si la formule ne dit toujours pas qui du fidèle ou du Diable est responsable du malheur, Dieu est aujourd’hui entièrement mis hors de toute potentielle accusation. Faut-il dès lors s’en réjouir ? Pour le professeur honoraire de l’UNIL Daniel Marguerat, spécialiste du Nouveau Testament, l’enthousiasme est peu de mise. Pour lui, cette nouvelle traduction du Notre Père est « au mieux inutile, au pire édulcorée ». Il s’en explique : « Tout d’abord, l’ensemble du texte biblique suffit à éliminer d’office cette idée saugrenue que Dieu s’amuserait à tester notre résistance en nous exposant volontairement au Mal. » A ce titre, le passage de l’Epître de Jacques est plus que clair : « Dieu ne peut être tenté par le Mal, et il ne tente lui-même personne. » Quant à l’adoucissement du texte, le théologien ne peut que s’en chagriner. « Il y a une notion de force dans la traduction à laquelle nous sommes habitués, qui est transmise par un verbe actif : “Ne nous conduis pas”. La version proposée affaiblit le sens de cette phrase, qui commence par affirmer que Dieu est actif et qu’il nous conduit. En priant ainsi, on confesse que c’est lui qui guide nos pas, que notre vie n’est pas abandonnée à un destin aveugle et qu’on tient à cet espoir. J’aime cette idée que ma vie est confiée à un maître qui la protège – et que, justement, il ne la laissera pas sombrer dans la tentation. C’est comme lorsqu’on dit à l’être que l’on aime : “Tu ne me laisseras jamais tomber”. Il faut le répéter comme un espoir et un serment mutuel. Même si ma vie traverse la souffrance, et la foi n’est pas une assurance contre la douleur, je prie pour que Dieu ne m’abandonne pas au non-sens. » L’impossible simplification Claire Clivaz, professeure assistante à l’UNIL et également spécialiste du Nouveau Testament, rejoint passablement cette idée d’une clarification un brin exagérée et surtout stérile. « Ce que j’entends dans cette nouvelle traduction, c’est avant tout cette volonté de préciser que ce n’est pas Dieu qui tente dans cette problématique bien complexe du Mal en théologie : est-ce que Dieu est actif dans ce qu’il nous laisse nous exposer au Mal, ou est-ce que le Mal est quelque chose qui arrive malgré lui ? C’est la question fondamentale, mais on sait bien que ce n’est pas si simple d’y répondre. » Et d’enchaîner sur l’idée d’une fausse illusion : « Je ne pense pas que l’on puisse enlever l’ambiguïté de cette interrogation douloureuse en voulant clarifier à fond une traduction. On peut traduire comme on veut, cela ne va pas enlever la question de l’ambiguïté du Mal dans la réalité. »


La théologienne en veut pour preuve toute la palette du rapport au Mal contenue dans la Bible même. « Plusieurs modèles coexistent dans la Bible. Au début du Livre de Job, on a un face-à-face entre la figure de Dieu et celle du Diable, avec une représentation plutôt dualiste. Au centre des récits de la Passion se trouve un homme qui meurt en croix. Il est dit qu’il a été élu par Dieu son père, qu’il est aimé, et pourtant il meurt en croix. Et là, on peut prendre la question dans le sens que l’on veut, on est confronté à une question du Mal plus que complexe. Bien sûr, Dieu ne tue pas son fils, mais n’empêche que “ça” arrive, que la crucifixion se produit. Elle n’est pas stoppée. Elle n’est pas empêchée. » Fort pertinemment, Claire Clivaz tient à ramener cette interrogation dans le concret, ici et maintenant : « C’est un peu pareil pour tout ce qui nous arrive, collectivement ou individuellement. Quand bien même on tente de réunir ses forces pour aller dans la direction d’un Dieu d’amour, le Mal arrive. “Ça arrive.” “Ça m’arrive”. Et cela advient malgré l’image positive du Dieu que je souhaiterais défendre. Donc vraiment, ce n’est pas en modifiant une traduction qu’on réglera cette épineuse question… » Plus personnellement, la théologienne confie qu’elle appréciait la formulation d’avant « Je l’ai toujours entendue de manière très française, soit “ne nous soumets pas”, c’est littéralement “ne nous mets pas dessous”, donc “ne me laisse pas écraser par”. J’ai toujours compris cette demande comme “ne laisse pas le Mal gagner sur nous, permets-moi de rester debout même attaquée par le Mal”. Pour moi, c’est ainsi que je résumerais ce que la foi chrétienne propose en son centre : permettre de vivre debout. » Les vertus de l’ambiguïté Il convient dès à présent de préciser ce terme de « tentation ». Car si un terme dans cette même supplique du Notre Père aurait tout autant mérité, si ce n’est plus, une nouvelle formulation, c’est bien lui. En effet, le mot « tentation » est aujourd’hui largement entendu comme l’appel du désir et du péché en général. Or ce n’est pas tant de ça qu’il s’agit, comme nous le fait remarquer Daniel Marguerat : « La tentation signifie plutôt l’épreuve, le chaos dans lequel on peut être amené à évoluer. La tentation, c’est l’instant de malheur intense, de non-sens, où tout devient chaotique et ne subsiste plus aucun repère. » Et en toute corrélation logique, c’est bien dans ces moments-là qu’il est le plus difficile de rester digne et fidèle à sa profession de foi… Faudrait-il alors se désespérer de n’avoir pas encore réussi la traduction parfaite ? Au contraire, répondent nos spécialistes, qui rejettent tous deux l’idée qu’il faudrait arriver, dans l’idéal, à une traduction sans faille, c’est-à-dire sans plus aucune formulation équivoque. « C’est lorsque le texte est âpre, rugueux, qu’il étonne ou surprend, que le lecteur devient réellement actif », avance Daniel Marguerat. « Il marquera alors une pause dans sa lecture et pren-

CLAIRE CLIVAZ Professeure assistante à l’Institut romand des sciences bibliques. Nicole Chuard © UNIL

« LA BIBLE EST UNE VIA FERRATA, PAS UNE AUTOROUTE ! ET PERSONNELLEMENT J’AIME QUE CELA SOIT AINSI, CAR LA VIE EST ELLE AUSSI COMPLEXE. » CLAIRE CLIVAZ, PROFESSEUR ASSISTANTE

dra le temps de mieux réfléchir à ce qui est dit fondamentalement derrière les seuls mots employés. » Quant à Claire Clivaz, « ces changements de traduction nous ramènent toujours à une question fondamentale, qui est de savoir quel rapport nous souhaitons entretenir avec la spiritualité : un rapport simple et balisé, ou est-ce que cela nous convient que cela soit plus complexe ? » Pour la professeure assistante, il est clair que la réponse est dans les Ecritures. « La Bible n’a pas gardé un seul Evangile, mais bien quatre, c’est-à-dire que la voix unique n’était pas souhaitable. Cette pluralité des langues, des mots et des sens, est peut-être là pour nous rappeler justement que la quête de Dieu se vit dans la complexité, la patience, petit bout par petit bout, entre moments de contrariété et fulgurances heureuses. C’est une via ferrata, pas une autoroute ! Et personnellement j’aime que cela soit ainsi, car la vie est elle aussi complexe. » Beaucoup de bruit… ? Pour Claire Clivaz, « on a cependant été un peu vite en besogne avec cette histoire ». En effet, comme elle le précise, cette nouvelle traduction en français de la Bible liturgique n’est pas encore la nouvelle traduction du Missel romain, attendu pour 2016 seulement. « C’est ce texte-là qui définira la version du Notre Père lu au moment de la liturgie eucharistique », souligne-t-elle. « Or nous parlons

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première », relate Claire Clivaz. « Je regrette le processus d’aujourd’hui. Une annonce commune des Églises ou une des Églises qui parle en premier, ça ne fait pas le même effet… » Mais la théologienne en revient encore à la distinction d’avec le Missel romain, qui paraîtra en 2016, et espère qu’il est peut-être encore temps pour une réflexion commune… La difficulté première résidant toutefois dans le fait que les Églises protestante et orthodoxe n’existent pas structurellement au niveau francophone… Les autres langues ne sont par ailleurs pas visées pour l’instant par une nouvelle traduction.

aujourd’hui de la traduction de la Bible et du passage du “Sermon de la montagne” dans l’Evangile de Matthieu, qui ne sera lu réellement en messe que peu de fois sur une année. » Pour la théologienne, il y a véritablement eu ici un effet de « buzz » médiatique. En effet, la nouvelle a été largement relayée par les médias. Sûr que cette nouvelle traduction de la Bible liturgique n’aurait eu que peu d’échos si elle n’avait touché au sacro-saint Notre Père. « Cette prière est essentielle pour les chrétiens », explique Daniel Marguerat, « notamment car elle est leur seul point de ralliement, toutes confessions confondues. » Par ailleurs, nous précise-t-il, cette prière a été donnée par Jésus lui-même à ses disciples qui lui demandaient de leur enseigner comment prier. Elle est aussi un symbole de la chrétienté au-delà même de toute religiosité. « Dans les cérémonies comme les mariages ou les funérailles, où l’auditoire est très hétéroclite, cette prière est encore largement connue et entonnée en chœur », témoigne Claire Clivaz. Sa nouvelle traduction ne pouvait donc qu’ébranler dans les chaumières, pratiquantes ou non, d’ailleurs. On ne touche pas ainsi aux héritages culturels, fussent-ils ordinairement négligés… Initiative catho-catholique Autre raison de la médiatisation de ce changement hautement religieux : son annonce faite unilatéralement par l’Eglise catholique de France. Si les protestants et orthodoxes français ont bien été consultés en amont, il n’y a pas eu de vrai débat romand sur la question, notamment au sein de la Conférence des Eglises romandes. La francophonie protestante se résumerait-elle à la France ? « La nouvelle traduction du Notre Père après Vatican II avait été annoncée dans un communiqué commun avec les orthodoxes et les réformés. Ici, l’Eglise catholique est partie en avant42

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Le pape dans la foule de la place Saint-Pierre de Rome, le 19 février dernier. La nouvelle traduction de la Bible liturgique, et donc du Notre Père, est une initiative catholique. © Max Rossi/Reuters

« L’ENSEMBLE DU TEXTE BIBLIQUE SUFFIT À ÉLIMINER D’OFFICE CETTE IDÉE SAUGRENUE QUE DIEU S’AMUSERAIT À TESTER NOTRE RÉSISTANCE EN NOUS EXPOSANT VOLONTAIREMENT AU MAL. » DANIEL MARGUERAT, PROFESSEUR HONORAIRE

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Quid de la prière ? Si le Notre Père est essentiel à toute la communauté chrétienne, qu’il rassemble avec force, a-t-il toujours le même poids que par le passé ? Pour Daniel Marguerat, cette prière n’a pas perdu une once de sa pertinence, et il est bon parfois de la réinterroger au lieu de la réciter passivement. Cependant, le théologien ne peut qu’admettre qu’aujourd’hui on assiste à une vraie démocratisation de la prière. « Dans les célébrations religieuses, il y a peu encore, il ne serait jamais venu à l'idée de personne que quelqu'un d'autre que le prêtre ou le pasteur puisse énoncer une prière. Ce qui se fait aujourd’hui de plus en plus, notamment lors de réunions de prières ou autres rencontres. » Et de souligner qu’aujourd’hui, les croyants délaissent volontiers le « prêt-à-porter » de la prière pour un appel à Dieu plus spontané et propre à chacun. « L’intention étant alors toujours préférable à la correction dogmatique. » De son côté, Claire Clivaz tient à défendre aussi la prière récitée. « Ces deux modes répondent à des besoins différents. Je crois que la relation à Dieu a aussi besoin d’être vécue dans un cadre communautaire. Et là, on a besoin d’avoir des mots en commun. » Selon elle, on aurait tort également de ne valoriser que les prières personnelles aux dépens des prières communautaires : « On a toujours l’idée qu’une prière spontanée est en connexion particulièrement directe avec Dieu. Mais peut-être existe-t-il aussi une spiritualité qui demande de l’effort, un apprentissage, voire des rites et des rythmes, comme dans les monastères ? Chacun choisit selon sa personnalité et ses besoins comment il veut construire sa spiritualité dans la prière. » Et la théologienne de conclure sur un aspect étonnant lié à la représentation de la prière. « Aujourd’hui, lorsqu’en église on se met à prier, les gens se recourbent et se recroquevillent sur eux. Alors que dans les peintures des catacombes, au début du christianisme, celui qui priait le faisait les bras ouverts vers le ciel. Je me demande bien à quel moment dans l’histoire de la prière on s’est ratatiné. Beaucoup de choses passent déjà par là : il y a une attitude, une gestuelle de la prière, et ce avant même les mots. » C’est ce que Daniel Marguerat appelait aussi l’intention derrière les paroles prononcées, qui se révéleront toujours bien imparfaites. 


1995

C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

LES CHERCHEURS ONT-ILS UN AVENIR SUR INTERNET ?

C’est sous ce titre que dans son deuxième numéro déjà, Allez savoir ! avait traité du succès croissant du web. L’occasion de rappeler que très tôt, les scientifiques et les universités se sont appropriés un outil idéal pour diffuser la connaissance.

«

En Suisse romande, les premiers serveurs World Wide Web (qui donnent accès à Internet) sont à peine âgés d'une année. Il y a encore cinq ans, personne ne pouvait prévoir qu'on en arriverait là aussi rapidement. A priori, Internet ne se destinait en effet guère à la "récupération" par le grand public. » C’est ainsi que, en juin 1995, Luc Domenjoz débutait son article consacré aux liens entre les chercheurs et le net, qui se sont intéressés très tôt au « réseau des réseaux ». En effet, « grâce à lui, la science a pu progresser plus vite : à peine une découverte effectuée, à peine la photo d'une nouvelle comète développée, que déjà les chercheurs la mettaient sur le réseau, à disposition des scientifiques du monde entier. Internet permit aussi de s'envoyer des messages rapidement, de s'échanger des logiciels ou de rendre des articles accessibles avant leur publication dans des revues. » Puis l’histoire s’accélère. « En 1989, Tim Berners-Lee eut l'idée de combiner [un petit logiciel] avec Internet, afin de faire résider des documents hypertexte sur le réseau. En 1992, Marc Andreessen, un étudiant du NCSA américain, le National Center for Supercomputer Applications (situé dans l'Illinois), trouva le protocole de communication éta-

Texte paru dans Allez savoir ! No 2, juin 1995. Archives du magazine : http ://scriptorium.bculausanne.ch

LE PREMIER SERVEUR WEB « MAISON » DE L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE EST APPARU EN AOÛT 1994. LUC DOMENJOZ

bli par Berners-Lee intéressant. Et se mit immédiatement à travailler sur le World Wide Web – alors d'utilisation plutôt rébarbative – pour le rendre convivial et utilisable avec une souris. A la fin de l'année, le résultat de son travail, Mosaic, était disponible sur Internet. Ce fut l'explosion. En quelques semaines, les serveurs d'informations adaptés pour Mosaic fleurirent dans les cinquante Etats. "Les Américains ont immédiatement vu l'intérêt de la chose, et se le sont arraché comme des petits pains, explique Robert Cailliau, le responsable actuel du web au CERN. Quand ils ont vu qu'ils pouvaient envoyer des photos couleur avec des informations, ils ont foncé." » « En novembre 1993, moins de 250 serveurs étaient recensés. 1994 vit une croissance du trafic sur le réseau de... 1700%. "En janvier 1995, nous en étions à 40 000 réseaux connectés à Internet, représentant près de 5 millions d'ordinateurs. Un nouveau réseau s’ajoute toutes les demi-heures...", explique à l’Université de Lausanne le professeur François Grize, de l'Institut d'informatique de la Faculté des sciences. » Ce dernier est aujourd’hui professeur honoraire. Au sujet de l’UNIL, le journaliste donne ensuite quelques jalons : le premier serveur web « maison » est apparu en août 1994, « lorsque le Centre

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informatique lança la page d'accueil présentant l'Université. Deux mois plus tard, la Faculté des SSP et la Section de physique venaient y rattacher les serveurs qu'elles avaient développés, bientôt suivies par l'Institut d'informatique et la Bibliothèque Cantonale et Universitaire. » Et en chiffres ? « On compte environ 50 000 consultations par mois, provenant de plus de 2000 machines, déclare Jacques Guélat au Centre informatique. Ce nombre est relativement standard pour ce genre de serveur, mais il progresse chaque mois. Sur ces 2000 consultations, la moitié proviennent de l'étranger, et 500 de l'UNIL – ce qui tend à prouver que cette manière de s'informer entre petit à petit dans les mœurs. » Aujourd’hui responsable conseil et études au Centre informatique, Jacques Guélat fournit – à titre de comparaison – les données actuelles, en moyenne mensuelle pour 2013 : 27 188 091 requêtes au serveur pour 416 933 numéros IP distincts (soit, en approximation, le nombre de visiteurs). 3% seulement proviennent de l’UNIL elle-même. Dans sa conclusion, l’article paru en 1995 rappelle, et de manière bien agréable, que Allez savoir ! est le « premier média suisse à s’être fait une place sur WWW ». A l’époque déjà, les lecteurs pouvaient s’abonner par courrier électronique ! 

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L’Ecole des sciences criminelles www.unil.ch/esc

IDENTITÉ

QUI SUIS-JE SUR

INTERNET ? Dans la société de l'information, nous avons tous de multiples identités. Une révolution qui crée des opportunités et des risques inédits. En marge des Mystères 2014, qui seront consacrés à la question de l’identité, et qui accueilleront le grand public les 24 et 25 mai prochains à l’UNIL, Allez savoir ! fait le point avec David-Olivier Jaquet-Chiffelle, professeur à l’Ecole des sciences criminelles. TEXTE SONIA ARNAL

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n affable père de famille sur Facebook, un impi­toyable avocat sur LinkedIn, un client banal chez PostFinance, un amateur de polars nordiques sur Amazon et un fan des Beatles sur iTunes : sur Internet, nos identités sont multiples et leur contrôle nous échappe en partie. Qu’est-ce que cela implique comme risques pour les citoyens, comme opportunités pour les criminels, et laisse comme traces pour les enquêteurs ? Les réponses de David-Olivier Jaquet-Chiffelle, professeur ordi44

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naire à l'Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne, spécialiste notamment de la cybercriminalité et de l’identité virtuelle. Qu’est-ce qu’une identité numérique ? Elle n’est pas forcément liée à Internet : le numéro AVS, celui de la carte d’identité ou du passeport sont autant d’identités numériques traditionnelles qui existent depuis longtemps. Dans certains pays, comme les Etats-Unis, par exemple,


ŠiStock.com/Vetta


IDENTITÉ

un numéro, celui de la sécurité sociale, a plus de valeur que le nom et le prénom : c’est lui qui donne accès à une multitude de services, et pas seulement à ceux de l’Etat. « A ces exemples classiques, on peut aussi ajouter le plus récent numéro de natel, qui, par opposition à la ligne fixe de la maison, est individuel, ou bien sûr le numéro de la carte SIM », explique David-Olivier Jaquet-Chiffelle. Internet est venu enrichir la palette de ces identités. Il y a celles que l’on se choisit via par exemple son adresse e-mail, son profil Facebook, son compte Twitter. Elles peuvent correspondre parfaitement aux données inscrites sur le passeport, comme Marie.Muller@gmail.com ou être totalement farfelues (Anne.Onyme@gmail.com). Les machines qui nous permettent de surfer sur Internet ont elles aussi plusieurs « identités » : par exemple leurs adresses IP, pour « Internet Protocol ». Elles se présentent sous la forme d’une suite de chiffres (exemple : 212.85.150.134.). « Smartphones, tablettes, ordinateurs, routeurs, tous les objets connectés sur Internet sont pourvus de ce numéro d'identification, explique David-Olivier JaquetChiffelle. Une adresse IP correspond à une machine à un instant donné : on peut savoir quand cette machine s’est connectée, combien de temps, et quelle machine a visité tel site. Mais attention : on ne peut pas en déduire que l’identité de cet ordinateur équivaut à l’identité de son propriétaire. Quelqu’un d’autre peut s’en être servi, un hacker peut s’être frauduleusement emparé de l'adresse IP et l’utiliser, indirectement, depuis un autre engin, etc. » Comment cette identité numérique se crée-t-elle ? Une identité sur Internet peut être attribuée – c’est habituellement le cas pour l’adresse IP. Les adresses e-mail professionnelles sont aussi le plus souvent générées par l’employeur – les collaborateurs et étudiants de l’Université de Lausanne ont tous le modèle Prénom. Nom@unil.ch 46

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SILK ROAD

Ce site, fermé par le FBI l’an passé, mettait dealers et consommateurs en contact. Le paiement se faisait avec la monnaie électronique bitcoin. Accusé de blanchiment dans le cadre de cette affaire, Charlie Shrem, de la Fondation Bitcoin, est photographié près du Manhattan Federal Courthouse de New York, le 27 janvier 2014. © Lucas Jackson/ Reuters

« IL N’Y A PRESQUE PLUS AUCUNE ACTIVITÉ CRIMINELLE QUI N’AIT PAS DES RAMIFICATIONS DANS LE NUMÉRIQUE. » DAVID-OLIVIER JAQUETCHIFFELLE, PROFESSEUR À L’ÉCOLE DES SCIENCES CRIMINELLES

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pour identité. Elle peut aussi être choisie, dans le cas des adresses gmail.com et autres hotmail.fr. La part de créativité est encore plus grande sur les réseaux sociaux, où les informations sur la situation professionnelle et personnelle, qui servent à créer des profils, peuvent être exhaustives ou très incomplètes, exactes ou imaginaires. « En faisant une recherche pointue mais en utilisant uniquement des moyens légaux à la portée d’un internaute moyen, il est souvent possible de connaître énormément de choses sur une personne : son métier, son employeur, ses collègues, sa maison, ses hobbys, ses dates et lieux de vacances, ses opinions politiques, la configuration de sa famille (nombre d’enfants, genre, âge…), ses goûts musicaux ou littéraires, éventuellement ses antécédents juridiques si des médias s’en sont fait l’écho », détaille le professeur. Libre à chacun d’exposer publiquement sa vie, « mais les gens ne se rendent pas toujours compte de la précision à laquelle on arrive en faisant la somme de renseignements semés en des endroits différents de l’Internet », note DavidOlivier Jaquet-Chiffelle. Peut-on la manipuler ? Evidemment, chacun peut s’inventer des vacances de rêve ou « adopter » un labrador en volant les images correspondantes sur Internet et en les collant sur son mur Facebook. Ce que l’on croit savoir des membres des réseaux sociaux ne correspond donc de loin pas toujours à leur identité dans le monde physique. « Cela pose bien la question de la confiance, qui est centrale dans les interactions sur Internet : l’identité affichée correspond-elle à la réalité ? Le niveau de confiance dans la relation est évidemment variable : il est très faible sur Facebook, où vous pouvez vous créer un personnage de pure fiction, et très élevé, du moins en Suisse, entre les banques et leurs clients : avant de pouvoir effectuer ses paiements en ligne, il faut ouvrir un compte en se présentant


Quel impact ces identités numériques ont-elles sur la criminalité ? Bien des crimes ou délits n’ont pas attendu l’ère de la société de l’information pour fleurir : c’est le cas du trafic de drogue ou de plusieurs types d'arnaques par exemple. « Mais Internet ou la téléphonie mobile permettent à ces acteurs de protéger leur personne derrière une identité numérique, donc de diminuer les risques liés à la rencontre physique, tout en augmentant les profits grâce à des économies d’échelle », explique David-Olivier Jaquet-Chiffelle. Un exemple de cette utilisation des nouvelles technologies pour des activités traditionnelles ? Silk Road. Déjà largement médiatisé, ce site, appelé plus communément l’eBay de la drogue, mettait en contact des clients et des dealers autour de toutes sortes de stupéfiants. Les substances étaient acheminées par colis postal après virement de la somme convenue en bitcoins, presque comme pour un DVD acquis sur Amazon. Fermé par le FBI en octobre 2013, il a rapidement eu un successeur. C’est que ce supermarché en ligne protège l’identité « réelle » aussi bien des vendeurs que des acheteurs et diminue considérablement les risques d’être arrêté en flagrant délit en pleine rue. Mais Internet a aussi ouvert les vannes à l’imagination débridée des criminels, qui ont inventé des infractions nouvelles. La prise d’otage d'un site commercial par exemple, avec chantage et extorsion de fonds. « Si un site de type Amazon.com reçoit des centaines de milliers de requêtes à la seconde, il est débordé, crashe et ne peut honorer les requêtes des “vrais” clients qui veulent se connecter au même moment », illustre le spécialiste. Cela peut constituer une perte financière sèche et une atteinte sévère à la réputation. Certains malfrats n’hésitent donc pas à exercer un chantage sur ces sites en leur extorquant des montants conséquents en échange d’une « non-attaque » de ce type. Le professeur de l’UNIL précise : « Le criminel qui extorque les fonds ne possède pas forcément la technologie qui lui permet de paralyser lui-même les sites commerciaux. Le plus souvent, il loue les services d'autres criminels pour l’aspect informatique, spécialistes qui proposent des contrats de type : j’ai pris possession de 100 000 ordinateurs privés auxquels je peux faire passer x commandes à la minute, je vous les loue 1 franc pièce par heure. » Les nouvelles technologies peuvent aussi être une source de renseignements précieuse pour les cambrioleurs : twittez « yessss départ pour deux semaines de vacances à Cuba » et la planète entière sait que votre maison est vide durant les 15 prochains jours. Mais ce qui inquiète le plus les citoyens, c’est l’usurpation totale d’identité : un matin je me lève, je

T KI TOI ?

Pour leur 9e édition, les Portes Ouvertes de l’UNIL sont consacrées aux thèmes de l’identité et de l’altérité, déclinés en sciences humaines et en sciences de la vie. Les chercheurs de l'UNIL proposent divers itinéraires pour explorer les frontières entre le visible et l’invisible, le dedans et le dehors, l’ici et l’ailleurs. Parmi les thèmes traités : l’intérieur du corps, avec le cœur, le cerveau ou l’ADN. La mémoire et la conscience. Les liens entre les êtres humains, en famille ou en groupe. Le voyage se prolonge dans le temps et à travers le monde, ainsi qu’avec de nombreux jeux. Les Mystères 2014 invitent également à se mettre à la place des insectes, des oiseaux et même des plantes. Au total, ce sont 25 ateliers et 11 laboratoires qui attendent les curieux et les familles. Cette année, des animations auront lieu à Géopolis, ainsi que dans les sous-sols de l’institution ! UNIL-Sorge et UNIL-Mouline. Je 22 et ve 23 mai (écoles), de 9h à 15h. Sa 24 et di 25 mai (familles), de 11h à 18h. Entrée libre. www.unil.ch/mysteres UNICOM

en personne à un guichet et prouver son identité officielle. Ensuite, il faut établir la preuve que la personne qui intervient et souhaite effectuer un paiement est bien la détentrice du compte par le biais de plusieurs moyens distincts utilisés successivement. »

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WWW.UNIL.CH/MYSTERES

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branche mon ordinateur et je ne suis plus moi. Tous mes comptes me refusent l’accès, d’iTunes à la banque en passant par Gmail, mon argent s’est volatilisé, mon employeur reçoit des mails insultants signés de mon nom que je ne lui ai bien sûr jamais envoyés, etc. Fantasme ou réalité ? « Complètement déconnecter quelqu'un de ses identités numériques à la manière du film The Net (Traque sur Internet) ou s'accaparer ses comptes bancaires suisses relève davantage du fantasme que de la réalité, répond le spécialiste. Mais un hacker peut pénétrer votre ordinateur, vous espionner sans que vous vous en aperceviez, observer les mots de passe que vous tapez. Parfois, il y trouve directement une bonne partie des informations nécessaires pour prendre le contrôle de nombreux comptes – beaucoup de gens ont par exemple un document word ou des notes qui recensent en un seul endroit leurs identifiants et leurs mots de passe. C'est relativement facile et cela favorise ensuite certaines arnaques financières. » Le citoyen lambda n'est donc pas à l’abri. Les autres, CEO de grandes banques ou président des Etats-Unis, dont l'usurpation d'identités pourrait avoir un impact politique ou financier considérable, ont en principe des barrières de sécurité un peu plus difficiles à franchir… Comment gère-t-on ces nouvelles formes d’identités dans les sciences forensiques ? Qu’est-ce que cela change pour les enquêtes ? « Ma vision est essentiellement de ne pas scinder les traces numériques des traces physiques, mais d’utiliser les deux sources de renseignements en collaboration », explique David-Olivier Jaquet-Chiffelle. Et de citer en exemple les échanges de contenus pédo-pornographiques : mener une enquête sur Internet sans la croiser avec l’enquête dans « la vraie vie » pour remonter jusqu’aux coupables n’aurait pas beaucoup de sens. « Aujourd’hui, il n’y a d’ailleurs presque plus aucune activité criminelle qui n’ait pas des ramifications dans le numérique : tout le monde utilise Internet et y laisse des traces, ou travaille à tout le moins avec un téléphone portable. » Une des spécificités de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne est d’ailleurs son approche interdisciplinaire pour aborder une enquête. La proximité sur un même site de professeurs couvrant ensemble un large spectre de domaines forensiques favorise les interactions et la transdisciplinarité dans la résolution des problèmes. On part du principe que le volet numérique des enquêtes ne devrait pas être confié à des informaticiens, mais plutôt à des forensiciens, spécialisés en informatique, ayant une vision plus large de l’enquête : « Dans cette optique, nous incluons déjà les traces numériques et leur traitement dans nos cours de base, explique le scientifique. Il est essentiel qu’un enquêteur puisse avoir une vue globale des indices pour comprendre l’infraction et cerner l’identité de la personne qui l’a commise. »

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IDENTITÉ

commerciales, pour cibler les publicités qui s’affichent sur le moteur de recherche en fonction de vos intérêts, ou pour vous faire des suggestions d’achats. C’est là une identité un peu différente encore qui est saisie, puisqu’elle comprend nos goûts et nos intérêts – elle a donc une dimension plus psychologique, « ce qui d’ailleurs a un effet repoussoir sur certains utilisateurs qui n’apprécient pas d’être ainsi catégorisés », commente David-Olivier Jaquet-Chiffelle. « Les entreprises ne sont pas les seules à s’intéresser à nos goûts et nos centres d’intérêt – les Etats aussi », poursuit le professeur. Les e-mails que s’échangent les particuliers peuvent être lus, des sites ou des forums sensibles surveillés pour remonter la trace des participants. Depuis le 11-Septembre, l’affaiblissement des lois protégeant la sphère privée a été décidé dans le but de lutter contre le terrorisme. Mais les révélations d’Edward Snowden sur les pratiques de la NSA montrent que les Etats-Unis ont très largement utilisé les moyens technologiques à leur disposition pour pénétrer les identités des utilisateurs d’Internet – à tel point que des citoyens lambda absolument pas impliqués dans des activités criminelles se sont retrouvés empêchés d’embarquer à bord d’un avion en partance pour les USA parce qu’un e-mail contenant le mot « bombe » avait alerté les services de surveillance…

Un défi pour les enquêteurs dans les nouvelles technologies, c’est la localisation : fouiller l’identité d’une personne sur Internet requiert certes des compétences techniques, mais aussi des autorisations de la justice. « Evidemment, nous tenons beaucoup au respect de la sphère privée et à la protection des données : ce n’est pas parce qu’une trace peut être suivie techniquement qu’elle peut l’être juridiquement. » Or le Web est, comme son nom l’indique, « world wide ». Et obtenir des autorisations de cinq ou six pays parce que les serveurs sont éclatés aux quatre coins du monde et l’information fragmentée ne va pas sans prendre un certain temps… « La lenteur des procédures est un atout pour ce type de criminalité », reconnaît David-Olivier Jaquet-Chiffelle.

DAVID-OLIVIER JAQUET-CHIFFELLE Professeur à l'Ecole des sciences criminelles. Nicole Chuard © UNIL

Comment notre identité numérique est-elle utilisée par les entreprises et les Etats ? Vous avez acheté les œuvres complètes de l’auteur de polars suédois très en vogue Henning Mankell sur Amazon ? Attendez-vous à ce que le site vous propose à chaque nouvelle connexion des livres d’Arnaldur Indridason (auteur de polars islandais très en vogue) ou de Jo Nesbo (auteur de polars norvégien très en vogue). C’est que tout achat ou simple visite sur un site, voire une requête sur Internet, laisse d’innombrables traces, que les sites recensent en particulier via des petits fichiers appelés cookies. Les informations ainsi recueillies sont évidemment utilisées à des fins 48

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Comment sera utilisée notre identité numérique dans le futur ? De plus en plus, nos identités sont faites d’éléments matériels et d’éléments numériques : la « réalité », c’est désormais le cumul des deux. Un excellent exemple de cette juxtaposition est le passeport biométrique : un document papier, complété par une puce qui contient sous forme numérisée des éléments constitutifs de notre identité physique tels que la taille ou surtout les empreintes digitales. Autre évolution irréversible : la multiplication de nos identités, de nos profils. Il y a trois ans encore, nombreuses étaient les personnes actives sur Facebook, et c’est tout. Désormais, on existe aussi sur Twitter, Instagram, Tumblr… Pour ce qui est des conséquences sur notre vie « physique », « certains envisagent un environnement de plus en plus intelligent, qui utilisera les informations recueillies dans les interactions avec les objets du quotidien pour faire du profiling en temps réel à grande échelle et anticiper nos besoins », constate David-Olivier Jaquet-Chiffelle. Ou quand les machines font du profilage façon criminologue du FBI… Vous avez l’habitude de commencer la journée par boire un café, dès que le réveil sonne ? Votre cafetière, connectée à votre alarme, se mettra en marche tous les matins dès qu’elle sonnera. De même, votre ordinateur au bureau sortira de sa veille à 8h00, parce qu’il sait que c’est à cette heure-là que vous arrivez – et qu’il saura que vous venez d’entrer dans le bâtiment puisque le passage de votre badge sous-cutané a été enregistré. Bref, le rêve ! Ou le cauchemar ? 


IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

ARIANE BAEHNI PLEINE DE GRÂCE

E

légante, bien coiffée, les ongles manucurés, un iPad dans son joli sac à main. Ariane Baehni correspond bien à l’image que l’on se fait des diplômés HEC, la faculté où elle a étudié. Au détail près que la quinquagénaire à l’allure chic officie depuis septembre à la paroisse de Vallorbe. Car Ariane Baehni est désormais pasteure suffragante. Après des études de théologie reprises en 2004, elle effectue actuellement la dernière partie de sa formation pratique. Et en l’écoutant parler, on se dit que l’ancienne diplômée en HEC correspond tout aussi bien à l’image que l’on se fait des gens d’Eglise. Une certaine aura, de l’éloquence, une oreille attentive. Ariane Baehni s’exprime volontiers, mais pas trop, davantage à l’écoute qu’oratrice. « Une crise de vie », c’est par cette brève formule qu’elle explique son changement d’orientation vers 40 ans. « Réaliser que la vie n’est pas éternelle », après plusieurs années passées à travailler dans le secteur des voyages, et pour la communication à l’UNIL, au sein de son ancienne faculté. Mère de deux adolescents, afin de se consacrer à sa famille, elle travaillera aussi à temps partiel pour des mandats plutôt alimentaires. « Mais manquait un vrai projet. » Un déménagement dans un village à la vie paroissiale plus présente lui fera reprendre le chemin de l’Eglise. Elle qui dit « avoir toujours été croyante, mais pas pratiquante » décide d’entreprendre sur le tard un bachelor à distance à l’Université de Genève. Puis le master en Théologie à l’UNIL, au cours duquel naîtra l’envie de devenir pasteure. Passer de l’économie à la religion, déconcertant ? Tout autant peut-être que sa motivation initiale à étudier en

ARIANE BAEHNI Licence en Sciences économiques en 1982. Master en Théologie en 2012. Pasteure suffragante. © Pierre-Antoine Grisoni - Strates

La communauté des alumni de l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

HEC. « Ce n’était pas un vrai choix, je n’étais pas assidue. Mais à la base, ces études étaient courtes et permettaient de trouver facilement du travail. » Sa formation aura ainsi permis à Ariane Baehni d’entamer une carrière professionnelle à l’Office du tourisme. Mais aussi de faire des rencontres importantes. Ce cercle d’amis « constitué à l’époque pré-religieuse », maintenu encore aujourd’hui. Et avec qui il lui arrive parfois de débattre sur son changement de vie. Les deux mondes entre lesquels gravite Ariane Baehni ne sont pas si éloignés. « Au sens noble, l’échange humain est au cœur de l’économie. » Mais c’est aussi l’une des activités « qui s’éloigne de plus en plus de sa définition profonde ». D’où le grand désarroi que la pasteure ressent dans le milieu, et auquel elle veut tenter de remédier par un service d’accompagnement spirituel. « Les chefs d’entreprises à qui j’en parle se montrent méfiants vis-à-vis de l’Eglise, mais ça ne les empêche pas de spontanément me confier leurs soucis. » Davantage que sa carrière passée ou le fait d’être une femme, c’est dans cette volonté de réunir l’économie et la religion qu’Ariane Baehni pense se démarquer. D’ailleurs, « je ne suis pas la seule femme pasteure diplômée d’une autre faculté ». Un mouvement en devenir ? Mais il est temps de laisser Ariane Baehni préparer son sermon du dimanche : un parallèle entre la pyramide de Maslow et le récit de la tentation de Jésus dans le désert. « Le diable nous tire vers le bas de la pyramide, Jésus veut nous ramener vers le haut. Ici ou là, au fond, on parle toujours de l’être humain. » On serait presque tenté d’y croire… Aura de la femme d’Eglise ou excellente communicatrice ?  CYNTHIA KHATTAR

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Site dédié à la connaissance et la protection des papillons diurnes de Suisse www.lepido.ch

BIOLOGIE

NOS CIMETIÈRES PEUVENT

SAUVER LES PAPILLONS Une étude mandatée par la Ville de Lausanne démontre que l’endroit où reposent nos morts attire plus d’espèces de papillons que les parcs et les jardins. Deux biologistes formés à l’UNIL – Aline Pasche, qui a participé au projet, et Valéry Uldry, spécialiste des Rhopalocères alpins – font un état des lieux de la vie des petits colorés qui peuplent encore la Suisse. Mais pour combien de temps… TEXTE VIRGINIE JOBÉ 50

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VULCAIN

Migrateur, Vanessa atalanta est une espèce qui apprécie les cimetières. © Gary West - Fotolia.com

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BIOLOGIE

A

ux premiers rayons de soleil, de petits êtres bariolés, bleus, blancs ou jaunes, commencent à investir notre quotidien. Leurs quatre ailes au vent, ils embellissent nos cieux et caressent notre végétation à la recherche du nectar qui les nourrira. Les papillons, on les aime bien, car ils sont beaux et ne tentent pas de nous piquer. Cependant, on s’en occupe peu. Du moins pas assez, selon les spécialistes. Les changements climatiques ne leur facilitent pas la tâche, nos pesticides non plus. Pourtant, il semblerait qu’un allié insolite soit venu à leur rescousse : le cimetière, de préférence écolo. En 2009, Aline Pasche – alors biologiste indépendante, détentrice d’un master de l’UNIL sur l’étude des peuplements de Rhopalocères (papillons de jour) du Val Mingèr au Parc national suisse (Engadine) – a été mandatée par la Ville de Lausanne pour suivre les lépidoptères diurnes dans les différents parcs, jardins et promenades de la cité, ainsi qu’au cimetière du Bois-de-Vaux. Jusqu’en 2011, munie d’un filet à papillon, « la méthode la plus simple reste la plus vieille », la biologiste a arpenté des zones définies à l’avance, à savoir « un milieu homogène, soit en forêt, soit en prairie, une haie ou encore un verger », cinq à sept fois par an entre les mois de mai et septembre par beau temps. A sa grande surprise, alors qu’elle n’a observé que trois espèces au Parc de Montbenon, ou neuf à celui de Valency, Aline Pasche – aujourd’hui scientifique du patrimoine 52

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ALINE PASCHE Scientifique du patrimoine naturel à la Direction générale de l’environnement, dans la division biodiversité et paysage (canton de Vaud). Nicole Chuard © UNIL

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naturel à la Direction générale de l’environnement dans la division biodiversité et paysage du canton de Vaud – a compté vingt-trois espèces au cimetière du Bois-de-Vaux en deux ans d’observation. Elle estime même que si l’on suit les populations pendant dix ans, on pourra sans doute en voir une trentaine. Comment cela s’explique-t-il ? « On y trouve des fleurs sur une longue période, souligne la biologiste. Il y a un renouvellement constant, ce qui n’est pas le cas d’une prairie qui fleurit, meurt et tout se termine, car personne n’y apporte des fleurs. » Eh oui, les bouquets dans un vase ou les plantes en pot, « qui ont des périodes de floraison très variées », attirent autant les lépidoptères. A cela s’ajoutent les parcelles du cimetière qui ne sont pas attribuées. « Celles qui ne sont pas encore habitées, si l’on peut dire. A Bois-deVaux, ces parties-là sont laissées en prairie par les jardiniers, ce qui est un gain exceptionnel pour les papillons. » En effet, la cité vaudoise et son service des parcs et domaines a débuté en 1992 « une nouvelle façon d’entretenir les parcs et cimetières lausannois », explique Didier Perret, responsable des cimetières à la Ville de Lausanne. Le nom du projet : EDIF (entretien différencié). Son but : « Mettre en place un entretien plus écologique, plus proche de la nature et mieux ciblé selon les emplacements sur le territoire, avec comme fil rouge le leitmotiv « Entretenir autant que nécessaire, mais aussi peu que possible ». Une idée novatrice à l’époque, et qui le reste. Car les autres villes romandes ne semblent pas suivre cette tendance, selon Didier Perret, contrairement à Zurich par exemple. Cette idée a commencé à prendre forme dans les cimetières sous l’impulsion de trois chefs d’équipe. Et d’autres projets sont en cours de route : « Zéphycim », qui tend à supprimer les produits phytosanitaires, les herbicides chimiques, de synthèse; « Ecocim », qui remplace ces derniers par des produits écologiques, organiques, donc naturels, employés sur le terrain et proposés à la vente au public dans les trois magasins de fleurs des cimetières. Comme l’indique encore Didier Perret, s’il n’a pas été facile de « remettre en question des décennies d’entretiens bichonnés dans les parcs lausannois, car le personnel s’identifiait à l’emplacement dont il avait la responsabilité », les résultats sont encourageants. Les prairies de fauches ont vu revenir « seize espèces de papillons. Un grand nombre de batraciens viennent à nouveau coloniser nos pièces d’eau lors de la reproduction. L’installation “d’hôtels à insectes“ et de nichoirs favorise le retour et le développement de beaucoup d’êtres vivants au sein des cimetières (sans jeu de mots). » Le cimetière, un lieu de passage Aline Pasche insiste sur le fait que les papillons n’aiment pas les pelouses tondues. « Plus les herbes sont hautes, plus leur traitement et celui des arbres est limité, mieux ils se porteront. Et comme les parcs, les cimetières jouent


© Colette - Fotolia.com © arolina66 - Fotolia.com

© Kjersti - Fotolia.com

un rôle de relais dans la ville avec les diverses zones naturelles extérieures, a remarqué Aline Pasche. La cité forme une sorte de muraille pour la faune. Le fait d’avoir des taches vertes à l’intérieur permet de passer d’un lieu à l’autre plus aisément. » D’après la scientifique, la présence de cadavres en décomposition n’est pas un appât à papillon. Quoique… « Presque tous les papillons restent sensibles à la terre. Ils peuvent la sucer, ainsi que les fientes et les crottes des animaux pour obtenir de l’azote. Il n’est donc pas impossible que la terre d’un cimetière en soit plus riche. Mais je n’en sais pas plus. » Les nécropoles reçoivent la visite de lépidoptères indigènes et de migrateurs, car, comme les oiseaux, certains sont capables de parcourir des centaines de kilomètres

PETITE TORTUE

afin de pouvoir se reproduire. Quand on sait que l’espérance de vie d’un papillon n’excède en général pas les cinq Espèce indigène, Aglais jours sous nos latitudes, on en reste baba. urticae est capable de voler même s’il y a du vent. La plupart viennent du bassin méditerranéen. Parmi ces coriaces ailés, observés au cimetière, le Vulcain (Vanessa atalanta, qui doit son nom à la vélocité d’Atalante, La famille des Lycènes, héroïne de la mythologie grecque qui a refusé le mariage) dont fait partie Polyommatus icarus, est très et la Belle-Dame ou Vanesse du chardon (Vanessa cardui). vulnérable et sédentaire. « Ils arrivent d’Espagne ou d’Afrique du Nord, se reproduisent en Suisse, y meurent et leur descendance est capable de continuer la migration. On ne sait toujours pas comment ils y arrivent, mais c’est incroyable. Si la méCe papillon, qui vit jusqu’à téo est clémente, ils réussissent à monter jusqu’en Suède. 2000 mètres, montre sa Et leurs descendants redescendent. Ce n’est donc pas le toxicité aux prédateurs grâce à ses points rouges. même papillon qui fait l’aller-retour. »

AZURÉ COMMUN ZYGÈNE DE LA SPIRÉE

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BIOLOGIE

Des espèces indigènes, telles la Petite tortue (Aglais urticae, en hommage à Aglaé, l’une des trois Grâces chez les Romains, la plus belle), demeurent capables de voler même s’il y a du vent. Son avantage : elle hiverne sous forme adulte à l’abri d’une pierre, dans des cavités, garages ou galetas. « Elle sort aux premières chaleurs, parfois trop tôt. Car il peut faire chaud sans que la végétation suive. C’est alors dramatique puisqu’elle ne trouve pas de nourriture. Toutefois, cela reste des petits êtres robustes. » En revanche, la famille des Lycènes (Lycaenidae) se montre très vulnérable. « Ils sont extrêmement sédentaires et ne s’éloignent pas de plus de quinze mètres de leur lieu de naissance. Notamment les Cuivrés, oranges, et les Azurés, bleus. Ces derniers surtout, restent fort sensibles. Au moindre nuage qui passe devant le soleil, ils se posent. » Riches ruines romaines « Les ruines romaines à Vidy sont le deuxième site le plus riche que j’ai recensé, avec seize espèces rencontrées, ajoute la spécialiste. Mais là, je ne m’y suis rendu qu’une seule année, ce qui fait que j’ai peut-être manqué certaines espèces printanières indigènes qui n’émergent pas, ou peu, si les conditions sont mauvaises. Un hiver très rude et long atteint les larves. De plus, la pluie cause une grande mortalité chez les chenilles. » Et les adultes (imagos) ne survivent que dans des conditions « idéales, très exigeantes » : 54

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VALÉRY ULDRY Biologiste au bureau d’écologie Natura (Les Reussilles). Nicole Chuard © UNIL

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LE NOMBRE D’ESPÈCES DIURNES DE PAPILLONS EN SUISSE. POUR LES NOCTURNES, LE NOMBRE D’ESPÈCES DÉPASSE 3200.

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pour voler, et donc aller chercher du nectar de fleurs, ils ont besoin de soleil sans nuages, sans vent et que la température dépasse les 15 degrés Celsius. Dans le monde, il y aurait 220 000 espèces de lépidoptères. Diurnes et nocturnes se différencient par l’apparence de leurs antennes, à savoir leur nez : en forme de massue chez les Rhopalocères, actifs en journée, tandis que les Hétérocères ont des organes olfactifs aux allures diverses. En Suisse, on compte environ 230 espèces diurnes et plus de 3200 nocturnes (Hétérocères) d’après Valéry Uldry, qui a effectué son master à l’UNIL sur la richesse spécifique des papillons dans le nord-ouest des Alpes et est aujourd’hui biologiste au bureau d’écologie Natura dans le Jura bernois. « Une nouvelle liste rouge des Rhopalocères sortira en 2014. La dernière date de 1994. Depuis, il semblerait que trois espèces aient disparu, comme le Mercure (Arethusana arethusa). Quatre autres sont considérées comme éteintes à l’exemple du Mélibée (Coenonympha hero), un Fadet. Mais cela reste difficile à quantifier. On a peu de données sur les cent dernières années. On ne peut donc pas certifier que telle espèce était très répandue ou pas. De plus, de nombreux papillons demeurent difficiles à atteindre. » Spécialement dans les Alpes. Etonnamment, des populations stables de papillons ont élu domicile à plus de 2500 mètres d’altitude. Telles des espèces du genre Erebia, diurnes, par exemple le Moiré velouté, ou Moiré des glaciers (Erebia pluto), qui réside sur des pentes rocheuses, ou le Moiré cendré (Erebia pandrose, nommé aussi au XVIIIe siècle Grand nègre bernois) qui s’installe sur les pelouses alpines. Les Zygènes aussi, qui comptent une trentaine d’espèces en Suisse. Ceux-là ont des antennes de lépidoptère nocturne alors qu’ils vivent le jour. La Zygène de la spirée, ou de la filipendule, qui vit jusqu’à 2000 mètres, a la particularité de montrer sa toxicité par ses couleurs, des points rouges, aux éventuels prédateurs. Et si cela ne suffit pas, les plus hardis gourmands recevront pour récompense un peu de cyanure, exhalé par le papillon agressif en cas d’attaque. « S’ils résistent en altitude, c’est parce que leurs larves hibernent, se développent sur plusieurs années et que leur cycle de vie est de la sorte prolongé », affirme le biologiste. D’ailleurs, la plus grande concentration de papillons en Suisse se trouve dans les Alpes, des Grisons au Valais. « En 2010, pour mon master, j’ai compté jusqu’à 110 espèces différentes dans les Préalpes vaudoises. La qualité des prairies y est pour beaucoup. » Plus épatant encore, on a découvert l’an passé une nouvelle espèce dans le Haut-Valais, au-dessus de Jeizinen, l’Agonopterix flurii sp. nov. (nom dérivé de l’entomologiste qui l’a déniché, Markus Fluri). « Un coup de chance, car il est très rare de voir de nouveaux papillons en Suisse, révèle Valéry Uldry. D’après les dernières données, près de la moitié des Rhopalocères sont sur la liste rouge. » En font partie l’Apollon (Parnassius apollo, qui tire son nom du dieu grec de la lumière et des arts, également protecteur des troupeaux) et


le Flambé (Iphiclides podalirius, aux ailes animées de bandes noires). Les Machaons, encore largement répandus en Helvétie, voient cependant leur population diminuer aussi. « Les plus touchés sont ceux qui vivent dans les prairies sèches et fleuries ainsi que les milieux humides, de plus en plus rares en Suisse, à cause des zones urbaines qui s’étalent, de l’intensification agricole ou à l’inverse de sa déprise en montagne, et des pesticides, précise le biologiste. Non seulement ils ont du mal à se nourrir, mais ils ne trouvent plus de plante hôte pour les chenilles. » Au printemps, Monsieur et Madame Rhopalocère virevoltent au-dessus des prairies, se rencontrent et se mettent dos à dos pour copuler. Chez les Hétérocères, on utilise plutôt les phéromones pour trouver l’aile sœur. Ensuite, Madame Diurne et Madame Nocturne vont pondre leurs œufs sur un végétal précis – arbre, arbuste, légume ou herbe. La chenille va se nourrir de la plante hôte, puis devenir chrysalide et enfin éclore en imago (adulte).

« PLUS LES HERBES SONT HAUTES, PLUS LEUR TRAITEMENT ET CELUI DES ARBRES EST LIMITÉ, MIEUX LES PAPILLONS SE PORTERONT. » ALINE PASCHE, BIOLOGISTE

« Plus on va avoir de plantes dans un milieu diversifié, plus on va trouver d’espèces de papillons, signale Valéry Uldry. On utilise les indices de présence ou d’absence, de quantité de papillons pour savoir si un milieu se porte bien ou mal. » Du plus petit, l’Argus frêle (Cupido minimus), insecte bleu de deux à trois centimètres, au plus énorme, le Silène (Brintesia circe), « qui peut faire la taille d’une main lorsqu’il déploie ses ailes », les papillons méritent donc le respect. Dans le canton de Vaud, il reste interdit de les attraper pour en faire des collections. Et si la chasse pacifique (attraper l’insecte avec un filet et le laisser repartir) est tolérée, elle est à pratiquer avec modération. « Les lépidoptères y perdent des écailles et voleront moins aisément, assure le biologiste. Et si l’on ne s’y connaît pas, on peut détruire leur milieu, comme les tourbières, déjà fragilisées. » Attention aux papillons, y compris dans les cimetières, si l’on ne veut pas creuser leur tombe. 

© Kjersti - Fotolia.com

© est PJC&Co / Wikimedia Commons

UN PAPILLON AUX MŒURS GOTHIQUES

Si l’on demande aux deux biologistes formés à

time que leur attachement aux fourmis n’aide pas

fourmilière, croyant qu’elle s’était perdue. Et ar-

l’UNIL quel est leur papillon préféré, ils répondent

à la propagation de ces lépidoptères : « Quand la

rivée à bon port, au milieu du nid, la larve éruci-

de concert : les espèces du genre Maculinea. « Il

femelle pond, elle n’a aucun moyen de savoir si

forme se développe en engloutissant tout le cou-

s’agit de petits Lycènes dont le cycle de vie est lié

une fourmilière se trouve à proximité. C’est au

vain des fourmis. « Elle se fait adopter », souligne

à celui des fourmis, du genre Myrmica. Il en existe

petit bonheur la chance. S’il n’y en a pas, les che-

joliment Valéry Uldry. Tant qu’elle dégage la subs-

cinq espèces en Europe, présentes en Suisse »,

nilles ne se développeront pas. De plus, la colo-

tance magique, elle indique à ses hôtes bernées

précise Aline Pasche. Son favori, à gauche : l’Azu-

nie doit être grande, car une chenille peut manger

que « tout va bien, tout est normal », note Aline

ré des mouillères, ou Protée (Maculinea alcon),

jusqu’à 600 larves de fourmis pour se développer. »

Pasche. Ainsi épanouie, elle forme sa chrysalide

bleu-violet, qui pond ses œufs sur les gentianes

à l’intérieur de la colonie. Toutefois, son existence

des marais. Tandis que Valéry Uldry apprécie

UNE UNION DIABOLIQUE

serait trop parfaite si elle ne devait éclore. Car au

l’Azuré du serpolet (Maculinea arion), à droite,

Comment se débrouille un bébé lépidoptère aban-

moment où la gourmande chenille devient imago

aux écailles « bleu foncé avec des taches noires,

donné pour appeler ses cousines éloignées ? « Dès

(adulte), il va falloir que le papillon nouveau rampe

vraiment très beau », qui abandonne sa ponte sur

que la petite chenille éclot, elle sécrète une subs-

dans les galeries jusqu’à la sortie. « Un moment

du thym. Ces Rhopalocères, autrement dit papil-

tance chimique qui mime le couvain, c’est-à-dire

très périlleux puisqu’il ne sécrète plus la subs-

lons diurnes, s’observent plus rarement en plaine.

l’ensemble des œufs, larves et nymphes protégés

tance qui lui a permis d’entrer et est donc dès

« Maintenant qu’il n’y a plus tellement de prairies

par les fourmis nourrices », explique la scientifique.

lors détecté comme étranger à tout instant », ré-

adéquates, ils sont devenus plutôt montagnards »,

Les ouvrières, par l’odeur alléchées, viennent

vèle la biologiste. Il risque alors à son tour de se

signale Valéry Uldry. De son côté, Aline Pasche es-

chercher la chenille afin de la ramener dans la

faire dévorer.  VJ

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LA BOUTIQUE

WWW.UNIL.CH/LABOUTIQUE R É C E P T I O N A M P H I M A X , 2e É T A G E

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Quand les sciences humaines et sociales rencontrent l’informatique, cela donne les humanités digitales. Cet été, l’Université de Lausanne et l’EPFL accueillent une importante conférence internationale consacrée à ce sujet.

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es chercheurs en sciences humaines et sociales utilisent les outils informatiques depuis longtemps. Mais les progrès techniques réalisés depuis une décennie modifient la donne. Des quantités immenses de documents anciens sont désormais disponibles en ligne. Les informations qu’ils contiennent peuvent être traitées, comparées, analysées et stockées dans des bases de données. Les tra-

lyser les réseaux d’influence. « En histoire, l’étude d’une personnalité passe par celle de sa communauté de pensée et de ses contemporains, qui ont laissé des traces écrites désormais numérisées », remarque Dominique Vinck, professeur à l’Institut des sciences sociales et directeur du LADHUL, le Laboratoire de cultures et humanités digitales de l'UNIL. Ce dernier compte plus de 50 chercheurs, actifs dans tous les do-

de Vaud au XVIIIe siècle (https :// lumieres.unil.ch, lire dans Allez savoir ! N°55). Grâce au multimédia, le Centre de recherche sur les Lettres romandes offre aux lecteurs la possibilité de se plonger dans les versions successives des manuscrits de Ramuz. Le projet Viaticalpes, assorti d’une riche base de données iconographiques, se consacre à l’histoire culturelle du voyage en Suisse, et dans les Alpes, de la Re-

vaux ne s’arrêtent pas au passé. Les médias sociaux comme Twitter, qui favorisent par ailleurs les échanges entre scientifiques, représentent un terrain de recherche, tout comme les communautés virtuelles. L’expression Digital Humanities a émergé en 2001. « L’apparition de cette notion, qui est en fait une requalification, constitue le signe qu’un mouvement de fond se produit : une refonte complète du savoir et des frontières disciplinaires », explique Claire Clivaz, professeure assistante à l’Institut romand des sciences bibliques et local co-chair de la conférence Digital Humanities 2014 avec Frédéric Kaplan. Ce colloque aura lieu du 7 au 11 juillet à Lausanne. La multiplication des sources disponibles et des moyens de les traiter affaiblit les limites entre les domaines. Les méthodes de travail changent également, avec la possibilité d’ana-

maines des sciences humaines et sociales. Parmi eux, la théologie. Plus de 5800 manuscrits grecs du Nouveau Testament, de provenance très diverses, sont aujourd’hui connus. Un nombre croissant de ces textes anciens ont été transcrits par des spécialistes et rendus disponible en ligne. Les comparer entre eux ou dénicher les occurrences de certains mots devient nettement moins astreignant et ouvre des perspectives nouvelles. Au-delà, « considérer ces textes comme des documents, avoir un mode éditorial en constante révision, permet de relativiser la limite du canon et d’argumenter face à des lectures fondamentalistes », soutient Claire Clivaz. Les projets en lien avec les humanités digitales f leurissent à l’UNIL. Comme la plateforme Lumières.Lausanne, qui met en valeur la riche histoire culturelle du pays

naissance au XIXe siècle (www.unil. ch/viaticalpes). Les sciences « dures » y trouvent également leur compte. « Les chercheurs en informatique et en mathématiques découvrent un champ de travail intéressant : les corpus, en sciences humaines et sociales, sont souvent vastes et hétérogènes. Les données sont parfois incohérentes voire contradictoires, ce qui soulève des défis intéressants », note Dominique Vinck. En elles-mêmes, les humanités digitales posent des questions qui restent à explorer. Il n’est ainsi pas neutre de rendre disponible le patrimoine et la culture de civilisations entières, dans un monde où des géants économiques, comme Google, se nourrissent de connaissances.  DAVID SPRING Sites utiles : www.unil.ch/ladhul, http ://dh2014.org

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Rejoignez-nous! Les prochaines rencontres du réseau à Lausanne : 7 octobre à 18 h 30 : Atelier cinéma 31 octobre à 18 h 30 : Soirée annuelle des alumni 26 novembre à 19 h 00 : Atelier emploi sur les métiers de la durabilité

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4 Allez savoir ! N° 51 Mai 2012 UNIL | Université de Lausanne 58 Allez savoir ! N° 57 Mai 2014 UNIL | Université de Lausanne


LIVRES

LE LIVRE N’A PAS DIT SON DERNIER MOT

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En Suisse romande, les mondes de l’édition et de la librairie sont en plein bouleversement. Sous la plume de François Vallotton, le centième titre de la collection « Le Savoir suisse » est justement consacré aux batailles du livre.

FRANÇOIS VALLOTTON Professeur à la Section d'histoire de la Faculté des lettres. Ses champs de recherche principaux sont l’histoire du livre, de l'édition et de la lecture dans l'espace francophone, l’histoire transnationale des médias ainsi que l’histoire intellectuelle et culturelle de la Suisse. Nicole Chuard © UNIL

LES BATAILLES DU LIVRE. L’édition romande, de son âge d’or à l’ère numérique. Presses polytechniques et universitaires romandes, Le Savoir suisse (2014), 144 p. Disponible également en format e-pub et pdf.

fortement dépendantes du marché international et aux revenus très faibles : la « vache enragée » constitue bien souvent l’essentiel du contenu de leurs assiettes. Leur modèle économique, qui n’est pas spécifique à la région, est assez particulier, puisque les quelques titres qui se vendent bien – et c’est imprévisible – compensent les pertes dues aux autres publications. Dans le domaine, les études restent rares et les données économiques ou statistiques sont lacunaires. Ce constat a conduit l’auteur, aidé de deux assistants, à mener une quarantaine d’entretiens qualitatifs avec des personnalités du milieu afin d’obtenir des informations de première main. Une démarche sociologique et journalistique, plutôt rare pour un historien. Mais qui a l’avantage de déboucher sur un livre fourmillant d’informations qui se lit d’une traite. François Vallotton remet régulièrement l’église au milieu du village. Ainsi, le prix en euros des ouvrages vendus en Suisse romande fait grommeler les clients, qui pratiquent un petit calcul mental de taux de change. Mais l’auteur écrit que « les prix en euros des médicaments ou de la viande ne figurent pour leur part ni sur l’emballage ni sur le steak lui-même ! La vox populi s’en prend ainsi régulièrement aux libraires en concluant un peu vite que la différence de prix constitue leur marge ! » La campagne et

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la votation du 9 février ont eu au moins pour mérite de faire mieux connaître un milieu que l’historien souhaite voir davantage intervenir dans le débat public. Le livre est-il une marchandise comme les autres ? Cette question traverse tout ce numéro 100 du « Savoir suisse ». Une position soutenue par les tenants du libéralisme, mais contestée par des éditeurs et des libraires. Ces derniers affirment ainsi que « si vous voulez un roman de Marguerite Yourcenar et que vous le trouvez trop cher, vous n’allez pas acheter le bouquin disposé à côté sur le rayonnage pour autant. Contrairement à ce que l’on fait pour les petits pois », rapporte François Vallotton. L’importance croissante d’Amazon, champion du rognage des marges, est bien entendu traitée. Un géant dont les éditeurs déplorent paradoxalement qu’il tende à devenir leur principal client, au détriment des librairies. L’auteur rappelle enfin que les Romands restent de grands amis du livre, surtout si on les compare aux Américains ou même aux Français. Une tradition sur laquelle les professionnels peuvent capitaliser. Mais l’avenir reste incertain, car personne ne sait quelles seront les pratiques de lecture de la jeune génération, plutôt rompue à la recherche rapide d’informations ponctuelles.  DAVID SPRING

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Su r tout, rompre avec l’approche misérabiliste. Professeur à la Section d’histoire et auteur du tout récent ouvrage Les batailles du livre, François Vallotton a rédigé un texte clair et dense qui ne cache rien des problèmes que vivent les professionnels de l’édition et de la librairie aujourd’hui. Mais il ouvre des perspectives d’avenir plutôt optimistes, sans craindre d’être parfois militant. Lors de la votation du 11 mars 2012, le peuple suisse a rejeté une loi sur le prix réglementé du livre, en creusant pour la circonstance un Röstigraben d’anthologie. Cette « occasion manquée », comme la qualifie François Vallotton, constitue le centre de gravité de son ouvrage. Mais il élargit bien entendu le propos et donne de nombreuses informations sur l’histoire récente de l’édition et de la librairie romande, de son âge d’or de l’après-guerre jusqu’à nos jours troublés. Il ajoute aussi des éclaircissements sur les situations alémanique, française et allemande, à titre de comparaison. A la lecture, on constate que cet univers de papier pourtant proche est largement méconnu. Qui sait que la Suisse romande compte une centaine de maisons d’édition, qui rencontrent parfois de grands succès ? Cette constellation compte surtout de toutes petites structures,

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© Coll. Éric Deroo/DR

© Coll. Génériques/DR

LIVRES

UN TRÈS BEAU LIVRE POUR L’IMMIGRATION Fruit du travail de 40 chercheurs internationaux, « La France arabo-orientale » évoque une longue histoire commune débutée au VIII e siècle. Un parcours illustré par une riche iconographie. LA FRANCE ARABO-ORIENTALE Sous la direction du groupe de recherche Achac. La Découverte (2013), 359 p.

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ne enquête menée par Le Monde et l’Institut Ipsos en janvier 2013 indiquait que 70% des personnes interrogées trouvaient « qu’il y a trop d’étrangers en France ». Les trois quarts jugeaient l’islam « intolérant » et incompatible avec les valeurs de la société française. On ne saurait trop leur recommander la lecture de « La France arabo-orientale ». De la prise de Narbonne par les Omeyyades en 719 jusqu’à la Marche pour l’égalité et contre le racisme en 1983, l’ouvrage met en lumière 13 siècles de présences orientales et nord-africaines qui ont tout à la fois profondément marqué et enrichi l’Histoire de France. C’est cette histoire commune que l’ouvrage tient à souligner. « A l’heure où la France questionne son identité, certains prônent 60

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Manifestation après le meurtre de Laïd Moussa (Marseille), 1975. Amrouche porté en triomphe après sa victoire au 7e cross international (Chartres), 1939.

« A L’HEURE OÙ LA FRANCE QUESTIONNE SON IDENTITÉ, CERTAINS PRÔNENT LE RETOUR D’UNE UNICITÉ QUI N’A EN FAIT JAMAIS EXISTÉ. » NICOLAS BANCEL

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le retour d’une unicité qui n’a en fait jamais existé. Le pays s’est depuis des siècles métissé, explique l’historien Nicolas Bancel. Mais on peine à comprendre pourquoi la France refuse de se penser pays de rencontre. » Professeur associé à l’UNIL et directeuradjoint de l’ISSUL, l’historien a dirigé l’édition de « La France arabo-orientale », aux côtés de Pascal Blanchard, Naïma Yahi et Yvan Gastaut. L’ouvrage réunit les contributions de près de 40 chercheurs internationaux, mais convie aussi des acteurs du milieu culturel. Le chanteur du groupe Zebda, Salah Amokrane, a ainsi cosigné la postface. « Un clin d’œil à la modernité du propos. » « La France arabo-orientale » présente le phénomène migratoire sous l’angle historique et politique et donne aussi une large place à l’immigration artis-

tique ou sportive débutée au XXe siècle. Pour mettre en évidence cette « culture française qui ne vit pas repliée sur elle-même mais s’enrichit des apports d’un Sud si proche », écrit l’historien Benjamin Stora dans la préface. Mais l’ouvrage se veut tout autant historique qu’esthétique. 750 images, sélectionnées parmi plus de 80 0000 rassemblées, illustrent le beau livre. Album de famille solidement documenté où se croisent gravures, photos d’archives, extraits tirés de la presse ou encore peintures. A noter que plusieurs tables rondes et une exposition itinérante accompagnent la publication de l’ouvrage. Après avoir traversé la France, l’exposition circulera au Maroc, en commençant par Rabat dès septembre.  CYNTHIA KHATTAR


Les erreurs judicaires n’arrivent pas qu’à la télévision; elles ne résultent ni du hasard ni de la malchance. Juriste et criminologue de l’UNIL, Joëlle Vuille mène l’enquête sur ces couacs de la justice et examine les éléments qui favorisent leur survenue : témoins pas toujours fiables, faux aveux, preuves scientifiques erronées... Si la justice se trompe parfois, « les erreurs judiciaires ne sont toutefois pas des accidents imprévisibles », démontre la spécialiste.  MS ERREURS JUDICIAIRES : LA JUSTICE, CONDAMNÉE À TORT ? Par Joëlle Vuille. Editions de l’Hèbe, Collection La Question (2014), 85 p.

DES ÉVANGÉLIQUES TENTÉS PAR LE POUVOIR ABSOLU

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La « diégèse » est l’univers où advient l’histoire. Les films considérés ici conjuguent les univers au pluriel. Dans la série Fringe, un autre monde double le nôtre avec de subtiles variations. Le cinéma contemporain propose des réalités mentales anxiogènes ou consolatrices, souvent simulées/stimulées par la technologie. Ces « machines à mondes » répliquent à l’ère numérique et dans leur univers diégétique la machine-cinéma elle-même génératrice d’innombrables fictions. Cet essai exigeant et passionnant donne envie de revoir les nombreux films analysés.  NR

ls désirent être présents et reconnus dans l’espace public pour y afficher leur foi et défendre les valeurs chrétiennes. C’est sans doute louable, mais certains évangéliques vont bien plus loin : « Les courants les plus actifs dans l’évangélisme ont fait le choix de s’engager dans la société avec, pour certains, le projet d’inverser le processus de sécularisation », écrit le sociologue Philippe Gonzalez dans son livre « Que ton règne vienne - des évangéliques tentés par le pouvoir absolu ». Dans cette vaste enquête menée dans le monde évangélique suisse, plus particulièrement à Genève parmi la frange charismatique, le chercheur de l’UNIL explique comment et pourquoi ces fervents croyants développent des stratégies pour investir les sphères d’influence de la société. Leurs leaders parlent d’offensive d’évangélisation, de percée en territoire ennemi, de combat spirituel, et prient en prenant « autorité au nom de Jésus » sur telle ou telle ville ou pays. Dotés d’une théorie de l’hégémonie chrétienne, ces évangéliques désirent transformer la société et sauver le monde de la décadence. Pour Philippe Gonzalez, cette volonté d’instaurer un régime théocratique menace nos sociétés libérales, plurielles et séculières, et par là même un vivre ensemble pacifié. Dans son enquête, il rapporte plusieurs actions menées par les évangéliques en Suisse depuis 2006. Par exemple, la dixième édition de la Journée nationale de prière, tenue à Berne en 2011, lors de laquelle des intercesseurs avaient été envoyés aux quatre coins de la ville, et notamment sur la Place fédérale, pour une « prise de possession spirituelle des lieux ». Le sociologue retranscrit les propos entendus lors de ce type de manifestations ou sur Internet. Plus qu’il ne les juge, il les questionne, conscient que ces discours « inspirés », où l’espace public est considéré comme un champ de bataille spirituel, n’est pas l’apanage de tous les évangéliques. A ce propos, l’auteur met en lumière le manque de régulation théologique au sein de la mouvance évangélique et pose deux questions aux adeptes de ces mouvements : quelle identité souhaitentils donner à l’évangélisme et comment veulent-ils se rendre présents dans l’espace public ?  MS

CINÉMA, MACHINE À MONDES. Par Alain Boillat. Georg Editeur (2014), 391 p.

QUE TON RÈGNE VIENNE - DES ÉVANGÉLIQUES TENTÉS PAR LE POUVOIR ABSOLU. Par Philippe Gonzalez. Labor et Fides (2014), 464 p.

Et si l’on offrait aux personnes dans la rue un permis de mendicité ? Dans un livre-enquête en terre vaudoise, trois sociologues explorent quelques pistes pour « redonner de l’humanité aux politiques urbaines ». Des mesures concernant le logement sont exposées, avec en contrepartie la scolarisation des enfants par exemple. La gestion de la pauvreté que s’arroge l’Etat moderne doit s’accompagner d’une lutte contre les stéréotypes que déconstruisent ici les auteurs.  NR LUTTER CONTRE LES PAUVRES. Par Jean-Pierre Tabin et René Knüsel, en collaboration avec Claire Ansermet. Editions d’En Bas (2014), 147 p.

Grâce à un choix d’une centaine de textes, écrits entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui, cette anthologie retrace la naissance et les développements de la conscience écologique. Le lecteur y trouve des documents parfois bouleversants et méconnus, comme la lettre de Tanaka Shôzô à l’empereur du Japon, rédigée en 1901, au sujet de la pollution provoquée par des mines de cuivre et des malheurs que cela provoque sur les populations. Une mise à distance utile pour mieux comprendre les questions qui se posent de nos jours.  DS LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE. UNE ANTHOLOGIE. Par Dominique Bourg et Augustin Fragnière. Presses Universitaires de France (2014), 875 p.

Journaliste à Unicom, service de communication de l'UNIL, Nadine Richon publie son premier roman, Crois-moi, je mens. Deux femmes, l’une en Belgique, l’autre en Suisse, s’essaient aux rencontres amoureuses par le biais de Facebook. Ancré dans l’hyper-contemporain, sur fond de relations virtuelles, le roman mêle dans un ton piquant références cinématographiques, littéraires, philosophiques, ou même universitaires – avec des personnalités de l’UNIL – pour s’interroger sur des maux propres à notre époque.  CK CROIS-MOI, JE MENS. Par Nadine Richon. Bernard Campiche Editeur (2014), 175 p.

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La Formation continue UNIL-EPFL www.formation-continue-unil-epfl.ch

FORMATION CONTINUE

LA FORMATION CONTINUE EN 7 MOTS

MAS, MBA, CAS, et autres... La formation continue universitaire utilise un jargon qui peut se révéler obscur pour qui ne s’y est jamais frotté. Petit voyage initiatique à l’aide de ce mini-glossaire réalisé avec Nicole Galland, directrice scientifique UNIL de la Formation continue UNIL-EPFL.

LLL

CAS

Lifelong Learning. Révolue, l’époque où apprendre était une activité cantonnée aux bancs d’école ! Continuellement stimulé par l’innovation technologique, le monde d’aujourd’hui évolue vite. La séparation classique entre la période où l’on apprend (la scolarité, les études) et où l’on applique ce que l’on a appris (l’activité professionnelle) s’estompe. L’apprentissage devient permanent. En facilitant le développement professionnel – changements de métier, prise de responsabilité, mise à jour de connaissances – la formation continue est une actrice majeure du LLL, ou autrement dit de l’apprentissage tout au long de la vie.

ECTS European Credit Transfer and Accumulation System. Ces crédits, symboles de la Déclaration de Bologne, représentent une unité qui quantifie la durée et le temps d’étude nécessaires pour accomplir une formation de type universitaire, qu’elle soit initiale ou continue. Un ECTS correspond à une fourchette de 25 à 30 heures de travail (cours, travaux de groupe ou individuels, stages, préparation aux examens, etc.). 62

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APPÉTIT PLUS LE NIVEAU

DE FORMATION DES PERSONNES EST ÉLEVÉ, PLUS LEUR ASSIDUITÉ DANS LA FORMATION CONTINUE EST MARQUÉE. Source : OFS, La formation continue en Suisse 2011

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De tous les titres certifiants délivrés en formation continue universitaire, le Certificate of Advanced Studies est le moins conséquent en temps. Il requiert tout de même un minimum de 120 à 150 heures de contact, auxquelles s’ajoutent encore les heures de travail personnel. Selon la formation, un travail de mémoire est demandé au terme du cursus. En terme de volume de travail, les CAS se situent dans une tranche de 10 à 29 ECTS. Dans leur offre de plus de 25 CAS, l’UNIL et l’EPFL couvrent des thèmes comme la recherche clinique, la systémique, la dramaturgie, la nutrition ou encore l’éthique.

DAS Le Diploma of Advanced Studies correspond à une formation d’au moins 300 heures de contact, auxquelles s’ajoute le travail personnel. Donné à temps partiel, un DAS peut s’étaler sur une période de plusieurs mois à deux ou trois ans. Un travail de mémoire peut ponctuer le cursus qui offre entre 30 et 59 ECTS. En matière de DAS, l’offre de l’UNIL et de l’EPFL est variée, allant du marketing management à la psychothérapie.


MAS

ET ENCORE…

STATISTIQUES DE LA CRIMINALITÉ

Le Master of Advanced Studies est le titre de formation continue le plus élevé délivré par les hautes écoles. Le MBA (Master of Business Administration) est certainement le plus connu de la famille des MAS, mais il est loin d’être le seul. Plus de 15 MAS sont proposés par l’UNIL et l’EPFL, et ce dans des domaines aussi divers que le droit (LL.M), la taxation internationale, le management de la technologie ou encore la santé. Exigeants à la fois en temps et en argent, les MAS concluent un cursus d’une année au minimum, et requièrent la réalisation d’un travail de mémoire. Généralement dotés de 60 ECTS, ils peuvent parfois en offrir davantage. Selon les cas, les cours ont lieu soit à plein temps, soit à temps partiel (un à deux jours par semaine), laissant ainsi la possibilité aux participants de continuer une activité professionnelle en parallèle.

FORMATION INTRA-ENTREPRISE Le plus souvent de courte durée, la formation intraentreprise est conçue pour répondre aux besoins spécifiques d’une entreprise ou d’une association professionnelle. L’objectif est de développer les compétences d’un groupe de collaborateurs ou membres dans un domaine particulier (leadership, management du risque, utilisation de nouvelles technologies, etc.). L’UNIL et l’EPFL peuvent organiser de tels programmes sur mesure, qui requièrent une collaboration très étroite entre l’université et le mandataire.

MOOCs Les Massive Open Online Courses, que l’on peut traduire par « cours en ligne ouverts et massifs », sont très en vogue. Basés principalement sur des enregistrements vidéo, du contenu multimédia et l’utilisation de forums, ces cours sont proposés sur Internet par des universités du monde entier. Gratuits, accessibles à chacun depuis son ordinateur, les MOOCs ne manquent pas d’atouts, même si pour l’instant l’expérience démontre qu’il semble que beaucoup de participants peinent à suivre la formation jusqu’à son terme. Certaines universités délivrent contre paiement des attestations de participation, en faisant appel à des moyens modernes d’identification. L’UNIL prépare actuellement trois MOOCs dont le premier La prise de décisions contraires à l’éthique dans les organisations, proposé par les professeurs Guido Palazzo et Ulrich Hoffrage, aura lieu en septembre. La Formation continue UNIL-EPFL a joué un rôle actif dans cette mise en place. Il faut dire que les premiers MOOCs ont trouvé un large public parmi des professionnels en emploi, c’est-à-dire le public propre à la formation continue. Pour plus d’informations : www.formation-continue-unil-epfl.ch/moocs-cours-enligne

77%

EN SUISSE, LA PROPORTION DE PERSONNES ÂGÉES DE 25 À 64 ANS QUI AFFIRMENT AVOIR EFFECTUÉ AU MOINS UNE ACTIVITÉ DE FORMATION CONTINUE – ORGANISÉE OU NON – AU COURS DES DOUZE DERNIERS MOIS. Source : OFS, La formation continue en Suisse 2011

Régulièrement, des données au sujet de la criminalité en Suisse apparaissent dans les médias. Comment sont-elles produites ? Comment les lire, les exploiter, se livrer à des comparaisons correctes, aussi bien entre cantons qu’entre pays ? Comment les transmettre de manière graphique et claire ? C’est l’enjeu d’une formation de trois jours, dirigée par Daniel Fink, chef de section « Criminalité et droit pénal » à l’Office fédéral de la statistique entre 1996 et 2010 et chargé de cours à l’Institut de criminologie et de droit pénal à l’UNIL depuis 2011. Les données, résultats et analyses proposés par l’Office fédéral ont été améliorés dans les deux dernières décennies. Pourtant, « nous constatons que les statistiques fédérales sont actuellement sous-utilisées, ou parfois traitées de manière biaisée et sensationnaliste », note Daniel Fink. De plus, de nombreuses personnes, dans la police, les ministères publics, la prison, le monde politique ou les médias, ont besoin de ces statistiques pour réaliser des études ou pour informer. Il semble donc logique de mettre sur pied une formation orientée sur ce sujet, avec une forte composante pratique. Pour renforcer ce dernier aspect, « les participants proposent une idée d’analyse statistique dans le domaine du crime ou du droit pénal, en lien avec leur activité professionnelle », ajoute Daniel Fink. Un coaching personnel ainsi qu’une présentation dans le cadre de la formation permettent de passer de l’idée au stade d’un projet réalisable. Certains exercices consistent à être capable de fournir très rapidement des statistiques sur un aspect précis, pour simuler le cas d’une demande urgente de la part de journalistes ou de la hiérarchie. Dans d’autres, il s’agit de donner une interview radio ou TV brève – l’essentiel en une minute trente ! Réparti sur deux mois, le cursus consiste en trois jours de cours très denses, enrichis de travaux de groupe entre participants, dont le nombre est limité à 20. Comme ces derniers partagent des préoccupations semblables, des plages de discussion sont prévues permettant d’approfondir les contacts. Les intervenants proviennent aussi bien du monde académique que professionnel. Dans le cas de ces derniers, il peut s’agir de commandants de police, de juges, de directeurs de prison ou d’administrateurs de la justice. Pour répondre encore plus finement à la demande, la deuxième édition de cette formation se répartit en deux volées. En automne 2014, ce sont les aspects de la poursuite de la criminalité qui seront traités. En 2015, le cursus portera sur la justice, la prison et la récidive. Complémentaires, ces deux cours de trois jours peuvent être suivis indépendamment l’un de l’autre.  DS www.formation-continue-unil-epfl.ch/statistiques-criminalite-1

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RENDEZ-VOUS

Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

MYSTÈRES DE L’UNIL Félix Imhof © UNIL

Sur le thème de « l’identité », décliné dans toutes les disciplines, les chercheurs de l’UNIL accueillent les curieux et les familles dans leurs laboratoires. De nombreux ateliers sont organisés. Les journées des 22 et 23 mai sont réservées aux écoles vaudoises (voir également au dos de cet édition d’Allez savoir ! et en p. 47). UNIL-Sorge. www.unil.ch/mysteres

Dès lu 2 juin

Je 5 juin

COUPS DE CŒUR LETTRES ROBERT SCHUMANN L’Orchestre symphonique et uniFRONTIÈRE versitaire de Lausanne joue trois

Sa 21 juin

HAÏKUS ET MESSE À 6 VOIX

L’œuvre du jeune compositeur vaudois Valentin Villard est à découvrir lors de la Fête de la Musique 2014. Le chœur des Vocalistes romands, dirigé par Renaud Bouvier, lui consacre un concert avec la Messe à six voix et des Haïkus sur des textes du poète Damien Gabriels. Lausanne. Palais de Rumine, corps central. 20h. www. bcu-lausanne.ch. 021 316 78 75/44

œuvres de Robert Schumann : Geneviève - Ouverture op. 81, le Concerto pour piano et la Symphonie n° 4. Direction : Hervé Klopfenstein. Soliste : Mauro Lo Conte. Lausanne. Salle Métropole, 20h30.   www.unil.ch/osul

DIES ACADEMICUS

Cette cérémonie annuelle ouverte au public mêle allocutions officielles, remise de prix et de doctorats honoris causa à des personnalités (lire en p. 15) et intermèdes musicaux proposés par le Chœur universitaire de Lausanne. L’occasion de partager un moment important dans la vie de l’institution. UNIL-Amphimax. Auditoire Erna Hamburger, 10h. www.unil.ch

Sa 24 mai

PORTES OUVERTES À LA MAISON DE LA RIVIÈRE

Visite guidée de la Maison de la Rivière, dont l’ouverture est prévue au printemps 2015. Initiation au landart. A l'occasion de la Fête de la Nature et des Journées suisses des centres nature. Tolochenaz. Maison de la Rivière. De 9h à 12h. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75

Ve 6 juin

JOURNÉE ROMANDE DES ACTIVITÉS PHYSIQUES ADAPTÉES

Un évènement organisé en collaboration avec l’Institut des Sciences du Sport (ISSUL). Le thème : « Connaître les APA, connaître un métier ». Ateliers, conférences et table ronde au programme. Inscriptions et informations : http ://asp-apa.ch

Du lu 30 juin au ve 29 août

© Musée de la main

La BCU Lausanne convie à découvrir la nouvelle Sélection Lettres frontière qui réunit les dix meilleurs livres de Rhône-Alpes et de Suisse romande. Informations et inscription au club de lecture : manifestations@ bcu.unil.ch ou 021 316 78 75/44 www.lettresfrontiere.net

Ve 23 mai

© pershing - Fotolia.com

Du je 22 au di 25 mai

COURS DE VACANCES

Pour vivre au rythme du français au cœur de l'été ! L’UNIL propose des Cours de français intensifs de 3 semaines et de 6 semaines. Ils sont ouverts à tous les non-francophones dès le niveau « Complet débutant » (âge minimum : 17 ans). Délai d'inscription : 3 juin. www.unil.ch/cvac 021 692 30 90

Me 2 juillet

TANDEM

Ce programme permet à deux personnes de langue maternelle différente de se rencontrer pour améliorer leurs compétences linguistiques, de manière autonome, efficace et détendue. Ouvert à tous. Autre date de formation des tandems : me 13 août. UNIL-Dorigny. Bâtiment Anthropole, salle 2055, 18h. www.unil.ch/ tandem. 021 692 30 94 Sa 5 et di 6 juillet

Jusqu’au di 17 août

NUIT DE LA SCIENCE

ANATOMIES : DE VÉSALE AU VIRTUEL

Dans le parc de la Perle-du-Lac à Genève, de nombreuses activités en lien avec la science - démonstrations, reconstitutions d'expériences, pièces de théâtre, etc. - sont proposées aux visiteurs par différentes institutions scientifiques et culturelles. Avec la participation du pôle de recherche national LIVES. www.villege.ch/mhs/nuit_science.php 64

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Grâce à une riche iconographie, l’exposition propose un voyage au cœur des représentations du corps humain. André Vésale (1514-1564) occupe une place particulière. Lausanne. Musée de la main UNIL-CHUV. Ma-ve 11h-18h, sa-di 12h-18h. www. museedelamain.ch. 021 314 49 55 UNIL | Université de Lausanne

Lu 7 au ve 11 juillet

DIGITAL HUMANITIES 2014 Sous le titre « Digital Cultural Empowerment », l’UNIL et l'EPFL accueillent la conférence internationale de l’Alliance of Digital Humanities Organizations. Au programme : conférences, ateliers pratiques et nombreuses activités. (Lire également en p. 57). UNIL et EPFL. Divers lieux. Accès sur inscription préalable. http ://dh2014.org


Lu 15 septembre

Jusqu’au di 21 septembre

Début des cours pour le semestre d’automne 2014-2015. Une semaine d’accueil pour les nouveaux étudiants est organisée du 8 au 12 septembre. Les cours prennent fin le 19 décembre. Calendrier académique : www.unil.ch/central/page4804. html. 021 692 21 00

TRIENNALE UNIL

Des sculpteurs, plasticiens et land artists exposent leurs œuvres en plein air sur le campus de Dorigny. Fruit d’un partenariat avec la Fondation Casimir Reymond, la Triennale permet aux artistes d’investir le campus. UNIL. De l’Anthropole à l’Amphimax. Accessible en permanence. www.unil.ch/triennale

FRÉQUENCE BANANE

Me 1er octobre

FORUM ARPEA Until the End 
© Adrian Tranquilli

L’éducation à l’environnement, pour quoi faire ? Par qui ? Et pour qui ? Une journée de conférences pour découvrir comment l'éducation à l'environnement est promue au niveau des administrations, ainsi que dans les écoles et les entreprises. Tolochenaz. Maison de la Rivière. Sur inscription uniquement. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75 Di 5 octobre

SORTIE CHAMPIGNONS

La forêt nous offre des champignons de toutes les sortes. L'occasion d’apprendre à reconnaître certaines espèces et même d’en manger en fin de sortie ! Guide : Olivier Jean-PetitMatile. Tolochenaz. Maison de la Rivière. 10h à 13h. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75. S’inscrire à l’avance au 078 802 01 62 ou info@maisondelariviere.ch

VENEZ PLANTER !

La Maison de la Rivière développe ses aménagements extérieurs et vous propose d’y contribuer en plantant une haie vive, faite d’arbres indigènes et favorisant la biodiversité. Collation offerte. Tolochenaz. Maison de la Rivière. 10h à 16h. www.maisondelariviere.ch. 021 802 20 75. S’inscrire à l’avance au 078 802 01 62 ou info@maisondelariviere.ch

L’ÉPROUVETTE

Aménagé comme un vrai laboratoire de biologie, l'Eprouvette invite tous les publics (familles, enfants, associations, curieux, etc.) à se glisser dans la peau de cher­cheurs pour expérimenter certains grands principes des sciences expérimentales et discuter des enjeux de la recherche. www.unil.ch/interface/ page18617.html. 021 692 20 79 (tous les matins sauf le vendredi)

© luciap - Fotolia.com

SOIRÉE ANNUELLE DES ALUMNI © babsi_w - Fotolia.com

Pilotée par des étudiants de l’UNIL et de l’EPFL, la radio diffuse ses émissions 24h/24 et 7 jours sur 7. A retrouver sur le câble (94.55 MHz) et sur le Net. Au programme : beaucoup de musique, mais également des infos, des débats, des interviews et des chroniques. Pour ne rien rater de la vie du campus. (Lire également en p. 6). www.frequencebanane.ch

Samedi 18 octobre

Je 30 octobre

Revenez sur le campus pour une soirée conviviale ! Une excellente opportunité de retrouver d’anciens camarades d’études et agrandir votre réseau personnel et professionnel. Détails et inscription sur www. unil.ch/alumnil. Pour devenir membre du réseau : www.unil.ch/alumnil/adherer

© DR

RENTRÉE D’AUTOMNE

© UNIL

Plusieurs artistes contemporains s’emparent de la figure du super-héros, qui imprègne la culture occidentale depuis les années 30. Les œuvres, décapantes, décalées et originales, jettent un regard neuf sur des personnages très connus. Yverdon-les-Bains. Maison d’Ailleurs. Ma-ve 14h-18h, sa-di 11h-18h. www.ailleurs.ch. 024 425 64 38

© DR

SUPERMAN, BATMAN & CO… MICS

En permanence

Allez savoir !

N° 57

Mai 2014

UNIL | Université de Lausanne

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CAFÉ GOURMAND

UN AVENTURIER DE LA LANGUE ITALIENNE

Lorenzo Tomasin a quitté Venise avec toute sa famille pour s’installer au bord de l’eau, à Ouchy. Il enseigne l’histoire de la langue italienne à la Faculté des lettres.

I

talien atypique, protestant converti, le professeur Lorenzo Tomasin se sent bien à Lausanne, où il s’est installé avec sa femme et leurs deux enfants de 4 et 7 ans. « La petite est un génie, elle va déjà à l’EPFL », s’amuse le jeune père en route vers l’une des garderies du campus. Il a 39 ans, l’âge du nouveau chef du Gouvernement italien, le Florentin Matteo Renzi. Vénitien, philologue et historien de la langue, Lorenzo Tomasin a été vice-recteur de l’Université Ca’ Foscari au bord de la lagune. Depuis bientôt deux ans, il a choisi une vie de chercheur à l’UNIL et s’apprête à inaugurer en 2014-2015 un cours de master en Philologie romane avec deux collègues des sections d’espagnol et de français médiéval. « La France a progressivement négligé cette grande discipline afin de se concentrer sur la francophonie, oubliant les relations du français avec d’autres langues et cultures proches. Dans une approche transversale, j’aimerais faire découvrir aux étudiants de l’UNIL l’histoire partagée des langues romanes, qui ont pour mère le latin. Les francophones craignent davantage l’asymétrie dans la communication et préfèrent s’exprimer dans la même langue que leur interlocuteur. Pour ma part, je privilégie le système de l’intercompréhension, où chacun parle sa propre langue », évoque l’historien. Il comprend bien l’espagnol, a plus de mal avec des langues périphériques comme le roumain et le portugais, « faciles à lire cependant ». Il ne se sent pas encore parfaitement à l’aise en français – une simple question de temps – et s’amuse à écouter ses enfants jon-

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Allez savoir !

N° 57

Mai 2014

LORENZO TOMASIN Au restaurant Leonardo un jour de mars à Lausanne Flon. © Nicole Chuard

gler avec les langues en Suisse et regarder des dessins animés… en allemand. L’Italie déploie une grande richesse linguistique due aux différents dialectes encore vivaces aujourd’hui. L’italien standard descend du florentin médiéval. En explorant les archives de Venise, Lorenzo Tomasin a découvert récemment les mots d’une veuve poursuivie pour dettes et s’offusquant des rumeurs lancées contre la supposée mauvaise vie de son fils. Un rare document en « vulgaire », le dialecte vénitien du Moyen Age en l’occurrence. Car la matière privilégiée par l’historien ne se trouve pas chez Dante, Pétrarque ou Boccaccio, mais dans les écrits populaires, administratifs, historiques. Avec « Venice Time Machine », un projet initié par les humanités digitales UNIL-EPFL sous le label CROSS, Lorenzo Tomasin a lancé

UNIL | Université de Lausanne

UN GOÛT LIÉ À VOTRE ENFANCE ?

Le Strudel exceptionnel de ma grand-mère, qui ne peut pas être répliqué car elle ne peut pas revenir…

UNE VILLE DE GOÛT ? Une île dans la lagune de Venise, Mazzorbo, où l’on mange du poisson en observant la pêche des oiseaux à la surface de l’eau et le profil de l’église de Torcello.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?

Avec un ou une inconnue pour découvrir sa personnalité en bavardant.

avec son collègue Frédéric Kaplan un ambitieux programme destiné à développer un moteur de recherche, permettant aux chercheurs d’accéder avec des mots clés à des documents immergés dans une énorme quantité de manuscrits numérisés. Cette collaboration avec l’Archive de l’Etat de Venise devrait à terme permettre de digitaliser tous les manuscrits administratifs et historiques des origines médiévales de la République de Venise à sa fin en 1797. Pour l’heure, l’ordinateur travaille à séquencer les règlements et les lois civiles des XIIIe et XIVe siècles déjà numérisés et édités par Lorenzo Tomasin. Le professeur n’hésite pas à s’adresser au grand public dans une chronique culturelle qu’il rédige pour le journal économique Il Sole 24 Ore à Milan.  NADINE RICHON


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