Allez savoir ! 54

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NUMÉRO

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BIOLOGIE Ces stars des jardins qui nous envahissent 30-35

ÉNERGIE Gaz de schiste : eldorado ou désastre ? 42-47

CRIMINALITÉ Les secrets des interrogatoires de police 50-55

POP CULTURE

SUPERMAN LE PREMIER SUPER-HÉROS REVIENT

!

ALLEZ

SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Mai 2013 | Gratuit


Grégory 19 ans

Étudiant en architecture Cherche un espace de vie convivial et animé.

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ÉTUDIANT-E


ÉDITO

IMPRESSUM Magazine de l’Université de Lausanne N° 54, mai 2013 www.unil.ch/allezsavoir Editeur responsable Université de Lausanne Une publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuel Quartier UNIL-Sorge Bâtiment Amphimax 1015 Lausanne Tél. 021 692 22 80 allezsavoir@unil.ch Rédaction en chef Jocelyn Rochat, David Spring (UNICOM) Direction artistique Edy Ceppi (UNICOM) Rédacteurs Sonia Arnal Sophie Badoux Elisabeth Gordon Virginie Jobé Muriel Ramoni Nadine Richon Renata Vujica Correcteurs Albert Grun Fabienne Trivier Graphisme et mise en page Secteur B Sàrl www.secteurb.ch Ont participé à ce numéro Cynthia Khattar Emmanuelle Marendaz Colle Thomas Fitzsimons Sandrine Wenger Photographie Nicole Chuard Illustration Eric Pitteloud (pp. 3, 41)

ISSN 1422-5220

Couverture Brendan Hunter Photography / iStockphoto Publicité Go-Uni Werbung Impression IRL plus SA Tirage 15 000 exemplaires Abonnements allezsavoir@unil.ch (p. 62)

SUPERMAN VOLE DANS L’AIR DU TEMPS

L’

occasion était trop belle. Avec la sortie cet été de Man of Steel, le film de Zack Snyder consacré à Superman, le premier des superhéros revient sur le devant de la scène. Apparu en juin 1938 sur le papier bon marché de la revue Action Comics, l’extraterrestre s’est aussitôt inscrit au cœur de son temps. Ainsi, dans une planche ahurissante datée du 27 février 1940 et publiée par Look, il arrête Hitler puis Staline, avant de les amener manu militari à la Société des Nations à Genève, afin de les faire condamner pour leurs crimes. Rapide comme l’éclair, le redresseur de torts est plagié tout aussi vite : plus de 700 super-héros voient le jour entre 1939 et 1945 (lire l’article de Virginie Jobé en p. 16). Leurs exploits alimentent une spirale de surenchère musculaire. Quand Superman se contente de soulever une voiture, son concurrent Captain Marvel, vêtu de rouge et d’or, la lance contre un mur (en couverture de Whiz Comics, février 1940). Au fil des comics, cette course aux armements implique la destruction de tanks à coups de poing, l’interception de missiles en plein vol ou le renflouage de sous-marins en perdition, le tout bien sûr dans le contexte de la guerre contre les forces de l’Axe. L es cost u mes mou la nt s et les prouesses physiques des super-héros n’ont pas surgi du néant : les hommes forts des cirques, les acrobates, les magiciens, les catcheurs et les sportifs du début du XXe siècle ont influencé leur apparence. L’inspiration se trouve également

EN 1940, SUPERMAN ARRÊTE HITLER ET STALINE AVANT DE LES LIVRER À LA SOCIÉTÉ DES NATIONS.

Allez savoir !

N° 54

DAVID SPRING Rédacteur, UNIL

chez les animaux. Les bonds invraisemblables du Superman des origines renvoient ainsi aux capacités des criquets. Son invulnérabilité aux balles et autres contrariétés létales devient pourtant encombrante et ne laisse que peu de place aux surprises. Batman, qui a déployé ses ailes en 1939, est à cet égard plus intéressant, puisqu’il ne possède pas de pouvoirs autres que ceux procurés par une technologie d’avant-garde et par une fortune personnelle. Cette édition d’Allez savoir ! renvoie dos à dos, ou plutôt cape à cape, ces deux personnages, l’un solaire et positif, l’autre nocturne et tourmenté. Après un long passage dans la zone des séries B au milieu du siècle précédent, les super-héros redeviennent fréquentables. Sorti en 1978, avec Christopher Reeve dans le rôle principal, Superman rapporte un milliard de dollars. Les quatre films suivants ne connaissent toutefois pas un tel succès. Mais l’actualité des années 2000 mobilise à nouveau les justiciers surhumains. Parfois regroupés en coalitions, ils reprennent alors leur combat, c’est-à-dire la défense d’une Amérique placée sous le feu d’attaques extérieures. Il est ainsi bien difficile de ne pas voir dans Avengers (2012) une revanche sur le 11 Septembre. Les trois Batman réalisés par Christopher Nolan (2005, 2008, 2012) adoptent également une esthétique crépusculaire et pessimiste. Dans Man of Steel, Superman perd un peu de ses couleurs (et son ridicule slip rouge) pour adopter un costume plus terne et plus sombre. Ton sur ton avec son époque.  Mai 2013

UNIL | Université de Lausanne

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Séjours linguistiques The Experience of a lifetime • Séjours linguistiques dans le monde entier • Préparations aux examens de langues • Stages professionnels / Cours & Job rémunérés

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SOMMAIRE

PORTFOLIO Dalaï Lama, étudiants, Inde.

BRÈVES L’actualité du campus : évènements, conférences, distinctions, publications.

POP CULTURE Superman : le retour du premier super-héros.

ÉCONOMIE La Suisse crée bien plus d’emplois qu’elle n’en supprime.

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL Le principal, c’est l’essentiel... ou le contraire ! Rencontre avec Satyavan Benoît Reymond.

BIOLOGIE Ces stars des jardins qui nous envahissent.

RELATIONS INTERNATIONALES Extension du domaine de la norme.

RÉFLEXION S’engager pour la formation sans se quereller. Par Christine Bulliard-Marbach, conseillère nationale.

GAZ DE SCHISTE Eldorado énergétique ou désastre environnemental ?

MOT COMPTE TRIPLE Matching funds.

12 16 24 29 30 36 41 42 49

!

ALLEZ

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SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Mai 2013 | Gratuit

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CRIMINALITÉ

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C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

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MÉMENTO

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FORMATION CONTINUE

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ABONNEMENTS

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LIVRES

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LIVRES

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CAFÉ GOURMAND

Olivier Guéniat : « Un suspect a le droit de mentir, et il ne s’en prive pas. »

Le Titanic vogue encore… dans notre imagination. Texte paru en 1998.

Cours publics, animations, visites et expositions ouvertes au public.

L’horlogerie fine de la fiscalité. Sciences cognitives et conscience.

Retrouvez Allez savoir ! et l’uniscope sur iPad. Coupon d’abonnement.

Séismes. Avec Jérôme Meizoz.

Science-fiction, polar, architecture, criminalité, médecine.

Repenser le métier de prof. Avec Eric Verrecchia.

Allez savoir !

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UNIL | Université de Lausanne

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LA SPIRITUALITÉ ET LA SCIENCE SE PARLENT

Le Dalaï Lama a passé la journée du 15 avril à l’UNIL, à l’occasion d’un évènement consacré à deux thèmes : le vieillissement et la mort. Devant plus de 1 000 personnes rassemblées dans l’auditoire Erna Hamburger, il a dialogué avec des chercheurs provenant de différentes disciplines. Si le guide spirituel a souvent été pragmatique dans ses contributions à la discussion, il a également beaucoup parlé de compassion et insisté sur la nécessité de bâtir une « éthique séculière », plus universelle que les religions. Parfois, en toute humilité, le Dalaï Lama a répondu : « Je ne sais pas » aux questions des scientifiques. Ces interrogations constituent autant de points de départ pour de nouvelles recherches. DS Reportage photo www.unil.ch/allezsavoir. Le site de l’évènement : www.unil.ch/dalai-lama.

PHOTO DAVID PRÊTRE - STRATES


HABLA USTED ESPAÑOL ? OUI, ET PLUTÔT BIEN !

Etudiante en Lettres, Alice Moraz souhaite perfectionner son espagnol. Etudiant à l’Ecole de français langue étrangère, Julian Miranda vient du Costa Rica et veut améliorer ses compétences dans la langue de Voltaire. Comme des centaines de personnes chaque année, ce duo profite du programme « Tandem » de l’UNIL. Lors de rencontres régulières, ces deux musiciens amateurs (elle joue du violoncelle, lui de tout) communiquent dans leur langue maternelle, à tour de rôle. Un moyen simple, libre et peu formel d’exercer ses compétences linguistiques et, au-delà, de mieux comprendre la culture de l’autre. Reportage sur une soirée Tandem www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO NICOLE CHUARD © UNIL




LE CALME ET LA TEMPÊTE

Satapada, au bord du Chilika Lake, dans l’est de l’Inde. Située dans l’Etat d’Odisha, parmi les plus pauvres du pays, cette lagune plus vaste que le Léman est au cœur d’enjeux sociaux et économiques, où la pêche traditionnelle et l’aquaculture coexistent difficilement. Mémorant en Faculté des géosciences et de l’environnement, Oskar Hnatek a passé trois mois dans les villages qui bordent cette étendue d’eau, dans le cadre de son travail de master en géographie humaine. Sa démarche scientifique, mais parfois presque journalistique, met en lumière la manière dont la mondialisation peut bousculer un cadre de vie. Article complet sur www.unil.ch/allezsavoir

PHOTO JOËLLE PROZ


BRÈVES

MÉDECINE

ENQUÊTE

UN CENTRE POUR LA MÉMOIRE © Sebastian Kaulitzki - Fotolia.com

Le 11 mars dernier, le Centre Leenaards de la Mémoire CHUV a été officiellement inauguré. Comme l’explique le neurologue Jean-François Démonet, son directeur, « les démences et troubles de la mémoire chez les personnes âgées constituent une réelle épidémie silencieuse ». Le Centre possède une triple vocation : les soins aux patients, la formation des médecins, psychologues, infirmiers et travailleurs sociaux, ainsi que la recherche clinique. (RÉD.) www.centrememoire.ch

ALUMNI

DES OFFRES POUR LES DIPLÔMÉS

Le réseau des diplômés de l’UNIL (plus de 16 000 membres) poursuit sa croissance et étoffe ses prestations (voir au dos du magazine). Un service d’offres d’emploi en ligne est désormais à disposition des membres du réseau ALUMNIL, ainsi que des employeurs qui souhaitent recruter. Cette nouvelle rubrique recueille les annonces de postes vacants destinés à des diplômés universitaires, quel que soit leur niveau d’expérience. Les membres peuvent s’abonner à un service d’alerte et recevoir automatiquement un e-mail dès qu’un poste correspondant à leurs critères est publié. Tout employeur peut gratuitement annoncer un poste vacant en remplissant le formulaire sur : www.unil.ch/alumnil/ - Rubrique EMPLOI. Enfin, pour adhérer au réseau, il suffit de compléter le formulaire via la rubrique ADHERER. SW 12

Allez savoir !

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Mai 2013

L’UNIL AU BOUT DU FIL Chaque année, l’UNIL mène une enquête téléphonique auprès des étudiants qui se sont inscrits pour la première fois. Avec le concours de la Fédération des associations d’étudiant-e-s (FAE), l’enquête « Comment allez-vous ? » permet de voir comment les débutants s’acclimatent au milieu académique. L’occasion également de repérer et d’aider les personnes plongées dans des difficultés. Bonne nouvelle : les trois-quarts des nouveaux ne signalent aucun souci d’adaptation. Les points désignés comme problématiques sont le haut niveau de la matière enseignée, la charge de travail et des aspects d’organisation comme la gestion du temps. Cette année, un accent particulier a été placé sur la situation des étudiants un an avant leur entrée à l’UNIL. Petite surprise : seuls 56,6 % d’entre eux étaient au secondaire II et ont obtenu leur

maturité en 2012 (contre 61,5 % dans l’enquête 2011). 15 % ont pris une année sabbatique, par exemple pour un séjour linguistique. D’autres ont suivi une formation, travaillé ou accompli leur service militaire. La grande majorité des débutants vise l’obtention d’un master, et seul 1 sur 7 pense s’arrêter au bachelor. Mais les idées ne sont pas aussi claires en ce qui concerne le projet professionnel futur, puisque 38 % des personnes interrogées déclarent en avoir un, la médecine et les sciences du sport en tête. L’enquête du Service d’orientation et conseil grouille de données intéressantes, qui donnent parfois le vertige. 89 % des premières années utilisent les réseaux sociaux, et parmi eux, 98 % d’entre eux possèdent un compte Facebook ! DS Tous les résultats : www.unil.ch/soc/page79295.html

15 % 48,7 % 64,8 % des étudiants ont pris une année sabbatique avant d’entrer à l’UNIL.

des débutants travaillent à côté de leurs études, pour gagner leur vie.

des nouveaux habitent chez leurs parents. Et 18,3 % vivent en colocation.

FORMATION

UNE SPÉCIALISATION CÔTÉ SCÈNE Dès la rentrée de septembre, une nouvelle spécialisation en Dramaturgie et histoire du théâtre est proposée conjointement par les Universités de Fribourg, Genève, Lausanne et Neuchâtel. « La Suisse romande possède une offre très riche dans les domaines du théâtre, des performances, de la danse ou du cirque, note Danielle Chaperon, responsable du programme pour Lausanne et professeure en Section de français. Ce foisonnement ne possédait pas de reflet académique. Les instruments pour penser les pratiques contemporaines manquaient. » Destiné aux étudiants en maîtrise ès Lettres avec spécialisation, le cursus comprend des cours-bloc, UNIL | Université de Lausanne

lors desquels les universitaires côtoieront leurs collègues de la Haute école de théâtre de Suisse romande (HETSR). Les volets pratiques s’annoncent également excitants : écriture de critique à chaud, ateliers d’observation, voire un bref passage sur les planches. « Il est important d’expérimenter physiquement ce que signifie monter sur scène », ajoute Danielle Chaperon. Si le but n’est pas de former des comédiens, mais bien de fournir un solide bagage théorique et historique, un spectacle créé par les étudiants de la spécialisation devrait être présenté lors du Festival Fécule, au printemps 2014, sur le site de Dorigny. DS www.unil.ch/lettres/page95668.html


© Hugues Siegenthaler

LA RECHERCHE A MONTRÉ LES AVANTAGES D’UN ENCADREMENT PROFESSIONNEL SUR LE DÉVELOPPEMENT DES ENFANTS EN BAS ÂGE, VOIE POSSIBLE POUR SORTIR DU CERCLE VICIEUX DE L’EXCLUSION ET DE LA PRÉCARITÉ. Emmanuelle Marendaz Colle, chargée de communication au Pôle de recherche national LIVES, dans Le Temps du 11 mars 2013.

CONFÉRENCE

MÉDECINE

son multilinguisme. Pour lui, la désaffection croissante et la perte de confiance des citoyens européens constituent une réelle menace pour le projet européen. L’idée de l’Europe unie a constitué une réponse historique au lendemain des deux guerres mondiales. La réconciliation franco-allemande et la paix sur le continent sont les fruits de ce projet. Mais aujourd’hui, les succès du passé ne suffisent plus : il faut une nouvelle vision pour convaincre les citoyens du bien-fondé du projet européen. DS www.jean-monnet.ch

DES MOYENS POUR LA RECHERCHE Le 21 mars dernier, la Fondation Leenaards a remis des prix scientifiques, d’un montant de 750 000 francs pour 3 ans, à deux projets prometteurs. Mené par Pierre-Yves Bochud (UNIL-CHUV), Zoltan Kutalik (UNIL & SIB), Christian van Delden (HUG & UNIGE) et Oscar Marchetti (UNIL-CHUV), le premier porte sur le diagnostic et le traitement des infections fongiques. Le second, consacré à la lutte contre le cancer du sein et de l’ovaire, est mené par Michele De Palma (ISREC-EPFL) et George Coukos (UNIL-CHUV). De son côté, la relève académique a été soutenue par six bourses. Elles ont été accordées à David Baud (CHUV), Nicolas Senn (PMU), Emanuela Romano (UNIL-CHUV), Julie Delaloye (CHUV), Lukas Flatz (CHUV) et Franziska Gruhl (UNIL). (RÉD.)

© Sébastien Féval / FJME

Le 22 mars, la Fondation Jean Monnet pour l’Europe a accueilli Martin Schulz, président du Parlement européen (à g.), José Maria Gil-Robles, président de la Fondation, ainsi que Micheline Calmy-Rey. 350 personnes, dont de nombreux étudiants, ont assisté à la conférence. En grande forme, l’orateur a délaissé le discours écrit qu’il avait préparé et s’est lancé dans un plaidoyer flamboyant, empli d’émotions. Il a également fait part de son « amitié profonde » pour la Suisse et de sa fascination pour

© Jean-Bernard Sieber / ARC

UN GRAND EUROPÉEN SUR LE CAMPUS

FORMATION

UN MASTER À LA TRACE L’Ecole des Sciences criminelles lance une nouvelle « Maîtrise universitaire ès Sciences (Msc) en traçologie et analyse de la criminalité ». Le premier des quatre semestres est donné à l’Université de Montréal. Partenaire du projet, cette dernière propose une offre de cours riche dans le domaine de la criminologie, complémentaire aux enseignements criminologiques et forensiques de Lausanne. L’occasion d’un « mélange de cultures

LE PREMIER DES QUATRE SEMESTRES DU CURSUS EST DONNÉ À L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL.

Allez savoir !

scientifiques, intéressant pour les étudiants », relève Quentin Rossy, l’un des organisateurs. Le cursus permet la découverte d’un système judiciaire et policier différent. Interdisciplinaire, le diplôme obtenu permet de se lancer dans une carrière de chercheur. Mais il étend également l’employabilité à d’autres domaines, comme la sécurité, ou, par exemple, la lutte contre le dopage et la contrefaçon. DS www.unil.ch/esc/page95846.html N° 54

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UNIL | Université de Lausanne

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BRÈVES

L'UNIL DANS LES MÉDIAS

RECHERCHE

FOURMIS, CERVEAU ET DALAÏ LAMA Date: 11.03.2013

The New York Times Int. Weekly 10018 New York www.nytimes.com

Genre de média: Médias imprimés Type de média: Presse journ./hebd. Tirage: 188'602 Parution: hebdomadaire

N° de thème: 377.6 N° d'abonnement: 1072864 Page: 6 Surface: 50'098 mm²

Le château de Ripaille, où Amédée VIII vivait en ermite. PHILIPPE MAEDER

Quand un pape abdiquait à Lausanne Le renoncement de Félix V, le 7 avril 1449, marque la fin d’un épisode curieux de la papauté Bernard Andenmatten Professeur d’histoire médiévale à l’UNIL*

L

es commentateurs de la démission du pape Benoît XVI ont souligné son caractère exceptionnel dans l’histoire moderne de la papauté. Il faut remonter au Moyen Age pour trouver des cas de renoncements à la tiare. Il s’agit de Célestin V, qui abdiqua six mois après son élection en 1294, ou encore de Grégoire XII qui se démit en 1415 pour favoriser la résolution du Grand Schisme, en laissant la place à Martin V, le candidat du concile de Constance. On n’a guère parlé en revanche d’une autre abdication pontificale qui se déroula à… Lausanne! Le 7 avril 1449 en effet, le pape Félix V renonça à la dignité pontificale. Il invoquait non pas la maladie ou la vieillesse – il avait pourtant 66 ans, un âge alors respectable –, mais le souci de l’unité de l’Eglise. Ainsi se termina un épisode curieux de l’histoire de la papauté qui se déroula sur les bords du Léman.

à partir de 1431 pour réformer l’Eglise, était entré en conflit avec le pape Eugène IV, qui était resté à Rome et qui ordonna sa dissolution. Le concile refusa et proclama la supériorité du concile sur le pape. Il déposa Eugène IV le 24 juin 1439 et élut le 5 novembre le duc de Savoie Amédée VIII. Celui-ci ne fut reconnu comme pape légitime que dans son duché et dans quelques cantons suisses (notamment Berne et Soleure). Il ne trouva pas non plus grâce auprès des historiens de l’Eglise, qui soulignent combien son autorité fut contestée et limitée. Les raisons qui poussèrent les pères conciliaires à faire ce choix surprenant sont assez prosaïques. Il fallait trouver un prince riche et puissant pour s’imposer face aux monarchies et soutenir par ses revenus une assemblée, qui prétendait gouverner collectivement l’Eglise mais qui ne disposait pas des revenus du Siège apostolique. Ajoutons quand même au crédit du nou-

Portrait présumé de Félix V datant du début du XVIe siècle, Domaine du château, Colombier-sur-Morges. G. BOSSHARD

veau pontife, et des prélats qui l’avaient élu, qu’Amédée VIII jouissait alors d’une réputation de sagesse et de piété, obtenue grâce à son retrait du monde en 1434 et la nouvelle condition d’ermite qu’il menait dans son château de Ripaille (lire encadré). Qu’elle ait été ou non inspirée par le St-Esprit, l’élection pontificale ne fut pas acceptée tout de suite par Amédée VIII. Des négociations serrées s’engagèrent entre le concile et la cour de Savoie, qui portèrent sur des aspects financiers mais aussi symboliques: le duc Amédée souhaitait conserver son prénom, en usage dans sa famille depuis l’an Mil, et sa barbe, insigne de sa condition d’ermite. Si ces deux demandes lui furent refusées, la répartition des charges financières fut complexe et source de bien des malentendus. Les Savoie obtinrent des droits étendus sur les dignités ecclésiastiques de leur duché, désormais considérés comme les nouveaux Etats de l’Eglise. Le

Hiérarchie

Le pape et l’ermite

Veuf et père de famille Dès son élection, dix ans auparavant, Félix V, qui avait été duc de Savoie sous le nom d’Amédée VIII, avait vu sa légitimité contestée. L’élection au trône pontifical de ce prince laïc, veuf et père de famille, avait suscité de nombreuses réserves. Toutefois, la question du non-respect du droit canonique est moins évidente qu’il n’y paraît: en théorie, aucun empêchement majeur ne s’oppose à l’élection d’un laïque, pourvu qu’il soit un homme, baptisé dans la foi catholique. Aujourd’hui pourtant, Félix V ne figure pas dans la liste officielle des papes et il est considéré comme antipape par l’Eglise romaine. Celle-ci a en effet toujours regardé ce pontificat comme étant l’ultime dérive d’une assemblée ayant perdu toute légitimité. Le concile, qui s’était réuni à Bâle

Lors de son abdication, Félix V déclare avoir quitté «une tranquille solitude» pour accepter «une charge pénible et immense», faisant allusion à son départ de Ripaille pour assumer les tracas du pouvoir pontifical. Célestin V avait lui aussi quitté son ermitage pour occuper une charge trop lourde pour lui. Quant à Benoît XVI, il entend mener une vie de prière et de silence dans un monastère situé à l’intérieur du Vatican. Ainsi, tout semble opposer le pape et l’ermite, placés aux deux extrêmes de la hiérarchie ecclésiastique. Pourtant, la réputation de sagesse, voire de sainteté, acquise par l’ermite peut lui

valoir un destin exceptionnel à la tête de l’Eglise lorsque celle-ci est en crise; par ailleurs, face aux difficultés d’une charge écrasante, la tentation érémitique n’est probablement pas exceptionnelle chez un pontife. Si, dans la tradition chrétienne, c’est la rude vie des pères du désert qui sert d’exemple aux ermites, le modèle mis en œuvre par Amédée VIII à Ripaille ressemble davantage à une vie mondaine visant à éviter les désagréments causés par le pouvoir tout en continuant à pouvoir exercer ce dernier. De Ripaille au château ducal de Thonon, de l’ermitage au Palais apostolique, la distance n’est pas si grande…

pape savoyard quitta Ripaille et se rendit à Bâle où il fut couronné le 24 juin 1440. Entre une assemblée de clercs un peu bavards, aux aspirations démocratiques mais manquant de moyens pour les mettre en œuvre, et un prince autoritaire, imbu de son pouvoir et soucieux des finances de ses Etats, il y avait un sérieux malentendu. Le nouveau pontife se brouilla avec le concile et revint dès 1442 au bord du Léman, résidant à Genève et à Lausanne. Dans un souci de légitimation, il recréa une cour et une administration structurées selon l’organigramme de la Curie romaine. Des échanges de fonctionnaires, mais aussi d’artistes, étaient fréquents avec la cour savoyarde qui séjournait dans la région, dans ses résidences de Thonon, Genève et Morges.

Abdication âprement négociée Contrairement à ses espoirs, le pape savoyard n’obtint pas le soutien des monarchies européennes. Le roi de France et l’empereur d’Allemagne, qui avaient d’abord observé une prudente neutralité, optèrent pour le pontife romain, ce qui priva Félix V de tout soutien en dehors de son propre duché. Le décès du pape Eugène IV en 1447 et l’élection de son successeur Nicolas V, habile diplomate, favorisèrent la tenue de négociations secrètes qui conduisirent à l’abdication du 7 avril 1449. A la différence du coup de théâtre de février 2013, il ne s’agissait pas de la décision solitaire d’un pontife fatigué qui la communique à ses cardinaux décontenancés. L’abdication de Félix V fut le résultat d’une négociation serrée entre une dynastie princière, décidée à retirer le maximum de son renoncement, et une papauté romaine soucieuse de terminer au plus vite cette phase conciliariste. Les actes de Félix V furent validés et ses partisans absous. Amédée VIII devenait légat pontifical en Savoie et recevait la dignité cardinalice, devenant ainsi cardinal après avoir été pape! L’Eglise romaine reconnaissait donc une certaine légitimité à ce curieux pontife

issu de la Maison de Savoie. Cette dernière obtint encore le droit de nomination aux sièges épiscopaux et abbayes du duché, ce qui lui assura jusqu’à la Réforme le contrôle de la ville de Genève. A certains égards, le choix des pères de Bâle peut nous sembler novateur. Dans leur esprit, il s’agissait d’instaurer une véritable monarchie constitutionnelle pontificale, le pape devant rendre des comptes à l’assemblée qui l’avait élu. Force est de constater que cette orientation conciliaire n’a pas vraiment été suivie d’effet, puisque l’Eglise catholique a maintenu, voire renforcé, jusqu’à l’époque contemporaine cette orientation monarchique du pouvoir pontifical. Si modernité il y a dans cet étonnant épisode, elle doit plutôt être recherchée dans l’évolution des relations entre Eglise et Etat. L’idée de confier à un pouvoir laïc la tutelle des affaires ecclésiastiques et la réforme du clergé avait commencé à se faire jour dans les esprits dès le début du XVe siècle, ce qui relativise au fond le caractère inattendu de l’élection d’un duc au souverain pontificat. Moins d’un siècle plus tard, cette conception nouvelle des relations entre les pouvoirs ecclésiastique et laïc sera précisément l’un des enjeux de la Réforme…

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Réf. Argus: 49180827 Coupure Page: 1/2

* Tous les mois, une page est proposée par les chercheurs de l’Université de Lausanne. L’occasion de porter un regard plus scientifique sur les événements qui ont façonné le canton et les traces laissées à ceux qui les décortiquent aujourd’hui.

Pour en savoir plus - Amédée VIII – Félix V, premier duc de Savoie et pape (1383-1451), éd. B. Andenmatten et A. Paravicini Bagliani, Lausanne 1991 (Bibliothèque historique vaudoise 103). - Article «Félix V», dans le Dictionnaire historique de la Suisse (www.dhs.ch).

1990

Le nombre de références faites à l’Université de Lausanne et au CHUV dans les médias suisses, en 2013 (selon la revue de presse Argus, au 24 avril). Mi-janvier, l’annonce de la découverte d’un « chromosome social » chez la fourmi de feu, grâce à une étude menée par le biologiste Laurent Keller à l’UNIL et par l’Institut Suisse de Bioinformatique, a connu un écho médiatique. Comme par exemple, une mention en couverture du magazine français La Recherche. L’annonce du soutien de la Commission européenne au Human Brain Project, ainsi que la construction annoncée, à Dorigny, du bâtiment Neuropolis destiné à l’accueillir, ont été abondamment traités. En mars, dans le cadre d’un article sur les chouettes, le New York Times interrogeait Alexandre Roulin, professeur associé au Département d’écologie et évolution (lire également Allez savoir ! N° 53). Les chercheurs sont régulièrement intervenus dans les médias romands, que ce soit par des chroniques dans Le Temps, ou même par des pages entières. Par exemple, le professeur Bernard Andenmatten (section d’Histoire) narrait, dans 24 heures du 30 mars, l’abdication du pape Félix V à Lausanne, en 1449. Enfin, le 15 avril 2013, la venue du Dalaï Lama à l’UNIL a suscité beaucoup d’intérêt chez les médias, ainsi que sur les réseaux sociaux (voir également en p. 6). DS 14

Allez savoir !

N° 54

Mai 2013

LE CANARI HEC DANS LA MINE DU SECTEUR FINANCIER Au début de 2013, la Faculté des HEC a lancé un nouveau système d’alerte précoce pour mesurer le risque systémique bancaire en Europe. Le Center for Risk Management Lausanne (CRML) évalue le niveau de risque de près de 200 des plus grands établissements financiers européens. Il a été mis sur pied avec le Volatility Institute de la Stern School of Business de l’Université de New York en collaboration avec le Prix Nobel d’économie Robert Engle. En utilisant des outils indépendants, les chercheurs examinent le niveau de risque financier affectant les banques commerciales, les assurances, les fonds de pension, les régulateurs et les banques centrales. Des mises à jour régulières permettent d’indiquer quels sont les établissements qui ont le plus besoin de capital. La sonnette d’alarme est tirée quand une banque passe au rouge, afin d’éviter une autre crise financière comme celle qui a dévasté le système mondial en 2007-2008. « Le CRML s’emploie à suivre le risque en Europe, où qu’il se situe, explique Michael Rockinger, professeur de finance. Le centre est composé d’un groupe de professeurs issus de différents départements d’HEC qui entendent améliorer la qualité de l’enseignement et de la recherche dans le domaine de la gestion du risque et promouvoir une gouvernance financière plus responsable. » TF www.crml.ch

UNIL | Université de Lausanne

PASSAGE EN REVUE

24 HEURES SUR LA PISTE DU VIH 309

C’est le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques (d’après Serval, au 24 avril 2013). Le 31 janvier dernier, PLoS Pathogens publiait 24 Hours in the Life of HIV-1 in a T Cell Line, une étude menée par des scientifiques de l’UNIL, du CHUV, de l’Institut suisse de bioinformatique, de l’ETH et de l’Hôpital de Zurich. Le but ? « Observer le cadre dynamique de l’infection des cellules du système immunitaire par le VIH, pendant 24 heures », explique Angela Ciuffi, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut universitaire de microbiologie UNIL-CHUV et dernière auteure de l’article. 720 millions de lymphocytes ont été préparés : la moitié a été infectée par des doses massives de virus, et l’autre a été épargnée pour servir de point de comparaison. Ensuite, des échantillons ont été prélevés toutes les deux heures. « Dès son entrée dans la cellule, le VIH provoque des chamboulements », note la chercheuse. Ainsi, une sorte de couvrefeu s’installe au niveau de l’ARN du lymphocyte. Celuici, proche de l’ADN, est un support intermédiaire utilisé pour la fabrication de protéines. « Est-ce dû au virus, ou est-ce une réaction de défense ? La question est ouverte », ajoute la chercheuse. Ensuite, certaines cellules meurent, alors que d’autres reprennent leur activité. Le virus utilise la machinerie des survivantes pour se répliquer et se propager. Cette étude – financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique et par la Fondation Bill & Melinda Gates – a bénéficié des nouvelles technologies de séquençage de l’ARN à haut débit et des progrès de la bioinformatique. Il a fallu en effet traiter « des quantités de données impressionnantes » produites par les évènements en cours sur des milliers de gènes. PLoS Pathogens, à l’excellente réputation, appartient à la famille des publications en « open access ». Ainsi, l’article signé par Angela Ciuffi et ses collègues est disponible gratuitement. Il n’est donc pas nécessaire de souscrire un abonnement exorbitant. Enfin, les chercheurs ont mis en place une ressource en ligne qui permet – aux spécialistes tout de même – de consulter l’activité des gènes cellulaires au cours de l’infection. DS http ://peachi.labtelenti.org/ 24 Hours in the Life of HIV-1

Figure 2. Clusters of host genes correlated with viral progression. Temporal expression patterns of 7,991 genes modulated in concordance with key steps of viral replication (panel A) were grouped into 18 clusters with differential expression profiles at three phases of the viral life cycle, namely reverse transcription, integration, and late phase. The cluster code characters ‘+’ and ‘2’ mark significant (p,1022) upregulation and downregulation, respectively, while ‘o’ indicates no significant deviation from zero. For example, the cluster ‘2+o’ contains 373 genes downregulated during reverse transcription, upregulated during integration, and unregulated during the late phase. In total, six upregulated clusters (B), four clusters with mixed patterns of regulation (C), and eight downregulated clusters (D) were found. Details of clusters are available at the dedicated web resource [6]. doi:10.1371/journal.ppat.1003161.g002

groups notably identified the Reactome generic transcription pathway (43%, 47/108, p,1024) that includes components of the mediator complex and zinc finger proteins. Individual upregulated clusters showed overrepresentation of several signaling and innate PLOS Pathogens | www.plospathogens.org

immune pathways, such as cytokine-cytokine receptor interaction (p,1023), TLR signaling (p = 0.0016), and activation of NF-kB (p,1023). Genes involved in antiviral defense and cell death signaling were also enriched in the four clusters, comprising 1,111

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January 2013 | Volume 9 | Issue 1 | e1003161


ONCOLOGIE

INTERNATIONAL

Dans trois ans, le futur AGORA Centre du Cancer accueillera 400 chercheurs et cliniciens dans un bâtiment icône, qui sera construit non loin du CHUV. Ce dernier constituera le noyau central du nouveau Centre suisse du cancer Lausanne dont la gouvernance sera assumée de manière conjointe par le CHUV, l’UNIL, l’EPFL et la Fondation ISREC. Imaginé par le Bureau Behnisch de Stuttgart, AGORA possède une surface utile de 11 500 m2. Pourvu de laboratoires et d’un auditorium, mais aussi de lieux d’échanges, le bâtiment permettra un maximum de communication entre les scientifiques et les médecins, dans le but de développer de nouveaux traitements pour les patients. La Fondation ISREC et la Fondation Leenaards soutiennent financièrement le projet. (RÉD.) © incito communication

© Munshi Ahmed / Swissnex Singapore

UN NOUVEAU BÂTIMENT POUR 2016

LES HAUTES ÉCOLES VAUDOISES À SINGAPOUR Fin février 2013, la conseillère d’Etat Anne-Catherine Lyon a mené une délégation représentant les Hautes Ecoles vaudoises (la HEP, plusieurs HES, l’IDHEAP et l’UNIL) à Singapour. Comme la Suisse, ce pays mise fortement sur la formation. Les visites d’universités et d’agences gouvernementales ont permis d’échanger au plus haut niveau, par exemple au sujet de la valorisation de la recherche appliquée. Recteur de l’UNIL, Dominique Arlettaz relève également qu’il était intéressant « de présenter le système de formation supérieure du canton comme un ensemble cohérent et pertinent, dans l’environnement compétitif de Singapour. » (RÉD.)

NOMINATIONS ET RÉCOMPENSES

© DR

Le mémoire est accessible via www.unil.ch/igul

Félix Imhof © UNIL

Aujourd’hui doctorant à l’Université de Fribourg, Mario Kummert a décroché le Prix ArGiLe 2012 pour la qualité de son mémoire de master en géographie. Choisi par l’Association des géographes de l’Université de Lausanne, son travail « se base sur la réalisation de cartes géomorphologiques pour étudier la dynamique sédimentaire contemporaine du bassin-versant des Aiguilles Rouges d’Arolla ». Le comité a relevé le caractère pratique de l’étude. « La problématique de ce travail, qui s’inscrit dans un contexte planétaire de réchauffement climatique, captive le lecteur. » (RÉD.)

© Pfizer Forschungspreis

© Simon Martin

CINQ CHERCHEURS À L’HONNEUR Le 7 février 2013 à Zurich, Amélie Sabine, post-doctorante au Département d’oncologie CHUVUNIL, et Tatiana Petrova, professeure-boursière FNS au Département d’oncologie CHUV-UNIL, au Département de biochimie de l’UNIL ainsi qu’à l’ISREC (EPFL), ont été récompensées par la Fondation du Prix Pfizer de la Recherche pour l’excellence de leurs travaux. Après un cancer du sein avec ablation des ganglions lymphatiques, de nombreuses patientes souffrent de lymphoedème, une accumulation chronique de lymphe. L’étude des deux scientifiques apporte de nouvelles connaissances au sujet de cette maladie et de son traitement. (RÉD.)

Professeur assistant en Section d’histoire de l’art, Dave Lüthi a été nommé à la Commission fédérale des Monuments historiques, qui compte 15 membres représentant toutes les régions du pays. Cette instance supérieure travaille en lien avec la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage. Elle donne un préavis lorsque l’on souhaite « restaurer, transformer ou raser un bâtiment, un ensemble de bâtiments ou un quartier », indique Dave Lüthi, historien de l’architecture. Les intérêts patrimoniaux, politiques, économiques pèsent dans la balance, sans oublier l’attachement des habitants. Il arrive que le Tribunal fédéral sollicite la Commission. DS

Maître assistant au Centre d’études interdisciplinaires Walras-Pareto, François Allisson vient d’obtenir deux prix pour sa thèse : le Joseph Dorfman Prize for the Best Dissertation in the History of Economics 2013 et le Warren J. and Sylvia J. Samuels Young Scholar Award. Décernée par la prestigieuse History of Economics Society, la première de ces distinctions est la seule au monde à couronner un travail de doctorat en histoire de la pensée économique. Russophone, le chercheur s’intéresse à l’économiste Mikhail Tugan-Baranovsky (1865-1919). François Allisson enseigne dans trois facultés différentes : Droit, HEC, Sciences sociales et politiques. DS

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SUPERMAN

SUPERMAN LE RETOUR DU PREMIER En juin, Superman revient sur le grand écran dans « Man of Steel ». Un film de Zack Snyder, scénarisé par les pères de la trilogie cinématographique de Batman, David S. Goyer et Christopher Nolan, qui s’annonce plus sombre que les précédentes aventures du grand brun musclé en collants rouge et bleu. Genèse du personnage BD qui a créé un genre et marqué le début d’un commerce super-lucratif. TEXTE VIRGINIE JOBÉ

L

e torse bombé, la cape rutilante, le slip rouge serré sur des collants bleus moulants et les bottes étincelantes, Superman s’impose comme le sauveur des Etats-Unis, voire même de l’Humanité, depuis sa création en 1938. Né dans un comic book américain – périodique de bandes dessinées de quelques dizaines de pages publié sur du papier de mauvaise qualité – l’homme d’acier est considéré comme le premier super-héros. Très vite plagié, il n’a pourtant jamais disparu, et continue à enrichir les éditeurs de comics. Qui est vraiment cet extraterrestre adulé ? Pourquoi fascine-t-il encore les foules ? Décryptage avec des chercheurs de l’UNIL. Naissance du super-pactole S’il vient de la planète Krypton, Superman ne tombe pas de nulle part dans le paysage économique américain. Depuis 1933, les comic books sont publiés de manière au16

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1938

SUPERMAN APPARAÎT POUR LA PREMIÈRE FOIS DANS ACTION COMICS.

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tonome, alors que les BD paraissaient jusque-là dans la presse quotidienne et hebdomadaire (comic strips). « On assiste à une émulation sur le marché de la bande dessinée, dans un climat de surenchère entre éditeurs, signale Michaël Meyer, premier assistant en sociologie de l’image à l’UNIL, spécialiste de la culture médiatique. Superman ne se construit pas dans un vide symbolique. Il se calque sur les aventures de détective – d’ailleurs, c’est l’éditeur Detective Comics (qui deviendra DC Comics) qui le produit – mais aussi fantastiques, de magiciens. Le but des éditeurs reste cependant d’innover, d’apporter un élément en plus qui permettra d’attirer, et de fidéliser, les lecteurs. » Un lectorat visé jeune, enfants et adolescents, qui n’avaient que quelques cases à lire dans le journal de papa avant que le comic book n’éclose. Les deux auteurs de Superman, Jerry Siegel et Joe Shuster, ont déjà publié une histoire d’espion en 1937 qui


© Courtesy of Warner Bros. Pictures

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reprend l’ensemble des codes qui seront utilisés chez le super-héros, note Michaël Meyer : un environnement urbain, une femme en rouge (future Lois Lane, son grand amour), un espion avec le même visage que Superman. « Les dessins sont conservés sous forme de caches, de planches que l’on va réutiliser par la suite. Il s’agit d’une industrie qui doit produire vite et pour peu cher. D’ailleurs, quand Superman apparaît, le récit n’a rien d’original : une chasse aux gangsters et aux politiciens corrompus comme on en trouve dans les récits de détective depuis longtemps. Mais ce qui est mis en place, c’est l’idée d’un cycle super-héroïque. » On assiste aux débuts de « l’âge d’or des comics », qui perdurera jusqu’au milieu des années 50. Parmi les déclinaisons de Superman, on citera Wonder Man, édité par Fox et dessiné par le fameux Will Eisner (père du détective The Spirit), qui sera rapidement poursuivi pour plagiat par DC Comics. Celui-ci aura gain de cause après deux ans de procédure. « Mais entre-temps, des dizaines d’autres super-héros sont nés, sourit Michaël Meyer. Captain Marvel (Fawcett Publications), le principal concurrent de Superman depuis 1940, a aussi été longtemps en procès. » Le marché se partage entre de nombreux éditeurs. Ce modèle économique doit être inventé et testé. Et il fonctionne. On estime à environ 700 le nombre de super-héros sortis durant la période 1939-45. Et Superman était distribué aux soldats américains sur le front. 18

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MICHAËL MEYER Premier assistant à l’Institut des sciences sociales. Nicole Chuard © UNIL

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Un héros super-double Agnieszka Soltysik Monnet, professeure de littérature américaine à l’UNIL, souligne que Jerry Siegel et Joe Shuster sont des émigrés juifs qui ont conçu un nouveau héros dans un contexte difficile. Ils utilisent déjà le mot « super-man » en 1933, mais pour qualifier un méchant. « Un scientifique modelé sur la philosophie de l’Übermensch de Nietzsche qui veut dominer le monde. Il fait une expérience sur un SDF qui devient très puissant et finit par le tuer. Cependant, les pouvoirs du SDF sont temporaires et il retourne à la rue. On observe donc un lien avec la philosophie de domination raciale. » Peu de temps après, Superman deviendra ce qu’il est, une icône de l’Amérique, « paradoxalement extraterrestre et créée par deux hommes qui se sentaient différents – dans un contexte antisémite – à l’image des immigrés. » Et alors que Superman sauve le monde en costume, Clark Kent, son alibi terrestre, est lui super-maladroit. « Cette maladresse est une sorte de déguisement, une performance de soi telle que même s’il ne porte pas de masque en costume de Superman, personne ne le reconnaît. » La professeure de littérature américaine de l’UNIL le compare à un Schlemihl, qui dans la culture juive est un homme qui n’a pas de chance, mais s’y habitue sans sourciller. « Clark Kent est un clown malhabile, moins capable qu’un Américain normal. Superman doit jouer ce rôle, sachant que, sur une autre planète, il est comme tout le monde et que, sur Terre, il est meilleur que son entourage. Cela fait partie d’une espèce de fantasme d’assimilation, mais aussi de supériorité. Son drame : il doit se dédoubler, il ne peut pas vivre sous sa vraie identité. » Ce côté double existence, dont l’une doit impérativement rester secrète, demeurera la base de tous les scénarios de comics de super-héros des débuts. Agnieszka Soltysik Monnet ajoute que Superman, comme Batman et bien d’autres, est inspiré de l’univers des BD de détective, ce qui fait qu’il est entouré de personnages issus de la Grande Dépression et de la prohibition de l’alcool, qui ont vu naître des gangsters qui n’existaient pas auparavant. Avec l’augmentation de la criminalité, la police était dépassée. D’où l’idée de créer plus fort qu’eux, le super-héros, inébranlable Monsieur Muscles qui leur rapporte par le col les politiciens corrompus, les truands et autres braqueurs de banque. On attend de lui qu’il soit parfait. « En tant que représentant fictionnel du New Deal de Roosevelt, le Superman de la fin des années 30 présente une moralité à toute épreuve, comme son corps, remarque Michaël Meyer. Il est bulletproof (blindé ndlr) du point de vue physique et du point de vue moral, en toute situation. Ce superhéros est un modèle de rectitude et intervient pour le bien commun. Il est rapidement qualifié de “champion des opprimés”. » D’ailleurs, dès 1954, un organe de censure, le Comics Code Authority (CCA) sera chargé de réguler les contenus des BD, et formalisera la nature vertueuse des super-héros par une série de règles à respecter. Parmi celles-ci, l’inter-


diction de présenter le crime ou la violence de manière positive, l’interdiction de la nudité et la nécessité de toujours punir les criminels. L’inquiétude a été attisée par des associations de parents outrés par la violence des héros de comic books. Elle a été évaluée par une commission parlementaire et soutenue par certains éditeurs, qui anticipaient qu’apposer le logo CCA sur leurs albums les démarquerait de la concurrence et les légitimerait. « DC Comics fait partie de ces éditeurs, précise Michaël Meyer. Superman, le personnage qui leur rapporte le plus, étant très lisse et assez moralisateur, ils ne risquaient rien. Superman a en outre été le modèle qui a fixé les codes de représentation pour les justiciers super-héroïques de toute la production approuvée par le Comics Code. » Le chevalier noir face à l’homme d’acier DC Comics publie néanmoins aussi Batman, dès 1939. Un personnage qui va s’assombrir peu à peu, et figurer le « double gothique de Superman » selon Agnieszka Soltysik Monnet. « On peut dire que c’est le même genre de personnage. Un super-héros urbain qui lutte pour la justice. Sauf que Batman est plus complexe au niveau psychologique et éthique. Il devient très rapidement un chevalier noir tandis que Superman est appelé l’homme d’acier. » Tous deux ont perdu leurs parents biologiques très jeunes. Chez Batman, cette situation nourrit un désir de vengeance. « Il sa-

SURENCHÈRE

Le culturiste Eugen Sandow, représenté sur cette affiche de 1894, a façonné la forme sculpturale des super-héros. A droite, la couverture d’Action Comics de juin 1938, où apparaît pour la première fois Superman. © Library of Congress Prints and Photographs - AP Metropolis Collectibles / Keystone

crifie sa vie à cette cause, dans la fidélité de la mémoire à ses parents. Alors que Superman, notamment dans certains films, rejoint le sacrifice du Christ, avec les pouvoirs d’un Dieu de l’Ancien Testament. Il voit tout, entend tout. C’est une réécriture de l’histoire de Dieu, de façon séculaire et populaire. Batman n’a pas cette grandeur. » Superman garde aussi une image de gentil garçon, quasiment imperturbable, joyeux, pour qui il n’existe pas de petites causes, qui vole au secours du chat d’une petite fille coincé dans un arbre. « Simple, mais pas bête, puissant, gentleman, très lié à une idée fantasmatique des Etats-Unis, signale Agnieszka Soltysik Monnet. De plus, il ne peut pas mentir, un trait caractéristique de George Washington, l’un des premiers héros américain. Batman, lui, n’est pas particulièrement vertueux. Il s’engage pour la justice, mais hésite souvent entre le bien et le mal. » L’homme d’acier extraterrestre sait tout de manière innée et cela ne le perturbe pas. Contrairement au chevalier noir, à l’intuition et aux pouvoirs de détective entraînés, qui est entouré de zones d’ombre et ne comprend pas forcément le monde qui l’entoure. Super lié à l’actualité Dès le début des années 40, parce que le récit du superhéros qui gagne toujours contre les bad guys s’essouffle, on invente la figure du super-méchant, supervillain en anglais, explique Michaël Meyer. « Il s’agit d’une solution

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L’un vole au soleil, l’autre broie du noir. Apparus presque en même temps

COSTUME Superman est un être diurne qui se nourrit du soleil. Son costume rouge et bleu lui permet de ressortir au milieu des gangsters en complet des années 30. Sa cape, qui hérite autant des magiciens que des catcheurs de l’époque, « renvoie à l’idée de spectacle merveilleux, note Michaël Meyer. Elle sert aussi à exprimer la chute, la vitesse. En effet, le comic book de ces années-là met en place des codes visuels pour signifier le mouvement et des gestes qui par définition dépassent l’observable ». Le corps moulé accentue le « muscle spectacle », que l’on retrouve dans les exhibitions d’hommes forts, divertissement alors populaire.

AMOURS Tout comme Batman, il a flirté avec différentes superhéroïnes, type Wonder Woman. Mais son grand amour reste Lois Lane, sa collègue. « Son drame : il doit lui cacher sa véritable identité, remarque Agnieszka Soltysik Monnet. Parce qu’il a peur d’être rejeté en tant qu’alien et parce qu’il ne veut pas devenir un danger pour elle. » Romance non consommée dans la plupart des BD, elle deviendra bien réelle au cinéma puisque Superman aura un fils (Superman Returns).

SUPER-ENNEMIS L’ennemi qui a vraiment marqué les esprits reste le savant fou Lex Luthor. « Il représente en quelque sorte le double négatif du père de Superman sur la planète Krypton, déclare Agnieszka Soltysik Monnet. Ce drôle de personnage lutte contre les pouvoirs magiques de Superman en utilisant la technologie et la science. » La kryptonite, une pierre qui vient de sa planète, affaiblit ses pouvoirs.

© Brendan Hunter Photography / iStockphoto

ORIGINES

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Arrivé sur Terre dans une capsule, à la suite de l’explosion de sa planète, il est recueilli dans un orphelinat. « Les responsables sont tout de suite épatés par ses pouvoirs, signale Michaël Meyer. On le représente bébé en train de soulever un fauteuil. » On apprendra plus tard qu’il se nomme Kal-El et vient de Krypton. Adopté par la famille Kent à Smallville, Clark Kent s’engage en tant que reporter au Daily Planet à Metropolis pour avoir un accès direct à tout ce qui se passe dans la ville et ainsi sauver des vies. Allez savoir !

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VS BATMAN

dans les comic books, ces deux super-héros sont pourtant bien différents.

COSTUME Dès sa première apparition dans un comic book, en 1939, Batman cherche un costume capable d’effrayer les criminels, qui sont des « peureux superstitieux » selon lui. Une chauve-souris passe devant sa fenêtre : cet animal deviendra son icône. Super-héros nocturne, il met au point ses gadgets dans une grotte.

AMOURS « Batman est inspiré de deux personnages : The Bat Whisper, un criminel déguisé en chauve-souris dans un film des années 30, et Zorro, un play-boy le jour qui lutte masqué pour la justice durant la nuit, explique Agnieszka Soltysik Monnet. En journée, Bruce Wayne apparaît comme un homme à femmes superficiel. Ainsi, on ne le soupçonne pas d’être un activiste social. » Il fricote avec des super-héroïnes telles Catwoman et Wonder Woman. Mais aussi avec des femmes « normales ». Dans les années 50, un psychologue, Fredric Wertham, le soupçonne d’avoir une relation homosexuelle avec son ami Robin.

SUPER-ENNEMIS Les ennemis de Batman se comptent par dizaines : politiciens corrompus, le Joker, Double-Face, le Pingouin, etc. « Il est entouré d’ennemis fous qui le renvoient à sa propre folie, indique Agnieszka Soltysik Monnet. Son masque fait le lien avec ses antagonistes, également masqués ou déformés. Il combat des êtres effrayants, mais il les comprend, car ils sont le reflet de ce qu’il aurait pu devenir. »

ORIGINES Richissime héritier, Bruce Wayne a été traumatisé par la mort de ses parents, abattus devant ses yeux lorsqu’il avait 7 ou 8 ans. S’il devient un combattant du crime à Gotham City, c’est par esprit de vengeance. « Il se prépare à ce rôle dès son enfance, déclare Agnieszka Soltysik Monnet. Il étudie les sciences forensiques, fait de la musculation. Au début, le personnage est un dur à cuire, très violent. Il va jusqu’à tuer des criminels dans de l’acide. » Les protestations des lecteurs, surtout des parents du jeune public, ont poussé les éditeurs à interdire aux auteurs de le laisser assassiner ses ennemis. Allez savoir !

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SUPERMAN

narrative pour ne pas lasser le public avec toujours le même type de malfaiteurs. Il fallait qu’à un moment donné, le super-héros soit en difficulté. Cela démontre une fois de plus la capacité du comic book à se réinventer. C’est un média éponge, ouvert aux expérimentations, qui sait puiser dans l’air du temps. » De la sorte, Superman, avant que les Etats-Unis n’entrent dans la Seconde Guerre mondiale, flirtait déjà avec des villains, et d’une certaine envergure. Un comic strip est en effet réalisé avec le super-héros pour la grande presse d’information, Look Magazine, en 1940 – « cette présence, non plus comme divertissement secondaire, mais comme sujet des médias d’actualité, montre que le personnage a acquis un certain statut, après tout juste deux ans d’existence », tient à préciser le chercheur en sociologie de l’UNIL – qui se demande comment le personnage réglerait les problèmes du Vieux-Continent. « On le voit qui vole jusqu’en Europe, attrape Hitler par le cou, idem pour Staline, et les emmène à Genève devant la Société des Nations afin qu’ils soient jugés. Plus largement, la guerre sera un arrière-plan très exploité par les comic books de cette période. S’ancrer dans l’actualité reste une manière d’assurer une accroche à ce qui est vendeur. »

« L’IRONIE N’EXCLUT PAS LA TRANSMISSION DES VALEURS AMÉRICAINES. » ALAIN BOILLAT, PROFESSEUR

Du super-bond au super-vol Superman est incroyablement fort. Il adore soulever des poids insensés. Une façon de conquérir un public féru du « muscle spectacle ». Eugen Sandow, un Allemand d’origine reconnu internationalement et considéré comme le premier culturiste, est l’un des modèles qui a façonné les formes sculpturales du super-héros. « Superman, et les premiers super-héros, compilent visuellement les divertissements forains et les spectacles d’hommes forts du XIXe siècle, toujours populaires au début du XXe, indique Michaël Meyer. Un mélange de trapézistes, de boxeurs, de

FILMOGRAPHIE

1952 – 1957

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THE ADVENTURES

Cette série télévisée est très célèbre aux Etats-Unis. Sponsorisée par Kellogg’s, elle met en scène George Reeves dans le rôle principal. Les trucages, plein de charme, valent le coup d’œil.

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gymnastes à la musculature surdéveloppée. On touche aussi au monde des magiciens quant à l’aspect du costume et des pouvoirs extraordinaires. » S’il court plus vite qu’un train dès le premier comic book, Superman ne sait que bondir à ses débuts. Certes audessus des immeubles, mais il ne vole pas. « Les conventions de mise en image du geste athlétique, du vol ou de la projection dans les airs ne sont pas encore complètement en place, souligne Michaël Meyer. L’idée du vol horizontal est introduite par une série de passages et d’adaptations entre différents médias. » Ainsi, c’est à la radio, en février 1940, que Superman vole pour la toute première fois. On crée pour l’occasion la formule : « Up in the sky ! Look ! It’s a bird ? It’s a plane ? It’s Superman. » « On passe de la métaphore du criquet qui bondit dans la première BD à celle de l’oiseau qui correspond mieux au langage imagé de la radio. Le dessin animé, produit en 1941 par les frères Fleischer, confirme cette représentation dès le générique avec Superman qui voltige comme une fusée dans les airs », indique le chercheur. Il fera l’objet d’un serial au cinéma en 1948. Mais il faudra attendre 1978 pour que le super-héros se dévoile au cinéma dans un long-métrage. Encore une fois, il lancera une mode. Au super-cinéma « Il y a une grande différence entre Superman à la télévision qui garde le ton du feuilleton des BD, qui conserve une certaine distance, un côté humoristique, et le format qui sort au cinéma dans les années 70, affirme Alain Boillat, professeur ordinaire à la Section d’histoire et esthétique du cinéma à l’UNIL, et spécialiste de la BD. Un format mis en place par George Lucas et ses Star Wars : le New Hollywood. C’est-à-dire des longs métrages spectaculaires qui, sur un plan narratif, fonctionnent de manière très classique. » Warner Bros investit 55 millions de dol-

1978

1980

Ce film a connu un immense succès et rapporté un milliards de dollars, soit vingt fois son coût. Marlon Brando et Gene Hackman figurent au casting. Christopher Reeve incarne le super-héros. Histoire d’amour et effets spéciaux : le mélange fonctionne.

Tourné en même temps que le précédent pour une grand part, ce film a connu une production chaotique et n’a pas rencontré le même succès que le premier opus au box-office, loin de là. Christopher Reeve arbore toujours la cape.

SUPERMAN

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SUPERMAN II


AGNIESZKA SOLTYSIK MONNET ET ALAIN BOILLAT Professeure à la Section d’anglais et professeur à la Section d’histoire et esthétique du cinéma. Nicole Chuard © UNIL

propre comme s’il sortait d’une pub pour une lessive ». En 2013, le Man of Steel de Zack Snyder ne porte plus de slip moulant sur son costume, qui s’est d’ailleurs bien assombri. Le réalisateur a décidé de rendre le super-héros plus réaliste et a même éliminé la kryptonite du scénario. Selon l’acteur Henry Cavill, qui s’est exprimé dans la presse américaine, les points faibles du super-héros seront d’ordre sentimental. « Bien qu’il ne soit pas physiquement vulnérable, il sera vulnérable aux faiblesses émotionnelles. Le film montrera que, même sur Krypton, le jeune Kal-El est un enfant spécial et que sa naissance inquiète sa planète d’origine. Et une fois sur Terre, ses parents adoptifs l’ont exhorté à ne pas utiliser sa force immense – même dans les cas d’extrême urgence. Du coup, Man of Steel présente un Superman frustré, en colère, perdu. » Incarné par Henry Cavill, le premier super-héros volera cette fois-ci vers son côté obscur. 

1983

1987

2006

Mettant en scène l’acteur comique Richard Pryor, ce film a reçu un accueil mitigé de la part des critiques et des fans. Une innovation au milieu d’une avalanche de gags : le côté « Mr Hyde » de Superman apparaît grâce à la kryptonite.

Dernier film de la série dans lequel Christopher Reeve tient le rôle titre, cet opus à petit budget peut être oublié sans dommages. Echec commercial, fusillé par la critique, il inaugure une longue période de difficultés pour la série.

Bryan Singer derrière la caméra, Kevin Spacey en méchant Lex Luthor, Brandon Routh pour Superman : ce cinquième opus au budget colossal de 200 millions de dollars marque un renouveau, avec un accueil positif du côté de la critique et du public.

SUPERMAN III

SUPERMAN IV

SUPERMAN RETURNS

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© Motion Picture TV, inc / Cannon / Warner Bros / DC Comics / The Kobal Collection

lars dans Superman et réussit à gagner près d’un milliard de dollars de recettes. « Dans les années 40 à 60, c’était un genre pour séries B. Alors que dès 1978, on assiste à sa revalorisation. Les spectateurs sont attirés par les effets spéciaux d’un film catastrophe qui allie romance et sciencefiction. C’est une période liée aux drive-in, au baby-boom, à une nouvelle génération, tout un contexte sociologique qui permet que cela fonctionne. » Un super-coup pour les producteurs, qui s’émoussera cependant très vite. L’acteur Christopher Reeve a certes marqué les esprits, sans pour autant réussir à convaincre sur quatre films. « On a encore parlé de Superman II, mais les III et IV n’ont vraiment marché qu’auprès des fans du genre, note Alain Boillat. Son problème au niveau scénaristique, c’est qu’il reste complètement invincible. » Le cinéaste Bryan Singer, dans Superman Returns en 2006, donne un nouvel élan au personnage, en le modernisant, en le rendant un peu plus sombre, avec un costume plus foncé. Le réalisateur transforme le slogan « Truth, Justice and the American Way » des comic books des années 40 en « Truth, Justice and all that Stuff ». Une touche satirique typique post-11 Septembre 2001. « Toutefois l’ironie n’exclut pas la transmission des valeurs américaines, tempère Alain Boillat. Néanmoins, quand on dit que les super-héros correspondent à des “lieux communs”, on peut aussi comprendre le terme dans un sens positif : un endroit où l’on se rassemble, une figure dans laquelle on se reconnaît. » Aujourd’hui, le spectateur continue à s’enflammer pour les effets spéciaux, pour des images de synthèse toujours plus proches de la réalité. « Grâce à la capture du mouvement, on “dessine” des postures sur un écran bleu ou vert qui peut être rapproché de la page blanche d’un comic book », analyse Alain Boillat. On modernise aussi l’aspect du personnage, « on ne peut plus voir un combattant

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ÉCONOMIE

LA SUISSE CRÉE BIEN PLUS

D’EMPLOIS QU’ELLE N’EN SUPPRIME En 2012, les entreprises helvétiques ont biffé 16 000 postes, mais en ont créé 60 000 autres. Ce qui profite notamment aux travailleurs qui ont dû faire face à la fermeture d’une entreprise, et qui sont plus nombreux qu’on l’imagine à retrouver du travail. TEXTE SONIA ARNAL

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entreprises qui ferment ou licencient, entraînant la destruction de plus de 16 000 emplois – 16 368 exactement. De prime abord, l’année 2012 s’est très mal passée pour l’économie suisse. Pour son secteur bancaire notamment, puisque un quart environ des emplois perdus (4 130) l’ont été dans cette branche. UBS étant à elle seule responsable de la suppression de près de 18 % des postes (2 900). Mais d’autres banques sont également concernées : Credit Suisse

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LA CROISSANCE PRÉVUE DU PIB VAUDOIS EN 2013, SELON LE CRÉA.

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(800 suppressions), Julius Bär (150), UBP (130), HSBC (100) et Deutsche Bank Suisse (50). Autre secteur phare de l’économie suisse, la pharma a également réduit la voilure. On se souvient bien sûr des licenciements de Merck Serono (1 200), comme ceux de Lonza (400) ou de Givaudan (120).

Des pertes en Suisse romande La Suisse romande est loin d’avoir été épargnée, puisque nombre de ses sociétés les plus prestigieuses ont sup-


HORLOGERIE

Employés de Longines, à Saint-Imier. Cette marque appartient au Swatch Group, qui a créé 900 emplois en 2012. © Valentin Flauraud / Reuters

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ÉCONOMIE

primé des postes, de Bobst (420) à Tornos (225), Swissmetal (228 avec Reconvilier et Dornach), et Kudelski (50) en passant par Logitech (45). Plus de 16 000 emplois donc ont été perdus dans des sociétés parmi les plus réputées du pays. Serions-nous au bord de la catastrophe économique ? Interrogé par divers médias sur ces chiffres, le SECO (Secrétariat à l’Economie) les remet dans leur juste perspective : « Nous ne pouvons parler d’une baisse de l’emploi en Suisse », puisque « entre le 3e semestre 2011 et le 3e semestre 2012, 60 000 postes ont été

ISABEL BAUMANN Assistante diplômée de l’Institut des sciences sociales de l’UNIL et chercheuse au Pôle de recherche national LIVES. Nicole Chuard © UNIL

STÉPHANE GARELLI Professeur associé à la Faculté des HEC. © Nicole Chuard (archives)

créés ». Parmi les annonces les plus spectaculaires de l’année 2012, il y a les 700 emplois apportés par Nestlé, et les 900 du Swatch Group. Les postes créés en Suisse l’ont été pour une grande part dans les services, certes, avec 49 000 nouvelles places de travail, mais l’industrie ne s’en tire pas mal non plus avec 11 000 emplois. Les ouvriers, même peu qualifiés, ne sont d’ailleurs pas condamnés au chômage ou à la réorientation, contrairement à ce que l’on suppose : une étude de l’Université de Lausanne le montre (lire l’article en p.28). Comment la Suisse fait mieux que ses voisins L’économie suisse se porte donc bien, étonnamment bien pour un pays exportateur dont les voisins sont en crise depuis plusieurs années maintenant. Comment expliquer ce dynamisme ? Stéphane Garelli, professeur associé à la Faculté des HEC de l’UNIL, relève plusieurs facteurs importants. La variété d’abord : « Quand on vous dit “économie suisse”, vous pensez immédiatement aux banques. Ensuite, vous réfléchissez et vous vous souvenez que nous sommes aussi parmi les leaders dans l’horlogerie, la pharma, et puis l’agroalimentaire avec Nestlé, etc. » Une grande diversité d’activités économiques, toujours associées à l’excellence. « C’est la garantie, quand un secteur val mal, comme la finance ces dernières années, de pouvoir s’appuyer sur les autres pour assurer l’emploi et la croissance », commente l’économiste de l’UNIL. Autre atout, le réseau de PME du pays, lui aussi très varié. Alors que dans de nombreuses économies, une ou deux industries fortes, l’automobile par exemple, tirent la nation, la Suisse peut compter sur d’innombrables petites et moyennes entreprises en parallèle aux grandes multinationales qui sont aussi garantes de créations de postes. « Elles sont en outre très compétitives, poursuit Stéphane Garelli. On retrouve d’ailleurs dans les pays européens qui vont bien, l’Allemagne par exemple, ce même faisceau de PME de grande qualité. » L’innovation et le développement à l’étranger Cette compétitivité s’explique d’abord par la présence de secteurs « Recherche et Développement », qui existent même dans de petites structures, contrairement à ce qui se fait dans la plupart des pays qui nous entourent. La Suisse est ainsi toujours très bien classée dans les rankings internationaux qui portent sur l’innovation. « L’autre point très positif, c’est que ces PME ont très vite compris qu’il y avait des opportunités à saisir en dehors de l’Europe, poursuit le professeur. Loin de se cantonner aux pays voisins, elles ont été parmi les premières à chercher de nouveaux débouchés en Asie, que ce soit en Chine, en Inde ou ailleurs, et en Amérique du Sud, comme au Brésil par exemple. » Evidemment, aujourd’hui, tout le monde a remarqué qu’il y avait dans ces contrées plus lointaines une émergence de la classe moyenne qui les rend très

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attractives ; la concurrence est féroce. Mais les marchés sont d’une telle taille – la population cumulée de la Chine et l’Inde dépasse les 2,5 milliards d’habitants, certes pas tous des consommateurs potentiels de produits suisses, mais tout de même… – qu’il suffit à une petite entreprise helvétique d’une infime part de marché pour s’en tirer très honorablement. Le risque de l’autosatisfaction Et demain ? Les deux seuls écueils que Stéphane Garelli voit poindre à l’horizon du succès économique suisse sont l’engorgement et… la psychologie. « Comme toutes les régions qui font preuve d’un grand dynamisme économique, l’arc lémanique par exemple souffre de problèmes d’infrastructures, qu’il s’agisse des transports, de logement, d’éducation. La Silicon Valley connaît à cause de son très rapide développement des difficultés de cette nature, mais on les voit partout dans le monde : elles naissent d’une tendance forte au niveau mondial, la concentration de l’activité économique en un seul endroit. Nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas engorgement, sans quoi la croissance pourrait s’en ressentir. » L’esprit « y’en a point comme nous » est le second élément qui aux yeux de l’économiste pourrait nuire à l’économie nationale : « Il ne faut pas forcément qu’on les croie quand les autres nous disent que nous sommes les meilleurs ; ça mène à s’endormir sur ses acquis. Il faut toujours se remettre en question et chercher à faire mieux. Or il y a dans l’état d’esprit helvétique, en tout cas chez certains, une petite tendance à sombrer dans l’autosatisfaction. » Et la Suisse romande dans ce riant tableau ? Depuis de nombreuses années, les cantons latins se sont évertués à démontrer qu’ils ne sont pas le boulet de l’économie nationale, que les Alémaniques tireraient derrière eux comme un handicap. Des études sur le dynamisme de l’arc lémanique ont démontré qu’il n’avait rien à envier à la région zurichoise. Le rapport sur le PIB romand, réalisé depuis 2008 par l’institut CRÉA de la Faculté des HEC sur mandat des six banques cantonales romandes et publié en collaboration avec le Forum des 100 de L’Hebdo, a établi la preuve que la Suisse romande est plus dynamique que la moyenne nationale. Pour 2011, 2012 et 2013, il constate ou mise sur une croissance plus élevée en Suisse romande que pour l’ensemble de la Suisse. Pour ces deux dernières années, cette supériorité devrait se monter à 0,6-0,7 %. Cette belle santé n’est pas le fait de quelques branches en particulier, même si on peut relever les performances particulièrement élevées de la chimie, de la recherche et développement, des instruments de précision et de l’immobilier. En Suisse romande, ce sont en effet de nombreux secteurs, du commerce de détail aux communications ou transports en passant par les banques et assurances, qui ont une croissance supérieure à la moyenne nationale.

UN FORUM POUR ABORDER LA COMPLEXITÉ Pour la neuvième fois, L’Hebdo organise son Forum des 100. L’auditoire Erna Hamburger de l’UNIL accueille les participants à cette manifestation, le 23 mai 2013. Si l’événement affiche complet très tôt, il est possible en revanche de suivre les interventions sur le site www. forumdes100.com. Cette édition est placée sous le signe de la complexité, « Qui pose des questions inédites : la globalisation est-elle en train de régresser ? Les systèmes démocratiques peuvent-ils fonctionner si la confiance dans les institutions s’affaiblit ? Les Etats peuvent-ils encore agir ? » Cette édition d’Allez savoir ! propose deux articles pour alimenter la réflexion. Ainsi, comment se fait-il que, malgré les annonces de licenciements récurrentes, la Suisse crée davantage d’emploi qu’elle n’en perd (lire ci-contre) ? Autre question : fautil exploiter le gaz de schiste qui se trouve dans les soussols de la Suisse romande (lire en p. 42) ? L’une des sessions du Forum est consacrée au monde, l’autre s’intéressera au cerveau. Le Human Brain Project, piloté par l’EPFL en partenariat avec de nombreuses institutions dont le CHUV et l’UNIL, sera l’occasion de parler de neurosciences et de politique de la science.

L’administration, c’est 30 % des emplois Le canton de Vaud pour sa part a été plus particulièrement étudié par Délia Nilles, directrice adjointe de l’institut CREA, sur mandat de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), de la Chambre vaudoise immobilière (CVI) et de la Fédération patronale vaudoise (FPV). Les trois mandants arrivent, comme Stéphane Garelli à l’échelle du pays, à la conclusion que le canton doit notamment améliorer ses infrastructures et soutenir formation et innovation pour « continuer à accompagner activement la création d’entreprises et d’emplois », qui tend à se tasser. Petit bémol, le rôle joué dans l’économie du canton par le secteur de l’administration publique, qui y représente une part très importante avec 30 % des emplois et un poids de 22,6 % dans la valeur ajoutée cantonale, contre 15,7 % à Zurich ou 21,5 % à Genève, précise l’étude. Mais l’analyse des dix-quinze dernières années livre, pour l’essentiel, des informations réjouissantes pour le dynamisme économique du canton. Depuis 2004, et en total contraste avec sa situation à la moitié et fin des années 90, Vaud fait en effet partie des cantons dont la croissance est supérieure à la moyenne nationale. Et « la part de l’économie vaudoise dans l’économie helvétique » a également augmenté, note Délia Nilles. Le PIB vaudois devrait croître de 2 % en 2014 « La région s’est renforcée dans les branches à haute valeur ajoutée, particulièrement dans les assurances et dans les sociétés high-tech », se réjouissent également les trois mandants. Par ailleurs, l’économie vaudoise a pu démontrer à l’occasion de la crise sa faculté à résister aux difficultés. Si en 2009, « la longue période de croissance continue depuis 2004 fut interrompue », note Délia Nilles, le PIB n’a néanmoins pas chuté « au-delà de son niveau d’équilibre », qui s’établit sur la base de son évolution à long terme. Une belle résilience donc. Les projections du CRÉA viennent d’être rendues publiques. Elles montrent que, après une hausse estimée à 0,6 % pour 2012, le PIB vaudois devrait croître de 1,5 % en 2013 et 2 % en 2014. L’emploi devrait, lui aussi, être en croissance. Bref, comme en 2012, des entreprises vont certainement licencier dans le pays, en Suisse romande et dans le canton. Mais les spécialistes sont optimistes et le rapport entre emplois perdus et emplois créés devrait rester ces prochaines années comparable à celui de l’an passé.  « Les raisons de la dynamique économique romande, Rapport sur le produit intérieur brut romand », 24 mai 2012. Réalisé par le CRÉA de la Faculté des HEC sur mandat des banques cantonales romandes (BCF, BCGE, BCJ, BCN, BCVs et BCV) et publié en collaboration avec le Forum des 100 de L’Hebdo. « Le dynamisme vaudois sous la loupe », février 2012. Etude réalisée par le CRÉA de la Faculté des HEC sur mandat de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, de la Chambre vaudoise immobilière et de la Fédération patronale vaudoise.

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Le Pôle de recherche national LIVES www.lives-nccr.ch

ÉCONOMIE

LES OUVRIERS PEU QUALIFIÉS RETROUVENT AUSSI DU TRAVAIL

Que deviennent les employés licenciés quand une usine ferme ? Les ouvriers sont-ils davantage pénalisés que les cols blancs au moment de retrouver du travail ? Une enquête menée à l’UNIL arrive à des résultats surprenants.

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ans formation pointue, il n’y aurait point de salut. Et surtout, il vaudrait mieux travailler dans les services. Voilà deux des préjugés les plus tenaces sur le marché de l’emploi, particulièrement dans une économie comme celle de la Suisse, où le tertiaire est très important. « Il existe d’ailleurs tout un pan de littérature scientifique qui va dans ce sens », confirme Isabel Baumann, assistante diplômée de l’Institut des sciences sociales et chercheuse au Pôle de recherche national LIVES. Avec Daniel Oesch, professeur dans la même entité, elle s’est penchée dans une étude qui a reçu le soutien du SECO sur le devenir des employés licenciés lors de la fermeture de l’usine pour laquelle ils travaillaient. Cinq entreprises industrielles, établies dans la région genevoise et l’Espace Mittelland et cumulant 1200 employés, ont été retenues. Les cinq ont dû fermer leurs portes après la crise en 2009 et 2010. Les ouvriers ne sont pas plus mal lotis que les cols blancs « Nous nous attendions à voir se confirmer que, pour les ouvriers, surtout les moins qualifiés, retrouver du travail serait bien plus difficile que pour les employés attachés par exemple aux services administratifs, bref ceux que nous appelons les cols blancs », explique Isabel Bau28

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mann. Or, surprise, les différences entre cols blancs et cols bleus sont minimes. Deux ans après leur licenciement, « les ouvriers étaient nombreux à avoir retrouvé un emploi, s’étonne Isabel Baumann. Nous pensions que ce serait particulièrement problématique pour ceux qui n’ont pas de CFC et qui ont simplement terminé l’école obligatoire. Mais la probabilité d’avoir retrouvé un travail environ deux ans après le licenciement est de 80 % pour eux. » Et cela même si, souvent, ces ouvriers ont passé une grande partie de leur carrière au sein de l’entreprise qui s’en était séparé et n’étaient a priori pas préparés à exercer d’autres activités que celles apprises sur le tas, dès la sortie de l’école. « Les ouvriers qualifiés sont encore plus nombreux à avoir retrouvé un poste », souligne la chercheuse. La probabilité de réinsertion dans le marché du travail dans ce groupe était en effet de 89 %. Enfin, pour les personnes avec une formation tertiaire, il était de 92 %. « Même s’il reste vrai qu’une bonne formation est un atout, on remarque que les différences ne sont pas énormes entre les diplômés et les autres, et surtout qu’il existe en Suisse une demande pour les ouvriers les moins qualifiés, qui peuvent exercer de vrais métiers à valeur ajoutée dans l’industrie, et

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PRÉJUGÉ

Les ouvriers n’ont pas beaucoup plus de difficultés à retrouver un emploi que les cols blancs. © Stefan Wermuth / Reuters

pas seulement des petits boulots marginaux », relève la scientifique. Après 55 ans, c’est plus difficile L’autre surprise de cette recherche : le facteur le plus discriminant sur le marché de l’emploi est l’âge. Les personnes qui perdent leur travail après 55 ans ont beaucoup plus de peine à en retrouver un que les autres. Dans la cohorte des 1200 personnes suivies, la probabilité de retrouver un travail était dans le groupe des 55 à 59 ans seulement de 52 %, contre 84 à 90 % pour les 25 à 54 ans. « Bien plus que le niveau de formation, l’âge est de loin le critère déterminant », conclut la chercheuse.  SA


IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

LE PRINCIPAL, C’EST L’ESSENTIEL… OU LE CONTRAIRE !

I

nstallé dans un fauteuil confortable, Benoît Reymond (aka Satyavan) savoure un Sazerac. Sa voix douce couvre à peine le bruit de fond qui règne dans le bar du grand hôtel Art nouveau, en cette fin d’après-midi de février. Le géologue diplômé de l’UNIL vient de débarquer d’un avion : il travaille pour l’un des grands groupes pétroliers mondiaux. Un milieu aussi discret que compétitif. Ce natif de Château-d’Œx s’occupe d’exploration, c’est-à-dire de découvrir les secteurs prometteurs sur le plan des hydrocarbures, de négocier avec les gouvernements et de placer les premiers puits. Ce travail implique la gestion de grandes équipes et se situe aux antipodes de son activité précédente : une startup, également engagée dans l’exploration. Il passait alors davantage de temps en plein air, « à dormir sous tente, dans le désert ». Né en 1965, le chercheur a développé un goût pour l’innovation et les nouvelles technologies. « Je suis entré à l’Université de Lausanne le 25 octobre 1984, et j’ai soutenu ma thèse dix ans plus tard, jour pour jour. » Un cursus entamé à la Cité dans une ambiance « familiale », car les étudiants en géologie étaient peu nombreux, et caractérisés par un sens de l’humour à toute épreuve. Avec quelques amis, Satyavan a fondé alors une société qui signait des contrats de confiance avec les propriétaires d’immeubles vides et promis à la démolition. Ce squatteur officiel a ainsi passé la majeure partie de ses études en ne payant que les charges, tout en habitant un duplex à côté de l’ancienne Ecole de chimie. Le quadragénaire évoque quelques-uns de ses professeurs : « Arthur Escher, qui dessinait les Alpes en coupe

SATYAVAN BENOÎT REYMOND Diplôme de géologue en 1990, puis doctorat ès Sciences en géologie en 1994. © Francesco Giusti - Strates

La communauté des alumni de l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

avec une craie dans chaque main », Gérard Stampfli ou encore Stephen Ayrton, « un homme de valeurs, qui m’a soutenu dans mon opposition au service militaire, que je refusais par pacifisme ». Leur point commun ? « Ils respiraient la passion et l’enthousiasme. » Depuis ses études, Satyavan a conservé sa boussole, sa loupe et son marteau. « La force des géologues formés à l’Université de Lausanne, et ce qui leur permet de faire du business au plus haut niveau, c’est aussi la reconnaissance de leur aptitude sur le terrain : nous cassons une pierre et elle nous raconte son histoire. » Adolescent, il a sillonné la Grèce. Etudiant, il a traversé le Sahara à dos de chameau avec un ami. Son doctorat de « géologie sur ordinateur », une première à Lausanne, lui a valu le Prix de la Faculté des sciences et l’a mené au Costa Rica et dans l’Himalaya. Loin du tourisme superficiel, ses voyages sont toujours des quêtes de sens. Ce que son affection pour les paradoxes lui fait formuler : « Le principal, c’est l’essentiel... ou le contraire ! » Ce nomade né a passé beaucoup de temps en Inde, où il a reçu son deuxième prénom. S’il se déclare « sans domicile fixe », Satyavan a néanmoins créé et dessiné avec sa femme une maison et un jardin à leur image, pour leur famille, en Australie. Le bâtiment aux fonctionnalités écologiques abrite un dojo d’aïkido, que le géologue pratique et qu’il a enseigné. Son motto : Be the best at what you do. Ou plus exactement, être le meilleur par rapport à soi-même, dans ce que l’on a choisi de faire. « Le monde est vaste : étudiez ce que vous voulez, soyez les meilleurs et il n’y aura pas de problème ! »  DAVID SPRING

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BIOLOGIE

BUDDLEIA DE DAVID Invasif, l’arbre à papillons est placé sur liste noire. © joker17 / iStockphoto.com

CES STARS DES

JARDINS

QUI NOUS ENVAHISSENT Arbre à papillons, robinier ou laurier-cerise. On trouve plusieurs espèces de plantes invasives dans les garden centers, au désespoir des observateurs de la nature. Pourquoi sont-elles en vente libre ? En quoi sont-elles nuisibles ? Comment empêcher leur prolifération ? TEXTE MURIEL RAMONI

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Le Département d’écologie et évolution www.unil.ch/dee

BIOLOGIE

SIBYL ROMETSCH Directrice adjointe d’Info Flora Bern. © Nicole Chuard (archives)

B

erce du Caucase et ambroisie. Ces deux espèces sont systématiquement citées lorsqu’on parle de plantes envahissantes. Puissantes allergènes, ennemies jurées de la biodiversité, elles sont non seulement sur liste noire, mais selon l’Ordonnance sur la dissémination des espèces (ODE), elles font aussi partie des plantes interdites en Suisse. Ce ne sont pas les seules. L’élodée de Nuttall, l’impatiente glanduleuse, la renouée de l’Himalaya et sa cousine du Japon, le sumac, le séneçon du Cap, les solidages géants et du Canada le sont tout autant. Mais la loi ne prévoit pas d’obligation générale de lutte contre les espèces invasives, interdites ou non ; on préfère décider des mesures à prendre de cas en cas. Si personne n’a envie de cultiver de l’ambroisie dans son jardin, plusieurs plantes d’ornement, recensées sur cette fameuse liste noire, sont par contre en vente libre dans les jardineries : le ravissant arbre à papillons, par exemple. Ex-assistante à l’ancien Institut de botanique systématique et géobotanique de l’UNIL, aujourd’hui directrice adjointe d’Info Flora Bern, Sibyl Rometsch explique pourquoi. Avec les experts de l’UNIL, elle revient sur la nécessité de combattre ces redoutables concurrents qui menacent les espèces indigènes, mais aussi les cultures, les infrastructures et même notre santé. 32

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LE NOMBRE DE PLANTES EXOTIQUES ENVAHISSANTES PLACÉES SUR LISTE NOIRE EN SUISSE.

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La liste noire n’empêche pas la vente Depuis une douzaine d’années, les botanistes recensent les plantes exotiques envahissantes dont la prolifération cause – ou pourrait causer – des dommages au niveau de la biodiversité, de la santé ou de l’économie. En 2008, leur liste noire comptabilisait vingt-deux néophytes invasives et leur watch-list vingt espèces supplémentaires à surveiller. « Ces listes seront actualisées cette année, précise Sibyl Rometsch. On va y ajouter des espèces non encore établies en Suisse, mais qui créent des problèmes dans les pays voisins. C’est par exemple le cas du Sicyos angulatus ou concombre anguleux, une mauvaise herbe redoutée et repérée très localement chez nous. Nous espérons pouvoir agir rapidement contre elle si elle vient à s’établir dans nos régions. » Conçues comme des outils de travail, ces listes servent avant tout à informer et sensibiliser les politiques et les professionnels de la branche verte, car rien n’empêche la commercialisation des plantes d’ornement envahissantes qui embellissent nos jardins. Seule une dizaine de plantes, les plus dangereuses, sont interdites par l’ODE depuis 2008. « Cela signifie qu’on ne peut ni les acheter, ni les cultiver, ni les offrir, précise Sibyl Rometsch, et qu’on pourrait vous tenir responsable des dégâts de votre renouée du Japon (désormais interdite) dans le jardin de votre voisin. Par contre, une obligation générale de lutte paraît irréaliste, en raison des coûts élevés d’éradication ; il faut décider de cas en cas des zones où l’on ne veut pas d’exotiques envahissantes. » Une politique des petits pas Certains puristes voudraient interdire toutes les néophytes des listes précitées. L’arbre à papillons (ou buddleia) et le laurier-cerise, notamment, sont régulièrement montrés du doigt. La coupe et le dessouchage du premier sur deux kilomètres de la zone alluviale de l’Allondon (Genève) ont déjà coûté 40 000 francs. Mais, très appréciées des jardiniers amateurs, ces deux plantes sont toujours vendues dans les garden centers. Les interdire rendrait difficile la collaboration des organismes de protection de la nature avec les professionnels de la branche verte. « On ne peut pas tout interdire tout de suite, souligne la botaniste d’Info Flora. On préfère opter pour la prévention, la sensibilisation et l’information. Cette année par exemple, les espèces de la watch-list et de la liste noire, vendues dans les jardineries, devront être étiquetées en tant que plantes potentiellement envahissantes incluant


Une menace réelle Les mesures actuelles mises en œuvre pour lutter contre les plantes envahissantes sont-elles suffisantes pour éviter leur prolifération au détriment des espèces indigènes et des cultures ? Il est permis d’en douter. « Même dans un environnement très jardiné, très propre et donc où l’on intervient rapidement, on peut avoir des problèmes », indique Sibyl Rometsch. Au chapitre des arbres d’ornement, le robinier, ou faux-acacia, risque d’envahir les prairies sèches et de menacer un cortège floristique diversifié contenant des espèces rares et menacées. Mais il ne s’agit pas seulement de protéger de jolies fleurs. Selon les experts, il est primordial de préserver le maximum de biodiversité, en particulier dans un contexte de changement climatique. Le réchauffement menace en effet la végétation de moyenne altitude en ouvrant aux plantes envahissantes des territoires jusque-là préservés. « On trouve déjà dans le monde des indices d’invasion en haute altitude, indique le professeur Antoine Guisan, dont l’équipe de recherche, au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, étudie le lien entre le climat et le potentiel d’invasion des plantes dans le cadre d’un projet soutenu par le Pôle de recherche nationale (NCCR) Survie des plantes, publié dans la prestigieuse revue Science. En s’établissant toujours plus haut, les plantes envahissantes menacent les pâturages : typiquement, la berce du Caucase empêche le bétail de paître. On est obligé de l’éradiquer

LES INVASIVES MENACENT LES RIVES DE LA VENOGE !

© Mathias Vust

des conseils d’utilisation. » Cette mesure découragera peutêtre les acheteurs informés de l’entretien exigeant nécessaire pour éviter leur propagation. « Une haie de laurier-cerise régulièrement taillée empêche la dissémination des fruits par les oiseaux. En coupant les inflorescences de l’arbre à papillons après floraison et avant la formation des fruits, on évite que les graines se répandent. Surtout, ces plantes ne doivent jamais être jetées sur un compost de jardin, à partir duquel elles arrivent à s’échapper. » La spécialiste insiste sur le devoir d’informer vendeurs et acheteurs de plantes d’ornement envahissantes. « L’ODE prévoit l’autocontrôle, l’information de l’acquéreur et le devoir de diligence, relève Sibyl Rometsch qui se réjouit en outre que Migros et Coop aient déjà renoncé à vendre une grande partie des espèces des listes. » Autre star chez les invasives, la verge d’or ou solidage. Cette espèce à fleurs jaunes, qui sert de garniture dans de nombreux bouquets, est une envahissante très répandue le long des voies de chemin de fer et talus de routes, mais également dans des réserves naturelles. Au gré de savantes sélections, on en a produit et cultivé des hybrides soi-disant stériles. Leur utilisation a été autorisée jusqu’à la fin de 2012, mais une étude commanditée par l’ODE révèle aujourd’hui que les hybrides ne sont pas ou que partiellement stériles. Les solidages ont donc été définitivement interdites.

Entre Cossonay et le Léman, l’impatiente glanduleuse et la renouée du Japon prolifèrent à grande vitesse sur les rives de la Venoge. Les chercheurs de l’UNIL les avaient déjà recensées en 2001. Aujourd’hui, ces espèces sont jusqu’à 11 fois plus abondantes. Pour l’impatiente, le nombre d’individus a augmenté de 1 130 % et de 540 % pour la renouée ! C’est ce que montre le mémoire d’un étudiant en master, Patrice Descombes, cosupervisé par le Dr Pascal Vittoz et Blaise Petitpierre, assistant du professeur Antoine Guisan au Département d’écologie et évolution. La présence de plantes envahissantes dans les zones alluviales est particulièrement préoccupante. Ces espaces, protégés par l’Office fédéral de l’environnement, doivent leur richesse et leur extrême biodiversité à l’alternance de sécheresse, d’inondation, d’érosion, d’alluvionnement. Plusieurs zones alluviales de Suisse sont déjà menacées par les voies de communication, l’extension des zones d’habitat ou l’endiguement des rives. Au bord de la Venoge, la menace est désormais aussi biologique ! Si la biodiversité est en péril, la gestion des rives pourrait tout autant devenir problématique. « La renouée du Japon pousse très bien : c’était d’ailleurs un argument de vente dans les garden centers, regrette Blaise Petitpierre. » Considérée comme l’une des 100 espèces les plus dangereuses au monde, cette plante (qui est désormais interdite) a tendance, comme la berce du Caucase, à créer une monoculture sur son passage. Plus encore, elle déstabilise les sols à cause de ses rhizomes, des tiges souterraines de plusieurs mètres qui croissent chaque année et passent l’hiver en dormance. Cette particularité la rend d’autant plus difficile à éradiquer. Les coupes régulières sont fastidieuses ; quant aux mesures chimiques, elles sont peu souhaitables et même interdites le long des cours d’eau. L’impatiente glanduleuse empêche quant à elle le rajeunissement des forêts et expose les talus, dénudés en hiver, à l’érosion. Les modèles de distribution des espèces de l’équipe du professeur Guisan « révèlent que beaucoup d’habitats encore épargnés par ces envahisseurs sont favorables à leur développement. Si rien n’est entrepris, leur prolifération va se poursuivre le long de la Venoge », conclut Blaise Petitpierre.

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BIOLOGIE

Berce du Caucase © Mathias Vust

et cela engendre des frais importants. » Autre espèce nuisible pour le bétail : le séneçon du Cap, qui contient des alcaloïdes très toxiques. Particulièrement abondant en bordure d’autoroute où il ne rencontre que peu de concurrents, le séneçon menace de migrer vers des zones en friche et de contaminer prairies et pâturages. « On le rencontre déjà en dehors des voies de communication dans certaines régions, par exemple au Tessin et à Genève, note Sibyl Rometsch. Heureusement dans une proportion raisonnable ! Mais son impact sur l’économie et la santé du bétail pourrait devenir problématique. Il s’agit maintenant d’agir. » Comment prévenir des problèmes ? Eradiquer systématiquement les envahissantes est le seul moyen de limiter leur dissémination. Pour définir les zones prioritaires, le professeur Antoine Guisan et son équipe ont développé une approche statistique prédictive pour anticiper, et donc permettre de contenir, leur prolifération. « Nous avons étudié la niche climatique de cinquante espèces envahissantes et observé que la plupart d’entre elles colonisent des régions qui leur offrent les mêmes conditions environnementales que dans leur aire native, explique Olivier Broennimann, premier assistant du professeur Guisan. En répertoriant sur le territoire suisse la présence d’une espèce invasive et en associant cette carte de répartition à un ensemble de conditions environnementales (ensoleillement, pluviométrie, température, etc.), nous pouvons définir les régions probables d’invasion. » Ces modèles de prédiction permettent aussi d’établir des scénarios en fonction des changements climatiques. Les chercheurs de l’UNIL, qui prévoient dans les six prochains mois de mettre à dis34

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ANTOINE GUISAN, BLAISE PETITPIERRE ET OLIVIER BROENNIMANN Professeur associé, assistant et premier assistant au Département d’écologie et évolution. Nicole Chuard © UNIL

position sur Internet leurs cartes de prédiction pour toutes les espèces de la liste noire, offrent ainsi un outil permettant non seulement de définir des priorités, mais aussi d’estimer l’augmentation des coûts d’arrachage, si on n’agit pas rapidement. L’ambroisie qui fait pleurer de nombreux Romands allergiques a presque été éradiquée dans certaines régions grâce à une obligation de lutte décidée contre elle. Peut-on espérer gagner le combat contre les plantes invasives ? Pour l’équipe Guisan, qui voit dans les invasions biologiques une expérience en cours à l’échelle mondiale, passionnante et terrifiante à la fois, c’est un peu le mythe de Sisyphe. « Mais on peut encore contenir les espèces envahissantes, anticiper et éviter leur prolifération, conclut le professeur Antoine Guisan. Ce n’est pas mon rôle de me prononcer sur la nécessité de préserver la biodiversité, mais si on ne le fait pas, on risque à terme de banaliser les flores et les paysages du monde entier. Chaque espèce a un rôle important à ne pas négliger. » A méditer en taillant son arbre à papillons… 

LA LUTTE S’ORGANISE

À LIRE PLANTES INVASIVES DE SUISSE. Par Ewald Weber. Rossolis (2013), 224 p. Les photos de plantes des p. 33 et 34 proviennent de cet ouvrage.

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Du 23 au 27 septembre 2013, la Maison de la Rivière de Tolochenaz met sur pied une semaine de lutte contre les plantes envahissantes pour les entreprises de la région. Le dimanche 29 septembre, une sortie ouverte à tous permettra d’en connaître davantage sur ce sujet préoccupant. L’action aura lieu dans la zone alluviale de l’Aubonne près d’Etoy. Informations www.maisondelariviere.ch et 021 802 20 75


« SI L’AMBROISIE PROLIFÈRE, LES CAS D’ALLERGIE SE MULTIPLIERONT »

Médecin, François Spertini explique que les allergies aux pollens des plantes exotiques ne constituent pas une préoccupation en termes de santé publique, dans le canton de Vaud. Mais le réchauffement climatique pourrait, à terme, changer la donne.

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es allergies aux plantes envahissantes, François Spertini les connaît bien et de près. Médecin-chef et professeur associé du Service d’immunologie et d’allergie au CHUV, il a lui-même fait la douloureuse expérience de la phototoxicité de la berce du Caucase. Pour rappel, cette plante est célèbre pour les brûlures qu’elle provoque. Mais le plus souvent, c’est au pollen des plantes que nous sommes allergiques. Un Romand sur cinq, voire sur quatre, souffre de rhume des foins.

leaux se répandent sur des kilomètres ; leur potentiel de créer une condition clinique est donc plus élevé. Parmi les plantes envahissantes, le pollen d’ambroisie est très agressif. En Amérique du Nord, c’est le problème numéro un.

être plus compliquées. Certains pollens sont peu allergisants, parce que peu volatils. Au contraire, d’autres comme les bou-

epantha / iStockphoto.com

Les plantes invasives sont-elles plus allergènes que les autres ? On peut être allergique à tout. Dans un système immunitaire qui a les caractéristiques génétiques pour faire une réaction, toute protéine peut engendrer l’apparition d’anticorps IgE, responsables d’une réponse inflammatoire. Mais l’efficacité avec laquelle la protéine d’un pollen est reconnue comme allergène dépend de conditions qui peuvent

En Suisse, c’en est aussi un, non ? Une cartographie montre en effet que l’ambroisie a envahi notre pays, notamment du côté de Genève. Mais je dois dire que dans ma pratique, le nombre de patients sensibles à l’ambroisie n’est pas très élevé ; la plupart d’entre eux sont des migrants qui y étaient déjà allergiques. Il m’arrive de constater sur des tests cutanés que des patients sont sensibles à cette plante, mais pour l’instant je ne suis pas impressionné – heureusement d’ailleurs ! – par l’expression clinique de ces allergies. Mes collègues genevois ne font pas le même constat, mais je suspecte que beaucoup de leurs patients viennent de pays où ils ont été sensibilisés. L’allergie à l’ambroisie n’est pas très fréquente chez nous. Pour le moment, nous n’avons pas une charge de pollen suffisante pour qu’elle soit manifeste. On s’est quand Allez savoir !

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même beaucoup occupé à arracher cette plante ! Ça pourrait changer… Bien sûr. Il n’y a pas de raison que l’on soit moins allergique que les Canadiens ou les Américains. Si l’ambroisie prolifère, les cas d’allergie se multiplieront aussi. Mais il y a aussi d’autres plantes exotiques dans nos jardins dont les pollens se surajoutent. Par exemple, on commence à planter des oliviers qui « cross-réagissent » avec le frêne parce que leurs pollens sont pratiquement identiques. Tous ces pollens additionnels n’ont pas de propriété plus dramatique que ceux de nos braves arbres, mais on les rencontrera certainement plus souvent si un réchauffement climatique significatif s’installait. Il me semble qu’on n’en est pas encore là, mais c’est vrai que je ne suis pas du genre à voir la vie en noir. Le poids de ces nouveaux allergènes sur la santé publique ? Pour l’instant, aucun. En tout cas, dans ma pratique, je n’ai pas le sentiment que cela ait augmenté le nombre de patients ou la gravité des maladies. Le haut du pavé, ce sont toujours les arbres régionaux, les graminées, et quelques mauvaises herbes, incluant l’armoise, les solidages, mais aussi les chénopodes, une espèce indigène qui pollinise abondamment en septembre et octobre.  MR

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RÉGULATION

EXTENSION DU DOMAINE DE LA

NORME Les normes internationales de type ISO réélaboration n’implique pourtant que rarement l’UNIL, le projet Internorm tente de répondre 36

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gissent de nombreux aspects de notre vie quotidienne. Leur les consommateurs ou la société civile en général. Mené à à cette lacune. TEXTE DAVID SPRING


Š tsaplia-Fotolia.com


Le projet Internorm www.unil.ch/vei/page85912.html

RÉGULATION

DANIELLE BÜTSCHI HÄBERLIN, ALAIN KAUFMANN ET MARC AUDÉTAT Membres du comité de pilotage d’Internorm. Nicole Chuard © UNIL

S

i le magazine que vous tenez entre les mains mesure 21 par 29,7 centimètres, c’est parce qu’il répond à ISO 216, qui définit les formats des feuilles de papier. L’article que vous lisez a été rédigé à l’origine dans un fichier dont le nom se termine en .docx. Derrière ces 4 signes se niche ISO/IEC 29 500, à l’histoire étonnante (lire en p. 40). Supposons ensuite que vous souhaitiez envoyer Allez savoir ! par la poste. Le glisser dans une enveloppe B4 (ISO 269) est la meilleure option. Le domaine de la norme s’étend partout, du filetage des boulons (ISO 261 et 262) aux dimensions des cartes de crédit et des cartes SIM (ISO/IEC 7 810). Mais également hors des questions techniques : le management de la qualité (ISO 9 000) ou la responsabilité sociétale des organisations et des entreprises (ISO 26 000) sont concernés. Sans oublier la sécurité de la chaîne alimentaire, des vêtements pour enfants, des automobiles, ainsi que sur les chantiers de construction, etc. Basé à Genève, le secrétariat central de l’International Organization for Standardization ne compte guère plus de 150 employés. Mais les normes elles-mêmes, fruits de consensus, sont élaborées sur une base volontaire et selon un système de milice par des dizaines de milliers d’experts issus de l’industrie, de l’économie, des administrations et – très peu – de la société civile. Ces armées de 38

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1  9 573 LE NOMBRE DE NORMES ISO EXISTANTES, AU 31 DÉCEMBRE 2012.

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l’ombre se réunissent dans des comités techniques ad hoc aux quatre coins du monde. « Les normes internationales sont typiques des nouvelles formes de régulation, situées à cheval entre les secteurs public et privé, explique Jean-Christophe Graz, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques et responsable du projet Internorm. Méconnues, elles possèdent néanmoins une importance croissante dans la mondialisation. » Une économie aussi interconnectée que la nôtre ne saurait en effet fonctionner comme elle le fait sans la « grammaire » commune que constituent ces documents de référence. Lors d’une journée consacrée à ce sujet le 18 mars dernier à l’UNIL, Christophe Perritaz, chef du secteur mesures non tarifaires au SECO, rappelait que « l’article 2.4 de l’OMC sur les entraves techniques au commerce oblige les Etats signataires à prendre en compte les normes internationales lorsqu’ils éditent des normes techniques nationales ». Mobiliser les consommateurs Et nous, là-dedans ? « Le domaine de la normalisation est assez hermétique à la participation de la société civile, sous le prétexte du manque d’expertise technique de celle-ci », explique Christophe Hauert, doctorant en Sciences sociales et politiques et membre du comité de pilotage d’Internorm. Ce dernier, créé dans le cadre de « Vivre ensemble dans l’incertain » (VEI), un programme de l’UNIL qui relie la recherche académique avec les préoccupations de la population, vise justement à combler un déficit démocratique en mobilisant les syndicats, les PME et les associations. Le but consiste à les faire accéder aux « arènes de la normalisation ». Le sol de ces dernières n’est toutefois pas recouvert de sable mais de moquette, car il s’agit plus prosaïquement des salles de réunion où les discussions se déroulent et où les décisions se prennent. Déjà active dans ce secteur, la Fédération romande des consommateurs (FRC) s’est logiquement jointe aux partenaires du projet (dont la liste se trouve sous www.unil.ch/ vei/page85918.html). « Les normes internationales sont élaborées pour les clients, mais sans eux, remarque Mathieu Fleury, secrétaire général. Dans ce domaine, le grand public ne joue pas un rôle équivalent à son poids économique. En Suisse, par exemple, la consommation privée repré-


sente ainsi 60 % du PIB. De plus, pour que le marché fonctionne, il faut que les consommateurs aient confiance. La normalisation y contribue. » Cette dernière constitue un énorme marché, puisque les spécifications techniques sont vendues. Sans oublier le business de la certification, qui consiste à d’abord conseiller sur les moyens de les mettre en œuvre, puis vérifier leur application réelle. Comment entrer dans la danse ? Il faut commencer par collaborer aux travaux à l’échelle de notre pays. Internorm est ainsi membre de l’Association suisse de normalisation (SNV) et participe à deux comités techniques, l’un consacré au tourisme et l’autre aux nanotechnologies. Chacun d’eux possède un équivalent au niveau international, qui répondent respectivement aux doux noms de TC228 et TC229. A la fin de 2012, l’ISO recensait ainsi 224 comités techniques actifs à travers le monde, sans parler d’une myriade de sous-groupes, qui travaillaient sur un peu plus de 4 000 documents dans tous les domaines de la Création… S’équiper pour l’arène Officiellement, la société civile est la bienvenue dans les « arènes ». L’ISO fait des efforts en ce sens. « Nous avons davantage affaire à un déficit de participation qu’à un déficit démocratique, selon Urs Fischer, membre de la direction de la SNV. Car nous avons mis en place les procédures qui permettent un accès large. Mais cela exige du temps : pour se préparer et pour assister aux réunions. » Comment Internorm équipe-t-il ses gladiateurs modernes ? D’abord avec de l’information et de l’analyse. Un solide travail de décodage, réalisé à l’UNIL, a été nécessaire. En effet, avec ses groupes et sous-groupes, plus son vocabulaire très particulier, la planète ISO requiert l’apprentissage de son fonctionnement. Ce milieu génère une montagne de textes techniques, dans lesquels il faut repérer les éléments importants, sur lesquels la société civile a des chances d’obtenir un résultat. Pour cela, « nous avons fourni une veille et des compétences d’experts pour les deux domaines choisis pour le projet », explique JeanChristophe Graz. Dans son bureau situé au 4e étage du bâtiment Géopolis, où est installée la Faculté des sciences sociales et politiques, Christophe Hauert fait défiler à l’écran les 26 pages du document ISO 21 101 (Tourisme d’aventure – Systèmes de management de la sécurité – Exigences), encore en développement. « Nos partenaires de la FRC nous ont fait remarquer que ce genre d’activité ne concernait pas seulement les loisirs, mais également les ressources humaines, à l’occasion par exemple d’exercices de team-building. Il faut le prévoir dans le texte pour anticiper les cas d’accidents. » Cet exemple a priori évident montre l’importance de faire émerger les questions du terrain lors les discussions parfois stratosphériques des comités techniques. Pour être traités, les commentaires et les amendements issus des délégations nationales doivent être préparés se-

CHRISTOPHE HAUERT ET JEANCHRISTOPHE GRAZ Chargé de projet au comité d’Internorm. Responsable du projet. Nicole Chuard © UNIL

lon une procédure précise. Ces points sont ensuite discutés lors de sessions plénières internationales. En moyenne, 18 séances de travail autour de l’élaboration de nouvelles normes ISO se sont tenues chaque jour ouvrable de 2012, quelque part dans le monde. « Il est indispensable d’être présent et bien préparé lors des réunions, afin de défendre son point de vue. Même si les représentants de l’industrie dominent largement en nombre en ces occasions, nous pouvons obtenir des résultats », soutient Christophe Hauert. Les discussions se poursuivent dans les couloirs, avec une bonne dose de lobbying : littéralement, une visite des coulisses de la mondialisation. Qui donne parfois le vertige : « Vous pouvez vous retrouver à Séoul, en compagnie d’une dizaine de personnes, à élaborer des normes qui vont toucher beaucoup de monde dans le domaine du tourisme. Même avec des moyens limités, il est donc possible d’exercer une influence », note Jean-Christophe Graz. Qui nuance aussitôt : « Pour autant que l’on ne touche pas à quelques tabous, comme la question des étoiles dans l’hôtellerie par exemple ! » Depuis son lancement au printemps 2011, Internorm a ainsi participé à 29 jours de séance. L’aspect financier compte également : il faut s’acquitter de cotisations à quatre chiffres pour accéder aux « arènes », qu’elles soient nationales ou internationales. Sans par-

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RÉGULATION

ler des frais de déplacement et d’hébergement quand les rencontres ont lieu au bout du monde. Au début de mars 2013, c’est à Mexico que s’est réuni le TC 229. Marc Audétat, membre du comité de pilotage Internorm et propulsé chef de la délégation suisse en l’absence d’autres représentants, était accompagné par Huma Khamis Madden, spécialiste des nanotechnologies et responsable des tests comparatifs au sein de la FRC. Ces derniers sont justement régis par… des normes ISO. Signaler les nanomatériaux L’une des sessions portait sur l’élaboration de ISO/PRF TS 13 830, soit l’étiquetage volontaire des produits par les industriels. « Le consommateur aimerait bien savoir si ce qu’il achète contient des nanomatériaux », soutient Huma Khamis Madden. La scientifique souhaite que la description de la nanoparticule, ainsi que sa plus-value, soient clairement indiquées. « Notre souci porte sur les objets dont l’étiquetage n’est pas obligatoire, ou vague, comme les vêtements. » Prenons l’exemple d’un T-shirt traité avec des nanoparticules d’argent, à l’action bactéricide. Celles-ci entrent directement en contact avec la peau. Et au fil des lavages, une partie d’entre elles partent dans les eaux usées, ce qui pose des questions environnementales. Au Mexique, l’équipe d’Internorm a trouvé des alliés au sein de la délégation des Etats-Unis. Ainsi que du côté de l’industrie cosmétique allemande, très en pointe, qui souhaite obtenir des standards élevés pour maintenir son avance. Mais « c’est un travail de longue haleine, qui demande de la patience », ajoute Huma Khamis Madden. Un marathon parfois difficile à défendre pour une association aux moyens limités. « Nous devons des comptes à nos adhérents, pour qui ces questions semblent lointaines », remarque Mathieu Fleury.

MONDIALISATION Le port de Beyrouth. Les dimensions des différents containers destinés au transport des marchandises sont précisés dans deux normes ISO. © Mohamed Azakir / Reuters

Prévu pour durer trois ans, Internorm arrive à son terme l’an prochain. Sa pérennisation est toutefois souhaitée par les associations partenaires, pour qui il représente « de l’or en barres », comme l’image Huma Khamis Madden. Grâce à l’expertise accumulée, la plateforme a déjà démontré que la société civile pouvait accéder aux arènes de la normalisation, pour y débattre de questions qui touchent tout le monde. Il reste maintenant la seconde manche. Afin de capitaliser sur les acquis de ce projet et de ne pas briser sa dynamique participative, l’équipe est en train de passer le relais au monde politique pour la mise en place d’une structure pérenne de représentation des associations de la société civile dans les arènes de normalisation en Suisse. 

MON ROYAUME POUR UNE NORME

Paru en mars 2013 et dirigé par JeanChristophe Graz et Nafi Niang, l’ouvrage Services sans frontières s’intéresse à la normalisation dans le secteur tertiaire. Plusieurs études de cas, dont celui du XML, sont présentées. Ce langage informatique, développé dans les années 90, permet de décrire n’importe quel ensemble de données et facilite l’échange de ces dernières. Evolutif, le XML est hautement interopérable. A l’époque, la suite Office de Microsoft dominait la bureautique. Ses formats de fichiers propriétaires, comme le célèbre « .doc », étaient des standards mondiaux par défaut. De leur côté, Sun Microsystems et IBM soutenaient l’ouverture, dans le droit fil de la philosophie open source.

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Racontée en détails dans l’ouvrage, une lutte entre ces géants de l’informatique s’engagea sur le terrain de plusieurs arènes de normalisation. La première manche fut remportée par IBM et ses alliés, avec l’adoption du format de fichier bureautique ouvert ODF par l’ISO, en 2006 (norme 26300). Mais à la fin de 2006, une autre agence de normalisation, l’Ecma, admit le format concurrent réalisé par Microsoft : l’OfficeOpenXML. Après un intense lobbying, une importante polémique et plusieurs procédures judiciaires, la firme de Redmond réussit ensuite à faire reconnaître son format en tant que norme ISO (29500) au printemps 2008. Deux standards coexistent ainsi. Les auteurs de l’ouvrage relèvent que « c’est le modèle d’affaires de la bureautique d’entreprise pour les prochaines années qui s’est joué ».

SERVICES SANS FRONTIÈRES. Sous la direction de Jean-Christophe Graz et Nafi Niang. Presses de Sciences Po (2013), 396 p.


RÉFLEXION

S’ENGAGER POUR LA FORMATION SANS SE QUERELLER CHRISTINE BULLIARD-MARBACH

Conseillère nationale (PDC / Fribourg) Commission de la Science, de l’Education et de la Culture (CSEC)

L’

équilibre entre la formation professionnelle et la formation académique sera au centre des débats du Parlement fédéral dans les cinq prochaines années. La question n’est pas nouvelle, mais le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann l’a placée au sommet de la liste des priorités l’automne dernier, en estimant que moins nous aurions de titulaires d’une maturité fédérale, moins nous aurions de chômage. Cette déclaration présente de nombreux défauts. Elle ne repose sur aucune donnée statistique, elle occulte la pénurie de main-d’œuvre hautement qualifiée dont nous souffrons et elle atrophie l’un des deux piliers incontestables de la réussite du modèle économique suisse. Mais cette déclaration a un grand mérite : elle nous oblige à trouver enfin l’équilibre entre formation professionnelle et formation académique. L’opinion publique suisse a tendance à valoriser la formation professionnelle et à se méfier de la formation académique. On pourrait en déduire que la politique fédérale doit mieux soutenir la voie académique. Pourtant, au niveau du degré tertiaire, les messages pluriannuels de la Confédération valorisent déjà bien mieux la formation académique. Un exemple ? Les étudiants suisses continuent de bénéficier de taxes d’études raison-

nables – et c’est très réjouissant – tandis que les jeunes qui s’engagent dans une formation professionnelle supérieure paient des montants importants pour se qualifier en cours d’emploi et alors même qu’ils viennent de fonder une famille.

LA FORMATION EST L’INVESTISSEMENT LE PLUS DURABLE QUE NOTRE PAYS PEUT FAIRE POUR L’AVENIR.

Double langage Alors que la rue dévalorise la formation académique, la politique fédérale dévalorise la formation professionnelle. Ce double langage nous empêche trop souvent d’y voir clair et de comprendre que notre modèle est enviable grâce aux deux filières réunies – et grâce aux passerelles que nous jetons entre elles chaque jour. Face à ce constat, on ne peut tirer qu’une conclusion politique. Il faut mieux soutenir la formation professionnelle supérieure dans le prochain message sur l’encouragement de la formation et continuer à répondre aux besoins de la formation académique en formant toujours autant de gymnasiens puis d’universitaires, voire un peu plus. C’est dans ce sens que j’ai soutenu durant la session de printemps 2013 une motion de mon collègue Matthias Aebischer (PS, Berne). Nous demandons à la Confédération d’augmenter sa participation à la préparation des examens fédéraux et des examens fédéraux supérieurs – dont le coût

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moyen pour les étudiants oscille entre 10 000 et 15 000 francs pour un brevet ou une maîtrise fédérale. Cette revendication est pleinement justifiée, même si la formation professionnelle doit améliorer sa transparence avant d’être plus largement subventionnée. Mais l’ouverture de cette bataille en implique pour moi une autre, tout aussi importante : il faut empêcher que la valorisation politique de la formation professionnelle se fasse au détriment de la formation académique. La formation comme un tout Nous, politiciens de la formation supérieure, devons la défendre comme un tout. Nous devons valoriser la formation professionnelle, mais rappeler aussi la grande valeur de nos hautes écoles universitaires et l’importance que revêt, pour un petit pays comme le nôtre, la capacité à former des élites scientifiques, économiques, politiques, sociales, culturelles et diplomatiques. Avec la recherche et l’encouragement de l’innovation, la formation est l’investissement le plus durable que notre pays peut faire pour l’avenir. Il nous revient de la défendre avec ardeur face aux autres responsabilités de la Confédération. Et d’opposer aux querelles de clochers entre formation professionnelle et formation académique une fin de non-recevoir. 

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La Faculté des géosciences et de l’environnement www.unil.ch/gse

ÉNERGIE

ANGLETERRE

Ces installations d’extraction du gaz de schiste appartiennent à la société Cuadrilla. © Matthew Lloyd/Intermittent/getty images

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GAZ DE SCHISTE

ELDORADO ÉNERGÉTIQUE OU DÉSASTRE ENVIRONNEMENTAL ? Promesse inespérée d’une énergie bon marché, pour ses partisans. Grave menace écologique, selon ses détracteurs. Exploité à large échelle aux Etats-Unis, le gaz de schiste suscite de vives polémiques en Europe. Son extraction aura-t-elle un gros impact sur l’environnement ? Pour les scientifiques, il est encore difficile de le dire. TEXTE ÉLISABETH GORDON

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ÉNERGIE

gisements dans son sous-sol, le pays « se voit déjà comme l’Arabie saoudite de l’Europe en la matière », précise en souriant Suren Erkman, professeur d’écologie industrielle à la Faculté de géosciences et de l’environnement de l’UNIL. L’Allemagne semble prête à s’engager dans cette voie, puisqu’en février dernier le gouvernement d’Angela Merkel a annoncé le dépôt d’un projet de loi pour autoriser l’exploitation de cette ressource. La Grande-Bretagne s’est déjà lancée dans l’exploitation. En revanche, la France, qui disposerait des plus importantes réserves du continent, a voté en juillet 2011 une loi interdisant la principale technique d’extraction, la fracturation hydraulique.

V

a-t-on vers un âge d’or du gaz de schiste ? L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que, d’ici à 2035, cet hydrocarbure dit « non conventionnel » représentera près de 30 % de la production mondiale de gaz. La ruée vers cette nouvelle ressource énergétique a commencé il y a plusieurs décennies aux Etats-Unis, mais depuis l’an 2000, son exploitation a explosé. Du Dakota du nord au Texas, de la Californie à la Pennsylvanie, le paysage se couvre de forages. On compte aujourd’hui « des dizaines de milliers de puits », constate Michel Jaboyedoff, géologue et professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL. Grâce à la richesse de son sous-sol, les Etats-Unis seront en 2015 le premier producteur de gaz au monde, selon l’AIE. En outre, avec leur huile de schiste, ils deviendront même, entre 2017 et 2020, le premier producteur de pétrole, devançant l’Arabie saoudite. Autant dire que les Etats-Unis sont en bonne voie d’accéder au Graal de l’indépendance énergétique.

SUREN ERKMAN Professeur associé à la Faculté de géosciences et de l’environnement. Nicole Chuard © UNIL

Avis divergents en Europe En Europe, la production n’a pas encore démarré et les avis divergent sur la nécessité de lancer l’exploitation de ce nouvel or noir. La Pologne, pays le plus pro-gaz de schiste, a déjà effectué une trentaine de forages sur trois sites. Dopé par les estimations de l’AIE qui prévoit la présence d’énormes 44

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Des dizaines de milliards de mètres cubes en Suisse Qu’en est-il en Suisse ? La géologie laisse entrevoir la présence de gaz de schiste « dans le bassin molassique qui se trouve sous le plateau », précise Michel Jaboyedoff. Faute de forages exploratoires, on ne connaît pas exactement l’étendue des ressources. Toutefois, à en croire le directeur de Gaznat, René Bautz, cité par Le Temps, « le potentiel se chiffre en dizaines de milliards de mètres cubes, alors que la consommation annuelle de gaz en Suisse représente 3 milliards de mètres cubes ». Le Conseil fédéral ne s’est pas prononcé. Il est vrai que « la décision est du ressort des cantons », rappelle le géologue de l’UNIL. C’est ainsi que, en septembre 2011, le canton de Vaud a voté un moratoire sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. « La situation est un peu moins claire dans le canton de Fribourg. » Celui-ci avait en effet décidé, en avril 2011, de geler les permis de recherche, mais actuellement « il semble que les discussions à ce sujet aient repris ». Un problème économique et politique La problématique des gaz de schiste est « éminemment économique et politique », souligne Michel Jaboyedoff. « Il ne fait pas de doute, renchérit son collègue Suren Erkman, qu’il y a actuellement dans le monde une énorme soif d’hydrocarbures fossiles. On n’en a jamais autant consommé qu’aujourd’hui et la tendance se poursuit avec l’extension du système industriel à l’échelle planétaire. » Comme on a épuisé les ressources, de gaz comme de pétrole, les plus faciles d’accès, il est normal que l’on s’intéresse de plus en plus aux ressources non conventionnelles. « C’est structurellement inscrit dans la logique de la dynamique actuelle. » Sans compter les enjeux géopolitiques. Grâce à ces nouvelles ressources fossiles, certains pays pourront acquérir leur indépendance énergétique. Ce sera bientôt le cas des Etats-Unis, « qui ont déjà un gaz beaucoup moins cher que les Européens, constate Suren Erkman. Grâce au bas coût de leur énergie, qui est un élément-clé en la matière, le pays pourrait rapatrier des unités de productions sur son sol et redevenir une grande puissance industrielle. » Ces considérations n’empêchent pas le spécialiste d’écologie industrielle de plaider pour le développement des


énergies renouvelables. « Ce sera le gaz de schiste, plus les renouvelables, auxquels il faut ajouter les économies d’énergie », dit-il. Gaz bloqué dans la roche-mère Du point de vue économique, résume Suren Erkman, « la logique de l’exploitation du gaz de schiste est implacable ». Il n’en va pas de même sur le plan de l’environnement, car la technique utilisée pour extraire ces hydrocarbures non conventionnels soulève de nombreuses interrogations et suscite beaucoup de craintes. Chimiquement parlant, le gaz de schiste et le gaz naturel traditionnel sont identiques : ils sont principalement constitués de méthane. En outre, tous deux résultent de la décomposition de la matière organique qui s’est faite au cours des millénaires, sous l’effet de la chaleur et de l’accumulation de sédiments. La grande différence vient de la « réserve dans laquelle ces différents gaz se trouvent », explique Michel Jaboyedoff. Celui que nous consommons actuellement « s’est formé dans

une roche-mère perméable. Il a ensuite migré jusqu’à ce qu’il atteigne un piège – un pli dans le terrain ou une faille – dans lequel il est stocké. C’est là que se situe le gisement. » En revanche, le gaz de schiste a pris naissance « dans une roche-mère qui est trop étanche pour qu’il puisse en partir et il est resté bloqué dans ses micropores ». Pour l’extraire, il est donc nécessaire de casser la roche.

TECHNIQUE

LA FRACTURATION HYDRAULIQUE NÉCESSITE D’ÉNORMES QUANTITÉS D’EAU.

La fracturation hydraulique La seule technique disponible actuellement pour le faire est la fracturation hydraulique. Elle consiste à forer un puits vertical à l’extrémité duquel part un faisceau de puits horizontaux. On y injecte de l’eau sous pression dans laquelle on met du sable dont les grains s’introduisent dans les fissures et « les empêchent de se refermer », précise le géologue. On ajoute au mélange des adjuvants chimiques pour éviter que l’eau, le sable et le gaz ne forment de la mousse. Une fois la roche cassée, le gaz peut alors s’échapper et, après pompage de l’eau, il remonte en surface où il est récupéré.

L’EXPLOITATION DU GAZ DE SCHISTE

Les réserves mondiales de gaz de schiste représenteraient plus de quatre fois les ressources de gaz conventionnel

Forage de gaz non conventionnel

Forage de gaz conventionnel Réservoirs faciles d’accès par le biais d’un forage vertical

Les gaz sont piégés dans des couches accessibles uniquement par forage horizontal

Eau usée, traitée avant réutilisation

4

Stockage du gaz et acheminement vers un pipeline

Gaz

1

Eau

3 10 à

Tubage cimenté pour éviter la contamination des nappes phréatiques

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2

Fracturation hydraulique

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Schiste

Fissure Gaz naturel

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Source : IFP Énergies nouvelles

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Injection d’un mélange d’eau, de sable et d’additifs chimiques à haute pression pour fracturer la roche

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Mélange

Le sable maintient les fissures ouvertes: le gaz est libéré et remonte naturellement à la surface Allez savoir !

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Sable

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ÉNERGIE

C’est cette méthode qui focalise toutes les critiques. Elle nécessite en effet « d’énormes quantités d’eau – des millions de litres par forage – qui doivent être ensuite évacuées et retraitées », explique Michel Jaboyedoff. En outre, les produits chimiques utilisés peuvent se disséminer dans les nappes phréatiques et les polluer. Une autre préoccupation concerne les fuites de méthane, un gaz à effet de serre qui contribue, de manière encore plus intense que le CO2, au réchauffement climatique. Des chercheurs américains de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) et de l’Université du Colorado ont d’ailleurs mesuré les rejets de ce gaz dans l’atmosphère aux abords d’un champ gazier dans l’Utah. Ils ont ainsi constaté que les forages laissent fuir 9 % du méthane récupéré pendant leur durée d’exploitation.

ÉTATS-UNIS

Travailleurs sur le site de Towanda, en Pennsylvanie. © Mark Thiessen / National Geographic Stock

Risque de séisme La fracturation, par sa brutalité, pourrait aussi provoquer des séismes. Cela s’est déjà passé, à en croire un article récent publié par des chercheurs américains dans Geology. Ils estiment que l’injection, répétée pendant plusieurs années, de fluides usés de fracturation dans le sous-sol est à l’origine du tremblement de terre d’une magnitude de 5,7 qui a ébranlé la petite ville de Prague dans l’Oklahoma, en novembre 2011. Tous ces arguments expliquent les inquiétudes, largement répandues en Europe et notamment en Suisse, à propos de la fracture hydraulique et, au-delà, de l’exploitation des gaz 46

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et huiles de schiste. D’autant que le documentaire américain Gasland, diffusé l’année dernière et qui a présenté une vision apocalyptique des impacts environnementaux des forages aux Etats-Unis, a mis le feu à l’huile de schiste. Une diabolisation ? Toutefois, à en croire les deux professeurs de l’UNIL, la situation n’est pas forcément aussi catastrophique qu’il y paraît à la vision de ce film. Les problèmes largement évoqués dans Gasland sont « essentiellement dus à des dysfonctionnements des exploitations et à des malfaçons », selon Michel Jaboyedoff. Certes, aux Etats-Unis, il y a eu des fuites de méthane, mais le géologue estime qu’elles « ont été malgré tout peu nombreuses compte tenu du grand nombre de puits forés dans le pays. Ceux-ci ne diffèrent d’ailleurs pas fondamentalement des puits conventionnels qui, eux aussi, peuvent fuir. » Suren Erkman ajoute que les forages pétroliers traditionnels « consomment, eux aussi, de gigantesques quantités d’eau et qu’ils utilisent des additifs chimiques, surtout lorsque leur exploitation arrive en fin de vie ». Selon lui, on a « diabolisé le gaz et l’huile de schiste par rapport aux hydrocarbures conventionnels ». Une activité opaque qui déclenche des peurs Il est vrai que le sujet est devenu très émotionnel. « Idéologique », préfère dire Suren Erkman. En tant que scienti-


fique, il estime ne pas pouvoir affirmer que « l’exploitation du gaz de schiste est globalement plus polluante que celle des hydrocarbures conventionnels ». L’un des nœuds du problème réside en effet dans l’opacité qui entoure cette activité aux Etats-Unis, le seul pays où elle se pratique déjà à grande échelle. « Les procédés mis en œuvre sont considérés par les entreprises comme des secrets industriels et l’on ne sait pas ce que celles-ci emploient comme produits chimiques. Le Congrès américain en a bien obtenu une liste, mais il n’y est pas précisé quel composé est utilisé dans quel cas et dans quelle proportion. La moindre des choses serait d’obtenir des informations précises et factuelles. » Manque de données scientifiques Le manque de transparence du secteur explique aussi un autre paradoxe : il est pour l’instant difficile de se prononcer sur les conséquences écologiques de l’exploitation des gaz de schiste. « Ce qui me frappe dans ce dossier, dit Suren Erkman, c’est que l’on a peu d’informations à ce sujet. Nous avons étudié la littérature scientifique et, honnêtement, la conclusion qui s’impose est que nous n’avons pas de données sérieuses et fiables qui nous permettraient d’évaluer scientifiquement l’ensemble des impacts sur l’environnement. » C’est notamment le cas des rejets de gaz à effet de serre (notamment du CO2) dans l’atmosphère. « Certains prétendent que l’exploitation des gaz de schiste diminue les émissions de ces gaz, alors que d’autres affirment au contraire qu’elles sont catastrophiques. » Suren Erkman et ses collègues, en collaboration avec le Laboratoire d’énergétique industrielle de l’EPFL et d’un chercheur polonais, ont donc étudié la question en Pologne. Les résultats ne leur ont pas permis de trancher. « Il y a tellement d’incertitudes sur les différentes phases du processus d’extraction et tant de données approximatives que, pour le moment, on n’arrive pas à conclure de manière claire. Notre étude semble montrer que les émissions de gaz à effet de serre sont plus élevées dans le cas des gaz et huile de schiste, mais ce n’est encore qu’une hypothèse en attente de confirmation. » La nécessité d’un monitoring Si l’Europe voulait avancer dans ce domaine, la première chose à faire, selon Suren Erkman, serait donc « de rendre obligatoire un monitoring systématique des impacts environnementaux du gaz de schiste, c’est-à-dire de mesurer tous les flux de matière et d’énergie qui sont associés à l’ensemble de son cycle de vie ». Michel Jaboyedoff insiste aussi sur la nécessité de s’assurer « qu’au-dessus de la roche-mère, il y ait bien une couche étanche qui servirait de protection naturelle et éviterait au gaz de s’échapper vers la surface. Sinon, l’exploitation est à bannir, les risques étant trop grands pour les années et/ou les milliers d’années à venir. » Il préconise donc l’établissement d’une « régulation » en la matière.

MICHEL JABOYEDOFF Professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement. Nicole Chuard © UNIL

Comment améliorer les techniques d’extraction Les deux spécialistes plaident aussi en faveur du développement de la recherche, notamment l’étude de techniques alternatives à la fracturation hydraulique. Plusieurs pistes sont étudiées actuellement dans différents laboratoires. Une possibilité serait de remplacer l’eau par des hydrocarbures comme le propane, ou même par du CO2 ; une autre serait de désagréger la roche-mère par les ondes de choc engendrées par des arcs électriques. « Si l’on se donnait les moyens d’améliorer les techniques d’extraction, je suis sûr que l’on pourrait obtenir de bons résultats, car jusqu’ici, constate Suren Erkman, les exploitants américains ont agi de manière très brutale. » A condition qu’il y ait une volonté politique de collecter les données et d’agir dans la transparence, le professeur de l’UNIL n’a « aucun a priori de principe » concernant le gaz de schiste. « L’un des intérêts de cette problématique, c’est qu’elle nous confronte à nos responsabilités. Dans la mesure où nous n’avons pas envie de changer profondément notre style de vie, souligne-t-il, nous devons en assumer les conséquences. » C’est aussi l’avis de Michel Jaboyedoff qui estime « inéluctable » que les pays d’Europe se lancent dans l’exploration et l’exploitation de leurs ressources en hydrocarbures non conventionnels. Le gaz de schiste n’a donc pas fini d’enflammer les esprits. 

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Les universités peuvent verser leur contrepartie soit en argent frais, soit in kind, en nature. Sont concernés les projets financés par le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation, via la Conférence universitaire suisse ou à travers les projets spéciaux du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Plusieurs grands programmes sont financés selon ce modèle. SystemsX.ch, projet national en biolo-

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joint à l’unité Recherche et relations internationales de l’UNIL. Il en va tout autrement sur le plan national. En Suisse, les matching funds sont monnaie courante dans le paysage académique. Le principe est consacré au niveau juridique. La Loi fédérale sur l’aide aux universités, la LAU, précise que la Conférence universitaire suisse (CUS) est habilitée à soutenir des projets, monnayant une contribution au moins égale de la part des institutions bénéficiaires. « Il s’agit véritablement d’une spécificité suisse. Je ne connais pas d’autre pays qui pratique ce mode de financement en tant qu’obligation légale », affirme Renzo Restori.

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es matching funds ont récemment fait un passage médiatique remarqué, dans la foulée du « Human brain project ». Piloté par l’EPFL, ce projet de recherche géant sur le cerveau – il rassemblera plus de 80 pays et instituts de recherche, dont l’équipe du professeur Richard Frackowiak à l’UNIL – a décroché un financement d’un demi-milliard d’euros de la part de l’Union européenne. Les pays qui participent au Human brain project débourseront le même montant de leur poche, d’où l’appellation matching funds. Côté suisse, la Confédération versera 75 millions de francs pour la période 2013-2017. Le canton de Vaud participera en nature, via la construction du bâtiment Neuropolis sur le campus de l’UNIL, pour un montant de 35 millions. Ce mode de financement constitue une rareté dans le monde des projets académiques internationaux. « C’est un cas tout à fait exceptionnel. Il existe certes des accords entre l’Europe et les gouvernements, où ces derniers paient pour participer à un projet qu’aucun Etat ne peut réaliser seul. Dans ces cas de figure, dont le CERN est emblématique, l’UE détermine et gère les contributions des gouvernements, selon une clé de répartition spécifique. Mais on ne peut pas parler de matching funds, à moins de vouloir en faire un outil de communication », explique Renzo Restori, ad-

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gie des systèmes, reçoit à lui seul 50 millions de francs sur 4 ans. Des montants identiques sont attribués à Nano-Tera.ch, grande recherche sur les nanotechnologies. Autre exemple, les pôles de recherche nationaux du FNS, dans lesquels s’inscrit le programme sur les parcours de vie LIVES, piloté à l’UNIL par le professeur Dario Spini. Cette allocation de fonds aux grands projets risque-t-elle de se faire au détriment d’autres pans de la recherche, moins visibles ? Renzo Restori en doute. « La CUS a certes un budget limité, mais on sait d’avance comment sont réparties les tranches entre les investis-

sements de base et les projets spéciaux. Même situation au FNS où la répartition entre les différents outils d’incitation à la recherche respecte un certain équilibre. » Autre argument : les matching funds financent aussi des projets plus petits. En témoigne la réforme de la Faculté de théologie des Universités de Lausanne, Neuchâtel et Genève ou le transfert du département de géologie de l’UNINE vers l’UNIL.  RENATA VUJICA

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Non, ce n’est pas le nom d’un nouveau produit financier. Les « matching funds » désignent un mode de financement particulier de projets académiques : lorsqu’une institution alloue des fonds à un projet de recherche, le bénéficiaire s’engage à octroyer une contribution propre. Un modèle typiquement suisse.

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L’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL www.unil.ch/esc

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«UN SUSPECT A LE DROIT DE

MENTIR ET IL NE S’EN PRIVE PAS» Commandant de police et chargé de cours à l’UNIL, Olivier Guéniat a livré récemment ses bons plans pour mener des interrogatoires de police. L’ouvrage scientifique est devenu un best-seller inattendu. Retour sur un phénomène et plongée dans les coulisses des commissariats. PROPOS RECUEILLIS PAR JOCELYN ROCHAT – PHOTO NICOLE CHUARD

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© Republic / The Kobal Collection

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un est chef de police, l’autre est commissaire et négociateur en situation de crise. Tous les deux sont des policiers aguerris qui ont de longues heures d’interrogatoires derrière eux. Olivier Guéniat et son collègue Fabio Benoit ont récemment publié ensemble un ouvrage intitulé Les secrets des interrogatoires et des auditions de police. On y découvre un savant mélange de criminologie, de polar, de situations vécues et de conseils pour réussir ses interrogatoires. Le livre, destiné avant tout à la formation des collègues, nous ouvre les portes des commissariats suisses. Comment les policiers font-ils parler les criminels ? Quelles sont leurs méthodes ? Ont-ils des points communs avec Columbo ? Olivier Guéniat et Fabio Benoit racontent. Tant et si bien que l’ouvrage est rapidement devenu un best-seller en Suisse, mais aussi en France, et il a dû être réédité. Plongée dans cet univers fascinant avec Olivier Guéniat pour guide. Un interrogatoire, c’est d’abord une affaire d’ambiance. A vous lire, on découvre que le décor doit être très froid… Oui. Il faut que l’attention du suspect soit entièrement tournée vers le lien que nous essayons d’établir avec lui. On doit donc éviter de lui offrir une échappatoire, par exemple une fenêtre tournée vers l’extérieur. Et on supprime tous les éléments perturbateurs : les téléphones sont éteints, personne n’entre dans la salle d´audition. Le décor doit être glacial, parce que cette froideur favorise la chaleur dans la relation que les enquêteurs cherchent à établir avec le prévenu. Le décor est clinique, mais l’interrogatoire doit commencer chaleureusement. Vous recommandez la poignée de main, le sourire, et vous conseillez même de prendre des nouvelles de la famille… 52

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© Twentieth Century-Fox Film Corporation / The Kobal Collection

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Parce que nous voulons favoriser l’empathie avec le suspect. Et après ces débuts, on entre dans une phase plus tactique, où nous allons alterner les stratégies, tout en essayant de rester dans cette relation respectueuse. Parce que, quand l’atmosphère devient extrêmement tendue, l’enquêteur s’épuise et le prévenu n’a pas envie de se confier et de raconter des choses intimes. On cherche donc à l’éviter. Vous conseillez d’installer le suspect sur une chaise qui n’est pas attachée, pour qu’il puisse bouger. Vous n’avez pas peur qu’il utilise ce meuble comme une arme ? Nous prenons le risque, parce que ça nous permet de mieux observer ses réactions, et parce que la violence survient très rarement quand on pratique le respect. Dans la partie d’échecs qui se joue entre le suspect et nous, l’empathie est la première des armes, même si c’est une arme douce. Si on arrive à établir un lien de confiance avec la personne interrogée, il y a peu de risque qu’elle réponde avec de la violence. Ça n’arrive pratiquement jamais. On découvre dans votre livre que vous n’utilisez pas certaines méthodes que l’on voit beaucoup dans les films ou à la télévision. Vous ne donnez pas de coups sur la tête avec un bottin de téléphone, comme dans « Les Ripoux ». Vous ne braquez pas de lumière crue dans les yeux en criant : « Nous avons les moyens de vous faire parler ! »… C’est exact. La violence est inadmissible, et nous essayons de l’éradiquer de l’interrogatoire. Nous nous interdisons aussi certaines méthodes utilisées aux Etats-Unis, qui consistent à toucher la personne, à tourner autour, à la presser physiquement en entrant dans sa sphère intime. Nous ne nous approchons pas du suspect en le postillonnant.


Nous ne lui hurlons pas dans l’oreille… D’abord parce que c’est interdit en Suisse, mais aussi parce que cela peut provoquer de faux aveux, car il y a des gens qui ne supportent absolument pas ces traitements. Ils sont en revanche admis et pratiqués aux Etats-Unis pour mettre une pression gigantesque sur le suspect, le stresser et rompre sa noncollaboration. En Suisse, nous enseignons des méthodes plus respectueuses, et nous arrivons aux mêmes résultats. Contrairement à ce qu’on voit souvent à la télévision, vous ne négociez pas des arrangements avec les suspects en échange de bons tuyaux… La police suisse ne peut pas le faire. Nous ne mentons pas aux suspects, et nous ne leur racontons pas d’histoire. Nous ne pouvons donc pas faire de promesses à propos de la suite du processus judiciaire que nous ne maîtrisons pas. C’est dommage, parce que cette possibilité de négocier serait un outil intéressant dans certaines affaires, notamment de stupéfiants, mais c’est une méthode qui nous est interdite. Les Américains le font, pas nous. Enfin, pas la police. A noter tout de même que le procureur peut, dans certains cas, négocier la peine avec le prévenu. Il n’y a pas non plus de détecteur de mensonge dans vos tiroirs. Même pour un suspect qui demanderait à subir un test afin de prouver sa bonne foi… Non, parce que cette technologie n’est pas fiable. Certains suspects, comme les psychopathes, l’esquivent à merveille. Ils maîtrisent totalement leurs émotions, ils ne sont pas stressés, ne transpirent pas ou n’ont pas de battements de cœur mesurables. En revanche, nous voyons apparaître l’imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRM). On lit de plus en plus d’articles scientifiques à ce sujet dans les revues spécialisées. Il semblerait que, quand un individu ment ou qu’il dit la vérité, les zones en activité

© Rue des Archives/RDA

BRUTES "Les Ripoux " mènent les interrog atoires à coups de bottin sur la tête . Une violence in terdite en Suisse.

© Universal TV / The Kobal Collection

STRATÉGIE ïfs, Jouer les na o, peut mb lu comme Co s bons produire de s. résultat

«DANS LA PARTIE D’ÉCHECS QUI SE JOUE ENTRE LE SUSPECT ET NOUS, L’EMPATHIE EST LA PREMIÈRE DES ARMES.» OLIVIER GUÉNIAT

de son cerveau ne sont pas les mêmes. De tels systèmes, qui permettraient de prouver scientifiquement qu’un suspect ment, sont commercialisés aux Etats-Unis. Ils sont encore controversés, mais je suis absolument persuadé que, dans une vingtaine d’années, l’IRM sera un des recours de la police. On l’a vu à la télé et vous le faites dans la vraie vie : il vous arrive de jouer les naïfs comme Columbo… Ça dépend de la personnalité qui se trouve en face de nous. Lui laisser croire qu’elle est la plus forte est une tactique utile quand on veut la faire mentir. Protocoler des mensonges, c’est déjà un excellent résultat. On comprend que le suspect ment et on pourra adopter une autre stratégie dans la suite de l’enquête. Avec certains prévenus, cette technique donne des résultats merveilleux. Mais une monostratégie, comme celle de Columbo, ne peut pas réussir à tous les coups, sauf si, comme lui, on a toujours affaire à des personnalités plutôt fortes, qu’on peut faire douter petit à petit. Comme on peut le voir au cinéma, vous jouez au gentil et au méchant flic… Oui. Celui qui joue le gentil doit capter l’attention du suspect afin qu’il se tourne systématiquement vers lui. Le méchant l’agresse, et le gentil semble lui tendre des perches. Ce jeu de rôle permet de pousser le prévenu dans ses retranchements. Parfois, ça marche. Il arrive qu’un suspect qui était fermé comme une huître s’ouvre au gentil. Et comme dans les vieux films français, vous répétez inlassablement les mêmes questions… Oui, c’est un rapport de force. Avec cette pratique, on signifie au suspect que nous n’acceptons pas sa réponse et nous reposons la question très souvent. Le suspect a le

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© Charley Gallay / Getty Images North America / AFP

MODÈLE Paul hologue Le psyc e) h c u à ga Ek man ( ré le i p s n i a Dr. age du n n perso la s n a d n Lightma e". m o t Lie série "

droit de mentir, et il ne s’en prive pas. Mais mentir sur le long terme, c’est harassant. Un enquêteur sait pertinemment qu’un mensonge se construit, et que le suspect ne peut pas avoir tout prévu. Poser plusieurs fois les mêmes questions, de manière différente et en connaissant déjà les réponses, c’est encore une tactique quasiment infaillible pour confondre un suspect. On découvre dans votre livre que vous avez regardé la série « Lie to me »… En fait, celui qui m’intéresse, ce n’est pas le Dr Lightman, le héros de la série, mais Paul Ekman, le scientifique bien réel qui a inspiré le personnage de fiction. C’est un véritable psychologue qui a voué sa vie à la détection du mensonge, et qui est devenu un excellent connaisseur. La série Lie to me fait souvent référence aux théories de Paul Ekman même si, dans la vraie vie, ça ne marche pas aussi bien qu’à la télévision. L’important, pour nous, c’est que l’enquêteur soit en alerte et capable de détecter les signes du mensonge chez le prévenu. Des microdémangeaisons, des comportements plus grossiers comme avaler difficilement sa salive, rougir, etc. On doit être attentif à tout signe de stress qui indique que la personne risque de mentir.

«UN INTERROGATOIRE NÉCESSITE EN RÈGLE GÉNÉRALE DES DIZAINES D’HEURES. DES FOIS PLUS.» OLIVIER GUÉNIAT

Ces nouvelles techniques sont-elles beaucoup pratiquées dans les commissariats de Suisse ? Non, c’est vraiment nouveau. Elles témoignent du rapprochement de la recherche scientifique et de la police. Avant, les deux mondes s’ignoraient, et maintenant, ils se fréquentent. Et j’ai ce rôle d’universitaire d’amener la recherche le plus près possible du métier, et de mélanger les deux autant que faire se peut. Je prends beaucoup d’étudiants dans la police, et ça crée des liens. Et l’université organise des cours métier pour augmenter les connaissances et favoriser l’utilisation des produits de la recherche. 54

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© Fox TV / The Kobal Collection / Rose, Adam

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En quoi la réalité des interviews que vous pratiquez est-elle différente de ceux qu’on voit à la télé ? La différence la plus importante, c’est le temps. A la télévision, l’aveu est obtenu en quatre minutes. Moi, je n’ai jamais vécu cela. Un interrogatoire nécessite en règle générale des dizaines d’heures. Des fois plus. J’ai fait des interrogatoires de plus de dix heures, en plusieurs fois, avec la même personne. Reconstituer une heure de crime nécessite des dizaines d’heures d’interrogatoire. Et c’est encore plus compliqué quand on a affaire à quatre personnes qui ont vécu la même scène. C’est la seule différence ? Non, l’autre grande différence avec le cinéma ou la télévision, c’est que nous ne recherchons pas des aveux. D’abord parce qu’il y en a de faux. Une étude américaine a montré que 20 à 25 % des personnes condamnées à tort et disculpées après coup grâce à une analyse génétique avaient fait de faux aveux. Donc, plus que d’une déclaration, nous avons besoin des détails, ne serait-ce que pour éviter que le suspect ne revienne sur ses aveux par la suite. L’interrogatoire doit nous permettre de répondre aux questions qui ? quand ? quoi ? où ? comment ? C’est compliqué, et, à la fin, on n’obtient pas la vérité, mais juste la meilleure approximation possible de la vérité. La vérité n’existe pas, ou alors quand on a le film vidéo de la scène. Et encore. Quels sont vos vrais atouts pour faire parler les suspects ? Nos stratégies. Il y en a de nombreuses et on les alterne. Souvent, le premier interrogatoire n’est pas intéressant. En règle générale, c’est un échange préliminaire qui permettra, peut-être au quatrième ou au cinquième entretien, d’obtenir des résultats pertinents. Voilà pourquoi


nous voulons que le prévenu ait envie de nous revoir. Après, tout va dépendre de la personne qu’on a en face de soi et de la manière dont elle interagit. Si le lien ne s’établit pas, on change d’enquêteur. Il faut saisir sa psychologie, et, pour cela, nous lui parlons volontiers d’autre chose que de l’affaire. On commence souvent par une biographie. Il faut tester sa mémoire, parce qu’elle peut devenir subitement très sélective. On cherche à savoir si le suspect a une bonne notion du temps, des détails, on évalue ses facultés intellectuelles, et, quand on aborde les faits incriminés, il va souvent nous répondre : « Je ne sais plus ». Comment continuer l’interrogatoire ? L’idée, c’est d’entraîner le suspect dans ses propres contradictions. De le confronter à des éléments qu’il ne peut pas avoir oubliés. Et – c’est là qu’il y a toute la subtilité – de l’amener à reconnaître lui-même qu’il a menti. On ne lui met pas un ticket de bus sous le nez avant de lui crier dans les oreilles : « Menteur, à cette heure, tu n’étais pas dans le cinéma ! » Nous préférons cultiver son propre doute, pour que la personne interrogée se demande : « Qu’est-ce qu’ils ont ? Qu’est-ce que je peux affirmer sans être contredit ? ». C’est souvent aussi simple que ça. Le suspect va tout faire pour éviter de se faire prendre en faute. Il gère ce risque. Donc, cultiver le doute dans son esprit est l’une de nos meilleures stratégies. Si le suspect ne sait plus ce qu’il peut dire ou pas, il y a des chances qu’il se rapproche de la vérité. Des preuves scientifiques facilitent le travail… Bien sûr, parce que là, on sait de manière matérielle ce qui s’est passé. Si le prévenu nous dit « Je ne suis jamais allé dans cette maison », alors que nous avons retrou-

vé ses empreintes digitales sur un verre, ou qu’il y a des traces de pas, nous n’allons pas le contredire. On le laisse raconter, et on cultivera le doute par la suite. C’est là qu’il va lâcher le plus de détails, parce que, à un moment donné, il comprend que c’est fini. Qu’il vaut mieux jouer franc-jeu. Le suspect sait que son avenir est dans la balance. Si la qualité du lien de confiance entre nous est bonne, il va se demander : je l’ai dupé, que va-t-il penser de moi ? Plus on a réussi à établir un lien de confiance avec lui, plus cette notion devient importante.

«CULTIVER LE DOUTE DANS L’ESPRIT DU SUSPECT EST L’UNE DE NOS MEILLEURES STRATÉGIES.» OLIVIER GUÉNIAT

Vous n’avez pas eu peur de donner des armes aux criminels en expliquant vos méthodes d’interrogatoires dans un livre ? Non, pas du tout. Je pense que c’est impossible de les réutiliser, de les retenir toutes et de se dire, tiens, l’inspecteur utilise cette stratégie, ou alors celle-là. Les délinquants n’ont rien à gagner à la lecture de notre livre, si ce n’est de savoir qu’ils seront traités de manière respectueuse et qu’on ne cherchera pas à les duper. Et puis, le document original qui a servi de base à ce livre fait 600 pages, et nous n’en avons publié que 200. Nous n’avons pas tout dévoilé, nous ne sommes pas non plus entrés dans les détails. Pour que ce soit utile à un criminel, il faudrait reprendre les auditions filmées et les exercices que nous pratiquons dans la formation. Et puis il faudrait s’entraîner pour esquiver de très nombreuses stratégies… Quand j’ai commencé à étudier cette problématique en 2002, j’ai commencé à compter les techniques que nous utilisions et j’ai réalisé que nous mettions jusqu’à huit stratégies en œuvre durant un seul interrogatoire. Pour le suspect, c’est dur de faire face. 

UN CAS VÉCU : L’ENQUÊTE NE S’ARRÊTE PAS À UN AVEU Arrêté en flagrant délit de vol par effraction sur une automobile, M. B. a été emprisonné en compagnie de ses complices. Les interrogatoires de tous les protagonistes ont mis en évidence une série de vols commis en bande et par métier. A chacun de ses interrogatoires, M. B. jurait sur tout ce qu’il avait de plus cher qu’il avait absolument tout avoué. Pourtant, ses complices l’impliquaient régulièrement pour d’autres cas, et les résultats des différentes analyses et recherches démontraient qu’il avait commis bien plus d’actes répréhensibles qu’il le prétendait. Malgré cela, M. B. n’avouait qu’au coup par coup, n’étant à même de reconnaître que trois ou quatre délits par interrogatoire. A chaque fois, il affirmait de manière très persuasive qu’il n’avait

aucune raison de cacher quelques vols supplémentaires au vu de la liste des infractions déjà reconnues. Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’attitude de M. B. qui n’était tout simplement pas prêt à admettre l’entier de son activité délictueuse. Néanmoins, les enquêteurs ont continuellement dû lui faire comprendre qu’ils ne pouvaient pas le croire au vu des éléments en leur possession. Cette stratégie de longue haleine et leur patience furent payantes, et ils ont obtenu plusieurs confessions. Additionnés les uns aux autres, ces aveux ont finalement permis de mettre en évidence plus de 150 vols, plusieurs escroqueries, ainsi qu’un incendie intentionnel.

LES SECRETS DES IN­TERROGATOIRES ET DES AUDITIONS DE POLICE, TRAITÉ DE TACTIQUES, TECHNIQUES ET STRATÉGIES. Par Olivier Guéniat et Fabio Benoit. Presses polytechniques et universitaires romandes (2012), 248 p.

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L’application SmartCampus

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C’ÉTAIT DANS ALLEZ SAVOIR !

LE TITANIC VOGUE ENCORE… DANS NOTRE IMAGINATION

L’édition 2013 des Mystères de l’UNIL a pris le célèbre paquebot comme métaphore d’une société utopique naviguant sur des eaux dangereuses. Un mythe qui perdure : Allez savoir ! avait traité de notre fascination pour le « Titanic » il y a quinze ans.

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ais qu’est-ce qui nous attire à ce point dans ce désastre ? Qu’est-ce qui nous capt ive da n s ce drame maritime au point que, huitante-six ans plus tard, “il continue de hanter notre imaginaire” ? », écrivait Patricia Brambilla dans l’édition de janvier 1998 d’Allez savoir ! La journaliste avait interrogé Jean-Pierre Keller, alors professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques et auteur de Sur le pont du Titanic*. Aujourd’hui professeur honoraire, l’enseignant indiquait que la trajectoire du paquebot « [...] contient tous les éléments du mythe et est emblématique à plusieurs points de vue ». A commencer par le fait qu’il s’agit de l’histoire d’un bateau. Et non d’un avion ou d’un train. Détail insignifiant ? Pas pour le sociologue qui fait remarquer que l’homme entretient une relation différente avec un navire qu’avec tout autre moyen de locomotion : « On personnifie les bateaux en leur donnant un nom. On dit le Queen Elisabeth, le France... Et puis en anglais, les bateaux ne sont pas neutres, ils sont féminins. On dit “she”. Une habitude qui doit sans doute remonter très loin, à l’époque des marins qui prenaient la mer. Autant de signes qui donnent au bateau une place à part dans notre imaginaire. »

Texte paru dans Allez savoir ! N° 10, janvier 1998. Archives du magazine : www.unil.ch/allezsavoir

CETTE VÉRITABLE VILLE FLOTTANTE QUI POUVAIT CONTENIR JUSQU’À 2 500 PASSAGERS ÉTAIT CONSIDÉRÉE COMME INSUBMERSIBLE.

« Ensuite, le Titanic, ce n’est pas n’importe quel rafiot. On parle du “plus grand objet mobile jamais réalisé par l’homme”. Mieux, il incarnait le luxe et la modernité, il était le sommet de la réalisation technique, la fierté d’une époque arrogante, enivrée de son propre progrès. Imaginez une embarcation de 270 mètres de long et de 31 mètres de haut, forte de quatre cheminées (dont une postiche, installée uniquement pour l’esthétique et l’effet de grandeur) [...]. » « Cette véritable ville flottante qui pouvait contenir jusqu’à 2 500 passagers était considérée comme insubmersible. Le fait qu’elle ait sombré a vraiment frappé les esprits : “C’est comme si la modernité ellemême coulait. Aujourd’hui, on est habitué à douter de la technique, grâce en partie au discours écologique. Mais à la Belle Epoque, tout ce qui était moderne était bien. Le naufrage du Titanic a vraiment marqué la fin d’une époque”, souligne Jean-Pierre Keller. On y a vu une parabole, une leçon d’humilité, un châtiment à l’orgueil des hommes. Qui, dans leur course prométhéenne, avaient oublié une fois de plus que la nature était la plus forte. Qu’elle était indomptable et qu’elle pouvait être cruelle. » « Et puis, le Titanic était bondé de passagers aux destins passionnants : tout le gratin britannique était là, de l’armateur du bateau au président

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de la compagnie White Star Line. Sans parler de quelques richissimes personnalités américaines : le couple Straus, propriétaire du magasin Macy’s à New York, ou Benjamin Guggenheim, fils du nabab Meyer Guggenheim. Sur le bateau se trouvait aussi une large frange d’immigrants, pour la plupart partis d’Orient avec tous leurs bagages, prêts à recommencer leur vie sur le nouveau continent. Mais, d’après le sociologue, c’est la présence de quelques richissimes personnalités qui constitue l’élément marquant du scénario : “La richesse nous fascine. On n’y peut rien. Même les gens qui votent à gauche sont davantage intéressés par la mort des riches.... On l’a vu avec Lady Di”. » Dans sa conclusion, Patricia Brambilla rappelait que le nom même du navire était « une allusion directe à la mythologie grecque. Les Titans ne sont-ils pas les enfants d’Ouranos, qui s’étaient révoltés contre Zeus, le dieu de l’Olympe, puis avaient été vaincus et jetés dans l’abîme du Tartare ? Le Titanic était entré dans la mythologie de son vivant, son naufrage l’y a définitivement assigné. Puisqu’il continuera sans doute encore longtemps à nous parler des choses difficiles, de la mort, de la disparition, de notre propre mort et de celle de la civilisation. »  Ed. Zoé (1994), 176 p.

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Mai 2013

UNIL | Université de Lausanne

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RENDEZ-VOUS

Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

Samedi 1er et dimanche 2 juin

MYSTÈRES DE L’UNIL

Consacrées au « pire meilleur des mondes », les portes ouvertes de l’UNIL proposent d’embarquer en compagnie de 300 chercheurs, enseignants et étudiants pour une croisière surprenante. Des visites de laboratoires et une vingtaine d’ateliers sont au programme. UNIL-Sorge. www.unil.ch/mysteres Jusqu’au samedi 24 août

Diplômé de l’ECAL, le jeune artiste suisse Yannick Lambelet s’approprie des éléments d’images trouvées sur Internet pour recréer des univers et des espaces oniriques et irréels. UNILDorigny. Anthropole, le Cabanon (en face de l’auditoire 1129). Lu-ve 8h-19h, sa 10h-17h www.lecabanon-unil.ch Mardi 4 juin

Lundi 3 et mardi 4 juin

LOUIS RIVIER

Le généticien suédois donne une conférence publique, en anglais, sous le titre « Archaïc Genomics ». Le directeur du laboratoire de génétique évolutive de l’Institut Max-Planck a montré que certains d’entre nous portent, dans leurs gènes, un peu de Neandertal. UNIL-Sorge. Génopode, 17 h. www.unil.ch/cigsymposium/ page60108.html 021 692 39 00

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LES RÉCIFS CORALLIENS DE L’ANTHROPOCÈNE

l’Europe et l’Académie royale des Sciences économiques et financières d’Espagne : « L’Union européenne audelà de la crise ». UNIL-Dorigny. Internef, auditoire 263. De 9 h 30 à 17 h 15. www.jean-monnet.ch 021 692 20 90

L’exposition fait comprendre pourquoi les récifs coralliens sont des environnements fragiles, actuellement menacés par les changements globaux anthropogéniques. Elle montre l’importance des environnements récifaux pour la biosphère et la protection des côtes (populations côtières) et illustre le dépérissement des récifs sous l’influence de l’anthroposphère. L’exposition comprend une dizaine de panneaux avec de nombreuses photos, des infographies, ainsi que des animations vidéo et de superbes échantillons de coraux. UNIL-Mouline. Géopolis, hall du niveau 2. www.unil.ch/dixansfgse

Mercredi 12 juin Dans le cadre de son cycle de conférence co-organisé avec les Facultés de droit et des SSP, le Centre WalrasPareto recevra Anselm Jappe. Sa communication : « Liberté et émancipation sociale chez Karl Marx : peut-on s’émanciper du fétichisme de la marchandise ? » UNIL-Dorigny. Anthropole, salle 2055. De 17 h 15 à 19 h www. unil.ch/cwp 021 692 28 40 N° 54

Mai 2013

© Peter Baumgartner

SUR LA LIBERTÉ

Allez savoir !

Deux journées permettront de faire le point sur les aspects technologiques et sociétaux de la transition énergétique, en présence de nombreux experts des mondes politique, économique et industriel. UNIL-Sorge. Amphimax. Inscriptions www.unil.ch/fifs2013

Jusqu’en décembre

SVANTE PÄÄBO

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Jeudi 6 juin

FORUM DE L’INNOVATION L’EUROPE À DORIGNY Acte académique solennel conjoint FRANCE SUISSE entre la Fondation Jean Monnet pour

L’artiste vaudois est surtout connu pour ses peintures murales et ses vitraux. L’exposition propose de découvrir son style unique, imprégné de références à la Renaissance italienne et à la peinture flamande. Visite conduite par l’une des commissaires. Lausanne. Musée historique. Mardi 4 juin et jeudi 13 juin à 14 h 15. www. connaissance3.ch 021 311 46 87 Vendredi 7 juin

© DR

GOOGLE IMAGES IS A NEW RELIGION

UNIL | Université de Lausanne


Vendredi 14 juin

Jusqu’au dimanche 16 juin

Vendredi 21 juin

FAMILLE ET POLITIQUE

Le Pôle de recherche national LIVES organise une table ronde avec des décideurs sur le thème de l’élaboration des politiques sociales et familiales. Ou comment rendre la recherche véritablement utile à la société ? Genève. Uni-Mail, salle MR290, 17 h 15-18 h 30. www.lives-nccr.ch

Les livres constituent depuis des années tout un pan de la production artistique d’Anne M. Bourgeois. Peints, cousus, agrémentés de dessins et de textes, de collages et de broderies, ses livres, tous uniques, constituent un univers en soi. Lausanne. Palais de Rumine, Bibliothèque cantonale et universitaire. www.unil. ch/bcu 021 316 78 63

Jusqu’au mardi 14 janvier 2014

© BCU Lausanne

ANNE M. BOURGEOIS

En permanence

SEL

Le Musée de la main consacre une grande exposition au thème du sel. Destiné aux petits comme aux grands, un parcours interactif présentera ce produit familier et pourtant méconnu, sous ses aspects à la fois biologique, historique ou encore artistique. Lausanne. Fondation Claude Verdan – Musée de la main. www.verdan.ch 021 314 49 55 © DR

La conférence d’Antonio Rodriguez, professeur associé en section de français, permettra de comprendre le traitement de la ruralité dans la littérature et la photographie de Gustave Roud, ainsi que les liens et les différences avec l’œuvre du peintre vaudois Eugène Burnand. Moudon. Musée Eugène Burnand, 20 h. www. moudon.ch 021 905 88 66

© CRLR

GUSTAVE ROUD

Dimanche 23 juin

Anniversaires pour les enfants, ateliers sur la génétique, la police scientifique, le goût ou le cerveau parmi tant d’autres : le laboratoire public de l’UNIL organise des activités ludiques, accessibles à tous. L’animation est assurée par des jeunes chercheurs. www.unil.ch/interface/page18617.html 021 692 20 79 (tous les matins, sauf le vendredi) Cynthia Gigon©UNIL

HISTOIRES D’ARBRES

L’ÉPROUVETTE

Un peu de botanique, un peu d’histoire et quelques légendes. Venez vous ressourcer lors d’une balade enivrante aux alentours de La Maison de la Rivière. Tolochenaz. Maison de la Rivière. De 10 h à 12 h. www.maisondelariviere.ch 021 802 20 75. S’inscrire à l’avance au 078 802 01 62 ou info@maisondelariviere.ch Mercredi 3 juillet

Mardi 17 septembre

RENTRÉE

Début des cours pour le semestre d’automne 2013-2014. Une semaine d’accueil pour les nouveaux étudiants est organisée du 9 au 13 septembre. Les cours prennent fin le 20 décembre. Calendrier académique : www.unil.ch/central/ page4804_fr.html 021 692 21 00

Ce programme permet à deux personnes de langue maternelle différente de se rencontrer pour améliorer leurs compétences linguistiques de manière autonome, efficace et détendue. Ouvert à tous. Autres dates de formation des tandems : 24 juillet et 14 août. (Voir également en p. 8) UNIL-Dorigny. Anthropole, 18 h. www. unil.ch/tandem 021 692 30 94 Samedi 28 septembre

SURPRISES À POIL

A l’occasion de la Journée des centres-nature de Suisse, venez découvrir le monde des micromammifères, en collaboration avec les gardes-faune de la région. Tolochenaz. Maison de la Rivière. www.maisondelariviere.ch 021 802 20 75. S’inscrire à l’avance au 078 802 01 62 ou info@maisondelariviere.ch

La radio du campus, animée par des étudiants, s’est offerte un nouveau logo au début de l’année. Elle diffuse ses émissions 24h/24 et 7 jours sur 7 sur le câble (94.55 MHz) et sur le Net. Au programme : infos, chroniques, débats et musique. Pour ne rien rater de la vie sur les campus de l’UNIL et de l’EPFL. www.frequencebanane.ch

Dimanche 29 septembre

LE SENTIER DE LA TRUITE PLANTES ENVAHISSANTES Venez nous aider à entretenir notre sentier didactique : arrachage des plantes envahissantes, ramassage des déchets et entretien des panneaux. Gratuit, repas offert. Tolochenaz. Maison de la Rivière. De 9 h à 16 h. www.maisondelariviere.ch 021 802 20 75. S’inscrire à l’avance au 078 802 01 62 ou info@maisondelariviere.ch

A l’occasion de notre semaine de lutte contre les plantes envahissantes, venez apprendre comment La Maison de la Rivière tente de lutter contre leur expansion. (Lire également en p. 30). Tolochenaz. Maison de la Rivière. De 10 h à 12 h www.maisondelariviere.ch 021 802 20 75. S’inscrire à l’avance au 078 802 01 62 ou info@maisondelariviere.ch Allez savoir !

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© JMP de Nieuwburgh - Fotolia.com

TANDEM

FRÉQUENCE BANANE

Samedi 24 août

UNIL | Université de Lausanne

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Détails et inscriptions : www.formation-continue-unil-epfl.ch 021 693 71 20

FORMATION CONTINUE

L’HORLOGERIE FINE DE LA FISCALITÉ Proposé à Lausanne, un « Executive Master of Advanced Studies » ouvre les portes du droit fiscal, suisse et international. Une formation en phase avec l’actualité.

L

a mobilité sans cesse croissante des individus et des entreprises liée à la mondialisation bouscule le droit fiscal, territorial par nature. Depuis les années 2000, ce dernier connaît ainsi « une évolution sans précédent », remarque Robert Danon, professeur de droit fiscal aux Facultés de droit et des HEC et directeur de l’Executive Master of Advanced Studies in International Taxation (MASIT). De plus, la lutte menée par l’OCDE contre la planification fiscale agressive et les pressions exercées par l’Union européenne sur la Suisse au sujet de l’imposition des multinationales apparaissent régulièrement dans les médias. Le MASIT, dont la première édition débute en septembre 2013 à l’UNIL, se propose justement de consolider les nouvelles connaissances et tendances dans le domaine et d’en livrer une synthèse aux participants. Qui sont-ils ? « Par exemple, des personnes qui travaillent dans l’administration, des conseillers fiscaux qui exercent en entreprise ou auprès d’individus, que ce soit dans des études d’avocats, des fiduciaires ou des banques », indique Robert Danon. Accessible sur dossier, et après un entretien, le programme est ouvert aux diplômés en Droit ou en Sciences économiques, qui en retireront le meilleur s’ils possèdent déjà quelques années de pratique professionnelle. La formation débute par un tronc commun solide, où sont traités – par exemple 60

Allez savoir !

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« A MOYEN TERME, JE SOUHAITE LA CONSTITUTION D’UN CENTRE DE COMPÉTENCES EN DROIT FISCAL INTERNATIONAL ET EUROPÉEN, DONT NOUS AVONS BESOIN. » ROBERT DANON

UNIL | Université de Lausanne

– les conventions de double imposition, le droit fiscal européen ou la TVA. Elle se poursuit avec des spécialisations et se conclut par un travail de mémoire. Avant de se lancer, les participants doivent se décider : curriculum suisse ou curriculum international ? Le premier se destine aux professionnels qui souhaitent pratiquer le droit fiscal suisse depuis notre pays. Il comprend une spécialisation approfondie sur les questions de fiscalité suisse, tout en établissant des parallèles avec des aspects internationaux. Le curriculum international, quant à lui, propose deux spécialisations au choix : la planification fiscale internationale des entreprises (notamment les multinationales) ou des individus. Enfin, le sujet du travail de mémoire est laissé aux étudiants, qui devront le soutenir devant un jury pour décrocher leur diplôme. Donné entièrement en anglais, le MASIT peut être suivi à temps complet (un an) ou à temps partiel (un an et demi). La formule choisie est celle des cours-blocs (six jours par mois en moyenne). Les intervenants, qui proviennent du monde entier, sont des spécialistes de leur domaine. Ils exercent dans des universités, des entreprises et des administrations de différents pays. Naturellement, des hauts fonctionnaires de l’Union européenne ainsi que d’organismes internationaux comme l’OCDE en font partie. Comme le nombre d’étudiants est li-


ET ENCORE...

mité, les échanges avec les enseignants sont favorisés. Pas de cours ex cathedra au programme, même si les volets théoriques restent indispensables. Les études de cas, les travaux de groupe, les workshops et les exercices jalonnent un cursus exigeant, ponctué de deux séances d’examens. Il faut s’attendre à deux ou trois jours de préparation par mois, ainsi qu’à des lectures obligatoires et conseillées. « Les participants se constituent ainsi une bibliothèque de références », note Robert Danon. Ce contenu volumineux est disponible en ligne : chacun reçoit un iPad personnel, qui lui donne accès à l’ensemble de la documentation nécessaire. Enfin, des modules en leadership et en stratégie sont proposés vers la fin du parcours. De quoi prendre de la hauteur, après une année d’immersion au cœur de la technique fiscale. Donné dans le cadre de l’Université de Lausanne, le MASIT relève un défi : « Appliquer des connaissances académiques, fouillées et structurées, à des problèmes très concrets et actuels », note Robert Danon. Ce programme catalyse de plus une série de projets de recherche et de thèses auxquels tient beaucoup son responsable. « A moyen terme, je souhaite la constitution d’un centre de compétences en droit fiscal international et européen, dont nous avons besoin. » Le MASIT crée des contacts et favorise les échanges et une meilleure compréhension entre praticiens suisses et européens, à l’heure où de nouvelles règles se mettent en place au niveau du continent. « Celles-ci ne visent pas à supprimer la concurrence fiscale entre les Etats, mais à l’encadrer et à la rendre plus saine. Notre pays se doit de maîtriser ce nouvel environnement, afin d’y trouver sa place », conclut Robert Danon.  DS

COMPÉTENCES

L’Internef, où sont installées la Faculté de droit et la Faculté des HEC. Robert Danon, professeur de droit fiscal. Photos Nicole Chuard © UNIL et © Jean-Sébastien Monzani.

SCIENCES COGNITIVES ET CONSCIENCE Autrefois l’affaire exclusive des spécialistes, les neurosciences ont quitté leurs laboratoires pour entrer dans la vie quotidienne. La manière dont notre esprit fonctionne, l’action des émotions sur la prise de décisions, les coulisses de l’apprentissage, de la mémoire, de l’intelligence ou de la perception intéressent largement le public, les institutions et les entreprises. Privat-docent en Faculté des sciences sociales et politiques, philosophe, Olivier Jorand propose deux jours de formation (et de mise à niveau) sur le thème de la conscience. Le cursus, nourri par la recherche la plus récente et illustré de nombreux exemples, intéresse notamment les psychologues, les psychiatres, les linguistes, les thérapeutes ou les enseignants. Accessible sans connaissances préalables, le cours ne propose en aucun cas des recettes toutes faites. Il se veut interdisciplinaire, afin d’ouvrir le dialogue entre professionnels actifs dans des disciplines proches. La construction d’un référentiel partagé fait ainsi partie des objectifs. « Nous vivons dans une période fantastique pour les neurosciences cognitives, explique Olivier Jorand. Nous sommes en mesure aujourd’hui de développer des discours qui, construits sur des données de pointe, peuvent se couler dans un schème général de compréhension et de vulgarisation qui repose sur des modèles simples (et non pas simplistes !) et élégants. » www.formation-continue-unil-epfl.ch/ sciences-cognitives-conscience

ET DANS VOTRE DOMAINE D’INTÉRÊTS ? La Formation Continue UNIL-EPFL offre un large éventail de formations. Actuellement, plus de 80 programmes sont proposés aux professionnels des secteurs publics et privés, dans des domaines aussi variés que la Gestion, l’Economie, le Droit, la Santé, le Social, les Sciences humaines ou encore les Sciences & Techniques. « Notre catalogue de cours ne cesse de s’étoffer et nous avons constaté qu’il était difficile pour les professionnels, souvent pris par le temps, de se tenir informés sur l’offre de formations qui touchent spécifiquement leurs domaines d’intérêts », explique Marlène Henry Lendi, responsable Communication de la Formation Continue UNIL-EPFL. Ainsi, est née l’idée de développer la plateforme Restez informé(e). Cette dernière permet aux personnes qui s’y inscrivent d’être automatiquement alertées par courriel des nouveautés et autres actualités concernant les formations continues UNIL et EPFL, relatives à leurs champs de prédilection. De la finance à l’éducation en passant par la chimie ou la pédiatrie – il y a plus de 30 domaines d’intérêts à choix. « Offrir autant d’options, c’est pour nous l’assurance de répondre au plus près aux besoins de chacun, de ne pas noyer les gens avec des informations qui ne les intéressent pas », ajoute Marlène Henry Lendi. Alors, pour celles et ceux qui souhaitent rester informés en toute simplicité, rendez-vous sur www.formation-continue-unil-epfl.ch/restez-informes

Renseignements : www.hec.unil.ch/masit

Allez savoir !

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JE M'ABONNE À « ALLEZ SAVOIR ! »

Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par fax au 021 692 22 05. Ou par courrier électronique à allezsavoir@unil.ch NOM / PRÉNOM

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Jérôme Meizoz poursuit l’exploration littéraire et sociale qui l’anime au travers de Séismes, sa première œuvre de fiction qui vient de paraître.

JÉRÔME MEIZOZ Enseignant de Littérature française et directeuradjoint de la Formation doctorale interdisciplinaire de la Faculté des Lettres, Jérôme Meizoz consacre son temps libre à l’écriture. Il a publié une dizaine d’ouvrages littéraires, dont Séismes (Zoé, 2013, 94 p.), pour lequel il a obtenu une bourse littéraire de Pro Helvetia. Un de ses livres épuisés, Destinations païennes paraît également en poche (Minizoé, 2013). Félix Imhof © UNIL

Pour les lecteurs d’Allez savoir !, Jérôme Meizoz lit un extrait de Séismes. A écouter sur www.unil.ch/allezsavoir, ainsi que sur la version iPad.

couverte de la sexualité, ce regard à la fois naïf et tellement juste sur un monde que les adultes ne semblent déjà plus partager. « Enfant, les choses sont ordonnées, car l’Univers est donné comme cohérent par les adultes. Mais à l’adolescence tout s’effrite et les réponses des grands se révèlent insuffisantes. Il faut découvrir la réalité dans la douleur. » Le Valaisan de 46 ans tente ses premiers récits durant la rédaction de sa thèse, dans les années 90. Il ressent l’envie d’écrire de manière plus personnelle et d’explorer sa mémoire familiale. En naît le texte Morts ou vif (Zoé, 1999) qui est désigné « Livre de l’année de la Fondation Schiller » en 2000. « Ça m’a donné le goût de continuer et d’explorer plus à fond certaines questions. » Inspiré par des auteurs comme Annie Ernaux ou Pierre Bergounioux, Jérôme Meizoz s’inscrit dans leur lignée de questionnement sociologique sur la famille, les liens et le monde moderne. « Si je me suis mis à publier, c’est que je pense que la littérature a quelque chose à dire sur l’arrivée de cette modernité individualiste et sur le changement culturel des années 70-80. » Au contraire de ses premiers textes clairement autobiographiques, Séismes est une innovation puisque c’est une fiction. Un récit qui s’inspire tout de même de souvenirs et de situations vécues mais remodelées, recollées ou déformées. « La fiction permet des libertés avec ses propres sou-

Allez savoir !

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venirs. Dans la vie, il y a certaines choses qui sont devenues des malheurs parce qu’on n’a pas su en parler. L’écriture, c’est aussi trouver les mots pour le dire. » Si Jérôme Meizoz partage au travers de ses livres, il le fait également en face-à-face avec ses étudiants de français, grâce notamment à un atelier pratique d’écriture littéraire qu’il anime depuis deux ans. L’auteur les invite à ne pas se laisser intimider par la langue. « La littérature est un acte créatif, il faut oser s’en emparer pour exprimer des émotions. Il s’agit de bousculer la langue, de faire entendre le bruissement de la rue et pas seulement l’ordre impeccable de la grammaire. » Partant de ses carnets de notes pour aller vers de petits textes qui forment peu à peu une vaste fresque, l’enseignant griffonne en permanence. Mais il ne rédige vraiment que par périodes. « J’écris quand ça presse. Je prends des notes, j’ai des images en tête et tout à coup ça s’agrège. » Si les sphères académique et littéraire ont des liens pour Jérôme Meizoz, elles restent toutefois séparées. L’écriture académique est formatée par des règles précises tandis que l’écriture de fiction ne doit pas respecter un cadre ni une mission. « Ecrivain, ce n’est pas un métier pour moi. A l’adolescence, personne ne m’avait jamais dit qu’il était possible de devenir écrivain. »  SOPHIE BADOUX

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Un petit village à l’ombre d’un flanc de montagne où la jeunesse se heurte aux traditions ancestrales. Des drames, des rires, des bêtises d’adolescents, des secrets et des anecdotes qui parlent à tout un chacun et en deviennent des mythologies sociales révélatrices de la vie. Jérôme Meizoz, maître d’enseignement et de recherche en Littérature française, est également un écrivain reconnu. Son dernier ouvrage, Séismes, offre un tableau impressionniste de son Valais natal. Du décès de la mère du narrateur, encore petit garçon, au tir à balles réelles au service militaire qui fait du conteur un homme, vingt-quatre courts chapitres racontent ce traumatisme à la saveur aigre-douce qu’est l’adolescence. Ce séisme qui fait basculer l’enfant dans le monde des adultes, Jérôme Meizoz sait le raconter au travers de sa vision sensible, mais non dépourvue d’ironie. Ceux qui ont grandi dans les années 70 à la campagne reconnaîtront au premier coup d’œil les salles de classe aux bancs de bois, la messe du dimanche matin, les souvenirs de guerre des plus vieux racontés en patois, le camp scout, l’argent à économiser pour se payer une télévision qui trône fièrement dans le salon ou l’exploration de la grande ville et de ses libertés. Pour les autres, ces histoires dévoilent cette période de vie où tout est possible, ce sentiment d’invincibilité, la dé-

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© Coll. Maison d’Ailleurs / Agence Martienne

LIVRES

LA SF PREND DU GALON

Un ouvrage richement illustré met en valeur les collections de la Maison d’Ailleurs, le musée de la science-fiction, des utopies et des voyages imaginaires. Plusieurs chercheurs de l’UNIL y ont participé.

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usée aussi intelligent que punk, la Maison d’Ailleurs a inauguré ce printemps un nouvel espace d’exposition, baptisé « Souvenirs du futur ». C’est également le titre d’un ouvrage jubilatoire, qui met en valeur une partie nanométrique des 100 000 documents conservés à Yverdon. Le lecteur regrette presque que l’ouvrage – pourtant bien illustré – n’exploite pas davantage cette mine d’or – ou plutôt de kryptonite. Des gravures du XVIIe siècle à une couverture modèle 1976 de Métal hurlant tournant la fusée lunaire de Tintin en dérision, l’iconographie constitue à elle seule une excursion dans l’imaginaire. Si l’on en juge par les couvertures des pulps, ces magazines américains des années 20 à 50, le futur avait l’air 64

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plutôt excitant vu du passé : les journées des Terriens consistaient à explorer des planètes lointaines et merveilleuses, dézinguer des extraterrestres baveux à grands coups de laser, déjouer des complots cosmiques ou flirter avec des Vénusiennes en tenue moulante (dans n’importe quel ordre). De tout cela, il n’est hélas plus question aujourd’hui. Place au cauchemar : les représentations de la fin du monde (admirez les horrifiques splendeurs tirées des ouvrages de Camille Flammarion) parlent davantage aux esprits contemporains. Il en est ainsi de la science-fiction, qui a souvent traité d’ici et maintenant tout en mettant en scène l’ailleurs et le demain. Neuf textes jalonnent l’ouvrage. Parmi les contributeurs figurent plusieurs chercheurs de l’UNIL, qui ap-

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SOUVENIRS DU FUTUR Sous la dir. de Marc Atallah, Frédéric Jaccaud, Francis Valéry. Presses polytechniques et universitaires romandes (2013), 223 p.

portent l’éclairage de leurs domaines : principalement la littérature et le cinéma. Même si les essais décollent de l’Utopie de Thomas More (1516) et traversent le temps et l’espace jusqu’aux blockbusters récents comme Avatar, l’ouvrage ne constitue pas une histoire de la science-fiction. Mais plutôt une série d’instantanés sur des aspects particuliers : le merveilleux scientifique, la naissance du genre ou la bande dessinée franco-belge, par exemple. Ces textes savants, mais accessibles, sont complétés par des « zooms », soit des coups de projecteur jetés sur des points précis. Au choix, on y trouve H. G. Wells, les illustrateurs de couverture de pulps ou, plus fou encore dans un livre à forte teneur en minerai académique, le jeu de rôle. La Maison d’Ailleurs possède visiblement une belle collection de ces objets ludiques qui permettent, sans pixels ni manettes, de vivre en sciencefiction, ainsi que l’écrivent les auteurs. Même après avoir été lu et relu, l’ouvrage possède encore une fonction cachée. Son format et son poids permettent d’estourbir le cuistre qui ose encore affirmer que la science-fiction, « c’est pour les débiles ».  DS


C’est à d’étonnantes balades que nous invitent les auteurs de ce guide pas comme les autres. A l’occasion d’un séminaire de master, une vingtaine d’étudiants de l’UNIL se sont intéressés aux écoles lausannoises. Dirigé par Dave Lüthi, professeur assistant en section d’Histoire de l’art, cet ouvrage en petit format met en lien l’architecture et les théories pédagogiques des XIXe et XXe siècles. Bien illustré, pourvu de cartes et agréable à lire, ce livre présente les nombreux bâtiments scolaires de la capitale vaudoise sous un regard tout à fait original.  DS LAUSANNE – LES ÉCOLES. Par Dave Lüthi (dir.). Société d’histoire de l’art en Suisse, coll. Architecture de poche (2012), 255 p.

Sous-titré « Les insectes sur la scène du crime », cet ouvrage de référence traite de la manière dont les nécrophages peuvent être utilisés pour élaborer la datation de la mort, dans le but d’aider la justice pénale. Cette deuxième édition, revue et augmentée, est le fruit de la collaboration entre l’inspecteur de la Sûreté Claude Wyss et l’entomologiste Daniel Cherix, Prix de l’Université 2013. Si le texte s’adresse plutôt aux professionnels du domaine, il peut également intéresser les curieux et les amateurs de séries télévisées.  DS TRAITÉ D’ENTOMOLOGIE FORENSIQUE. Par Claude Wyss et Daniel Cherix. Presses polytechniques et universitaires romandes (2013), 317 p.

En 21 chapitres brefs, Manon Jendly, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut de criminologie et de droit pénal, livre un tour d’horizon de la prévention de la criminalité. L’auteur soutient fortement l’idée que cette dernière est bien plus prometteuse, à terme, que la répression. La recherche montre que la perspective de la sanction, même celle de la peine de mort, n’a que peu d’influence sur les comportements. Pire : l’effet de « brutalisation » qu’elle génère peut favoriser un climat de violence dans la société.  DS PRÉVENIR LA CRIMINALITÉ : OUI… MAIS COMMENT ?   Par Manon Jendly. Les Editions de l’Hèbe (2013), 90 p.

Rédigé par Taline Garibian et Vincent Barras (respectivement chargée de recherche et directeur de l’Institut universitaire d’histoire de la médecine et de la santé publique), cet ouvrage permet de prendre du recul, en pleine polémique sur le nombre de médecins étrangers exerçant en Suisse. L’impact de la migration sur le système de santé, que l’on parle du personnel soignant ou des patients, agite les esprits depuis un siècle au moins, avec des moments de grande crispation avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale.  DS MIGRATION ET SYSTÈME DE SANTÉ VAUDOIS, DU19e SIÈCLE À NOS JOURS. Par Taline Garibian et Vincent Barras. Editions BHMS (2012), 72 p.

Maître assistant à l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines, Claude-Alexandre Fournier s’est intéressé à sa grand-mère, Odette Fournier. Sage-femme à Haute-Nendaz entre 1936 et 1973, cette figure importante de la communauté était présente aux deux extrêmes de la vie, la naissance et la mort. Elle a également contribué au passage vers la modernité, en adoptant rapidement le téléphone et l’automobile. Un ouvrage passionnant, enrichi de nombreux témoignages.  DS ODETTE FOURNIER, SAGE-FEMME. ATTITUDES RELIGIEUSES FACE À LA NAISSANCE EN VALAIS ENTRE 1930 ET 1970. Par Claude-Alexandre Fournier. Editions Labor et Fides (2013), 234 p.

LES EAUX SOMBRES DU LÉMAN

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ollectées par Marius Daniel Popescu, éditées par Giuseppe Merrone (BSN Press) sous le titre Léman Noir, ces nouvelles nous entraînent dans le monde du crime, passionnel ou professionnel, situé entre Villeneuve et Genève, sur les rives d’un lac réputé touristique, considéré dans ses abords immédiats, les rochers, les bains, les quais, ou observé depuis les hauteurs lausannoises. Le charme d’un tel recueil réside dans sa façon de nous inviter tour à tour dans un univers qui se donne avec humour et clarté, ou qui se laisse approcher un peu plus mystérieusement, voire difficilement, dans un style sombre sans rémission. Au lecteur de jouer, de se laisser glisser sur ces rivages travaillés par des auteurs universitaires ou pas, en provenance du milieu comme Jean Chauma (reconverti depuis longtemps dans la littérature), de l’UNIL comme Jérôme Meizoz, Raphaël Baroni et Myriam Moraz, ou d’ailleurs. Avec pas moins de vingt écrivains romands réunis, la variété est au rendez-vous, genre, génération, langage. Parfois l’on tombe sur une phrase comme celle-ci : « Il y a neuf ans, j’ai quitté ma femme pour une sirène, et aujourd’hui je désommeille brutalement à côté d’une baleine » et l’on songe trop rapidement à un auteur masculin, confondu avec son narrateur obsessionnel, et puis non : ce texte intitulé La casquette rouge de Federer est signé Virginie Oberholzer, dont la biographie en fin d’ouvrage nous apprend qu’elle « vit actuellement à Lausanne, où elle partage activement sa vie entre le frigo, son lit et la TV »… Ce charmant recueil ne manque pas de surprendre ; d’un récit à l’autre nous basculons dans l’horreur ou demeurons suspendus à un fil tranché d’une manière insolite, énigmatique. Les corps évoqués sont démembrés, éventrés, emballés, déterrés, déplacés, engloutis, endoloris, emprisonnés, alcoolisés, surpris par les éléments, rattrapés par la fatalité ou simplement fatigués. Même les personnages convaincus d’avancer se trompent, se perdent, s’en sortent parfois, mais de peu et uniquement parce que le hasard, alors, fermait les yeux. Comme le rappelle Marius Daniel Popescu, citant dans son introduction le romancier canadien Christopher G. Moore : « J’aime considérer le noir comme le produit de contradictions et de désillusions qui condamne des êtres à vivre sans aucun espoir de les atténuer jamais. Peu importe alors qu’ils luttent, car ils ne s’en sortiront pas ». Sombre, on vous dit.  NR LÉMAN NOIR Nouvelles inédites réunies par Marius Daniel Popescu. Giuseppe Merrone Editeur (2012), 221 p.

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CAFÉ GOURMAND

REPENSER LE MÉTIER DE PROF

Vice-doyen de la Faculté des géosciences et de l’environnement, Eric Verrecchia milite pour une meilleure qualité de vie. Dans tous les domaines…

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eux heures devant soi pour décrocher et discuter, c’est le luxe. « L’aptitude à la recherche de pointe est à son maximum entre 30 et 45 ans ; vers 50 ans on élargit la vision, on est enclin à la synthèse, on devrait déposer des corequêtes avec un junior, et prendre du temps pour écrire des livres destinés aux étudiants. Mais le système est devenu fou. Tout le monde présente des projets de tous les côtés pour un montant limité, il faut assurer la critique de toutes ces publications, c’est le règne de la quantité. Le prof est un passionné, il appartient à la science, à ses étudiants, il se donne sans compter et ça tient, mais la bulle va exploser », prévient Eric Verrecchia, attablé à la jolie Brasserie du GrandChêne, à Lausanne. Il plaide pour un retour à la sérénité et une meilleure répartition des fonds de la Confédération, à travers le FNS notamment, qu’il faudrait « mettre au service des universités ». En ce moment, il a déposé deux projets, l’un européen sur la transformation du gaz carbonique en carbonate de calcium via certains arbres et l’amélioration, grâce à ce calcaire, des sols tropicaux acides en Bolivie, au Cameroun ou encore à Madagascar ; et l’autre, sur le plan suisse, pour étudier le temps de résidence du carbone dans les sols en remontant jusqu’au début de l’Holocène, cette période post-glaciaire des derniers 10 000 ans. « On refait le film, autrement dit l’histoire du stockage naturel du CO2, car il y a beaucoup à apprendre de la nature ellemême », explique ce passionné de la zone critique. « Il s’agit d’une zone

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ERIC VERRECCHIA Un chercheur passionné. © Nicole Chuard

définie entre le sommet des nappes phréatiques et la cime des arbres », explique-t-il. L’histoire des profondeurs et celle de la surface sont liées par la tectonique des plaques ; des minéraux se transforment et se forment à l’air libre, des éléments comme le fer, le carbone, le phosphore connaissent différentes phases et le vivant joue un rôle clé dans ces métamorphoses qui se jouent en surface. Conclusion : « La biogéochimie permet la plus belle recherche du monde. » Précision aussi : « Le vivant a besoin du minéral, le calcium par exemple ; la vie attaque les minéraux mais en crée aussi de nouveaux. Entre le vivant et le minéral, c’est une histoire passionnelle. » Avant d’arriver à l’UNIL, en 2008, avec son équipe de l’Univer-

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UN GOÛT DE L’ENFANCE

La pizza de ma grandmère faite à la main avec une sauce tomate mijotée.

UN REPAS DE FIN DU MONDE

Coquilles Saint-Jacques, puis filets de perche et purée de pommes de terre et patates douces sous un gratin de fromage avec une fondue de poireaux, une part de fromage de Citeaux (j’ai mon fournisseur à Dijon) et une part de cheese-cake que fait mon épouse en dessert, sans oublier deux vins d’exception.

sité de Neuchâtel et le Master en biogéosciences, qui reste délivré par les deux institutions, le professeur Verrecchia a exploré la dynamique du carbonate de calcium dans le désert israélien du Néguev pour son doctorat en géologie, passé en France l’agrégation en géographie et effectué un parcours exemplaire comme chercheur au CNRS, puis à l’Université de Gand. Ce Français qui se plaît en Suisse revendique son engagement à gauche, dans la tradition syndicaliste de sa famille établie à Paris pour fuir le fascisme en Italie. Il lui arrive encore de s’étonner de l’angélisme helvétique. Et là, il se réjouit de rencontrer Susan Brantley, la « papesse de la zone critique », docteure honoris causa de l’UNIL le 31 mai prochain.  NADINE RICHON


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