Allez savoir! 64 - Septembre 2016

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NUMÉRO

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POLITIQUE HISTOIRE Clinton VS Trump Des animaux

GÉOLOGIE Quand les volcans

Pays ouvert ou pays fermé ? 16

bouleversent la vie sur terre 34

plus fantastiques que nature 22

ALLEZ

SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Septembre 2016 | Gratuit

METH, CRYSTAL, PILULES THAÏ

DE « BREAKING BAD » ARRIVE EN SUISSE


Diplômées et diplômés de l’UNIL développez votre réseau et maintenez votre savoir vivant avec le

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ÉDITO

IMPRESSUM

Magazine de l’Université de Lausanne No 64, septembre 2016 www.unil.ch/allezsavoir Editeur responsable Université de Lausanne Une publication d’UNICOM, service de communication et d’audiovisuel Quartier UNIL-Sorge Bâtiment Amphimax 1015 Lausanne Tél. 021 692 22 80 allezsavoir@unil.ch Rédaction en chef Jocelyn Rochat, David Spring (UNICOM) Création de la maquette Edy Ceppi (UNICOM) Rédacteurs Mélanie Affentranger Sonia Arnal Mireille Descombes Saskia Galitch Elisabeth Gordon Virginie Jobé Nadine Richon Anne-Sylvie Sprenger David Trotta Correcteurs Albert Grun Fabienne Trivier Direction artistique Secteur B Sàrl www.secteurb.ch Photographie Nicole Chuard Illustration Eric Pitteloud (p. 3) Joëlle Proz (p. 21) Couverture Joël Medinas (UNICOM) Impression Genoud Entreprise d’arts graphiques SA

ISSN 1422-5220

Tirage 17 000 exemplaires Parution Trois fois par an, en janvier, mai et septembre Abonnements allezsavoir@unil.ch (p. 4)

LE RETOUR DES FRONTIÈRES

JOCELYN ROCHAT Rédaction en chef

A

vant, quand un politicien américain nous parlait d’une «nouvelle frontière», c’était pour nous proposer d’aller sur la Lune en fusée. A cause de John F. Kennedy et de son fameux discours de juillet 1960, où le futur président a lancé le programme Apollo en expliquant que «nous sommes devant une Nouvelle Frontière, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière, s’étendent les domaines inexplorés de la science et de l’espace, des problèmes non résolus de paix et de guerre, des poches d’ignorance et de préjugés non encore réduites, et les questions laissées sans réponse de la pauvreté et des surplus.» Mais aujourd’hui, quand Donald Trump parle de frontière lors de l’élection présidentielle américaine, c’est pour construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, pour fermer la porte aux musulmans criminels et pour expulser les immigrés illégaux. Bref, c’est le grand retour sur terre. Trump n’est d’ailleurs pas le seul à remettre sur la table ces questions de voisinage. Lors de la campagne présidentielle américaine, mais dans le camp d’en face, Bernie Sanders a très durement challengé Hillary Clinton en proposant des politiques plus isolationnistes à des électeurs qui ont perdu leur emploi à cause des délocalisations, ou qui ont vu leurs économies et leurs maisons partir en fumée durant la crise financière. Au grand étonnement des commentateurs, ces arguments ont trouvé un écho auprès des citoyens, puisque le «frondeur» Sanders comme le «populiste» Trump ont séduit bien plus d’Américains qu’on l’avait ima-

UN NOUVEAU CLIVAGE EN POLITIQUE OPPOSE CEUX QUI RÊVENT D’UN PAYS FERMÉ À CEUX QUI PRÉFÈRENT UN PAYS OUVERT.

Allez savoir !

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giné, comme vous le lirez en page 16 de ce magazine. Cette présidentielle américaine n’est d’ailleurs pas la seule à se jouer sur ces thématiques. A ce stade, «la mondialisation heureuse» reste une promesse, et des politiciens de tous pays relancent le débat sur le degré d’ouverture des frontières qui serait préférable pour leur Etat. Cette question, que l’on avait pu croire tranchée à l’heure européenne, divise les grands partis traditionnels de nombreuses nations où l’on s’écharpe désormais sur des sujets comme la place de l’islam, les migrants, la criminalité étrangère, la mendicité, le nombre des frontaliers, les avantages ou les inconvénients de Schengen, la tentation du Brexit, etc. La nouveauté, c’est que ces débats frontaliers divisent désormais les militants à l’intérieur même des partis traditionnels. A tel point que l’on assiste à l’émergence d’un nouveau clivage en politique, différent de la fracture classique «gauche/droite». Il oppose ceux qui rêvent d’un pays «fermé», où l’on reprendrait le contrôle des frontières, à ceux qui préfèrent un pays «ouvert». A ce stade, une certitude. Ces débats fratricides vont faire des dégâts. Aux EtatsUnis, Donald Trump a plongé les Républicains dans la confusion. Et en Autriche, les partis traditionnels, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont perdu l’élection présidentielle qui s’est jouée entre un écologiste et un nationaliste. L’avenir nous dira si les Autrichiens et Donald Trump annoncent la tendance, mais, que nous le voulions ou pas, ces questions vont nous poursuivre dans les années qui viennent. 

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Pour s’abonner gratuitement à la version imprimée, il suffit de remplir le coupon ci-dessous et de l’envoyer par courrier à : Université   de Lausanne, UNICOM, Amphimax, 1015 Lausanne. Par fax au 021 692 22 05. Ou par courrier électronique à allezsavoir@unil.ch NOM / PRÉNOM

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SOMMAIRE

PORTFOLIO Cuivre, génomique et chauve-souris.

BRÈVES L’actualité de l’UNIL : formation, international, recherche, distinctions.

POLITIQUE Clinton-Trump : pays ouvert ou pays fermé ?

RÉFLEXION La chimie : entre utilité et risque au quotidien. Par Nathalie Chèvre.

HISTOIRE Des animaux plus fantastiques que nature !

CRIMINALITÉ La drogue de la série TV « Breaking Bad » débarque en Suisse. Plongées en eau trouble.

GÉOLOGIE Quand les volcans bouleversent la vie sur terre.

IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL Michel Roulet, pédiatre d’ici et d’ailleurs.

ÉCONOMIE Faut-il abolir l’âge de la retraite ?

LIVRE Les utopies au siècle des Lumières.

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!

ALLEZ

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SAVOIR  Le magazine de l’UNIL | Septembre 2016 | Gratuit

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RELIGION

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LIVRES

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FORMATION

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FORMATION CONTINUE

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LIVRES

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RENDEZ-VOUS

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CAFÉ GOURMAND

Allez savoir !

Ananias, ce chrétien oublié par qui tout est arrivé.

Guy de Pourtalès, Louis XIV et « Que sais-je ? » sur la mort.

La nouvelle carte de la formation des médecins. Les étudiants veulent-ils devenir généralistes ?

La durabilité, une clé pour l’innovation dans le tourisme. Nutrition et activités sportives.

Photographie, histoire, roman, comics, football et architecture gothique.

Evènements, conférences, sorties et expositions.

L’histoire pour (se) comprendre. Avec Jacques Ehrenfreund.

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LA GRANDE FAMILLE DU CUIVRE

Jusqu’au 19 mars 2017, le Musée cantonal de géologie, lié à l’UNIL, propose une exposition thématique sur le cuivre. L’Homme utilise ce métal depuis 10 000 ans. S’il a longtemps servi à fabriquer des bijoux, des outils ou des pièces de monnaie, cet élément se trouve aujourd’hui partout, notamment grâce à ses hautes conductivités électrique et thermique, ainsi que sa résistance à la corrosion. Chaque Occidental en « consomme » ainsi 400 kg au cours de sa vie. Ce métal possède de très nombreuses formes. Une sélection de minerais de cuivre, tirée des riches collections du Musée, est présentée ici. (1) Trouvée en Tasmanie, cette chalcanthite est composée de sulfate de cuivre. (2) Cette cyanotrichite d’un bleu intense vient d’Arizona. (3) Une rare cornétite, dénichée en République démocratique du Congo. (4) Cette binnite (grise) tire son nom du Binntal, en Valais. Nanti d’une pyrite, ce minerai est posé sur des cristaux de dolomite blanche (carbonate de calcium et magnésium). (5) L’azurite est un carbonate de cuivre instable, employé comme pigment au Moyen Age sous le nom de « bleu de montagne ». Cet échantillon vient du Maroc. (6) Bel exemple de cuivre natif du Kazakhstan. (7) Trouvée en Grèce, cette conichalcite d’un vert vénéneux contient de l’arsenic. DS PHOTOS © STEFAN ANSERMET / MUSÉE CANTONAL DE GÉOLOGIE


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COMBIEN VOYEZVOUS DE CHÊNES?

Sorti de sa graine vers 1778, le Chêne dit « de Napoléon » est l’un des emblèmes du campus de l’Université de Lausanne. Apprécié des promeneurs, ce végétal soutient le projet de science participative « Napoleome ». Une équipe de chercheurs de l’UNIL s’est intéressée au génome de cet arbre. En effet, entre la feuille qui pousse tout en bas à gauche de l’arbre et sa consœur qui se dore à son faîte, plus de 400 ans d’évolution se sont déroulés. Y a-t-il des mutations, c’est-à-dire une certaine diversité dans l’ADN de ce géant ? Est-il vraiment seul dans ses racines ? 66 échantillons ont été prélevés afin d’en apprendre davantage. Les travaux sont en cours. De son côté, le public est invité à participer à la recherche, ainsi qu’à s’informer sur les enjeux du séquençage de l’ADN et de la génétique en général, grâce à deux ateliers qui mêlent théorie et pratique. Cette médiation scientifique est ouverte à tous, dès 10 ans, et ne nécessite aucun prérequis, à part de la curiosité pour le vivant. DS www.napoleome.ch PHOTOS NICOLE CHUARD © UNIL


ATTRAPE-MOI SI TU PEUX !

Anciennes mines de Baulmes, dans le Nord vaudois. Dans la nuit du 22 au 23 juin, des biologistes du Département d’écologie et évolution capturent (puis libèrent) quarante chauves-souris. Depuis quinze ans, ils effectuent un suivi et observent la manière dont les populations de chiroptères varient et évoluent. Ci-contre, un grand murin tombé dans les filets des chercheurs. La bague visible sur l’avant-bras droit a été posée en 2002. L’aile gauche laisse entrevoir les cinq doigts, dont le pouce (en haut) que l’animal utilise pour s’accrocher et grimper sur des troncs et des rochers. A droite, une petite cicatrice blanche. Le murin chasse au sol et se blesse souvent. Il se nourrit de coléoptères dont la carapace, très dure, lui use les dents. «Sa bouche ouverte ne signifie pas qu’il veut mordre. Il émet des ultrasons pour se repérer dans l’espace», explique le responsable du groupe Philippe Christe. Durant près de quatre heures, les biologistes inventorient les critères morphologiques (poids, taille de l’avant-bras) et prélèvent différentes bêtes qui vivent sur les chauves-souris, notamment des acariens et des mouches qui transmettent la malaria. Le but : étudier les liens entre ces parasites et leurs hôtes. MA www.unil.ch/dee Reportage photo complet sur unil.ch/ allezsavoir PHOTO FABRICE DUCREST © UNIL



BRÈVES

LE SITE

INTERNATIONAL

COLLABORATION RENFORCÉE ENTRE LAUSANNE ET QUÉBEC

Depuis le mois de mai, la Bibliothèque cantonale et universitaire a choisi de s’adresser au public sur un ton plus léger et moins institutionnel à travers son tout nouveau blog. Une dizaine de collaborateurs propose notamment des coups de cœur, des petites astuces ou des sélections documentaires sur des sujets d’actualité ou thématiques approfondies. Une plate-forme à découvrir sur blog-bcul.ch. (DTR)

Les liens entre l’UNIL et l'Université Laval s'intensifient, avec le lancement d’une unité mixte internationale en Neuro-développement et Psychiatrie de l'enfant. La mise en place de ce projet fait suite à la nomination de Pierre Marquet (UNIL) comme titulaire de la chaire d'excellence canadienne en Neurophotonique et Psychiatrie, basée à Québec. Les recherches visent à améliorer les connaissances dans le domaine de l'identification d'endophénotypes et de biomarqueurs de risque des grandes maladies

psychiatriques. Cet accord a été signé par Dominique Arlettaz (recteur jusqu’au 31 juillet dernier) et Nicole Lacasse, vice-rectrice adjointe aux Etudes et aux Activités internationales à l'Université Laval. Il s’inscrit dans le cadre d’une visite d'une délégation québecoise, qui a permis des échanges entre des scientifiques des deux institutions en Géosciences, Médecine, Sciences infirmières, Psychologie et Sport, ainsi qu’au niveau de la gouvernance (durabilité et relations internationales). (RÉD.)

Fabrice Ducrest © UNIL

Fabrice Ducrest © UNIL

LA BCU BLOGUE

LE CHIFFRE

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Le nombre de participants au cours en ligne gratuit Dopage : Sports, Organisations et Sciences. Piloté par Fabien Ohl, professeur de Sociologie du sport, ce MOOC (pour Massive Open Online Course) mobilise plusieurs chercheurs de l'UNIL, ainsi que des professionnels concernés par le phénomène. Des experts de l'UEFA, de l'Agence mondiale antidopage, du Tribunal arbitral du sport et du Laboratoire suisse d'analyse du dopage apportent leurs compétences et leurs expériences. Les aspects historiques et culturels, le paysage des organisations internationales concernées et la question des contrôles figurent également au programme. Sous le titre Doping : Sports, Organizations and Sciences, la version anglaise de ce cursus accessible à tous a rassemblé 1645 participants. (RÉD.) http://bit.ly/MOOCdopage www.facebook.com/groups/MOOCdoping

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SCIENCE ET SOCIÉTÉ

RANDONNÉES FUTÉES Concoctés par la Faculté des géosciences et de l’environnement, les «GéoGuides» proposent des itinéraires didactiques, qui mêlent promenade et informations sur l’environnement (qu’il soit urbain ou montagnard). Ainsi, le guide consacré à Lausanne nous apprend que la colline sur laquelle s’appuie la «Banane», à Dorigny, est une moraine laissée là lors

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du dernier passage du glacier du Rhône. Quatre autres lieux ont été traités : le Val d'Hérens en Valais, le Vallon de Nant dans les Alpes vaudoises, Thonon-les-Bains et enfin Rome. Electroniques, ces guides sont disponibles gratuitement pour les smartphones. (RÉD.) http://igd.unil.ch/geoguide/fr/


Félix Imhof © UNIL

L’ÉDUCATION ET LA RECHERCHE NE SONT PAS DE BONS ENDROITS OÙ ÉCONOMISER. CE SONT LES SOURCES VIVES D’UN PAYS COMME LA SUISSE. Nouria Hernandez, rectrice de l’UNIL depuis le 1er août 2016. Dans Le Temps du 4 juin.

VULGARISATION SCIENTIFIQUE

SCIENCES ÉCONOMIQUES

www.mt180.ch/finale2016

Nicole Chuard © UNIL

mum. Lors de la soirée, le Prix du public a été décerné à Paolo Schumacher (Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL). Sa recherche ? La régulation du phototropisme par PKS4 chez Arabidopsis thaliana. Les trois autres lauréats, distingués par un jury, ont gagné leur ticket pour la finale internationale. (RÉD.)

© Alain Kilar

Le 9 juin dernier, l’UNIL accueillait la première finale suisse du concours «Ma thèse en 180 secondes», organisée par la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO). A cette occasion, des doctorants issus des universités romandes devaient présenter, sur scène, leur recherche de manière claire, vulgarisée et ludique. Le tout en français et en 3 minutes maxi-

© DR

CHERCHEURS QUAND LA SCIENCE BRÛLE DEUX À LA TÊTE DE REVUES LES PLANCHES Professeur en comportement organisationnel à la Faculté des Hautes études commerciales, John Antonakis a été nommé rédacteur en chef de The Leadership Quarterly. Cette revue est une référence reconnue dans le domaine et son responsable exerce une certaine influence sur la recherche en cours. Une autre professeure de la Faculté des HEC entre dans les instances dirigeantes d’un périodique scientifique. Suzanne de Treville a été nommée au sein du Comité éditorial du Journal of Operations Management. L'expertise de cette chercheuse porte notamment sur les questions en lien avec la production compétitive dans un contexte de coûts élevés ou sur la manière de réduire le délai de production pour augmenter la capacité de répondre à une demande volatile. Avec ses collègues, elle a également mis au point un outil permettant de calculer le coût réel résultant d'une délocalisation de la production. ( Lire Allez savoir ! 62 ). (RÉD.)

FORMATION

LA THÉOLOGIE S’ÉTUDIE AUSSI À DISTANCE Les Universités de Genève et de Lausanne proposent une maîtrise en Théologie, en présence et à distance. Une manière d’adapter les études aux besoins professionnels et personnels. Le programme comprend 7 disciplines : Ancien Testament / Bible hébraïque, Nouveau Testament, Histoire du christianisme, Théologie systématique, Ethique, Théologie pratique et Science des reli-

UN CURSUS ADAPTÉ AUX BESOINS PROFESSIONNELS ET PERSONNELS

gions. Ouvert aux détenteurs d’un bachelor en Théologie (ou d’un titre équivalent), ce cursus dure normalement deux ans (120 crédits ECTS) et implique la réalisation d’un mémoire de master. Il ouvre sur des carrières dans les professions ecclésiastiques (pasteur, aumônier, etc.), la formation d’adultes, les ONG ou dans le domaine social. (RÉD.) www.unige.ch/collegetheologie

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BRÈVES

PASSAGE EN REVUE

ARMES, SUCRE, SANTÉ ET BANQUES

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© DR

Le nombre de références faites à l’Université de Lausanne et au CHUV dans les médias romands en 2016, selon la revue de presse Argus, au 23 août. Fin mai, une étude du Centre universitaire romand de médecine légale, publiée dans la revue Scientific Reports, a suscité un retentissement international. Elle suggère que le vapotage de cannabis au moyen de cigarettes électroniques pourrait représenter une alternative intéressante pour la prescription de cannabis à usage médical. Le 14 juin, le Washington Post publiait une infographie réalisée par Martin Grandjean, assistant diplômé en Section d’histoire. Elle montre de manière frappante que depuis 1968, les Etats-Unis ont compté davantage de morts par armes à feu ( 1 516 863 ) que dans toutes leurs guerres depuis 1775 ( 1 396 733 ). Quelques jours plus tard, une étude menée par une équipe du Centre intégratif de génomique ( CIG ) de l’UNIL et des chercheurs du Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV a porté un coup aux édulcorants. En effet, ces derniers ne suppriment pas le désir de consommer du sucré. Une découverte à mettre en parallèle « avec le constat que l’introduction d’aliments édulcorés n’a malheureusement pas permis de diminuer l’épidémie d’obésité qui sévit dans tous les pays industrialisés », note Bernard Thorens, professeur au CIG et directeur de l’étude. Enfin, début août, l’Autorité bancaire européenne ( EBA ) a publié les résultats de son stress test qui mesure le niveau de résistance des banques de la zone euro face à un choc potentiel. Cette étude comparative a été conduite par Diane Pierret, professeure en Finance à la Faculté des HEC. Elle avertit que « le contribuable pourrait une nouvelle fois être appelé à renflouer des banques en difficulté ». DS

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LES CHOUETTES FONT LA PAIX © Amir Ezer

L’UNIL DANS LES MÉDIAS

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Le nombre d’articles que les chercheurs de l’UNIL et du CHUV ont fait paraître dans des revues scientifiques en 2016 ( d’après Serval, au 23 août ). Entre diplomatie, promotion de la paix et biologie, c’est à une recherche tout à fait originale et prometteuse que participe Alexandre Roulin, professeur ordinaire au Département d’écologie et évolution et spécialiste des chouettes ( lire Allez savoir ! 53, janvier 2013 ). Bordée par la Jordanie, Israël, et les Territoires palestiniens, la vallée du Jourdain est un lieu de passage très important au monde pour les oiseaux migrateurs. Afin de protéger leurs récoltes et leurs arbres, les paysans de cette région éliminent les rongeurs avec des pesticides toxiques qui empoisonnent les volatiles et polluent les eaux. Le projet « Barn owls know no boundaries », lancé par le professeur Yossi Leshem de l’Université de Tel-Aviv dans les années 80, cherche à remplacer la chimie par la lutte biologique, grâce aux faucons crécerelles et aux chouettes effraies. Un couple de ces dernières dévore en effet de 2000 à 6000 rongeurs par an. Après un patient travail de conviction, des agriculteurs des trois pays ont installé des nichoirs à rapaces dans leurs champs. Il en existe actuellement 3000 en Israël, 270 dans les Territoires palestiniens et autant en Jordanie. Il a fallu surmonter bien des craintes. « Mes parents disaient que les chouettes portaient malheur, et les éloignaient en faisant du bruit la nuit», explique Abu Rashid Mansour, président du Amman Center for Peace and Development. Ce général jordanien à la retraite est très impliqué dans le projet.

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«Barn owls know no boundaries » permet des rencontres, sur le terrain. Ainsi, des fermiers israéliens ont présenté les bénéfices de la lutte ornithologique à leurs homologues jordaniens. « Grâce au projet, des membres de la société civile se parlent par-dessus les frontières », ajoute Abu Rashid Mansour. Des limites politiques dont les chouettes se moquent. En effet, un suivi par GPS a montré qu’elles survolent les lignes, nichant d’un côté et chassant de l’autre. Un couple de rapaces israélo-jordanien a même eu des petits. Comme l’indique Yossi Leshem, « nous ne savons pas s’ils sont juifs ou musulmans ! » Respect de la nature Plus largement, « Barn owls know no boundaries » réunit des populations séparées par la guerre et la méfiance autour d’un souci commun : le respect de la nature. Le projet comprend des aspects éducatifs ( avec des cours donnés dans les écoles et par internet ), ainsi que des rencontres entre enfants juifs, chrétiens et musulmans autour de l’environnement. Des compétitions sportives transfrontalières, la mobilisation de femmes de plusieurs pays et un important travail auprès des Autorités militaires et politiques ( Shimon Peres soutient le projet ) ont été menés. Artisan du Traité de paix israélo-jordanien de 1994, Abu Rashid Mansour exprime son désir de voir le dialogue se rétablir entre les deux populations. Ce général a « combattu les Israéliens de 1965 à 1994 », et a même été fait prisonnier pendant la guerre des Six Jours. Un conflit auquel a participé Yossi Leshem... dans le camp d’en face. Aujourd’hui, les deux hommes travaillent ensemble pour la paix. DS


ART

PLÂTRE ET CIMENT

CURE DE JOUVENCE POUR L’AMPHIPÔLE Conçu par Guido Cocchi, l’Amphipôle est le premier bâtiment de l’Université de Lausanne à Dorigny. Mis en service en 1970, l’ancien « Collège propédeutique » va faire peau neuve. Le SIB – Institut suisse de bioinformatique, la biologie computationnelle de la Faculté de biologie et de médecine, ainsi que l’Ecole des sciences criminelles de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique intégreront le bâtiment refait à neuf. Le montant global des travaux de rénovation des façades et de transformation du bâtiment est devisé à 43,9 millions de francs. Le concours d’architecture a été remporté par le bureau Aeby Perneger et Associés SA, en collaboration avec la société d’ingénierie Ingeni SA et la société spécialisée Estia SA. (RÉD.)

Des sculptures d’artistes contemporains suisses forment un parcours sur le campus. Pour sa deuxième édition, la Triennale UNIL accueille les œuvres de 19 plasticiens, sélectionnés par un jury. Cette exposition collective en plein air, accessible librement en tous temps, durera jusqu’à l’automne 2017. Ensuite, dès mars 2018, le gagnant du concours investira le campus avec une exposition monographique. Le lauréat de l’édition précédente était Tarik Hayward, dont le travail New Extremes of Immobility ( photo ) se trouve en lisière de forêt, vers le Biophore. (RÉD.) www.unil.ch/triennale Félix Imhof © UNIL

DR

TRIENNALE UNIL, DEUXIÈME ÉDITION

À L’HONNEUR

Etudiante à la Faculté des lettres, Elisa Shua Dusapin a reçu le prix Robert Walser pour son premier roman, Hiver à Sokcho ( Editions Zoé ). Le jury, qui qualifie le texte de « petit chef-d’œuvre », indique que « le récit nous plonge dans l’hiver d’une station balnéaire dépeuplée en Corée du Sud. La narratrice, fille de mère coréenne et de père français, travaille dans une pension modeste où vient s’installer Kerrand, auteur de bande dessinée français. Ces deux êtres solitaires s’épient, se croisent, se cherchent et ne se trouvent pas. Une passion cachée est à la base de leurs rencontres manquées et de leurs dialogues laconiques et crée la tension continue de l’histoire. » (RÉD.)

Chargée de projet au Département de microbiologie fondamentale, Sandra Sulser a remporté le prix Isabelle Musy, doté de 50 000 francs, pour son projet de startup BioMe. Son idée ? Développer un nouveau traitement pour lutter contre les infections intestinales. En se basant sur la méthode de transplantation de microbiome fécal, il s’agit de proposer aux patients, sous forme de suppositoire ou de pilule, une communauté d’une centaine de bactéries différentes et utiles. A ce stade des recherches, aucun produit fini n’existe. Mais le potentiel thérapeutique est important. Davantage de détails dans l’édition 615 de l’uniscope, le magazine du campus de l’UNIL. (RÉD.)

Félix Imhof © UNIL

Félix Imhof © UNIL

Félix Imhof © UNIL

Yvonne Böhler © Editions Zoé

LITTÉRATURE, MÉDECINE ET GESTION DES RISQUES Le Prix David Solomons 2015, décerné par la revue scientifique Management Accounting Research, a été attribué à Anette Mikes, professeure en comptabilité à la Faculté des HEC, ainsi qu’à ses deux co auteurs, Matthew Hall ( London School of Economics ) et Yuval Millo ( Université de Leicester ). L’article récompensé, How do risk managers become influential ? A field study of toolmaking in two financial institutions, cherche à comprendre comment et pourquoi les groupes en charge de la gestion des risques ont gagné – ou non – de l’influence au sein de grandes banques londoniennes, avant, pendant et après la crise financière. (RÉD.) Allez savoir !

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Le Prix Robert Bing est décerné tous les deux ans par l’Académie Suisse des Sciences médicales. Il récompense des travaux d’excellence dans le domaine des Sciences neurologiques. Cette année, il a été attribué à égalité à Caroline Pot, professeure assistante boursière FNS à la Faculté de biologie et de médecine et chercheuse au CHUV, ainsi qu’à Sebastian Jessberger de l’Université de Zurich. Médecin neurologue et clinicienne chercheuse, Caroline Pot dirige une équipe qui étudie le rôle des métabolites du cholestérol et leurs interactions avec la flore et l’immunité intestinales, dans le développement de la sclérose en plaques. (RÉD.) UNIL | Université de Lausanne

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POLITIQUE

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PAYS OUVERT OU

PAYS FERME L’élection présidentielle américaine, qui se joue entre Hillary Clinton et Donald Trump, illustre le nouveau débat qui divise les démocraties occidentales. Il oppose ceux qui vivent volontiers dans un monde globalisé et ceux qui voudraient remettre des frontières. TEXTE JOCELYN ROCHAT

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n pensait connaître tout le répertoire du politicien qui promet de fermer les frontières. C’était compter sans Donald Trump, qui a proposé de construire un mur de 1600 kilomètres pour stopper l’immigration clandestine en provenance du Mexique. Le même candidat a suggéré, durant la campagne présidentielle américaine, « l’arrêt total et complet de l’entrée des musulmans » sur le territoire après un attentat terroriste. Enfin, lors d’un voyage en Ecosse, au lendemain du référendum sur le Brexit, Donald Trump a trouvé « fantastique » que les Britanniques reprennent « le contrôle de leur pays ». Difficile de faire plus musclé quand on s’est donné pour programme de « rendre l’Amérique aux Américains ».

DUEL

Le 8 novembre, les électeurs américains arbitreront un match entre l’isolationnisme et la globalisation. © Thinkstock

Allez savoir !

Face à lui, Hillary Clinton est son opposé quasi caricatural. Elle est tout aussi représentative de ces politiciens de carrière, expérimentés, rationnels, ouverts au monde et capables de placer le Kosovo, l’Irak et la Syrie sur un planisphère sans se tromper. C’est l’une de ces figures de l’establishment politique qui évolue dans un monde globalisé, qui en voit les avantages économiques et politiques, bref qui a tout pour rassurer son camp comme pour agacer les nombreux perdants de la mondialisation qui se cherchent un sauveur. En attendant le 8 novembre, lorsque les électeurs américains arbitreront ce duel des extrêmes, on ne peut s’empêcher de trouver un air de « déjà-vu » à cette campagne N° 64

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électorale. Difficile, vu d’Europe, de suivre les échanges Clinton-Trump sans penser à l’élection présidentielle autrichienne qui s’est jouée, au final, sans les partis classiques, entre un écologiste et le candidat du Parti de la liberté ( FPÖ ), une formation nationaliste qui veut reprendre le contrôle de l’immigration et des frontières. Difficile de ne pas penser au référendum à propos du Brexit, où l’on a vu les Britanniques se déchirer jusque dans leurs familles politiques historiques, qu’elles soient de gauche ( le Labour ) ou de droite ( les Conservateurs ) sur ces mêmes questions. Difficile de ne pas penser à la prochaine élection présidentielle française de 2017, où la candidate anti-européenne, Marine Le Pen, pourrait se retrouver au second tour face à un représentant des partis traditionnellement europhiles. Difficile de ne pas penser à la Suisse, où l’UDC a transformé les questions migratoires en arguments électoraux... Difficile de ne pas penser que cet affrontement entre les adeptes d’un pays ouvert, et ceux qui veulent remettre des frontières, est en passe de se généraliser dans les grandes démocraties occidentales. Et qu’il atteint même les EtatsUnis, pays symbole de l’immigration. Certains observateurs, comme le politologue français Pascal Perrineau, estiment d’ailleurs que le clivage « pays ouvert / pays fermé » est en passe de remplacer le traditionnel clivage « gauche / droite », qui a longtemps constitué la grande ligne de fracture en politique. « Il y a des similitudes, c’est vrai, observe Boris Vejdovsky, qui enseigne la littérature et la culture américaines à l’UNIL, et qui a parcouru les Etats-Unis l’été dernier pour suivre l’élection présidentielle. Mais, si les comparaisons sont tentantes 18

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PRO-CLINTON

Des supporters acclament la candidate démocrate à Phoenix, en Arizona, le 21 mars 2016. © Reuters/Mario Anzuoni

«POUR LA PREMIÈRE FOIS, ON VOIT UNE GÉNÉRATION VIVRE MOINS BIEN QUE LA PRÉCÉDENTE, ET ELLE PEUT CRAINDRE QUE CE SOIT ENCORE PLUS DIFFICILE POUR SES ENFANTS.» BORIS VEJDOVSKY

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et qu’elles fonctionnent dans un certain sens, il ne faut pas oublier qu’il y a des différences importantes entre l’Europe et l’Amérique. Aux Etats-Unis, il n’y a pas vraiment de parti de gauche qui arrive à s’imposer comme une force importante au plan national. Nous avons deux partis, le Républicain et le Démocrate, qui couvrent tout le spectre politique, du Tea Party de la droite ultraconservatrice, jusqu’aux utopistes du Vermont. » C’est donc normal qu’on décèle des fractures idéologiques profondes à l’intérieur de ces deux grands camps qui regroupent des courants politiques forcément très divers. Société américaine clivée Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la force des passions qui ont été déchaînées chez les Républicains comme chez les Démocrates au sujet de ces questions de fermeture des frontières. « Cette campagne est en train de remodeler le paysage politique : elle pose des questions sur la manière de faire de la politique dans ce pays, et elle nous a fait découvrir une société bien plus clivée qu’on ne pouvait l’imaginer sur des questions sociétales profondes comme l’immigration, l’économie, la sécurité, la place des femmes et de la religion, mais encore le rôle de l’Amérique dans le monde », estime le chercheur de l’UNIL. Les responsables de cet électrochoc ? Deux candidats atypiques dont personne n’avait prévu l’influence. « J’imaginais, comme tous les observateurs, que Bernie Sanders chez les Démocrates et Donald Trump chez les Républicains allaient être utilisés pour lancer des arguments que les candidats officiels ne peuvent pas utiliser. On s’attendait à ce que Donald Trump dise des choses épouvantables sur les Mexicains, les


Noirs, les musulmans et les femmes, et à ce que Bernie Sanders explique que l’économie est pourrie, que les patrons sont pourris, qu’il faut abolir tout cela et rendre l’université gratuite. Ce que personne n’avait imaginé, et je dis bien personne, parce que j’ai été relire les commentaires publiés à l’époque, c’est que les électeurs écouteraient ces candidats. Parce que tout le monde a sous-estimé la peur qui monte dans la population. » La peur ? Le sujet «est difficile à aborder, parce qu’il faut dire deux choses à la fois. On ne peut pas juste expliquer que des discours démagogiques, populistes et souvent nauséabonds ont réussi à toucher les électeurs, ce qui est vrai. Il faut dire en même temps que ces électeurs inquiets, qui se recrutent très largement chez les Blancs de la classe moyenne, n’ont pas l’impression que les choses vont mal : les choses vont vraiment mal. Ils perdent leurs emplois, leurs maisons, leur sécurité. Pour la première fois, on voit une génération vivre moins bien que la précédente, et elle peut craindre que ce soit encore plus difficile pour ses enfants. Du coup, ces gens se retrouvent terriblement désabusés et ils ont l’impression que plus personne ne les écoute. » Pendant longtemps, ces électeurs populaires ont constitué l’électorat de base des Républicains. « Ce parti se targuait de représenter le gars de la rue, le Joe Block, mais ses élus ont abandonné cette classe moyenne pour soutenir les milieux financiers, qui ont amassé les gains de la globalisation. Et c’est cet électorat perdu que Donald Trump essaie de reconquérir. C’est même devenu l’enjeu de la campagne, parce que ces voix peuvent lui permettre de gagner des Etats qui feront basculer l’élection. »

PRO-TRUMP

Soutiens au can­didat républicain à Kissimmee, en Floride, le 11 août 2016. © Reuters/Eric Thayer

Allez savoir !

Victimes de la mondialisation Donald Trump n’est d’ailleurs pas le seul à s’adresser à cet électorat perdu. Dans un style nettement plus policé, le candidat démocrate Bernie Sanders a lui aussi parlé aux victimes de la mondialisation. « Sanders et Trump ne disent pas la même chose, mais tous les deux avancent des arguments qui touchent des gens qui ont perdu leur emploi. Sanders rejoint notamment Trump quand il propose une Amérique plus isolationniste que ne le voudrait l’establishment. Mais il n’a pas parlé du « viol du pays » par les accords commerciaux, comme l’a fait Trump. » Ce succès des outsiders isolationnistes était tout simplement inimaginable au début de la campagne, quand cette élection présidentielle 2016 s’annonçait comme un nouvel affrontement entre les dynasties Bush et Clinton, avec le match programmé entre Jeb Bush ( le frère de George W. et ex-gouverneur de Floride ) et Hillary Clinton ( la femme de Bill, exprésident populaire ). Mais ce scénario a été totalement réécrit par l’irruption tonitruante de Donald Trump, qui a créé des tensions inimaginables au sein de son parti. « On a même vu Paul Ryan, le représentant de la majorité républicaine au sénat, condamner les remarques racistes de Trump, tout en disant qu’il allait voter pour lui », raconte Boris Vejdovsky. Dans un premier temps, cet embarras républicain a pu « réjouir tous ceux qui votent à gauche, avant qu’ils ne réalisent que ce déchirement au cœur du parti peut changer le pays. Tous les milieux économiques, évangéliques et même médiatiques, comme Fox News, qui roulent habituellement pour les Républicains sont incroyablement divisés à l’interne, et ils ne savent pas comment jouer le coup d’après. On se rend bien N° 64

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Nouvelles études américaines www.unil.ch/newamericanstudies

POLITIQUE

compte que cette campagne va changer les lignes, et on se demande comment se fera la recomposition du Parti républicain et du pays dans les mois qui suivront l’élection », note le chercheur de l’UNIL. Interventions systématiques ou repli tactique ? Ce débat sur la place des Etats-Unis dans le monde aura encore des conséquences importantes un peu partout sur la planète,vu le rôle de « gendarme » que joue régulièrement ce pays dans de nombreux conflits à l’étranger. Et là encore, le débat est féroce entre les adeptes du pays ouvert, ou interventionnistes, et ceux qui « veulent ramener les boys à la maison ». En matière « de politique étrangère, les Etats-Unis ont toujours hésité entre deux grandes options », expliquait l’expert en géostratégie Hubert Védrine, au dernier Forum des 100 de L’Hebdo, en mai dernier à l’UNIL. Le premier scénario consiste à « s’assurer de leur propre sécurité en contrôlant le monde entier, avec des bases militaires partout et un budget de la Défense qui, à lui seul, pèse autant que la moitié de tous les budgets de la Défense des pays du monde entier ». Le scénario alternatif consiste à penser que l’on « sera mieux protégé en s’isolant davantage, mais pas totalement, puisque l’isolationnisme américain ne peut jamais être complet ». Le géostratège français, qui fut ministre socialiste de Lionel Jospin et de Jacques Chirac, avait inventé le terme d’« hyperpuissance » pour qualifier la politique américaine dans les années 90. Il n’a pas manqué de relever que les Etats-Unis du XXIe siècle sont désormais « challengés » par des concurrents, mêmes s’ils « restent la puissance Numéro 1 ». Du coup, des divergences très fortes se font entendre à propos de la politique étrangère que doivent mener les Etats-Unis. « Très curieusement, si vous oubliez un instant sa vulgarité insensée et ses provocations systématiques, vous découvrez dans ce que dit Donald Trump des éléments communs avec ce que dit Barack Obama », a encore observé Hubert Védrine lors de son passage à l’UNIL. Par exemple quand il estime que « les Etats-Unis n’ont pas à prendre en charge la sécurité de l’ensemble de leurs alliés qui devraient faire beaucoup plus ». Du coup, cette campagne témoigne d’« oscillations » entre la tentation de l’intervention systématique, traditionnellement plus forte chez les Démocrates, et le repli tactique. « Vers quoi les Etats-Unis vont-ils aller? La ligne Obama ne pourra probablement pas être totalement abandonnée, même si Clinton a des gènes interventionnistes », pronostique le géostratège. Et si Donald Trump gagne? « Là, personne ne le sait, même pas lui-même », répond Boris Vejdovsky.

BORIS VEJDOVSKY Maître d’enseignement et de recherche en Section d’anglais. Nicole Chuard © UNIL

Les Américains aiment la nouveauté Pour cruciales qu’elles soient, ces questions géostratégiques ne décideront pas de l’issue de cette élection américaine, qui se jouera probablement sur des arguments moins rationnels, « très profondément inscrits dans la culture américaine, estime le chercheur. Mes amis européens me disent qu’ils ne comprennent pas le phénomène Trump. Ce qu’ils ne voient pas, c’est 20

Allez savoir !

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que ce candidat a l’avantage de l’inexpérience ! Hillary Clinton a des caractéristiques qui, pour un Européen, devraient immédiatement faire pencher la balance de son côté. Elle a passé douze années dans le fauteuil du copilote, huit à côté de son président de mari, et quatre autres avec Barack Obama. Elle a eu accès à toutes les arcanes, elle a une expérience du pouvoir qu’aucun candidat américain à la présidence n’a jamais eue avant elle».  Et pourtant, ce qui devrait jouer en sa faveur peut jouer en sa défaveur, parce que les Américains « aiment le nouveau. Ça pourrait être un cliché épouvantable, mais c’est vrai, explique Boris Vejdovsky. Aux Etats-Unis, le concept de nouveauté est aussi une question morale. Nouveau, c’est moralement bien, comme ancien, c’est moralement mal».  A cela s’ajoute un côté « messianique de la politique américaine, ce besoin de trouver un homme providentiel qui est également inscrit profondément dans la culture locale, et qui fait que les électeurs désabusés vont hésiter longtemps entre la personne qui promet de transformer le pays d’un coup de téléphone, en décidant de construire un mur, et la candidate qui donne des garanties pour le bien commun », estime le chercheur. Cela rend ce scrutin aussi passionnant qu’inquiétant. C’est également ce qui fait que, « quel que soit le résultat de cette élection, elle aura des conséquences très importantes pour la politique américaine, mais aussi pour le reste du monde. » 


RÉFLEXION

LA CHIMIE: ENTRE UTILITÉ ET RISQUE AU QUOTIDIEN

L

a chimie a présenté un côté magique : grâce à elle, nous ne mourions plus de faim, nos aliments se conservaient plus longtemps, nous guérissions de maladies graves, voire restions jeunes plus longtemps. Depuis dix ans, cette même chimie a mauvaise presse : on parle de baisse de la fertilité chez l’homme, de féminisation des poissons, d’augmentation des cancers... Les études menées par les chercheurs et par les associations de consommateurs montrent que les molécules de synthèse (pesticides, médicaments, cosmétiques, etc.) se retrouvent dans tous les compartiments de l’environnement, l’eau, l’air ou le sol. Précisons que l’utilisation des molécules chimiques augmente continuellement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : 112 millions de composés organiques et inorganiques sont enregistrés dans la grande base de données du Chemical Abstracts Service. Tous ne sont pas commercialisés, mais ce chiffre montre combien les substances chimiques occupent une place importante dans notre monde. Actuellement, il y en a environ 120 000 sur le marché en Europe, dont 2000 médicaments et 6000 cosmétiques. Elles peuvent toutes un jour ou l’autre se retrouver dans le milieu naturel. Et se transformer ensuite sous l’action du soleil ou des micro-organismes, donnant

ACTUELLEMENT, IL Y A ENVIRON 120 000 SUBSTANCES SUR LE MARCHÉ EN EUROPE DONT 2000 MÉDICAMENTS ET 6000 COSMÉTIQUES. ELLES PEUVENT TOUTES UN JOUR OU L’AUTRE SE RETROUVER DANS LE MILIEU NATUREL.

naissance à de nouvelles molécules. Dans notre environnement existent aussi des substances interdites depuis longtemps, mais très stables ou encore des composés non autorisés mais importés, comme certains détergents contenus dans les vêtements. Les méthodes de détection analytiques ayant fait des progrès considérables ces dix dernières années (nous sommes capables de chercher simultanément des dizaines de composés à des concentrations très très faibles, sous forme de traces), il n’est pas étonnant de déceler des substances chimiques partout. La question est donc de savoir si elles représentent un risque pour l’homme et l’environnement . Régulièrement, des molécules sont mises sur la sellette, comme le bisphénol A ou actuellement le glyphosate. Mais évaluer un risque est complexe, sujet à controverse, avec des débats interminables entre les experts. A mon sens, dans nos régions, le risque majeur pour l’homme et l’environnement n’est pas lié à une matière particulière, mais vient du fait que les organismes vivants sont exposés continuellement à de faibles concentrations de multiples composés dont on ne connaît pas les interactions. Interdire une substance particulière n’aura donc qu’un effet restreint, sachant qu’elle sera souvent remplacée par une autre peut-être plus problématique.

Allez savoir !

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NATHALIE CHÈVRE Ecotoxicologue, chercheuse à l’UNIL

Que faire alors, sinon réaliser que l’on ne peut pas échapper aux substances chimiques ? Se laver, respirer, s’habiller revient à s’exposer. Mais nous pouvons réduire notre exposition et celle de l’environnement. Quelques trucs ? Réfléchir à nos cosmétiques, qui contiennent de nombreux composants peu recommandables et finissent le plus souvent dans les eaux. Nous pouvons mieux les choisir et en utiliser moins. Diminuer les quantités de produits utilisés, notamment pour les détergents. Eviter l’utilisation de matières inutiles comme celles contenues dans les désodorisants d’air intérieur, polluantes et pour certaines allergisantes. Bien sûr aussi, réfléchir à l’alimentation : manger local, sans pesticides, de saison, et si possible des produits non transformés. Des mesures collectives peuvent également être prises. La Suisse a décidé d’équiper ses stations d’épuration principales pour réduire les émissions de substances chimiques dans les eaux. C’est un pas en avant. Ce printemps, différentes organisations ont proposé des mesures concrètes pour réduire de 50 % l’utilisation des pesticides en Suisse. Ce serait un autre pas. De petites actions, locales, mais gageons qu’elles permettront de limiter l’impact des éléments chimiques sur notre environnement et notre santé, ainsi que sur celle des générations futures. 

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HISTOIRE


DES ANIMAUX PLUS

QUE NATURE ! Si le monde de Harry Potter regorge de créatures bizarres, comme on le verra au cinéma dès le 16 novembre, avec la sortie du film Les animaux fantastiques, les Alpes suisses ont aussi leur lot de monstres, comme on peut le découvrir sur la plateforme multimédia Viaticalpes, pilotée par des chercheurs de l’UNIL. TEXTE SASKIA GALITCH

I

ls s’appellent serpencendre, occamy, oiseau-tonnerre ou démonzémerveille. Ce ne sont pas des Pokémons, mais des héros du film Les animaux fantastiques, un dérivé de la saga Harry Potter qui débarquera dès le 16 novembre dans les salles de cinéma romandes. Tous sortent évidemment du bestiaire magique imaginé par l’auteure britannique J. K. Rowling. Imaginé ? Vraiment ? Peut-être pas... ou, du moins, pas complètement. Car nombre de créatures évoquées dans la saga Harry Potter, bien que parfois légèrement modifiées par rapport à celles qui les ont inspirées, ont « existé » dans le monde des simples mortels. Et certaines ont même été repérées

UN MONSTRE SUISSE

Dragon vu au lieu-dit In der Hauwelen, Frumsenberg, canton de Zurich. Illustration tirée de Ouresiphoites Helveticus, sive itinera per Helvetiae alpi-­ nas regiones (1723), de Johann Jakob Scheuchzer. © Viatimages/Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne

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en Suisse, comme on le constate en se plongeant dans la plateforme multimédia Viaticalpes ou dans l’application WonderAlp, qui ont été conçues comme de véritables cabinets de curiosités 2.0, et qui permettent de découvrir toutes sortes de choses admirables et étonnantes. Passage en revue, en compagnie des deux pilotes de ce fabuleux projet, soit Daniela Vaj, responsable de la base de données Viatimages et coordinatrice scientifique de ce site, ainsi que Claude Reichler, professeur honoraire à la Faculté des lettres, chercheur et auteur des textes et de l’ouvrage de référence Les Alpes et leurs imagiers. Voyage et histoire du regard. N° 64

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La plateforme Viaticalpes www.unil.ch/viaticalpes

HISTOIRE

LES DRAGONS

Si J. K. Rowling donne vie au « Norvégien à crête », au « Boutefeu Chinois » ou au « Magyar à pointes » dans ses livres, les communautés alpines qui ont habité dans les Alpes ont côtoyé pour leur part des bestioles peu amènes tels le « Volant de Lucerne », le « Erlawäldli », le « Dragon In der Hauwelen » ou encore le « Wangserberg ». A en croire le très sérieux naturaliste Johann Jakob Scheuchzer dans son Itinera per Helvetiae alpinas regiones, publié en 1723 et qui constitue la documentation principale de WonderAlp, certaines de ces créatures ont même provoqué de gros soucis dans les populations. Ainsi le « Wellerscher Gang », qui, en été 1658, a presque aveuglé un vieux paysan en lui soufflant dessus. Ou le « Quinten », jugé responsable d’une « tempête de grêle » en 1670. « Le dragon est un mythe universel que l’on retrouve aussi bien en Chine que dans la Grèce antique, note le professeur de l’UNIL. Comment est-il né et d’où vient-il ? Nous n’avons pas de certitudes concernant sa genèse. Ces légendes sont-elles apparues après qu’on a trouvé des ossements de dinosaures ? Les naturalistes étant fixistes, ils estimaient que chaque espèce était apparue telle quelle au cours des temps géologiques et n’envisageaient donc pas que la nature pouvait changer ni que des espèces pouvaient disparaître. Si bien que lorsque l’on retrouvait des ossements préhistoriques, certains pouvaient parfaitement passer pour des parties de squelettes de dragons ! » Si cette explication la convainc, Daniela Vaj ajoute néanmoins : « Leur présence dans les Alpes peut aussi être liée aux vipères, dont la morsure peut être mortelle : a-t-on eu honte de redouter un être si petit et, pour le coup, a-t-on amplifié et exagéré sa taille dans le but de rendre cette peur moins infamante ? » Récits populaires Quoi qu’il en soit, reprend le professeur Reichler, « une chose est sûre : quand Scheuchzer entend des récits populaires attestant la présence de ces animaux dans les régions alpines et qu’il sait, par ailleurs, que de grands savants comme Pline s’y sont intéressés, il ne peut évidemment pas les ignorer. Il va donc faire l’histoire des dragons sur le modèle de Conrad Gessner, avec son fameux Historiae Animalium, publié entre 1551 et 1558, un ouvrage fondateur en matière de zoologie. » Concrètement, Scheuchzer se déplace, recueille des témoignages de toutes sortes, puise dans une vaste culture scientifique et littéraire, réunit un corpus de textes qui représentent pour lui l’ensemble des auteurs faisant autorité en matière de dragons et examine soigneusement les os, les dents ou les griffes qu’on lui dit appartenir à ces créatures. Dans sa description du « Dragon du mont Pilate », mise en ligne par Claude Reichler, Scheuchzer rapporte : « Le 9 juillet 1689, on m’apporta des ossements qui avaient été sortis de terre, et précisément : 24

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CLAUDE REICHLER Professeur honoraire. Nicole Chuard © UNIL

1. la moitié d’une mâchoire inférieure de dragon avec une énorme dent de devant; la longueur fait un quart et demi d’aune plus un demi-douzième, et elle pèse sept onces et demie. 2. Une sorte de dentition extraordinaire, sortant par paires des mâchoires supérieure et inférieure. Leur longueur est de un quart et demi d’aune, l’épaisseur d’un demiquart, le poids s’élève à 2 onces et 3 drachmes. La couleur est blanche et brillante, comme les dents d’un cheval. 3. et 4. Deux molaires, large chacune d’un demi-quart d’aune, et pesant une demi-once plus un drachme. La racine de ces dents-là est jaune, mais leur couronne blanche.

LES ALPES ET LEURS IMAGIERS. VOYAGE ET HISTOIRE DU REGARD. Par Claude Reichler. Presses polytechniques et universitaires romandes – Le savoir suisse (2013), 144 p.

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5. et 6. Deux griffes de doigt de pied, émoussées et de couleur cendre, pesant chacune un drachme. 7. Un os fémoral de couleur boueuse, ayant perdu ses deux têtes et long d’un quart et demi d’aune, dont le poids atteint deux onces trois drachmes. »


Le Centre des sciences historiques de la culture www.unil.ch/shc

Claude Reichler relève que si « certains de ces restes apparaissent au naturaliste comme étant ceux d’ours géants morts dans leur caverne, il estime tout de même que, parfois, il est bel et bien en présence d’ossements de dragons. En d’autres termes, il valide leur existence. » Et le professeur de préciser : « Cela peut paraître étrange, aujourd’hui, mais il faut comprendre que les naturalistes, jusqu’au XVIIe et parfois jusqu’au début du XVIIIe siècle, ne mettaient pas en doute les témoignages de leurs prédécesseurs et tenaient leurs découvertes pour certaines. Par ailleurs, il faut impérativement déplacer la limite mentale et culturelle qui sépare l’ordinaire de l’extraordinaire. Notre potentialité d’étonnement est maintenant limitée par des cadres rationnels très puissants. A la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, cette frontière n’était pas située au même endroit et la rationalité d’antan accueillait des phénomènes « curieux » que nous rejetons complètement de nos jours. Pour comprendre des scientifiques comme Scheuchzer, nous devons accepter de décaler la barrière qui sépare le rationnel du merveilleux ! »

MARMOTTE...

Ce « rat de montaigne » possède de nombreux points communs avec le « veau de lune » imaginé par J.K. Rowling. Illustration tirée De la cosmographie universelle, de Sebastien Münster (XVIe siècle). © Viatimages/Médiathèque Valais.

... ET CAPRICORNE Cet animal était paré du pouvoir quasi magique de grimper n’importe où. Illustration tirée De la cosmographie universelle, de Sebastien Münster (XVIe siècle). © Viatimages/Médiathèque Valais.

Allez savoir !

LE RAT DES MONTAGNES

Difficile de ne pas voir des ressemblances entre la marmotte et le veau de lune imaginé par J.K. Rowling, puisque ces deux espèces hyperdiscrètes se caractérisent par une capacité à dormir hors du commun et une tendance tout à fait particulière à se dresser sur leurs pattes arrière. Cela dit, quand la créature littéraire de la saga Harry Potter n’émerge de son terrier qu’à la pleine lune pour se livrer à des danses folles, le rat des montagnes, lui, se montre doté d’un esprit pratique redoutable. Citant une étude menée par la Neuchâteloise Aurélie Luther, le professeur Reichler raconte ainsi que les « siffleux » firent l’objet de légendes surprenantes : « Lorsqu’elles sentaient l’hiver arriver, les marmottes devaient construire leur terrier et s’y prenaient de manière très singulière. En gros, l’une d’elles se couchait sur le dos et les autres lui mettaient sur le ventre du foin, de l’herbe ou tout ce qui pouvait tapisser leur logement hivernal. Ensuite, elle se laissait traîner jusqu’au terrier par ses congénères, N° 64

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servant ainsi de charrette ! Renforcée par l’assertion que ce comportement avait été observé, cette croyance a eu cours jusqu’au XVIIIe siècle ! » LES MONSTRES

Croisements étranges et mélanges détonants entre espèces : les innombrables monstres qui peuplent l’univers littéraire de J. K. Rowling sont ce que Claude Reichler qualifie de « constantes du rapport des hommes aux règnes animal et végétal ». Il précise : « De grands savants du XVIIIe essayaient de croiser le coq et le lapin, juste pour voir si ça fonctionnait. A vrai dire, les expériences d’hybridation ont perduré très longtemps et, d’une certaine manière, se poursuivent aujourd’hui encore avec la génétique. Pour en revenir à une créature déjà évoquée, le dragon est typiquement un monstre au sens des naturalistes puisqu’il est le fruit d’une copulation qu’on n’a pas pu observer mais que l’on postule entre la vipère et l’aigle ou entre le chat et le serpent, par exemple. » Dans cette catégorie « monstrueuse », on peut ainsi inclure la bête de la montagne Joppatsch, repérée en août 1696 et évidemment répertoriée dans le bestiaire dragonesque de l’appli WonderAlp : pourvue d’une tête de chat, un peu chafouine, poilue et rouge, avec des yeux scintillants, une sorte de collier blanc autour du cou et une langue qui ressemble à celle d’un serpent, elle a une peau de couleur rouge brillant « magnifiquement aux rayons du soleil ». Elle 26

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AU CINÉMA

Ces créatures apparaissent dans le film Les animaux fantastiques. Ce dérivé de la saga Harry Potter sort le 16 novembre. (De g. à dr. et de haut en bas) Norbert Dragonneau, magizoologiste, un botruc, un gobelin, un demiguise, un oiseau-tonnerre et un elfe de maison. © 2016 Warner Bros. Ent. All Rights Reserved.

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mesure « à peu près deux aunes » et, en lieu et place de pieds, est « munie d’appendices écailleux comme un poisson » et d’une queue fourchue... LE BASILIC

Revisité par J. K. Rowling dans La chambre des secrets, deuxième épisode des aventures de Harry Potter, le basilic a vu le jour dans l’Antiquité. Réputé, selon Pline, pour son venin et son regard mortels, il a été repéré dès le XIIIe siècle au-dessus du village de Wyl (Unterwald), comme en atteste ce passage de l’ouvrage Itinera per Helvetiae alpinas regiones : « Ce monstre tuait le bétail comme les hommes, si bien qu’on appelait le bourg Oedwyler, ce qui signifie le village désert. Un nommé Winkelried, qui venait de ce village, mais en avait été banni pour meurtre, s’engagea à le tuer si on le graciait et qu’on lui permette de revenir dans sa patrie. Cela lui fut accordé avec joie. Il réussit à le vaincre. Sitôt le combat fini, il leva son bras qui tenait encore l’épée sanglante, pour se féliciter de sa prouesse, et avec lui ses compatriotes. C’est alors que quelques gouttes du sang du basilic, qui tombèrent sur son corps, le firent mourir sur place. » L’HYDRE

Bizarrement non mentionnée dans Les Animaux fantastiques, comme dédaignée par J. K. Rowling, l’hydre n’en a pas moins hanté Lucerne, ainsi que l’ont trouvé Daniela


Vaj et Claude Reichler au fil de leurs recherches textuelles et iconographiques. De fait, selon Scheuchzer, qui se base sur différentes chroniques suisses du XVIe siècle, la bête, d’une longueur de près de 4 m, avec de grandes oreilles et un corps « gros comme un veau », a été vue le 26 mai 1499 à Lucerne, alors qu’elle « suivait le courant en quittant le lac en direction du pont sur la Reuss ». LE CAPRICORNE OU BOUC SAUVAGE

Décrit avec ce que Claude Reichler qualifie de « sens du merveilleux » dans l’ouvrage De la cosmographie universelle, le roi des montagnes était réputé pour de prétendues « propriétés thérapeutiques ». Il était aussi, surtout, paré du pouvoir quasi magique de grimper n’importe où. Dans le texte rédigé par Sebastien Münster, dont les premières éditions remontent à 1544, il est dit de lui : qu’il « n’y a ro­ cher si haut et si raide auquel cette bête ne puisse parvenir par un saut ». Cette caractéristique, il la partage d’ailleurs avec son frère de fiction, le Grapcorne, un bovidé au caractère également irascible et indomptable.

revanche que peu représentés. Outre le somptueux gypaète barbu ou le ravissant pinson, on peut toutefois mentionner la gelinotte – un être délicieux (à tout point de vue !) si l’on en juge par la description poétique dont elle fait l’objet dans De la cosmographie universelle.

«LA RATIONALITÉ D’ANTAN ACCUEILLAIT DES PHÉNOMÈNES «CURIEUX» QUE NOUS REJETONS COMPLÈTEMENT DE NOS JOURS.» CLAUDE REICHLER

LES OISEAUX

Entre phénix, hippogriffes et démonzémerveilles, l’univers pottérien ne manque pas de créatures ailées et généralement majestueuses. Dans le catalogue animalier élaboré par Daniela Vaj et Claude Reichler, les volatiles ne sont en Allez savoir !

LES INSECTES

Visiblement arachno- et insectophobe, J. K. Rowling donne une image peu glorieuse des araignées et divers grouillants qui hantent ses histoires : nuisibles, laids et venimeux, ils n’ont rien pour plaire. Et dans la réalité ? S’ils sont souvent mal aimés aujourd’hui, « les insectes ont fait autrefois l’objet de recherches curieuses, souvent inspirées par l’Histoire naturelle de Pline. L’ouvrage le plus connu, dû à l’artiste et naturaliste Anna Maria Sibylla Merian, porte sur les insectes du Surinam. Paru en 1705, il est illustré d’aquarelles superbes de style rococo. A l’époque des Lumières, le grand naturaliste que fut Réaumur publia un Mémoires pour servir à l’histoire des insectes. Scheuchzer s’intéresse, quant à lui, aux insectes fossiles dont on trouvait des restes dans les cristaux, les dendrites ou les ambres. » Quant aux loups-garous, goules, griffons et autres vouivres, on attend impatiemment les témoignages iconographiques originaux et les manuscrits incontestables qui seront sûrement exhumés bientôt : comme on le voit, les démons émerveillent...  N° 64

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L’Ecole des sciences criminelles de l’UNIL www.unil.ch/esc

CRIMINALITÉ

LA DROGUE DE LA SÉRIE TV

BREAKING BAD DEBARQUE EN SUISSE Popularisée par la série TV, la méthamphétamine s’est installée insidieusement en Suisse, où cette ex-cocaïne du pauvre se vend à 500 francs le gramme à Neuchâtel. L’UNIL enquête sur ce phénomène menaçant. TEXTE VIRGINIE JOBÉ

B

reaking Bad, c’est l’histoire de Walter White, un petit prof de chimie d’Albuquerque ( Nouveau-Mexique ) atteint d’un cancer, qui décide de produire du crystal pour mettre sa femme enceinte et son fils handicapé à l’abri. C’est encore la saga américaine d’un gentil papa Walt qui se métamorphose en Heisenberg, l’empereur de la méthamphétamine de qualité. Sur cinq saisons, Breaking Bad a causé une dépendance sévère chez des millions de téléspectateurs, passés de la pitié à la haine envers le pauvre père de famille malade devenu

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WALTER WHITE

Dans «Breaking Bad», un professeur de chimie (incarné par Brian Cranston) est atteint d’un cancer. Il fabrique et vend de la drogue pour mettre sa famille à l’abri du besoin. © Ursula Coyote / © AMC / Everett Collection / Keystone

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psychopathe, et désireux de savoir le sort que lui réservaient les scénaristes. De la même manière que la meth qui, comme la série, est extrêmement addictive. Cette drogue de synthèse rend en effet accro dès la première prise et transforme monsieur et madame Tout-le-monde en voleurs surexcités agressifs. Car pour consommer plusieurs fois par jour 1 gramme de meth vendu à 500 francs, il faut beaucoup d’argent... Et ce fléau s’installe chez nous, en Suisse, non pas comme une traînée de poudre, mais progressivement, sans que cela ne trouble réellement la Confédération.


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CRIMINALITÉ

« La méthamphétamine n’intéresse pas la Suisse, car il n’y a pour l’instant que le nord-ouest du pays qui est touché, explique Olivier Guéniat, chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’UNIL, chef de la police judiciaire de Neuchâtel et membre de la Commission fédérale pour les questions liées aux addictions. Mais je tire la sonnette d’alarme, parce que je vois clairement qu’il s’agit d’une bombe à retardement. Quand on passe de 20 à 1200 dépendants répertoriés à la police de Neuchâtel en quelques années, que parmi eux 200 à 300 restent très hautement accros, on s’inquiète. » Immersion dans un milieu aussi discret que dévastateur, étudié par les spécialistes de l’UNIL. Vanilla Sky La méthamphétamine est à la base une substance guerrière, inventée au Japon, utilisée par les armées dans les conflits. Les aviateurs et les militaires la consomment pour demeurer éveillés et performants, car elle empêche de dor30

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FICTION

Dans la série TV, le « crystal meth » produite par Walter White est très pure. Les rares impuretés que sa drogue contient auraient permis de retrouver sa trace. © Ursula Coyote / © AMC/Everett Collection/Keystone

RÉALITÉ

De la « crystal meth » saisie à Leipzig fin 2014 (à g.). Des sacs de méthamphétamine présentés aux médias en juin dernier près de Bangkok (à dr.) © Ralph Orlowski/Reuters. © Chaiwat Subprasom/Reuters

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mir. « Par exemple, des combattants de Daesh absorbent de la méthamphétamine, plus précisément un dérivé amphétaminique, le captagon, indique Olivier Guéniat. Ce n’est pas d’une grande qualité, mais c’est hautement stimulant. » Actuellement, la meth se présente sous trois formes : le crystal, tel que le fabrique Walter White ( interprété par Bryan Cranston ) dans Breaking Bad ; la poudre, distribuée principalement au travers du Darknet – ou réseau Tor, un supermarché du Web qui aide à acquérir des armes, des faux papiers ou à commander un tueur à gages en toute discrétion et où les vendeurs sont notés et commentés à la manière de TripAdvisor; enfin, les pilules dites thaïes. Egalement appelées yaba, ces espèces de pastilles orange ou vertes, estampillées d’un WY, sentent la vanille et se composent de 10 à 30 mg de méthamphétamine sur 100 mg, auxquels on ajoute de la caféine et des substances psychoactives. Les plus addicts en consomment jusqu’à 20 par jour. C’est sous cette forme-là que l’invasion a commencé au nord-ouest de la Suisse au milieu des années 90.


« Cette époque marque le début des salons de massage thaï à Neuchâtel, explique Olivier Guéniat. Les prostituées arrivaient déjà toxicomanes et la meth ne se distribuait que dans leur milieu. La plupart de ces femmes ont épousé des Suisses, alors qu’elles étaient mariées en Asie. Elles ont ensuite divorcé de leur époux helvétique et ont fait venir leur mari et leur famille toxicomanes thaïs ici. La prostitution leur a permis de monter en grade et d’ouvrir de nouveaux salons de massage avec d’autres prostituées. Le réseau de la meth s’est ainsi constitué petit à petit avec des maquerelles. » A Neuchâtel, les pilules thaïes sont aujourd’hui vendues entre 20 et 40 francs pièce. Des Thaïs se dorent la pilule en Suisse En Helvétie donc, pas de pègre mexicaine à la gâchette facile comme dans la série américaine, mais une mafia thaïe discrète et extrêmement bien organisée. « On a énormément buté contre ces organisations, parce qu’elles étaient asiatiques d’importation, de distribution, et très méfiantes, commente le criminologue. On ne comprenait rien aux écoutes téléphoniques, à cause des codes utilisés en thaï. Les trafiquants avaient des acronymes pour situer le respect de l’autre par rapport à sa hiérarchie dans l’organisation. » Au final, la police a pourtant réussi à arrêter une maquerelle qui s’était construit en quinze ans un empire sur onze cantons, l’affaire Dao. L’histoire est tristement classique : un Helvète est parti « consommer » en Thaïlande, est tombé amoureux d’elle dans un salon de massage et l’a épousée en Suisse. Elle l’a très vite quitté, s’est prostituée, a créé un premier salon, puis deux, puis trois etc. et a fait venir son mari thaï en Suisse. En dehors de la prostitution et des immeubles qu’elle louait à ses employées, la businesswoman gagnait trois francs par pilule vendue avec son organisation. « Cette femme faisait venir des pilules par l’intermédiaire des prostituées. Dans sa valise, chaque Thaïe apportait un millier de pilules qui, sans odeur autre que la vanille, restent quasiment indétectables. Dans chacun de ses trente salons, elle embauchait quatre à cinq prostituées qui changeaient tous les trois mois pour des questions de visa. C’est un trafic de fourmis très lucratif. »

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LE NOMBRE DE PERSONNES DÉPENDANTES À LA MÉTHAMPHÉTAMINE RÉPERTORIÉES À LA POLICE DE NEUCHÂTEL.

Des secondos au premier plan Souvent, la maquerelle possède la « PME » et ses enfants, des secondos, organisent le trafic. Rien à voir avec Breaking Bad qui liait un prof de chimie à son ancien élève, Jesse Pinkman ( l’acteur Aaron Paul ), et à sa bande de potes drogués. Ici, on travaille sérieusement dès le début en famille. A l’intérieur du réseau, tout demeure cloisonné. Celui qui livre ne rencontre jamais celui qui réceptionne la drogue. La marchandise est déposée à un endroit. Une heure après, quelqu’un vient la chercher et place dans un autre lieu l’argent qu’une troisième personne va récolter plus tard. Ce lien de confiance se révèle être un vrai casse-tête pour la police. « Parce qu’ils

ne se connectent pas, ils n’ont pas de relations qui nous permettent d’avoir la traçabilité de leurs contacts. Ce système est hypersophistiqué. » A Neuchâtel, une vingtaine de secondos thaïs ont ainsi monté leur business dans le milieu techno, plus particulièrement au Love Zoo, une boîte de nuit qui attirait tous les fêtards de Suisse à la fin des années 90. « A la base, on y trouvait surtout de l’ecstasy, raconte Olivier Guéniat. Ce groupe a saisi une opportunité de vendre de la meth et a très vite contaminé 40 à 50 personnes. Aujourd’hui, 1200 Neuchâtelois recensés par la police sont touchés, avec la particularité assez unique que tous échappent au système de prévention, de réduction des risques et de thérapie. Les consommateurs ne vont pas consulter, parce qu’ils sont socio-professionnellement d’un certain niveau. Jusqu’à ce qu’ils deviennent hautement toxicomanes et perdent leur job. De plus, aucun substitut, tel que la méthadone pour l’héroïne, n’existe. » Les voleurs de bicyclette La très haute dépendance des tweakers, ou addicts à la méthamphétamine, les pousse à la prostitution, au cambriolage, à la délinquance en général et surtout au vol de vélos ! Le nord-ouest de la Suisse, qui reste le terrain le plus affecté par la meth, affiche ainsi le plus fort taux de disparition de bicyclettes du pays. Ce trafic très rentable, dû à la démocratisation des petites reines et à l’augmentation de leur prix, a pris de terribles proportions. Olivier Guéniat donne ici l’exemple d’un chimiste, uniquement consommateur et pas du tout producteur au contraire de Walter White, qui gagnait plus de 10 000 francs par mois, mais en dépensait 15 000 dans les pilules thaïes. Après avoir tout perdu, il a commencé à dérober des bicyclettes, plus de 100 en quelques mois. « La police a arrêté une équipe de toxicomanes qui revendaient des vélos sur Internet à des frontaliers qu’ils faisaient venir en Suisse pour les chercher. La marchandise est présentée à 10 % du prix réel, ce qui est très attractif et lucratif. Certains vélos atteignent jusqu’à 9000 francs neufs et sont ainsi revendus 900 francs. Comme il n’y a plus de numéros sur les cadres, plus aucun recensement, ce trafic est incontrôlable au niveau des frontières. Des containers entiers de vélos partent ainsi en Europe, par le Rhin. » Des camping-cars explosifs aux labos furtifs Dans la série TV, les « héros » Jesse et Walt se lancent dans la carrière de producteurs de crystal dans un camping-car, au milieu du désert. Jusqu’à ce que la maladresse du jeune junkie ne fasse exploser l’engin. Un scénario à la hollandaise, signale le criminologue. « Les Hollandais utilisent en effet des camping-cars pour produire les drogues de synthèse. Et c’est justement parce qu’ils explosent qu’on les découvre. » En Suisse, on a retrouvé quelques presses dans des caves ou des garages, qui servaient à la production de pilules de mauvaise qualité.

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CRIMINALITÉ

impuretés nous donne la caractérisation du producteur. » La pureté du crystal de Walter White, à 99,1 %, une excellence rare, aurait donc permis, en Suisse, de retrouver sa trace.

« Les consommateurs reçoivent la poudre de méthamphétamine par le Darknet. Comme on ne peut pas la fumer, ils commandent aussi des machines pour fabriquer des pilules. Ils mélangent la poudre à du lactose afin de pouvoir presser le tout et le revendre 120 francs le gramme au lieu de 500. Cela leur permet de se faire un peu d’argent pour leur propre consommation. Mais cela reste anecdotique. » Olivier Guéniat souligne cependant qu’il n’est pas si simple de fabriquer de la meth. Lui-même, comme ses étudiants, a tenté l’expérience avec du matériel saisi. « Avec les doctorants, nous avons trimé pour produire de l’ecstasy et de la méthamphétamine. Notre but est d’essayer plusieurs voies de synthèse afin de mettre le doigt sur les impuretés. Telle voie de synthèse dévoilant telle substance utilisée, nous pouvons ensuite indiquer à l’ONU les produits à contrôler. Par ailleurs, cela nous aide aussi à désigner une filière. Car le profil de la signature chimique des 32

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OLIVIER GUÉNIAT Chargé de cours à l’Ecole des sciences criminelles. Chef de la police judiciaire de Neuchâtel. Nicole Chuard © UNIL

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Vers un péril jaune ? La majeure partie de la production de meth n’est cependant pas due au travail rigoureux d’un prof de chimie, « un style très anglo-saxon », que ce soit dans un camping-car ou dans un laboratoire high-tech. «Ici, accéder aux produits demeure compliqué, car le contrôle est très strict. Tout est pesé, inspecté. » Néanmoins, la Suisse voit pousser l’Ephedra helvetica, une plante dont on extrait l’éphédrine, un précurseur à la fabrication de la meth. « Elle est protégée et est utilisée dans la préparation de remèdes. En théorie, on pourrait en faire de la drogue, mais elle reste trop chère en Suisse. » Les pilules thaïes sont donc fabriquées en Asie. « La méthamphétamine a complètement substitué l’héroïne en Thaïlande dans les années 90 avec un pic de toxicomanie inversé par rapport à ce qui existait avant ( morphine, opium, héroïne ), commente Olivier Guéniat. Et puis les grandes productions du Triangle d’or – Thaïlande, Laos, Myanmar – ont été remplacées par des laboratoires tenus par des fractions armées, beaucoup plus difficiles à découvrir pour les forces gouvernementales. Impossible de savoir ce qui s’y passe et qui sont exactement les fabricants. Aujourd’hui, ils produisent des millions de pilules sans que cela ne se voie. » Quant au crystal, il vient de République tchèque. Il n’est toutefois pas produit par un Walter White – qui décide d’exporter sa production là-bas à la fin de la série. Ce sont en effet des mafias vietnamiennes qui l’élaborent sur place, avec un savoir-faire acquis dans leur pays d’origine. « Ils exportent leur production, 70 tonnes par an, en Allemagne, en Estonie, en Lituanie, en Hollande, en Finlande et maintenant en Suisse. Leurs laboratoires, montés dans des caves, des entrepôts désaffectés, des garages, sont très sales. Et les produits précurseurs employés ne sont pas de la qualité vue dans Breaking Bad. Leur rentabilité reste moins importante, mais ils s’en moquent. A ce jour, la production de méthamphétamine se rapproche dangereusement de la Suisse en envahissant l’Allemagne. Cela se remarque dans l’analyse des eaux usées. » ( Lire l’article ci-contre ). Olivier Guéniat déplore qu’il n’existe, en Suisse, aucun système organisé de monitoring. Parce que cela demeure l’affaire des cantons, qui sont tous autonomes. 900 policiers travaillent en Suisse dans la répression du trafic de stupéfiants. Quand on attrape une organisation, malheureusement, « c’est une goutte, non pas dans un océan, mais dans une baignoire, ironise Olivier Guéniat. Nous luttons contre à peine 3 % du marché réel. Le 97 % restant est libre, sous contrainte, mais libre. Tant que la drogue reste une affaire cantonale, les mafias continuent leur travail. L’arbre tient le coup. Quand on coupe une branche, il n’a même pas mal... » 


PLONGÉES EN EAU TROUBLE

Grâce à l’analyse d’échantillons recueillis dans les stations d’épuration de 13 villes suisses, il est possible d’estimer la consommation de stupéfiants. Des scientifiques de l’Ecole des sciences criminelles mènent une étude depuis 2014.

E

n 2005, des chercheurs italiens ont effectué pour la première fois l’analyse des eaux usées d’une ville afin de déterminer la consommation en cocaïne. En allant regarder ce qui se déverse dans les stations d’épuration des agglomérations. L’expérience s’est élargie au niveau international et la Suisse participe activement à l’étude appelée SCORE avec l’EMCDDA ( European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction ) qui réunit plus de 80 cités 1). A l’UNIL, sous l’impulsion des professeurs Pierre Esseiva et Olivier Delémont de l’Ecole des sciences criminelles (ESC), les doctorants Frédéric Béen et Lisa Benaglia sont allés mettre le nez dans des échantillons d’eaux usées de 13 centres urbains helvétiques. « L’étude a débuté en 2014 et les premiers résultats sont sortis deux ans plus tard, explique Lisa Benaglia, assistante diplômée et doctorante à l’ESC. Nous avons été publiés dans la revue Drug and Alcohol Dependence  2). Il s’agit véritablement d’un nouvel indicateur de la mesure de consommation de stupéfiants. » Les doctorants ont analysé les prélèvements effectués dans les stations d’épuration sur une journée – « un préleveur relié à un tuyau récolte une certaine quantité d’eau toutes les cinq minutes, toujours au même endroit, durant 24 heures » – sur une semaine, pour repérer des traces de cocaïne, MDMA ( ecstasy ), amphétamine et méthamphétamine. Résultats : 8,8 kilos de cocaïne pure seraient absorbés chaque jour en Suisse. «Ce qui représente 22 kilos de cocaïne à la pureté que l’on

LISA BENAGLIA Assistante diplômée et doctorante à l’Ecole des sciences criminelles. Nicole Chuard © UNIL

retrouve dans la rue, souligne Lisa Benaglia. Ce que l’on retrouve en une journée dans les eaux usées est censé être représentatif de tout ce qui a été consommé par la population qui contribue à ces eaux usées. Il s’agit néanmoins d’estimations. » Et que traque-t-on précisément dans les eaux usées ? Les métabolites. « Quand on ingère une substance, par voie orale, sniff, fumigation ou en intraveineuse, elle se distribue dans tout l’organisme, explique la doctorante. Pour pouvoir l’éliminer, le corps va la métaboliser, partiellement ou complètement, et donc former des métabolites. Par exemple, pour la cocaïne, la substance dite parent, le corps produit de la benzoylecgonine, son métabolite. » Le protocole établi permet également d’observer les tendances de consommation hebdomadaires. L’ecstasy est Allez savoir !

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préférée le week-end, tandis que la méthamphétamine se prend toute la semaine. « La MDMA, considérée comme festive, est plutôt consommée par des personnes qui sortent, d’après nos hypothèses. Alors que la méthamphétamine, plus addictive, indique une courbe plus homogène tout au long de la semaine. » Les analyses confirment les observations de la police: la est présente uniquement dans le nord-ouest de la Suisse. Et surtout à Neuchâtel qui est, en 2015, la 5e ville sur les plus de 80 étudiées dans le monde, la plus touchée par la meth, loin devant Montréal ( 75e ), Paris ( 58e ) ou Amsterdam ( 26e ). En tête du triste classement, on découvre dans l’ordre Oslo, Dresde et Canberra. La doctorante ajoute que même si cette drogue est moins implantée en Suisse que les autres, elle amène de sérieux problèmes de santé publique. « Il faut rester vigilant, car si la qualité de la cocaïne diminue, que l’amphétamine et l’ecstasy deviennent moins disponibles, les consommateurs se déplaceront éventuellement vers la méthamphétamine. »  VJ 1)

Perspectives on drugs: waste water analysis and drugs — results from a European multi-city study. European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction. www.emcdda.europa.eu/ topics/pods/waste-water-analysis

2)

Assessing geographical differences in illicit drug consumption – A comparison of results from epidemiological and waste water data in Germany and Switzerland. F. Béen, L. Bijlsma, L. Benaglia, J.-D. Berset, A. M. Botero-Coy, S. Castiglioni, L. Kraus, F. Zobel, M. P. Schaub, A. Bücheli, F. Hernández, O. Delémont, P. Esseiva, and C. Ort. Drug and Alcohol Dependence, 161:189–199, 2016.

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QUAND LES VOLCANS

BOULEVERSENT

LA VIE SUR TERRE La menace qui pèse aujourd’hui sur la biodiversité n’est rien comparée aux violentes manifestations volcaniques qui ont affecté la Terre dans le passé. Elles ont créé de larges continents de laves, modifié le climat et conduit à l’extinction de nombreuses espèces vivantes. Des chercheurs de l’UNIL ont retracé le déroulement de ces évènements géologiques exceptionnels. TEXTE ÉLISABETH GORDON

L

orsqu’on parle d’extinction, il nous vient aussitôt à l’esprit la célèbre crise biologique du Crétacé-Tertiaire, il y a 65 millions d’années, qui a provoqué la disparition des dinosaures et rayé de la surface terrestre entre 60 et 80 % des espèces vivantes qui s’y trouvaient. Toutefois, bien avant cette période, notre planète a connu d’autres bouleversements. A plusieurs reprises, elle a subi de violents phénomènes volcaniques qui, eux aussi, ont eu un fort impact sur la biodiversité. Sur ce plan, les conséquences ont parfois été importantes, parfois relativement limitées. Pourquoi les mêmes causes ne produisent-elles pas toujours les mêmes effets ? C’est à cette question que viennent de répondre des chercheurs de l’UNIL.

ISLANDE

sciences de la Terre de l’UNIL. Des cataclysmes capables d’émettre plusieurs millions de kilomètres cube de laves sur des périodes de 500 000 à 1 million d’années (ce qui est très court, à l’échelle géologique). « C’est gigantesque », commente le chercheur. Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, il précise que s’il se produisait aujourd’hui, « il recouvrirait l’ensemble de l’Europe d’une couche de lave de 100 à 200 mètres d’épaisseur ».

© Lenpvi/Thinkstock

Pas de cônes, mais des fissures Il ne faut pas imaginer que ces évènements sont dus à des volcans en forme de cône qui nous sont familiers. Ils proviennent « de grandes fissures qui provoquent des fractures dans les continents », à l’image de celle de Laki, au sud de l’Islande, constituée de plus de 100 cratères alignés sur 27 km. Lorsqu’elles laissent échapper leur lave, ces fissures donnent naissance à des « provinces volcaniques », comme les appellent les scientifiques.

Le Laki est constitué de plus de 100 cratères alignés sur 27 kilomètres, le long d’une fissure. Cet ensemble évoque le type de formations qui ont donné naissance à de gigantesques provinces volcaniques.

Des surfaces gigantesques recouvertes de laves Au cours des temps géologiques, « il y a eu cinq ou six manifestations volcaniques extrêmes », explique Sébastien Pilet, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des Allez savoir !

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L’Institut des sciences de la Terre www.unil.ch/iste

à jour « les mécanismes qui étaient nécessaires à la disparition des espèces vivantes ». Pour répondre à cette question, ils se sont tout spécialement intéressés à deux provinces volcaniques : le CAMP et le Karoo-Ferrar. Une collaboration multidisciplinaire L’étude qu’ils ont publiée en mars 2016 dans Nature Scientific Reports est le fruit « d’une collaboration qui a permis de rassembler des compétences très différentes », souligne Sébastien Pilet. Outre son équipe, spécialisée dans le volcanisme, ce travail a fait intervenir des paléontologues de l’UNIL et du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris « qui ont étudié les archives fossiles de ces deux extinctions majeures », ainsi que des géochronologistes de l’Université américaine de Princeton et de l’Université de Genève, dont le laboratoire est « l’un des meilleurs de la planète en matière de datation », estime Sébastien Pilet. Corréler les archives fossiles et les émissions de laves La contribution de l’équipe genevoise a permis de dater avec une très grande précision la formation du CAMP, aux limites des périodes Trias-Jurassique, et du Karoo-Ferrar, aux limites du Pliensbachien-Toarcien. La grande difficulté pour comprendre le lien entre le volcanisme et son effet sur la biodiversité est de pouvoir corréler temporellement les archives fossiles et les émissions de laves qui sont distribuées à différents endroits du globe. « L’idée lumineuse de mes collègues paléontologistes et géochronologistes a été d’étudier des roches sédimentaires contenant des dépôts volcaniques au Pérou et dans le Nevada. »

C’est de cette manière que se sont formées les trapps de Sibérie, vastes plateaux formés d’épais dépôts de roches basaltiques, il y a environ 250 millions d’années. Puis sont successivement apparues la province du CAMP (pour Central Atlantic Magmatic Province), « dont on trouve des traces sur les bordures de l’Atlantique, de l’actuel Canada au Brésil et du Portugal au Sénégal », la province du Karoo-Ferrar, « située actuellement en Afrique du Sud, en Australie et en Antarctique » et celle du Deccan, en Inde. A cela s’ajoutent des « évènements de moins grande ampleur », comme celui datant d’il y a moins de 20 millions d’années qui est à l’origine des gorges de la rivière Columbia, au nord-ouest des Etats-Unis.

SÉBASTIEN PILET Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences de la Terre. Nicole Chuard © UNIL

Les éruptions ont des impacts variés Etonnamment, bien qu’elles aient libéré d’énormes quantités de roches en fusion, certaines de ces manifestations volcaniques n’ont eu qu’un effet relativement limité sur la diversité des écosystèmes. Cette constatation a suscité la curiosité des chercheurs de l’UNIL qui ont entrepris de mettre 36

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Datation : une précision de 100 à 200 000 ans Ces deux provinces volcaniques figurent en effet « parmi les rares endroits où l’on trouve du zircon (silicate de zirconium) dans les sédiments », explique le chercheur lausannois. Or, lorsqu’il se forme, ce minéral inclut dans sa structure de l’uranium et du thorium, deux métaux radioactifs qui se décomposent au fil du temps pour donner du plomb. « En mesurant le rapport entre les éléments “pères” et l’élément “fils”, on peut dater un événement à 100 ou 200 000 années près ! » C’est ainsi que les chercheurs ont pu savoir que l’activité du CAMP a débuté il y a 201,48 millions d’années et celle du Karoo-Ferrar il y a 183,25 millions d’années. Grâce à cette précision, « il est devenu possible de faire coïncider la date des sédiments et la mise en place du phénomène volcanique ». Deux périodes climatiques extrêmes En étudiant les sédiments marins, Jean Guex, professeur honoraire de paléontologie à l’UNIL, avait constaté que les épisodes géologiques du Trias-Jurassique et du Pliensbachien-Toarcien « étaient associés non pas à une, mais à deux périodes climatiques extrêmes différentes ». D’abord un refroidissement qui a fait baisser le niveau des mers,


puis un réchauffement qui l’a fait remonter. C’est alors que Sébastien Pilet et ses collègues sont intervenus pour tenter de comprendre « le rôle du volcanisme dans cette série d’évènements ». Lithosphère surépaissie « A notre grande surprise, se souvient Sébastien Pilet, on s’est rendu compte que dans les deux cataclysmes étudiés, le volcanisme avait eu lieu à des endroits où la lithosphère, cette partie rigide de notre planète comprenant la croûte et la partie supérieure du manteau terrestre, était surépaissie. » Ce qui a des conséquences sur la libération du magma, cette « pâte » de roches en fusion qui va donner naissance aux laves, en surface. En effet, comme l’explique Sébastien Pilet, le matériel qui remonte du centre de la Terre vers la croûte « est chaud, mais il n’est pas fondu ». Ce n’est que lorsqu’il se trouve à une profondeur de 150 à 180 km sous la surface qu’il entre en fusion. Une succession de deux périodes climatiques extrêmes Or, les chercheurs ont constaté que lorsque l’enveloppe terrestre est plus épaisse que d’habitude, cela retarde la formation de magma et donc diffère la libération des laves.

La lithosphère doit d’abord se réchauffer et, au cours de ce processus, « de grandes quantités de dioxyde de soufre (SO2) qui étaient stockées à sa base sont relâchées dans l’atmosphère ». Ce qui a pour effet de provoquer un refroidissement rapide de la surface du globe. Ce n’est que dans un deuxième temps, « lorsque le magma arrive vraiment à se créer en profondeur », que les écoulements basaltiques émettent du CO2, un gaz bien connu pour entraîner un réchauffement climatique.

ENTRE TRIAS ET JURASSIQUE

Position relative des continents, il y a 201 millions d’années. Aujourd’hui, on trouve des traces de la gigantesque « Province magmatique centre atlantique » (CAMP) de l’actuel Canada au Brésil et du Portugal au Sénégal. © D’après une illustration de S. Pilet.

Le rôle crucial des gaz Ce n’est pas anodin, car ces gaz jouent un rôle crucial dans l’extinction des espèces. Comme le dit le chercheur, « les coulées de lave ne tuent que les animaux ou les plantes qui se trouvent à proximité ». En revanche, le SO2 et le CO2 peuvent éliminer de nombreuses espèces qui vivent à des milliers de kilomètre du volcan. Car non seulement ils modifient le climat, mais ils ont aussi pour effet d’acidifier l’atmosphère et les océans, ce qui est nuisible à la vie. Des espèces qui résistent au froid Les scientifiques de l’UNIL sont donc les premiers à avoir mis en évidence la succession d’évènements qui a mené à la perte de la biodiversité lors de la formation du

CAMP

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CAMP et du Karoo-Ferrar. Mais en quoi cela expliquet-il que d’autres cataclysmes aussi violents n’aient pas eu les mêmes impacts sur le monde vivant ? « Il est probable que certaines espèces soient capables de s’adapter au refroidissement de l’atmosphère et de résister à ce changement climatique, répond Sébastien Pilet. Mais lorsque, ensuite, l’atmosphère se réchauffe, elles disparaissent. »

VOLCANISME Echantillonnage à 5500 m de fond des volcans dit de type petit-spot à l’est du Japon. © Naoto Hirano, Université du Tohoku à Sendai.

Une théorie qu’il reste à confirmer Une partie du mystère a donc été élucidée. Toutefois, souligne le spécialiste de géosciences, « il ne s’agit là que d’une théorie que nous devons encore confirmer ». Comment ? « En étudiant par exemple les isotopes du soufre pour tenter d’identifier l’origine de cet élément », répond– il. Une autre piste consisterait à « voir si la séquence d’évènements que nous avons mis en évidence pourrait permettre d’expliquer d’autres grandes extinctions, comme celles des trapps du Deccan en Inde ». Pas de menace immédiate Reste une question capitale : de tels cataclysmes pourraient-ils frapper à nouveau la surface du globe ? « Ce type de grands évènements volcaniques se produit tous les 10 à 20 millions d’années », constate Sébastien Pilet. Sachant que le dernier réveil violent des fissures (qui a donné naissance à d’immenses plateaux basaltiques couvrant les Etats de l’Oregon et de Washington) a eu lieu il y a environ 14 ou 15 millions d’années, « il ne serait pas exclu qu’un tel phénomène puisse se reproduire prochainement – à l’échelle géologique, bien sûr ». Que l’on se rassure : il semble toutefois ne pas y avoir de menace dans l’immédiat, car aucun indicateur géophysique ne suggère qu’un tel processus soit en train de se produire. Une preuve que le CO2 élève le niveau des océans Bien qu’elle concerne des temps très reculés, l’étude des chercheurs de l’UNIL et de leurs collègues entre malgré tout en résonance avec la problématique, bien actuelle, du réchauffement climatique. Si la plupart des scientifiques s’accordent à prévoir que l’augmentation des rejets de CO2 dans l’atmosphère produira une élévation du niveau des mers, ce point fait toujours l’objet de discussions. Or, « l’enregistrement du passé montre clairement que c’est bien le cas, souligne Sébastien Pilet. Il existe une corrélation directe entre les émissions de gaz à effet de serre et la remontée des océans. » Celle-ci peut être de grande ampleur « puisqu’on sait qu’à l’échelle géologique, les niveaux marins ont parfois varié d’une centaine de mètres ». Les prédictions du GIEC (Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat) selon lesquelles ils pourraient s’élever de 50 cm à 1 m d’ici à la fin du siècle « sont donc tout à fait crédibles ». Même sans épisode géologique extrême.  38

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A LA BASE DE LA LITHOSPHÈRE La planète est entourée d’une enveloppe rigide que les scientifiques nomment «lithosphère» (ce qui signifie littéralement «sphère de pierre») et qui comprend la croûte terrestre et une partie du manteau supérieur. Notre sort est lié à l’existence et aux soubresauts de cette écorce, non seulement parce que c’est là que nous vivons, mais aussi parce que les plaques tectoniques qui la composent se déplacent régulièrement, provoquant des séismes et des éruptions volcaniques. Pourtant, «on connaît encore très mal la nature de la base de la lithosphère», constate Sébastien Pilet qui, avec ses collègues de l’Institut des sciences de la Terre de l’UNIL, a décidé de se pencher sur la question. Un nouveau type de volcanisme Pour ce faire, il travaille sur des volcans très particuliers qui ont été récemment découverts par des chercheurs japonais, au large des côtes de l’archipel nippon, dans une zone où, en théorie, aucune activité volcanique n’est envisageable. Ces volcans sous-marins «sont très petits: ils ne font qu’une cinquantaine de mètres de haut», précise le chercheur lausannois. En outre, ils correspondent à un nouveau type de volcanisme car, contrairement à ceux que l’on connaissait jusqu’ici, ils «ne sont liés ni aux phénomènes de subduction (plongée d’une plaque tectonique océanique sous une autre plaque), ni aux dorsales océaniques (sortes de fossés qui se forment sous les mers). Ils nous donnent donc des informations uniques sur la nature profonde de la lithosphère océanique.» Echanges chimiques En collaboration avec des collègues japonais, les chercheurs de l’UNIL ont analysé «des échantillons provenant de portions de manteaux qui ont été entraînés par ce volcanisme». Ils en ont conclu que «les idées classiques que l’on se faisait de la lithosphère sont partiellement fausses», indique Sébastien Pilet. Alors que l’on pensait qu’il s’agissait d’une zone passive, «nos études ont montré que la partie du manteau qui se trouve juste en-dessous laisse passer des liquides. Ceux-ci ont pour effet de modifier les propriétés physiques et chimiques de la base de la lithosphère et de créer, dans le manteau terrestre, des zones fertiles qui peuvent être la source de nouveaux magmas.» Les échanges chimiques qui ont lieu entre la profondeur et la surface de la Terre éclairent d’un jour nouveau l’évolution de l’enveloppe de notre planète.  EG

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IL Y A UNE VIE APRÈS L’UNIL

PÉDIATRE D’ICI ET D’AILLEURS

Ç

a et là, quelques témoignages de sa vie de retraité : un bac à sable, une piscine pour enfants qui se remplit gentiment. «Nous nous occupons souvent de nos trois petitesfilles», confie Michel Roulet, ancien médecin-chef de l’Unité de nutrition clinique du CHUV. Tranquillement installé dans un fauteuil en rotin de son magnifique jardin, le pédiatre spécialiste en gastroentérologie revient sur sa longue carrière jalonnée de quelque quarante-cinq séjours humanitaires dans près de trente pays. Mauritanie, 1983 Sa première mission. Il sourit. « Je ne risque pas de l’oublier... J’ai fait une fièvre typhoïde. On m’a rapatrié en Suisse dans le coma ! » s’exclame-t-il avec un franc-parler qui peut amuser. C’est qu’il a tendance à ruer dans les brancards. « Mon père, petit commerçant, et moi n’avions pas du tout les mêmes idées. Il fallait que je me tire de la baraque pour conserver ma liberté de penser. » Cadet d’une fratrie de quatre enfants, Michel Roulet quitte son Peseux (NE) natal pour étudier les mathématiques à l’EPFZ, mais arrête après trois semestres. « J’ai toujours voulu être médecin mais n’avais jamais fait de latin, ce qui était obligatoire. » En huit mois, le scientifique repasse la maturité. « A force d’apprendre par cœur dix heures par jour, j’avais une mémoire à tout casser. » Les études de Médecine ? Faciles ! Après une première année à Neuchâtel, Michel Roulet rejoint Lausanne pour terminer son cursus en 1972. Il se forme en pédiatrie au CHUV, ainsi qu’en gastroentérologie et nutrition au Canada de 1977 à 1980.

Un séjour où son épouse, rencontrée à l’adolescence, sa fille aînée, handicapée mentale, et son fils le suivront. De retour au CHUV, il crée l’Unité de gastroentérologie pédiatrique. Notre hôte jette un coup d’œil furtif à la piscine qui se remplit toujours.

MICHEL ROULET Diplôme de médecine en 1972 et doctorat en 1988. Chez lui, au Mont-sur-Lausanne. © Pierre-Antoine Grisoni / Strates

La communauté des alumni de l’UNIL en ligne : www.unil.ch/alumnil

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Père Castor Durant sa carrière, le pédiatre effectue régulièrement des missions pour le Corps suisse d’aide humanitaire. Depuis sa retraite à la fin de 2007, il travaille bénévolement pour l’association Terre des hommes. « Je suis encore parti en Guinée l’année dernière durant la crise Ebola. 2016 est ma première vraie année de retraite. » Quoique... A 71 ans, il a mis sur pied un CAS (Certificate of Advanced Studies) en Santé materno-infantile dans les crises humanitaires, donné pour la première fois en janvier dernier. Intarissable, Michel Roulet évoque tour à tour le Sri Lanka, le Soudan, Gaza, le Mali, le Rwanda, Sumatra et Haïti, où il a séjourné à plus de dix reprises. Ses récits, aussi dramatiques que rocambolesques, appellent à la réflexion sur la manière d’envisager sa propre relation à l’autre et, surtout, la médecine à l’occidentale. « Il faut sortir de cette vision curative, totalement stupide, et adopter une approche beaucoup plus large de la santé, se focaliser sur la population survivante et la prévention. Ce dont les gens ont besoin après une catastrophe, c’est avant tout de sécurité. Les soins ne sont que secondaires. » « Ça coule ! » lance subitement son épouse. Après plus de trois heures d’interview, la piscine finit par déborder et vient mettre un terme à ces fascinantes histoires de vie.  MÉLANIE AFFENTRANGER

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ÉCONOMIE


FAUT-IL ABOLIR

L’AGE DE LA RETRAITE ? De nombreux seniors en pleine forme et intégrés sur le marché du travail aimeraient prolonger leur carrière de quelques années, et, souvent, ne le peuvent pas. Faudrait-il entendre leurs demandes? L’idée fait son chemin, notamment parce qu’elle permettrait encore de régler le problème du financement de l’AVS. TEXTE SONIA ARNAL

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rrêter de travailler à 65 ans, ce ne sera plus possible très longtemps : trop de gens vont prendre leur retraite sur une même période pour être décemment financés par des actifs qui sont toujours moins nombreux. Tout le monde est d’accord sur cette donnée démographique. La bonne façon de sortir de l’impasse est par contre loin de faire consensus.

PROLONGATION

Pourquoi ne pas allonger la carrière des « baby boomers » de quelques années, afin d’assurer le financement de l’AVS ? © Thinkstock

Le principe de financement de cette assurance dite AVS est assez simple : « On peut schématiser en disant que l’argent qui est retenu cette année sur votre salaire est versé l’année même à votre grand-mère », résume René Knüsel, professeur à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne qui chapeaute actuellement une étude sur les problèmes liés à la sortie du marché du travail. Evidemment, un travailleur


ÉCONOMIE

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l’opinion publique. Mais alerté à quel sujet, au fond ? « L’équilibre entre le nombre de personnes qui paient, quelque 4 millions de travailleurs environ, et le nombre de personnes qui reçoivent de l’argent est en train de se rompre », explique René Knüsel. La stabilité des décennies précédentes est menacée par un phénomène démographique clairement identifié : les baby-boomers arrivent à la retraite. Ces gens nés entre environ 1945 et 1960 participent à un pic de natalité. La génération qui suit est nettement moins nombreuse. On se retrouve donc avec une pyramide des âges inversée, soit beaucoup de gens qui partent à la retraite en même temps, et qui doivent être financés par des travailleurs moins nombreux. « L’espérance de vie de ces baby-boomers, qui sont en fait maintenant des papy-boomers, tend par ailleurs à s’allonger, complète René Knüsel. Les actifs doivent ainsi payer plus longtemps que par le passé la retraite d’une personne. Quand l’AVS a été introduite, la majorité des travailleurs mouraient dans les deux ans qui suivaient le départ à la retraite. » Aujourd’hui, c’est plutôt une vingtaine d’années après... On ne peut que se réjouir de cette longévité, mais évidemment elle a un coût. Comment financer un plus grand nombre de retraités qui vivent plus longtemps, alors que le nombre d’actifs diminue ? « Tous les experts constatent que les modèles actuels sont en péril, mais cela n’implique pas qu’on doive y renoncer, rassure Alain Salamin, spécialiste des ressources humaines et chargé de cours à la Faculté des hautes études commerciales de l’Université de Lausanne. La solidarité entre les générations est essentielle et doit être préservée. » ne finance pas à lui tout seul la retraite d’un senior : on compte environ trois actifs pour un pensionné. Ce système a été introduit en 1948 – le projet, inspiré de Bismarck, datait du début du siècle, mais sa mise en œuvre a été longue et laborieuse. Jusqu’alors, c’était aux familles de prendre en charge les personnes trop âgées pour travailler, avec évidemment des conséquences très lourdes pour les plus pauvres. L’AVS a été créée dans le but de les soulager, même si à l’origine le montant versé était assez minime – 40 francs, soit environ 183 francs d’aujourd’hui, selon un document de l’Office fédéral des assurances sociales. Il faudra attendre les années 70 pour que la rente remplisse l’objectif inscrit dans la Constitution, soit garantir le minimum vital. Petite surprise quand on se penche sur la naissance de cette assurance : à l’origine, hommes et femmes devaient travailler jusqu’au même âge avant d’y avoir droit, soit 65 ans. Ce n’est qu’en 1962 que la limite pour les femmes a été fixée à 62 ans, avant de reprendre l’ascenseur ces dernières années...

RENÉ KNÜSEL Professeur à l’Institut des sciences sociales. Nicole Chuard © UNIL

Quel est le problème de l’AVS ? Pascal Couchepin, alors conseiller fédéral, a jeté le pavé dans la mare en 2003 en proposant de reculer l’âge de la retraite à 67 ans. Si les spécialistes étaient conscients du problème bien avant cette date, c’est cette prise de position qui a alerté 42

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Quelles solutions pour continuer à assurer des rentes décentes ? Longtemps, la Suisse a comblé le déséquilibre entre ses actifs et ses pensionnés par l’immigration. Avec un bénéfice collatéral certain : les étrangers établis en Suisse ont toujours fait en moyenne plus d’enfants que les Helvètes, parce qu’ils étaient en moyenne plus jeunes. Leur intégration dans le pays présentait donc un double avantage. « Mais depuis quelques années, et notamment depuis l’initiative du 9 février, cette stratégie a atteint ses limites, politiquement : la population semble ne plus être prête à accepter davantage de travailleurs étrangers », explique René Knüsel. C’est donc dans le réservoir des actifs résidant en Suisse qu’il faut puiser. La première piste, ce sont les femmes. « Elles sont bien formées, mais à la naissance de leur premier enfant, beaucoup font le choix soit d’arrêter de travailler, soit de travailler à temps très partiel, à mi-temps par exemple. » Johann Schneider-Ammann, conseiller fédéral en charge de l’Economie, a déjà brisé une lance en ce sens. Pour qu’elles ne quittent pas leur emploi et/ou travaillent à un pourcentage plus élevé, il faudrait des encouragements concrets, estiment les spécialistes. Qui citent notamment la difficulté à trouver des solutions de garde, leur prix souvent dissuasif quand elles existent, comme celui des impôts d’ailleurs quand les parents doivent


Le Département de comportement organisationnel www.hec.unil.ch/ob

additionner deux salaires pleins. Il faudrait aussi un changement culturel : beaucoup de familles sont en Suisse encore attachées au schéma traditionnel, où la mère reste à la maison pour élever ses enfants, et les pères sont toujours très peu nombreux à s’investir au point de baisser leur temps de travail. L’autre réservoir, c’est évidemment les baby-boomers eux-mêmes, ces seniors nombreux encore en pleine forme et déjà intégrés sur le marché du travail. Pourquoi ne pas prolonger leur carrière de quelques années ? C’est la piste dont on discute le plus en Suisse, comme dans tous les pays concernés par ce problème démographique. Elle cumule plusieurs avantages : on maintient un nombre d’actifs plus élevé, on réduit temporairement le nombre de bénéficiaires de l’AVS, et on ne gaspille pas la richesse que représentent le savoir et l’expérience de ces travailleurs. Est-ce possible de travailler après 65 ans ? En théorie, oui, et c’est ce que font déjà certains indépendants. Pour les salariés de nombreuses entreprises et de l’Etat, c’est non : ceux qui demandent à travailler un peu plus longtemps se voient le plus souvent signifier une fin de non-recevoir. On peut bien sûr changer la loi, et c’est ce qui risque bien d’arriver prochainement. Là, il y a deux écoles : repousser l’âge de la retraite pour tout le monde – le chiffre le plus souvent articulé est 67 ans. Ou abolir ce couperet et proposer une certaine souplesse, avec la possibilité d’arrêter quelque part entre 60 et 70 ans. La première option semble raisonnable : la durée de vie s’est tellement rallongée et les gens sont tellement plus en forme à 65 ans aujourd’hui qu’il y a 40 ans qu’on ne peut plus comparer. Pourtant, diverses études le montrent, les personnes de plus de 50 ans qui se retrouvent au chômage ont toutes les peines du monde, quel que soit leur niveau de formation, à retrouver un emploi. Est-ce bien réaliste de songer à les garder au boulot jusqu’à 67 ans ? « C’est vrai qu’on a actuellement deux discours qui se concurrencent, avec des projections ambivalentes », constate René Knüsel. D’un côté, des seniors montrés dans les publicités en train de sauter en parachute, de faire des balades à vélo, qu’on appelle l’or gris et dont on vante le capital-sagesse pour une entreprise. De l’autre, « ces gens sont victimes de comportements conservateurs, poursuit le chercheur. Ils sont victimes d’”âgisme“ : certains employeurs les soupçonnent de manquer de souplesse, d’être réfractaires au changement, souvent malades, dépassés par les nouvelles technologies. C’est loin d’être vrai. Certains entrepreneurs l’ont compris et misent déjà sur eux, mais il va falloir un changement de regard.  » Et un changement aussi du plan de carrière : si les plus de 50 ans sont difficilement réemployables, c’est notamment parce qu’ils coûtent cher aux patrons en charges sociales. « De ce point de vue, la proposition d’Alain Berset me semble très intéressante : le taux versé au 2e pilier sera unique et lissé sur l’ensemble de la carrière, relève Alain Salamin. Contrairement au système actuel de taux progressif en fonction de

ALAIN SALAMIN Chargé de cours à la Faculté des Hautes études commerciales. Nicole Chuard © UNIL

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l’âge, il ne sera pas, dans le futur, plus coûteux pour un employeur d’engager un senior plutôt qu’un jeune. » La courbe de la carrière professionnelle risque aussi de se modifier. L’ascension ne peut pas être constante. « Il faudra repenser les fins de parcours et imaginer des tâches différentes, notamment d’encadrement, mais aussi l’accès à la formation, ajoute René Knüsel. On voit aujourd’hui déjà des CEO ou des cadres qui sont vidés à 50 ans, on ne peut pas demander la même motivation et le même engagement à 67 ans qu’à 45. » C’est d’autant plus vrai que l’épuisement psychologique interrompt aujourd’hui déjà la carrière d’un pourcentage significatif de travailleurs, qui sont pris en charge par l’AI un certain nombre d’années, parfois une dizaine, avant de passer à l’AVS. Pareil pour des raisons physiques avec par exemple les ouvriers du bâtiment, qu’une convention collective autorise déjà, pour certains corps de métiers, à arrêter de travailler à 55 ans. Clairement, tout le monde ne pourra donc pas travailler jusqu’à 67 ans. « C’est notamment pour cela que la flexibilisation me semble une option plus intéressante, avance Alain Salamin. Le but est d’offrir la possibilité à ceux qui peuvent et veulent travailler plus de le faire. Pas forcément à plein-temps, et pas forcément dans le même métier. Aujourd’hui, le schéma typique, c’est un employé qui a N° 64

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64 ans et travaille 42 heures par semaine. Lorsqu’il fête ses 65 ans, du jour au lendemain, c’est 0 %. On ne peut que se réjouir, aussi bien du côté des collaborateurs que des employeurs, d’une solution qui offrirait beaucoup plus de souplesse. » La retraite progressive, c’est possible ? René Knüsel, qui se penche dans le cadre d’une étude financée par le FNS sur les fins de carrière professionnelle, constate que même si cette souplesse n’est pour l’heure pas formalisée ni inscrite dans la loi, de fait elle existe déjà. « La retraite, c’est un faux passage. Nous constatons que bien des personnes retraitées ou à l’AI ont des activités, à des taux et avec des revenus très variables. Certains ne s’en sortent tout simplement pas financièrement et sont obligés d’occuper des emplois ni très gratifiants ni adaptés à leur âge ou leurs capacités, et travaillent au noir. D’autres continuent dans le privé un métier qui leur plaît et qu’ils ont envie de continuer, ce que le public ne leur permet pas. » Le professeur relève que schématiquement, dans le débat actuel, la gauche voudrait flexibiliser le départ à la retraite entre 55 et 65, la droite entre 65 et 70 ans, voire plus. Il trouve la proposition de Berset « pas sotte » avec ses 60 à 70 ans. « Mais encore faudra-til veiller à ce qu’il y ait une vraie équité : tous les destins ne 44

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PARADOXE

Si les seniors actifs sont valorisés dans la publicité, certains employeurs les suspectent d’être réfractaires au changement ou de manquer de souplesse. © iStock

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sont pas comparables, et en abrogeant le principe d’un âge limite, on risque aussi d’autoriser la fin du travail à 60 ans pour ceux qui exercent un métier bien rémunéré et pas trop pénible, ceux qui ont pu se constituer et financer à titre privé une prévoyance complémentaire de type 3e pilier. Et les travailleurs qui ont eu un petit salaire toute leur vie risquent de devoir tenir jusqu’à 70 ans pour espérer une retraite décente. Or, à 70 ans, vous ne soulevez plus un sac de 50 kg tout au long de la journée. Je suis favorable à la souplesse, mais il faudra être vigilant sur son application. » A priori, c’est donc oui à l’abolition de l’âge unique et obligatoire pour tous de la retraite, et à plus de souplesse – pour autant que les moins fortunés ne soient pas de fait défavorisés. Le déséquilibre entre nombre de retraités à charge et actifs qui les soutiennent ne va pas se résoudre tout seul et on ne pourra pas faire l’économie d’une vie professionnelle plus longue. Reste une bonne nouvelle pour les générations futures : le problème sera épineux jusque dans les années 2035-2045. Ensuite, cela devrait aller mieux. Sans vouloir sombrer dans le cynisme, le problème de l’inversion de la pyramide des âges sera moins aigu quand la classe des baby boomers aura cédé sa place à la génération suivante de retraités, moins nombreuse. 


LIVRE

INDESTRUCTIBLES UTOPIES

«

Les récits de mondes imaginaires fleurissent au XVIIIe siècle, au point de devenir un genre littéraire en soi. Souvent subversives, ces fictions décrivent des organisations sociales idéales, comme des Républiques. Un beau dictionnaire explore ces contrées du rêve.

XVIIIe SIÈCLE « La découverte australe par un homme volant », par Restif de La Bretonne (éd. de 1781, à g.). « The life and strange surprising adventures of Robinson Crusoe », par Defoe (éd. de 1719, à dr.). © Bibliothèque de Genève

Sous la dir. de B. Baczko, M. Porret, F. Rosset. Médecine et Hygiène, Georg (2016), 1406 p.

en fait d’ici », explique François Rosset, professeur en Section de français à l’UNIL et codirecteur du Dictionnaire, avec Bronislaw Baczko et Michel Porret. Même si la parution de L’Utopie de Thomas More date du XVIe, le genre fleurit plutôt au siècle suivant (avec l’escapade de Cyrano de Bergerac chez les Séléniens) et s’épanouit au XVIIIe, au point de devenir un genre littéraire apprécié. Il en existe plus de 150 (en français ou traduits). Leur contenu navigue le plus souvent sous des couleurs réformatrices. Ainsi, parmi les modèles d’organisation proposés aux lecteurs se trouvent souvent des Républiques. «Il est étonnant de constater que très peu de ces textes, parfois violemment antimonarchiques, aient été censurés à l’époque», note François Rosset. La subversion s’exerce dans tous les domaines. Ainsi, « une poignée d’au-

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teurs, matérialistes radicaux, estiment qu’une société heureuse n’a pas de religion ». La Révolution française prétendra réaliser une partie des idéaux exposés dans les utopies. « Le bonheur des Hommes, la société égalitaire ou le concept même de République, rêvés par des écrivains, se voient d’une certaine manière traduits dans le réel », remarque François Rosset. Ce qui suscite un renversement de perspective. Présentée en 1793 à Paris, une pièce de théâtre met en scène des monarques et le pape exilés sur une île lointaine. Les Hommes, désormais libres, voient avec joie disparaître leurs anciens maîtres dans une éruption volcanique ! Et aujourd’hui ? « Les enfants de l’utopie et des Lumières ont hérité de la culture de la prospective », observe François Rosset. La possibilité de construire un monde imaginaire afin d’y expérimenter des idées est par exemple vivace dans les univers numériques. Mais, « dans un registre moins euphorique, nous avons fait l’expérience de la difficulté qu’il y a à transposer des organisations sociales depuis le papier vers le réel, et des dérives que cela entraîne ». Un chapitre de l’ouvrage traite justement des « anti-utopies », comme la société liliputienne, inventée par Jonathan Swift. Un monde parfait n’a que peu de chemin à parcourir pour devenir un cauchemar.  DAVID SPRING

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Laputa, l’île volante, survole Balnibari et des mers éloignées. Quelques kilomètres plus bas, Niels Klim arpente la planète Nazar, qui évolue autour d’un soleil interne caché au centre de la Terre. Robinson Crusoé se reconstruit une vie au large de l’Amérique du Sud. Nées des esprits de Jonathan Swift, Ludvig Holberg et Daniel Defoe, ces visions datent du XVIIIe siècle. Les réflexions de ces auteurs trouvent une mise en perspective dans le Dictionnaire critique de l’utopie au temps des Lumières, paru en juin dernier. De « Amérique » à « Voyage », cet ouvrage au graphisme soigné rassemble des essais rédigés par une cinquantaine de chercheurs. Le projet est né au lendemain de la remise du Prix Balzan 2011 à Bronislaw Baczko (1924-2016), historien polonais, ancien professeur à l’UNIGE, dont les Lumières de l’utopie (1978) font référence. La forte somme d’argent liée à cette distinction est conditionnée à la réalisation d’un projet qui implique de jeunes scientifiques. Dans une démarche interdisciplinaire, les essais de ces derniers côtoient ainsi les textes de leurs aînés, liés de près ou de loin au professeur récipiendaire. La fiction utopique brode sur une trame répétitive. « Un narrateur voyage très loin, découvre une société idéale et la décrit. Mais bien entendu, lorsqu’il raconte là-bas, il parle

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, ANANIAS La conversion de l’apôtre Paul, sur le chemin de Damas, est sans conteste l’un des événements majeurs de l’histoire de la chrétienté. Pourtant, qui connaît le rôle joué par cet anonyme dans une transformation si fulgurante ? Le théologien Daniel Marguerat nous éclaire sur le récit d’un persécuteur catéchisé par une de ses victimes... TEXTE ANNE-SYLVIE SPRENGER

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ous la plume de Daniel Marguerat, la conversion de l’apôtre Paul, personnage central du Nouveau Testament, acquiert une tournure des plus frap­ pantes. Selon le théologien, auteur d’un commen­ taire scientifique exhaustif des Actes des Apôtres, cet épisode s’apparente ni plus ni moins au récit explicite d’un bourreau transformé – et sauvé spirituellement – par sa victime. Ou, plus précisément, par une de ses victimes potentielles. Si la figure de Paul le persécuteur, devenu lui-même persécuté, a été largement commentée, cet aspect du bourreau évangélisé par sa propre victime apparaît totalement inédit. Or, quand on sait l’importance que joua

LA CONVERSION DE SAINT PAUL

Le futur apôtre est jeté en bas de son cheval. Huile sur toile peinte par Le Caravage, 1601. Rome, Santa Maria del Popolo, Cappella Cerasi. © akg-images / MPortfolio / Electa

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l’homme dans l’établissement de la chrétienté, on ne peut que s’étonner de n’avoir jamais entendu pareille analyse... La raison en est simple : cet anonyme, qui œuvra pourtant si clairement dans la conversion du futur apôtre Paul, a été quasiment oublié dans les commentaires du texte biblique. Si bien qu’aujourd’hui, très peu connaissent son nom : Ananias. La pièce manquante « Ce personnage est complètement effacé », atteste le spécialiste du Nouveau Testament de l’UNIL. « Effacé des tableaux et de la mémoire autour de la conversion de Paul, alors que », affirme-t-il, « c’est par lui que tout arrive ». N° 64

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Pour comprendre le rôle joué par Ananias dans cette transformation radicale, il convient de revenir au récit biblique, qui divise clairement l’événement en deux temps distincts : l’interpellation divine sur le chemin de Damas, puis la rencontre humaine, l’enseignement alors reçu par ce chrétien ordinaire nommé Ananias. La mémoire chrétienne de la conversion de Paul n’a manifestement retenu que la première séquence, plus éclatante, plus impressionnante ; la seconde est alors tombée dans l’indifférence générale. A tort, tant cet épisode se révèle riche en significations. Et ce, pour aujourd’hui encore... Mais avant d’en arriver là, revenons chronologiquement sur ces deux scènes, qui changèrent à tout jamais l’histoire de l’Eglise naissante, et le cours même de la chrétienté. Car, répétons-le si besoin, Paul est devenu à la suite de cet événement l’homme par qui s’est faite l’exportation du message biblique. « C’est là tout le paradoxe. Paul, qui était à la pointe de la persécution des premiers chrétiens, va devenir le plus grand propagandiste chrétien de tous les temps », résume le théologien. Reprenons donc pas à pas, verset après verset, le fil de ce retournement magistral. Paul, l’extrémiste Années 30-40. Paul, alors appelé de son nom araméen Saul de Tarse, est un « pharisien d’élite », relate Daniel Marguerat. « C’est un homme extrêmement doué qui a une double formation. » Paul a en effet suivi à la fois un enseignement de rabbi pharisien à Jérusalem, où il a été formé à l’étude de la tradition juive, et également un enseignement de la rhétorique gréco-romaine. « A Tarse se trouvait alors une très célèbre école stoïcienne, très cotée », souligne le spécialiste. « On dirait de Paul aujourd’hui qu’il est un universitaire. » Mais encore. Paul était ce que l’on nommerait aujourd’hui un pharisien extrémiste. « Il participe à cette conviction pharisienne que la foi doit être exigeante et pure », exprime le théologien. Or, dans ces années 30-40, « de petites communautés juives, des groupuscules qui croient au Seigneur Jésus commencent à se répandre. C’est dans le but de remettre ces marginaux au pas et d’éradiquer cette excroissance considérée dans l’erreur, que Paul va alors prendre la route pour Damas. » L’auteur du livre des Actes, l’évangéliste Luc, le relate sans détour au début de chapitre 9 : « Pendant ce temps, Saul ne cessait de menacer de mort les disciples du Seigneur. Il alla trouver le grand prêtre et lui demanda des lettres d’introduction pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait des personnes, hommes ou femmes, qui suivaient le chemin du Seigneur, il puisse les arrêter et les amener à Jérusalem. » Interpellation éblouissante Aux portes de Damas, Paul est stoppé net par une interpellation divine. « Luc rapporte un événement mystique absolument éblouissant, telle une espèce de fulgurance lumi-

neuse qui jette Paul à terre et le rend complètement hagard et aveugle », relate Daniel Marguerat. Un bref échange eut alors lieu : « Il entendit une voix qui lui disait : “Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?” Il demanda : « Qui es-tu Seigneur ? » Et la voix répondit : « Je suis Jésus que tu persécutes. Mais relève-toi, entre dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire. » Lorsque Paul se releva, il ne voyait plus rien, écrit encore l’évangéliste. Ses compagnons de route durent alors le conduire jusqu’à Damas. « Ce qui est intéressant, note le théologien, c’est que Luc précise que Paul ne comprend rien à ce qui lui arrive. Il est complètement annihilé. C’est ce qu’on nomme généralement la conversion de Paul. L’ennemi des chrétiens, très exactement des juifs chrétiens, est renversé, bousculé. » Et Daniel Marguerat de citer le nombre de tableaux représentant ce moment, dont la fameuse œuvre du Caravage : « Dans cette peinture, Paul est jeté en bas de son cheval, et on voit l’équidé, patte dressée et dominant le futur apôtre. Cette peinture est magnifique, mais il n’y avait en l’occurrence pas de cheval. Au Moyen Age, les nobles voyageaient ainsi et l’on considérait qu’il convenait à un homme de grande valeur comme Paul d’en chevaucher un... » Approximation plus capitale, l’oubli de ce deuxième temps crucial de ce renversement. Car, poursuit le spécialiste, « si on lit bien le chapitre 9 des Actes, on s’aperçoit que cet événement ne marque qu’un premier temps, et que la conversion de Paul ne va se produire qu’après, au contact d’Ananias précisément ». «LES ACTES DES APÔTRES 1-12» ET «LES ACTES DES APÔTRES 13-28». De Daniel Marguerat. Ed. Labor et Fides (2015), 394 et 446 p.

Un chrétien ordinaire Qui est cet Ananias, qui n’apparaît nulle part ailleurs dans le récit biblique ? « C’est un juif chrétien, un croyant lambda dont Luc a gardé le nom heureusement », renseigne Daniel Marguerat. « On n’a de lui aucune autre trace. Et pourtant, c’est à lui que le Seigneur va apparaître pour lui demander d’aller guérir Paul. » La première réaction d’Ananias est une incompréhension totale. Sous la plume de Luc, le croyant s’écrie alors : « Seigneur, de nombreuses personnes m’ont parlé de cet homme et m’ont dit tout le mal qu’il a fait à tes fidèles à Jérusalem. Et il est venu ici avec le pouvoir que lui ont accordé les chefs des prêtres d’arrêter tous ceux qui font appel à ton nom. » Sa réticence apparaît dès lors plus que compréhensible : « Ananias n’ignore pas les raisons de la venue de Paul à Damas. Il fait même partie des victimes potentielles de Paul », commente le théologien, qui souligne la singularité de la situation : « Dieu demande non seulement à la victime de se réconcilier avec son bourreau, mais de lui venir en aide. » Evangélisé par sa victime Aux protestations d’Ananias, le Seigneur répond encore : « Va, car j’ai choisi cet homme et je l’utiliserai pour faire connaître mon nom aux autres nations et à leurs rois, ainsi


L’Institut romand des sciences bibliques www.unil.ch/irsb

DANIEL MARGUERAT Professeur honoraire, Institut romand des sciences bibliques. Nicole Chuard © UNIL

Et surtout, directement après : « Saul resta quelques jours avec les disciples qui étaient à Damas. Il se mit immédiatement à prêcher dans les synagogues en proclamant que Jésus est le Fils de Dieu. » Pour le théologien, il ne fait aucun doute qu’ici tout n’a pas été écrit. « Le récit biblique ne raconte que le minimum. Il y a évidemment là un blanc, une ellipse narrative. Ananias va expliquer à Paul ce qui lui est arrivé sur le chemin de Damas, mais surtout le faire entrer dans cette nouvelle conviction, qui est celle de Jésus Messie. Paul va recevoir une catéchèse au sein de la communauté de Damas. C’est ainsi la victime désignée qui devient l’évangéliste de son bourreau ! »

qu’au peuple d’Israël. Je lui montrerai moi-même tout ce qu’il devra souffrir pour moi. » Le propos est on ne peut plus clair : « Le Seigneur révèle à Ananias que Paul a été choisi pour devenir l’apôtre des nations et faire du christianisme une religion universelle », commente Daniel Marguerat, qui poursuit : « Cette annonce est doublement surprenante : d’abord, c’est la première fois que l’on parle d’un témoignage universel, car jusqu’alors la foi au Seigneur Jésus était pratiquée uniquement au sein du judaïsme ; secondement parce que c’est lui, Paul, l’ennemi numéro un des chrétiens, qui est choisi pour cette mission. » Ananias s’est alors rendu auprès de Paul, lui apposa les mains et lui dit : « Saul, mon frère, le Seigneur Jésus qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais m’a envoyé pour que tu puisses voir de nouveau et que tu sois rempli du Saint-Esprit. » Ensuite, tout s’enchaîne très vite sous la plume de Luc : « Aussitôt des sortes d’écailles tombèrent des yeux de Saul et il put voir à nouveau. Il se leva et fut baptisé ; puis il mangea et les forces lui revinrent. »

«PAUL PERMET­TRA AU CHRISTIANISME DE DEVENIR CE QU’IL EST, UNE RELIGION QUI TROUVE SES RACINES DANS LE JUDAÏSME MAIS VA S’OUVRIR À L’ENSEMBLE DE L’HUMANITÉ.» DANIEL MARGUERAT

Allez savoir !

Le persécuteur persécuté Le récit de Luc rapporte également l’étonnement provoqué par pareil retournement : « N’est-ce pas cet homme qui persécutait violemment à Jérusalem ceux qui font appel au nom de Jésus ? Et n’est-il pas venu ici exprès pour les arrêter et les ramener aux chefs des prêtres ? » Dès lors, Paul est considéré comme un traître par les pharisiens, un apostat. Au point que ces derniers complotèrent contre lui, dans le but de le mettre à mort. « Paul va pourtant répéter avec insistance qu’il n’a pas changé de religion, il a seulement approfondi sa foi juive en intégrant la venue de Jésus, Messie d’Israël », précise Daniel Marguerat, qui considère d’ailleurs le terme de conversion mal adapté à la circonstance. « Il conviendrait mieux de parler d’un retournement, mais au sein d’une même religion. En effet, dans ses écrits, Paul s’attachera à faire sans cesse le lien entre l’Ancien Testament et l’enseignement de Jésus. » La plus grande différence est qu’aujourd’hui, les promesses sont adressées non seulement au peuple choisi, mais à toutes les nations. « C’est Paul, par ses écrits et sa pensée, qui va assurer cette ouverture universelle du christianisme », déclare le théologien. « C’est lui qui permettra au christianisme de devenir ce qu’il est, une religion qui trouve ses racines dans le judaïsme mais va s’ouvrir à l’ensemble de l’Humanité. » Paul, va cependant passer du rôle de persécuteur à celui de persécuté, durant tout son apostolat. Dans la vision d’Ananias, le Seigneur le lui avait d’ailleurs annoncé : « Je lui montrerai moi-même tout ce qu’il devra souffrir pour moi. » Un élément fort important aux yeux du théologien : « Ce n’est pas la promesse de lendemains qui chantent mais au contraire la promesse d’un chemin où le disciple ne sera pas différent de son maître. Tout comme lui, il N° 64

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sera persécuté. Contrairement à ce que proclament certains mouvements religieux, la conversion n’est pas le gage d’une réussite sociale éclatante, pas plus qu’elle ne représente la fin de tous les tourments. Elle marque plutôt le début d’un long cheminement vers cette nouvelle identité. » Du sens pour aujourd’hui Quel enseignement le rôle joué par Ananias nous apportet-il aujourd’hui ? Y a-t-il un message à en tirer ? Le spécialiste y voit principalement trois points. « Le premier, c’est que Dieu passe par des médiations humaines. Nous sommes confiés les uns aux autres et c’est ensemble que nous construisons nos convictions. » Un constat qui incite dès lors chaque chrétien à jouer sa part. « Deuxièmement, face à cette aspiration au vedettariat très contemporaine qui engendre le mépris et la banalisa50

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LÉGENDE DE SAINT PAUL

Cette enluminure carolingienne (v. 843-851) présente la chute et l’aveuglement de Paul (en haut à g.). Ce dernier rencontre Ananias (en haut, à dr.). Ensuite, il est guéri de sa cécité et baptisé (au centre). Puis il commence à prêcher (en bas). Tiré de la première Bible de Charles le Chauve. Paris, Bibliothèque Nationale. © akg-images

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tion des gestes quotidiens, ce passage incite à nous émerveiller de l’héroïsme des gens ordinaires. Il est crucial de nous rendre compte qu’au fait, nombre de ces gestes ordinaires que l’on disqualifie sont en réalité de pures merveilles. » Et troisièmement ? « Elle se rapporte à cette histoire du bourreau converti par sa victime, et Dieu sait si aujourd’hui, dans les affrontements religieux, il y a beaucoup de bourreaux et de victimes ! L’idée est que nous n’avons pas à céder à l’antagonisme absolu entre bourreau et victime. Il y a un chemin qui peut être chemin de rencontre, de conversion réciproque, de retournement de conviction. La perversion de l’islam radicalisé est de vouloir provoquer un choc des cultures et un conflit des religions. Il y a au contraire une voie à chercher, dans laquelle bourreau et victime peuvent être sauvés ensemble... » 


LIVRES

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GUY DE POURTALÈS AU FIL DE L’EAU

LOUIS XIV ET LA SUISSE Depuis le XVe siècle, les souverains français ont soigné leurs relations économiques, militaires et politiques avec les cantons suisses. Le 18 novembre 1663, à Notre-Dame de Paris, le jeune Louis XIV marque le renouvellement de cette alliance négociée âprement pendant quinze ans en recevant avec faste les ambassadeurs du Corps helvétique. Collaborateur scientifique à l’Institut Benjamin Constant, Guillaume Poisson traite de cet épisode marquant dans un ouvrage bref et accessible. L’auteur nous plonge dans cet évènement bien documenté, du protocole aux détails du traité. La lourde dette de la France auprès des Suisses, ainsi que les privilèges commerciaux de ces derniers furent des points d’achoppement avec les

nière comporte de nombreux éléments autobiographiques cachés, désormais décryptés grâce au travail du chercheur. Des informations sur les sources utilisées par Guy de Pourtalès, sur les modifications qu’il a apportées à son roman, ainsi qu’un cahier iconographique, complètent l’ouvrage. D’ici à la fin de 2017, trois autres textes, nettement moins connus, feront à leur tour l’objet d’une réédition augmentée, toujours chez Infolio : A mes amis suisses, Montclar et Nous, à qui rien n’appartient. En parallèle, les éditions Zoé rééditent le délicieux

Marins d’eau douce (1919). Stéphane Pétermann a doté de notes utiles et d’une courte introduction ces souvenirs d’enfance de Guy de Pourtalès, aussi doux que nostalgiques. Un tour du Léman à bord du Papillon, tendre et drôle, ainsi que la rencontre de l’auteur avec la musique suscitent une grande émotion chez le lecteur.  DS

ministres du roi. Immortalisé par Le Brun, le renouvellement de l’alliance fut diversement apprécié, allant parfois jusqu’à être considéré comme un traumatisme pour la jeune Confédération.  DS

fois. Vous êtes Epicure et vivez bien comme si la mort n’était rien, dans votre école où les femmes sont reçues au même titre que les hommes. Vous êtes Sénèque et vous dites qu’il est « plus beau pour l’homme d’apprendre à mourir qu’à tuer ». Vous êtes Heidegger et l’angoisse de la mort nourrit votre « être-là » ici-bas. Vous êtes un contemporain : vous vous sentez davantage concerné par le « comment » mourir que par une éventuelle «after » ; pour vous, les soins palliatifs ont remplacé les eschatologies (représentations de l’au-delà). Vous êtes un djihadiste : vous massacrez la vie, piétinez les corps, vénérez la mort. Cet excellent « Que sais-je ? », rédigé par une professeure de l’UNIL nous renseigne avant tout sur l’humaine existence dans sa foisonnante diversité, hier et aujourd’hui.  NR

LA PÊCHE MIRACULEUSE. Par Guy de Pourtalès. Infolio (2016), 766 p. MARINS D’EAU DOUCE. Par Guy de Pourtalès. Zoé (2016), 188 p.

18 NOVEMBRE 1663. LOUIS XIV ET LES CANTONS SUISSES. Par Guillaume Poisson. Editions PPUR / Le savoir suisse (2016), 139 p.

UN MORTEL «QUE SAIS-JE ?» Vous êtes bouddhiste ; vous voulez vous libérer du cycle des réincarnations ou trouver au moins, dans une autre vie, un meilleur destin. Vous êtes juif et vous ignorez les visions macabres du christianisme pour prôner jusque dans la mort un art de vivre. Vous êtes musulman : vous veillez le défunt en famille, découvrez son visage pour le voir une dernière

Allez savoir !

«

Deux romans de l’écrivain franco-suisse Guy de Pourtalès (1881-1941) ont été réédités ce printemps. Ainsi, désormais, un important appareil critique accompagne La Pêche miraculeuse, paru en 1937. Pourquoi ? Parce que ce long récit «est truffé de références historiques et musicales, ainsi que d’expressions genevoises oubliées», note Stéphane Pétermann, collaborateur au Centre de recherches sur les lettres romandes et auteur de cette mise en perspective de l’œuvre. De plus, cette der-

LA MORT. Par Alexandrine Schniewind. PUF / Que sais-je ? (2016), 126 p.

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MÉDECINE

LA NOUVELLE CARTE DE

LA FORMATION DES

MEDECINS La Suisse connaît une pénurie de médecins, et en particulier de médecins de premier recours. Que faire ? Depuis plusieurs années, l’UNIL augmente le nombre de praticiens qu’elle forme. Ainsi, si l’institution a compté 120 diplômés en 2010, elle prévoit 245 places en master pour 2020. De plus, à l’avenir, certains médecins seront recrutés dans d’autres filières, comme les Sciences de la vie ou les Sciences infirmières. Ces nouveaux profils devront s’occuper d’une population vieillissante. TEXTE DAVID SPRING

D

ébut octobre 2028, dans une petite ville du canton de Vaud. Les habitants se félicitent de l’ouverture de la « Maison de la santé ». Plusieurs généralistes 1), principalement des femmes, travaillent dans ce cabinet de groupe. La plupart d’entre elles a mené à bien la formation universitaire classique de médecin. Diplômée en Sciences infirmières, l’une des soignantes a fait partie de la première volée du master de Nurse practitioner, mis en

PARCOURS

Des études à l’université jusqu’à l’exercice du métier, un long chemin attend les étudiants en médecine. © Illustration originale de Tatiana Nazarova

Allez savoir !

place par l’UNIL, l’UNIGE et la HES-SO au début des années 2020. Sa mission principale consiste à suivre et traiter, de manière autonome, certains patients atteints de maladies chroniques. Davantage tournée vers la recherche, une autre collègue, médecin, exerce au CHUV. Cette ingénieure, qui a prolongé ses études en biotechnologie à l’EPFL par un master en Médecine de l’UNIL, s’intéresse à l’application des nouvelles technologies dans le domaine de la santé. N° 64

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MÉDECINE

L’Ecole de médecine www.unil.ch/ecoledemedecine

la formation médicale postgraduée et continue ( ISFM ). Il s’agit de spécialisations ( et de sous-spécialisations ), dont la médecine de famille fait partie. Ce cursus dure au moins aussi longtemps que le parcours académique. En moyenne, un professionnel en a terminé à plus de 37 ans 3). 2 LUTTER CONTRE LA PÉNURIE

JEAN-DANIEL TISSOT ET GIORGIO ZANETTI

1 NOUVELLE FORMATION

Pour imaginaire qu’elle soit, cette aquarelle du futur s’inspire de l’évolution possible de la formation médicale en Suisse romande. Une mutation qui s’inscrit dans la dynamique de l’accroissement et du vieillissement de la population, ainsi que de la pénurie de médecins de premier recours. Des données récentes indiquent que 60 % de ces derniers seront à la retraite d’ici à 10 ans. Au niveau suisse, il en manque aujourd’hui plus de 2000 à plein temps pour atteindre la couverture recommandée ( par l’OCDE ) d’un omnipraticien pour 1000 habitants. 2) Cette situation n’est toutefois pas une fatalité : des actions ont été entreprises depuis quelques années déjà. Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que les exigeantes études de médecine, dites prégraduées, durent six ans en théorie ( bachelor puis master de durées égales ). Elles se concluent par un examen fédéral, dont le contenu est le même partout en Suisse. Après quoi, les diplômés choisissent librement la suite de leur carrière, parmi les 44 formations postgraduées pilotées par l’Institut suisse pour 54

Allez savoir !

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Doyen de la Faculté de biologie et de médecine. Vice-recteur en charge de l’enseignement, directeur de l’Ecole de médecine (jusqu’à fin juillet 2016). Nicole Chuard © UNIL

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Revenons au manque de généralistes. « Quatre moyens permettent d’agir sur cette pénurie, expose Dominique Arlettaz, recteur de l’UNIL jusqu’à fin juillet 2016 et aujourd’hui président du Conseil d’administration de l’Hôpital du Valais. D’abord, l’Université peut former davantage de médecins. Ensuite, elle peut contribuer à la création de nouvelles professions, qui répondent aux besoins des patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques. » Les deux autres points échappent par contre à l’influence de l’académie. « Il serait sans doute possible de réformer la formation postgraduée. Enfin, la structure de la profession, c’est-à-dire, par exemple, la question des rémunérations ou celle du moratoire de l’ouverture des cabinets médicaux, constitue un levier important. » En 2014, les Hautes Ecoles universitaires suisses ont délivrés 863 titres en Médecine humaine ( dont 148 à l’UNIL ), soit autant ( ou aussi peu ) qu’au début des années 80. Consciente du problème, la Confédération a lancé en 2016 un « Programme spécial de Médecine humaine 2017-2020 », doté de 100 millions de francs. En échange de cette somme, ce plan exige 1300 master en Médecine humaine délivrés par les universités suisses à l’horizon 2025. Même si ce montant ne sera attribué qu’une seule fois et que les cantons devront prendre en charge les coûts une fois la somme épuisée, l’argent fédéral suscite des appétits et des envies. Ainsi, 100 places en bachelor de Médecine seront créées par l’EPFZ à l’automne 2017. Les Universités de Suisse italienne, de Saint-Gall et de Lucerne, en partenariat avec l’Université de Zurich, vont ouvrir de nombreuses places de master ces prochaines années, tout comme l’Université de Fribourg, qui va en proposer 40. Ces 100 millions auraient pu susciter une foire d’empoigne. Mais un important effort de coordination a été mené au sein de la Chambre des Hautes Ecoles universitaires, présidée par Dominique Arlettaz. Les institutions de formation présentent aux Autorités politiques un plan global au niveau national. Les flux d’étudiants entre le bachelor et le master, ainsi que la question des stages cliniques, ont été organisés – sur le papier – au niveau national. En l’état actuel des projets, le but fixé par la Confédération pour 2025 sera atteint. 3 QUE FAIT L’UNIL ?

L’UNIL n’a pas attendu les ordres de Berne pour agir. Depuis 2012 déjà, l’institution augmente sa capacité de formation. De manière coordonnée, les quatre autres Facultés de méde-


cine suisses ( Genève, Bâle, Berne et Zurich ) ont réalisé un effort similaire. En 2020, sur le campus lausannois, 220 places de master seront proposées. Il convient d’en ajouter 25, ce qui permettra une diversification des profils d’étudiants ( lire au point 4 ci-dessous ). Nous arrivons à un total de 245, contre 120 en 2010. Ce chiffre devrait être très proche du nombre final de diplômés, car les étudiants qui commencent un master mènent leur parcours à bien et décrochent leur titre fédéral, en très grande majorité. Cette montée en puissance est rapide, car au printemps dernier, près de 200 d’entre eux effectuaient leur 6e année. « Les médecins ne poussent pas aux arbres », comme aime à le rappeler Dominique Arlettaz. Pour que l’université puisse en former davantage, à qualité au moins égale, elle a besoin de davantage d’enseignants, de locaux, d’argent et... de patients. Les premiers se recrutent principalement dans les hôpitaux universitaires ou régionaux. Dès l’automne 2017, la mise en service de deux nouveaux auditoires à la rue César-Roux 19 à Lausanne devrait répondre au deuxième souci, conjointement avec d’autres mesures. Le volet financier « demeure toujours une difficulté, mais la volonté affirmée des Autorités politiques vaudoises permet de résoudre cette question », note le recteur. C’est « l’accès aux malades » qui cause le plus de difficultés ... en Suisse romande. Au niveau des études... En 3e année de Médecine ( la dernière du bachelor ), puis au début de la 4e ( la première du master ), l’étudiant entre en contact avec les patients – sous la dénomination officielle d’enseignement au lit du malade ( ELM ). Vingt semaines de pré-stages en ambulatoire et à l’hôpital ( les « cours-blocs » ) jalonnent la suite de la 4e année et la 5e année. Enfin, la 6e année impose 10 mois de stages, avec un séjour obligatoire minimal d’un mois en Médecine interne, de famille, en chirurgie et en psychiatrie. A cette occasion, certains partent à l’étranger pour découvrir d’autres manières de travailler. Ces parties pratiques se déroulent au CHUV et dans les hôpitaux romands qui collaborent avec l’UNIL. Les cabinets privés sont également mis à contribution. Giorgio Zanetti, vice-recteur en charge de l’enseignement, et directeur de l’Ecole de médecine jusqu’à fin juillet 2016, qualifie de « magnifiques » ces périodes d’exposition clinique. « Des efforts sont menés afin de les structurer davantage et de les doter d’objectifs pédagogiques encore plus clairs. » Des moyens financiers supplémentaires ont été mis à disposition des hôpitaux, afin qu’ils puissent faire face à l’augmentation du nombre de stagiaires. « Cela permet de compenser le temps que les médecins-cadres consacrent à suivre nos étudiants », explique le professeur. Au-delà des questions financières, ce dernier relève que les institutions sont souvent demandeuses. « La pénurie leur cause des soucis de recrutement. Des stagiaires avec qui ces hôpitaux ont tissé des liens peuvent devenir, quelques

DOMINIQUE ARLETTAZ ET PIERRE-FRANÇOIS LEYVRAZ Président du Conseil d’administration de l’Hôpital du Valais, recteur de l’UNIL ( jusqu’à fin juillet 2016 ). Directeur général du CHUV. Nicole Chuard © UNIL

Allez savoir !

années plus tard, les médecins qu’ils recherchent », remarque Giorgio Zanetti. Cet aspect est également valable pour les praticiens en cabinet, qui rencontrent peut-être ainsi la relève dont ils ont besoin. ... Et après les études « Les jeunes médecins qui sortent de l’UNIL en savent beaucoup, même si la partie pratique de leur bagage est encore restreinte », remarque Pierre-François Leyvraz, directeur général du CHUV. Une fois en possession de leur diplôme fédéral de médecin, ils entrent à l’hôpital ( universitaire ou régional ) en tant que médecins assistants. « C’est au contact de leurs aînés, un peu sur le modèle du compagnonnage, qu’ils mènent leur formation postgraduée », poursuit le professeur. Ce dernier ajoute que l’augmentation progressive de leur nombre incite les hôpitaux à communiquer encore mieux entre eux, afin d’organiser leurs « voyages » dans les différents services. Ce détour démontre que les étudiants et les médecins assistants doivent avoir accès aux patients, si l’on veut assurer la qualité de leur formation. Or, même s’il faut N° 64

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MÉDECINE

s’en réjouir, ces derniers sont juste assez nombreux en Suisse romande pour permettre suffisamment de pratique. Notre région forme en effet 35 % des médecins suisses, alors qu’elle abrite 24,7 % de la population du pays. En Suisse alémanique, et surtout dans sa partie orientale, la situation inverse prévaut, avec des bassins de malades qui ne sont pas mis à contribution si l’on peut utiliser cette expression. C’est également dans cette région que la pénurie de médecins de premier recours s’avère la plus aiguë.

constate Dominique Arlettaz. Une fois que le diagnostic a été posé et le traitement entamé, d’autres professionnels, que l’on appelle par exemple des Nurse practitioners aux USA ou au Canada, pourraient prendre le relais de manière autonome, mais en collaboration avec des médecins, afin d’assurer le suivi des soins. » Le professeur est bien conscient que l’apparition d’une telle fonction bousculerait les mondes médical et politique, et surprendrait les patients. Le cadre légal devrait également changer, afin que ces Nurse practitioners obtiennent le droit d’exercer avec une certaine autonomie. Le chemin à parcourir est long, mais prometteur. Sa réussite aura besoin du soutien et de la détermination des Autorités politiques cantonales et fédérales.

4 DES NOUVEAUX MÉTIERS

A chaque rentrée de septembre, plus de 400 jeunes entament des études de Médecine à l’UNIL. Ce grand intérêt n’empêche toutefois pas la création d’autres profils. En partenariat avec l’EPFL, et dans le cadre du « Programme spécial » de la Confédération, l’UNIL a déposé un projet de passerelle d’un an, doté à terme de 40 à 50 places. Il s’adressera dès 2017, ou 2018, aux personnes qui ont décroché leur bachelor en Biologie ou en Sciences de la vie ( comme la Bioingénierie par exemple ), à l’UNIL, à l’EPFL ou dans une autre université suisse, et qui souhaitent poursuivre leur formation en médecine. Pendant ces deux semestres denses comme le platine, les étudiants devront « renforcer leurs connaissances en sciences pré-cliniques, comme l’anatomie, l’histologie, la microbiologie ou la physiologie, et étudier les sciences cliniques de base », explique Giorgio Zanetti. Par contre, ils possèdent déjà un solide bagage en sciences naturelles : biologie, chimie et physique. Ces disciplines figurent justement au programme des premières années du bachelor en Médecine. Une fois leur année « passerelle » réussie, ces grands travailleurs rejoindront leurs camarades en 1re année de master de médecine « classique » à l’UNIL ou dans d’autres universités. L’arrivée sur le marché de ces blouses blanches au profil composite répond à une demande croissante. « En trente ans de carrière, j’ai constaté les progrès extraordinaires, et de plus en plus rapides, réalisés par les technologies médicales. Le pilotage des machines, par exemple en oncologie, demande des compétences en informatique, en physique et en médecine », note Pierre-François Leyvraz. Même si la passerelle s’adresse à un nombre limité de personnes, elle va contribuer à la création de nouveaux profils de médecins et « à renforcer la recherche dans les hôpitaux universitaires » ajoute le directeur général. Une autre piste va être explorée. En partenariat avec la HES-SO, l’UNIL propose déjà depuis 2009 un master en Sciences infirmières. A moyen terme, les deux hautes écoles envisagent de créer avec l’Université de Genève un master donnant accès à une pratique avancée. Sur quelle profession va-t-il déboucher ? « En Occident, les médecins s’occupent beaucoup de patients atteints de maladies chroniques, 56

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LE NOMBRE DE PLACES EN MASTER DE MÉDECINE PROPOSÉE PAR L’UNIL À PARTIR DE 2020.

65 %

LA PROPORTION DE FEMMES PARMI LES DIPLÔMÉS EN MASTER DE MÉDECINE, À LA VOLÉE DE PRINTEMPS 2016.

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5 UN AMOUR DE PROFESSION

Une fois leur titre fédéral en poche, « les diplômés sont entièrement libres de choisir la spécialisation qu’ils souhaitent », relève Pierre-François Leyvraz. Mais si, d’aventure, peu d’entre eux se décident à devenir médecins de premier recours, les efforts actuels risquent d’être inutiles. Allez savoir ! a mené l’enquête afin de mieux connaître les intentions des premiers concernés ( lire en p. 58 ). Aujourd’hui, c’est par une bonne information et par des stages que l’UNIL cherche à rendre attractive la « médecine interne générale ». Des cours dédiés, un forum « Carrières médicales » et des ateliers la mettent particulièrement en valeur. « Même au début de leur master, peu d’étudiants ont déjà déterminé leur spécialisation. Ils sont assez ouverts. Notre rôle consiste à les inciter à des choix plus précoces, et en particulier à les sensibiliser à la médecine de premier recours », note Giorgio Zanetti. Afin de les inciter à clarifier leur choix, un suivi plus serré des projets professionnels va être mis en place. Même si l’institution s’efforce de faire aimer le métier, les personnes interrogées par Allez savoir ! indiquent que c’est bien souvent la rencontre avec un généraliste, à l’occasion d’un stage, qui motive – ou non – un jeune à se décider pour cette filière. Car les conditions de travail ( horaires, permanences, salaires, embrouilles avec les assurancesmaladie ) pèsent lourd. Au niveau postgradué, le patchwork éclaté des 44 spécialisations et sous-spécialisations ( alors que le diplôme fédéral est unique ), permet aux jeunes médecins assistants de butiner pendant quelque temps avant de se décider. « Tout le monde s’accorde à dire que leur choix devrait se faire plus tôt. Le système actuel coûte trop cher, en temps et en argent », note Giorgio Zanetti. Un pas plus loin, Jean-Daniel Tissot, doyen de la Faculté de biologie et de médecine, estime que le catalogue proposé « est davantage lié à des questions syndicales et de facturation des prestations qu’aux besoins réels de la société ».  Pour lui, la formation postgraduée est « densifiable, mais pas avec


la trop courte semaine de 50 heures qui prévaut actuellement ». Enfin, « les Autorités en charge de la santé publique souhaitent avoir davantage d’influence sur l’orientation vers les différentes spécialisations », dit Pierre-François Leyvraz. Tout cela signifie que la liberté actuelle pourrait se voir quelque peu remise en question, à terme, à moins que les Autorités politiques créent des conditions suffisamment incitatives.

ORIENTATION

Les étudiants en sciences de la vie ou en sciences dures pourront accéder aux études de médecine grâce à de nouveaux itinéraires. © Tatiana Nazarova

6 L’HUMAIN DERRIÈRE LES DIPLÔMES

n’est pas certain qu’un tel état d’esprit soit « enseignable. Est-ce qu’il ne mûrit pas plutôt au cours des expériences de vie du praticien ? » Enfin, la « société doit également se demander ce qu’elle attend de ses médecins ». Au Moyen Age, les barbiers-chirurgiens étaient fort mal considérés. Leur position dans l’échelle sociale a depuis été totalement renversée. Au point qu’aujourd’hui, il est légitime de se demander : « Ne sommes-nous pas devenus dépendants de la médecine ? »   1)

Jean-Daniel Tissot souhaite que les évolutions en cours représentent l’occasion d’observer la pratique médicale – et ses progrès technologiques impressionnants – d’un œil extérieur. Pour lui, « un médecin doit être capable de penser le soin de manière globale. Il s’agit de prendre en charge la souffrance des patients en considérant ces derniers dans leur ensemble, soit dans leur environnement familial, social et spirituel. C’est-à-dire bien au-delà de leurs maladies ou de leurs gènes. » Une préoccupation qui s’inscrit dans le fil des réflexions de Montaigne, qui, dans ses Essais, mentionne « l’estroite couture de l’esprit et du corps entre-communiquant leurs fortunes ». ( I, 21 ). Le doyen

Voir note page 59

www.medecinsdefamille.ch/fileadmin/user_upload/ hausaerzte­schweiz/Dokumente/Tag_der_Hausarztmedizin/ mfe_Medien-mitteilung_310316_F.pdf 2)

www.personnelqualifie-suisse.ch/perch/resources/ dokumente/sbfi-fr.pdf 3)

REMERCIEMENTS A Elena Martinez (adjointe au Décanat de la Faculté de biologie et de médecine).

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MÉDECINE

L’Institut universitaire de médecine de famille (IUMF) www.pmu-lausanne.ch/pmu_home/pmu-iumf.htm

« EN TOUT CAS, J’ESPÈRE QUE TU NE VAS PAS FAIRE GÉNÉRALISTE »

Mal connu, le métier de médecin de famille apparaît comme moins prestigieux que celui de chirurgien. Les obstacles n’effraient pourtant pas la forte minorité d’étudiants qui se destine à cette spécialisation. Allez savoir ! a mené l’enquête auprès des premiers concernés. TEXTE DAVID TROTTA

P

rès de 4000 nouveaux médecins de famille à plein temps seront né­cessaires à l’horizon 2025 pour combler les manques 1). La Confé­ dération a décidé de lutter contre cette pénurie en mettant à disposition la somme de 100 millions de francs, en vue d’augmenter le nombre de personnes en formation. L’UNIL, tout comme d’autres hautes écoles, participe à cet effort général ( lire en p. 52 ). Mais si les institutions sont conscientes du problème, qu’en pensent les premiers concernés ? Les étudiants veulent-ils emprunter cette voie ? Quel regard portent-ils sur ce métier ? Mal perçu « Nous n’avons pas forcément une très bonne vision de ce qu’est un généraliste 2) en commençant la médecine. Le choix de cette spécialisation mûrit lentement pendant les six années d’étude, alors que certains savent dès le début qu’ils veulent devenir cardiologues ou chirurgiens », soulève David Ruchat, qui vient de terminer sa 3e année à l’UNIL. « Quand je demande à mes camarades qui ne veulent pas devenir généralistes ce qu’ils en pensent, ils me répondent que c’est un peu “ plan-plan ”. On est derrière son bureau, et puis voilà », complète le président de l’Association des étudiants en médecine de Lausanne pour l’année 2015-2016. 58

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L’information sur la médecine de famille commence en 4e année avec le module « Généralisme », qui se prolonge en 5e. L’année suivante, un stage obligatoire d’un mois en cabinet ( en pédiatrie ou avec les adultes ) figure au programme. Lors d’une séance de débriefing le 30 juin dernier, les dix étudiants qui avaient effectué cette immersion s’exprimaient positivement sur cette expérience de terrain. Il est pourtant possible d’en faire davantage en montrant mieux « à quel point cette

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MORGANE CHAVE ET DAVID RUCHAT Etudiants en médecine à l’Université de Lausanne. Ils déplorent l’image négative dont souffrent les médecins de famille. Nicole Chuard © UNIL

discipline est attractive. C’est un métier dans lequel on ne s’ennuie jamais », ajoute Thomas Bischoff, directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille ( IUMF ) de 2009 à 2016. Le cursus universitaire se conclut par l’obtention d’un diplôme fédéral. Ensuite, les jeunes médecins peuvent choisir parmi un catalogue de 44 spécialisations. Cette partie, dite postgraduée, est pilotée par l'Institut suisse pour la formation médicale post­graduée et continue ( ISFM ).


Leurs semaines de cours débordant de sciences naturelles, les étudiants débutants interrogés par Allez savoir ! n’ont pas une idée très claire de la médecine de famille. En revanche, les choses se précisent au fil du temps. « Les généralistes traitent les patients atteints de maladies chroniques au jour le jour, souligne Morgane Chave, qui a terminé sa 6e année. Ils gèrent aussi ce que nous appelons les petites urgences. C’est-à-dire tous les problèmes qui ont besoin d’attention médicale rapide, mais qui ne nécessitent pas une hospitalisation immédiate. » Et ils assurent le suivi de la population sur le long terme, ce que tous confirment. Mal reconnu C’est aussi un défaut de reconnaissance qui touche le métier. « Quand j’en parle autour de moi en dehors des auditoires, le généraliste souffre souvent d’une image de médecin bas de gamme. Ce qui est injuste, explique Damien Di Rocco, 5e année. Ils sont nécessaires dans la chaîne des soins. » Les discours populaires dénigrants ont aussi un impact sur les choix futurs. Un facteur à prendre en compte, selon David Ruchat. « Prenons l’exemple classique d’une conversation avec un membre de la famille que nous n’avons pas vu depuis longtemps. Il commence par nous demander en quelle année on est, si on a réussi du premier coup, et dans quelle spécialisation on souhaite se lancer. A ce moment, c’est le commentaire ” En tout cas, j’espère que tu ne vas pas faire généraliste “ qui tombe. Même si je ne l’entends pas à chaque fois, c’est un choix à défendre, bien plus que si j’annonçais mon intention de devenir cardiologue. » Mal payé La différence de traitement financier figure aussi au rang des obstacles signalés par les étudiants. Dans le Bulletin des médecins suisses de 2012, le dernier qui soumettait au public les revenus des praticiens, la valeur salariale médiane annuelle

pour la médecine de famille s’élevait à 197 500 francs. Contre 345 150 pour un ophtalmologue, ou 414 650 pour un neu­rochirurgien. «Ces différences, de reconnaissance et de niveau de salaire, sont ressenties comme des injustices. Les efforts fournis au cours des études et de la formation postgraduée sont finalement les mêmes », soutient Morgane Chave. Un point de vue que confirme Thomas Bischoff. « Un médecin de famille est moins bien payé et, en plus, assez dénigré. Dans la représentation générale, le chirurgien cardiaque apparaît davantage comme un héros que

EN QUELQUES CHIFFRES Allez savoir ! a sondé les volées 2015-2016 des étudiants de 2e et de 6e année inscrits en Médecine afin de connaître le regard qu’ils portent sur la médecine de famille.

36 % 80 % des répondants de 6e année disent vouloir devenir médecins de famille, contre 15 % en 2e année.

des répondants de 6e année ont changé de choix de spécialisation au cours de leur forma­tion prégraduée, contre 46 % en 2e année.

90 % 56 % des répondants de 6e année soulignent la diversité du métier de médecin de famille, contre 31 % en 2e année.

des répondants de 6e année disent avoir envisagé de devenir médecins de famille, contre 78 % en 2e année.

le médecin de premier recours. Dans la société, le salaire est l’appréciation par la population. Si un ophtalmologue ou un urologue gagne deux ou trois fois plus qu’un médecin de famille, c’est quand même un signe. » Alors, quelle serait la solution ? Doubler la rémunération ? Bonne nouvelle toutefois: de leur propre aveu, les étudiants ne seraient que très peu nombreux à choisir une spécialisation selon le salaire. Car, bien que mal considérée, la médecine de famille attire toujours, surtout par son aspect humain. « Il y a quand même un côté ingrat avec ce manque de reconnaissance. Mais les personnes attirées par la médecine générale retirent leur satisfaction de l’aide qu’ils apportent aux patients, note Morgane Chave, qui se destine à la pédiatrie. Probablement davantage que dans certaines autres spécialités. Nous sommes présents au moment du diagnostic, pendant et après le traitement. Le médecin de famille a plus de recul et une vue d’ensemble. » L’Association des étudiants en médecine de Lausanne a relayé un sondage inédit au sujet des projets de carrière des étudiants, concocté par Allez savoir ! (lire ci-contre). Il en ressort que la médecine de famille n’est de loin pas boudée par les premiers concernés, et que leur perception du métier évolue beaucoup au fil de leur cursus. Preuve qu’ils ne se laissent pas influencer par leur entourage et comptent plutôt sur leur expérience de terrain souvent décisive. De quoi rassurer un peu la Confédération et les universités qui s’engagent fortement pour former davantage de médecins. 

www.medecinsdefamille.ch/fileadmin/ user_upload/hausaerzteschweiz/Dokumente/ Tag_der_Hausarztmedizin/ mfe_Medienmitteilung_310316_F.pdf 1)

Dans leur effort de revalorisation de la branche, l’IUMF, l’UNIL et le CHUV s’accordent sur le terme de « médecin de famille » ou « médecin de premier recours », qui inclut le pédiatre. Mais « généraliste » reste la dénomination la plus souvent employée par les étudiants et plus généralement par la population.

2)

Taux de réponse : 22 % chez les 2es années ( 48 étudiants ) 29 % chez les 6es années ( 50 étudiants )

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La Formation Continue UNIL-EPFL www.formation-continue-unil-epfl.ch 021 693 71 20

FORMATION CONTINUE

LA DURABILITÉ, UNE CLÉ POUR L’INNOVATION DANS LE TOURISME Le secteur touristique alpin fait face à des contraintes économiques, sociales et environnementales. Ces dernières sont pourtant l'occasion d’inventer de nouvelles manières de voyager, plus durables. Un cursus de formation continue transfrontalier explore ces questions.

A

vec les éboulements et les inondations, la raréfaction de la neige constitue l’un des aspects visibles du changement climatique dans les Alpes. Le tourisme en souffre, même s’il endosse une responsabilité dans la dégradation de l’environnement. Comment cet important secteur économique, qui compte plus de 200 000 employés en Suisse, va-t-il s’adapter ? « La durabilité peut être un déclencheur pour l’innovation », répond Christophe Clivaz, professeur associé à l’UNIL et responsable de la formation continue Tourisme, innovation et durabilité. Donné pour la deuxième fois, ce Certificate of Advanced Studies (CAS) se déroulera entre avril et juin 2017.

CHRISTOPHE CLIVAZ Professeur associé à l’Institut de géographie et durabilité. © Sedrik Nemeth

L’été arrive Depuis un demi-siècle, la saison d’hiver domine le paysage des vacances alpines. Mais « une bascule vers la saison d’été s’opère », poursuit le chercheur. Les températures croissantes autour du bassin méditerranéen incitent certains touristes 60

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à quêter un peu de fraîcheur en altitude. Cette migration, qui va s’accentuer, est l’occasion de mettre en avant « des éléments traditionnels encore trop peu valorisés en Suisse, comme la randonnée ou le vélo ». Attention : il ne suffit pas de poser une poignée de deux-roues devant un hôtel, mais de transformer ces activités en véritables buts de voyage pour les visiteurs, au moyen de produits touristiques nouveaux. Ainsi, les VTT électriques – qui marchent déjà fort – permettront aux moins sportifs de réaliser de grandes balades. Des flâneries que les offices locaux peuvent enrichir. Ainsi, « la culture possède un fort potentiel », ajoute Christophe Clivaz. Il pense bien sûr aux musées, aux festivals et à la musique. Mais également à la chronique locale. « Les touristes apprécient qu’on leur raconte des histoires sur le territoire de leurs loisirs. La manière dont on vivait autrefois dans les Alpes constitue un sujet de découverte intéressant, peu gourmand en investissements. » Comme au XIXe siècle, les points de vue aménagés ont aussi leur carte à jouer. Le chercheur


cite le succès de l’impressionnant bisse du Torrent-Neuf, à Savièse. Le spectaculaire pont suspendu installé aux Diablerets en 2014 est une autre illustration. Une partie de la clientèle est sensible aux aspects environnementaux. Ces personnes peuvent, par exemple, être intéressées par les produits et aliments locaux proposés dans les hôtels et les restaurants. L’un des trois modules de la formation continue explore cette dimension de « consommation » et s’interroge sur la capacité des touristes à modifier leurs comportements dans le sens du développement durable. Pour l’heure, Christophe Clivaz estime que le tourisme alpin helvétique s’accroche trop « au modèle du tout pour le ski. Cette fuite en avant n’est pas une solution à long terme, à part pour quelques stations connues au niveau international. » L’innovation demeure la clé pour s’adapter au changement. Les enjeux sociaux du secteur sont peu perçus en Suisse. Pourtant, ils constituent un levier pour sa performance. Il tombe sous le sens que des travailleurs saisonniers mal logés et mal payés ne seront guère souriants. Or, les vacanciers interagissent principalement avec ces employés. « En Europe, certaines grandes stations cherchent à attirer les meilleurs saisonniers. Elles les soutiennent au niveau de la langue, de l’habitation et des démarches administratives », note le professeur. Par-dessus la frontière franco-suisse La formation s’inscrit dans un eMBA franco-suisse en innovation touristique. Elle se déroule sur douze jours de cours sur le site de Sion de l’UNIL. Si la théorie prend une partie du temps, les études de cas, les discussions, les travaux de groupe occupent une place importante. Dans un but de valorisation, les dossiers personnels à rendre à la fin de chaque module sont liés à la pratique de leurs auteurs. De plus, deux jours sont prévus pour un « terrain » transfrontalier et des rencontres avec des acteurs locaux. Il existe une certaine similarité entre les soucis – et les solutions – dans les deux pays. Lors de la formation, les participants sont dotés d’une grille d’analyse qui leur permet d’examiner un projet touristique sous l’angle du développement durable. Un outil d’aide à la décision indispensable pour y voir clair, tant les dimensions économiques, sociales et environnementales s’entremêlent. Lucide, Christophe Clivaz relève qu’il est rare que ces trois exigences soient pleinement satisfaites. Le chercheur met enfin l’accent sur les échanges entre les participants au CAS, qui sont pour la plupart âgés de 30 à 50 ans. Qu’ils exercent dans le public ou le privé, ces derniers possèdent une pratique professionnelle dans le domaine, comme par exemple au sein d’offices du tourisme, de mairies, dans l’événementiel ou le tourisme-aventure, entre autres. « Un véritable réseau se crée entre eux, et certains anciens “ étudiants ” de la première édition de la formation ont collaboré ensemble par la suite. »  DS

NOUVELLE FORMATION

NUTRITION ET ACTIVITÉS SPORTIVES

209 800

LE NOMBRE D'EMPLOYÉS DANS LE TOURISME EN SUISSE. CELA REPRÉSENTE 167 590 ÉQUIVALENTS PLEIN-TEMPS.

Proposée pour la deuxième fois dès mars 2017, la formation continue Nutrition et activités sportives traite des liens entre l’alimentation et l’activité physique. Unique en Suisse, ce Certificate of Advanced Studies (CAS) intéresse les médecins, les diététiciens, les physiothérapeutes et les professionnels des soins en général, mais également les coachs et les entraîneurs. Ces participants « d’horizons très différents se retrouvent autour d’un point commun : le sport », note Luc Tappy, directeur du Département de physiologie de l’UNIL et responsable académique du cursus. Une nutrition adaptée enraye les baisses de performance chez les athlètes, professionnels ou non. Mais elle est aussi importante pour certaines populations, comme les femmes enceintes, les personnes âgées ou les malades chroniques (diabète, obésité, problèmes respiratoires, etc.) Chez ces derniers, l’activité physique est thérapeutique : il faut donc que leur alimentation réponde à leurs besoins spécifiques. Ces questions sont traitées au fil des modules indépendants qui composent le CAS. Mariant la théorie et des exercices d’application, le cursus remet en question certaines croyances au passage, par exemple autour de l’innocuité supposée des compléments alimentaires. Pour cette deuxième édition, il innove en traitant de l’importance croissante des nouvelles technologies, comme les objets connectés, dans les activités physiques de tous niveaux. Situé au carrefour de plusieurs domaines, ce CAS fournit les compétences nécessaires à de nouveaux métiers, comme celui de physiologiste du sport.  DS www.formation-continue-unil-epfl.ch/ nutrition-activites-sportives

25 ANS, ÇA SE FÊTE!

Il y a 25 ans, les universités suisses se lançaient dans la formation continue grâce à l’impulsion et au soutien financier de la Confédération. Afin de commémorer cet évènement, la Formation Continue UNIL-EPFL vous invite le jeudi 8 décembre 2016 ( dès 19h ). Notamment au programme, le professeur Jean-François Démonet – directeur du Centre Leenaards de la mémoire - CHUV et chercheur à l’Institut national de la santé et la recherche médicale (INSERM) – donnera une conférence sur le thème «Mémoire : apprendre à se souvenir». Plus d’informations sur www.formation-continue-unil-epfl.ch/25ans

www.formation-continue-unil-epfl.ch/tourisme-innovation-durabilite

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© Nazif Topçuoglu, Is it for Real ?, 2006

LIVRES

DÉCORS DU CHRIST

Chercheuse FNS senior à l’UNIL, Nathalie Dietschy nous offre un somptueux tour du monde photographique de la figure christique. LE CHRIST AU MIROIR DE LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE. Par Nathalie Dietschy Editions Alphil (2016), 358 p.

L

e livre est splendide. Il ignore la peur de représenter le sacré et cette insouciance se révèle mondiale puisque les photographies rassemblées et analysées par Nathalie Dietschy ont été réalisées en Europe, en Chine, en Nouvelle-Zélande, en Afrique, aux Etats-Unis, au Japon, au Mexique ou en Russie. Ces œuvres contemporaines s’inspirent, de près ou de loin, des fameuses représentations picturales du sacré chrétien pour diriger notre regard ailleurs, quitte à le forcer, pour innover, réveiller les consciences sur des drames humains, des réalités diverses, des minorités, des cultures qui résistent à la mondialisation, ou simplement pour nourrir la vision du photographe en créateur s’identifiant à la figure du Christ. Le kitsch chrétien a ouvert la voie, lui aussi, le pauvre style saint-sulpicien soudain magnifié par les artistes 62

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ET SI LE SACRÉ, DÉSORMAIS, C’ÉTAIT L’HOMME LUI-MÊME ?

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français Pierre et Gilles recyclant leur éducation catholique. Mais une simple photo de presse peut faire le tour du monde si sa réception éveille l’imaginaire chrétien toujours prompt à ressurgir au spectacle des souffrances planétaires pouvant évoquer la Madone éplorée, le Christ supplicié, seul ou dans les bras de sa mère à la manière d’une Pietà. La force du récit biblique, la constance de la douleur à travers les âges, offrent un carburant quasiment inépuisable aux fantasmes du spectateur, croyant ou non, et à l’imagination artistique. Figure du combat féministe, Renée Cox se met en scène dans une Cène détournant Léonard de Vinci, un contexte sans cesse réinterprété, ici par la nudité de la femme portraiturée, ailleurs par l’introduction de personnages issus des communautés urbaines – chez David LaChapelle qui

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se réclame de la lutte contre le fondamentalisme – ailleurs encore par la représentation de soldats israéliens réunis peut-être pour la dernière fois chez Adi Nes, évoquant ainsi un sacrifice pour le pays. La politique se saisit frontalement de l’image, le Christ s’adapte à toutes les causes, l’universalisme du message chrétien a été entendu, au moins par les artistes. Et si le sacré, désormais, c’était l’homme lui-même ? La question se pose en regardant le généreux tour du monde de la staged photography proposé par Nathalie Dietschy. Ce courant qui s’est imposé à partir des années 80 raconte l’histoire de nos identités, de nos désirs et de nos douleurs à travers une photographie contemporaine socialement éveillée, esthétiquement belle, le plus souvent, cruellement habitée ou joyeusement hallucinée.  NADINE RICHON


Publié de 1732 à 1782 à Neuchâtel, le Journal helvétique fut l’un des carrefours des Lumières en Suisse romande. Politique, science, littérature et poésie s’y entrecroisèrent pendant un demi-siècle. Au printemps 2014, cette gazette a fait l’objet d’un colloque international à Neuchâtel. Les Actes sont parus cette année. L’histoire de la publication, ses publics, son contenu et sa réception sont traités dans cette monographie. Signalons que le Journal helvétique est accessible sous forme numérique sur la plateforme Lumières. Lausanne (https://lumieres.unil.ch).  DS LECTURES DU «JOURNAL HELVÉTIQUE» 1732-1782. Slatkine. (2016), 413 p.

Ecrivain sans succès, sentimentalement déficitaire, Damien Dumas accepte de rédiger les mémoires de Veronica Lippi, excentrique ex-gloire des années 80. Dans son chalet de Verbier, cette couguar déjantée vit avec l’homme de sa vie, son python Marlon. Cette bouddhiste approximative conserve les cendres de sa mère dans un pot de Nutella et pique des crises à répétition. Autant dire que le biographe est mal barré. Hilarant, Baba au rhum est le deuxième roman de Philippe Lamon, diplômé de l’UNIL. L’un des chapitres a d’ailleurs pour décor la terrasse de la «Banane».  DS BABA AU RHUM. Par Philippe Lamon. Editions Cousu Mouche (2016), 234 p.

Comment la bande dessinée américaine a-t-elle été reçue en Europe ? Comment a-t-elle marqué les artistes du Vieux Continent ? Piloté par Marc Atallah et Alain Boillat, cet ouvrage collectif répond à ces questions. Par exemple, Alain Corbellari retrace en détail la reprise de Flash Gordon par Edgar P. Jacobs dans la Belgique occupée de 1942, un travail qui aura un impact important sur sa série Blake et Mortimer. Sous la plume de Gianni Haver et Michaël Meyer, un autre essai traite de Paperinik, fusion italienne de Donald Duck et de superhéros masqués.  DS BD-US: LES COMICS VUS PAR L’EUROPE. Sous la direction de Marc Atallah et Alain Boillat. Infolio (2016), 175 p.

Qu’ils prennent la forme de journaux intimes, d’autobiographies, de récits de voyage ou de correspondance, les écrits personnels constituent des sources intéressantes pour les chercheurs. Ils permettent d’interroger les relations entre l’histoire de l’individu et celle du monde qui l’entoure. Le 300e numéro de la revue scientifique «Etudes de Lettres», publiée par la Faculté du même nom, traite de ces documents grâce aux contributions de nombreux chercheurs suisses et européens.  DS APPEL À TÉMOINS. ÉCRITS PERSONNELS ET PRATIQUES SOCIOCULTURELLES (XVIe – XXe s.). Ed. par Danièle Tosato-Rigo. Etudes de Lettres (2016), 318 p. www.unil.ch/edl

Pourquoi les Young Boys ont-ils un nom anglophone ? Contre qui fut disputé le premier match de la Nati ? A quoi ressemblait le football au XIXe siècle ? Autant de questions auxquelles répondent des chercheurs de l’Institut des sciences du sport dans un ouvrage qui retrace les pérégrinations du ballon rond sur sol suisse. Une analyse qui parcourt l’arrivée de ce sport chez les enfants de la bourgeoisie britannique vers 1870, sorte de mélange avec le rugby, jusqu’à une professionnalisation tardive, forcée par la qualité de jeu des pays voisins.  DTR LE FOOTBALL SUISSE. Par Jérôme Berthoud, Grégory Quin et Philippe Vonnard. Editions PPUR / Le savoir suisse (2016), 136 p.

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L’ARCHITECTURE À LA FIN DU GOTHIQUE

U

ne tâche colossale, une patience d’entomologiste, une démarche inlassable. C’est en ces termes élogieux que Jacques Bujard rend hommage à l’historien de l’art monumental Marcel Grandjean dans la préface de cette publication. La tâche en question ? Une plongée érudite, et en deux volumes, dans L’architecture religieuse en Suisse romande et dans l’ancien diocèse de Genève à la fin de l’époque gothique. A l’origine de cette somme ? Une thèse inachevée et la volonté de rendre accessibles des découvertes touchant aussi bien à l’histoire des chantiers et des maçons-architectes qu’à l’étude des éléments architecturaux. L’auteur commence par une petite leçon d’histoire régionale nous rappelant que le XIIIe siècle fut celui des cathédrales et le XIVe surtout celui des chapelles ou églises urbaines. Il nous emmène ensuite à la découverte des richesses et des particularités de la chapelle des Macchabées à Genève, soulignant l’importance matérielle de cet édifice funéraire qui, par sa position privilégiée et son élévation exceptionnelle, va jusqu’à concurrencer la cathédrale. Avant de se lancer dans une analyse fine et minutieuse de la structure et du décor, Marcel Grandjean insiste encore sur le caractère novateur de cette chapelle monumentale «née à une époque charnière entre l’art rayonnant et l’art flamboyant». Le voyage se poursuit à travers la Savoie, la Pays de Vaud, Fribourg, puis – dans le second tome – Neuchâtel et le BasValais. En cours de route, on apprend à mieux connaître l’importance des maçons-architectes qui étaient non seulement de bons artisans de la pierre, mais également souvent les concepteurs de leurs ouvrages. Dans le Pays de Vaud, on s’intéresse également au rôle joué, dans l’architecture de la première moitié du XVe siècle, par Humbert le Bâtard, comte de Romont. On lui doit en effet aussi bien des édifices profanes, comme le château de Chenau à Estavayer, que des constructions religieuses. Ces dernières, relève Marcel Grandjean, « sont marquées par un style homogène, caractérisé parfois par l’emploi de volumes assez ramassés (...) ». L’auteur nous offre enfin une série de notices typologiques fort utiles pour apprécier les différents types de clochers régionaux, s’informer sur les «tabernacles et lavabos liturgiques» ou apprendre à distinguer les contreforts «genevois», les «jurassiens» et «les contreforts à bâtière».  MIREILLE DESCOMBES L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE EN SUISSE ROMANDE ET DANS L’ANCIEN DIOCÈSE DE GENÈVE À LA FIN DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE. Par Marcel Grandjean. Cahiers d’archéologie romande 157 et 158 (2016), 805 p.

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RENDEZ-VOUS

Toute l’actualité des événements, conférences, colloques, soutenances de thèses ou congrès organisés à l’Université de Lausanne se trouve sur www.unil.ch, rubrique mémento.

CONNAISSANCE 3 Rencontres avec les chercheurs de l’UNIL et du CHUV. Les conférences ont lieu à 14h30. www.connaissance3.ch. 021 311 46 87. Entrée libre pour la communauté universitaire (prix public 15.- ; prix adhérent 10.-).

Jusqu’au di 30 avril 2017

© Tezuka Productions

Octobre à janvier

POP ART, MON AMOUR

Mise en scène du syncrétisme grâce à un dialogue entre les œuvres de Tadanori Yokoo, Osamu Tezuka (Astro Boy) et Joanie Lemercier. Aprèsguerre, les codes de la SF américaine ont rencontré l'esthétique japonaise, avant de revenir nourrir l'imaginaire occidental. Yverdon-les-Bains. Maison d’Ailleurs. Ma-di 11h-18h. www. ailleurs.ch 024 425 64 38

Me 12 octobre, Echallens Le pillage du patrimoine archéologique : un désastre. Par Laurent Flutsch. Salle du Turlet, Restaurant de l’Hôtel de Ville.

Jusqu’au sa 15 octobre

TIRAGE LIMITÉ

Ma 8 novembre, Echallens Les religions suisses, paysage en pleine mutation. Par Philippe Gonzalez. Salle du Turlet, Restaurant de l’Hôtel de Ville.

L’Association Tirage limité réunit, avec la complicité de la BCU Lausanne, une trentaine d’exposants romands qui vous invitent à partager leur passion du livre d’artiste. Pour élargir ses horizons, Tirage limité accueillera cette année six invités québécois. Lausanne. BCUL site Riponne. Lu-ve 8h à 22h, sa 8h-17h. www. bcu-lausanne.ch 021 316 78 63

Lu 14 novembre, Le Sentier Les plantes contre les douleurs. Par Kurt Hostettmann. Maison de paroisse, Grand Rue 35.

© BCU Lausanne

Je 1er décembre, Morges Mourir... ce que l'on sait, ce que l'on peut faire, comment s'y préparer. Par Fatoumata-Dioulde Diawara. Grenier bernois du Centre culturel, pl. du Casino 1.

Me 7 décembre, Payerne Les mouches au service de la justice. Par Daniel Cherix. Aula du Collège Derrière-la-Tour. Lu 12 décembre, La Tour-de-Peilz Anesthésie : endormez vos craintes ! Par Patrick Schoettker. Salle des Remparts, pl. des Anciens-Fossés 7. Lu 9 janvier 2017, Yverdon Madame de Staël et Napoléon: histoire d’un duel. Par Léonard Burnand. Aula Magna du château, pl. Pestalozzi. Ve 13 janvier, Morges Qu'appelle-t-on nature aujourd'hui ? Par Dominique Bourg. Grenier bernois du Centre culturel, pl. du Casino 1. Lu 23 janvier, La Tour-de-Peilz Les pérégrinations d'un médecin légiste à l'aube du XXIe siècle. Par Thomas Krompecher. Salle des Remparts, pl. des Anciens-Fossés 7.

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Je 6 octobre

ÉCOUTE VOIR !

Une séance d’écoute et de présentation de radio fictions. La BCU Lausanne propose au public un concours de création de fictions sonores avec, à la clé, l’enregistrement en studio des meilleures histoires. Inscriptions jusqu’au 13 novembre. Ateliers les 20 et 27 novembre. Lausanne. Palais de Rumine, aula. 19h30. www.bcu-lausanne.ch Ma 11 octobre

LES GARDIENS DU TEMPS

La BCU possède des collections de livres d’artiste, de livres anciens somptueux, de cartes, de manuscrits littéraires ou musicaux. Les responsables de ces collections offrent une visite aux curieux. UNIL-Dorigny. Unithèque. 18h30. Autre date: ma 13 décembre, 18h et 19h30, BCU site Riponne. Inscription à manifestations@bcu.unil.ch 021 316 78 63

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Di 9 octobre

SORTIE CHAMPIGNONS

Sous ses feuilles mortes, la forêt nous offre des champignons. Une belle occasion d’apprendre à reconnaître certaines espèces et même d’en manger en fin de sortie, si la cueillette a été fructueuse. Prix adulte: 20./ enfant 5.- / Amis 10.- Aussi le di 16 octobre. Tolochenaz. Maison de la Rivière, 9h-13h. Inscription sur info@maisondelariviere.ch D. Trotta © UNIL

Lu 5 décembre, Lausanne Famille, mœurs et droit : amis ou ennemis ? Par Suzette Sandoz. Salle Paderewski, Casino de Montbenon.

© Fotolia

Ve 2 décembre, Aigle Le sommeil et les rêves. Par Francesca Siclari. Salle F. Rouge de l’Hôtel de ville, pl. du Marché 1.

Je 27 octobre

SOIRÉE ANNUELLE DES ALUMNI 2016

Le Réseau ALUMNIL fête son premier lustre et vous propose une rencontre un peu particulière sur le thème de la mémoire. Cet évènement est réservé aux membres du réseau. Programme et inscription sur le Portail ALUMNIL. www.unil.ch/ alumnil/adherer


© Studio KO

Jusqu’au 23 avril 2017

PAS DE PANIQUE !

L’ÉPROUVETTE

Aménagée comme un vrai laboratoire de biologie, L’éprouvette invite tous les publics (familles, enfants, associations, curieux, etc.) à se glisser dans la peau de chercheurs pour expérimenter certains grands principes des sciences et discuter des enjeux de la recherche. www.eprouvette.ch 021 692 20 79

Ve 11 novembre

150 ANS DE DROITS ÉGAUX NUIT DES CONTES

Mettant à profit les longues nuits d’hiver, ses aquariums ainsi que ses collections, la Maison de la Rivière organise une mystérieuse soirée de contes autour du thème «Ultrasecret». Enfants bienvenus. Tolochenaz. Maison de la Rivière, en début de soirée. Evènement payant. Inscriptions : info@maisondelariviere.ch 021 802 20 75

Je 1er décembre

MARCHÉ

Pilotée par des étudiants de l’UNIL et de l’EPFL, la radio diffuse ses émissions 24h/24 et 7 jours sur 7. A retrouver sur le câble (94.55 MHz) et sur le Net. Au programme: beaucoup de musique, mais également des infos, des débats, des interviews et des chroniques. Pour ne rien rater de la vie du campus. www.frequencebanane.ch

JEAN ECHENOZ

Figure majeure de la littérature contemporaine, écrivain virtuose au style reconnaissable entre tous, Jean Echenoz vient nous parler de son dernier roman d'espionnage cocasse, L’Envoyée spéciale. Rencontre animée par Louis-Philippe Ruffy. Lausanne. Palais de Rumine, Aula, 19h. www.bcu-lausanne.ch 021 316 78 63

Du pain, des fruits et des légumes de saison et des fromages. Des marchands de la région proposent des produits frais sur le campus de Dorigny. Pour 20 francs, et sur réservation, possibilité d’obtenir un « panier de saison » avantageux. UNIL-Mouline. Devant le bâtiment Géopolis. Le jeudi de 9h30 à 14h30. www.unil.ch/marche

Sa 3 décembre

RYTHMER LES OBJETS

Cet atelier vous permettra de réaliser des photographies sans appareil (les rayographies de Man Ray) et de découvrir le travail d’autres artistes qui explorent de nouvelles rythmiques visuelles, des avant-gardes à nos jours. UNIL. BCU Lausanne, site Unithèque. Cinespace, 10h ou 14h. Inscription sur manifestations@bcu.unil.ch en précisant l’heure.

© Fotolia

DR

Le 14 janvier 1866, les Juifs de Suisse ont accédé aux mêmes droits civiques que les autres citoyens du pays. Cette exposition itinérante présente les portraits de 15 personnalités juives, photographiées dans leur environnement par Alexander Jaquemet. UNIL-Dorigny. Anthropole. Lu-Ve 8h19h, sa 10h-17h.

FRÉQUENCE BANANE

DR

Du ve 2 au lu 21 novembre

Mélanie Affentranger © UNIL

Talia Wigger © Alexander Jaquemet

Fabrice Ducrest © UNIL

La peur, notre meilleure amie ou notre pire ennemie ? Comment naît-elle dans notre cerveau et dans celui des animaux ? Cette exposition est l’occasion d'en apprendre plus sur les traitements qui sont proposés pour soigner certains troubles anxieux. Lausanne. Musée de la main UNIL-CHUV. Mave 12h-18h, sa-di 11h-18h. www. museedelamain.ch. 021 314 49 55

En permanence

Di 11 décembre

CASTORS ET TRUITES

La truite et le castor sont deux animaux emblématiques de nos cours d’eau. Cette sortie prévue le long de l’Aubonne vous permettra de les voir de près. Guide: Jean-François Rubin, président de La Maison de la Rivière. Prix adulte: 20.- / enfant 5.- / Amis 10.- Tolochenaz. Maison de la Rivière. Inscriptions : info@maisondelariviere.ch 021 802 20 75 Allez savoir !

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CAFÉ GOURMAND

L’HISTOIRE POUR (SE) COMPRENDRE Français de naissance, Israélien depuis ses 18 ans, Berlinois et Barcelonais à ses heures, Jacques Ehrenfreund a créé en 2005 à l’UNIL la chaire d’Histoire des Juifs et du judaïsme.

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bservant modérément les rituels, Jacques Ehrenfreund pourrait reprendre à son compte le mot de Freud qui se disait Juif sans Dieu. Car si le christianisme «s’est émancipé de la pratique et de la question du peuple» pour se focaliser sur la foi – la fameuse circoncision paulinienne du cœur – et sur l’universalité de son message, le judaïsme ne repose pas d’abord sur la croyance mais sur une culture partagée et transmise, et sur la tension entre une éthique universelle et un peuple qui en témoigne. A la suite de George Steiner, il évoque la résistance de ce peuple, alors que toutes les autres civilisations antiques – hormis la Chine immense – se sont effondrées. « Les Juifs, qui représentent pourtant une virgule dans l’histoire universelle, n’ont pas subi le lot commun de la disparition », souligne Jacques Ehrenfreund qui aime, sans forcément la croire juste, l’hypothèse de Steiner selon laquelle cette exceptionnalité du sort éveille la jalousie. « La situation des Juifs est symptomatique de la crise du vivreensemble et, si l’on songe à ceux qui ont quitté la France en nombre ces dernières années, ce n’est pas un bon signe. J’interprète ainsi la phrase de Manuel Valls après les attentats de janvier 2015 dans ce très beau discours politique où il estimait que sans les Juifs de France, la France ne serait pas la France.» Le 2 novembre débutera à l’UNIL une exposition qu’il organise autour du 150e anniversaire de l’émancipation des Juifs en Suisse, un moment fondateur qui reconnaît notamment à cette communauté le droit de s’installer où bon lui semble. Le premier

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Allez savoir !

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JACQUES EHRENFREUND Au restaurant BG Café du Bon Génie à Lausanne. © Pierre-Antoine Grisoni / Strates

pays européen à accorder la pleine citoyenneté aux Juifs après un débat houleux à l’Assemblée nationale est précisément la France, en 1791, tendance qui va se propager dans le sillage des conquêtes napoléoniennes. La République délestée de son ancrage catholique offre un cadre essentiel pour le respect de toutes les croyances et de la non-croyance, rappelle l’historien, mais la laïcité garante de l’égalité absolue entre citoyens reste un moyen, certes essentiel, non une fin. « On ne sait pas quel nouveau contenu donner au vivre-ensemble, même la République ne semble plus en mesure de rassembler », décrit-il. Dans ce contexte social et politique distendu, l’Histoire reste la meilleure manière de se comprendre soi-même et d’envisager un destin collectif. Sa propre identité est éclatée entre différentes langues – le yiddish de son père polonais, l’allemand de sa mère déchue en 1938 de sa nationalité, l’es-

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UN GOÛT DE L’ENFANCE

Le gâteau au pavot, spécialité d’Europe centrale, d’autant plus précieux qu’il était difficile à trouver en France.

UNE VILLE DE GOÛT ? Barcelone, où l’architecture et la cuisine sont en dialogue dans une harmonie rare.

AVEC QUI PARTAGER UN REPAS ?

Simon Doubnov, peutêtre le plus grand historien du judaïsme du XXe siècle, dont l’œuvre a marqué profondément la discipline.

pagnol de ses grands-parents maternels réfugiés à Barcelone, l’hébreu moderne et le français – et plusieurs pays d’origine ou d’accueil. « Le détour par ce qui nous a précédé offre une clé de compréhension au niveau personnel, mais aussi sur le plan collectif », résume l’historien. Libéral de gauche, Jacques Ehrenfreund ne moralise pas, reste pragmatique pour ce qui concerne la résolution des conflits, et ne juge pas des mœurs d’autrui. « La religion c’est le génie du christianisme et on pourrait dire que la laïcité procède de cette invention », avance-t-il en refusant le dessert s’annonçant à cette table qui accueille notre discussion. Il n’utilise pas ce concept de religion qui déborde sur le culturel, le social, le public au point que toute la question est de contenir les revendications qui minent le commun et de permettre en même temps à des gens très divers de vivre ensemble, conclut-il.  NADINE RICHON


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