Trois Couleurs #126 novembre 2014

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le monde à l’écran

werner herzog du 5 nov. au 9 déc. 2014

Rencontre aux sommets avec le cinéaste allemand

love is strange

Entretien avec le réalisateur new-yorkais Ira Sachs

et aussi

Mia Hansen-Løve, Interstellar, exposition François Truffaut…

Timbuktu d’Abderrahmane Sissako

Poésie de la révolte

no 126 – gratuit


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l’e ntreti e n du mois

Werner Herzog

© stéphane manel

On a suivi le cinéaste sur les pistes escarpées de son œuvre documentaire.

« les médias m’ont longtemps décrit comme une personne monomaniaque. mais j’ai beaucoup d’humour. » 4

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l’e ntreti e n du mois

À travers presque soixante-dix films, il incarne le cinéaste de la démesure (Aguirre. La colère de Dieu, Fitzcarraldo, Grizzly Man, La Grotte des rêves perdus…). Retour aux origines de l’œuvre de Werner Herzog, avec la parution d’un coffret DVD réunissant ses premiers films, et la sortie en salles de La Soufrière (1977) et de Gasherbrum (1984), deux documentaires inédits en France. L’occasion de constater que depuis ses débuts, au beau milieu des endroits et des situations les plus extrêmes, le réalisateur allemand s’intéresse avant tout aux paysages intimes des personnages qu’il filme. Rencontre aux sommets.

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PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

o s d o c u m e n ta i r e s l a soufrière et gasherbrum, qui sortent conjointement dans les salles françaises, ont plus de 30 ans. en quoi votre approche documentaire a-t-elle évolué depuis ? Je pense être devenu plus précis dans ma quête du vrai, de ce que j’appelle la « vérité extatique ». Au nom de celle-ci, il peut y avoir dans mes documentaires des parties inventées, car les faits ne constituent pas la vérité. En ce sens, mes documentaires sont des sortes de fictions déguisées. dans quel contexte êtes-vous parti filmer le volcan la soufrière en guadeloupe en 1976 ? J’étais en train de monter un film. Un matin, j’ai lu un article dans le journal qui annonçait qu’une éruption massive du volcan était imminente, et que trois paysans refusaient d’être évacués de la zone. J’ai dit un peu en l’air à ma monteuse qu’il faudrait filmer ces hommes. Quelques heures plus tard, elle s’est retournée vers moi et m’a dit : « Et pourquoi vous n’iriez pas faire ce film ? » Deux heures plus tard, j’étais dans l’avion pour Pointe-à-Pitre. Ce n’était pas tant pour filmer le volcan que pour filmer ces paysans et leur attitude face à la mort. pourquoi ces paysans refusaient-ils, au péril de leur vie, d’être évacués ? Ils avaient une attitude très stoïque face à la mort. Ça ne m’a pas surpris, car je ne crains pas la mort moi-même. finalement, l’explosion ne s’est pas produite… C’est l’autre sujet du film : une catastrophe inévitable qui n’a pas eu lieu. Il y avait une certaine absurdité et une certaine ironie dans toute cette aventure. Les sismologues avaient annoncé que l’éruption était incontournable, car la Soufrière présentait les mêmes signaux que la montagne Pelée en Martinique en 1902, qui avait explosé en tuant plus de 30 000 personnes. Comme je le raconte dans le documentaire, seul un homme a eu la vie sauve, un prisonnier, très dangereux, enfermé dans un cachot sans fenêtre. Il a survécu parce qu’il était l’homme le plus mauvais de la ville, c’est une belle histoire !

gravir un volcan qui a toutes les chances d’entrer en éruption pour le filmer, n’était-ce pas un peu inconscient ? Normalement je suis très prudent, je mesure très bien les risques. Mais dans ce cas précis, c’était un peu une loterie. Ça m’est arrivé seulement deux ou trois fois dans ma vie de jouer comme ça à la roulette russe… Nous avions placé une caméra à 25 kilomètres du volcan, qui enregistrait une image toutes les cinq secondes, pour laisser une trace si jamais on y restait. au pied du volcan, vous filmez la ville de basse-terre totalement désertée après l’évacuation de ses habitants. on vous sent fasciné par cette atmosphère apocalyptique, souvent à l’œuvre dans votre cinéma. La fin du monde fascine beaucoup d’entre nous, c’est un thème universel. D’ailleurs, je n’en ai pas fini avec le sujet. Je travaille en ce moment sur un très gros projet de film IMAX sur les volcans. J’étais récemment en Bolivie près d’Uturuncu, un volcan gigantesque. C’est un vrai monstre : s’il explose, ce sera probablement la fin de l’humanité. Des explosions de cette ampleur se sont déjà produites, comme la catastrophe de Toba il y a 75 000 ans en Indonésie, qui a presque éradiqué la race humaine, ne laissant que 600 à 2 000 survivants sur la planète. Peut-être assisterons-nous à un nouvel événement de ce genre… pourquoi avoir décidé de suivre dans gasherbrum les alpinistes reinhold messner et hans kammerlander dans leur ascension de deux sommets de l’himalaya culminant à 8 000 mètres ? J’avais un projet de fiction sur le sommet K2 en Himalaya [avec notamment Klaus Kinski, ndlr]. Je voulais tester si je pouvais faire un film avec des pellicules 35 millimètres à 8 000 mètres d’altitude. Quand j’ai appris que Messner et Kammerlander s’apprêtaient à gravir le Gasherbrum, nous les avons suivis jusqu’au campement de base, à 5 200 mètres. J’ai vite compris que je ne pourrais pas faire ma fiction sur le K2, c’était trop dangereux, et les caméras de 35 millimètres n’auraient pas tenu le coup à une telle altitude.

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l’e ntreti e n du mois

© potemkine films

« je ne suis pas une caméra de surveillance… Au contraire, j’invite le braqueur à entrer. »

L’alpiniste Reinhold Messner dans Gasherbrum, 1984

avec ce documentaire, souhaitiez-vous explorer les limites de l’être humain ? Je n’ai jamais été intéressé par les limites de l’homme, le dépassement de soi. C’est très à la mode de vouloir chercher ses propres limites, je trouve cela stupide. Je voulais visiter le paysage intime de ces grimpeurs, voir quel genre de feu brûlait en eux, quelles montagnes ils avaient au fond du cœur. juste avant l’ascension finale, vous n’hésitez pas à pousser messner à bout en le questionnant longuement sur son frère, mort alors qu’il l’accompagnait en expédition. plus généralement, vous n’épargnez pas vos sujets dans vos documentaires. J’essaie de sonder les profondeurs de la condition humaine, comme dans Into the Abyss, un documentaire que j’ai réalisé en 2010 sur un condamné à mort au Texas, et dans lequel on pénètre les plus sombres recoins du cœur humain. vous êtes assez interventionniste dans vos documentaires : vous faites la voix off, vous dirigez beaucoup vos interviews, vous apparaissez parfois à l’écran… Tout à fait, car je suis réalisateur de films, je ne suis pas une caméra de surveillance dans une banque qui filme sans arrêt depuis des années sans qu’un seul braquage ne se produise… Au contraire, j’invite le braqueur à entrer. il y a dans gasherbrum une séquence très drôle au cours de laquelle messner poursuit tant bien que mal le récit d’un de ses

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exploits, alors qu’il reçoit un massage extrêmement dynamique d’un porteur. votre cinéma est-il plus drôle qu’on ne le croit ? Ach ! C’est une bonne question ! Le public commence juste à découvrir l’humour dans mes films, qui est pourtant présent depuis le début. Même dans Aguirre il y a beaucoup d’humour ! Le pu-­ blic rit devant le film, et quand le public rit, c’est que l’on a vu juste. Les médias m’ont longtemps décrit comme une personne monomaniaque, en faisant des connexions directes entre mes personnages et moi : « Werner Herzog, c’est la même personne qu’Aguirre, ou que Fitzcarraldo… » Mais ça ne fonctionne pas comme ça. J’ai beaucoup d’humour et je n’ai jamais été obsessionnel. vous faites aussi la voix off de la bande annonce des pingouins de madagascar, la nouvelle animation de dreamworks. est-ce une manière de rire de cette image de réalisateur de l’extrême ? Oui, c’est certain, il y a de l’autodérision. Et je dois admettre que j’aime tout ce qui touche au cinéma : écrire, mettre en scène, monter et, de plus en plus, jouer ; et je suis bon acteur ! Dans le film Jack Reacher [sorti en 2012, ndlr] où je donne la réplique à Tom Cruise, je suis vraiment très effrayant en méchant. Les Ascensions de Werner Herzog de Werner Herzog Distribution : Potemkine Films Durée : 1h15 Sortie le 3 décembre Coffret Werner Herzog. Volume 1 (1962-1974) Éditeur : Potemkine Films et agnès b. Sortie le 3 décembre

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Sommaire

Du 5 novembre au 9 décembre 2014

À la une… 4

entretien

portrait

Werner Herzog

stéphane manel ; antoine doyen ; flavien prioreau ; 2014 les films du worso-dune vision ; mars distribution ; pretty pictures ; marco castro ; succession pierre zucca

Retour aux origines de l’œuvre du cinéaste allemand, avec la parution d’un coffret DVD réunissant ses premiers films, et la sortie en salle de deux documentaires inédits, La Soufrière et Gasherbrum. L’occasion de constater que depuis ses débuts, le réalisateur s’intéresse avant tout aux paysages intimes des personnages qu’il filme.

en couverture

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Yann Demange Rencontre avec le réalisateur enthousiaste et déterminé de ’71, un premier long métrage impressionnant de maîtrise et d’assurance.

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entretien

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Mia Hansen-Løve Dans Eden, la cinéaste retrace le parcours de son frère, DJ dans les années 1990, de l’euphorie des années raves au réveil douloureux vingt ans plus tard.

Timbuktu

Le film d’Abderrahmane Sissako s’enracine dans un terreau bien réel : l’occupation du nord du Mali par des djihadistes, en 2012. De cet épisode traumatique récent, le réalisateur tire une fiction poétique et politique, bouleversante et pleine d’empathie, tournée vers les populations locales prises en otage. Rencontre avec le cinéaste, injustement reparti bredouille du dernier Festival de Cannes, où Timbuktu était présenté en compétition officielle.

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making of

portfolio

Romain Duris Sur le tournage d’Une nouvelle amie de François Ozon, Romain Duris s’est trouvé une nouvelle alliée, Chris Gandois, une chorégraphe très discrète qui met sa science du corps au service des acteurs.

rencontre

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Love Is Strange Après Keep the Lights On, Ira Sachs revient avec un film moins autobiographique mais pas moins personnel, variation douce et lumineuse sur le couple et la transmission entre les générations.

portrait

50 Reda Kateb Il est devenu la nouvelle gueule, dure et tendre, du cinéma français. En prêtant son visage au personnage complexe de Qui vive, Reda Kateb trouve son plus beau rôle.

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François Truffaut intime Avec plaisir et simplicité, Laura Truffaut a évoqué pour nous ses souvenirs de son père, à l’occasion de l’exposition que la Cinémathèque française consacre au cinéaste.


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… et aussi Du 5 novembre au 9 décembre 2014

collection christophel ; le pacte ; 2012 findlay productions limited ; 2014 warner bros. entertainment inc. and paramount pictures corporation ; epicentre films ; paradis films

Édito 13 Occuper le terrain Les actualités 14 Paul Schrader, Lena Dunham, Agnès Godard À suivre 20 Yann Demange, réalisateur de ’71 Festival 22 La Roche-sur-Yon l’agenda 24 Les sorties de films du 5 novembre au 3 décembre 2014 histoires du cinéma 29 Alice Guy-Blaché p. 34, Wake in Fright p. 36, God Help the Girl p. 38

les films 57

Interstellar de Christopher Nolan p. 57 // Une nouvelle amie de François Ozon p. 58 // A Girl at my Door de July Jung p. 60 // La pro­chaine fois je viserai le cœur de Cédric Anger p. 64 // Quand vient la nuit de Michaël R. Roskam p. 64 // Atlas d’Antoine d’Agata p. 66 // Et maintenant ? de Joaquim Pinto p. 70 // In the Family de Patrick Wang p. 72 // Night Call de Dan Gilroy p. 72 // Mercuriales de Virgil Vernier p. 74 // L’Incomprise d’Asia Argento p. 78 // Con­ cer­ning Violence de Göran Hugo Olsson p. 80 // Iranien de Mehran Tamadon p. 84 // Retour à Ithaque de Laurent Cantet p. 84 Les DVD 86 William Klein Films et la sélection du mois

cultures 88

L’actualité de toutes les cultures et le city guide de Paris time out paris 110 La sélection des sorties et des bons plans compilés par Time Out Paris

trois couleurs présente 114

ÉDITEUR MK2 Agency 55, rue Traversière – Paris XIIe Tél. : 01 44 67 30 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Elisha Karmitz (elisha.karmitz@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF Juliette Reitzer (juliette.reitzer@mk2.com) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Raphaëlle Simon (raphaelle.simon@mk2.com) RÉDACTEURS Quentin Grosset (quentingrosset@gmail.com) Timé Zoppé (time.zoppe@gmail.com) DIRECTRICE ARTISTIQUE Sarah Kahn (hello@sarahkahn.fr) GRAPHISTE-MAQUETTISTE Jérémie Leroy SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Vincent Tarrière (vincent.tarriere@orange.fr) STAGIAIRE Chloé Beaumont ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO Stéphane Beaujean, Ève Beauvallet, Hendy Bicaise, Louis Blanchot, Tania Brimson, Léa Chauvel-Lévy, Renan Cros, Oscar Duboÿ, Julien Dupuy, Yann François, Clémentine Gallot, Claude Garcia, Stéphane Méjanès, Wilfried Paris, Michaël Patin, Laura Pertuy, Alexandre Prouvèze, Bernard Quiriny, Guillaume Regourd, Étienne Rouillon, Claire Tarrière, Laura Tuillier, Éric Vernay, Anne-Lou Vicente,Etaïnn Zwer ILLUSTRATEUR Stéphane Manel PHOTOGRAPHES Fabien Breuil, Marco Castro, Antoine Doyen, Flavien Prioreau PUBLICITÉ DIRECTRICE COMMERCIALE Emmanuelle Fortunato (emmanuelle.fortunato@mk2.com) RESPONSABLE CLIENTÈLE CINÉMA Stéphanie Laroque (stephanie.laroque@mk2.com) CHEF DE PROJET COMMUNICATION Estelle Savariaux (estelle.savariaux@mk2.com) CHEF DE PROJET OPÉRATIONS SPÉCIALES Clémence van Raay (clemence.van-raay@mk2.com) ASSISTANTE CHEF DE PROJET Sylvie Rubio (sylvie.rubio@mk2.com)

Nikon Film Festival, Sonia Delaunay, David Altmejd

l’actualité des salles mk2 116 Le MK2 Odéon fait peau neuve, festival Chéries-Chéris

Illustration de couverture © Eiko Ojala / La Suite pour Trois Couleurs © 2013 TROIS COULEURS issn 1633-2083 / dépôt légal quatrième trimestre 2006. Toute reproduction, même partielle, de textes, photos et illustrations publiés par MK2 Agency est interdite sans l’accord de l’auteur et de l’éditeur. Magazine gratuit. Ne pas jeter sur la voie publique.

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é dito

Occuper le terrain PAR JULIETTE REITZER

A

bderrahmane Sissako est né en Mauritanie. Il a grandi au Mali, a étudié le cinéma en U.R.S.S. et a longtemps vécu à Paris. De fait, les rapports qu’entretiennent les individus aux lieux ont leur importance dans l’œuvre du cinéaste. Ses premiers longs métrages, à portée largement autobiographique – La Vie sur Terre en 1998, En attendant le bonheur en 2002 –, questionnaient ainsi l’exil, le déracinement, le retour au pays. Avec Bamako, sorti en 2006, il abordait des contrées plus ouvertement politiques : dans la cour d’une maison de la capitale malienne, le film imaginait le procès, intenté par la société civile africaine, de la Banque mondiale et du FMI. Pour titre de son nouveau film, en salles le 10 décembre prochain, le réalisateur choisit à nouveau le nom d’une ville. Ancré dans les paysages du nord du Mali – le désert du Sahel, le fleuve Niger, la ville de Tombouctou –, Timbuktu dit la réalité d’un territoire occupé : le film revient sur la prise de pouvoir des djihadistes en 2012. Il dit aussi le quotidien de ceux qui y vivent et y défient les interdictions, dessinant avec pudeur une puissante poésie de la révolte. Le cinéaste nous l’a confié dans un entretien-fleuve, à lire page 44 : « Faire un film, c’est aussi résister. »

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e n bre f

Les actualités PAR CHLOÉ BEAUMONT, JULIEN DUPUY, QUENTIN GROSSET, RAPHAËLLE SIMON ET TIMÉ ZOPPÉ

> l’info graphique

Les salaires d’Hollywood Dans une enquête détaillée, le magazine The Hollywood Reporter révèle les revenus annuels des différentes professions au sein des studios hollywoodiens entre juin 2013 et juin 2014. En voici une sélection. R. S. montant en dollars 50 m$ 40 m$

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> HOLLYWOOD

N’allez pas voir mon film

© d. r.

La fausse affiche postée sur sa page Facebook par Paul Schrader, le réalisateur (officiellement du moins) de Dying of the Light, a fait le tour du web. Il y arbore le même t-shirt que ses acteurs Nicolas Cage et Anton Yelchin et que le producteur exécutif du film, Nicolas Winding Refn. Ledit t-shirt reproduit la clause de « non-dénigrement » à laquelle sont soumis les artistes sous contrat avec les studios hollywoodiens. Sous la photo, le cinéaste commente : « On a perdu la bataille. Dying of the Light […] m’a été retiré pour être remonté, agrémenté d’une musique originale et mixé sans ma participation. » Le quatuor enjoint donc le public à boycotter le film que le studio Lionsgate prévoit de sortir le 5 décembre prochain aux États-Unis. En 2003, Schrader a déjà connu des déboires similaires : Morgan Creek Productions et Warner Bros. l’avaient évincé du projet L’Exorciste. Au Commencement, engageant un autre réalisateur pour retourner l’intégralité du film. Pour se changer les idées, le cinéaste s’est mis à écrire une websérie intitulée La Dolce Vita. T. Z.

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e n bre f

> LE CHIFFRE DU MOIS

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C’est le nombre de films de super-héros dont le tournage est prévu d’ici 2020, recensés par le site Comics Alliance. Parmi ceux-ci, quelques rares nouveautés (Ant-Man) et surtout beaucoup de spins-off, sequels et autres reboots, essentiellement de Batman, de Spider-Man et des X-Men. Un manque d’originalité peu étonnant de la part des studios au vu du succès du genre en salles – Les Gardiens de la galaxie a ainsi engrangé plus de 750 millions de dollars de recettes dans le monde d’après le site Box Office Mojo. C. B.

> dépêches

DÉCÈS

CONCOURS

SÉRIE

Révélée par François Truffaut dans Tirez sur le pianiste, Marie Dubois est décédée le 15 octobre dernier à l’âge de 77 ans. À l’affiche notamment de La Grande Vadrouille ou de Vincent, François, Paul... et les autres, elle s’est illustrée à la fois dans le cinéma d’auteur et dans le cinéma populaire.

Vous avez jusqu’au 31 décembre pour répondre à l’appel à scénarios lancé par l’association Femmes et cinéma sur le thème de la représentation des femmes au travail. Les six projets retenus seront tournés par six réalisatrices dont Virginie Despentes et Sophie Fillières (photo).

David Lynch et Mark Frost ont surpris tout le monde en annonçant sur Twitter le retour de leur série culte Twin Peaks. Composée de neuf épisodes inédits réalisés par Lynch lui-même, cette troisième saison se déroulera vingt-cinq ans après le dernier épisode.

> LA PHRASE

© warner bros entertainment inc and paramount pictures corporation

Lena Dunham La créatrice de la série Girls a déclaré lors du récent festival du New Yorker qu’elle travaillait à l’adaptation du Livre de Catherine, un roman de Karen Cuschman dont l’action se déroule dans l’Angleterre du xiiie siècle.

> LA TECHNIQUE

Christopher Nolan est passé maître dans l’art de ressusciter des technologies jugées obsolètes. Ainsi, pour les scènes d’Interstellar dont l’action se déroulait à l’intérieur des navettes spatiales, le cinéaste a refusé d’avoir recours aux effets spéciaux numériques pour créer tout ce que l’on aperçoit à travers les hublots. Il a préféré utiliser la méthode antédiluvienne de la « rétroprojection » (derrière chaque ouverture du décor était placé un grand écran diffusant des images). Cette méthode présentait deux avantages : le trucage était enregistré directement devant la caméra et les comédiens pouvaient plus aisément se convaincre qu’ils naviguaient réellement dans l’espace. J. D. Interstellar de Christopher Nolan (Warner Bros.) Sortie le 5 novembre

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© gregg deguire / wireimage

Interstellar « IL FAUT JUSTE QUE JE TROUVE QUELQU’UN QUI SOIT PRÊT À FINANCER UN FILM MÉDIÉVAL INTERDIT AU MOINS DE 13 ANS. »

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© luca teuchmann / wireimage ; d. r. ; ron galella / wireimage

PAR C. B.


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e n bre f

> EXPOSITION

© agnès godard

Agnès Godard

EN TOURNAGE

Directrice de la photographie de Claire Denis, récompensée d’un César pour Beau Travail en 2001, Agnès Godard expose pour la première fois ses photographies dans une galerie dédiée aux œuvres inspirées par le septième art. Alors que d’habitude elle se met au service du regard des cinéastes, elle a cette fois mis en scène deux modèles, une femme (la réalisatrice et comédienne Emmanuelle Bercot) et un homme (le scénariste et écrivain Stéphane Bouquet), qui ne se Agnès Godard, My Favorite Dance, 2007 connaissaient pas. Pendant une journée, elle les a filmés dansant nus, dans des poses inspirées par des dessins d’Auguste Rodin, puis a superposé ces images à d’autres. Résultent de cet exercice des photographies énigmatiques et sensuelles qui font également l’objet d’un beau-livre publié aux éditions du Seuil. C. B. « My favorite dance », jusqu’au 21 novembre à la galerie Cinéma – Anne-Dominique Toussaint

Quarante ans après Les Valseuses, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu se retrouvent pour jouer des parents affrontant la mort de leur fils dans The Valley of Love, un film de Guillaume Nicloux, actuellement en tournage en Californie • Jacques Audiard tourne son prochain long métrage, Erran, dans le quartier de La Coudraie, à Poissy. Librement inspiré des Lettres persanes de Montesquieu, le film relatera le parcours d’un réfugié politique tamoul sri-lankais qui occupe le poste de concierge dans une cité difficile. Q. G.

© d. r.

© cinémathèque française

film retrouvé

> LIVRES

Nouveaux venus dans l’édition Les bouquins font leur cinéma, avec la création de trois nouvelles éditions consacrées au septième art. Version excentrique avec Le jour où… 30 histoires insolites de cinéma, édité par Sofilm et Capricci. Soit les récits d’aventures hallucinantes extraits du magazine Sofilm, de l’assassinat d’une actrice de série B par son fils nain à l’exécution de l’acteur de Poil de carotte. Version shakespearienne avec la publication par Carlotta Films des pièces Macbeth et Othello, toutes deux illustrées

par des photos tirées de leur adaptation au cinéma par Orson Welles. Le regard du réalisateur américain offre une nouvelle lecture des deux œuvres mythiques. Version indé avec Le Mumblecore de Théo Ribeton, premier essai publié par la revue Zinzolin consacré à cette mouvance du cinéma américain caractérisée par une production fauchée et des dialogues improvisés et portée par des jeunes réalisateurs en prise avec leur temps comme Lena Dunham ou Andrew Bujalski. R. S.

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Une adaptation des aventures de Sherlock Holmes par Arthur Berthelet datant de 1916 a été retrouvée dans les fonds de la Cinémathèque française. Le film se base sur la pièce de théâtre de William Gillette qui incarnait lui-même le détective sur les planches et reprend le rôle à l’écran. Le contretype nitrate, que l’on pensait définitivement perdu depuis sa première exploitation, est en cours de restauration, ce qui devrait permettre une diffusion du film à la Cinémathèque dans le cadre de la 3e édition du festival Toute la mémoire du monde qui débutera le 28 janvier 2015. T. Z.


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À SU IVR E

Yann Demange Premier long métrage impressionnant de maîtrise et d’assurance, ’71 suit un jeune militaire (Jack O’Connell) catapulté dans l’horreur de la guerre civile irlandaise, en 1971. Surprise, c’est à un Français installé à Londres que l’on doit ce trépidant thriller. Rencontre avec un réalisateur enthousiaste et déterminé.

© antoine doyen

Par Juliette Reitzer

Je ne suis ni français, ni algérien, ni anglais. Je suis londonien. » Carrure de boxeur et regard franc, Yann Demange renvoie d’emblée dans les cordes le sujet de ses origines cosmopolites. Né à Paris en 1977, d’une mère française et d’un père algérien, il vit à Londres depuis qu’il a 2 ans et parle sa langue maternelle avec un léger accent. Gamin, il regarde des VHS (Le Professionnel avec Belmondo, Scum d’Alan Clarke), sèche les cours et, à 18 ans, atterrit un peu par hasard sur le tournage d’un clip. « Le patron de la boîte de prod m’a offert un boulot à temps plein. J’étais l’outsider, entouré de gens qui sortaient d’écoles prestigieuses. Je m’exprimais mal, j’avais l’impression d’être bloqué derrière une vitre. » Il s’essaie à tous les postes et finit à force d’obstination par intégrer la National Film School, grâce à une bourse. Ensuite, il trouve vite

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un agent et enchaîne courts métrages, pubs et séries. Et la France ? « Les producteurs ici ne te répondent jamais. Je n’aurais pas eu de carrière en France, c’est sûr. » Entre deux tasses de thé noir, il poursuit : « Je développais un projet de film sur la guerre civile en Algérie quand j’ai reçu le scénario de ’71. Il transcendait les spécificités de l’époque et du lieu. L’enjeu, c’était d’humaniser tout le monde. » La sélection du film à Berlin, en février dernier, a fait l’effet d’un formidable accélérateur. « Entre mars et août, mon agent américain m’a envoyé quatre-vingt-quinze scénarios. Mais je ne veux pas me fourvoyer pour du blé », conclut-il en souriant. ’71 de Yann Demange avec Jack O’Connell, Lewis Paul Anderson… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h39 Sortie le 5 novembre

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FESTIVAL

La RocheSur-Yon Mi-octobre, le dynamique festival de La Roche-sur-Yon vivait sa 5e édition. Sa programmation, charriant comme toujours son lot de perles, bouillonnait du désir collectif d’échapper au réel. PAR TIMÉ ZOPPÉ

M

pour embarquer sur un cargo commandé par un ancien amant. Le second raconte le désarroi d’un cinéaste (Bertrand Bonello, qui révèle là ses grands talents d’acteur) observant une tâche croître dans son dos à mesure qu’il recherche, pour un projet de film, une toile représentant la monstruosité. Le fantastique prend son plein essor dans le très sensible film de super-héros Vincent n’a pas d’écailles de Thomas Salvador, qui remporte le Prix du public, après avoir été primé à Bordeaux. Décalage avec la réalité, toujours, dans la compétition nouvelles vagues qui récompense le délirant Fort Buchanan, soap parodique dans lequel des Français pallient l’ennui en attendant leurs conjoints partis à la guerre, et l’expérimental Atlantis de l’Américain Ben Russell. Les angoisses de l’existence n’ont jamais été aussi réjouissantes qu’ainsi dynamitées par la fiction.

© epicentre films

algré la nomination d’un nouveau directeur, Paolo Moretti, la ligne éditoriale du festival de La Rochesur-Yon n’a pas varié. Au cœur de la programmation de ce rendez-vous attendu, on retrouve toujours une même volonté de montrer des films à la fois pointus et accessibles. Au-delà du Grand prix, le charmant mais trop timide film russe Another Year d’Oxana Bychkova, les deux compétitions (« internationale » et « nouvelles vagues ») étaient marquées par une grande vitalité de la fiction française. Ariane Labed et Bertrand Bonello ont été distingués par le jury de la compétition internationale pour leur rôle respectif dans Fidelio. L’odyssée d’Alice de Lucie Borleteau et Le Dos rouge d’Antoine Barraud. Le premier de ces films suit l’épopée homérique et amoureuse d’une femme marin (l’excellente Ariane Labed) qui laisse son homme à terre

Le Dos rouge d’Antoine Barraud

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ag e n da

Sorties du 5 nov. au 3 déc. 5 nov. ’71 de Yann Demange avec Jack O’Connell, Paul Anderson… Distribution : Ad Vitam Durée : 1h39 Page 20 Interstellar de Christopher Nolan avec Matthew McConaughey, Anne Hathaway… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h49 Page 57

Historia del miedo (Histoire de la peur) de Benjamin Naishtat avec Jonathan Da Rosa, Tatiana Giménez… Distribution : Shellac Durée : 1h20 Page 60

Travailleuses Collectif Documentaire Distribution : Hévadis Films Durée : 1h11 Page 62

Grizzly d’Alastair Fothergill et Keith Scholey Documentaire Distribution : Walt Disney Durée : 1h18 Page 95

La prochaine fois je viserai le cœur de Cédric Anger avec Guillaume Canet, Ana Girardot… Distribution : Mars Films Durée : 1h51 Page 64

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Quand vient la nuit de Michaël R. Roskam avec Tom Hardy, Noomi Rapace… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h47 Page 64

Une nouvelle amie de François Ozon avec Romain Duris, Anaïs Demoustier… Distribution : Mars Films Durée : 1h47 Page 58

Love Is Strange d’Ira Sachs avec Alfred Molina, John Lithgow… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h38 Page 40

Démocratie année zéro de Christophe Cotteret Documentaire Distribution : Les Films des Deux Rives Durée : 1h38 Page 58

Qui vive de Marianne Tardieu avec Reda Kateb, Adèle Exarchopoulos… Distribution : Rezo Films Durée : 1h23 Page 50

Paradise Lost d’Andrea Di Stefano avec Benicio del Toro, Josh Hutcherson… Distribution : Pathé Durée : 1h54 Page 58

Favelas de Stephen Daldry et Christian Duurvoort avec Wagner Moura, Selton Mello… Distribution : Universal Pictures Durée : 1h54 Page 62

Eden de Mia Hansen-Løve avec Félix de Givry, Pauline Étienne… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h11 Page 29

Steak (R)évolution de Franck Ribière Documentaire Distribution : Jour2fête Durée : 2h10 Page 58

Respire de Mélanie Laurent avec Joséphine Japy, Lou de Laâge… Distribution : Gaumont Durée : 1h31 Page 62

L’Oranais de Lyes Salem avec Lyes Salem, Khaled Benaïssa… Distribution : Haut et Court Durée : 2h08 Page 66

A Girl at my Door de July Jung avec Doona Bae, Kim Sae-ron… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h59 Page 60

Marie Heurtin de Jean-Pierre Améris avec Isabelle Carré, Ariana Rivoire… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Page 62

Un illustre inconnu de Matthieu Delaporte avec Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze… Distribution : Pathé Durée : 1h58 Page 66

De l’autre côté du mur de Christian Schwochow avec Jördis Triebel, Tristan Göbel… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h42 Page 60

[REC] 4 de Jaume Balagueró avec Manuela Velasco, Paco Manzanedo… Distribution : The Jokers / Le Pacte Durée : 1h36 Page 62

A Cappella de Lee Sujin avec Chun Woo-hee, Jung In-sun… Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h52 Page 68

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Atlas d’Antoine d’Agata Expérimental Distribution : Norte Durée : 1h15 Page 66

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Sorties du 5 nov. au 3 déc. L’Homme du peuple d’Andrzej Wajda avec Robert Wi ckiewicz, Agnieszka Grochowska… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 2h08 Page 68

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Mateo Falcone d’Éric Vuillard avec Hugo de Lipowski, Hiam Abbass… Distribution : Aloest Durée : 1h05 Page 78

Entre deux mondes de Feo Aladag avec Ronald Zehrfeld, Mohsin Ahmady… Distribution : Eurozoom Durée : 1h38 Page 68

Night Call de Dan Gilroy avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo… Distribution : Paramount Durée : 1h57 Page 72

Naguima de Janna Issabaeva avec Dina Tukubaeva, Galina Pianova… Distribution : Paname Durée : 1h17 Page 78

Hunger Games. La révolte : Partie 1 de Francis Lawrence avec Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson… Distribution : Metropolitan FilmExport Durée : 2h05 Page 68

Mercuriales de Virgil Vernier avec Philippine Stindel, Ana Neborac… Distribution : Shellac Durée : 1h48 Page 74

Concerning Violence de Göran Hugo Olsson Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h15 Page 80

Puzzle de Paul Haggis avec Liam Neeson, Maria Bello… Distribution : Synergy Cinema Durée : 2h17 Page 68

Astérix. Le Domaine des dieux de Louis Clichy et Alexandre Astier Animation Distribution : SND Durée : 1h22 Page 76

À la vie de Jean-Jacques Zilbermann avec Julie Depardieu, Suzanne Clément… Distribution : Le Pacte Durée : 1h44 Page 80

Et maintenant ? de Joaquim Pinto Documentaire Distribution : Épicentre Films Durée : 2h44 Page 70

The Search de Michel Hazanavicius avec Bérénice Bejo, Maxim Emelianov… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h14 Page 76

Master of the Universe de Marc Bauder Documentaire Distribution : Héliotrope Films Durée : 1h28 Page 80

Cañada Morrison de Matías Lucchesi avec Paula Galinelli Hertzog, Paola Barrientos… Distribution : Urban Durée : 1h11 Page 70

Alleluia de Fabrice Du Welz avec Laurent Lucas, Lola Dueñas… Distribution : Carlotta Films Durée : 1h30 Page 76

De la neige pour Noël de Rasmus A. Sivertsen Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 1h16 Page 94

Casanova Variations de Michael Sturminger avec John Malkovich, Fanny Ardant… Distribution : Alfama Films Durée : 1h58 Page 70

Calvary de John Michael McDonagh avec Brendan Gleeson, Chris O’Dowd… Distribution : 20 th Century Fox Durée : 1h45 Page 76

Baal de Volker Schlöndorff avec Rainer Werner Fassbinder, Margarethe von Trotta… Distribution : Les Films du Losange Durée : 1h28

Pôle emploi, ne quittez pas ! de Nora Philippe Documentaire Distribution : Docks 66 Durée : 1h18 Page 70

Tiens-toi droite de Katia Lewkowicz avec Marina Foïs, Noémie Lvovsky… Distribution : Wild Bunch Durée : 1h34 Page 76

In the Family de Patrick Wang avec Sebastian Banes, Patrick Wang… Distribution : Ed Durée : 2h49 Page 72

L’Incomprise d’Asia Argento avec Giulia Salerno, Charlotte Gainsbourg… Distribution : Paradis Films Durée : 1h43 Page 78

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3 déc. Les Ascensions de Werner Herzog de Werner Herzog Documentaire Distribution : Potemkine Films Durée : 1h15 Page 4


ag e n da

Wake in Fright de Ted Kotcheff avec Donald Pleasence, Gary Bond… Distribution : La Rabbia / Le Pacte Durée : 1h48 Page 36

Praia do futuro de Karim Aïnouz avec Wagner Moura, Clemens Schick… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h46 Page 82

White God de Kornél Mundruczó avec Zsófia Psotta, Sándor Zsótér… Distribution : Pyramide Durée : 1h59 Page 82

God Help the Girl de Stuart Murdoch avec Emily Browning, Hannah Murray… Distribution : MK2 Select Durée : 1h51 Page 38

La French de Cédric Jimenez avec Jean Dujardin, Gilles Lellouche… Distribution : Gaumont Durée : 2h15 Page 82

Iranien de Mehran Tamadon Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h45 Page 84

Mr. Turner de Mike Leigh avec Timothy Spall, Paul Jesson… Distribution : Diaphana Durée : 2h30 Page 82

Les Héritiers de Marie-Castille Mention-Schaar avec Ariane Ascaride, Ahmed Dramé… Distribution : UGC Durée : 1h45 Page 82

Retour à Ithaque de Laurent Cantet avec Isabel Santos, Néstor Jiménez … Distribution : Haut et Court Durée : 1h35 Page 84

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histoires du

CINéMA

GOD HELP THE GIRL

Timbuktu

PORTFOLIO

Stuart Murdoch signe une charmante comédie musicale p. 38

Entretien avec le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako p. 44

Les archives de François Truffaut commentées par sa fille p. 52

Mia Hansen-Løve

©flavien prioreau

« J’ai fait le choix du réalisme, à l’inverse des clips aux figurants bodybuildés. »

Il y a, dans le regard de Mia Hansen-Løve, une douce mélancolie qui irrigue son cinéma et qu’elle transforme toujours en énergie féconde. Dans Tout est pardonné, Le Père de mes enfants et Un amour de jeunesse, ses trois premiers longs métrages, ses héroïnes, doubles d’elle-même, faisaient face à l’épreuve de la séparation – abandon, deuil, chagrin d’amour. Dans Eden, elle retrace le parcours de son frère, DJ dans les années 1990, de l’euphorie des années raves au réveil douloureux vingt ans plus tard. Rencontre avec une réalisatrice qui veut se souvenir des paradis perdus. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLLE SIMON

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h istoi re s du ci n é ma

C

petits bouts de scènes, des choses difficiles à écrire pour moi, comme les dialogues concernant la musique. Il l’a fait avec beaucoup d’aisance, sans narcissisme et sans censure. Du coup, je l’ai impliqué plus que je ne l’avais imaginé au départ, en lui faisant écrire toute une partie du film. Et, évidemment, on a travaillé très étroitement ensemble sur la musique, la sélection des morceaux et leur attribution aux scènes. Dans Eden, comme dans vos films précédents, vous ne suivez pas une structure narrative classi­q ue, mais jouez au contraire d’ellipses, d’irrégularités de tempo. Mon souci a toujours été de construire une œuvre qui soit libre et moderne en me détachant des conventions, mais sans être dans la revendication affichée de modernité radicale que l’on peut trouver dans le jeune cinéma. C’est vrai que le scénario ne progresse pas selon la dramaturgie classique par le biais du conflit, ce qui m’a d’ailleurs posé des difficultés pour financer le film. Quand quelqu’un meurt dans Eden, ce n’est pas monté en épingle, car je cherche à transmettre un sentiment de vie plus qu’un sentiment de cinéma, quitte à perdre des rebondissements qui rendraient le film plus musclé, plus rythmé. Je construis mes scénarios à rebrousse-poil : je n’hésite pas à passer très vite sur des scènes qui pourraient avoir un fort impact tragique et à m’étendre sur des scènes qui n’ont aucune utilité dramaturgique. Ça donne des durées subjectives qui correspondent à des sensations d’ordre poétique, impressionniste. Les scènes de discothèque sont un grand fantasme de cinéaste. Quels sont les écueils que vous vouliez éviter ? Au cinéma, qui dit clubs dit putes, flics, mecs défoncés et règlements de compte mafieux… mais la vie de mon frère a été très pacifique. En vingt ans passés dans ce milieu, il n’a jamais été confronté

© ad vitam

omment vous est venue l’envie de faire ce film ? Après un Amour de jeunesse, qui était un film très personnel, j’avais besoin de m’évader de moi-même. Au même moment, mon frère, Sven, essayait de commencer une nouvelle vie, après vingt ans passés à être DJ. L’impliquer dans le processus créatif du film était une manière intéressante pour lui de tourner la page tout en se réconciliant avec sa propre histoire. Nous avions aussi constaté qu’aucun film de fiction ne s’était emparé de ces années-là, pas de manière réaliste en tout cas. Et puis la vision du film Après Mai d’Olivier Assayas, dans lequel il évoquait son adolescence dans les années 1970, m’a fait me demander comment définir ma propre génération. Qu’est ce qui nous a rassemblés ? Quelle a été l’énergie commune ? La musique garage que jouait votre frère est particulièrement underground au sein de la musique électronique de l’époque… Le garage est une variante de la house qui est née à New York. C’est une musique de la marge, qui était jouée dans des milieux black, underground, souvent gay, et qui souvent était pratiquée par des chrétiens très croyants. La foi est très présente dans les paroles, et, même si je ne suis pas croyante, je suis touchée par le lyrisme de ces chansons. Il y a souvent une forme de mépris par rapport à la voix dans la musique électronique, comme si la musique sans voix était plus noble. Le garage n’a jamais été vraiment populaire à cause de ce rapport ambivalent à la voix. Votre frère a coécrit le film avec vous. Comment avez-vous opéré ? J’ai commencé par l’écrire seule, j’ai pris en charge la structure, la caractérisation des personnages… Puis, très vite, je lui ai demandé de rédiger des

Félix de Givry

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© ad vitam

e ntreti e n

Pauline Etienne, au centre

à tout ça ; le projet du film était justement de montrer une vérité sur la vie de club autre que celle qu’on voit au cinéma. J’ai fait le choix du réalisme, à l’inverse des clips aux scènes surdécoupées, aux danses sexy et aux figurants bodybuildés… J’ai vraiment aimé Spring Breakers de Harmony Korine, mais Eden, c’est l’anti-Spring Breakers. On a tout fait pour rendre la musique la plus vivante possible dans la prise de son. J’ai fait quelque chose qui normalement est interdit au cinéma : j’ai tourné des scènes dialoguées avec la musique en arrièrefond, au lieu de l’ajouter en montage. Ça impliquait qu’on allait avoir un son dégueulasse ; mais les acteurs ne jouent pas de la même manière quand il y a de la musique : leurs corps se positionnent différemment, ils se parlent à l’oreille, ils crient… Ça impliquait aussi d’avoir les droits de tous les morceaux avant de tourner les scènes. Vous filmez les Daft Punk, interprétés par Vincent Lacoste et Arnaud Azoulay, sous des traits très humains, voire comiques. Que vouliez-vous montrer de ce duo mythique ? Très vite, il m’est apparu impossible de raconter l’histoire de mon frère sans parler d’eux. Mais je n’avais pas envie de donner une place à leur image médiatique – que l’on ne connaît que trop. Je préférais montrer leur visage humain, plutôt que les robots. D’ailleurs, quand on a parlé avec Thomas Bangalter du scénario, il souhaitait aussi apparaître comme tout le monde, sans statut particulier. En quoi la French Touch est-elle emblématique de la génération des années 1990 ? D’abord il y a la fête, une fraîcheur, une énergie. Malgré les difficultés de l’époque, malgré le sida, on s’en souvient comme d’années festives, légères, très loin de l’angoisse et de la gravité actuelles. Il y a aussi une difficulté à s’arracher à l’enfance, et c’est en ça qu’on peut opposer cette génération à celle de leurs parents, les jeunes des années 1970, qui étaient déterminés très tôt par un discours politique, dans un souci de maturité. Ce lien avec l’enfance est ce qu’il y a de plus joyeux, de plus poétique

« Je cherche à transmettre un sentiment de vie plus qu’un sentiment de cinéma. » dans cette génération, même si c’est aussi sa limite et ce qui peut finir par être autodestructeur. Après quinze ans passés à faire la fête, Paul se réveille avec une énorme gueule de bois. Peut-on parler d’un film pessimiste ? Je ne crois pas. Je tiens beaucoup à la différence entre la tristesse et la mélancolie. Dans la mélancolie il y a quelque chose de moteur – je peux y puiser pour avancer dans ma vie ou dans mes films. La tristesse, elle, tue le désir. Dans Eden, la mélancolie est présente dès le début, y compris dans les moments d’euphorie, elle est là, en germe, et elle se déploie totalement dans la deuxième partie. Et si l’on ne peut pas parler de happy end, la fin du film n’est pas triste, elle est… pragmatique, c’est le début d’autre chose. Et par ailleurs, selon moi, Paul n’a pas vécu toutes ces années en vain, c’est beau d’avoir aimé et transmis cette musique. On retrouve d’ailleurs cette mélancolie dans tous vos films… Avec Eden, j’ai cru que j’allais faire mon premier film non mélancolique, et je me rends compte que c’est le plus mélancolique des quatre ! Le prochain, du coup, sera une comédie burlesque ? Presque ! J’ai écrit un film avec Isabelle Huppert et Roman Kolinka, qui joue Cyril dans Eden, sur les mésaventures d’une prof de philo. Eden de Mia Hansen-Løve avec Félix de Givry, Pauline Étienne… Distribution : Ad Vitam Durée : 2h11 Sortie le 19 novembre

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h istoi re s du ci n é ma

BODIES BUILDER

ROMAIN DURIS Sur le tournage d’Une nouvelle amie de François Ozon, Romain Duris s’est trouvé une nouvelle alliée, Chris Gandois, une chorégraphe très discrète qui, depuis trente ans, met sa science du corps au service des acteurs.

© mars distribution

PAR ÈVE BEAUVALLET

D

ans Une nouvelle amie, Romain Duris joue un homme prénommé David. Mais pas seulement. Il joue aussi David en train de chercher sa féminité. Et puis encore David travesti en femme, répondant au nom de Virginia. Un véritable voyage dans les méandres du genre, un processus de féminisation délicat… Bref, le type de rôle qui aurait pu donner lieu à une performance pompière et grossière. Pour s’assurer de ne « jamais tomber dans la caricature de la folle », de ne pas rester dans une « féminité de surface », Romain Duris a choisi de s’inspirer le moins possible des précédents films sur le travestissement : « J’ai revu Tootsie, que j’adore. Dustin Hoffman arrive à nous faire oublier s’il est femme ou homme pour faire naître une véritable créature, explique-t-il. Mais je voulais avant tout travailler sur quelque chose de plus intime. » Alors il a frappé à la porte d’une chorégraphe bien connue du milieu du cinéma. Depuis une trentaine d’années, Chris Gandois travaille en toute intimité avec de nombreux acteurs. Sa spécialité, c’est une composante du jeu trop souvent délaissée, à la fois dans les formations et sur les tournages : le corps. Chorégraphe ? Coach

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physique ? « Elle est avant tout danseuse, précise Duris. Sa façon d’observer les comportements, les manières de bouger, m’a convaincu qu’elle serait de très bon conseil pour créer l’allure, le tempérament et la tenue de Virginia. » Une collaboration qui a coûté à l’acteur de longues heures d’entraînement : marcher pieds nus, en talons, monter les escaliers, descendre les escaliers, s’asseoir, courir, soulever une tasse de thé, encore et encore… « L’intelligence de Chris, c’est qu’elle nous apprend que tout part de l’intérieur, que tout doit être organique. La vitesse, le poids, le rythme des mouvements de Virginia sont bien moins nerveux que ceux de David. Je crois que c’est une histoire de plexus, en fait, détaille Duris. C’est aussi dans le scénario : se transformer en femme apaise David. Mais au-delà de ça, même si le personnage a des moments de speed, le corps de Virginia est davantage en lévitation que mon corps habituel. » grande discrétion

Le nom de Chris Gandois ne vous dit sûrement rien, et pour cause, puisqu’elle est généralement sollicitée directement par les acteurs et non par les sociétés de production – son nom ne figure pas toujours aux génériques des films auxquels elle contribue.

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© mars distribution

maki ng of

« François Ozon voulait qu’on ne gomme aucune des maladresses d’un homme qui commence à se travestir. » Romain Duris Anaïs Demoustier et Romain Duris

Romain Duris n’a d’ailleurs pas parlé à François Ozon de son travail avec la coach avant d’aborder le tournage d’Une nouvelle amie : « Je savais qu’il voulait quelque chose de très spontané, pris sur le vif, qui ne gomme aucune des maladresses d’un homme qui commence à se travestir… Mais dans la mesure où le tournage n’était pas chronologique, je devais immédiatement maîtriser à la fois la féminité maladroite et la féminité assumée. » Réputé cérébral, littéraire, le cinéma français, contrairement à son homologue américain, a peu de considérations pour le travail de préparation physique. « Les mentalités commencent à évoluer, nous glisse pudiquement Chris Gandois, mais on préfère toujours croire au génie créatif. Un réalisateur insiste généralement peu sur cette dimension du personnage, principalement parce qu’il ne sait pas comment l’aborder. Cependant, il faut savoir qu’on perd 90 % du personnage si l’on ne réfléchit pas en terme physique. » La chorégraphe, réputée dans le milieu pour sa grande discrétion, n’apparaît sur Google que comme professeure de barre au sol, adoubée entre autres par Emmanuelle Devos, qui cite son cours parmi ses astuces « beauté » dans un entretien au magazine Marie-Claire… Mais nulle mention de ses collaborations avec

Juliette Binoche (pour Antigone, mis en scène par Ivo van Hove, et qui doit être donné au printemps prochain au Théâtre de la Ville), Gaspard Ulliel (sur Saint Laurent), Catherine Deneuve, Hippolyte Girardot ou encore Karin Viard, actrice dont on peut nettement observer le cheminement corporel depuis Embrassez qui vous voudrez (2002). « Elle est venue me voir après ce film, parce qu’elle désirait travailler autrement », raconte Chris Gandois. Duris, qui dit redouter l’ennui après son expérience de Virginia (« c’était tellement agréable ! »), travaille à nouveau avec la chorégraphe pour un rôle « cette fois très terrien » dans Cessez le feu, premier long métrage d’Emmanuel Courcol. Une façon de satisfaire sa passion du corps en mouvement, de la danse en général, et de renouer avec une démarche chère à Patrice Chéreau, qui avait dirigé l’acteur dans Persécution (2009) : « Chéreau savait réduire a minima les effets artificiels pour plonger vers l’essentiel. Il a développé ça en moi, une manière d’être catégorique sur les gestes. » Une nouvelle amie (lire aussi p. 58) de François Ozon avec Romain Duris, Anaïs Demoustier… Distribution : Mars Films Durée : 1h47 Sortie le 5 novembre

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h istoi re s du ci n é ma - g e n de r stu di e s

© collection christophel

Chaque mois, une étude des enjeux de représentation du genre au cinéma

Alice Guy-Blaché dirige l’actrice Bessie Love

SAISON 5 : LES PIONNIÈRES DU CINÉMA AMÉRICAIN

2. Alice Guy-Blaché Première femme cinéaste, Alice Guy-Blaché a tourné et produit plusieurs centaines de films. Sa redécouverte fait l’objet d’un documentaire américain, Be Natural. The Untold Story of Alice Guy-Blaché, dont la sortie est prévue pour 2016. PAR CLÉMENTINE GALLOT

Alice est mon école de cinéma. Elle est aussi un portail pour explorer toute une époque, de Zola à Eiffel », résume Pamela Green, coréalisatrice avec Jarik van Sluijs d’un documentaire sur la success story de cette Française expatriée aux États-Unis au siècle dernier à qui revient le titre de première femme cinéaste. « Je n’avais jamais entendu parler d’elle, son histoire a été rayée de la culture mainstream. » Née en 1873, cette fille de libraire a d’abord été secrétaire chez Gaumont à Paris. Rapidement, elle propose à son patron de filmer autre chose que les sorties d’usines, des « petites histoires », comme Résultats du féminisme. Elle préside à l’invention d’un métier, cinéaste ; et écrit, produit, réalise, posant ainsi les premiers jalons du cinéma d’auteur. En 1906, son long métrage La Vie du Christ est un succès populaire. Léon Gaumont, visionnaire, lui confie les rennes de la direction de production. Elle y forme notamment Louis Feuillade. « En interrogeant des gens qui l’ont côtoyée, nous avons découvert qu’elle s’intéressait surtout au business et à la technologie, relève Pamela Green. C’était une entrepreneuse, son itinéraire est un exemple encore aujourd’hui. » Elle épouse l’Anglais Herbert Blaché, rencontré chez Gaumont. Le couple s’installe aux États-Unis où

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il fonde son propre studio, Solax, dans le centre névralgique du cinéma pré-Hollywood, le New Jersey. Solax devient le plus important studio de l’époque. Durant cette faste période américaine, Alice Guy-Blaché est riche et célèbre. Elle accompagne les débuts du star-system, avec pour seul mot d’ordre aux comédiens : « Be natural. » « Elle s’est essayée au cinéma afro-américain, au western, au slapstick, à des expérimentations très variées », rappelle Pamela Green. « Ses films sont drôles et inhabituels, ils ne rentrent pas dans le moule de ces années-là, ce qui a contribué à son oubli, malgré les travaux d’universitaires pour mieux faire connaître son œuvre et l’influence qu’elle exerce sur certains de nos contemporains [notamment Catherine Hardwicke ou Peter Bogdanovich, ndlr]. » Après la banqueroute de son studio, son divorce dans les années 1920 et d’innombrables films perdus en chemin, le studio du New Jersey est aujourd’hui… un parking. Gaumont. Le cinéma premier 1897-1913. Volume 1. Alice Guy, Léonce Perret, Louis Feuillade (Gaumont), coffret de sept DVD, disponible Pour en savoir plus sur Be Natural. The Untold Story of Alice Guy-Blaché : http://benaturalthemovie.com

le mois prochain : épisode 3

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h istoi re s du ci n é ma – souve n i rs de tou rnag e

Wake in Fright Jeux d’argent, chasse aux kangourous et litres de bière… Wake in Fright (1971), adaptation du roman de Kenneth Cook publié en 1961, donne une vision bien lugubre de l’Australie. Alors que le film ressort en version restaurée, le cinéaste Ted Kotcheff, à qui l’on doit aussi Rambo, revient sur un tournage mouvementé.

© le pacte

PAR QUENTIN GROSSET

C

omment, au début des années 1970, le jeune Canadien Ted Kotcheff en est-il arrivé à filmer un massacre de kangourous dans l’arrière-pays australien, alors même qu’il est végétarien ? Le cinéaste, qui n’avait jamais mis les pieds en Australie avant le tournage, dresse du pays un portrait peu flatteur : « Quand, en repérages, je me suis retrouvé au milieu d’une vaste étendue sans aucune activité humaine, j’ai pensé que cet endroit ressemblait fortement à certains paysages du nord du Canada. C’était comme un piège, un truc à vous rendre claustrophobe. » Lorsque Kotcheff tombe sur le livre de Kenneth Cook, il se passionne tout de suite pour cette histoire démente centrée sur un instituteur qui, avant de prendre un vol pour Sydney, se trouve coincé dans la ville de Yabba avec des autochtones ivres de bière, de paris et de castagne. « Dans le trou où l’on a tourné, à Broken Hill, il y avait trois hommes pour une femme, vous imaginez ? Je me demandais comment ces types pouvaient avoir des relations sexuelles. On m’a répondu : “Ils se battent.” » Dans le livre, le point culminant de l’histoire est atteint lorsque John Grant, le héros, est entraîné malgré

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lui dans une chasse aux kangourous. Problème : comment Kotcheff peut-il adapter ce passage, alors qu’il est un fervent défenseur de la cause animale et qu’il est hors de question pour lui de tuer des kangourous pour le film ? « J’ai entendu parler de chasses, chaque nuit, dans l’arrière-pays. Ils tuaient des centaines de kangourous, c’était révoltant. Derrière ce massacre, il y avait un sacré business : ils vendaient de la viande à des industries pour les animaux de compagnie en Amérique. J’ai suivi ces types pendant six heures, comme un documentariste, c’était très dur à regarder. » Si le film reçoit un bon accueil critique (à défaut de toucher un large public) à sa sortie en Europe, les Australiens sont plus gênés par le portrait que Kotcheff a fait d’eux. « Une fois, au milieu d’une projection, un homme s’est levé, il a pointé l’écran du doigt et s’est écrié : “Ce n’est pas nous ! ” Là, une autre voix s’est fait entendre : “Rassieds-toi, espèce de tocard, bien sûr que c’est nous !” » de Ted Kotcheff avec Donald Pleasence, Gary Bond… Distribution : La Rabbia / Le Pacte Durée : 1h48 Sortie le 3 décembre

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STUART MURDOCH

© 2012 findlay productions limited

GOD HELP THE GIRL

En haut à gauche : Olly Alexander et Emily Browning ; en haut à droite : Olly Alexander et Hannah Murray ; en bas : Emily Browning

« Toutes mes petites amies voulaient me montrer Les Parapluies de Cherbourg. » 38

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re ncontre

Pourquoi faire les choses dans l’ordre habituel ? Pour son premier film, Stuart Murdoch a d’abord composé une B.O. virtuelle. À partir de ce disque, paru en 2009, le leader du groupe Belle and Sebastian a tiré les fils narratifs d’une charmante comédie musicale aux échos autobiographiques qui sort en décembre sur nos écrans. Le délicat esthète de la twee pop nous explique comment il fait rimer Glasgow avec François Truffaut.

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PAR ÉRIC VERNAY

ne photo en noir et blanc recouverte d’un filtre coloré : aussi facilement identifiables pour un fan de pop indé que la police de caractère Windsor des génériques de Woody Allen pour un cinéphile, toutes les pochettes d’albums de Belle and Sebastian répondent à cette charte graphique. Étant donné son sens du storytelling raffiné, déployé dans une discographie peuplée de personnages inoubliables tels que lord Anthony, on n’est guère étonné de voir le song­ writer de 46 ans passer derrière la caméra. « Tout a commencé en tournée avec Belle and Sebastian en 2003, se souvient Murdoch, déjà auteur d’une B.O. pour le film Storytelling de Todd Solondz en 2001. J’étais sorti pour faire une course quand j’ai eu l’idée d’une chanson. Mais j’ai tout de suite su que ce n’était pas pour le groupe. C’est devenu le morceau-­titre du film, “God Help the Girl” ». D’autres morceaux suivent, dans l’esprit racé et orchestral des girl groups des années 1960 type Ronettes ou Shangri-Las. Puis Murdoch recrute des chanteuses pour les interpréter, accouchant d’un ravissant album-concept sur les états d’âme d’une adolescente dépressive à Glasgow. Eve, James et Cassie, le trio de personnages du futur film sont déjà présents. Il ne manque plus grandchose pour leur donner vie sur grand écran. La chance s’en mêle lors d’un concert à Los Angeles : la musique de Murdoch tape en effet dans l’oreille du producteur Barry Mendel, l’homme derrière les premiers succès de Wes Anderson et de M. Night Shyamalan. Il aide Murdoch à bâtir son scénario. Et si ce projet atypique connaît d’abord quelques difficultés à glaner des fonds auprès des télévisions anglaises, il finit par trouver son équilibre grâce aux dons de fans, après une fructueuse campagne de financement coopératif sur Kickstarter. ANTI-ROCK’N’ROLL

Mélancolique, pudique, sentimental : le film ressemble à ce que l’on connaît du chanteur écossais. Anti-rock’n’roll. Comme Murdoch, qui a souffert du syndrome de fatigue chronique pendant ses années étudiantes, Eve, l’héroïne incarnée par Emily Browning, fuit et sublime ses problèmes de santé par la musique. Comme Murdoch également, fasciné par la perfection musicale émanant d’un

Brian Wilson dans les années 1960, le personnage de James est un jeune homme timide et religieux aspirant à entrer au panthéon de la pop. « Je me reconnais dans les deux personnages. Je ne saurais dire lequel est le plus proche de moi. Même si ce n’est pas un film autobiographique, je me suis inspiré d’amis ou de personnes rencontrées dans les années 1980 et 1990, en mêlant leurs traits de caractère à mes expériences personnelles. En fait, une bonne partie du film s’inspire de mes aventures avant Belle and Sebastian. Les galères datent de cette époque. Mais contrairement à ce que l’on voit dans le film, je ne me suis jamais battu sur scène avec mon batteur. Les personnages du film sont bien plus cool que je n’ai jamais été », ajoute Murdoch, avec un sens de l’autodérision qui infuse tout son film. Illustrer les morceaux qui composent l’album originel, « ça a été la partie facile. En général, quand on fait une chanson avec le groupe, j’imagine tout de suite des éléments visuels pendant l’enregistrement, mais ensuite je les oublie, et un autre réalisateur fait la vidéo. Parfois, ça me met en colère. Les clips sont tellement abstraits, ils n’ont souvent aucun rapport avec la musique. » Au contraire, ici, les acteurs chantent ce qu’ils font, et inversement. La légèreté de moyens et de ton du film, tout comme ses regards caméra et sa lumière naturelle, rappellent la Nouvelle Vague. « Dans les années 1990, je regardais beaucoup de films français. Ce fut une sorte d’éducation. J’ai même essayé d’apprendre le français en cachant les sous-titres sur l’écran. Mes influences majeures sont Baisers volés de François Truffaut et Une femme est une femme de Jean-Luc Godard. » Et Jacques Demy alors, avec ses dialogues chantés et ses couleurs pastel ? « Je n’ai vu aucun de ses films. La raison : toutes mes petites amies voulaient me montrer Les Parapluies de Cherbourg. Toutes, sans exception. Je faisais une réaction épidermique. Et je ne suis pas très fan de Catherine Deneuve. J’ai des avis très tranchés, je n’aime pas les films entièrement musicaux. Ce qui est ironique, bien sûr, venant de quelqu’un dont le premier film est une comédie musicale… » de Stuart Murdoch avec Emily Browning, Hannah Murray… Distribution : MK2 Select Durée : 1h51 Sortie le 3 décembre

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ira sachs

LOVE IS STRANGe Le réalisateur Ira Sachs

Après Keep the Lights On, Ira Sachs revient avec un film moins autobiographique mais pas moins personnel. Soit l’éloignement entre deux jeunes mariés qui, après trente-neuf ans de vie commune, doivent revendre leur appartement suite au licenciement de l’un d’entre eux. Love Is Strange est une variation douce et lumineuse sur le couple et la transmission entre les générations. PAR quentin grosset

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u beau milieu de la nuit, George somnole, assis sur le canapé. Autour de lui, des gens qui ont trente, voire quarante ans de moins que lui, un peu alcoolisés, s’agitent sur des rythmes latinos. Las, le sexagénaire ne prend pas part à la fête, il attend juste qu’elle finisse pour pouvoir s’allonger sur le sofa qu’il squatte chez de jeunes amis depuis qu’il s’est fait licencier de l’église catholique dans laquelle il enseignait le chant à cause de l’homophobie de sa hiérarchie. Au même moment, son mari Ben ronfle de l’autre côté de New York, en bas du lit superposé qu’il partage avec son petit-neveu de 14 ans, lui-même un brin irrité par cette incruste. Comme dans Keep the Lights On, son précédent film, inspiré de son épreuve amoureuse avec un éditeur anciennement accro au crack, Ira Sachs filme une séparation. Il s’agissait alors d’une rupture inéluctable, d’une confusion entre véritable amour et obsession destructrice. Mais dans Love Is Strange, Ben et George sont ensemble depuis quarante ans, et ils s’aiment encore malgré l’éloignement. Seulement, ils doivent

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« Le “strange” du titre se rapporte autant à la relation entre ces deux hommes qu’à l’amour filial ou à celui qui unit les membres d’une communauté. »

composer avec leur famille et leurs amis qui les accueillent, certes gentiment, mais non sans malaise ou difficultés. Ira Sachs explique : « Le “strange” du titre se rapporte autant à la relation entre ces deux hommes qu’à l’amour filial ou à celui qui unit les membres d’une communauté. Je m’intéresse à une famille étendue qui n’est pas uniquement biologique. » Le film scrute les liens intimes, les perspectives, les échanges, les conflits propres à des individus appartenant à différentes générations avec une sérénité et un optimisme absents du tourmenté Keep the Lights On. « Je crois que le côté dévastateur qui peut exister dans certaines relations amoureuses est lié au fait que les individus ne se connaissent pas eux-mêmes. George et Ben savent qui ils sont et ne se dissimulent jamais. Cela crée une forme de drame différente, avec plus d’espérance, ce qui ne veut pas dire que les personnages ne rencontrent pas d’obstacles. » Quand Ira Sachs a commencé à travailler sur le scénario de Love Is Strange, sa vie personnelle a pris un nouveau cap. « Je vivais seul dans mon appartement, puis deux semaines plus tard, j’ai emménagé avec mon mari, nos deux enfants, leur

mère, et son père à elle. Pour nous tous, cela a été une situation à la fois drôle et semée d’embûches », raconte-t-il. Dans une structure proche des comédies du remariage des années 1930-1940, le film oscille entre les tons, évoquant parfois La Jalousie de Philippe Garrel (2013), qui s’emparait déjà de cette problématique (un couple face à la précarité, la promiscuité) avec la même délicatesse. Ici, toute la famille est à l’épreuve, puisque chacun voit sa sphère privée quelque peu envahie, et particulièrement Joey, le fils du neveu de Ben. « Pour un ado, rien ne peut être partagé, surtout pas son propre espace. Mais la relation entre Ben et Joey évolue et devient presque un mentorat. Parfois, on est influencé de façon inattendue par des personnes étonnantes. » Le film est aussi un récit d’apprentissage pour le jeune homme. Renfermé, celui-ci grandit au fil d’une narration elliptique. Peu intéressé par l’art, il finira par être ému par une peinture inachevée de son oncle. « Mon grand-oncle avait un ami avec qui il a passé plus de quarante ans. Il était sculpteur, et j’étais très proche de lui à la fin de sa vie. À 98 ans, il a commencé sa dernière œuvre, qui représentait un ado avec un sac à dos. Il est décédé avant de l’avoir finie, et pourtant elle était très belle. J’aime cette idée que tout reste en mouvement, jamais totalement accompli. » MÉMOIRE QUEER

Ce discours sur l’art et sur la transmission entre les générations ne vient pas non plus de nulle part. À New York, Ira Sachs anime le Queer/Art/ Mentorship, un programme d’un an qui se donne pour but de faire dialoguer les jeunes artistes queer avec leurs aînés. « Avant, comme le personnage de Keep the Lights On, j’étais obsédé par deux choses : l’amour et les films. En sortant de cette période, je me suis rendu compte que je pouvais me connecter aux autres d’une manière différente. Et que j’avais aussi la capacité de créer une communauté. » Encore peu de films représentent des mariages entre deux personnes de même genre ou mettent des personnages d’âge mûr au centre de l’histoire. Ira Sachs voulait à la fois rendre hommage à ses parents et faire honneur à une mémoire culturelle queer. « À mon âge, on se rend compte que rien ne dure éternellement et que nos parents sont des personnes à part entière. On se demande

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« Ben et George, par leur grande ouverture, incarnent cette culture changeante. »

Alfred Molina (en haut) et John Lithgow (en bas)

alors ce qu’ils peuvent encore nous apprendre. J’ai fait ce film en pensant à eux, ainsi qu’à des individus que j’ai aimés et que j’ai perdus. Ben et George, par leur grande ouverture, incarnent cette culture changeante. » Une séquence dans un bar new-yorkais nommé Julius, dans les environs de Greenwich Village, donne par exemple l’occasion à Ira Sachs d’évoquer un épisode marquant pour la communauté gay, le « Sip-In » du 21 avril 1966. Ben et George boivent un verre, rient de bon cœur, se rappellent les quelques tromperies que l’un a fait subir à l’autre, puis se souviennent des disparus. Pour se faire payer un verre par le serveur, Ben fait croire à ce dernier qu’il a participé ici même dans les années 1960 à un moment histori­que. Il déclare qu’il faisait alors partie du groupe activiste Mattachine Society, dont les membres ont obtenu d’être servis après s’être revendiqués gays à une époque où les bars avaient interdiction de servir les

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homosexuels. Forcément, le jeune barman tombe dans le panneau, offre un cocktail à Ben, qui éclate de rire dans son dos. L’anecdote historique est finement glissée au détour d’un bref dialogue par Ira Sachs qui, avec cette scène, mesure le passage du temps. À ce propos, le réalisateur poursuit en notant la différence entre le début d’un de ses films sorti en 1996, The Delta, et celui de Love Is Strange. « Dans le premier, une scène de drague sans un mot, dans la nuit. Dans le dernier, une séquence chantée, ensoleillée, familiale. Pour moi, c’est une transformation profonde. » Un éclairage progressif qui exprime autant une évolution dans la société que dans la carrière et la vie d’un cinéaste. d’Ira Sachs avec Alfred Molina, John Lithgow… Distribution : Pretty Pictures Durée : 1h38 Sortie le 12 novembre

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« Ce qui est important, c’est de ne pas être dans les clichés et de ne pas les renforcer. »

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TIMBUKTU

ABDERRAHMANE

SISSAKO Timbuktu s’enracine dans un terreau bien réel : l’occupation du nord du Mali par des djihadistes, en 2012. De cet épisode traumatique récent, le Mauritanien Abderrahmane Sissako tire une fiction poétique et politique, bouleversante et pleine d’empathie, tournée vers les populations locales prises en otage. Une femme flagellée pour avoir chanté, un couple lapidé, un père de famille condamné à mort… Malgré la violence de son sujet, le film ne cherche jamais le spectaculaire, lui préférant la pudeur d’une mise en scène tout en nuances, raccord avec l’imperturbable sérénité des paysages du désert. Rencontre avec le cinéaste, injustement reparti bredouille du dernier Festival de Cannes, où Timbuktu était présenté en compétition officielle. PROPOS RECUEILLIS PAR JULIETTE REITZER

V © fabien breuil

otre précédent film, Bamako, est sorti en 2006. Que s’est-il passé pendant cette longue période ? Long, ça dépend du rapport que l’on peut avoir avec le métier, des raisons qui nous animent pour faire des films. En ce qui me concerne, le facteur famille a beaucoup joué. Entre Bamako et Timbuktu, j’ai eu deux filles. Ça reporte un cer­ tain nombre de choses… Le thème de la paternité est d’ailleurs central dans Timbuktu. Mais à cause de l’actualité, ce volet du film passe un peu au second plan. Vous avez déclaré que l’impulsion de départ de Timbuktu était née d’un fait divers, la lapidation d’un couple dans le nord du Mali. L’élément déclencheur, c’est surtout l’absence d’intérêt des médias occidentaux pour cet évé­ ne­ment. L’actualité est gérée d’une façon parfois complexe et incompréhensible. Le fait que cette affaire soit passée inaperçue m’a beaucoup frustré. S’indigner devient presque une mode, mais je pense que ça ne suffit pas. Au-delà de l’indignation, chacun doit agir. Agir, c’est écrire, chanter, parfois même juste regarder quelqu’un différemment. Agir est aussi normal pour un cinéaste originaire, comme moi, de lieux où les moyens d’expression sont rares. Faire un film, c’est aussi résister.


Toulou Kiki, Layla Walet Mohamed et Abel Jafri (au centre)

Partant d’un encrage réel, avez-vous envisagé de tourner plutôt un documentaire ? Oui, j’ai commencé ainsi. Mais j’ai vite compris que tourner un documentaire dans un lieu où la parole n’est pas libre, où personne ne pourra parler de ce qu’il ressent, c’est donner encore la parole aux occupants. Quelle que soit ton intelligence, en tant que cinéaste, tu vas être piégé par ça ; un cinéaste, ce n’est pas un envoyé spécial qui va dans la superficialité parfois dangereuse. De quelle manière vous êtes-vous documenté ? J’ai écrit le scénario pendant l’occupation de Tombouctou. Juste après la libération de la ville, j’ai pu me rendre sur place. J’avais écrit l’histoire de loin, sans la vivre, c’était important de venir, d’écouter les gens, et aussi de comprendre ce qu’est une résistance. Durant l’occupation, on ne parlait réellement que des cinq Français d’Areva retenus en otage, alors que toute une population l’était aussi. Il y avait une négation réelle, un manque d’intérêt pour des gens que l’on est censés défendre parce qu’ils sont désarmés. On ne peut pas nier la souffrance des populations locales. C’était très important que le film parle d’eux de façon juste. C’est comme ça qu’on m’a raconté les histoires vraies qui nourrissent le film, comme celle de cet homme âgé dont le pantalon était jugé trop long et qui a fini par l’enlever.

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Dans quelles conditions de sécurité s’est déroulé le tournage ? Après la libération, de façon peut-être inconsciente, on a pensé filmer à Tombouctou. Mais quand, quasiment un mois avant que l’on ne commence, un attentat-suicide a eu lieu en ville, il est devenu clair qu’une équipe de cinéma aurait été une cible parfaite. J’ai donc opté pour mon plan B, le village de Oualata, en Mauritanie. J’ai demandé au gouvernement mauritanien son soutien pour sécuriser le tournage pendant six semaines. L’État a mis l’armée à notre disposition. Le village était donc entièrement encerclé, protégé par des militaires. Quand on avait besoin d’eux, on les déguisait en djihadistes pour faire de la figuration. Timbuktu déploie une structure narrative plus classique que vos précédents films. L’histoire est classique parce qu’elle met en scène un homme, sa femme, et qu’on suit celui-ci jusqu’à sa mort. Mais la forme narrative reste pour moi celle d’un puzzle, elle n’est en aucun cas linéaire : certaines parties, placées au milieu du film, pourraient aisément changer de place. Cette forme narrative met sur un pied d’égalité celui qui fait et celui qui regarde, le cinéaste et le spectateur. Il faut que le cinéma reste un échange, une conversation.

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« On ne peut pas nier la souffrance des populations locales. C’était très important que le film parle d’eux de façon juste. » Certains de vos acteurs sont professionnels, d’autres pas… Comment les avez-vous choisis ? Quand on fait un film, on reste fidèle à la langue parlée des personnages. Pour l’histoire d’un couple touareg, il fallait donc chercher parmi les Touaregs. Pino (Ibrahim Ahmed), qui joue Kidane, est un musicien originaire de Tombouctou qui vit à Madrid. Toulou Kiki, qui joue Satima, est une chanteuse du Niger qui vit à Montreuil. Je sais qu’il sera facile d’amener ces gens-là devant une caméra, parce qu’ils sont dans le spectacle. Abel Jafri et Hichem Yacoubi, qui jouent des djihadistes, sont comédiens en France. La vendeuse de poissons est interprétée par une comédienne malienne qui vit à Bamako, elle a été choisie dans un casting. La petite fille qui joue Toya, je l’ai trouvée quand je faisais le casting de figurants dans un camp de réfugiés en Mauritanie. C’est un camp qui accueille des réfugiés originaires du nord du Mali ? Oui, quand le nord du Mali a été occupé, les gens sont partis. C’est un très grand camp qui s’appelle M’bera, où vivent 70 000 personnes. Je rentrais

sous les tentes, on m’organisait des rencontres… et il y avait cette petite fille, Layla, qui me suivait partout, très intéressée, lumineuse. Elle vit dans le camp avec sa mère. Mon assistant m’a dit : « Abderrahmane, il faut trouver quelque chose pour cette fille, elle a très envie de jouer. » Pour elle, j’ai changé le scénario, qui avait été écrit pour une fillette de 3 ans. Comment travaillez-vous avec les acteurs ? Avant la première prise, je parle de la situation, je décris le contexte, mais je parle peu du texte, qui n’est pas toujours écrit. Il n’y a pas de répétitions, mais un premier essai filmé. Je fais confiance aux gens. Par exemple, pour la scène de l’interrogatoire de Kidane, je me suis contenté de dire à l’acteur : « Tu dois parler de ta fille, c’est ça qui est important. Tu n’as pas peur de la mort. » Après, toutes les phrases, c’est lui qui les trouve. Quand il dit : « Je n’ai pas peur de la mort, elle a une place en moi », c’est le Touareg qui parle. Quand il dit de sa fille : « Tous les matins, elle m’amène le lait », c’est pareil, il sait comment cela se passe, parce qu’il est de là-bas.

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C’est une manière d’être plus proche du réel ? Exactement. Pour diriger Abdel Jafri, je lui ai fait comprendre que contrairement à ce que l’on peut croire, un djihadiste ne crie pas. C’est ça qui est important, ne pas être dans les clichés, et ne pas les renforcer. D’ailleurs, il n’y a pas de barbus dans le film ! Vous placez une famille touareg au centre de l’histoire. Est-ce une manière de dissocier les Touaregs et les djihadistes, qui sont souvent présentés comme alliés ? Je construisais mon scénario autour de la lapidation d’un couple. Puis il y a eu l’exécution à Tombouctou d’un Touareg qui avait tué un berger, et j’ai ajouté ce fait divers réel à l’histoire. Il n’y a donc pas au départ l’intention de démontrer quoi que ce soit. Après, les choses prennent un autre sens, et bien évidemment j’en ai profité pour dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre Touaregs et terroristes. Pourquoi avoir choisi d’installer l’histoire du film à Tombouctou, où il y a eu finalement moins de violences qu’à Gao, par exemple ? D’abord, c’est une ville qui existe dans la tête de beaucoup de gens. C’est une ville multiculturelle par excellence, on y parle cinq langues – le bozo, le songhaï, le bambara, le peul, le touareg. C’est une ville de rencontres. Et c’est aussi une ville où l’islam a toujours été pratiqué dans une grande tolérance. Chacun y vit sa foi simplement. C’est un lieu magnifique, avec ces mosquées en terre

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qui traversent le temps, poussiéreuses… Durant l’occupation, tout ça a été pris en otage par des gens qui, comme on le voit dans le film, sont venus d’ailleurs. Ils sont arrivés un matin et ont imposé aux femmes de s’habiller de telle manière, ont cassé les mausolées… C’est tout une culture qu’on a détruit. Le personnage de Zabou, cette femme, drapée dans des tissus de couleurs vives, qui se moque des djihadistes et se balade avec un coq sur l’épaule, apporte beaucoup de poésie au film. Son rire dément semble être la seule réponse possible face à l’horreur de l’occupation. Absolument. Il y a à Gao une femme qui s’appelle Zabou, qui est une ancienne danseuse du Crazy Horse devenue folle. Elle a inspiré le personnage du film. Elle se promène comme ça, avec un coq sur l’épaule. Pendant l’occupation, les djihadistes ne la touchaient pas, elle leur faisait peur. Zabou fume dans les rues de Gao. Parce que c’est une folle, elle peut chanter, se promener tête nue, traiter les occupants de connards… Comment avez-vous abordé la violence, que vous filmez de manière frontale dans de courtes scènes, comme celles de la lapidation et de la flagellation ? Le film parle de la violence, et il faut donner à voir, à sentir les choses. La violence doit être racontée avec attention, il ne faut pas être dans le spectaculaire. Je n’ai jamais pensé, par exemple,

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montrer le processus d’une main ou d’un pied que l’on coupe, car la distance est difficile à trouver pour une telle scène. La lapidation d’un couple qui n’a rien fait d’autre que s’aimer, c’est pour moi le summum de la violence. Au montage, cette scène de lapidation, très éprouvante, alterne avec une scène dans laquelle un des djihadistes pose son arme et se met à danser. Pourquoi avoir entremêlé ces deux séquences ? Cela crée une distance, une respiration. C’est très important, cette image d’un djihadiste qui danse, c’est quelque chose qui ne peut pas exister dans la réalité. Mais cela figure aussi l’intime conviction de quelqu’un, le regret qu’il peut éprouver à un moment. Ce djihadiste ne peut pas s’opposer au groupe, mais en allant se coucher, peut-être qu’il doute, qu’il regrette ? Humaniser le djihadiste, c’est ne pas perdre sa propre humanité. La scène de la mort du pêcheur se conclut par un plan très large, magnifique, du fleuve Niger, que Kidane est en train de traverser. Comment l’avez-vous construit ? L’intention de départ est de montrer la fragilité de la vie, cette vie qui ne tient qu’à un fil. L’un est en train de mourir et l’autre part, mais il va aussi vers sa mort. Il était important pour moi d’élargir la vision par ce plan large qui symbolise aussi ce qui m’intéresse dans le cinéma : une forme qui invite, comme une fenêtre.

Comment avez-vous collaboré avec Sofian El Fani, chef opérateur qui a travaillé notamment avec Abdellatif Kechiche ? Je voulais que le chef opérateur vienne de là-bas, du Sahel, que ce soit un Africain. Je lui ai demandé d’éviter la caméra portée, de préférer une caméra fixe, sur pied, car je voulais faire ressortir la tranquillité, la permanence de ce lieu bouleversé mais immuable. La beauté du film tient aussi à l’extrême pudeur des personnages, tout en émotions rentrées. Oui, c’est quelque chose de très fort. C’est quand on arrive à rentrer dans la particularité d’une cul­ture que l’on peut en saisir l’universalité. Les rapports de couple, par exemple, sont partout les mêmes, mais ils s’expriment de façon différente. « Ce que je ne t’ai pas dit, tu le sais déjà. » Cette phrase, prononcée dans le film, est une métaphore de la parole, de la poésie touareg. Comment avez-vous pensé la scène pendant laquelle un groupe de jeunes joue au football sans ballon ? Je voulais parler des interdits, et faire du cinéma, c’est trouver une forme visuelle pour dire les choses, ne pas se contenter de faire dire à un personnage : « Le football est interdit. » Le cinéma, ce n’est pas informer, c’est trouver une émotion qui fait vivre les choses. Le fait de travailler avec un compositeur a donné une portée nouvelle à cette scène. C’est une chorégraphie, un ballet, donc il faut que la musique porte ça, comme si on était au Bolchoï. Il n’y plus de salles de cinéma au Mali, les gens dont vous racontez l’histoire n’ont donc aucun moyen de voir le film… Le film commence à être vu en Mauritanie, même s’il n’y a qu’une seule salle de cinéma. Les gens en entendent parler, savent qu’un film a été fait, et c’est déjà quelque chose. Le mieux serait qu’ils puissent le voir, bien sûr, mais un film, de toute façon, ne change pas les choses. Le cinéma africain a peu de représentants. À cet égard, vous sentez-vous investi d’une responsabilité particulière ? Je ne peux pas dire que j’ai une mission, parce qu’il y a une notion de résultat là-dedans ; ni que je suis un porte-parole, parce que personne ne m’a demandé de l’être. Mais effectivement, quand on a la chance de pouvoir faire des films, il faut être sérieux avec la vie, avec le drame. Si je ne me saisis pas de ce sujet-là, qui va le faire ? Pas beaucoup de gens.   Timbuktu d’Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed, Toulou Kiki… Distribution : Le Pacte Durée : 1h37 Sortie le 10 décembre

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QUI VIVE

© marco castro

Reda Kateb

« J’aime les films sans cynisme, parce que si l’on se moque des gens, on se moque de nous-mêmes. » 50

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En une quinzaine de films, il est devenu la nouvelle gueule, dure et tendre, du cinéma français. Dans Qui vive, Reda Kateb incarne un vigile trentenaire qui aspire à une vie meilleure et rêve de devenir infirmier. En prêtant son visage à ce personnage complexe qui vacille entre espoir et résignation, il trouve son plus beau rôle. PAR CHLOÉ BEAUMONT

S

i sa performance dans Un prophète (2009) de Jacques Audiard a marqué les esprits, c’est grâce à sa présence animale, presque léonine, et à son visage à l’identité floue, donc multiple. Il y jouait le Gitan Jordi, dealer et toxicomane, compagnon de cellule de Malik, le personnage interprété par Tahar Rahim. Un rôle de composition pour le jeune homme, élevé à Ivry-sur-Seine dans une famille d’artistes – son père, le comédien de théâtre Malek Kateb, a notamment joué pour Ariane Mnouchkine. « Enfant, je faisais du dessin, de la musique. On parlait de littérature à la maison. Je vivais dans un milieu aux conditions de vie assez précaires, mais qui avait une vraie ouverture sur le monde de l’art », raconte l’acteur, avec une certaine fierté. Comme son père, Reda Kateb se destine d’abord à une carrière sur les planches : « J’étais totalement comblé par ce que je faisais. Quand j’ai commencé à travailler pour le cinéma, ça faisait déjà huit ans que j’étais intermittent du spectacle. » Après Un prophète, les propositions de films commencent à affluer. D’abord cantonné aux rôles de petites frappes (la série Engrenages, le long métrage Qu’un seul tienne et les autres suivront), Reda semble désormais inspirer aux cinéastes des personnages plus nuancés, qui s’appuient sur le contraste saisissant entre son physique de « gueule cassée » et la grande douceur qu’il dégage. Une bienveillance ancrée en lui, et qui conditionne son rapport au cinéma : « J’aime les films sans cynisme, parce que si l’on se moque des gens, on se moque de nous-mêmes », estime-t-il. POLYMORPHE

Aussi Reda Kateb évolue-t-il naturellement vers des personnages enclins à un certain altruisme. Dans Gare du Nord (2013) de Claire Simon, il campait ainsi Ismaël, un fils d’immigré et d’intellectuel, étudiant en sociologie, qui tombait sous le charme d’une quinquagénaire déboussolée (Nicole Garcia). Dans le récent Hippocrate de Thomas Lilti, il jouait un médecin étranger doué, sûr de lui, en empathie totale avec les patients et solidaire de son jeune collègue Benjamin (Vincent Lacoste). À la manière des acteurs du Nouvel Hollywood, qu’il admire (il cite Dustin Hoffman et Harvey Keitel), il nourrit fortement ses personnages de ses expériences

professionnelles passées pour plus de réalisme. Il partage avec eux un même physique atypique, capable de s’adapter, de muer, pour tout interpréter. « Si je regarde en arrière, je dois une grande partie de ma formation d’acteur à mes petits boulots [manutentionnaire, télévendeur, projectionniste, ndlr] qui m’ont permis de me frotter à plein de situations différentes. » Dans Qui vive, premier film de Marianne Tardieu, il interprète un personnage coincé entre deux boulots, deux perspectives d’avenir, deux modes de vie : en attendant de passer le concours d’infirmier, Chérif est vigile dans un grand magasin, confronté à l’autorité de son patron et aux provocations d’une bande d’ados de son quartier. « Chérif est dans une position très fragile, c’est un homme en construction. En lisant le scénario, j’étais content de trouver un personnage qui exerce un métier rarement représenté dans le cinéma français. J’aime participer à des films qui nous racontent les gens d’aujourd’hui. » aux aguets

Autant amateur de cinéma d’auteur (de Truffaut à Fellini) que de grosses productions hollywoodiennes (« Mon premier émoi de cinéphile, c’est devant Star Wars, en plein air, sur la place d’un village des Alpes. »), l’acteur, toujours animé par le désir de défricher de nouveaux terrains de jeu, se verrait bien dans un film de zombies ou de science-fiction. « Il faut toujours sortir de ce que l’on sait faire, de ce que l’on connaît, pour rester actif, aux aguets. » Après avoir campé un terroriste en 2013 dans Zero Dark Thirty de l’Américaine Kathryn Bigelow, il sera en février à l’affiche de Lost River, le premier long métrage de Ryan Gosling. « On a travaillé comme j’aime, comme des Indiens, à se déguiser, à filmer des trucs la nuit. Sortir de la mécanique d’un tournage, j’adore ça. » En janvier, il sera aux côtés de Viggo Mortensen dans Loin des hommes. Il y campe un villageois accusé de meurtre poursuivi par les colons et les cavaliers des montagnes dans une Algérie en pleine révolte, en 1954. Encore une nouvelle facette sur le visage si singulier de Reda Kateb. Qui vive de Marianne Tardieu avec Reda Kateb, Adèle Exarchopoulos… Distribution : Rezo Films Durée : 1h23 Sortie le 12 novembre

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photographie pierre zucca Š succession pierre zucca

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TRUFFAUT INTIME PAR TIMÉ ZOPPÉ

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ans sa jeunesse, quand elle se rendait chez François Truffaut, son père, et qu’elle tirait un livre de sa bibliothèque, Laura Truffaut tombait presque systématiquement sur un papier jauni glissé entre les pages, une vieille critique de l’ouvrage découpée dans un journal qu’il conservait précieusement. L’exposition que la Cinémathèque française consacre au cinéaste à l’occasion du trentième anniversaire de sa mort confirme le goût incroyable qu’il nourrissait pour l’archivage. La diversité des types de documents, mêlés à des extraits de ses films et à des interviews de ses proches collaborateurs, est frappante : photos, revues, lettres officielles ou personnelles, critiques, dessins, scénarios, découpages… Au début du parcours, on découvre par exemple les cahiers de ses camarades de classe – et complices – Robert Lachenay et Claude Véga sur lesquels ceux-ci listaient par ordre alphabétique les films qu’ils avaient vus en resquillant. Désintéressé par l’école, François Truffaut la quitta rapidement

pour consacrer sa vie au septième art, organisant notamment un ciné-club dès l’âge de 15 ans. C’est en autodidacte qu’il s’est forgé son éducation, d’où, peut-être, ce réflexe de garder tout ce qui lui passait entre les mains. Les archives exposées révèlent ainsi l’étroite imbrication entre ses films et sa vie privée et permettent d’approcher sa logique intime, ses motivations, ses doutes et ses certitudes. Grand séducteur, François Truffaut ne s’est marié qu’une seule fois. C’était en 1957, avec Madeleine Morgenstern. Ensemble, ils ont eu deux filles, Laura et Eva. La première, qui vit maintenant près de San Francisco, se souvient de ce « papa du samedi et du dimanche » qu’elle nomme ainsi puisque ses parents ont divorcé quand elle avait 5 ans. Elle se rappelle sa surprise quand, enfants, sa sœur et elle retrouvaient dans des films comme Baisers volés ou La mariée était en noire des anecdotes qu’elles lui avaient confiées. Avec plaisir et simplicité, elle a évoqué pour nous ses souvenirs de l’homme privé. « François Truffaut » jusqu’au 25 janvier à la Cinémathèque française

– sur le tournage de domicile conjugal, 1970 – « Ses ambiances de tournages me semblaient familiales. C’était certainement le moment durant lequel il vivait le plus pleinement sa vie. Il détestait les rapports de force, quitte à ne pas dire les choses et à ce qu’il y ait des malentendus. La période qui l’angoissait le plus était le mixage, probablement parce qu’il sentait que l’on ne pouvait plus rien faire. Il attrapait la grippe, une angine… C’était visiblement douloureux. »

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(c) collection la cinémathèque française, fonds robert lachenay

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– avis d’absence de robert lachenay, camarade de françois truffaut, 1944 – « Il nous parlait parfois de son enfance, mais pas d’une manière triste, il ne s’appesantissait jamais. Il nous racontait plutôt ses histoires de bêtises, d’école buissonnière. Quand il nous emmenait dans les multiplexes, il se demandait comment voir plusieurs films avec le même billet, chose qu’il n’était pas possible de faire quand lui était enfant. On devinait quel genre de cinéphile il avait été dans sa jeunesse… »

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– télégramme de helen scott à françois truffaut daté du 12 mai 1964, à la suite du mauvais accueil reçu par la peau douce au festival de cannes –

© succession françois truffaut

© succession françois truffaut

« Helen Scott [traductrice et collaboratrice de Truffaut aux États-Unis, ndlr] était comme ma tante. Son amitié avec mon père a duré toute leur vie. C’est grâce à elle que l’on a parlé de ses films aux États-Unis au début des années 1960. Mon père était très soucieux de l’accueil réservé à ses films, mais si l’un d’eux était mal reçu, il ne disait jamais : “Il est venu trop tôt, il a été mal compris.” Pour lui, c’était vraiment son échec, c’était qu’il s’était t rompé quelque part. »

– télégramme d’alfred hitchcock en réponse à une lettre de françois truffaut, 1962 – « Helen a beaucoup aidé mon père, qui était très ralenti en anglais à l’époque, dans ses rapports avec Hitchcock. Les deux hommes avaient une relation de grand respect, et, de loin, je pensais que c’était de l’amitié. Mais quand mon père nous a emmenés en Californie, j’ai compris que c’était plus professionnel. On n’a pas vu Hitchcock, on a passé notre temps chez Jean Renoir qui vivait à Los Angeles avec sa seconde épouse, Dido. »

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les F I L M S du 5 novembre au 3 décembre UNE NOUVELLE AMIE

François Ozon s’empare de la question du genre dans un film bouleversant p. 58

ET MAINTENANT ?

Joaquim Pinto a tenu pendant un an le ciné-journal de sa maladie p. 70

MERCURIALES

Virgil Vernier poursuit un voyage téméraire en terre contemporaine. p. 74

Interstellar Nanti d’un pouvoir rarement obtenu par un cinéaste œuvrant à Hollywood, Christopher Nolan livre un film de science-fiction pur et dur, se hissant sur les épaules de L’Étoffe des héros et de 2001. L’odyssée de l’espace. PAR JULIEN DUPUY

Il faut tout d’abord saluer la noblesse de la démarche du réalisateur d’Interstellar. Car malgré la pression d’un budget qu’on imagine pharaonique, Christopher Nolan conchie les études de marché et les tendances du moment pour investir pleinement un genre exigeant, sans jamais chercher d’expédients qui pourraient rendre les poncifs de l’anticipation plus digestes auprès du grand public. C’est même avec une certaine complaisance qu’il laisse ses personnages discourir longuement sur les enjeux de la mécanique quantique et les problématiques de la navigation interplanétaire. Mais le cinéaste se démarque également de ses confrères dans sa recherche d’un cinéma très tactile : non content de tourner en pellicule et, la plupart du temps, en décors naturels, Christopher Nolan s’appuie sur des techniques prénumériques pour créer certaines des images les plus étonnantes de son film. Visuellement, de ce fait, il se dégage d’Interstellar un parfum suranné rafraîchissant qui détonne dans le tout-venant des superproductions, voire du cinéma contemporain tout court. Mais surtout, les exégètes du réalisateur ne manqueront pas de constater que si, avec Interstellar, Christopher Nolan change de registre (il n’avait jamais œuvré dans la science-fiction jusqu’ici), c’est pour mieux consolider une œuvre extrêmement

cohérente, dans son fonctionnement (récit labyrinthique, jeu sur le morcellement de l’espace, approche cartésienne de l’imaginaire) comme dans ses thématiques. En l’occurrence, si l’on ne devait dégager qu’un seul motif commun aux films de Nolan, ce serait celui du sacrifice, des conséquences qu’il induit et surtout de ses vertus. Comme le vengeur amnésique de Memento, le flic obsessionnel d’Insomnia, le magicien du Prestige, le manipulateur des rêves d’Inception et, évidemment, le justicier de The Dark Knight. Le chevalier noir, le personnage central d’Interstellar, Cooper, doit accomplir et surmonter ce qui, à ses yeux, représente le sacrifice ultime : abandonner les siens sur une planète bleue aux abois pour rejoindre une expédition visant à découvrir, de l’autre côté d’un trou noir, un nouveau foyer pour les Terriens. Son voyage aux confins de la galaxie sera moins riche en révélations sur les mystères de l’univers (finalement la section la plus pauvre du film) que sur ce qui fait la valeur et la faiblesse de l’homme. En cela, Interstellar s’intéresse plus à l’humain qu’à l’humanité. de Christopher Nolan avec Matthew McConaughey, Anne Hathaway… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h49 Sortie le 5 novembre

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Une nouvelle amie Le réalisateur de Huit femmes et de Dans la maison s’empare de la question du genre dans un film troublant et bouleversant. PAR RENAN CROS

Depuis ses débuts avec Sitcom, François Ozon prouve qu’il n’a peur de rien. Poil à gratter du cinéma français, le réalisateur a réussi à se bâtir une solide réputation d’auteur populaire capable de traiter les sujets les plus scabreux sans compromis. Une nouvelle amie pousse le curseur encore un peu plus loin. Ce nouvel opus ose le mélange curieux et explosif entre le mélodrame funèbre, le vaudeville torve et le thriller sexué pour in fine arracher au spectateur des sanglots, à sa plus grande surprise. Il fallait tout le talent de François Ozon, sa maîtrise du bon et du mauvais goût, pour raconter avec une telle douceur le rapprochement entre Claire (Anaïs Demoustier), jeune femme endeuillée par la perte de sa meilleure amie, et David (Romain Duris), le mari de la défunte. Le réalisateur ose le grandiose et filme avec ce qu’il faut d’ironie et d’empathie le secret qui unit

> PARADISE LOST

Un jeune Canadien installé en Colombie tombe amoureux d’une belle autochtone (Claudia Traisac), nièce de Pablo Escobar (interprété avec brio par Benicio del Toro)… Ce faux biopic est une plongée efficace dans le petit monde de terreur et d’opulence du célèbre baron de la drogue. C. B. d’Andrea Di Stefano (1h54) Distribution : Pathé Sortie le 5 novembre

ses deux personnages, quelque part à la croisée des sexes. Film littéralement transgenre, Une nouvelle amie raconte le retour à la vie de deux êtres amputés d’un morceau d’eux-mêmes. Si Romain Duris livre une prestation physique absolument stupéfiante (lire p. 32), Anaïs Demoustier négocie une partition compliquée avec une justesse rare et une émotion qui emportent le film vers des sommets. En se livrant à une recherche permanente de l’instabilité – entre comédie et mélodrame, masculin et féminin, grandiose et intime –, François Ozon bouscule sans en avoir l’air les idées reçues. Quand le choc est aussi doux, il est encore plus fort. de François Ozon avec Romain Duris, Anaïs Demoustier… Distribution : Mars Films Durée : 1h47 Sortie le 5 novembre

> STEAK (R)ÉVOLUTION

Le réalisateur, fils d’éleveurs bovins, et le boucher superstar Yves-Marie Le Bourdonnec se posent une question : en quel coin de la planète mange-t-on le meilleur steak ? Si la finalité semble futile, elle permet un passionnant tour du monde des différents modes d’élevage. C. B. de Franck Ribière (2h10) Distribution : Jour2fête Sortie le 5 novembre

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> DÉMOCRATIE ANNÉE ZÉRO

Ce documentaire revient sur toutes les étapes de la révolution tunisienne en offrant la parole à des opposants au régime de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali. Le film donne les clés pour comprendre et situer ces événements par rapport à l’histoire globale de la Tunisie. Q. G. de Christophe Cotteret (1h38) Distribution : Les Films des Deux Rives Sortie le 5 novembre


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Historia del miedo PAR RAPHAËLLE SIMON

Aboiements intempestifs, alarme qui se déclenche sans raison, coupures de courant à répétition, chaleur étouffante… Autant d’éléments anodins qui font irrépressiblement monter la tension chez les habitants d’une banlieue résidentielle de Buenos Aires. La menace est-elle réelle ? Le réalisateur argentin laisse le mystère entier en oscillant entre réalisme et fantastique et en laissant toujours le sujet déclencheur de la peur hors champ, comme pour suggérer que l’origine du sentiment d’insécurité est moins importante que la projection que l’on se fait de celui-ci. de Benjamin Naishtat avec Jonathan Da Rosa, Tatiana Giménez… Distribution : Shellac Durée : 1h20 Sortie le 5 novembre

De l’autre côté du mur PAR QUENTIN GROSSET

A Girl at my Door PAR TIMÉ ZOPPÉ

Une commissaire de police de Séoul débarque dans un village côtier de Corée du Sud et tente d’y rétablir la loi… Le premier long métrage de July Jung re­nouvelle la figure du justicier solitaire avec ce personnage de policière tiraillée entre prudence et hardiesse. Adoptée d’emblée par ses nouveaux collègues, YoungNam choisit pourtant une posture d’observatrice extérieure, idéale pour démêler les rapports de pouvoir qui régissent la communauté mais surtout pour garder secrets les motifs de son changement d’affectation. Dans un paisible cadre champêtre, la réalisatrice instaure un climat tendu émanant de l’opposition entre l’attitude de YoungNam, toujours professionnelle

et mesurée malgré son penchant pour l’alcool, et celle de Yong-Ha, un chef d’entreprise que la boisson rend déluré et violent. Mais si ce dernier frappe quotidiennement sa fille, qui part trouver refuge chez la commissaire, celle-ci comprend la réticence de ses collègues à agir quand elle apprend qu’il fait tourner l’économie du village à lui seul… Avec la même intrépidité mâtinée de précaution que son héroïne, July Jung parvient à transcrire la complexité de chaque situation tout en maniant de lourds tabous de la société sud-coréenne.

Années 1970. Après la mort de son mari, Nelly fuit la RDA avec son fils pour se reconstruire en RFA. Mais après être passés de l’autre côté du mur, la mère et son enfant sont soumis à d’intenses interrogatoires empreints de méfiance et de soupçons… Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, Christian Schwochow livre un point de vue personnel (il a vécu en RDA et a écrit le scénario avec sa mère d’après leurs souvenirs) et instructif sur la façon dont étaient accueillis les migrants de l’Est.

de July Jung avec Doona Bae, Kim Sae-ron… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h59 Sortie le 5 novembre

de Christian Schwochow avec Jördis Triebel, Tristan Göbel… Distribution : Sophie Dulac Durée : 1h42 Sortie le 5 novembre

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> FAVELAS

Marie Heurtin PAR T. Z.

Sourde et aveugle de naissance, Marie est placée à l’adolescence dans un couvent spécialisé. Sa sit uation éveille chez sœu r Marguerite, une jeune religieuse, l’envie de lui fournir des moyens pour communiquer… Le réalisateur Jean-Pierre Améris (Les Émotifs anonymes) s’inspire du destin exceptionnel de Marie Heurtin

dans la France du xixe siècle. Plus que la trame, touchante mais sans surprise, on retient la prestation convaincante d’Isabelle Carré – qui a appris la langue des signes pour jouer le rôle de la nonne.

À Rio, trois orphelins trouvent le portefeuille d’un homme assassiné quelques jours plus tôt. La police se lance à leurs trousses… Le réalisateur de Billy Elliot signe une aventure plutôt convenue mais assez énergique pour dénoncer un Brésil corrompu et appauvri. C. B. de Stephen Daldry et Christian Duurvoort (1h54) Distribution : Universal Pictures Sortie le 12 novembre

de Jean-Pierre Améris avec Isabelle Carré, Ariana Rivoire… Distribution : Diaphana Durée : 1h35 Sortie le 12 novembre

> [REC] 4

L’action de ce nouvel opus de la saga d’horreur espagnole se déroule juste après les événements de [Rec] 2. Seule survivante d’un immeuble ravagé par un virus démoniaque, la journaliste Angela Vidal est secourue. Mais tout le monde ignore qu’elle est infectée. C. B. de Jaume Balagueró (1h36) Distribution : The Jokers / Le Pacte Sortie le 12 novembre

Respire PAR T. Z.

Charlie, une jeune lycéenne réservée de 17 ans, voit sa vie basculer lorsqu’une nouvelle élève, Sarah, intègre sa classe en cours d’année. Ignorant le piège dans lequel elle se jette, Charlie se laisse entraîner dans les délires de cette nouvelle amie totalement décomplexée… Pour son deuxième long métrage après Les Adoptés, Mélanie

Laurent livre un teen movie anxiogène sur la frontière trouble entre amitié amoureuse et manipulation. Une réflexion sur l’affirmation de soi portée avec grâce par la lunaire Joséphine Japy. de Mélanie Laurent avec Joséphine Japy, Lou de Laâge… Distribution : Gaumont Durée : 1h31 Sortie le 12 novembre

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> TRAVAILLEUSES...

Six cinéastes ont filmé des ouvrières travaillant dans des usines de textile dans divers pays (Burkina Faso, Chine, France, Mali, Roumanie). Un beau prétexte pour parler des conditions de travail difficiles et des espoirs tantôt éteints tantôt vivaces de ces travailleuses. C. B. Collectif (1h11) Distribution : Hévadis Films Sortie le 12 novembre


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Quand vient la nuit PAR JULIEN DUPUY

Dans ses romans, régulièrement adaptés au cinéma (Gone Baby Gone, Mystic River), l’écrivain américain d’origine irlandaise Dennis Lehane aime ausculter les ravages du crime sur le quotidien des petites gens. En signant son premier scénario, l’auteur poursuit logiquement dans cette voie. Dans Quand vient la nuit, l’existence solitaire du barman Bob Saginowski (incroyable Tom Hardy) est ponctuée par les rappels à l’ordre de la mafia russe, qui se sert de son établissement pour faire transiter des enveloppes d’argent sale. Cette vie morne, asservie au crime organisé, est bouleversée lorsque Bob découvre, dans une poubelle, un chiot blessé dont il décide de prendre soin. Un événement, anodin en soi, qui va entraîner cet

homme trop discret dans une spirale infernale. Comme dans les meilleures œuvres de Dennis Lehane, le récit anxiogène de Quand vient la nuit est soutenu par une tension sourde. Et, bien entendu, le danger, tapi dans les recoins les plus secrets de l’existence des protagonistes, jaillit à l’instant le plus inattendu dans

des éclats de violence cathartiques. Une façon brillante et particulièrement efficace de revisiter les poncifs du film noir et de composer des personnages aussi perfectibles qu’attachants.  de Michaël R. Roskam avec Tom Hardy, Noomi Rapace… Distribution : 20th Century Fox Durée : 1h47 Sortie le 12 novembre

La prochaine fois je viserai le cœur PAR LOUIS BLANCHOT

L’hiver approchant, les polars frigorifiés commencent à montrer le bout de leur nez. Ainsi du nouveau film de Cédric Anger (Le Tueur, L’Avocat), une enquête schizophrénique dans laquelle le gendarme et le meurtrier se révèlent être une seule et même personne. Tendu corps et âme, Guillaume Canet s’y avère aussi impeccable en militaire taciturne qu’en psychopathe masochiste. Sa journée de travail terminée, on l’observe par exemple se flageller avec des branches de houx, se lacérer l’avant-bras avec des barbelés ou croquer des glaçons afin de refroidir le feu de frustration qui brûle en lui. Pour autant, ce vieux garçon ne résiste pas au passage à l’acte et prend pour cibles des jeunes filles en fleur.

Le film est inspiré d’un fait divers qui a plongé dans l’angoisse le département de l’Oise à la fin des années 1970. Déjà réalisateur d’un Tueur tout en silences et rétention, Anger fait preuve d’une efficacité certaine dans la conduite de cette histoire opaque et étriquée. Il parvient à tenir pendant près

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de deux heures une note froide et minimaliste, scandée par l’alternance des journées crues d’hiver et des nuits brumeuses de la campagne française.  de Cédric Anger avec Guillaume Canet, Ana Girardot… Distribution : Mars Films Durée : 1h51 Sortie le 12 novembre


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L’Oranais PAR CHLOÉ BEAUMONT

Lyes Salem s’attaque à un sujet ambitieux : raconter les années de joie puis de désillusion qui ont suivi la guerre d’Algérie. Il aborde la construction du nouvel État sous le prisme de l’intime à travers l’amitié qui lie Djaffar à Hamid. Bien que le film tombe parfois dans le pathos, il offre de très belles séquences, comme celle de la pantomime, reconstruc­tion mensongère du destin héroïque de Djaffar par le FLN. de Lyes Salem avec Lyes Salem, Khaled Benaïssa… Distribution : Haut et Court Durée : 2h08 Sortie le 19 novembre

Un illustre inconnu

PAR T. Z.

Atlas PAR TIMÉ ZOPPÉ

Après Aka Ana, en 2008, qui s’intéressait au rapport à la sexualité de plusieurs femmes de Tokyo, le photographe Antoine d’Agata poursuit dans la même voie et signe un essai sur ses rencontres sous stupéfiants avec des prostituées à travers le monde. Depuis des décennies, le Français n’a plus de lieu de résidence fixe et mène une vie de voyages. Il a construit sa carrière sur une démarche radicale : s’intégrer littéralement à ses sujets, jusqu’à souvent en faire lui-même partie. Son œuvre hallucinée, proche par beaucoup d’aspects des toiles de Francis Bacon, est quasiment indissociable du sexe, de la drogue et de l’expérience de la souffrance. Avec Atlas, il juxtapose

par-delà les frontières les destins similaires de ces femmes brisées et crée un territoire fictif qui permet à celles-ci de parler d’une seule voix. Les rencontres nocturnes du photographe forment un journal vidéo auquel il superpose en voix off les pensées – parfois porteuses d’une poésie noire – des filles qu’il rencontre. Le malaise est constant, mais l’incroyable plastique du film contribue à l’établir comme une précieuse expérience artistique qui pénètre l’imaginaire du spectateur comme une encre vénéneuse et indélébile.

Sébastien (Mathieu Kassovitz) est un homme sans personnalité mais capable d’usurper l’identité de n’importe qui… Un peu mécaniquement, Matthieu Delaporte barde son film de scènes détaillant les méthodes virtuoses de son héros pour se construire de nouveaux visages. Il trouve heureusement son ton quand il creuse le rapport si particulier, entre fascination et défiance, de Sébastien à ses semblables.

d’Antoine d’Agata Expérimental Distribution : Norte Durée : 1h15 Sortie le 12 novembre

de Matthieu Delaporte avec Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze… Distribution : Pathé Durée : 1h58 Sortie le 19 novembre

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> HUNGER GAMES. LA RÉVOLTE : PARTIE 1

A Cappella PAR HENDY BICAISE

Han Gong-ju, jeune lycéenne de 17 ans, doit changer d’établissement, de nom, de vie. Mais les raisons de son exil dans la ville portuaire d’Incheon demeurent inconnues… Si le réalisateur brouille les pistes, c’est moins pour ménager le suspense que pour retranscrire la désorientation de l’adolescente. En cela, ce film coréen troublant en rappelle

un autre, l’un de ceux qui réveillèrent le cinéma du pays du Matin calme, au début des années 2000 : Memento Mori de Kim Tae-yong et Min Kyu-dong, autre état des lieux d’une jeunesse meurtrie.

Dans cette première partie de l’ultime volet de la saga au succès planétaire, Katniss Everdeen (Jennifer Lawrence) poursuit la rébellion contre le totalitarisme du capitole dont elle est devenue le symbole. Parviendra-t-elle à sauver son pays et son ami Peeta ? C. B. de Francis Lawrence (2h05) Distribution : Metropolitan FilmExport Sortie le 19 novembre

de Lee Sujin avec Chun Woo-hee, Jung In-sun … Distribution : Dissidenz Films Durée : 1h52 Sortie le 19 novembre

> PUZZLE

Trois villes (Paris, Rome et New York), trois histoires d’amour passionnelles, liées par un même secret et servies par un casting séduisant (Liam Neeson, Adrien Brody, Mila Kunis, James Franco…), par le réalisateur du multi-oscarisé Collision. C. B. de Paul Haggis (2h17) Distribution : Synergy Cinéma Sortie le 19 novembre

L’Homme du peuple PAR T. Z.

Le réalisateur Andrzej Wajda, qui tout au long de sa carrière n’a eu de cesse de revisiter l’histoire de son pays, se penche cette fois sur le parcours de Lech Wałęsa, ancien ouvrier devenu président de la République de Pologne. Électricien aux chantiers navals de Gdańsk, il est l’un des fondateurs, en 1980, du syndicat Solidarność, organisation en pointe dans la lutte contre le

régime du général Jaruzelski. Peu nuancé dans son portrait idéalisé de l’homme politique, le cinéaste émeut davantage quand il se met du côté de l’épouse qui essuie les plâtres en silence. d’Andrzej Wajda avec Robert Wi ckiewicz, Agnieszka Grochowska… Distribution : Version Originale / Condor Durée : 2h08 Sortie le 19 novembre

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> ENTRE DEUX MONDES

En Afghanistan, Jesper, un officier allemand, a pour mission de protéger un village. Il est accompagné de Tarik, un interprète, qui se voit menacé par des talibans… Feo Aladag réalise un beau portrait de soldat partagé entre son sens du devoir et sa raison. Q. G. de Feo Aladag (1h38) Distribution : Eurozoom Sortie le 19 novembre


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Et maintenant ? Des nouvelles du Portugais Joaquim Pinto : l’ingénieur du son et cinéaste a tenu pendant un an le renversant ciné-journal de sa maladie. Il a reçu le Prix spécial du jury au festival du film de Locarno en 2013. PAR CLÉMENTINE GALLOT

Et maintenant ?, dédié au monteur chilien Claudio Martinez, charrie les vestiges d’une génération d’artistes et d’intellectuels gays, de Guy Hocquenghem à Copi. Ce journal intime agit aussi comme un appel d’air pour l’œuvre incandescente d’Hervé Guibert (La Pudeur ou l’Impudeur). Figure majeure du cinéma d’auteur portugais des trente dernières années, Joaquim Pinto, qui réalise des films depuis 1988, a accompagné le travail de Manoel de Oliveira, Raul Ruiz et João César Monteiro. Retiré à la campagne, il vit avec ses chiens et son mari, Nuno Leonel, chanteur de metal reconverti en fermier. Et maintenant ? succède aux monographies qui ont essaimé durant les années sida. Après l’épidémie, la mort rôde encore : le documentaire est ainsi rythmé par les allées et venues du cinéaste vers l’Espagne où l’on teste des traitements expérimentaux contre

> CAÑADA MORRISON

Dans le paysage désertique d’une montagne argentine, Lila, une fillette, nourrit l’obsession de rencontrer enfin son père. Elle est aidée dans sa quête par son institutrice… Le premier film de Matías Lucchesi est aussi doux que le visage de sa jeune interprète, Paula Galinelli Hertzog. T. Z. de Matías Lucchesi (1h11) Distribution : Urban Sortie le 19 novembre

l’hépatite C et le V.I.H. Le premier plan, qui enregistre le passage d’une limace d’un bord à l’autre du cadre, annonce d’emblée la couleur : sur près de trois heures, le film se mue en survival movie dont Pinto serait le « last man standing ». Cet autoportrait de l’artiste malade, au visage parcheminé, prend la forme d’une thérapie par l’image, la souffrance mêlée à de fortes doses médicamenteuses se convertissant à l’écran en épiphanies. Sans que le caractère testamentaire de l’œuvre ne vienne jamais entacher ou alourdir cet inventaire, Pinto dresse le bilan d’une vie que l’on devine très riche et qu’il résume ainsi : « Le monde nous a traversés. » de Joaquim Pinto Documentaire Distribution : Épicentre Films Durée : 2h44 Sortie le 19 novembre

> CASANOVA VARIATIONS

John Malkovich joue son propre rôle, alors qu’il interprète Casanova dans un opéra narrant la vie du grand séducteur et dont certaines scènes sont filmées en décors réels… Le réalisateur autrichien Michael Sturminger signe un projet ambitieux et hybride. T. Z. de Michael Sturminger (1h58) Distribution : Alfama Films Sortie le 19 novembre

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> PÔLE EMPLOI, NE QUITTEZ PAS !

Le film propose une immersion dans une agence Pôle Emploi de la Seine-Saint-Denis. Avec pudeur, la documentariste choisit de filmer les employés (souvent désespérés) plutôt que les demandeurs d’emploi. Un parti pris parfois frustrant mais audacieux. C. B. de Nora Philippe (1h18) Distribution : Docks 66 Sortie le 19 novembre


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In the Family PAR HENDY BICAISE

Sorti aux États-Unis en 2011, mais jusqu’à présent inédit dans l’Hexagone, In the Family arrive à point nommé sur nos écrans. Alors que la question de l’homo­parentalité divise l’opinion, le film de Patrick Wang apparaît essentiel pour enrichir le débat,

notamment parce qu’il traite d’un fait de société encore problématique : la reconnaissance d’un enfant par le conjoint homosexuel du parent défunt. Aux ÉtatsUnis, l’affaire Janice Langbehn, qui vécut un drame comparable à celui du protagoniste d’In the

family, est d’ailleurs restée dans les mémoires. Mais si ce premier long métrage, écrit, réalisé et interprété par un même homme, s’avère idéologiquement prégnant, c’est aussi parce qu’il porte un discours plus vaste sur le sens moral de chacun et sur notre capacité de discernement et d’écoute. La sérénité dont le personnage principal fait preuve dans sa quête de justice n’a d’égale que celle de Patrick Wang lui-même. Le cinéaste mène à bien des séquences pourtant fragiles, à la fois imposantes et intimistes. Problématiques éthiques et sémantiques se répondent habilement, au point de susciter autant d’admiration que d’émotion.  de Patrick Wang avec Sebastian Banes, Patrick Wang… Distribution : Ed Durée : 2h49 Sortie le 19 novembre

Night Call PAR RAPHAËLLE SIMON

Branché sur les fréquences ra­dio de la police, Lou parcourt les rues de Los Angeles, la nuit, à la recherche d’images chocs qu’il vend à prix d’or à une petite chaîne de télévision locale. Acci­ dents mortels, cambriolages de villas, meurtre de milliardaires : plus c’est trash, plus Lou et la directrice de la chaîne se frottent les mains, peu importe qu’elles soient sales. Tous les ingrédients sont réunis pour faire penser au Drive de Nicolas Winding Refn : mêmes producteurs, même figure du héros torturé qui roule de nuit comme un cinglé… Le titre français, Night Call, qui remplace le Nightcrawler américain, fait carrément référence directe au tube de Kavinsky de la mythique B.O. Pourtant, Lou est loin d’être une pâle copie du « Driver », et la grande force du premier film de

Dan Gilroy est justement d’avoir accouché d’un héros hors norme. Très amaigri pour le rôle, Jake Gyllenhaal se montre sous un visage nouveau. C’est à la fois un grand enfant, qui attend son heure de gloire comme une midinette, et un grand pervers manipulateur. Dès lors, c’est plus au

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« Taxi Driver » de Scorsese qu’il fait penser, sorte d’illuminé qui n’a que faire de la morale, mais qui suit pieusement ses propres règles de conduite.  de Dan Gilroy avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo… Distribution : Paramount Pictures Durée : 1h57 Sortie le 26 novembre


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Mercuriales Après Orleans, Virgil Vernier poursuit un voyage téméraire en terre contemporaine. Dans les tours Mercuriales de Bagnolet, il filme deux filles et le passage secret que leur amitié ouvre vers des mondes insoupçonnés. PAR LAURA TUILLIER

© d. r.

Les tours qui se dressent dans les premiers plans, Virgil Vernier y reviendra tout au long de Mercu­ riales, comme on filmerait deux aimants scintillants dressés au milieu d’un récit éclaté. C’est la première beauté du film, que de laisser décanter la puissance d’évocation des lieux, sans en faire trop, en prenant le temps du plan fixe sur des objets a priori morts et qui servent pourtant de passeurs vers la fiction. Cette fiction, c’est l’histoire d’amitié entre deux jeunes filles, Lisa, qui vient d’arriver de Moldavie, et Joane, qui rêve de devenir danseuse mais travaille dans une des tours. À partir de leur rencontre, le film s’éloigne des bâtiments jumeaux pour suivre l’été des deux amies. Sous le terreau de la chronique naturaliste – activité piscine, glande à l’appartement, soirée pyjama –, le cinéaste laisse affleurer une réalité parallèle, faite de magie, de secrets, de lieux et d’époques entremêlés

et qui s’invitent par associations plastiques. Une fille brune en pause clope devient sorcière, un feu de joie, l’occasion d’une danse entre déesses. Ne lâchant jamais ses deux héroïnes, Virgil Vernier assume la fascination que leur physique et leur langage exercent sur sa caméra : Joane, bagout et corps hyper érotisé, prend en charge l’ancrage contemporain du film ; Lisa, regard bleuté et voix profonde, attire Mercuriales sur un versant apocalyptique et atemporel où les couches de réalité se superposent, créant un feuilleté d’évocations hétérogènes troublant. Le mystère circule ainsi, des tours aux filles et vice versa en un fascinant réfléchissement. de Virgil Vernier avec Philippine Stindel, Ana Neborac… Distribution : Shellac Durée : 1h48 Sortie le 26 novembre

3 QUESTIONS À VIRGIL VERNIER PROPOS RECUEILLIS PAR L. t. Comment as-tu choisi tes deux actrices ?

Il fallait qu’elles se ressemblent. Je voulais arriver à cette scène pendant laquelle elles se confondent devant le miroir, comme si elles s’étaient dédoublées. Mais Joane est dans le pur présent, elle ressemble à une fille de la télé-réalité, alors que Lisa est hantée par des cauchemars venus des pays de l’Est et a une présence plus fantomatique.

Ta caméra s’attarde souvent sur des détails en apparence anodins du quotidien…

Pour moi, filmer l’horoscope du jour sur l’écran plasma d’un PMU, c’est une vanité hyper contemporaine, une nature morte du xxie siècle, comme jadis la peinture d’un crâne ou d’un panier de fruits qui pourrissent. J’ai pensé au peintre On Kawara dont la journée consistait à peindre la date du jour.

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Comment travailles-tu pendant le tournage ?

Je fais des prises de dix minutes, soit la durée d’une bobine 16 millimètres. Je cherche à capter un instant rare, libéré de toute narration, qui arrive sans que l’on puisse vraiment le contrôler. Avec les actrices, on a créé les personnages ensemble et elles sont devenues Joane et Lisa, totalement, le temps d’un été.


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Astérix. Le Domaine des dieux PAR C. B.

Dans cette adaptation réjouissante de la bande dessinée du même nom, Astérix et Obélix doivent empêcher la construction d’une résidence tout confort modestement baptisée, par César lui-même, le Domaine des Dieux. Coréalisateur du film, Alexandre Astier reprend la recette qui avait fait le succès de sa série Kaamelott : un humour nourri de références et d’anachronismes

désopilants. Le mélange entre l’univers très référencé créé par René Goscinny et Albert Uderzo et un comique plus actuel (porté notamment par les voix d’Alain Chabat, de Florence Foresti et de Laurent Lafitte) fonctionne à merveille.

> ALLELUIA

Un couple s’en prend à des femmes. Michel (Laurent Lucas) couche avec elles ; Gloria (Lola Dueñas) les tue… Malgré un côté répétitif, ce film de genre, tourné en 16 mm, réussit parfaitement la transposition d’un fait divers américain dans le décor angoissant des Ardennes. C. B. de Fabrice Du Welz (1h30) Distribution : Carlotta Films Sortie le 26 novembre

de Louis Clichy et Alexandre Astier Animation Distribution : SND Durée : 1h22 Sortie le 26 novembre

> CALVARY

Le père James exerce son ministère dans un village irlandais peuplé d’individus fantasques. Mais, un jour, un homme lui annonce qu’il le tuera dans une semaine… Le réalisateur de la comédie policière L’Irlandais concocte un savoureux mélange d’humour noir et de thriller psychologique. C. B. de John Michael McDonagh (1h45) Distribution : 20th Century Fox Sortie le 26 novembre

The Search PAR R. S.

Michel Hazanavicius (OSS 117, The Artist) change de registre. Pour son nouveau film, le cinéaste s’attaque à la guerre de Tchétchénie en suivant les histoires croisées d’un jeune orphelin tchétchène recueilli par une Française chargée de mission pour l’Union européenne et d’un soldat russe formé à devenir un bourreau à l’armée. Soit la ver­sion

conte de fées et la version trash du conflit. On sent que le réalisateur, un peu bloqué par son ambitieux changement de cap, n’ose pas s’approprier pleinement son sujet, pourtant très fort. de Michel Hazanavicius avec Bérénice Bejo, Maxim Emelianov… Distribution : Warner Bros. Durée : 2h14 Sortie le 26 novembre

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> TIENS-TOI DROITE

Louise, Sam et Lili sont trois femmes dont les destins vont se croiser lorsqu’elles décident de prendre leur indépendance… Cette comédie à l’humour absurde évoque parfois l’univers à la fois réaliste et farfelu de la réalisatrice Sophie Fillières. Q. G. de Katia Lewkowicz (1h34) Distribution : Wild Bunch Sortie le 26 novembre


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Mateo Falcone PAR H. B.

Tourné en 2008, le premier long métrage de l’écrivain Éric Vuillard sort enfin en salles. De la nouvelle d’origine de Prosper Mérimée, il jette le gras pour ne garder que l’os. Cinéma et littérature se querellent : Vuillard renie le verbe et livre un poème visuel. C’est une succession de paysages, de visages, taillés à la perfection. Imaginez les gueules d’un wes­tern fordien égarées dans les décors de Van Gogh de Pialat.  d’Éric Vuillard avec Hugo de Lipowski, Hiam Abbass… Distribution : Aloest Durée : 1h05 Sortie le 26 novembre

Naguima PAR T. Z.

L’Incomprise PAR LAURA TUILLIER

Pour son troisième long mé-­ trage, présenté au Festival de Cannes dans la sélection Un certain regard, Asia Argento s’empare d’une période de sa vie toujours délicate à mettre en scène : l’enfance. Soit, à Rome, dans les années 1980, le quotidien agité d’une petite fille, Aria (Giulia Salerno), trimballée entre son père et sa mère, artistes fantasques qui se rejettent la responsabilité de l’enfant. La réussite de L’Incomprise tient dans l’énergie presque naïve que met la réalisatrice à enchanter le passé, le transformant en matériau pour conte de fées. De l’esthétique kitsch de ces années-là – qu’Argento renforce à l’aide d’une photographie vintage – à la représentation des territoires traversés par Aria au cours

de son errance affective, tout est saturé de signes magiques. Les parents (Charlotte Gainsbourg et Gabriel Garko, parfaits) sont des monstres, mais des monstres parodiques, faibles et drôles, ridicules. Dans l’enfance d’Aria, il n’existe donc pas de place pour l’apitoiement, mais une ardeur joueuse qui se nourrit des étapes qu’il lui faut franchir pour accéder à la reconnaissance. Accrochée à sa comédienne (dont la moue rappelle celle de L’Effrontée), Asia Argento parvient à trouver le bon angle pour filmer ses souvenirs : comme une suite d’images charmantes et inoffensives.

Naguima vit avec Ania, sa sœur de cœur, rencontrée à l’orphelinat. Leur précarité est extrême : Ania est enceinte, le père de l’enfant l’a abandonnée, et Naguima travaille d’arrache-pied pour nourrir le foyer. Lorsqu’Ania meurt en couche, son amie doit se reconstruire une famille… En filmant avec la même puissance les paysages arides du Kazakhstan et les visages des femmes qui les peuplent, Janna Issabaeva compose un conte sidérant.

d’Asia Argento avec Giulia Salerno, Charlotte Gainsbourg… Distribution : Paradis Films Durée : 1h43 Sortie le 26 novembre

de Janna Issabaeva avec Dina Tukubaeva, Galina Pianova… Distribution : Paname Durée : 1h17 Sortie le 26 novembre

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À la vie PAR C. B.

En 1960, trois rescapées d’Aus­ chwitz se retrouvent sur les plages de Berck… Inspiré par la véritable histoire de sa mère, le réalisateur a eu la brillante idée de confronter la noirceur du camp de concentration aux tons estivaux du bord de mer pour illustrer la difficulté de réapprendre à vivre après la Seconde Guerre mondiale. Un bel hymne à l’amitié et à la vie porté par un trio d’actrices sublimes (Johanna ter Steege, Suzanne Clé­ ment et Julie Depardieu).  de Jean-Jacques Zilbermann avec Julie Depardieu, Suzanne Clément… Distribution : Le Pacte Durée : 1h44 Sortie le 26 novembre

Master of the Universe

Concerning Violence

PAR T. Z.

PAR JULIETTE REITZER

À bord d’un hélicoptère qui survole une région rurale, des militaires portugais tirent au fusil-mitrailleur sur un troupeau de vaches terrifiées. Les images qui ouvrent Concerning Violence ne sont pas mises en contexte ni commentées : ne reste que la violence, brute, glaçante, qui infuse tout le film. Après The Black Power Mixtape (2011), qui retraçait l’évolution du mouvement Black Power aux ÉtatsUnis de 1967 à 1975 grâce à des images inédites (dont une interview d’Angela Davis en prison), Göran Hugo Olsson rassemble d’autres vidéos stupéfiantes dénichées dans les archives de la télévision suédoise. Tournées par des cinéastes nordiques dans les

années 1960 et 1970, en noir et blanc ou en couleurs, elles documentent les mouvements armés de décolonisation en Afrique, notamment en Angola. Groupes de résistants traqués en forêt, discours haineux de colons, scènes d’humiliation ou d’émancipation… autant d’images crépusculaires qu’Olsson assemble dans un montage à thèse, impressionniste et poétique, rythmé par des extraits, lus par Lauryn Hill, de l’essai fondateur Les Damnés de la Terre du philosophe anticolonialiste Frantz Fanon. Un documentaire rare et édifiant.

Rainer Voss, ancien banquier, a accepté de raconter son expérience, et notamment ses années d’ascension dans le monde de la finance. En tête à tête avec le réalisateur, il explique comment son activité l’a peu à peu déconnecté de la réalité… Émaillé de quelques images d’archives pour seule illustration, le huis clos se fait étouffant, raccord avec le constat cinglant sur notre système économique verrouillé.

de Göran Hugo Olsson Documentaire Distribution : Happiness Durée : 1h15 Sortie le 26 novembre

de Marc Bauder Documentaire Distribution : Héliotrope Films Durée : 1h28 Sortie le 26 novembre

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> LES HÉRITIERS

Praia do futuro PAR Q. G.

Sur la plage brésilienne de Praia do futuro, Donato, sauveteur en mer, sauve Konrad, un touriste allemand, de la noyade. Les deux hommes tombent amoureux, mais Konrad doit retourner dans son pays. Donato décide de le suivre, abandonnant sa vie et son petit frère, Ayrton. Quelques années plus tard, ce dernier arrive à Berlin…

Dans ce film construit en trois chapitres, le réalisateur Karim Aïnouz joue des contrastes entre deux hommes et deux cultures, avant de surprendre avec une bouleversante dernière partie.

Une prof d’histoire propose à la pire classe de seconde de son lycée de participer à un concours national ayant pour thème la Shoah… Le film n’échappe pas aux bons sentiments, mais il témoigne du besoin essentiel du devoir de mémoire dans une société en proie au racisme. C. B. de Marie-Castille Mention Schaar (1h45) Distribution : UGC Sortie le 3 décembre

de Karim Aïnouz avec Wagner Moura, Clemens Schick… Distribution : Épicentre Films Durée : 1h46 Sortie le 3 décembre

> LA FRENCH

Pierre Michel est nommé juge à Marseille, en charge des affaires de grand banditisme. Il hérite notamment d’un dossier difficile, celui de la French Connection… Habituellement amis à l’écran, Jean Dujardin et Gilles Lellouche s’affrontent dans ce polar inspiré d’une fameuse affaire criminelle des années 1970. Q. G. de Cédric Jimenez (2h15) Distribution : Gaumont Sortie le 3 décembre

Mr. Turner

> WHITE GOD

PAR ÉTIENNE ROUILLON

Le Britannique Mike Leigh (Secrets et mensonges, Vera Drake…) fait le portrait de son pays en utilisant les couleurs que le peintre William Turner crachait sur ses toiles. Toutes bronches dehors, Timothy Spall donne corps à l’artiste prodige, excentrique et taciturne. À mesure que sa vie défile, Turner devient de plus en plus ours, agacé

par le monde qui l’entoure et qu’il peint pourtant divinement. La fange et l’or, le porc et le génie, le procédé très british du double visage façon Jekyll et Hyde est ici habilement déployé. de Mike Leigh avec Timothy Spall, Paul Jesson… Distribution : Diaphana Durée : 2h30 Sortie le 3 décembre

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Après avoir été abandonné par le père de sa jeune maîtresse, un chien organise une révolte en ralliant à sa cause tous les chiens errants de Budapest… Aventure, fable allégorique, numéro canin, épouvante : White God, Prix Un certain regard (et Palm Dog !) à Cannes, déroute par la multitude de ses registres. R. S. de Kornél Mundruczó (1h59) Distribution : Pyramide Sortie le 3 décembre


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Iranien PAR CHLOÉ BEAUMONT

Après l’admirable Bassidji (2010), le documentariste Meh­ ran Tamadon poursuit son dialogue avec des défenseurs de la République islamique d’Iran dans un documentaire précieux présenté à la dernière Berlinale. Cet Iranien athée, installé en France, a convaincu quatre mollahs de passer deux jours dans sa maison en Iran. Le but : débattre et parvenir à vivre ensemble. Une ambition a priori naïve, et c’est précisément là que se construit le film. Les défenseurs d’un islam radical n’arriveront pas à convaincre un athée, et vice versa. S’installe alors un dialogue de sourds entre quatre hommes unis par les mêmes idéaux et un autre qui préfère rire de leur mauvaise foi. C’est la limite du dispositif : inviter des gens chez soi induit une

politesse qui freine le débat. Mais mieux que mille mots, c’est finalement quand la caméra s’éloigne de la discussion qu’elle souligne le mieux l’absurdité de certains discours des mollahs. Quand ces derniers vantent la démocratie iranienne, le montage répond ainsi par une scène dans laquelle le réalisateur annonce à sa mère

une triste nouvelle : alors qu’il s’apprête à regagner la France, les autorités iraniennes lui ont fait savoir que s’il revient en Iran, on lui interdira toute nouvelle sortie du territoire.  de Mehran Tamadon Documentaire Distribution : ZED Durée : 1h45 Sortie le 3 décembre

Retour à Ithaque PAR RAPHAËLLE SIMON

Amadeo est accueilli par ses amis sur une terrasse de La Havane après seize ans d’exil, vécu par certains d’entre eux comme une trahison. L’occasion de contempler les horizons de leurs vies, d’évoquer leurs souvenirs de jeunesse, de justifier leurs choix, de mesurer leurs désil­lusions, aussi.

C’est que ce petit groupe fait partie de la « génération perdue » : celle de ces intellectuels, nés dans les années 1960, dont les aspirations révolutionnaires ont été emportées par l’effondrement de l’U.R.S.S. et la débâcle qui a suivi à Cuba – la fameuse « période spéciale » de grande pénurie. Pour

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ce deuxième film tourné sur le sol cubain, après sa participation à l’œuvre collective 7 jours à la Havane en 2012, Laurent Cantet s’empare d’un épisode fondamental – et pourtant mal connu – de l’histoire cubaine contemporaine et livre un témoignage essentiel au moment où Cuba tourne une page de son histoire en s’engageant dans l’ouverture – qui a d’ailleurs rendu le tournage du film possible. Comme sa palme d’Or Entre les murs (2008), Retour à Ithaque est un beau film de parole, mais c’est aussi sa limite : ce huis clos a des allures de théâtre filmé, et l’on aimerait parfois quitter la terrasse, pour s’évader dans les rues de La Havane.  de Laurent Cantet avec Isabel Santos, Néstor Jiménez… Distribution : Haut et Court Durée : 1h35 Sortie le 3 décembre


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© films paris new-york - delpire alvico

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Muhammad Ali. The greatest

Coffret William Klein Ce superbe coffret de douze films met en lumière l’œuvre dense du réalisateur de Qui êtes-vous, Polly Maggoo ? On y découvre notamment un travail documentaire d’exception à l’indéniable portée historique. PAR CHLOÉ BEAUMONT

Américain installé à Paris, le cinéaste et photographe William Klein s’est toujours intéressé aux deux pays, à leur politique et à leur culture. Ses documentaires apportent un regard souvent exclusif sur des événements ou des personnages désormais historiques. Inspiré par le cinéma direct, il interroge ceux à qui l’on donne rarement la parole, sans jamais imposer de voix off explicative. Lorsqu’il descend dans la rue pour capter les événements de Mai-68 dans Grands soirs et petits matins, il tient à entendre tout le monde : les lycéens, les ouvriers, mais aussi Cohn-Bendit ou de Gaulle. Quand il pose sa caméra à Alger en juillet 1969, il en tire deux films engagés. Eldridge Cleaver d’abord, un portrait très nuancé d’un cadre du Black Panther Party recherché par le FBI et exilé dans la capitale algérienne, dans lequel

le cinéaste souhaite moins mettre en avant le parti que la politique impérialiste des États-Unis, l’injustice dont est victime sa population noire et les horreurs perpétrées par son armée au Viêt Nam. Festival panafricain d’Alger ensuite, qui célèbre la culture africaine face à l’assimilation occidentale et dénonce les travers du néocolonialisme. Dans Muhammad Ali. The greatest, documentaire sur le boxeur alors en pleine reconquête de son titre au Zaïre, en 1974, il ne manque pas de moquer la propagande de Mobutu. Klein semble avoir toujours été présent au bon moment, pour filmer l’essentiel : l’histoire au travail. William Klein Films (coffret 12 films) Éditeur : Arte Éditions Sortie le 4 novembre

LES SORTIES DVD

> LE CANARDEUR

> COMRADES

> PING PONG SUMMER

Tourné en 1974, le premier film de Michael Cimino comporte déjà ce qui fera la grandeur de ses chefs-d’œuvre à venir : la déconstruction des mythes américains, les grands espaces et l’amitié masculine ; le romanesque en moins. Clint Eastwood et Jeff Bridges incarnent à la perfection les héros de ce road movie qui scrute les États-Unis des années 1970. C. B.

Après sa grande trilogie autobiographique l’an dernier, c’est au tour de l’ultime chef-d’œuvre de Bill Douglas de sortir en DVD. Comrades (1986) est une fresque édifiante et épique sur six ouvriers agricoles britanniques qui, pour avoir formé un syndicat, furent arrêtés et déportés en Australie en 1834. L’écho de leur combat résonne toujours avec force. T. Z.

Été 1985. Pour ses vacances dans le Maryland, les parents de Radford Miracle lui donnent enfin un peu d’indépendance. Il passe son temps au Fun Hub, une salle de jeux avec une table de ping-pong sur laquelle il devra briller pour séduire la belle Stacy Summers… Cette comédie rétro séduit grâce à son personnage principal maladroit et attachant. Q. G.

de Michael Cimino (Carlotta)

de Bill Douglas (UFO)

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de Michael Tully (Potemkine)


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cultures MUSIQUE

KIDS

LIVRES / BD

SÉRIES

SPECTACLES

Tony Allen AFROBEAT

Créé à Lagos à la fin des années 1960 par Fela Kuti et son batteur Tony Allen, l’afrobeat n’en finit plus de féconder les musiques actuelles. Le premier nommé n’étant plus de ce monde, le second, fringant septuagénaire, réaffirme son statut de gardien du temple avec son nouvel album, le lumineux Film of Life. Rencontre avec une légende du rythme qui œuvre à l’immortalité de son style. PAR MICHAËL PATIN

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© bernard benant

ony Allen vit à Paris depuis près de trente ans, mais ne parle toujours pas français avec les journalistes. C’est qu’il prend la langue de son pays d’adoption au sérieux, question de génération. « Je pense qu’il faut savoir lire et écrire le français pour prétendre le connaître. Je parle anglais à ma femme et je pratique un peu mon stupide français des rues avec mes enfants, qui ne tiennent pas compte de ma grammaire. » On ne saurait le reprocher à ce jeune homme de 74 ans qui nous gratifie de sa présence minérale et de son délicieux accent nigérian en ce lugubre après-midi d’octo­bre. Tout détendu qu’il paraisse, on sent pulser une force immense dans son regard et dans ses gestes. Débarqué à Paris au milieu des années 1980, après

XVIIIe XIXe

XVIIe VIIIe

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IIe Ier

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IIIe IVe

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VIe XVe

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XXe XIe

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CONCERTS Kraftwerk du 6 au 14 novembre à la Fondation Louis Vuitton p. 92

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DANSE bal.exe jusqu’au 15 novembre au Nouveau Théâtre de Montreuil p. 100


LIVRES

KIDS

De la neige pour Noël : la chronique d’Élise, 6 ans p. 94 ARTS

Gabin, Ventura, Delon… Les légendes du polar de Philippe Durant p. 96

JEUX VIDÉO

FOOD

plus d’une décennie passée au côté de Fela Kuti, avec qui il inventa et développa l’afrobeat, puis quelques années à diriger sa propre formation, Tony Allen s’intègre vite à une communauté de musiciens expatriés au premier rang desquels son ami Manu Dibango. Dès lors, ses aventures seront plus musicales que politiques, lui permettant de bâtir des relations artistiques indéfectibles et d’atteindre un rayonnement international. « L’afrobeat a été créé par Fela, qui ne voulait pas suivre les musiciens de highlife. Cet homme avait une vision. Il a été le seul à combattre le gouvernement sans prendre les armes. Aujourd’hui, cette musique est en effet partout. Je reviens des États-Unis où m’avaient invité les musiciens du Chicago Afrobeat Project, qui sont excellents. J’ai même vu des groupes chinois en jouer à Shanghai. » TRANSMISSION

Oui, l’afrobeat est partout, mais jamais meilleur que sur Film of Life, son nouvel album solo, réalisé avec le groupe parisien The Jazzbastards, déjà présent à ses côtés lors de ses collaborations avec Air ou Charlotte Gainsbourg. On retrouve aussi, sur l’obsédant « Go Back », son « petit frère » Damon Albarn, qu’il considère comme un génie et avec qui il multiplie les projets. En dix pièces d’une musicalité solaire et vibrante, Tony Allen fait le bilan d’une carrière passée à propager l’afrobeat aux quatre coins du monde. À son propre rythme, forcément. « Je ne me presse pas. Ça n’a aucun sens de sortir un album tous les ans, même si j’en suis capable. Il faut se fixer des objectifs plus grands, laisser aux œuvres le temps de s’épanouir. Cinq années se sont écoulées entre le précédent et celui-ci, parce que je cherchais une nouvelle manière d’aborder l’afrobeat. J’ai déjà mené plein d’expériences folles

JEUX VIDÉO

Alien. Isolation rejoue le meilleur du film de Ridley Scott p. 106 DESIGN

présente

« Ça n’a aucun sens de sortir un album tous les ans, même si j’en suis capable. » comme Black Voices ou le projet Psyco on da Bus, j’ai mélangé l’afrobeat au hip-hop sur HomeCooking, je suis revenu aux sources avec Lagos no Shaking, j’ai fait des morceaux d’afro-disco-beat… » Projetant l’histoire de ce rythme dans une modernité cinématique, Film of Life est d’abord une œuvre de transmission qui fixe l’avenir du genre avec foi et amour. Au cœur des (d)ébats, on retrouve bien sûr cette batterie funambule qui chasse les gazelles et chante les cahots, entraînant cuivres, guitares et voix dans son groove perpétuel. « La batterie est la clé de l’afrobeat, elle est plus déterminante que la mélodie. Si tu ne maîtrises pas ce rythme, tu ne peux pas jouer cette musique. J’ai donné récemment des master classes aux États-Unis, pour un public d’étudiants et de professeurs qui n’arrivent pas à enseigner mon style. Celui-ci réclame une discipline physique à laquelle ces universitaires ne semblaient pas habitués. Tout a été filmé, pour que mon enseignement reste accessible aux futures générations de musiciens. Qui eux-mêmes, quand ils maîtriseront la technique, monteront des groupes d’afrobeat ! C’est ce que j’ai voulu dire avec Film of Life, et notamment avec la chanson « Moving On » : la musique n’a pas de fin, rien ne peut la stopper. » Film of Life de Tony Allen (Jazz Village) Disponible En concert le 3 décembre au Théâtre des Bouffes du Nord

le PARCOURS PARISIEN du mois

EXPOSITION « Garry Winogrand » jusqu’au 2 février au Jeu de Paume p. 102

EXPOSITION « Mayas. Révélation d’un temps sans fin » jusqu’au 8 février au musée du quai Branly p. 104

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FOOD Gyoza Bar 38, rue de Saintonge Paris IIIe p. 108


© tim zaragoza

cultures MUSIQUE

Jessie Ware SOUL

Le premier album de Jessie Ware avait impressionné les amateurs de nu soul distanciée. Pour son deuxième essai, la jeune Londonienne s’est lâchée : moins éthéré, plus pop, Tough Love est un superbe disque. PAR ÉRIC VERNAY

Bien qu’élégante, la musique de Jessie Ware nous avait paru un peu froide sur son premier disque, Devotion ; comme si la Londonienne, prisonnière du bon goût officiel, n’osait pas vraiment se livrer. La pochette de son deuxième album, sur laquelle elle figure, toujours en noir et blanc, mais dans une posture plus débraillée, moins virginale, annonce un abandon salutaire chez cette supportrice de Manchester United. « Cet album a un peu le même goût que le précédent, mais avec une sensibilité plus pop », explique la trentenaire qui, tout juste mariée, n’a pas hésité à poster sur la Toile une photo de son couple pastichant une pose de Kanye West et Kim Kardashian. « La plupart de mes collaborateurs sur Tough Love avaient déjà travaillé avec moi sur le disque précédent. Il y a de nouvelles têtes, certes, mais cette fois j’étais plus confiante, plus directe. Je savais où aller. » À la production, on trouve notamment Benny Blanco, l’homme qui se cache derrière les hits de Katy Perry, et Ed Sheeran, celui qui a écrit notamment quelques-uns des tubes de One Direction et de Taylor Swift. On est donc loin des

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précédentes apparitions de Jessie Ware auprès d’artistes electro plus underground tels que SBTRKT ou Disclosure. Mais la chanteuse assume ce tropisme mainstream. « J’aime la pop. Mais je ne crois pas que mes chansons sonnent particulièrement comme du Katy Perry ou du One Direction. Ma musique n’est pas anonyme, j’y insuffle ma personnalité. Le mot « pop » ne devrait pas être une insulte », assènet-elle, entre deux jurons. À l’écoute de l’album, gorgé d’entêtantes ballades soul coécrites avec la crème du groove moderne (Dev Hynes, Miguel…), on ne peut que hocher la tête. Car, désormais, la diva ne se cache plus derrière le glacis sophistiqué des arrangements. « Ma voix est mise en avant, plus proche des gens. On s’est disputé avec mes producteurs à ce sujet. Je leur disais : “Mets plus de reverb ! Baisse ma voix !” » Cela eut été dommage : traçant un pont divin entre Prince et Sade, Jessie Ware se dévoile enfin. Sans se compromettre. Tough Love de Jessie Ware (Maison Barclay) Disponible

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sélection PAR ÉRIC VERNAY & WILFRIED PARIS

CHINESE FOUNTAIN

RIGHT FROM REAL

THE WORRY

de The Growlers

de Lydia Ainsworth

de Seekae

Après des premiers essais marqués par le skiffle et le rock sixties, le quatrième album de ces showmen en éternelle tournée est moins « goth-surf » (comme ils disent) que planant et plaisant, en plages midtempo mélodieuses, gorgées de guitares réverbérées, de basses « à la McCartney » et de soleil californien. Le chant haut et rauque de Brooks Nielsen (pas loin d’un Julian Casablancas) égrène ses sentences luddites (« L’Internet est plus grand que Jésus et John Lennon »), entre pétards et bord de mer, tranquilou. W. P.

Si l’on cherche à la lettre A des goûts personnels de Lydia Ainsworth, l’on trouve l’art baroque, Arvo Pärt et Ace of Base : un éclectisme qu’elle cultive sur son excellent premier album. Signée sur le label de Grimes, la Canadienne, formée à la musique de film et au violoncelle, élabore une pop onirique et expérimentale au cœur de laquelle samples vocaux et cordes s’entremêlent gracieusement, évoquant aussi bien les orchestrations de Kate Bush et de My Brightest Diamond que les mélopées synthétiques de The Knife. É. V.

Sur la pochette, un dessin représente les trois membres du groupe réunis sous les traits d’une seule et unique personne. À la fois naïf et tordu, ce portrait résume bien la quête d’hybridation du trio de Sydney signé sur le label de Flume : organiser la rencontre des machines et du chant, organiquement. Les guitares ont une consistance live, mais sont jouées au synthé, tandis que les paroles angoissées sont déclamées par le batteur de manière mécanique, façonnant d’hypnotiques hymnes suaves aux accents new wave. É. V.

(Fat Cat/Differ-Ant)

RHAPSODE

(Arbutus)

SWEET SIXTEEN

(Future Classics)

AQUARIUS

de Forever Pavot

de Sixtine

de Tinashe

Après Orval Carlos Sibelius, Dorian Pimpernel ou Moodoïd, Émile Sornin, sous l’incarnation Forever Pavot (il fut un temps Arun Tazieff), est le dernier thuriféraire d’un revival psychédélique à la française (The Zombies ou White Noise, mâtinés de Francis Laï ou de François de Roubaix, posés sur les bandes du studio d’Aquaserge, ses frères de cœur). Farfisa, Mellotron, flûtes et basses rondes font échos vibratiles aux mélodies lointaines, en cinémascope opiacé, pas très loin des glorieux aînés Broadcast ou Stereolab. W. P.

Couple à la ville, duo sur le dancefloor, Mélanie, violoniste et chanteuse mutine, moins rockeuse de diamants qu’égérie disco, et Éric Chédeville, alias Rico the Wizard, producteur et fondateur du label Crydamoure avec Guy-Manuel de Homem-Christo (Daft Punk), distillent ici leurs chansons d’amour super produites en Gainsbourg-Birkin modernistes : mélodies soignées, alambics electro-disco eighties (dans la lignée de Cerrone, d’Amanda Lear ou d’Imagination), arpèges de clavecin, plaisirs synthétiques. Press start. W. P.

À 21 ans, Tinashe a déjà chanté dans un girl group (The Stunners), obtenu sa ceinture noire de taekwondo, joué en première partie de Justin Bieber et sorti trois mixtapes remarquées. Sur son premier album, la Californienne n’a rien laissé au hasard : entourée de la crème de la production hip-hop/soul (Boi-1da, DJ Mustard, Mike WiLL-Made-It, Dev Hynes, Stargate…) et du rap contemporain (ScHoolboy Q, Future…), la diva distille un cloud R’n’B lascif, liquide et sophistiqué, héritier d’Aaliyah. É. V.

(Born Bad)

(Zadig & Voltaire Music/Columbia)

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(RCA/Sony)


cultures MUSIQUE

agenda ©boettcher

Par E. Z.

ELECTRO

Kraftwerk PAR ETAÏNN ZWER

Les pionniers allemands de la musique électronique invitent leur pop robotique à la nouvelle Fondation Louis Vuitton pour une rétrospective live et maousse consacrée à huit albums mythiques de leur discographie. Düsseldorf, 1974. Reniant leurs débuts krautrock, Ralf Hütter et Florian Schneider lâchent Autobahn et son titre iconique – vingt-deux minutes de transe motorik propulsant Kraftwerk (désormais un quatuor) sur l’autoroute du succès. Suivront Radio-Activity, le mélancolique Trans-Europe Express, The ManMachine, Computer World ou encore Techno Pop. Entre synthétiseurs et boîtes à rythmes, voix passées au vocodeur, esthétique radicale et mantra technologique bardé de logotypes et d’androïdes, le groupe rêvait d’une ère digitale acoquinant l’ordinateur et le vivant. Visionnaire, sa musique lovée entre tubes et avant-garde a métamorphosé la pop mondiale, de la techno à l’euro disco. Et si le groupe n’a pas publié d’album enregistré en studio depuis Tour de France (2003), il n’a cessé de jouer les guest-stars dans les meilleurs festivals, avant d’entamer en 2012 l’odyssée « KRAFTWERK – LE CATALOGUE 1 2 3 4 5 6 7 8 », série de huit concerts-performances au cours desquels il revisite huit chefs-d’œuvre de son répertoire. Après New York, Londres et Sydney, c’est à Paris, à la Fondation Louis Vuitton, fraîchement inaugurée, que Kraftwerk fêtera les 40 ans d’Autobahn. Le vaisseau de verre élaboré par l’architecte Franck Gehry devrait offrir un écrin calibré aux robots-boys figés derrière leurs ordinateurs portables/pupitres, qui usineront leur SF synthétique dans un show croisant mixes inédits et animations 3D. Une œuvre d’art totale et un voyage rétrofuturiste grisant pour célébrer les noces de l’homme et de la machine. du 6 au 14 novembre à la Fondation Louis Vuitton

DU 11 AU 16 NOV.

LE 29 NOV.

FESTIVAL LES INROCKS Lykke Li, Damon Albarn, le crooner Chet Faker, le génie Baxter Dury, Cassius, The Shoes, Moodoïd et sa pop psyché, les sœurs jumelles Ibeyi – ensorcelantes – ou la poésie electro de The Acid : entre bobines incontournables et nouvelles têtes sémillantes, cette 27e édition s’annonce jouissive en diable.

MARATHON IMPULSE! Le pape de la techno de Detroit Carl Craig, l’electronica de Nathan Fake, Atom TM, Cabaret Contemporain avec les chanteuses Isabel Sörling et Linda Oláh, le duo HeptaTonia… le must de l’electro expérimentale actuelle célèbre les géants de la musique répétitive (de Steve Reich à György Ligeti) lors d’une ahurissante séance de transe collective.

au Casino de Paris, à La Cigale, au Showcase et à La Boule Noire

DU 18 au 23 NOV.

LE 1 ER DÉC.

BLUE NOTE FESTIVAL Pour ses 75 ans, le légendaire label de jazz flambe et s’offre le dandy Gregory Porter, Marcus Miller, le virtuose Robert Glasper, des concerts hommages dans les meilleurs clubs de jazz de la capitale et une soirée dancefloor avec notamment Aufgang, Theo Parrish et la Tap Water Jam.

SHARON VAN ETTEN Folk-rock tamisé, chansons intimistes et émotions éraillées : petite sœur de Cat Power et de PJ Harvey révélée avec le sublime Tramp (2012), la New-Yorkaise, darling de la scène indé, signe Are We There, quatrième opus au spleen bouleversant, livré dans une formule live délicatement tourmentée. Envoûtant.

à l’Olympia, à La Gaîté Lyrique, au Sunset, au Baiser salé et au Duc des Lombards

LE 21 NOV.

LA BLUE ORIGIN Avec la folie des nuits berlinoises en tête et un immense terrain de jeu de 3 500 m2, ce nouveau rendez-vous techno convie l’as de la rave Popof, les salves mélodiques de Julian Jeweil, Joren et sa house groovy, le prodige livournais Ilario Alicante et l’Américain Troy Pierce pour une nuit acide en forme de « rêve-party ». au Dock Pullman (Saint-Denis)

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à La Gaîté Lyrique

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à La Maroquinerie

DU 1 ER AU 4 DÉC.

NØ FØRMAT ! 10 ANS Indé et fier, le label aux moult pépites (le Solo Piano de Gonzales, les deux albums de Mélissa Laveaux…) fête son dixième anniversaire avec panache et en excellente compagnie : le prodige de la pop brésilienne Lucas Santtana, le barde folk Piers Faccini en duo avec le violoncelliste Vincent Segal, le griot Kassé Mady Diabaté... au Café de la Danse


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cultures KIDS

CINÉMA

De la neige pour Noël

Plus réaliste qu’un dessin animé, mais encore bien éloigné du cinéma en prise de vue réelle, le film d’animation en volume De la neige pour Noël a poussé Élise à s’interroger sur ce qui caractérise une fiction cinématographique. Rien de moins ! PROPOS RECUEILLIS PAR JULIEN DUPUY

Le petit papier

d’ Élise, 6 ans

« C’est l’histoire d’un inventeur-­ réparateur qui fabrique une machine à faire de la neige. Cet inventeur a adopté deux animaux : un hérisson peureux – et très gentil – et un corbeau (ou un canard, ou un manchot, je ne sais pas trop) qui est sympa mais très critique. Dans le film il y a aussi un bêta qui fait un journal. Le bêta est fâché parce qu’il n’y a pas de neige, alors qu’il n’arrête pas de dire dans son journal qu’il y en a. Alors il vole la machine, et les catastrophes arrivent. Les personnages ne ressemblent pas à la vérité, mais le village, lui, oui. Les personnages sont un peu faits comme s’ils étaient des humains. D’ailleurs, le film est fait par

des humains : ça s’appelle un « acteur ». L’acteur fait jouer les personnages. Il les fait bouger avec ses mains, il les fait parler. Mais dans le film, l’acteur disparaît, et il ne reste plus que le personnage ! De la neige pour Noël est un petit peu mieux que La Reine des neiges, parce que c’est plus original : il y a des machines à neige et d’autres trucs que l’on ne voit pas dans les autres films. » De la neige pour Noël de Rasmus A. Sivertsen Animation Distribution : Les Films du Préau Durée : 1h16 Sortie le 26 novembre Dès 4 ans

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l’avis du grand Même si elle est méconnue en France, il existe bel et bien une petite tradition du cinéma d’animation en volume (des objets filmés en image par image) dans les pays nordiques. De la neige pour Noël est ainsi à la fois une adaptation de l’œuvre de l’écrivain et illustrateur Kjell Aukrust (sorte de Benjamin Rabier local) et une suite tardive à un autre film d’animation en volume, Grand Prix Pignon-surRoc, qui, à sa sortie en 1975, remporta un succès historique dans son pays d’origine, la Norvège. Conçu avec un soin maniaque et avec un recours minime aux technologies numériques, De la neige pour Noël est un petit bijou d’artisanat cinématographique savoureusement anachronique, un film de poupées ciselé dans ses moindres détails qui procure un plaisir quasi tactile. J. D.


Grizzly PAR CHLOÉ BEAUMONT

Après le succès de ses documentaires consacrés aux chimpanzés et aux félins, le label Disneynature s’attaque cette fois-ci aux ours. De leur naissance dans les montagnes enneigées d’Alaska à leurs premiers saumons pêchés, on suit avec plaisir la première année de vie des oursons Amber et Scout en compagnie de leur maman Sky. Mais le film expose rapidement une fatalité : la plupart des oursons meurent avant d’avoir pu atteindre le terme de leur première année. L’objectif, pour Sky, sera alors de trouver suffisamment à manger et de protéger ses petits de leurs prédateurs, grizzlys solitaires et loups. Sans occulter la cruauté du monde sauvage, ce film familial met en avant la beauté et la drôlerie de ces animaux dans des paysages alaskiens splendides. d’Alastair Fothergill et Keith Scholey Documentaire Distribution : Walt Disney Durée : 1h18 Sortie le 5 novembre Dès 6 ans

et aussi PAR CHLOÉ BEAUMONT

CINÉMA

CINÉMA

Les Merveilleux Contes de la neige regroupent deux films anglais : L’Ours et Le Bonhomme de neige et le Petit Chien. Le premier suit les aventures d’une petite fille et d’un ours blanc loin de chez lui, le second raconte le chagrin d’un petit garçon suite à la mort de son chien… Dessinés au crayon, ces films d’animation, joyeux et émouvants, sont parfaits à l’approche de Noël. LES MERVEILLEUX CONTES DE LA NEIGE de Hilary Audus Animation Distribution : KMBO Durée : 50min Sortie le 19 novembre Dès 3 ans

Trois courts métrages d’animation autour du jouet. Soit un hommage amusant au génie de Bruce Lee via une figurine à son effigie (Le Petit Dragon), le sympathique parcours de deux jouets avec un défaut de fabrication (Macropolis) et les retrouvailles avec les héros de la série belge Panique au village, diffusée sur Canal+ en 2003, dans un épisode de Noël délirant (La Bûche de Noël). PANIQUE CHEZ LES JOUETS Collectif Animation Distribution : Gebeka Films Durée : 42min Sortie le 26 novembre Dès 6 ans


cultures LIVRES / BD

Gabin, Ventura, Delon… essai

Les légendes du polar Philippe Durant revisite l’âge d’or du polar français des années 1970, du Clan des Siciliens à Série Noire. Une mine d’or. Avis aux cinéphiles ! PAR BERNARD QUIRINY

Ne vous laissez pas abuser par le titre choisi par l’auteur (à moins qu’il ne lui ait été imposé par l’éditeur) : Gabin, Ventura, Delon… Les légendes du polar n’est pas un livre sur les monstres sacrés d’un certain cinéma (dont Durant est cependant un spécialiste, lui à qui l’on doit notamment des bios de Belmondo et d’Audiard), mais un panorama érudit du polar français des années 1970, décennie charnière durant laquelle le film policier hexagonal trace son sillon dans une relation d’attirance-répulsion avec le modèle américain. José Giovanni, Francis Girod, Jean-Pierre Melville, Pierre Granier-Deferre, Jacques Deray et d’autres (côté réalisateurs), Montand, Gabin, Delon, Belmondo, Dewaere, Noiret ou Signoret (côté acteurs), font les belles heures d’un genre qui, à travers les thèmes qu’il aborde et la dimension sociologique de ses personnages, révèle tout un pan de la France des Trente Glorieuses. Philippe Durant, qui connaît chaque scénario sur le bout des doigts et possède des centaines d’anecdotes en réserve, explique ainsi comment les voyous d’après-guerre sont remplacés par une génération nouvelle aux mœurs plus rudes (voyez le duel Delon-Gabin dans Le Clan des Siciliens), comment le casse devient une figure obligée des scénarios (Le Cercle rouge, Un flic), comment

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la France rivalise avec l’Amérique dans les scènes de course-­poursuite (Peur sur la ville et sa traque dans le métro), comment les scénaristes puisent dans les faits d’actualité (Le Juge Fayard dit le Shériff ) et comment les vedettes se rangent du côté de la loi en passant des rôles de voyous aux rôles de flics. Le polar des années 1970 se veut aussi politique : on dénonce la corruption, les coups de main du pouvoir, l’inertie des hiérarchies ; Yves Boisset ou Claude Chabrol donneront ses lettres de noblesse au sous-genre du polar pamphlet, encourant plus souvent qu’à leur tour les foudres de la Place Beauvau, qui s’échine par exemple à gêner le tournage de L’Attentat. Bourré d’informations, nourri de témoignages, ce livre passionnant, malgré une édition un peu bâclée (pas d’index, des citations non sourcées…), est plus qu’un must have pour cinéphiles fanatiques : au-delà des coulisses du milieu (producteurs, distributeurs), c’est une plongée historique et sociologique dans la France d’hier qui prouve que le cinéma en dit aussi long sur son époque que tous les livres d’histoire réunis. Gabin, Ventura, Delon… Les légendes du polar de Philippe Durant (Sonatine Éditions)

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sélection Par b. q.

de Cécile Guilbert

LA BOÎTE À LETTRES

L’ÉLEVAGE DES ENFANTS d’Emmanuel

« N’est-ce pas que tu m’aimes ? N’est-ce pas que je te suis nécessaire ? N’est-ce pas que ta vie est attachée à la mienne comme la mienne à toi ? » Ils sont émouvants, ces mots de Juliette Drouet à Victor Hugo en 1851. Et plus encore quand on lit la lettre originale, avec sa graphie tourmentée, véloce, ailée… Cécile Guilbert a réuni les reproductions de trente-cinq missives dans ce beau-livre qui traverse trois siècles d’histoire littéraire, de la marquise de Sévigné à Giroud et Sartre.

« Élever un enfant est une tâche tellement compliquée que Dieu lui-même n’en a eu qu’un seul. » De la première échographie aux résultats du bac, les auteurs de ce petit guide décrivent par le menu les épreuves réservées aux parents, avec un humour noir et flegmatique digne des maîtres anglo-saxons. Trois gags sur quatre sont vraiment drôles, ce qui est un ratio exceptionnel. En prime, des illustrations signées Florence Cestac, Grand prix de la ville d’Angoulême.

RIEN N’EST FINI, TOUT COMMENCE

Collectif

Compagnon de route de Debord, auteur du célèbre Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Raoul Vaneigem retrace son parcours dans ce long entretien avec le patron des éditions Allia, de l’enfance belge à Lessines jusqu’aux « années de rêve » autour de 1968. Tout le tableau d’une époque, assorti d’une foule de reproductions et documents (photos, lettres, affiches, fac-similés, etc.) qui font de ce témoignage un authentique livre d’histoire vivante.

Avec son titre emprunté au mot d’ordre des pèlerins de Compostelle (« Ultrëia & Suseïa », « plus loin, plus haut »), ce nouveau mook (revue-livre) s’intéresse à la vie de l’esprit sous toutes ses formes, philosophie, spiritualité, sagesses anciennes ou lointaines. Le sommaire de ce premier numéro propose des papiers sur René Guénon et sur Simone Weil, un entretien avec Pierre Rabhi et un porfolio sur le monastère de Yachen, au Tibet. Maquette classieuse, articles fouillés : un coup d’essai de belle facture.

(Robert Laffont)

de Gérard Berréby et Raoul Vaneigem (Allia)

Prelle & Emmanuel Vincenot (Wombat)

ULTREÏA !

(Éditions Hozhoni)


cultures LIVRES / BD

BANDE DESSINÉE

Ulysse

Les chants du retour

sélection

PAR STÉPHANE BEAUJEAN

par s. b.

FIGHTING AMERICAN

d’Antonio Altariba et Keko

Les éditions Neofelis ressuscitent le premier super-combattant anticommuniste du comic book. Fighting American, donc, fut conçu en 1954 par les créateurs de Captain America pour incarner le nouvel étendard des États-Unis en lutte contre les menaces extérieures. Mais le récit tourne à la satire dès le second épisode, en réaction aux attaques de McCarthy contre l’armée. Un vestige aussi kitsch que beau.

L’utilisation ingénieuse du noir et du rouge sert à merveille l’écriture d’Antonio Altariba, ce scénariste qui – c’est suffisamment rare pour être mentionné – articule toujours sa narration avec des dispositifs graphiques et symboliques pertinents. Subtil de bout en bout, Moi, assassin réussit là où la série télévisée Dexter échouait : retranscrire l’ambiguïté d’un assassin conscient de ses pulsions et qui essaie de les sublimer.

(Neofelis Éditions)

Jean Harambat est pétri de littérature et de voyage. Il évoquait déjà ses deux amours dans son précédent livre, En même temps que la jeunesse, l’histoire de son périple à travers le monde pour tenter une carrière de rugbyman semi-­professionnel. Avec Ulysse. Les chants du retour, il s’appuie sur la dernière partie de L’Odyssée d’Homère pour sonder l’écho que trouve ce mythe dans notre société, hanté par une question : « Que nous apprennent ces vieilles paraboles sur le monde moderne, des siècles après leur création ? » Le récit du retour d’Ulysse à Ithaque se voit ainsi régulièrement entrecoupé de parenthèses à l’intérieur desquelles des contemporains – une philosophe helléniste (Jacqueline de Romilly), un historien spécialiste des mythes (Jean-Pierre Vernant), mais également un ancien otage au Liban (Jean-Paul Kauffmann), le responsable de la bibliothèque d’Ithaque, quelques habitants – prennent la parole pour évoquer la relation qu’ils entretiennent avec le héros grec, toujours avec beaucoup d’émotion et d’humour. Par-delà la littérature et le voyage, cet essai polyphonique cultive surtout des motifs intimes, des angoisses autour des notions d’exil et d’identité. Le retour est-il possible après un si long et éprouvant voyage ? À mesure qu’Ulysse affronte les épreuves qui lui permettent de regagner sa vie d’avant, que les victoires le réinvestissent un peu plus de son identité, le doute s’installe. Dans les dernières pages, Ulysse redevenu roi rejoint sa couche, tandis que, de nos jours, la bibliothèque d’Ithaque annonce sa fermeture. La magnifique édition de L’Odyssée que l’institution avait acquise trente ans auparavant n’aura jamais connu d’emprunts. Certaines victoires ne sont en fait que des défaites. Ulysse. Les chants du retour de Jean Harambat (Actes Sud BD)

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MOI, ASSASSIN

de Joe Simon et Jack Kirby

AÂMA. T.4

de Frederik Peeters (Gallimard)

Frederik Peeters pose le point final de cette formidable épopée de science-fiction, l’une des rares réussites de récit de genre franco-belge de ces dernières années. Le dernier volume ose même une rupture de ton et d’esthétique pour installer le lecteur derrière le regard d’un humain en mutation au moment où celui-ci dépasse sa condition. Katsuhiro Ōtomo et son Akira ne sont pas loin.

novembre 2014

(Denoël Graphic)

CRUELTY TO ANIMALS

de Vivien Le Jeune Durhin (Les Requins Marteaux)

Pour les amateurs de mauvais goût, ce manuel didactique propose, à la manière d’une notice de montage de meuble, moult manières de torturer les animaux avec un sadisme adapté à leur morphologie (clouer une chauve-souris au mur, par exemple). La froideur clinique ajoute au charme de cet ouvrage, qui a déjà commencé à provoquer l’ire des associations de défense des animaux.


cultures SÉRIES

REDIfFUSION

L’Hôpital et ses fantômes En 1994, Lars von Trier s’introduisait dans le salon des Danois pour se jouer des bienséances le temps des deux saisons de L’Hôpital et ses fantômes. Une série inclassable, aussi tordue que tordante, rediffusée en novembre sur Arte.

© eric kress

© amc

PAR GUILLAUME REGOURD

LE CAMÉO JON HAMM DANS BLACK MIRROR

La nouvelle du retour de David Lynch à Twin Peaks (sur Showtime en 2016) a totalement éclipsé celle, annoncée un peu plus tôt, du retour à la télé de Lars von Trier. Le cinéaste a commencé l’écriture de The House That Jack Built, un projet des plus mystérieux pour DR, l’opérateur public danois. Là-même où, il y a vingt ans, il secouait le monde feutré des séries avec L’Hôpital et ses fantômes, son Twin Peaks à lui. Justement, Arte reprogramme ladite série ; l’occasion de constater que, sorti de son affreux générique clipé, Riget (comme on dit en V.O.) tient admirablement bien le coup. Quand le tournage débute en 1994 à

Copenhague, Lars von Trier a 38 ans et déjà une appétence marquée pour l’outrance. Il pervertit ici le soap opera hospitalier type Urgences pour le faire basculer dans la farce macabre. Il faut voir le réalisateur intervenir à chaque fin d’épisode, jubilant comme un gosse fier de sa blague. Qu’une télé publique européenne ait pu financer un spectacle d’un tel mauvais goût revendiqué et chargé d’une telle énergie punk ressemble aujourd’hui encore à un miracle ; et met en perspective les récentes réussites danoises telles que Borgen. L’Hôpital et ses fantômes sur Arte

© canal+ ; nrk jon anton brekne ; ocs

sélection ENGRENAGES La meilleure série policière française revient après une longue attente. Corps retrouvés dans le canal de l’Ourcq, grand banditisme, gangs de filles… L’ambiance sera comme d’habitude poisseuse, mais on serait prêt à suivre la capitaine Berthaud, Gilou ou le juge Roban dans les recoins les plus hostiles de ce fascinant Paris interlope. S5 Sur Canal+

Dans quelques mois, Jon Hamm devra se réinventer définitivement après sept saisons de Mad Men. Le comédien prépare la suite depuis un moment déjà et s’est essayé à d’autres registres, au cinéma (The Town, Mes meilleures amies) ou à la télé (30 Rock). Il s’est même amusé deux saisons durant dans la série britannique A Young Doctor’s Notebook. C’est à nouveau outre-Manche qu’on le retrouvera en décembre prochain dans un épisode de Noël de l’anthologie Black Mirror, pour un rôle qu’on nous annonce très surprenant. Il y a une vie après Don Draper. G. R.

Par G. R.

MAMMON Présenté au dernier festival Séries Mania comme emblématique d’une vague de thrillers nordiques qui ne se tarit pas, la série norvégienne Mammon témoigne d’un savoir-faire indéniable en matière de suspense. Mais son intrigue (un journaliste pris dans une machination) sent un peu trop l’opportunisme post-Millénium. Sur Jimmy

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OLIVE KITTERIDGE Et une mini-série de prestige de plus pour HBO. Cette adaptation du roman d’Elizabeth Strout, prix Pulitzer 2009, suit quelques habitants d’une petite ville pendant vingt-cinq ans. Lisa Cholodenko (Tout va bien ! The Kids Are All Right) derrière la caméra, Tom Hanks à la production et Frances McDormand en prof de maths : l’appât à Emmy Awards est en place. Sur OCS en US+24


cultures SPECTACLES

DANSE

bal.exe PAR ÈVE BEAUVALLET

agenda PAR È. B.

© thomas bohl

Carolyn Carlson Engagée depuis quatre décennies dans l’invention d’une « poésie visuelle », Carolyn Carlson présente Now, nouvelle création fidèlement mise en musique par René Aubry et animée par la pensée de Gaston Bachelard sur « l’immensité intime ». L’occasion de (re)découvrir son univers onirique.

jusqu’au 15 novembre au Nouveau Théâtre de Montreuil, le 19 novembre à la Maison des Arts de Créteil (Festival Kalypso)

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au Théâtre de la Cité internationale (Festival d’Automne à Paris)

DU 7 NOV. AU 14 DÉC.

au Théâtre national de Chaillot

DU 18 AU 26 NOV.

GUILLAUME VINCENT & FRÉDÉRIC VERRIÈRES Après avoir fantasmé sur scène autour du film de John Cassavetes Opening Night (1977) dans le très cinégénique The Second Woman, le metteur en scène Guillaume Vincent et le musicien Frédéric Verrières explorent, distordent et réinventent ensemble La Bohème de Puccini dans Mimi, spectacle dans lequel résonne la troublante voix de Camelia Jordana.

au Théâtre des Bouffes du Nord

DU 24 NOV. AU 13 DÉC.

PHILIPPE QUESNE Pour Next Day, le tout nouveau directeur du Théâtre des Amandiers a réuni sur scène une petite communauté de préadolescents musiciens (entre 7 et 11 ans) dont il nous invite à observer, comme au microscope, le mode de vie, les interactions, l’indiscipline… et les rêves : « Et si l’on formait une école de super-héros pour sauver la planète ? » proposent-ils.

au Théâtre des Amandiers (Nanterre) (Festival d’Automne à Paris)

TOUS LES JEUDIS

© d.r.

Longtemps (trop !), les spectacles de danse hip-hop ont surfé sur un unique principe narratif : raconter l’émancipation via le break, la vie des cités via les « danses debout »… Au point que l’on s’est parfois demandé si cette discipline, en plein boum sur les scènes labellisées, réussirait à se libérer des scénarios moralisants et d’un symbolisme souvent mièvre. Aujourd’hui, la chorégraphe qui, plus que les autres, nous rassure et nous surprend s’appelle Anne Nguyen, et son discours prend largement à rebours la doxa du hip-hop institutionnel : « Ce systématisme m’agace beaucoup », confie celle qui, depuis quelques années, s’attache à disséquer le vocabulaire de sa discipline via des jeux abstraits de construction et de déconstruction. Anne Nguyen envisage la danse hip-hop comme « un art martial contemporain ». Une danse de résistance, oui, mais moins de résistance à l’oppression sociale qu’à l’environnement urbain, aux données architecturales que le corps cherche alors à sublimer (vitesse, formes angulaires, massivité, ancrage au sol) : « J’imite la ville et ses cubes pour mieux les posséder », écrit-elle, dans un formidable texte intitulé Manuel du guerrier de la ville. Sa réflexion l’a conduite à la création de bal. exe, un « bal mécanique sur musique de chambre » pour lequel elle met au point un nouveau style de danse, le « looping pop », expression hybride entre les danses de salon et le popping. « Un des principaux défis est de faire interagir des danseurs qui, habituellement, ne se touchent jamais. » L’histoire, sur scène, de couples de danseurs qui échouent à se rencontrer, prenant à rebours la sensualité des danses de couple pour imposer la vision d’un corps contemporain mécanique et tragiquement « empêché ».

des circonvolutions poétiques les plus insolites – qui a triomphé avec Le Crocodile trompeur / Didon et Enée – n’en invente un dans le très attendu Goût du faux et autres chansons.

© martin argyroglo

JUSQU’AU 16 NOV.

Jeanne Candel Le lien entre Les Métamorphoses d’Ovide, le renouvellement des cellules, le baroque et les Monthy Python ? Aucun. Avant que Jeanne Candel, spécialiste des associations d’images et

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KEE-YOON Elle affirme avoir la « présence scénique d’un tiroir ». Pourtant, cette ancienne avocate cartonne avec Jaune bonbon, un show qui (comme semble le vouloir le stand-up, décidément) surfe largement mais brillamment sur les anecdotes liées à son origine (coréenne).

au studio Marie-Belle (Théâtre du Gymnase)


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cultures ARTS

EXPOSITION

Garry Winogrand

agenda

PAR LÉA CHAUVEL-LÉVY

Garry Winogrand, Los Angeles, 1980 - 1983

Pour proposer un panorama de la création du très prolifique photographe Garry Winogrand (1924-1984), Leo Rubinfien, le principal commissaire de l’exposition qui se tient au Jeu de Paume, s’est retrouvé face à une nuée de tirages, près de cinq cents mille… Le résultat, époustouflant et limpide, ne laisse rien paraître de la difficulté de cette laborieuse sélection. L’Amérique en noir et blanc, des années 1950 aux années 1980, défile sous nos yeux, comme un personnage à part entière. Newyorkais à ses débuts, et plus tard texan et californien. Tantôt décadent, tantôt glorieux. Un pied dans l’après-guerre, l’autre dans les affres du choc pétrolier ou de la guerre du Viêt Nam. Mais, prospères ou funestes, les sujets chez lui sont invariablement beaux. Toute photographie de Winogrand réduit le réel à son brouillon. Tout sujet, même vilain, acquiert sous son objectif une grâce implacable ; comme ce shérif qui traverse la chaussée et semble danser, cette femme dont le talon aiguille épouse le trottoir dans une discrète caresse… Winogrand parle lui-même de « ballet » lorsqu’il évoque la rue, son terrain de jeu, où les humains semblent exécuter une chorégraphie. Aucune volonté pourtant d’esthétiser le monde… Décadrage, inclinaison, il défie l’horizontalité pour rendre le vertige et le foisonnement d’une vie dans laquelle les mondains ont autant de place que les plus modestes. Une vie peuplée de femmes, toutes sensuelles, et dont le grain de peau semble affleurer jusqu’à la surface de la pellicule. Photographe de commande pour les magazines de papier glacé, il savait comment la lumière flattait une silhouette, mais il n’a jamais été aussi bon que sur le bitume, plié en deux pour saisir le monde sur le vif, libre et assoiffé de mouvement. jusqu’au 2 février au Jeu de Paume

JUSQU’AU 13 DÉC.

JUSQU’AU 26 JANV.

ISMAÏL BAHRI Ismaïl Bahri présente ici des films réalisés dans le cadre de sa résidence au sein de la Fabrique Phantom (rattachée à l’espace Khiasma). Explorant un seuil limite de perception, ses vidéos jalonnent un parcours oscillant entre apparitions et disparitions, au gré des forces et des formes (in)visibles en présence.

DELPHINE GIGOUX-MARTIN Il y a quelques mois, Abraham Poincheval s’était littéralement glissé « (Dans la peau de) l’ours », puisqu’il avait élu domicile durant treize jours et treize nuits à l’intérieur d’une sculpture du mammifère placée dans les galeries du musée de la Chasse et de la Nature. Aujourd’hui, avec « Comment déguster un phénix », c’est au tour de Delphine Gigoux-Martin d’y installer un taureau camarguais naturalisé qui contient tout le nécessaire pour faire ripaille lors de « performances-dînatoires » concoctées par un chef.

à l’espace Khiasma (Les Lilas)

JUSQU’AU 4 JANV.

Ségolène Haehnsen Kan, Vendredi, 2014 POSSIBLES D’UN MONDE FRAGMENTÉ Après une escapade au Centquatre l’an dernier, l’exposition annuelle des félicités des Beaux-Arts rentre au bercail et présente les œuvres des dix-huit étudiants distingués en 2013.

à l’École nationale supérieure des beaux-arts

DU 27 NOV. AU 10 JANV.

MEL O’CALLAGHAN Ouverte en septembre 2013, cette petite galerie est dirigée par deux Australiens, le commissaire d’exposition Joseph Allen et l’artiste Mel O’Callaghan. En cette fin d’année, ce dernier y montre son travail dans lequel les motifs de la répétition et de l’effort physique, métaphore de l’absurdité de la vie quotidienne, nous projettent dans un état limite, générateur de changements. à la galerie Allen

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novembre 2014

au musée de la Chasse et de la Nature

JUSQU’AU 8 FÉV.

© 1972, babette mangolte (tous droits réservés)

© the estate of garry winogrand, courtesy fraenkel gallery, san francisco

PAR ANNE-LOU VICENTE

Yvonne Rainer, Lives of Performers, 1972 LIVES OF PERFORMERS Derrière ce titre, repris du premier long métrage réalisé par Yvonne Rainer en 1972, se cache une exposition collective qui entend faire dialoguer un ensemble de films et une sélection d’archives de la danseuse, chorégraphe et cinéaste américaine avec les œuvres de plasticiens et de performeurs contemporains qui questionnent la notion de live et les enjeux de la performativité dans l’art. à La Ferme du Buisson (Noisiel)


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cultures ARTS

Mayas EXPOSITION

Révélation d’un temps sans fin Passionnante exploration d’une civilisation extrêmement riche, l’exposition « Mayas. Révélation d’un temps sans fin », présentée au musée du quai Branly, dévoile quelque quatre cents œuvres d’une civilisation aux influences bien actuelles.

© musée du quai Branly, photo Gautier Deblonde

PAR LAURA PERTUY

Vue de l’exposition

Au temps qui s’égrène, les Mayas répondent par la création de la roue calendaire, outil de calcul d’une précision inouïe. À la mémoire d’une histoire qui se fane, ils ripostent avec une langue écrite qui les protège de l’oubli. Et aux visiteurs qui voudraient tout connaître de cette civilisation millénaire apparue au VIIe siècle avant J.-C., le musée du quai Branly réplique qu’il est inutile de vouloir tout en dire tant les pistes d’exploration sont nombreuses. C’est donc sur le pari d’une présentation thématique mais pertinente que s’appuie cette exposition. Les textes sont concis, repères discrets dans une série d’objets à couper le souffle, tandis que la scénographie, sobre, tranche avec la richesse des pièces exposées. Ici, une grenouille en or aux yeux de turquoise (900-1200 après J.-C.), issue de la célèbre cité de Chichén Itzá. Annonciatrice de la pluie, elle fait le lien avec l’infra­ monde et rappelle l’importance du règne animal censé symboliser un passage vers l’esprit des individus. Là, une figurine de vieillard (600-900 après J.-C.) fièrement installée dans une aracée bleue en céramique, fleur de laquelle émergeraient les dieux. Partout, les rites et la cosmogonie… Une poésie qui semble

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appartenir à une autre époque, mais qui s’inscrit toutefois dans une temporalité tout actuelle, car cette culture continue de vivre à travers les descendants des Mayas, locuteurs d’une des vingt-huit langues de cette civilisation. Si les cités archéologiques sont aujourd’hui en partie gagnées par la végétation, la plupart des œuvres présentées dans l’exposition (récipients, calendriers, figurines...) sont, elles, toujours vénérées par une population maya très dense (six millions de personnes environ). En se penchant sur la statuaire aux infimes détails, sur les masques aux couleurs pénétrantes ou sur les panneaux en granit qui figurent de folles scènes, on finit par dresser un tableau très personnel de la civilisation maya. Un lien intime qui semble nous dire que, dans leur recherche permanente d’harmonie et de beauté, les Mayas sont étonnamment proches de nous. Avec humilité, l’exposition souligne l’impossibilité de dresser un portrait exhaustif d’une civilisation au patrimoine incomparable, mais disperse des clés pour mieux l’appréhender à travers un parcours thématique et progressif. jusqu’au 8 février au musée du quai Branly

novembre 2014



cultures JEUX VIDÉO

SURVIE

Alien. Isolation

Quand un jeu vidéo revisite l’univers d’un film aussi culte qu’Alien, forcément, ça fait du bruit. Résultat : tout le monde peut nous entendre hurler dans notre salon. PAR YANN FRANÇOIS

L’EXPÉRIENCE DU MOIS D4

(Access Games/ Xbox One Kinect)

Le film de Ridley Scott n’a pas seulement révolutionné le cinéma SF ; il a aussi influencé tout un pan du jeu d’horreur, sans qu’aucune de ses transpositions vidéoludiques ne donne un résultat vraiment concluant. Désireux de rompre cette malédiction, Alien. Isolation a la bonne idée de situer son action entre le premier et le deuxième volet de la saga cinématographique. On y incarne Amanda, la fille d’Ellen Ripley, qui se rend dans une station spatiale aban­donnée pour les besoins d’une enquête sur la disparition de sa mère et qui tombe nez à nez avec un xénomorphe… Véritable travail d’orfèvre, la reproduction des décors et accessoires

du film est très réussie. L’effet, joliment rétrofuturiste, donne presque l’illusion de se balader sur le plateau du tournage. Mais ce retour aux fondamentaux n’est pas que décoratif, il détermine tout le jeu. Chassée par un alien qu’elle ne peut éliminer, mais qui lui peut la tuer à tout instant, Amanda doit faire corps avec l’espace et utiliser chaque recoin pour se cacher et tenter d’échapper au monstre. Alien. Isolation ressuscite ainsi le souvenir le plus traumatique du film de Ridley Scott : l’instinct de survie, primaire et viscéral, de la proie confrontée au prédateur le plus flippant au monde.  Alien. Isolation (Sega/PC, PS3, PS4, Xbox One, X360)

3 perles indés PIX THE CAT Pix the Cat s’attaque à deux gros morceaux : Pac-Man et Snake. Lâché dans un labyrinthe avec pour mission de sauver des canetons, son chat requiert une attention de tous les instants. Ce petit jeu français, construit comme une poupée russe (chaque niveau ouvre l’accès à un autre par un effet de mise en abyme), est un modèle de gameplay ciselé et compétitif. (Pasta Games/PS4, PS Vita)

Par Y. F.

ENDLESS LEGEND Chassant sur les terres de Civilization (mais un Civilization à la sauce SF), Endless Legend s’appuie sur un remarquable travail de composition (une des plus belles bandes-son entendues cette année) sans jamais renier sa dimension ultra maniaque de jeu de stratégie. Perdu dans l’espace-temps de son univers ésotérique, on ne compte plus les tours. (Amplitude Studios/PC)

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Que ceux qui ont remisé leur Kinect au placard lui donnent une dernière chance. À partir d’une histoire surréaliste de détective médium qui n’est pas sans rappeler les univers de Lost et de Twin Peaks, ce jeu japonais, entièrement praticable sous détecteur de mouvement, construit une investigation farfelue. Malgré sa folie et sa laideur visuelle (on s’y habitue vite), D4 a le grand mérite de proposer une nouvelle approche narrative dans laquelle notre corps se fait à la fois manette et plume du scénario. Y. F.

THE VANISHING OF ETHAN CARTER Errant au cœur d’un village minier abandonné, un détective aux pouvoirs paranormaux doit réunir les indices qui lui permettront de retrouver la trace d’Ethan Carter, un jeune écrivain disparu. Incroyable balade mystique, The Vanishing of Ethan Carter permet d’arpenter ébahi un décor majestueux dont on découvre, au fur et à mesure, le terrible passé. (The Astronauts/PC)


sélection par Y. F.

STYX. MASTER OF SHADOWS

SUPER SMASH BROS.

(Nintendo/3DS)

(Focus Home Interactive/ PC, XOne, PS4)

Depuis son premier épisode sur Gamecube, la recette de Super Smash Bros. n’a pas varié : faire s’affronter dans une arène un grand nombre de personnages phares de Nintendo et laisser la formule, forcément survoltée, opérer d’elle-même. Génial fourre-tout (Mario y côtoie la gymnaste de Wii Fit…), cet épisode 3DS, qui déborde de modes de jeu, de défis et de trésors à collecter, a des allures de corne d’abondance, mais n’a rien perdu de sa frénésie de bourre-pifs.

LA TERRE DU MILIEU. L’OMBRE DU MORDOR

THEATHRYTHM FINAL FANTASY. CURTAIN CALL

L’infiltration est devenue un genre aux règles strictes ; en atteste cette production française dans laquelle le joueur, pour progresser, doit faire preuve d’une totale discrétion. S’il s’adresse à un public expérimenté, ce jeu épate par la complexité de ses niveaux qui offrent d’innombrables opportunités tactiques. Avec son gobelin expert en subterfuges, Styx se révèle in fine comme un remarquable exercice de genre vendu à un prix plus qu’honnête.

(Warner Bros. Interactive/ PC, X360, XOne, PS3, PS4)

Dans ce spin-off inspiré de l’univers de Tolkien, le Mordor se transforme en un vaste monde ouvert dans lequel la chasse à l’orc est la seule activité possible. Mais, ultime coquetterie, en plus d’assassiner ses cibles de multiples façons, le héros peut fomenter complots et trahisons dans les rangs ennemis. Entre baston épique et machiavélisme opportun, L’Ombre du Mordor organise un immense et jouissif Risk shakespearien.

(Square Enix/3DS)

Transformer une saga du RPG japonais en jeu de rythme, il fallait vraiment le vouloir. Theathrythm Final Fantasy. Curtain Call est pourtant une franche réussite. Outre un répertoire étendu, il parvient à réunir sous un même gameplay le chef d’orchestre et le guerrier, chaque morceau illustrant un combat culte de la série à jouer en rythme. Plus qu’un pastiche musical, Curtain Call transforme Final Fantasy en une fresque lyrique sans fin.


cultures FOOD

SOLEIL LEVANT

Nippon neuf Shinichi Sato (Passage 53), seul chef japonais doublement étoilé en France, vient d’ouvrir son second Gyoza Bar, dans le Marais. C’est un bon prétexte pour découvrir la diversité de la cuisine japonaise, à travers quelques belles adresses parisiennes. PAR STÉPHANE MÉJANÈS

© d. r.

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KAISEKI

La réussite du chef Shinichi Sato et de Guillaume Guedj, son associé, est insolente. Lorsqu’ils se rencontrent, en 2009, l’un vient de quitter Mugaritz (**), en Espagne, après être passé chez Pascal Barbot (Astrance, ***, Paris) et chez Pierre Gagnaire (Hôtel Balzac, ***, Paris), l’autre a fait ses armes chez Hugo Desnoyer, le boucher de la rue Boulard (XIVe). Ensemble, ils créent Passage 53 et décrochent deux étoiles en deux ans. Là, Shinichi Sato pratique une cuisine française à peine réinventée. Mais un jour de 2011, au menu du « makanaï », le repas du personnel, il y a des gyōza : une pâte fine de farine de blé, une farce au porc haché, un ravioli grillé ou pas, à ne pas confondre avec le jiǎozi chinois,

le mandu coréen ou le bánh cuốn vietnamien. Déclic. L’idée d’ouvrir un comptoir à gyōza se fait jour. Le premier s’installe en 2012, en face du Passage 53. Il vient de se dédoubler dans le Marais. La recette ne change pas : farce au porc de Dordogne, poireau, gingembre et yuzukoshō (piment et zeste de yuzu), pâte ultra fine. Le tout à prix très doux : 7 € (8 pièces) ou 9 € (12 pièces). En prime, une nouveauté sucrée, le roll cake de Hironobu Fukano (Ciel – 3, rue Monge – Paris Ve), un angel cake roulé et aérien : vanille, thé matcha ou yuzu (5 €). Gyoza Bar 38, rue de Saintonge – Paris IIIe – Tél. : 01 42 71 15 34 56, passage des Panoramas – Paris IIe Tél. : 01 44 82 00 62

MAITRE OKUDA Au Japon, Toru Okuda détient cinq étoiles (trois plus deux) pour deux de ses trois restaurants tokyoïtes. Il est le maître de la cuisine kaiseki, la haute gastronomie à la japonaise, bien loin des izakaya, ces bars à saké où l’on sert des plats façon tapas. Toru Okuda présente son établissement parisien (sitôt ouvert, sitôt étoilé) comme une maison de thé traditionnelle. On y déguste des mets d’une délicatesse extrême, tel ce homard mi-cuit à la vinaigrette japonaise et pommes en gelée, après avoir dit « omakase » (« je m’en remets à vous »). S. M.

Menus : 150 € (midi), 220 € (soir) Okuda 7, rue de la Trémoille – Paris VIIIe Tél. : 01 40 70 19 19

Sushis, rāmen et donburi IZUMI Patrick Duval (Yuzu sushi bar – Nice) vient de reprendre l’Issé (45, rue de Richelieu – Paris Ier), mais c’est à Izumi qu’on le préfère, pour les sushis du chef Shunei Kimura. Oubliez le saumon, les trois grandes spécialités de la maison sont le thon gras, l’anguille et le wagyū. Avec un saké non filtré, s’il vous plaît. Menus à partir de 12,50 €. 55, boulevard des Batignolles – Paris VIIIe Tél. : 01 45 22 43 55

KOTTERI RAMEN NARITAKE Dans le rāmen, il y a des pâtes plongées dans un bouillon au poisson ou à la viande et assaisonnées au miso (prononcez « misso ») ou à la sauce soja. Chez Kotteri Ramen Naritake, on choisit son bouillon, plus ou moins gras (le gras, c’est le goût), et sa garniture, œuf poché, beurre, porc rôti ou ciboulette pimentée. À partir de 10 € le bol. 31, rue des Petits-Champs – Paris Ier Tél. : 01 42 86 03 83

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PAR S. M.

PECO PECO Ici, on fait dans le donburi, un grand bol de riz surmonté d’une garniture. Le chef Kenji Hoori aime varier les plaisirs. À la rentrée, on a pu voir sur l’ardoise : maquereau fumé et pleurotes, boulettes de bœuf et œuf mi-cuit, ou curry de légumes. À compléter avec la tarte au kabocha (potiron japonais) de Yoko. À partir de 8,50 €. Menu : 12,50 €. 47, rue Jean-Baptiste-Pigalle – Paris IXe Tél. : 01 53 16 19 84


cultures DESIGN

Fauteuil Ema Sao with armrests de Phillipe Starck

PERSONNALISATION

TOG

Un nouvel éditeur de meubles a vu le jour il y a peu, avec un concept pas comme les autres : inviter le client à participer au processus de création. Baptisé TOG, il ouvre au design de nouvelles perspectives qui devraient en inspirer plus d’un. PAR OSCAR DUBOŸ

TOG. Drôle de nom pour une marque de mobilier. Ces trois lettres cachent d’abord un message – « all creators TOGether » – et le concept qui lui est associé – un projet participatif dans lequel le client joue un rôle prépondérant qui va bien au-delà de sa simple qualité d’acheteur. Bien sûr, celui-ci peut, par exemple, choisir de peaufiner la couleur du canapé Santa Prince de Jonathan Bui Quang Da, mais il peut aller largement plus loin en customisant entièrement tel ou tel meuble signé Sebastian Bergne, Ambroise Maggiar ou Philippe Starck. Le catalogue propose des bases somme toute assez simples, fabriquées dans les règles de l’art en Italie, qui sont

personnalisables à l’envi ; il suffit d’ailleurs d’aller sur le site Internet de TOG pour avoir un aperçu du vaste champ des possibles. On y découvre comment façonner sa propre pièce, unique, tout en faisant appel aux ressources d’une communauté qui tisse un vrai lien entre tous les maillons de la chaîne de production : clients, designers et même industriels ou artisans… Et si vous voulez parer votre création de perles traditionnelles, pas de problème, TOG est prêt à aller au bout du monde pour trouver les tribus qui les produisent. disponible chez Silvera Outdoor 34, quai d’Austerlitz – Paris XIIIe www.togallcreatorstogether.com

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SHOOTING SPACE La couverture de ce très beau livre évoque le générique de Saul Bass pour La Mort aux trousses, mais les pages qui suivent dévoilent bien d’autres styles. On y reconnaît la patte de photographes comme Walter Niedermayr, Andreas Gursky, Thomas Ruff ou Filip Dujardin, qui tous ont su capter à leur façon une architecture moderniste, un bâtiment désaffecté ou un paysage urbain. Une démonstration probante du rôle central de la photographie dans la transmission visuelle de l’architecture. O. D. Shooting Space. Architecture in Contemporary Photography d’Elias Redstone (Phaidon)

ANNIVERSAIRE

© habitat

© nicole marnati

LIVRE

Gamme Parnasse Design Conran Group HABITAT A 50 ANS Pour fêter ce demi-siècle, la célèbre marque de mobilier a mis les bouchées doubles. En plus du livre anniversaire signé Serge Gleizes publié par les éditions du Chêne, elle s’est attaché trois collaborateurs de choix : son fondateur, sir Terence Conran, pour une gamme d’art de la table baptisée Parnasse ; le chef Thierry Marx, pour des ustensiles de cuisine ; et, surtout, l’architecte Robert Mallet-Stevens, dont les héritiers ont accepté la réédition de certains meubles. Rupture de stock assurée. O. D. www.habitat.fr


DE LA PHOTOGRAPHIE À PARIS

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LES BONS PLANS DE TIME OUT PARIS Une célèbre vue du boulevard du Temple signée Louis Daguerre et datée de 1838, dans le coin gauche de laquelle on distingue un quidam qui se fait cirer les chaussures sur un bout de trottoir, est généralement considérée comme la première photographie d’un être humain. Près de deux siècles après ce cliché fondateur, la capitale française demeure à bien des égards un des centres névralgiques de la création photographique : les musées déroulent le tapis rouge pour les maîtres de l’argentique, les galeries s’arrachent les talents émergents, le public se précipite aux multiples expositions… Le point sur quelques adresses à suivre de près.

JEU DE PAUME

Diane Arbus, Robert Frank, Erwin Blumenfeld, Ai Weiwei… Rares sont les monstres de la photo qui n’ont pas eu droit à leur exposition au Jeu de Paume. La spécialité de la maison : les grandes rétrospectives, alliées à des présentations de jeunes talents de la photo et de la vidéo.

Le photojournalisme est l’ADN de Polka, qui soutient Daidō Moriyama, Reza, Philippe Guionie ou Gilles Caron. Ici, l’image raconte des histoires vraies, souvent à caractère social ou politique. En prime, l’excellent Polka Magazine offre un parfait complément aux expositions.

1, place de la Concorde – Paris VIIIe

PAR TANIA BRIMSON

POLKA

12, rue Saint-Gilles – Paris IIIe

MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE

CABINET DE PHOTOGRAPHIE DU CENTRE POMPIDOU

FONDATION HENRI CARTIER-BRESSON

LES DOUCHES LA GALERIE

On ne présente plus la Maison européenne de la photographie, véritable pilier du huitième art à Paris. Située à deux pas du métro Saint-Paul, la MEP s’ouvre tant aux talents émergents qu’à des monuments de la photo comme Martin Parr, René Burri ou Françoise Huguier.

C’est tout nouveau. Depuis le 5 novembre, un espace de 200 m2 est entièrement consacré au fond photographique de Beaubourg. Trois expos, accessibles gratuitement, sont prévues chaque année ; à commencer par un hommage au surréaliste Jacques-André Boiffard.

Installée dans un ancien atelier de Montparnasse, la fondation présente trois expositions par an, consacrées pour la plupart à des héritiers ou des confrères du cofondateur de l’agence Magnum tels que Paul Strand, Saul Leiter, Walker Evans, Emmet Gowin ou William Eggleston.

Vivian Maier, Tom Arndt, Bruce Wrighton… De beaux bains de photographie sont à prendre dans cette galerie, installée depuis 2006 dans d’anciennes douches publiques. Un bel espace, situé à quelques encablures du canal Saint-Martin, et où l’image documentaire coule de source.

IN CAMERA

RUSSIANTEAROOM

VU’

LE BAL

Cette petite galerie du VIIe arrondissement porte un regard délicieusement éclectique sur la photographie. Du moderne au contemporain, du reportage à la photo humaniste, une chose est sûre : ici, il y a toujours du beau monde accroché aux murs, de Jerry Berndt à Jane Evelyn Atwood.

Créée en 2007, cette galerie accueillante et dynamique, originellement vouée à la photographie d’Europe de l’Est, a pris de l’envergure : nouvelle adresse (depuis 2011), nouvel espace (cinq fois plus grand), nouveaux horizons (Europe centrale, Asie)… et toujours des expositions qui sortent des clous.

Très internationale, cette agence de photographie qui se double d’une galerie s’inscrit parmi les références incontournables du courant post-documentaire. Du beau monde aux cimaises ces dernières années, notamment Anders Petersen, Vanessa Winship, Denis Darzacq ou Roger Ballen.

5-7, rue de Fourcy – Paris IVe

21, rue Las Cases – Paris VIIe

Place Georges-Pompidou – Paris IVe

42, rue de Volta – Paris IIIe

2, impasse Lebouis – Paris XIVe

58, rue Saint-Lazare – Paris IXe

5, rue Legouvé – Paris Xe

Ouvert en 2006 sous la tutelle de Raymond Depardon, Le Bal est devenu, en l’espace de quelques années, le temple parisien de l’image documentaire. Photo et vidéo y recensent le réel au fil d’expositions pointues consacrées notamment à Paul Graham, Chris Killip ou Antoine d’Agata.

6, impasse de la Défense – Paris XVIIIe

retrouvez toutes ces adresses sur www.timeout.fr

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L’EXPO DU MOIS PAR TIME OUT PARIS

John Smith

top 5 du mois par time out paris

1. ELECTRO Voilà un festival qui devrait faire date. Avec sa programmation aventureuse et pointue, Transient offre ce qui se fait de mieux dans le domaine des musiques électroniques et des arts numériques (Kangding Ray, Arovane, Fennesz…). Immanquable. Festival Transient, du 14 au 16 novembre à Mains d’Œuvres (Saint-Ouen)

© courtesy de l’artiste et de la galerie centre d’art contemporain, noisy-le-sec

2. RESTO Pas d’intégristes du légume dans ce délicieux restaurant bio : uniquement des amoureux de la nourriture saine réunis autour d’un bon syrah naturel et d’un excellent tajine aux lentilles et aux betteraves. Des assiettes composées avec soin, au gré des saisons, et proposées à des prix très raisonnables.

John Smith, Gargantuan, 1992

Réalisée entre 1976 et 2014, cette dizaine de films courts réunis dans une exposition intitulée « Le Baiser » révèle l’impressionnante palette de tons, de sujets et de techniques explorés par l’artiste anglais. Ce qui le démarque des autres réalisateurs de sa génération ? Les étincelles d’ironie et une certaine perspicacité qui traversent chaque séquence, déjouant les apparences, les a priori, les associations d’idées. Chez John Smith, rien n’est ce qu’il paraît. Un trou noir dans le ciel pourrait s’avérer la façade d’un immeuble meurtrier (The Black Tower), tandis que les proportions monstrueuses d’un reptile ne sont peut-être que le fruit d’un effet d’optique (Gargantuan). Qu’il nous montre que l’habit ne fait pas le moine bouddhiste (Om) ou que les matraques servent parfois à tracer des formes sur des feuilles de papier (Dad’s Stick), Smith prend toujours un malin plaisir à dénuder les trucages du cinéma. Et le plus beau, dans tout ça, c’est que les procédés qu’il utilise sont le plus souvent d’une simplicité désarmante. « Le Baiser » jusqu’au 13 décembre à La Galerie – Centre d’art contemporain (Noisy-le-Sec) du mardi au vendredi de 14h à 18h, le samedi de 14h à 19h, entrée libre http://www.timeout.fr/paris/art/john-smith-le-baiser

© nathalie baetens

LA BOUTIQUE

> Bazartherapy Pascal est architecte d’intérieur ; Emanuel, féru de mode. Ensemble, ils ont ouvert début septembre Bazartherapy, une boutique inspirée, dans la très vivante rue Beaurepaire : un royaume du cadeau pour petits et grands, destiné aux fans de gadgets autant qu’aux amateurs

de beaux objets. Vous trouverez ici de tout : des petites mignonneries japonisantes, du parfum italien, des clés USB en forme de lapin, de la craie pour dessiner sur le sol, une bonbonnière en cristal, et même des couverts en bambou – les rayons comptent pas moins de douze mille références, c’est dire si l’offre est pléthorique. Le plafond a été repeint par le grapheur Dourone, et le petit mobilier, personnalisé par Ich&Kar. Une caution artistique qui va comme un gant à cette caverne d’Ali Baba, pleine de charmes, dans laquelle chacun est sûr de trouver son bonheur. 15, rue Beaurepaire – Paris Xe Du mardi au vendredi de 11h à 19h30, les lundi et dimanche de 14h30 à 19h30 http://www.timeout.fr/paris/ shopping/bazartherapy

La Petite Fabrique 15, rue des Vignoles – Paris XXe

3. FESTIVAL De la techno de Brodinski à la nu soul de Chet Faker, en passant par des têtes d’affiches comme Lykke Li et The Jesus and Mary Chain, ou encore des valeurs sûres comme Moodoïd et The Orwells, Les Inrocks défendent leurs artistes phares dans des salles classieuses comme La Boule noire ou La Cigale. Festival Les Inrocks, du 11 au 18 novembre

4. CAVISTE Anciennement La Contre Étiquette, la Cave à Michel a conservé sa vocation de caviste, mais a rafraîchi ses murs pour mieux présenter ses découvertes viticoles depuis la rentrée. Des vins de qualité, à déguster sur place ou à emporter. La Cave à Michel 36, rue Sainte-Marthe – Paris Xe

5. THÉÂTRE Un atelier avec près de soixante-dix enfants aura été nécessaire pour sélectionner les treize préados, âgés de 8 à 11 ans, qui investiront le plateau. Des semaines de travail, de jeux, de chant et d’improvisation ont permis de façonner l’univers de ce spectacle plein de fraîcheur. Next Day, du 7 novembre au 14 décembre au Théâtre des Amandiers (Nanterre)

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pré se nte

© julien mignot

DISQUE

appel à films

NIKON FILM FESTIVAL Pour sa 5e édition, le festival dénicheur de jeunes talents a ouvert son appel aux courts métrages avec une thématique – « Je suis un choix » – des plus vaste qui devrait susciter des propositions extrêmement variées. PAR CLAUDE GARCIA

La notoriété du festival auprès des réalisateurs en herbe ne cesse de grandir. L’an dernier, pas moins de huit cent soixante-dix films ont concouru. Le Grand prix du jury avait récompensé Romain Quirot pour Je suis un vague souvenir, une histoire de rêve et de poisson rouge à la Gondry dont l’inventivité, l’humour et la maîtrise technique avaient soufflé le jury. Cette année, celui-ci est présidé par l’acteur et réalisateur Michel Hazanavicius qui départagera avec sept autres jurés les (très) courts métrages (de 30 à 140 secondes) déposés sur le site du festival. Les candidats ont jusqu’au 15 janvier 2015 pour s’inscrire et envoyer leur film. Quant aux internautes, ils pourront voter chaque jour pour la ou les vidéos de leur choix, et

ce jusqu’au 11 février 2015. Le développement continu du festival lui permet cette année de se doter d’une nouvelle récompense, le Prix Canal+. L’heureux gagnant bénéficiera d’un préachat de la chaîne pour un court métrage d’une durée de 280 secondes. Les vainqueurs des quatre autres prix recevront quant à eux des bourses allant de 1 000 à 3 000 € ainsi que du matériel vidéo et verront leurs films diffusés sur Canal+ et, pour le Grand prix, dans les salles MK2. Tous les gagnants se verront aussi offrir une formation vidéo à la Nikon School. Autant de raisons de se creuser les méninges et de proposer des idées aussi originales que concises. À vos caméras ! Soumettez votre candidature et vos films sur le site du festival : www.festivalnikon.fr

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exposition

David Altmejd, The University 1, 2004 DAVID ALTMEJD Le MAM présente la première rétrospective française consacrée au sculpteur canadien David Altmejd. Influencé par le cinéma de David Cronenberg et de David Lynch, ainsi que par le travail de l’artiste Matthew Barney, Altmejd explore les possibilités d’hybridation entre végétal, animal et minéral et donne naissance à une œuvre aussi fascinante que dérangeante. T. Z. « Flux » au musée d’Art moderne de la ville de Paris jusqu’au 1er février THÉÂTRE KING KONG THÉORIE Il y a huit ans, Virginie Despentes publiait cet essai détonnant qui questionnait sans détour les rapports de genre dans la société contemporaine par le biais de sa propre expérience. Vanessa Larré et Valérie de Dietrich adaptent au théâtre ce texte devenu culte. Trois comédiennes incarnent la pensée de l’écrivaine et réactivent ses lucides réflexions. T. Z. au théâtre La Pépinière

© david altmejd, image courtesy of andrea rosen gallery, new york -photograph by oren slor

© d.r.

MINA TINDLE Après un premier disque sorti en 2012, Taranta, Mina Tindle conforte avec Parades sa place sur le dessus du panier de la pop hexagonale. Douze morceaux intenses au long desquels elle alterne à nouveau chant en français et en anglais mais en mêlant cette fois plus d’influences electro à sa pop-folk. Le cap du deuxième disque est passé, brillamment. C. Ga. Parades de Mina Tindle (Believe) Disponible


EXPOSITION

Sonia Delaunay © pracusa 2013057 © bnf

PAR CLAUDE GARCIA

Sonia Delaunay, Couverture du catalogue de l’exposition de Stockholm, Autoportrait, 1916

Dans l’histoire de l’art, on associe souvent Sonia Delaunay à son second mari, Robert. Tous deux artistes, ils ont mené ensemble une recherche sur les couleurs, inventant une forme de peinture que le poète Guillaume Apollinaire a appelée « orphisme », en référence à l’un de ses poèmes qui décrit la poésie pure comme un « langage lumineux ». À la base de cette réflexion, la tentative de ne pas construire un tableau par la ligne, comme en peinture classique, mais par la couleur. La renommée du couple découle surtout de leurs travaux autour du simultanéisme (« contraste simultané des couleurs ») qui définit comment notre perception des couleurs diffère quand celles-ci sont associées plutôt qu’isolées. Pendant quatre mois, le musée d’Art moderne de la ville de Paris rend un hommage essentiel au travail de Sonia Delaunay, qui n’avait pas connu de grande rétrospective parisienne depuis 1967. Elle a débuté son activité artistique par des portraits, avant de progressivement dévier vers l’abstraction. Le parcours chronologique proposé par l’exposition rend compte des multiples formes dans lesquelles son art s’est incarné. Tout au long de sa vie, elle a appliqué à différents médiums – peinture, affiches, vêtements, reliures ou objets domestiques – les concepts imaginés avec son époux. Et, preuve qu’elle possédait une force artistique bien à elle, Sonia Delaunay n’a jamais cessé de créer jusqu’à sa mort en 1979, longtemps après celle de son mari, survenue en 1941. « Sonia Delaunay. Les couleurs de l’abstraction » jusqu’au 22 février au musée d’Art moderne de la ville de Paris


L’actualité DES salles CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

CONFÉRENCES

RENCONTRES

JEUNESSE

LE MK ODÉON FAIT PEAU NEUVE Outre la rénovation complète des locaux, à laquelle ont contribué des étoiles montantes du design, de nouveaux produits vont bousculer les habitudes du public. PAR CLAUDE GARCIA

sa création, en 1971, le Paramount Odéon, situé au 113, boulevard SaintGermain, au cœur du quartier Latin, diffusait uniquement l’œuvre de Charlie Chaplin, avant de se spécialiser dans les films de séries B. En 1986, MK2 rachète la salle, et la programmation se tourne vers le cinéma d’auteur et la version originale. Vingt-huit ans plus tard, le site, traditionnellement prisé des étudiants, s’offre une nouvelle jeunesse. Pour le spectateur, l’expérience débute dès l’entrée, qui accueille trois bornes automatiques de retrait des billets repensées et modernisées pour réduire les temps d’attente. Des écrans dynamiques animent le hall, qui se transforme en un espace cosy et contemporain. Les murs s’habillent de feutre gris chiné, le sol se pare du carrelage gris moucheté de rouge en grès cérame des Français Ronan et Erwan Bouroullec (les deux frères, associés depuis 1999, ont notamment été récompensés du prestigieux Compas d’or en 2011). La jeune et talentueuse designer germano-danoise Gesa Hansen, fondatrice de l’atelier The Hansen Family, a quant à elle repensé l’aménagement de la zone d’accueil dans laquelle trône un nouveau

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comptoir en peuplier et en laiton. Avant d’entrer en salle, le spectateur peut se restaurer grâce à une nouvelle offre de produits originaux : en plus du traditionnel pop-corn, une sélection des créations chocolatées du champion du monde de pâtisserie Franck Kestener, et les bonbons pop et rétro des Gourmandises de Sophie. À siroter devant le film, de la bière et même du champagne. La séance va commencer ? Pas d’inquiétude, les cinq salles,

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© D. R. © JR

Willem Dafoe dans Pasolini d’Abel Ferrara

JR, Inside Out, Bibliothèque Nationale de France, Tour 1, Paris, France, 2013. Photo de l’artiste exposée au MK2 Odéon

d’une capacité totale de 700 places, ont elles aussi été entièrement rénovées : écrans, fauteuils, tentures et moquettes ont été remplacés. Et si vous empruntez l’escalier qui mène à la salle une, levez les yeux : une photographie de l’artiste JR y est accrochée. Sur les écrans vous attend une programmation elle aussi de qualité, dans un équilibre entre films d’auteurs et films plus grand public de toutes nationalités, avec une attention particulière portée au cinéma français. Avec, par exemple, pour les semaines à venir : Une nouvelle amie, Interstellar, A Girl at my Door, La Famille Bélier ou Timbuktu.

RETROUVEZ le magazine DANS L’UN DE NOS 300 POINTS de distribution PARISiens

Chéries-Chéris fête ses 20 ans Le festival du film Lesbien, Gay, Bi, Trans & ++++ de Paris se tiendra pour la première fois dans les cinémas MK2 Bibliothèque et MK2 Beaubourg. Présidé par la fantasque Arielle Dombasle, dont le film hommage à Jean Cocteau, Opium, avait été présenté l’an dernier au festival, cette 20e édition s’ouvrira avec Praia do futuro de Karim Aïnouz, une romance qui se déroule entre le Brésil et l’Allemagne, tandis que le film de clôture sera le très attendu Pasolini d’Abel Ferrara, sur le dernier jour du cinéaste et poète italien. Outre les traditionnelles compétitions de longs métrages de fiction et de documentaires, un programme dédié aux 20 ans du festival proposera notamment des films du réalisateur Gaël Morel (Le Clan, Notre Paradis…) et se penchera sur l’héritage laissé par le cinéaste britannique Derek Jarman (Sebastiane, Edward II…), décédé en 1994 des suites du sida. Dans le cadre de la journée mondiale de lutte contre ce fléau, le 1er décembre, des films liés à cette thématique seront également montrés. PAR CLAUDE GARCIA

du 25 novembre au 2 décembre au MK2 Bibliothèque et au MK2 Beaubourg www.cheries-cheris.com

Les Mots à la Bouche 6, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie Paris IVe

Artazart 83, quai de Valmy Paris Xe

librairie musicale Paul Beuscher 17, boulevard Beaumarchais – Paris IVe

L’Arbre à Lettres 62, rue du Faubourg-Saint-Antoine Paris XIIe

Gibert Joseph 26, boulevard Saint-Michel Paris VIe

Bookstorming 10 bis, boulevard de la Bastille Paris XIIe

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L’actualité DES salles CYCLES

AVANT-PREMIÈRES

© gerard malanga courtesy c. smulders

14/11

GERARD MALANGA Mémoire vivante de la Factory d’Andy Warhol, Gerard Malanga est mis à l’honneur à Paris. Au programme, une soirée au Silencio (le 13 Gerard Malanga novembre), une expoen 1968 sition au carrousel du Louvre (du 14 au 16 novembre) et une conférence-débat à la MEP (le 15 novembre à 18h). Le MK2 Grand Palais accueille la projection de trois courts métrages de l’artiste, en sa présence : Andy Warhol. Portrait of the Artist as a Young Man (1964), Gerard Malanga’s Film Notebooks (2005) et In Search of the Miraculous (1967). >MK2 Grand Palais à 20h

17/11

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CARTE BLANCHE À CAROLYN CARLSON À l’occasion de son nouveau spectacle, Now (voir p. 100), la chorégraphe échangera avec le public sur ses liens avec le cinéma. La soirée se clôturera par la projection du film Les Chaussons rouges (1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger. >MK2 Odéon à 20h

17/11

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Faut-il vraiment chercher à se dépasser ? » > MK2 Hautefeuille à 18h15

18/11

CONNAISSANCES DU MONDE Le Peuple de l’Amazone de Patrick Bernard, en présence du réalisateur > MK2 Nation à 14h

CONFÉRENCES

RENCONTRES

18/11 (jusqu’au)

FRANÇOIS TRUFFAUT À l’occasion de l’exposition que lui consacre la Cinémathèque française, vingt films du cinéaste sont programmés dont L’Amour en fuite, Antoine et Colette, Baisers volés, Domicile conjugal, La mariée était en noir et L’Histoire d’Adèle H. > MK2 Bibliothèque, entrée BnF

20/11

CARTE BLANCHE À BJÖRK Projection en exclusivité du live Biophilia de Björk. Imaginée en partenariat avec le label Because, cette soirée sera l’occa­ sion de découvrir l’univers atypique de la chanteuse islan­ daise qui nous livre une véritable déclaration d’amour à la nature sous toutes ses formes. > MK2 Bibliothèque à 20h

20/11

01/12

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « L’a r g e n t p e u t- i l ê t r e u n b o n moteur ? » avec la par ticipation de Pascal Bruckner > MK2 Hautefeuille à 18h15

04/12

LES RENDEZ-VOUS GOODPLANET Charlie’s Country de Rolf de Heer en avant-première, en présence du réalisateur. Séance offerte, dans la limite des places disponibles, uniquement aux caisses du MK2 Quai de Seine. >MK2 Quai de Seine à 20h

24/11

16/12 (jusqu’au)

RENDEZ-VOUS DES DOCS Soirée de lancement du coffret DVD Volker Koepp. Élégie de la Sarmatie. Séance de signatures à la librairie, puis projection du film Fleurs de sureau, suivie d’un débat, en présence du réalisateur. > MK2 Quai de Loire à partir de 19h

jeunesse

16/12 (jusqu’au)

MK2 JUNIOR À la poursuite du roi Plumes, Le Piano magique et Les Fantastiques Livres volants de M. Morris Lessmore > MK2 Grand Palais / MK2 Quai de Seine / MK2 Gambetta tous les mercredis, samedis et dimanches en matinée

KORRIGANS Midi : tous les jours sauf jeudi et dimanche Soir : lundi, mardi, vendredi et samedi THAÏ LA ROUTE Midi : mardi et samedi Soir : tous les jours sauf dimanche et lundi LE CAMION QUI FUME Soir : tous les jours sauf dimanche et lundi

THE SUNKEN CHIP Midi : mercredi et vendredi Soir : tous les jours sauf lundi et mardi LA BRIGADE Midi : tous les jours sauf lundi et mercredi Soir : tous les jours sauf lundi et mardi

GLACES

LES LUNDIS PHILO DE CHARLES PÉPIN « Qu’est-ce que l’inconscient ? » > MK2 Hautefeuille à 18h15

MK2 BOUT’CHOU Drôles de créatures, En sortant de l’école et Le Carnaval de la petite taupe > MK2 Bibliothèque / MK2 Quai de Loire / MK2 Nation tous les mercredis, samedis et dimanches en matinée

SENOR BOCA Midi : tous les jours sauf le week-end Soir : mercredi et vendredi

BURGERS

24/11

CARTE BLANCHE À MAXIME CHATTAM À l’occasion de la publication en format poche aux éditions Pocket de La Conjuration primitive, Maxime Chattam présentera un court métrage qu’il a réalisé et le film Shining de Stanley Kubrick, choisi dans le cadre de sa carte blanche. > MK2 Quai de Loire à partir de 18h

UN IGLOO DANS LA VILLE Midi et Soir : tous les jours

THAÏ

JEUNESSE

CRÊPES

FISH&CHIPS

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LE CAMION QUI FUME

Midi : mercredi, samedi et dimanche

Soir : tous les jours sauf lundi et jeudi

MEXICAIN

VIANDE TRANCHÉE

novembre 2014


www.troiscouleurs.fr 119


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novembre 2014


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