Vies à la ligne

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Cousin Joseph…

Ils sont gentils ces trois-là. Ils sont de ma famille. Ils ont une exploitation agricole en dessous de Blois. J’y vais l’été passer des vacances. À gauche c’est mon oncle Bernard, qu’on appelle Billou parce qu’il a des allures de cow-boy et qu’il conduit son tracteur avec des bottes qu’il fait venir du Texas. Il se fait la moustache comme Clark Gable version 1957 et il a le cheveu onduleux cranté pareil. Au milieu c’est Sylvianne, sa femme. En vrai elle est un peu plus grosse que sur les photos. D’un seul coup de main elle peut attraper douze ou treize mouches venues boire au coin de l’œil des vaches. La vache n’a même pas le temps d’avoir peur. Après elle les jette d’un coup sec par terre et elle les écrase avant qu’elles n’aient retrouvé le bon sens pour reprendre leur vol. Elle est rapide pas croyable. A droite c’est leur fils Joseph. C’est un arriéré mental. Il parle avec une voix haut perchée.

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Il faut pas le contrarier de trop sinon il se mord la main jusqu’au sang. Elle en est même toute déformée sa main tellement il s’est mordu. Il n’est pas méchant. Il se balade où il veut dans la ferme. Il revient bien de temps en temps avec des plumes dans la bouche, on va alors compter les cadavres dans la basse-cour, mais c’est de plus en plus rare. Avant ils l’avaient mis dans un endroit pour les gars comme lui mais il parait qu’il était malheureux. Les médecins lui donnaient des médicaments qui lui éteignaient le regard et le faisaient baver tout le temps. Il est revenu parce que pour l’instant, tant que Billou et Sylvianne ont la pêche, c’est à la ferme qu’il a sa place. Avant que je ne parte en vacances ma mère me briffe à mort ; je ne dois pas rester tout seul avec Joseph. Elle a la trouille, on se demande bien de quoi. De toutes façons, quand j’y suis, là-bas, je fais ce que je veux. Des fois, l’après-midi, quand on est plus que tous les deux et que les vieux sont aux champs, on se met sur un coin de la toile cirée de la cuisine et je sors mes feutres pour lui faire de beaux dessins. Il aime bien quand je fais des chiens, ou des taureaux, ou des fleurs. Ça l’éclate. Il réclame des trucs. On se marre. Mais, entre nous, ce qui le fait le plus marrer le Joseph, c’est quand même quand je lui dessine des bonnes femmes à poil. Alors là mon pote, crois-moi, je le tiens plus…

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Casquette…

Ludwig, profilé pour la dégotte, les poings au plus profond des fouilles, se faufile. Il trace, file, fend le troupeau des badauds. Il n’a pas son égal pour flairer les alternatives au convenu. T’as besoin de quoi ? Il l’a ! Il ne l’a pas ? Il te le trouve ! Ne le trouve pas ? C’est qu’il a mieux. Ludwig, dans son genre, c’est un cador, un éclectique, la bonne réponse aux questions qu’on ne se pose pas…

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Chefaillon …

Il a une grande, grande, grande cravate qui vole au vent. Parfois sur les chantiers elle s’envole et vient lui caresser le visage. De ses doigts courts il la rattrape vivement, l’empoigne et lui fait la leçon. Quand il est énervé il remet en place son nœud. Il est irascible, parle seul et se tape des crises d’angoisse carabinées. C’est un petit chef. Balzac l’aurait adoré…

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