tabula_2/2009 Nano : petites particules, grands effets

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No 2/juin 2009

TABULA R E V U E D E L ’ A L I M E N T AT I O N  –  W W W . T A B U L A . C H

Nano : petites particules, grands effets


Som ma i r e

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R e p o r tag e Nanotechnologie dans l’alimentaire : les consommateurs égarés

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SPÉ C I A L Nanotechnologie dans les emballages : et dedans, que se passet-il ?

10 cui s ine d’a illeu rs Succulente Styrie

12 di dact i que Série achats, 1re partie : la planification

14 cons e il s Les conseils nutritionnels de Marion Wäfler

15 actual itÉ Les jeunes végétariens menacés de troubles du comportement alimentaire ?

16 À la lou pe Le prodige bleu : retour en force du lin

20 livres Lus pour vous

2 2 entr e nou s Informations aux membres de la SSN

2 3 m É m ento Manifestations, formations continues

2 4 avant- p rog r a mme Coup d’œil sur le prochain TABULA

Im p r e s sum TABULA : Publication trimestrielle de la Société Suisse de Nutrition (SSN) avec le soutien de la Loterie Romande Editeur : SSN, Schwarztorstrasse 87, 3001 Berne, tél. 031 385 00 00 Pour vos dons à la SSN : PC 60-699431-2 E-mail info@tabula.ch Internet www.tabula.ch Rédaction : Andreas Baumgartner Comité de rédaction : Marianne Botta Diener, Anne Endrizzi, Madeleine Fuchs, Gabriella Germann, Jean-Luc Ingold, Annette Matzke, Françoise Michel Conception : SSN, Andreas Baumgartner Impression : Stämpfli Publications SA, Berne Page de couverture : Institut Fraunhofer, Munich

Éditorial

Passionnant et troublant Le monde à l’échelle du nanomètre, c’est, par exemple, le processus du métabolisme dans notre corps, la photosynthèse d’une feuille ou la surface de l’enveloppe extérieure d’une bactérie. Observer ces phénomènes, les piloter, voire en créer de nouveaux, voilà qui est passionnant, et ouvre de nouvelles perspectives en technique et en médecine. Saviez-vous que la glaise est natuAnnette Matzke est œcotro­ rellement basée sur de fines plaques phologue diplômeé. Elle nanométriques (kaolinite) qui, une fois travaille à temps partiel à un peu humides, se déplacent et forment l’Office fédéral de la santé ainsi la masse de la glaise ? Que se publique et dirige à titre passerait-il si un médicament était bénévole le groupe profes­ structuré de telle manière qu’il n’agisse sionnel alimentation de qu’à l’endroit où il le doit, donc avec Public Health Suisse. Elle est mère de deux enfants. moins d’effets secondaires ? L’intérêt pour les sciences naturelles est cependant très vite tempéré par les questions critiques que se posent aussi les autorités, les unités de recherche et les représentants des consommateurs : que se passera-t-il quand des particules nanométriques seront fabriquées et disponibles en grandes quantités ? Vont-elles s’accumuler ? Et où ? Comme nombre d’entre elles réagissent plus volontiers que leurs versions micro ou macro, avec quoi vont-elles réagir et avec quelle force ? Il manque encore les analyses pour estimer les risques. Voilà pourquoi on peut difficilement dire si des particules nanométriques artificielles ont été ajoutées aux denrées alimentaires. Un contrôle est presque impossible même si, selon la loi sur les denrées alimentaires, les additifs nouveaux ou modifiés, même à la taille nano, sont soumis à autorisation. On peut ici se poser la question de l’utilité : avons-nous besoin de yaourts qui se conservent plus longtemps grâce à de la vitamine C encapsulée étant donné qu’on peut, aujourd’hui déjà, les garder plusieurs jours ? Certains nutriments doiventils vraiment être mieux absorbés par les intestins ? Ne court-on pas le risque d’une surdose ? Ce qu’on peut faire ou entrevoir dans ce domaine, Lars Feldmann le décrit dans les pages de ce numéro de TABULA. Suivez-le dans ce monde ultramicrosco­ pique, étonnez-vous et demandez-vous ce que représente pour vous cette avancée technique. TABULA NO 2/juin 2009

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Rep ortAGE

, Center for Integrated Nanotechnology

Que nous réserve la nanotechnologie dans la cuisine de demain ? Des aliments sûrs, de longue conservation, optimaux pour la santé et munis d’une étiquette détaillée ? Ou, au contraire, des adjuvants douteux, voire toxiques, une surcharge non négligeables pour l’écosystème ainsi que des produits alimentaires industriels qui manipulerait à volonté nos perceptions et nos goûts ?

Nanofood : la nourriture de demain entre danger et bénédiction Par Lars Feldmann Lars Feldmann est le fondateur de l’entreprise de conseils b&f concepts GmbH. A ce titre, ces cinq dernières années, il a suivi de près le sujet dont il parle ici, à travers des articles profession­ nels, des sémi­ naires et des manifestations spécialisées. Depuis le 1er avril, il est responsable du marketing de Betty Bossi Verlag AG.

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Il y a plus de vingt ans, le réalisateur Joe Dante envoyait son héros, Tuck Pendleton (Dennis Quaid), naviguer, à bord d’un mini-mini-sous-marin, dans le système sanguin d’un caissier de supermarché, ignorant de la chose. Des millions de spectateurs ont succombé aux charmes de cette incroyable miniaturisation décrite dans le film Inner Space (L’aventure intérieure). Personne ne parlait encore de nanotechnologie. Les descriptions futuristes nées de l’imagination des auteurs de science-fiction et de quelques scientifiques, dont on critiquait d’ailleurs la compétence, étaient pourtant déjà d’actualité. Et aujourd’hui ? Depuis peu, on dirait qu’on parle partout de nano, et pas seulement dans le sens figuré. En janvier 2009, le Centre

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d’évaluation des choix technologiques (TA-Swiss) a publié une étude sur la nanotechnologie dans le domaine alimentaire (lire encadré page 9). Le nanofood est alors officiellement sorti des fantasmes technologiques pour atterrir dans le domaine public suisse.

Une nouveauté ? Pas vraiment Aussi surprenant que ça puisse paraître, le nano ne date pas d’hier. Depuis une éternité, les nanoparticules appartiennent à notre environnement naturel, par exemple sous forme de cristaux de sel infiniment minuscules transportés par la brise maritime ou de particules de suie nées de la combustion du charbon ou du bois. Dans les produits alimen-

taires aussi, il y a des nanoparticules comme les protéines de petit-lait ou la caséine dans le lait. Ce qu’il y a de nouveau et donc prétexte au débat, c’est qu’on est aujourd’hui en mesure de produire en grande quantité des nanoparticules grâce à des méthodes mécaniques et chimiques. La méfiance face à ces particules créées synthétiquement tient aux propriétés particulières inhérentes à leur minuscule taille. Le monde nano est incroyablement petit. Un nanomètre correspond exactement à un millionième de millimètre. Il faudrait diviser un cheveu humain par 50 000 pour qu’il atteigne la taille d’un nanomètre. C’est justement cette extrême petitesse inimagi-


Du nano dans le caddie Oui, on trouve déjà en Suisse quelques rares produits alimentaires comprenant du nano. On n’en a pas parlé jusqu’à présent car il s’agit de produits avec des additifs de taille nanique qu’on emploie depuis des décennies dans l’industrie alimentaire. L’acide silicique, par exemple, est utilisé comme antiagglomérant dans les épices en poudre et porte le numéro E 551 sur la liste des composants. Ceux-ci ont une taille de 5 à 50 nanomètres au moment de la production et font donc partie de la catégorie des nanoparticules. Dans l’UE et en Suisse, l’acide silicique est toléré depuis des années en tant qu’additif alimentaire et on le dit sans danger. Des caroténoïdes de cette taille comme le lycopène, emballés dans des capsules microscopiques de gélatine et de sucre, sont employés depuis plus de dix

TA-SWISS

nable qui renverse nombre de lois de notre monde visible. Ces petites particules se comportent autrement que leurs cousines à peine moins petites de la même matière. Des substances repoussant normalement l’eau telle que l’huile, peuvent se mélanger avec l’eau quand elles ont une taille nano. Ça enrichit aussi l’imagination des techniciens de l’alimentation : des sauces à salades qui ne tranchent plus et des vitamines insolubles dans l’eau qui se dissolvent dans des liquides aqueux paraissent soudain réalisables. Malheureusement, ces effets – qui souvent n’ont pas été étudiés – ne sont pas toujours positifs. On ne peut pas exclure qu’un additif alimentaire habituellement inoffensif se révèle toxique en taille nano. C’est la raison de la polémique sur l’emploi du nano dans l’alimentation.

La nanotechnologie au quotidien : pour que les épices en poudre n’agglomèrent pas et tombent en pluie, on leur ajoute depuis des décennies de l’acide silicique (E 551). La taille de cet élément au moment de la production se mesure en nanomètres.

ans comme colorants et comme anti­oxydants dans différentes boissons et pilules multivitaminées. Un mot qui revient souvent à propos de la nouvelle génération de nanofood est le capsulage. Des vitamines, des enzymes, des acides gras difficilement solubles, des arômes fragiles, des oligoéléments, mais aussi des produits de conservation comme les acides benzoïque et sorbique, tous sensibles à la lumière ou à l’oxygène, peuvent être enveloppés dans des capsules sphériques naniques appelées micelles. Les propriétés de

Le monde « merveilleux » du nano Le mécanisme de base qui modifie les propriétés des nanoparticules est l’agrandissement de leur surface. Si on divise une petite particule en 100 000 encore plus petites parts, leur surface totale augmente de façon exponentielle. La réactivité de la substance s’en trouve donc exacerbée. Les matières de taille nanométrique possèdent des propriétés physico-chimiques d’un genre complètement nouveau. Des enzymes normalement insolubles peuvent le devenir en taille nano, des substances non toxiques agissent comme un poison, les caractéristiques, les points de fusion ou d’ébullition, la couleur ou la conductibilité électrique des particules se modifient. Ces « effets nano » trouvent des applications pratiques quasiment partout. Bien des branches les utilisent à leur profit : la technique médicale développe des instruments de diagnostic miniaturisés qui, grâce à la nanotechnologie, regroupent des milliers de tests sur une puce minuscule. L’oxyde de fer nanique est employé comme moyen de contraste pour la thérapie du cancer. Les infinitésimales particules qui peuvent être glissées avec une extrême précision vers les cellules d’une tumeur peuvent ensuite être chauffées de l’extérieur par micro-ondes et tuer ces cellules. Dans le domaine de l’impression, l’association de nanoparticules et de couleurs permet d’installer des cellules solaires

ultra fines et efficaces sur le plan électrique. Des nanoparticules présentes dans les diodes d’éclairage (LED) transforment la désagréable lumière froide en atmosphère colorée et chaleureuse. D’autres nanoparticules protègent la laque des voitures des griffures et vitrifient les surfaces pour leur éviter saleté et usure. Dans le domaine des biens de consommation, les premières applications de la nanotechnologie touchent le secteur des textiles et des cosmétiques. Les tissus imperméables font irruption sur le marché. On trouve aujourd’hui en Suisse des tabliers qui résistent à la graisse et à l’eau ou des cravates nano dotées des mêmes propriétés. Il y a aussi des textiles avec de l’argent nano intégré à effet antibactérien, qui fait que les chaussettes ne sentent plus mauvais. L’industrie cosmétique ajoute à la crème solaire des nanoparticules de dioxyde de titane. Plus les particules sont fines, plus dense et plus efficace sera la couche de protection contre le soleil. Les particules sont si petites qu’elles sont perméables à la lumière visible. La crème devient ainsi transparente.

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Spéci al

Emballages : l’avenir du nano est déjà présent Les spécialistes de la branche prédisent que dès la prochaine décennie, 25% de tous les emballages de produits alimentaires contiendront des nanomatériaux. Dans les magasins suisses, il y a des produits emballés dans des feuilles pourvues d’un film nano et des boissons en bouteilles PET avec une fine couche nano. Comme on n’a pas le devoir de mentionner l’usage de tels matériaux, le consommateur n’en sait rien. Par Lars Feldmann Il y a de bonnes raisons d’intégrer la nanotechnologie aux emballages. Elle aide à améliorer la conservation des aliments. Le commerçant comme le consommateur s’en réjouit. Car les produits alimentaires qui doivent être emballés tout en restant visibles pour des raisons de marketing ou de vente (p. ex. la viande fraîche ou les salades toute prêtes) s’abîment vite. Depuis un certain temps, des films de protection d’un nouveau genre avec des nanoparticules intégrées permettent la même transparence et la même stabilité mécanique que les films ordinaires, mais ils protègent bien mieux des rayons UV et dressent une barrière efficace contre les germes et les gaz. Les méthodes de pelliculage qui recouvrent l’intérieur des bouteilles PET sont prometteuses. Les jus de fruits, les boissons

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sucrées et même la bière sont déjà placés dans de tels contenants. Grâce à une couche extrêmement fine de verre en nanoparticules, les bouteilles PET offrent tous les avantages d’une bouteille de verre. Elles ne laissent pas échapper le moindre acide carbonique, et empêchent l’oxygène de pénétrer de l’extérieur, ce qui, par exemple pour les jus de fruits, provoquerait un changement de couleur et les abîmerait. Au contraire des bouteilles de verre, celles en PET assorties de nanocomposants de verre sont incassables et légères tout en affichant un meilleur bilan écologique. Les emballages dits actifs ont un autre mécanisme d’action. En l’occurrence, les nanomatériaux ne sont plus seulement des composants intégrés à une matière d’emballage mais ils agissent directement sur le produit.

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En Asie et aux Etats-Unis, ces emballages sont autorisés, à l’instar des boîtes pour conserver les produits frais recouvertes d’une couche nano d’argent. En contact avec le produit, des ions d’argent se libèrent continuellement à l’intérieur de la boîte de conservation et détruisent les bactéries de moisissure et de pourriture. Selon le même principe, les surfaces des cuisines sont aujourd’hui dotées d’une couche antibactérienne. Samsung vend des frigos avec des nanoparticules d’argent, les fabricants asiatiques et américains vendent des produits semblables comme les gobelets d’enfants, des planches à découper, des couverts, de la vaisselle et des tabliers de cuisine protégés des microbes. Ces emballages nano pour aliments sont-ils sans danger ?


Cuisine d’ailleurs

Josef Schantl est venu en Suisse il y a quelque vingt ans. Il y travaille aujourd’hui en tant que chauffeur de bus. Pendant ses loisirs, il fait la cuisine en suivant de préférence les recettes de sa mère et de sa sœur. Quand il revient de ses vacances, il emporte toujours avec lui des litres et des litres d’huile de pépins de courge. Et quand il arrive en Styrie, il commence par manger un petit pain à la saucisse. Puis il va dans un de ces bistrots de campagne où, avec sa famille, il partage un de ces copieux quatreheures du coin, arrosé d’un vin blanc sec.

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Le fameux et généreux quatreheures typique de l’Autriche Par sa superficie, la Styrie prend la seconde place parmi les Länder d’Autriche, la quatrième pour le chiffre de sa population. Elle est bordée de la Carinthie, Salzbourg, la Haute-Autriche, la Basse-Autriche, le Burgenland ainsi que de la République de Slovénie au sud. Ses habitants sont les Styriens. Son chef-lieu est Graz, deuxième plus grande ville d’Autriche derrière Vienne. Le nom de Styrie vient de la ville de Steyr qui, curieusement, fait maintenant partie de la Haute-Autriche. On appelle aussi la Styrie le « cœur vert de l’Autriche » car elle est en grande partie recouverte de forêts, de champs, de prés, de vergers et de vignes. La Haute-Styrie et la région thermale d’Autriche sont très prisées des touristes.

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Solide, épicée, styrienne Le sud de l’Autriche, la Styrie, est considéré comme la Toscane de ce pays par tout gourmand un peu voyageur. Avec la viande hachée de lard et la salade de haricots rouges, on boit bien sûr du Schilcher, un rouge clairet très sec. Par Marianne Botta Diener (texte et photos) Ils sont chous, ces Styriens. N’appellent-ils pas « haricots à coccinelle » les bêtes haricots rouges ? Qu’importe, d’ailleurs, puisque cette incontournable spécialité du sud-est de la Styrie est attestée depuis le XVIe siècle.

Terroir En tout cas, la salade de haricots rouges figure sur toutes les cartes des typiques bistrots de campagne au nom évocateur (Buschenschänken = buvettes

de brousse) de la région. « Ces estaminets sont tenus par des paysans qui y servent leurs propres produits. Auparavant, ils étaient fréquentés par les pauvres qui ne pouvaient pas s’offrir une sortie au restaurant », précise Josef Schantl. Depuis lors, on les adore, justement en raison de leur cuisine typique régionale. Les autres restaurants ne sont pas trop heureux de leur popularité pour la concurrence qu’ils représentent. Quoi qu’il en soit, on n’a


À L a Loupe

Jürg Hiltbrunner, ART

Retour en force de la merveille bleue Le lin est une plante très ancienne. En Suisse, on ne la cultivait plus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Or depuis qu’en l’an 2000, on a déclaré essentiel l’acide alpha-linolénique et qu’on l’a intégré aux recommandations alimentaires officielles, l’intérêt pour cette belle plante a repris. Par Monika Müller, diététicienne diplômée ES Avant-guerre, quand on partait en excursion à la campagne, il n’était pas rare de découvrir des champs immenses d’un bleu étonnant, plantés de lin. Comme aujourd’hui les étendues d’un jaune intense qui jalonnent la culture du colza. Or au milieu des années quarante, on a cessé de planter du lin en Suisse, et les beaux paysages bleus ont disparu. Au début de 2007, j’avais parlé dans TABULA d’un petit livre paru en allemand et signé Hans-Ulrich Grimm, « L’huile de lin rend heureux ». A cette occasion, j’avais évoqué mon envie de revoir en Suisse l’un de ces

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superbes champs de lin en fleurs. Et comme dans un conte de fée, mon vœu a été exaucé. Quelques jours après la parution de mon article, j’ai reçu un courriel de la part de la Station de recherche Agro­scope Reckenholz-Tänikon m’invitant à un voyage dans le bleu. L’article qui suit a l’intention de vous en parler, de vous raconter l’histoire du lin en Suisse et de vous en décrire les aspects nutritionnels. Peut-être qu’après, vous aussi, vous aurez envie de vous évader dans ces lieux divins. Les Egyptiens connaissaient le lin il y a cinq mille ans déjà

comme en témoignent les bandelettes enveloppant les momies et les dessins de l’époque. Mais on a découvert en Suisse d’autres traces plus anciennes de culture du lin dans les vestiges d’un village sur pilotis qui remonte à 8000 avant notre ère. Le lin était cultivé pour ses fibres, qui servaient à fabriquer du tissu, et pour ses graines utilisées pour l’alimentation du bétail. En Suisse, on a planté du lin jusque dans les années quarante du siècle dernier, essentiellement pour ses fibres. En 1943, il y en avait encore 280 hectares. Mais au plus tard en 1950, il avait été dé-


A usages multiples La définition latine linum usitissimum, le « lin très utile », parle d’elle-même : on peut recourir au lin pour mille autres choses que pour la fabrication de tissu. Avec ses fibres, on peut fabriquer des matériaux isolants, la paille fournit du fourrage et les déchets issus de la production de fibres font une bonne litière. Des graines, on tire une huile à usages multiples. Tout le monde ou presque a déjà marché une fois sur du linoléum ou traité un meuble de bois avec un vernis à base de lin. On dit que c’est le peintre flamand Jan van Eyck (1390– 1441) qui a découvert les propriétés de vernissage de l’huile de lin. La plupart des chefs-d’œuvre des temps passés sont en lin. Ils ont été peints sur une toile de lin et le composant essentiel de la couleur est l’huile de lin. Mais les débuts de l’industrialisation ont marqué en Europe centrale le déclin de cette plante, qui avait suivi le développement de l’humanité depuis des millénaires.

Le lin dans l’alimentation animale Un surplus d’acides gras oméga-3 dans l’alimentation animale, puis, logiquement, dans la chaîne alimentaire, serait un pas important pour améliorer le rapport des acides gras dans l’alimentation ordinaire. De surcroît, c’est le moyen « le plus naturel » et le plus judicieux du point de vue écologique de procurer davantage d’acides gras oméga-3 à chaîne longue à des gens vivant à l’intérieur du continent, sans pour autant augmenter leur consom-

mation de poissons de mer. La volaille a un métabolisme qui, par son alimentation, lui permet mieux que l’homme de transformer l’acide alpha-linolénique en ses dérivés à chaîne longue DHA. A part l’herbe et autres végétaux, le lin est la source d’oméga-3 la plus riche et la plus économiquement intéressante dans l’alimentation animale. L’œuf d’une poule nourrie au lin contient déjà 200 mg de ces deux acides gras oméga-3 à chaîne longue que sont l’EPA et le DHA. Les acides gras poly-insaturés de la ligne oméga-3 ont aussi une influence bénéfique sur la panse. L’élimination des protozoaires provoque une réduction de la production d’ammoniaque et de méthane et c’est ainsi que l’affouragement au lin peut contribuer à une diminution des gaz à effet de serre et pas seulement à l’amélioration de la qualité des lipides dans le produit fini. Toutefois, avant de le donner aux animaux, il faut « désempoisonner » le lin. Dans l’ancien temps, on y arrivait en le cuisant simplement, un très gros travail. Aujourd’hui, ça se fait en le chauffant et en pratiquant une extrusion industrielle. Les facteurs antinutritifs les plus importants sont les diglucosides de l’acide cyanhydrique. Ainsi, un kilo de graines de lin concassées en contient 300 mg. En les chauffant, on peut abaisser cette teneur à 10 mg. Par-dessus le marché, le lin contient de la linatine, une « anti-vitamine B » mise en relation avec un arrêt de croissance de volailles en batterie nourries aux graines de lin non traitées. Du mucilage contenu dans les graines de lin a des effets laxatifs sur les hommes adultes mais ralentirait la croissance du jeune bétail.

Patrick Schulz/Flickr

trôné par le coton importé pour l’élaboration des textiles, et par le maïs pour nourrir le bétail.

Pommes de terre avec du séré, de l’huile de lin et des oignons nouveaux. Un classique encore aujourd’hui dans les régions de Lusace, à la frontière polonoallemande, et de Silésie.

Le lin dans l’alimentation humaine Il va de soi qu’au départ on mangeait aussi le lin. Les facteurs antinutritifs décrits plus haut, que la graine de lin contient pour se protéger des parasites, n’entrent pas en ligne de compte dans l’alimentation humaine, car la part tenue par les graines de lin crues non traitées dans l’apport d’énergie total est extrêmement faible. Dans des conditions normales, une personne ne consomme pas plus de 10 g de lin (1 cuillère à soupe) par jour. Dans cette quantité, ces composants défavorables aux animaux peuvent même développer un effet favorable pour les humains en tant que substances végétales secondaires. Un exemple est constitué par les lignanes du lin et leur effet phytoœstrogène. L’huile de lin ne contient aucun facteur antinutritif, mais possède cependant une forte saveur de foin, qui se transforme en amertume dès que l’huile n’est plus fraîche. C’est pour cette raison qu’elle n’a été utilisée dans l’alimentation humaine qu’en quantités réduites. Un grand classique est l’huile de lin et le séré à consommer avec des pommes de terre. Ce mélange traditionnel a été remis au goût du jour à la fin des années soixante par la chimiste, guérisseuse et pionnière des oméga-3 Johanna Budwig (1908– 2003), de Freudenstadt, dans la Forêt-Noire. Elle en recomman-

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