Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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LES R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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les quatre hommes quand ils ont le dos tourné. Il est tout jeune, vingt-deux ans à peine, de taille moyenne, mais bien prise. Il est simplement vêtu d'un calimbé, et ne porte pas de ces peintures au suc de génipa, dont ses compatriotes ont l'habitude de barioler leur corps et leur face. Sa peau n'est même pas enduite de roucou. Elle est couleur café au lait, et à peine aussi foncée que celle des inconnus qui le tiennent en leur pouvoir. Ceux-ci sont des Européens. Trois sont en bras de chemise, leurs manches relevées au dessus du coude, et leurs pantalons, retroussés jusqu'aux genoux, laissent apercevoir des jambes sèches, couturées de cicatrices plus ou moins anciennes. Leurs figures, maigres, pâlies, à l'expression dure et cruelle, sont abritées par des chapeaux à bords plats, en paille grossièrement tressée. Détail particulier, leurs barbes longues à peine de deux mois, ajoutent encore à la dureté de leurs traits. Impossible de leur assigner un âge exact. Nul parmi eux ne semble pourtant avoir dépassé la trentaine. Le

quatrième, celui qui semble

le chef, a les épaules démesurément

larges. Son torse d'athlète a comme un dandinement d'ours, sur ses deux jambes arquées, aux muscles énormes. Il est chaussé de ces souliers lacés, bas de quartiers, appelés « godillots » en usage dans l'armée, coiffé d'une casquette blanche à couvre-nuque, et vêtu d'une chemise de laine rouge. Une immense barbe noire, semée de fils blancs, lui couvre la face. C'est un homme d'environ quarante cinq ans. Bien qu'il commande toutes les manœuvres, et que les autres les exécutent sans observation, on voit qu'ils vivent sur un pied de parfaite égalité, et que cette égalité est basée sur de mutuelles nécessités, de mutuelles espérances. Il n'est en outre nullement besoin d'avoir été témoin des traitements infâmes infligés au jeune Indien, pour comprendre que leur solidarité n'emprunte rien à l'accomplissement d'un devoir, mais qu'elle est produite par des appétits désordonnés, dont la satisfaction peut être empruntée au crime luimême. En somme, le jugement qu'un spectateur désintéressé eût porté de prime abord sur cette équipe se fût résumé dans ces cinq mots : « La superbe collection de gredins ! » Ils semblent d'ailleurs tout à fait à l'aise, en dépit du soleil qui darde sur la crique des rayons brûlants, et complétement adaptés à ce climat sous lequel eut infailliblement succombé un Européen non acclimaté. La facilite avec laquelle ils ont accompli ces différentes manœuvres indique des hommes depuis longtemps habitués à des travaux de force.


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