Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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pas partie toute seule. Eh bien ! pourquoi le particulier qui l'a lancée ne la lui a-t-il pas plantée au beau milieu de la poitrine ? — Qui sait s'il n'y essayait pas. — Mais non. Tu n'ignores pas qu'un Indien ne rate jamais son coup. Nous les avons tous vus décrocher du haut des arbres des coatas (singes noirs) ou des parraquâs (sorte de faisan). Il en est même qui ne manquent pas à trente mètres un citron piqué au bout d'une flèche plantée en terre. — Alors, tu leur en veux de n'avoir pas traité Bonnet comme un « c o a t a » ? — T'es bête. Je ne leur en veux pas. Je m'en étonne. Il était si facile de nous démolir un à un. Ça m'inquiète, moi. Et toi, Tinguy ? — C'est ben la peine de se faire du mauvais sang pour si peu de chose. Moi, je crois que s'ils ne nous ont pas échenillés l'un après l'autre, c'est qu'ils n'ont pas osé, ou bien... — Ou bien, interrompit Benoît, qu'ils ne croyaient pas qu'un gibier comme nous valût la flèche pour le tuer. « Allons, assez bavardé. A l'ouvrage. Il y a là dedans de quoi bûcher ferme. Les trois hommes s'escrimaient depuis près de trois heures de la scie, du sabre et de la hache. Tel était leur acharnement, telle était aussi la vigueur de leurs corps endurcis à tous les travaux de force, qu'ils ne semblaient pas sentir les ardentes morsures du soleil. La sueur ruisselait sur leurs torses qui fumaient comme des solfatares. Mais aussi la besogne avançait. Ces réprouvés étaient de rudes travailleurs. Les coups se précipitaient, emplissant l'étroite vallée de leurs sonorités, et se répercutaient à l'infini sur les cimes pressées des arbres géants. Pendant trente-six heures, ils bûchèrent avec une énergie farouche, sans que rien ne vînt entraver leur travail. La voie était libre. Un chenal large d'un peu plus d'un mètre coupait le monceau de troncs et de branches. Ils rechargèrent patiemment les provisions dans la pirogue, abattirent le « patawa », et installèrent commodément Bonnet au centre, sur un matelas de feuilles fraîches. La blessure du mécréant commençait à se cicatriser grâce à de continuelles effusions d'eau froide, le meilleur des sédatifs. — Tout est paré, n'est-ce pas, les enfants, dit le chef. « En avant, et au petit bonheur ! Le bonheur fut en effet de courte durée. Le canot venait à peine de s'engager dans l'étroit chenal, et s'avançait lentement, pour éviter de heurter les branches, qu'une singulière musique se fit entendre dans le lointain, à trois ou quatre cents mètres en amont de l'obstacle.


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