Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

heure. Charles me remplacera, puis Edmond, puis Eugène. Tu prendras la garde à une heure du matin. Le cri de la chouette, imité par Henri, avec une perfection telle que l'oiseau lui-même s'y fût trompé, partit du canot. Ce cri signifiait que tout allait bien à bord. Lômi répondit par un houloulement prolongé, puis le campement rentra dans le silence. Les nuits équinoxiales sont d'une longueur à laquelle l'Européen s'habitue difficilement. Cette interminable et monotone succession d'heures est incroyablement énervante. L'obscurité complète, sans aurore ni crépuscule, qui er

dure douze heures, du 1 janvier jusqu'au 31 décembre, constitue parfois un véritable supplice. D'autant plus que la température conservant toujours son implacable uniformité, les habitants de la région intertropicale ignorent et les douces soirées d'automne et les frais matins d'été qui sont le privilège de la zone tempérée. Aussi, quand le voyageur, courbaturé par une course à travers bois, a pris les six ou sept heures de sommeil indispensables au repos de son organisme, l'insomnie arrive à deux heures du matin, et le condamne à l'audition forcée du concert improvisé chaque nuit par les sauvages habitants des bois. Qu'une cause accidentelle, accès de fièvre, fatigue excessive ou préoccupation violente, vienne encore s'ajouter aux perturbations habituelles, la nuit en forêt devient exaspérante. Les Robinsons, bien que familiarisés de longtemps avec cette apparente anomalie de nuits longues comme celles de l'hiver, et suffocantes comme celles de l'été, éprouvaient, sous la menace d'un péril inconnu, ces vagues appréhensions auxquelles ne peut se soustraire le tempérament le mieux trempé. L'insomnie s'était produite en sens inverse, et ils s'étaient longtemps retournés dans leurs hamacs avant d'être emportés dans le pays des rêves. Enfin, ils reposaient paisiblement, au moment où Lômi prit sa faction. Le Boni, accroupi sur les talons, le torse droit, la tête un peu penchée, appuyé sur ses deux mains, veillait dans cette attitude particulière aux hommes de la race noire. Son œil, fixé sur l'autre carbet, ne quittait pas le foyer qui brûlait au centre de la légère construction, et son oreille cherchait à démêlér un bruit étranger au murmure immense de la forêt. La faction durait depuis un quart d'heure à peine, quand le noir crut apercevoir une ombre quitter lentement la zone sombre formée par les arbres, et s'avance; vers la clairière illuminée par les lueurs du brasier. L'ombre qui affectait une forme allongée s'arrêta juste à la limite éclairée, puis sembla inven-


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