Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

— Si tu n'acceptes pas le grade de capitaine, je te préviens que, bon gré mal gré, nous te bombardons amiral. — Tant d'honneur m'effraye, répondit en souriant l'heureux père. Je me rends à merci, et j'accepte le commandement que tu m'offres si gentiment, mon cher petit armateur. — Eh bien! capitaine, tout est paré. — Alors, en avant ! Lômi et Bacheliko,

à ce commandement bien connu, mouillèrent leurs

pagayes et s'apprêtèrent à nager. Les braves noirs ignoraient, tout naturellement ce que c'était qu'une hélice. Ils roidissaient leur muscles puissants, et essayaient, mais en vain, de démarrer l'embarcation pesamment chargée, quand le sifflet de la machine lança deux ou trois appels stridents. Telle fut leur stupeur, qu'ils lâchèrent leurs pagayes, et s'arrêtèrent, pétrifiés, la bouche ouverte, les yeux blancs, les bras tendus, incapables de dire un mot. Mais ce fut bien autre chose quand l'hélice se mit à ronfler au milieu d'un blanc sillage d'écume, et que le canot bondissant sur les flots unis de la crique entraîna les pirogues avec une rapidité vertigineuse. Sans la présence de leurs chers blancs, nul doute qu'ils eussent escaladé le bastingage et prestement piqué une tête, pour s'enfuir d'une embarcation possédant un « piaye » si puissant, qu'elle marchait seule, et cinq fois plus vite que celles montées par les plus intrépides canotiers de la rivière. — Oh ! Ça blancs là !... Oh !.. mi maman ! Oh !... mi dédé !... Oh !.. Les interjections se croisaient encore avec une surabondance bien naturelle en présence d'un pareil prodige, quand on atteignit l'embouchure de la crique. — Tiens, fit Charles étonné, mes canots ne sont plus à leur place ! — Pas possible ! répondit Nicolas. Le patron avait l'ordre formel de nous attendre. Un sinistre pressentiment traversa le cœur de Robin. Du canot à vapeur le regard pouvait s'étendre fort loin sur le Maroni. Les eaux du fleuve géant s'étalaient à perte de vue, grises, plombées, ourlées à l'autre rive d'une interminable bande de verdure. C'est en vain que Charles dirigea de tous côtés son excellente lorgnette marine, et fouilla jusqu'aux moindres anfractuosités des rives. Les grosses barques avaient disparu. — Nous sommes volés, dit le jeune homme en palissant légèrement. J'ai eu tort de me fier à ce forçat libéré. Je ne m'y laisserai plus prendre. Il ne peut être bien loin, nous allons lui donner la chasse, avant peu nous l'aurons rejoint,... et alors, gare à ses oreilles!


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