Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

barcation prête à partir. Tu le vois, le champ des hypothèses est très vaste, sans qu'il soit besoin de s'alarmer d'un retard facilement explicable. — Tu ne l'ignores pas, mon cher enfant, rien ne saurait prévaloir contre une vague anxiété que l'on ne peut pas formuler, et qui échappe à toute définition. J'appelle en vain à mon secours le raisonnement, l'angoisse augmente, quoi que j e fasse. Tu sais bien pourtant que je ne suis guère pusillanime, et que la vie dans les forêts m'a singulièrement aguerrie. Cette impatience, bien que naturelle au moment suprême où la famille entière allait être réunie après une si longue absence, frappa Robin. Ses traits restèrent impassibles, mais la persistance de l'anxiété chez une aussi vaillante créature, se communiquait inconsciemment à son âme. L'immobilité lui pesait. Il eût voulu aller plus loin, tourmenter le manche d'une pagaye, voler sur les flots unis, et raccourcir cette distance qu'il était en droit de supposer bien minime. L'heure et l'état de l'atmosphère rendaient malheureusement impossible la continuation de la route. Il fallait rester à terre jusqu'à trois heures au moins. Eugène s'était tu. Edmond ne trouvait rien à dire. Chacun s'ingéniait, mais en vain, à trouver une diversion. Elle s'offrit

bientôt spontanément. Un cri

d'oiseau inquiet plutôt qu'effarouché se fit entendre à quelques pas derrière les lianes. « Marrraye!... Marrraye!... » Les instincts du chasseur se réveillèrent aussitôt chez Henri. Il saisit rapidement un fusil à deux coups, à piston, de fort calibre, acheté à Cayenne, et l'arma rapidement. Au craquement des batteries, succéda un brusque ronflement d'ailes et deux gros oiseaux s'envolèrent en traversant la clairière, avec la vitesse de deux projectiles. Deux coups de feu retentirent soudain, et deux marayes frappés p a r l'infaillible chasseur roulèrent lourdement sur le sol. Une détonation éclata dans le lointain, répondant, en quelque sorte, aux coups de fusil du jeune homme. Bien qu'un semblable incident ne soit pas très rare sur le Maroni qui est la grande voie de communication avec la Haute-Guyane, il est moins commun qu'on pourrait le croire tout d'abord. L'immense chemin qui marche est sillonné de pirogues assez nombreuses, montées par des mineurs se rendant aux placers, et chargées de provisions. Ces voyageurs ont bien autre chose à faire que de guetter en plein soleil une proie souvent absente, et les noirs tout entiers à la manœuvre ne sont guère tourmentés par le démon de la chasse. Aussi, les coups de fusil n'éclatent guère que le dimanche aux alentours des placers ou des plantations. Et d'ailleurs, la détonation que venaient d'entendre


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