Les grands aventuriers à travers le monde : les robinsons de la Guyane. Partie 2

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L E S R O B I N S O N S DE LA GUYANE

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suite du cadavre du piaye plus décomposé que jamais. Cédant enfin aux objurgations de Benoit, ils consentirent à l'enterrer non loin de la caverne, après avoir toutefois coupé sa longue chevelure, à laquelle les honneurs funèbres seraient rendus en temps et lieu. Les Peaux-Rouges, complètement ivres et parfaitement abrutis avaient été presque insensibles à cette claustration qui eût pu leur être fatale. Le retour à la lumière, à la vie des grands bois les laissa impassibles. Leur unique pensée, était de rentrer chez eux avec la chevelure du piaye, afin de recommencer la cérémonie funèbre accompagnée de plantureuses rasades. Ne voyant pas pour le moment de prétexte légitimant de nouvelles absorptions de cachiri ou de vicou, Ackombaka, soucieux du bonheur de ses sujets autant que du sien propre, voulut donner le signal de la retraite. Il avait en somme tenu sa promesse. Le chef blanc avait pu, grâce à son aide, atteindre son b u t ; à lui maintenant de remplir ses engagements. Il était temps de rallier la crique et de partir en guerre contre les Bonis et les Poligoudoux. Mais Benoît ne l'entendait pas ainsi. Les Peaux-Rouges étaient de trop précieux auxiliaires pour qu'il consentît non seulement à quitter la place, mais encore à se priver de leurs services. Comme il connaissait admirablement les faiblesses de ces grands enfants naïfs, avides et paresseux, il ne lui fut pas difficile de les séduire de nouveau. — Le chef des Hommes-Rouges, dit-il sentencieusement, renonce-t-il à punir le meurtrier du piaye de sa tribu ? Est-il à ce point dégénéré, qu'il oublie comme une vieille femme l'injure faite à lui-même et à ses guerriers ! — Mes jeunes hommes, répondit piteusement l'ivrogne, n'ont plus de provisions. La faim cruelle va hurler dans leurs entrailles, ils n'auront plus de forces pour combattre les nègres du Maroni. Qui donc défendra leurs femmes, leurs enfants et leurs vieillards, si la famine les abat et leur enlève toute leur énergie ? — Mais l'honneur des hommes rouges n'est-il pas préférable à tout ! — L'Indien ne marche au combat que quand il n'a pas faim, riposta le chef en paraphrasant inconsciemment, cela va sans dire, ce mot du maréchal de Saxe : « Le soldat ne se bat que quand il a mangé la soupe... » — Qu'à cela ne tienne, reprit Benoît. Je conduirai le chef et ses guerriers dans un abatis comme nul indien n'en a vu depuis que « Gadou », le grand maître du monde, a cré les hommes, les animaux et les forêts. — Mon frère dit-il la vérité?


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