Oisans, colporteur d'histoires

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Livres et Palabres

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Palabres de Papiers Jeu d’écriture atelier

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Pour un moment de ré-création et ré-écriture,

Pour tous ceux et celles qui aiment oser, tenter, expérimenter, jouer... Atelier d’écriture Des participants enthousiastes et motivés, des jeux pour mettre à l'aise et des souvenirs pour s'amuser, une ambiance conviviale : un joli succès pour cet atelier d'écriture sur le thème de "L’Oisans, Colporeur d’Histoires ".

Jeudi 14 février 2013

arijo, M , y n , Fan léry , Anja lviane et Va ns. é r d n isa àA Sy merci , Sandrine, teurs de l’O d n a r Un g a, Rozenn xtes évoca i e Patric urs beaux t e pour l


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Arrivé au pays, il déballait tout sur la place publique… Ce colporteur Joseph arrivait avec le printemps. Il s’asseyait à l’entrée du village pour reprendre son souffle tant la montée était rude. Il était particulièrement attendu par les enfants d’Huez dont les sens aiguisés à l’extrême par la longue attente des jours meilleurs devenaient difficiles à raisonner car « mai per quounque uns, l’eri pas toujours facilou ! *» En fait, la visite du colporteur tuait l’hiver. Bientôt ce seraient les préparatifs des mariages avec l’oiseau blanc aux ailes déployées suspendu au seuil de la maison de la promise… * Mais, pour certains, ce n’était pas toujours facile !


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Le vieux bâtiment était dans un état d’abandon presque complet. Dans le crépuscule glacé, une incertaine présence humaine semblait émerger de cette baraque cubique à demi moulinée à la suite de l’accident. Qui aurait pu imaginer une telle destinée, après avoir été ce lieu charmant et joyeux, où l’on aimait se retrouver jadis ? Au pied des Grandes Rousses, cette bâtisse de pays, au centre du village, fait place au Pic Blanc, vertigineux. Baignée par les rayons du soleil rougeoyant, elle avait ses fidèles, charmants. Même les chamois y venaient, se laissant caresser par les habitués, tel le Magicien d’Oz et sa marraine, toujours joyeux. Mais un ancien l’avait prédit : « Quand lâ bize monta a roucha de no, le la neo que arrive »* Depuis le drame, tout a changé, tout s’est figé. C’est un peu comme si la glace était devenue l’unique résidente annuelle de ce lieu dont seule la baratte fonctionne encore.

*Quand le brouillard monte au rocher de neuf, c’est l’arrivée de la neige


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Les discussions redoublèrent, on ne pensa plus à la messe. Jason, le garde champêtre, était le sujet de toutes les conversations ; lui, ce gaillard aux courtes cuisses et à la nuque taurine. Lui, dont la fine moustache soulignait une lèvre finement ourlée, qui s’harmonisait bien peu à son allure de brute. On le savait efficace, tranchant dans le propos, archaïque dans les pensées ; mais ce que les paroissiens venaient d’apprendre sur leur garde champêtre dépassait tout : on lui pardonnait volontiers de pêcher la truite Fario deux bons mois après la date autorisée qu’il ne se privait pourtant pas de proclamer les jours de marché sur un impérieux « Avis à la population !!! » mais lui, cet homme qui jadis, pour tuer l’hiver, confectionnait de dodus édredons de plumes d’oies ramassées après la Noël à Villard Notre-Dame, venait de passer à l’acte. Et quel acte ! Muni de son couteau aiguisé comme il se devait, il venait de dépecer froidement une paroissienne jugée trop bigote, et ce, près du confessionnal de chêne brun, tandis que Germaine, son épouse, arrivait de son hameau voisin en apostrophant les d’Huizats pétrifiés « Aillou bion charonteu inke??????? »* *Avez vous bien glissé aujourd’hui?


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Le père Louis décida d’amontagner le 17 juin pour mettre au soleil* ses vaches. Il préféra les prés près du lac du Milieu au lieu de monter plus haut vers le Pic Blanc. Il aurait voulu attendre que son fils colporteur arrive, mais apparemment, les affaires n’avaient pas bien marché, d’où son retard. *Bita ou soulet


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

«Il y a quelque temps, j’ai trouvé ces pierres dans les Rousses, du côté des Quirlies », annonçâ-t-il avec malice, les moustaches frangées de givre car il faisait un froid de loup et « La farri pas bon cousa defou»* dans ces cas ; « avec ça on fait de solides pieds de cordonnier » ajouta-t-il ; La vieille au fichu qui revenait de chercher de l’eau au lavoir se souvenait d’une histoire qui se racontait à la veillée, celle de ce colporteur qui du côté du Goléon, à moins que ce ne soit près du piton du Péron, enseveli sous une avalanche par une nuit dantesque, avait été sauvé par cet outil que recélait sa besace, et grâce auquel il avait réussi à se tracter à la surface. Bien sûr ça ne paraît pas très vraisemblable vu la taille de l’instrument, mais il se passe tellement de choses en Oisans qu’après tout… *Il ne fait pas bon coucher dehors


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Il reçut la première goutte de pluie tandis qu’il parvenait dans les rochers précédant le sommet. Marcel remonta le col de sa veste, s’ébroua et repartit d’un bon pied. Cette force de la nature, avec son énorme barbe noire, était connue dans tout l’Oisans. Car Marcel était le garde champêtre, la terreur des braconniers du coin, pas aimable ni vert galant, ne renonçant jamais. Seul au sommet de la Croix de Cassini, Marcel contemplait la vallée au loin. Autour de lui, les nuages s’amoncelaient en de noirs présages. Il entama la redescente par l’autre versant. La pluie se transforma en flocons alors qu’il arrivait. La gorge serrée, il regardait la neige lourde tomber sans bruit, tel un fléau rampant dans l’Oisans chauve. Mizoën… Un nom étrange qui s’enroule dans la bouche, un lieu perdu où seules quelques fumées s’échappent. Au milieu de la place, une hotte de colporteur était abandonnée contre la fontaine. Ses planchettes, usées, noircies, baillaient un peu. Impossible de savoir ce qu’elle contenait, ni depuis combien de temps elle était là. Au loin la route de Clavans disparaissait, avalée par la neige. Marcel s’approcha et commença à » fare la guéougne»* . Mais rien ne bougeait. Seule la masse noire de la hotte se détachait, lugubre, amère… Il hésita, puis se pencha. Et l’enfer se déchaîna. *Faire la grimace


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Plus jamais il ne monta à Brandes. Pour lui, c’était devenu le bout du monde. Cet été-là, notre moniteur de ski l’hiver, maçon l’été, l’as de la conversion au sortir du tunnel de Sarenne qui faisait hurler de peur les riches étrangers et rigoler les fiers enfants de l’Oisans Chauve ; cet étélà, dis-je, Yves qui revenait de l’amer Taillefer se proposa pour porter la « bourte ô sèïtre » à Brandes. Quand on entendait cette injonction journalière « La fo adulre la bourte ô sèïtre »*, enfant ou adulte sans occupation, il y avait toujours un volontaire. La malchance a voulu qu’un inconscient, natif d’Emparis, avait laissé au sol, sans protection, sa faux bien affûtée et qu’Yves s’empala sur la pointe. Plus jamais il ne monta à Brandes. Amputé, désespéré, il cassa ses skis de 2m50 pour son mètre 65 et n’eut plus qu’à fabriquer, le pied sur sa chaufferette, des colombes de mariage. *Il faut apporter la musette au faucheur


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Il s’habilla et quitta précipitamment le « chambron ». Marcel, prévenu de l’accident, prit la route alors que le soleil n’avait pas encore point. Épris de liberté et de grands espaces, son neveu était parti la veille pour s’attaquer à l’ascension du Pic Blanc. Une alerte avalanche avait fait déserter les touristes, mais pas refroidi notre jeune homme. Il aura péché par excès de zèle. Il était malheureusement trop tard. Nulle guérison n’était à prévoir. Le lendemain, jour de l’enterrement, une foule s’était regroupée autour du cercueil. Comme pour faire corps avec cette tristesse insoutenable, il pleuvait. Marcel, chagriné, était « Ou leï rayan »* *Il est tout mouillé


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Quelquefois, on venait le chercher au milieu de la nuit, de Besse. Cette fois-ci, le militaire devait mettre fin au marché noir d’alcool : « du bon », disait-on. Chien en laisse et ciré sur les épaules, il interrogeait les hommes, du cimetière à la ferme d’Adélaïde la surjeteuse, inquiets d’être ainsi soupçonnés. Sans se débiner, ils s’abritaient sous le chaume des toits pour répondre à l’adjudant Baisse. Rapidement, la « surjeteuse » fut la principale accusée. Elle profitait de sa « pratique » pour cacher les bouteilles entre les draps et vêtements à travailler. Elle étendait son marché de la Diboua à Huez, en passant par Clavans, plaque tournante du trafic. Elle dissimulait la liste de ses clients dans la clavette creuse de son instrument. L’Oisans devint la planète oubliée des amateurs car l’arrestation d’Adélaïde fut le début d’une longue période d’anémie alcoolique.


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PALABRES DE PAPIERS - ATELIER D’ÉCRITURE FÉVRIER 2013

Crédits photos Sandrine Mosca (le colporteur Michel Bayard, vue du refuge Rajon, photos de l’atelier) Musée d’Huez et de l’Oisans (colombe de mariage, couteau pain, baratte, colporteurs, Paysanne Pouthuire d'Ornon,) Association Freneytique (Surjeteuse, pied de cordonnier, homme tracté par un âne) Musées départementaux Albert et Félicie Demard (chauferette) L'école de ski à l'Alpe d'Huez - Photo de presse par Keystone (années 30) : L'échauffement des skieurs sur le plateau de l'Alpe d'Huez Mon village perché (balle de colporteur)

Le colportage est une tradition ancienne en Oisans qui trouve son origine au Moyen Age. Chaque année, l'hiver venu et l'oisiveté forcée poussent les hommes à partir. Ils deviennent marchands ambulants dans l'espoir de rapporter quelque argent. Colporteurs merciers d'Auris-en-Oisans : Joseph Balme (à droite) et Maximin Bert, son beau-père. Auteur : inconnu Époque : 2e moitié du 19e siècle, 1er quart du 20e siècle Provenance : Auris, Oisans Collection Musée d'Huez et de l'Oisans


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