ESPACE GO - JE SUIS UNE FEMME D'OCTOBRE - REVUE DE PRESSE

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Projet : Je suis une femme d'octobre Client : ESPACE GO

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 ROSEMONDE COMMUNICATIONS
 Service des relations publiques et de presse

514-458-8355

593, avenue Notre-Dame J4P 2K8


JE SUIS UNE FEMME D ’ O C T O B R E 50

ans

de

mobilisation

de

femmes

Du 1er au 31 octobre 2020


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Pensé collectivement, ce projet détourne artistiquement et politiquement les récits officiels de ce qu’on nomme « la crise d’Octobre » pour faire fléchir l’Histoire et en éclairer les angles morts.

Présentation du projet ............................................................................ 4, 5

Mot de Ginette Noiseux, directrice d’ESPACE GO ..................................................................... 6 à 8

Mot d’Emmanuelle Sirois, chercheuse en résidence à ESPACE GO ............................................10, 11 Le comité artistique ..........................................................................12 à 15

Création d’une œuvre murale par Caroline Monnet ..........................................................................16 à 19

TABLE DES MATIÈRES

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Les fictions en balado ...................................................................... 20 à 31

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Les récits historiques ....................................................................... 32 à 47

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Activité participative Nos héroïnes ..................................................... 47, 48


Présenté du 1er au 31 octobre 2020, Je suis une femme d’octobre est un événement qui réunit murale, exposition de photos en mode déambulatoire, création de récits et activité participative. Le Théâtre ESPACE GO célèbre 50 ans de mobilisation de femmes qui ont eu un impact profond sur les transformations de la société. Autant de luttes qui résonnent toujours haut et fort aujourd’hui et que les manuels d’Histoire ne racontent pas. Pensé collectivement, ce projet détourne artistiquement et politiquement les récits officiels de ce qu’on nomme « la crise d’Octobre » pour faire fléchir l’Histoire et en éclairer les angles morts. Les artistes Jenny Cartwright, Marilou Craft et Émilie Monnet ainsi que les chercheuses et accompagnatrices Viviane Michel, Ginette Noiseux, Alexandra Pierre, Annie O’Bomsawin-Bégin, Camille Robert et Emmanuelle Sirois ont été invitées à revoir ces dernières décennies de mobilisation de femmes en images et en mots, en chroniques historiques et en hymnes aux combats menés. Les récits seront diffusés en baladodiffusion sur le site Internet et dans le débarcadère/Quai des arts du Théâtre ESPACE GO. Au cœur de ce projet pluridisciplinaire, il y a la création, par l’artiste plasticienne Caroline Monnet, d’une œuvre murale qui se déploiera sur la façade du Théâtre ESPACE GO. Faisant écho à cette murale, une exposition de photos d’archives de manifestations sera présentée en mode déambulatoire sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal, entre Marie-Anne et Saint-Viateur. Le public pourra découvrir 25 photos dans les vitrines de commerces partenaires et, à travers elles, différents mouvements sociaux qui ont façonné notre monde et qui occupent encore aujourd’hui l’actualité. Le public pourra également s’exprimer grâce au volet Nos héroïnes, une invitation à rendre hommage à des femmes inspirantes, connues ou inconnues. Il suffit de nous faire parvenir une photo de la personne, libre de droits, accompagnée d’un court témoignage expliquant son importance ou son legs. Les photos recueillies défileront en boucle sur l’écran numérique à l’entrée du théâtre et formeront une mosaïque sur le site Internet d’ESPACE GO pendant tout le mois d’octobre.

LE

PROJET


POUR L’AMOUR DU MONDE J’ai 12 ans en octobre 70, un moment qui marque l’éclatement d’une décennie de tensions au Québec, nourries par des mouvements partout dans le monde. J’ai 12 ans et je suis impatiente. Dernière de quatre enfants, mon entrée dans l’adolescence baigne depuis un moment déjà dans la musique des jeunes qui, à l’échelle de toutes les Amériques, contestent l’autorité, bouleversent les ordres établis. Une jeunesse qui crée de nouveaux espaces de circulation des idées. On s’oppose à la guerre au Viêt Nam, on porte des t-shirts à l’effigie de Che Guevara, je dévore tout Tolstoï. Ma sœur aînée joint le Parti marxiste-léniniste. Clandestinement, ses amies aident des femmes à se faire avorter à New York. Elles me font lire Anaïs Nin et Simone de Beauvoir. Je claque la porte du bureau du directeur de mon école qui, pour me féliciter de mes notes, me dit que je suis promise à un brillant avenir : celui de devenir l’épouse d’un grand homme!

MOT DE LA D I R E C T R I C E

J’ai 12 ans et ma destinée de fille m’appartient. C’est la révolution! C’est exaltant. Je me souviens du choc ressenti à l’écoute de la lecture du manifeste du FLQ sur les ondes de RadioCanada. On y parle de l’oppression des travailleurs de la Vickers, de la Davie Ship, des gars de la Lord, des pêcheurs de la Gaspésie. Mais pas un seul mot sur l’oppression que subissent les femmes, sinon seulement pour mentionner que « Madame Lemay de Saint-Hyacinthe devrait avoir le droit, elle aussi, de se payer un petit voyage en Floride ». Comment? Comment les héros de mes 12 ans peuvent-ils réduire mes désirs de femme en devenir… à celui de pouvoir me payer un jour un petit voyage en Floride, alors qu’ils ne sont pas sans connaître les aspirations des femmes ? Elles qui sont aussi bel et bien présentes en octobre 70, présentes sur tous les fronts, au cœur de toutes les luttes, pour l’émancipation et la justice. À chaque décennie de commémoration des événements d’Octobre, j’éprouve à nouveau la même exaspération devant notre invisibilisation.

Photo : Raphaël Ouellet

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Ce sont les femmes qui, en 1970, étaient les personnes au plus bas de l’échelle du point de vue socioéconomique — c’est toujours le cas 50 ans plus tard — et qui subissaient et subissent toujours le plus brutalement les effets du colonialisme, du racisme, des inégalités de classe, des politiques migratoires, des désastres écologiques, du capacitisme, de l’hétérosexisme. Bref, la même exploitation que dénonçaient les révolutionnaires du FLQ. Dans les imaginaires collectifs, les événements d’octobre 70 ont été initiés, conduits et incarnés par des hommes. Depuis 50 ans, cette histoire nous est racontée en articles, en entrevues, en conférences, dans des livres, dans des films et en musique presque uniquement du point de vue des hommes blancs cisgenres. Ce manque de visibilité des perspectives des femmes et des autres communautés marginalisées, qui étaient déjà au front dans les années 70 et dont les luttes résonnent toujours haut et fort aujourd’hui, a des conséquences. Il expose au quotidien les enfants, les jeunes gens, les citoyen·nes du Québec à des contenus limités, à des stéréotypes réducteurs qui nous pénètrent à notre insu et nous privent d’une liberté véritable de pensée et d’action. Le projet Je suis une femme d’octobre investit notre imaginaire collectif par des récits de créatrices, de chercheuses, de militantes que l’on aimerait découvrir à l’école, dans les livres d’Histoire, dans notre cinématographie québécoise. Ce sont des récits essentiels, qui éclairent plusieurs angles morts, comme le rappelle la militante Alexandra Pierre, notamment les contradictions manifestes entre la libération du Québec et la dépossession et la colonisation des peuples autochtones, toujours non résolues aujourd’hui, ni pacifiées. De même, l’instrumentalisation de la longue histoire des femmes noires et des femmes racisées, représentée à travers l’expression consacrée de la crise d’Octobre selon laquelle les Québécoises seraient « les esclaves des esclaves », analogie qui démontre toute la méconnaissance de l’histoire des Noir·es au Québec et dans les Amériques.


Les temps ont changé, mais l’inclusion n’est pas gagnée. Le chantier féministe portant sur la place des femmes en théâtre tenu à ESPACE GO il y a un an m’a amenée, à travers des rencontres importantes, à m’ouvrir à un processus de décolonisation de mon imaginaire. J’y suis engagée, non pas par rectitude ni par un opportunisme au goût du jour, mais certainement par allégeance aux devoirs d’écoute, de curiosité et d’ouverture qui sont les fondements de toutes démarches créatrices authentiques. Le projet Je suis une femme d’octobre raconte 50 ans de manifestation dans la rue, de luttes de femmes, « de toutes les femmes », menées par elles pour l’amour du monde.

Enfin, je voudrais exprimer notre profonde reconnaissance à Luc Chauvette et aux 25 commerçant·es du boulevard Saint-Laurent qu’il a fédéré·es et qui ont accepté de participer à cette aventure dont nous n’avions pas mesuré toute la portée bousculante, audacieuse et essentielle, initiant un dialogue pas toujours confortable, même en 2020, entre nous, leur clientèle et les passant·es. Avec tout mon amour. Tout mon amour du monde. Ginette Noiseux Directrice générale et artistique

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et j’aimerais reprendre les mots d’Emmanuelle Sirois, chercheuse en résidence à ESPACE GO, lorsqu’elle écrit : « Ce qui précède l’indignation, c’est l’amour du monde, et l’amour du monde implique forcément de rêver sa suite. Peut-on aimer sans espoir? L’amour est un acte de projection et de réparation. » Qu’ajouter? Tout est contenu là. Toute ma propre vie. Je voudrais exprimer ma plus profonde amitié, mon admiration, aux femmes qui forment le noyau dur de ce projet, des éveilleuses de conscience et de beauté : les créatrices Jenny Cartwright, Marilou Craft, Émilie Monnet, Caroline Monnet; les chercheuses et accompagnatrices Viviane Michel, Annie O’Bomsawin-Bégin, Alexandra Pierre, Camille Robert ; les collaboratrices Emeline Goutte et Emmanuelle Sirois, ainsi que la trentaine de rédactrices, photographes, et toutes les équipes qui ont contribué à la réalisation de Je suis une femme d’octobre. Merci également aux personnes qui, dans l’ombre, nous ont apporté leur soutien financier pour que ce projet se concrétise.

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C’est un travail rétrospectif, nous dit-elle, « un travail d’excavation et de résurrection de ce qui a été et qui fut indûment enfoui ». Octobre, c’est peut-être une façon d’être au monde, une posture de résistance. Un temps politique qui n’appartient pas seulement aux années 70. Ne pourrions-nous pas enchaîner les « octobres » comme on enchaîne les automnes et les hivers? « Contribuer à les faire germer », comme nous l’écrit Alexandra Pierre.

JE SUIS UNE FEMME D’OCTOBRE; SUR LA MÉMOIRE, SUR LA BEAUTÉ, ET SUR LA PUISSANCE INCANDESCENTE DE CELLES QUI « RÉSISTENT » Nous savions qu’aux abords de la commémoration de la crise d’Octobre, événement si marquant et constitutif de l’imaginaire collectif québécois, nous allions entendre à nouveau ce que nous connaissons déjà des années 70. La mémoire d’Octobre existe. Elle s’est cristallisée autour de certaines figures et certains faits. Nous avions envie d’autres choses, nous avions envie de détourner l’événement, de prendre l’espace offert pour faire entendre d’autres récits. « Il est des histoires qui ont besoin d’être sans cesse réactivées afin de pouvoir être relayées avec de nouvelles données et de nouvelles inconnues1», nous disent les philosophes Isabelle Stengers et Vinciane Despret. L’idée de déshabiller l’Histoire, pensée comme un matériel artistique, comme on dévêt un roi de sa fourrure d’hermine; la liquéfier, la transformer, a donc germé. La question de l’Histoire est une question posée au savoir. Françoise Collin écrit : « Il s’agit de retrouver dans le passé les figures de femmes, les strates propres aux femmes, que l’histoire dominante a occultées.2 »

Certes, les espaces où se sont réunies les femmes pour discuter, agir, comploter ne se réduisent pas à la rue. Les femmes s’organisent dans des groupes politiques, communautaires, dans leur cuisine, dans les théâtres, dans des maisons d’édition, dans des syndicats… C’est pourtant la rue qui est devenue le théâtre de Je suis une femme d’octobre, ce lieu d’où l’on regarde ces corps en résistance. C’est en marchant le boulevard Saint-Laurent qu’on peut découvrir la richesse de nos luttes. C’est de la rue qu’on se laisse traverser par la puissance de la murale réalisée par Caroline Monnet, qui habille complètement la devanture d’ESPACE GO. C’est de la rue qu’on accède au débarcadère, où sont diffusés les trois récits.

Peut-on aimer sans espoir? L’amour est un acte de projection et de réparation. La danseuse montréalaise Karla Etienne, invitée à donner son point de vue sur Love Is the Message, the Message Is Death de l’artiste afro-américain Arthur Jafa, précise que « la résistance est une pratique constante, continuelle et vivante »3. C’est exactement ça, ce projet : cinquante ans de mobilisation constante, continuelle et vivante. Des « corps debout, d’une dignité marquante, et ce, même si elles sont en train de tomber. […] Ce n’est pas un corps vide et mou. C’est un corps puissant, plein et vivant. » Ce qui se dégage du corps des femmes en lutte d’hier à aujourd’hui, relayé en images et en son, c’est l’énergie de leur courage. Leur « feu » dirait Marilou Craft. Leur fougue, dis-je. Les femmes d’octobre sont femmes de résistance, portent en elle la tension entre le monde à transformer et le monde à faire naître, entre l’histoire et la contre-histoire, entre le pouvoir et le contre-pouvoir, entre les droits à revendiquer et les droits institués. « Je sais les femmes d’octobre », raconte Jenny Cartwright. Et « nous savons que nous ne sommes pas seules », lui répond la mémoire. Les femmes d’octobre sont femmes de dissensus et de résonnance : elles ne cherchent pas à aplanir l’excès, à invisibiliser la différence. Elles en célèbrent la portée. Elles se comprennent dans la diversité. Artistiquement, nous avons préconisé une dramaturgie dissensuelle, une posture artistique qui fonctionne en chambre d’échos et qui honore la complexité des héritages féministes. Nous avons refusé la linéarité. Vous allez ainsi repérer dans les textes et les récits audio des faits et des personnages récurrents. Chaque geste a sa couleur propre et raconte l’histoire avec un angle différent. La répétition, réitération magique et potentiellement infinie, est un choix, une stratégie, qui s’est imposé à nous. Émilie Monnet dirait « travailler en ramifications ». Nous sommes des femmes d’octobre, nous faisons partie du même projet, mais nous avons nos voix propres, nos luttes, et des idées ancrées dans nos vécus respectifs.

S’exposer au monde, exposer son désir de vie, son désir de lutte, s’exposer le corps dans une représentation, sur scène ou dans la rue, prend un sens politique et poétique. Il y a assurément une jonction entre l’art vivant et les manifestations, dans ce qu’ils performent : le corps social mis en scène dans un geste « révélateur » et potentiellement « perturbant ». Troubler la circulation urbaine et troubler les affects des spectateurs, dans les deux cas il y a « engagement ». La résistance, terme galvaudé s’il en est un, fédère de façon remarquable ce qui se dégage des corps représentés et racontés dans cette œuvre que nous avons appelée Je suis une femme d’octobre. Des corps de femmes exposées dans la rue, des femmes qui revendiquent leurs droits, se mettent en jeu, en danger, pour celles qu’elles aiment et celles qui viendront plus tard. Pour les femmes du futur, parce que ce qui précède l’indignation c’est l’amour du monde, et l’amour du monde implique forcément de rêver sa suite.

Photo : Martha Pluchino

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À l’instar de mes contemporaines, mon octobre en est un qui succède aux luttes autochtones pour le territoire, aux vagues de dénonciations, au chapitre 2020 de Black Lives Matter, dans un contexte de crise pandémique. Je n’ai pas l’octobre tranquille. Mais dans ce chaos et ce cœur suspendu, je chéris solide et bellement vulnérable ce que les femmes m’apprennent : c’est quand la mémoire de mes blessures s’articule aux souffrances des autres que je sors de moi et que naît la possibilité de l’indignation, c’est-à-dire la beauté, et la puissance incandescente de celles qui « résistent ». Emmanuelle Sirois Chercheuse en résidence à ESPACE GO

NOTES 1 Les faiseuses d’histoires: que font les femmes à la pensée? de Isabelle Stengers et Vinciane Despret, 2011, Éditions La Découverte Françoise Collin. Anthologie québécoise, 1977-2000, préparée par Marie-Blanche Tahon, 2014, Éditions du Remue-ménage 2

D’ESQUIVE ET DE REBONDS, Point de vue de la danseuse montréalaise Karla Etienne sur l’œuvre d’Arthur Jafa, https://macm.org/education/le-blogue/desquive-etde-rebonds/ 3


Photo : David Cherniak

Photo : Julie Artacho

LE COMITÉ A R T I S T I Q U E

Jenny Cartwright (balado) consacre son travail de cinéaste à dresser un état des lieux de la société dans laquelle elle évolue. Elle y explore les thèmes de l’autodétermination et des inégalités - auxquels elle revient tout le temps - à travers des sujets comme la gentrification, l’immigration, le militantisme, le travail du sexe et la pauvreté. C’est à travers ce parti pris pour les personnes mises à l’écart qu’elle tente d’allier poésie et manifestes. Si elle se questionne constamment sur la façon de raconter, passant d’une forme classique au film expérimental et de l’installation à la création sonore, sa pratique reste résolument documentaire. Quels que soient les outils à sa disposition - crayon, enregistreur, caméra - c’est le réel qu’elle raconte et interroge.

Marilou Craft (balado) a un parcours académique en études théâtrales, en droit et en création littéraire. Elle est conseillère dramaturgique associée au Centre des auteurs dramatiques (CEAD) et collabore également avec des artistes tels que la compagnie de création interdisciplinaire projets hybris. En tant qu’autrice, elle signe régulièrement critiques, articles, chroniques et commentaires culturels sur des plateformes variées. Elle puise dans ses diverses expériences pour développer une pratique littéraire et performative qui sonde les zones grises de l’intime et du politique. Ses écrits figurent notamment dans les recueils Cartographies II : Couronne Nord (La Mèche, 2017) et Corps (Triptyque, 2018), ainsi que dans la revue Mœbius (no. 159, 2018). Elle vit, travaille et crée à Montréal.

Formée en communications, Emeline Goutte est chargée de projets au pôle création et adjointe à la direction artistique et générale d’ESPACE GO. Sans sa diligence, son intelligence, sa rigueur et sa générosité, Je suis une femme d’octobre n’aurait pas vu le jour. Elle en a été le cœur battant, la force tranquille, l’irremplaçable Héra gardienne du feu. Interlocutrice de prédilection tant sur le fond que sur la forme, elle a tenu les rênes fermement tout en laissant place à la flexibilité nécessaire au projet. Photo : Laurie Buteau

Photo : Femmes Autochtones du Québec

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Présidente de Femmes Autochtones du Québec depuis 2012 – après avoir été vice-présidente de 2010 à 2012, Viviane Michel (accompagnatrice) est un femme innue qui porte la fierté de son peuple. Elle est une femme de tradition qui met un point d’honneur à valoriser les pratiques traditionnelles de sa nation et à promouvoir le respect de l’identité et de la culture des nations et des femmes autochtones. Elle a travaillé de 2007 à 2012 comme intervenante pour la Maison communautaire Missinak pour femmes autochtones victimes de violence ou en difficulté en milieu urbain à Québec, et à titre de travailleuse santé communautaire pour les ex-pensionnaires dans le programme avec Santé Canada pendant quatre ans. Elle a aussi été la directrice de la Nation Innue pour Femmes Autochtones du Québec – regroupant les neuf communautés innues – de 2004 à 2010.


Alexandra Pierre (chercheuse) milite et travaille dans le milieu communautaire et au sein des groupes de femmes depuis une quinzaine d’années. À travers ses expériences comme organisatrice communautaire et dans le milieu de la recherche, elle s’intéresse aux enjeux féministes ainsi qu’aux questions de migration et de racisme. Elle s’implique à la Ligue de droits et libertés depuis 2014 et y a récemment été élue au poste de présidente. Dans ses temps libres, elle lit tout ce qui lui passe sous la main.

Émilie Monnet est directrice artistique de Scène contemporaine autochtone (SCA) et des Productions Inishka, créatrice pluridisciplinaire, metteuse en scène et comédienne. Au croisement entre le théâtre, la performance et les arts médiatiques, la pratique d’Émilie Monnet privilégie les processus de création collaboratifs, et ses œuvres sont le plus souvent présentées sous forme de théâtre interdisciplinaire ou d’installations immersives. Photo : Christian Blais

À l’automne 2018, elle débutait sa résidence d’artiste de trois ans au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui avec Okinum, et y présentait Kiciweok : lexique de 13 mots autochtones qui donnent un sens en décembre dernier. Depuis 2016, elle présente Scène contemporaine autochtone, une plateforme nomade pour la diffusion des arts vivants autochtones dont la dernière édition s’est tenue à Édimbourg en août 2019. Émilie Monnet est d’origine anishinaabe (algonquine) et française et a grandi en Outaouais et en Bretagne. Elle vit actuellement à Tiohtià:ke/Mooniyaang/Montréal.

Photo : Tarik Daqoune

Ginette Noiseux (directrice) conjugue depuis près de 35 ans le double métier de scénographe et de directrice artistique. À l’automne 1981, elle joint l’équipe du Théâtre Expérimental des Femmes, compagnie qui deviendra ESPACE GO.

Photo : Raphaël Ouellet

Photo : Julie Artacho

Camille Robert (chercheuse) est doctorante en histoire à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur l’histoire des femmes, du travail, de même que sur les mouvements féministes et syndicaux au Québec. Elle a publié Toutes les femmes sont d’abord ménagères - Histoire d’un combat féministe pour la reconnaissance du travail ménager (Éditions Somme toute, 2017) et codirigé Travail invisible - Portraits d’une lutte féministe inachevée (Éditions du remueménage, 2018). Camille Robert est également chargée de cours, conférencière, chroniqueuse et membre du comité éditorial de la revue HistoireEngagée.ca.

Passionnée par la dramaturgie de langue française, elle fait découvrir au public le répertoire contemporain par le biais de textes inédits et de chefs-d’œuvre oubliés. Sous sa direction, GO demeurera toujours fidèle à trois grands principes : un théâtre d’idées, un outil exceptionnel à la disposition des créateurs et créatrices les plus engagé·es dans les enjeux de la modernité et une direction artistique forte. Le travail de Ginette Noiseux fut souligné par plusieurs récompenses dont le prix de l’Artiste pour la Paix, la médaille du Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de France, le prix Femme-Arts et Culture de mérite la Fondation Y des Femmes et le 20e Grand Prix du Conseil des Arts de Montréal qui soulignait la qualité remarquable de la 25e saison de son théâtre.

Photo : Martha Pluchino

Annie O’Bomsawin-Bégin (chercheuse) est membre de la Première Nation des Abénakis d’Odanak. Depuis 2011, elle enseigne la philosophie au Cégep de SaintJérôme et, dans le cadre de son projet de maîtrise en philosophie, elle étudie les discours des intellectuel.les autochtones qui s’intéressent aux enjeux que vivent les femmes autochtones dans un contexte d’autodétermination et de décolonisation.

Photo : Patrice O’Bomsawin-Bégin

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Récipiendaire de la bourse d’études supérieures du Canada Vanier, Emmanuelle Sirois est Research Affiliate à la New York University, doctorante en études et pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du conseil d’administration de l’Euguélionne, librairie féministe. Diplômée de l’UQAM, de l’Institut national de la recherche scientifique, de l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, de l’Université libre de Bruxelles, elle a été chercheuse invitée au Graduate Center de la City University of New York (CUNY), a été fellow à l’édition 2017 de la Mellon School of Theater and Performance Research à la Harvard University, dont le thème était « Research, Pedagogy, Activism », a participé à l’école d’été ProArt de la Ludwig-Maximilians-Universität de Munich et a cofondé l’UPop Montréal ainsi que les RDV_art et politique à l’Usine C. Ses intérêts de recherche se situent dans le champ de la sociologie du théâtre. Elle a aussi codirigé, avec Julie Paquette et Ève Lamoureux l’ouvrage Études de cas : Art, entre liberté et scandale, paru dernièrement aux éditions Nota Bene.


C R É AT I O N D ’ U N E OEUVRE MURALE


OEUVRE MURALE DE CAROLINE MONNET L’œuvre Debouttes fait suite à mon exploration des mouvements sociaux à travers la représentation des femmes autochtones dans l’image publique. Je propose une approche culturelle et personnelle célébrant la communauté, l’identité et la mémoire non conventionnelle par une relecture des expressions culturelles.

Cette œuvre est un hommage à toutes les femmes qui se sont battues et continuent de se battre pour que nos droits soient respectés. Caroline Monnet Artiste

Je mets en scène la dualité de mon identité sociale, politique et spirituelle pour développer un cadre critique explorant l’influence de l’histoire et de l’héritage intergénérationnel.

Caroline Monnet est une artiste multidisciplinaire originaire de Gatineau qui vit et travaille à Montréal. Après des études à l’Université d’Ottawa et à l’Université de Grenade (Espagne), elle poursuit une carrière en arts visuels et cinéma. Ses œuvres ont été présentées au Canada et à l’étranger, notamment en Europe et aux États-Unis lors de la Whitney Biennial 2019, ainsi qu’au Musée d’art contemporain de Montréal, au Musée des beaux-arts du Canada et à la Biennale de Toronto. Ses œuvres font partie des collections de ces institutions. Caroline Monnet est représentée par la Galerie Division. Photo : Ulysse Del Drago

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LES FICTIONS EN BALADOS


1969-2019.

qui ont ajouté le mot femme sur leur bulletin de vote, et dit ni oui ni non à ce projet qui les laissait de côté.

les femmes debouttes du Front de libération des femmes, le FLF, qui ont crié la justice c’est de la marde, et joué un rôle fondateur dans l’émergence d’un nouveau féminisme décapant.   celles du Centre des femmes, qui ont repris le flambeau du FLF permis des avortements jugés illégaux par ceux qui n’en avaient pas besoin résisté à la répression · aux perquisitions · aux saisies illégales et abusives

JE SAIS LES FEMMES D’OCTOBRE

les militantes lesbiennes qui ont vécu le mépris, la violence des scientifiques clamant qu’elles souffraient d’une maladie mentale ce que la Régie de l’assurance maladie du Québec a répété jusqu’en 2010 plaçant l’homosexualité entre l’histoplasmose et le hoquet dans le répertoire de leurs diagnostics. Line Chamberland la Coop-femmes celles qui ont claqué la porte du bar Chez Madame Arthur, en 1974, boycott dont on se souvient comme le premier acte d’activisme lesbien au Québec, mais dont on se souvient finalement peu puisque seuls les flics et les indics possèdent des photos de l’époque.

les comités, les regroupements, nombreuses celles qui ont amené les femmes à New York quand les arrestations sont devenues trop fréquentes pour continuer.

je sais les femmes d’octobre nombreuses fières obstinées et défiantes qui ont ouvert la voie, défriché recommencé qui ont tenu tête, et qui la tiennent encore droite devant l’ampleur de nos luttes. les militantes celles derrière le Birth Control Handbook, qui en 1968, ont défié l’interdiction de nous parler de contraception en publiant un guide précieux dont des piles d’exemplaires ont été brûlés au Montana, jetés dans le lac Érié par des douaniers contrariés alors que naissait le premier service illégal de référence en avortement de Montréal issu d’un flot intarissable de lettres, de questions 12 éditions, 15 millions d’exemplaires pour y répondre. les 200 femmes enchaînées les unes aux autres pour protester, les premières, contre une loi antimanifestation qu’on mettra 50 ans à défaire en cour · dans les rues · sous les lacrymogènes et les coups Photo : David Cherniak

celles qui sont devenues infirmières pour que Morgentaler puisse continuer, qui ont aussi risqué la prison à ses côtés celles qui ont marché pour la libération du médecin si souvent incarcéré celles qui ont manifesté pour s’approprier leur corps, seules

les arrêtées de Sir George William – aujourd’hui l’Université Concordia protestant, en 1969, contre la discrimination raciale institutionnalisée

alors qu’on ne tombe pourtant pas enceinte en se masturbant.

le professeur à l’origine de la plainte est réintégré dans ses fonctions le lendemain des arrestations lavé de tout soupçon, pendant que Juanita Westmoreland-Traoré, première juge noire du Québec, travaillera longtemps à obtenir l’acquittement d’une dizaine des 97 personnes accusées. Michèle Gauthier, asphyxiée par la police et la cupidité de Power Corporation tuée en 1971 pendant la manifestation contre le lock-out de La Presse.

coincées par l’antiémeute, pendant que la foule crie de les laisser brûler alors que l’incendie se déclare

les femmes autochtones qui ont lutté contre la discrimination infligée par l’infâme Loi qui les appelle toujours des Indiennes contre un trop-plein d’injustices des logements insuffisants · leur identité volée · l’enlèvement de leurs enfants la rafle des années 60, celle que les services sociaux poursuivent aujourd’hui Mary Two-Axe, ses décennies de luttes Kahn-Tineta Horn, Evelyne O’Bomsawin celles qui ont marché, en 1979, d’Oka à Ottawa pour dénoncer la perte de leur statut quand elles se mariaient avec un non-Autochtone.

toutes celles à qui on a nié et nie encore le droit de manifester

celles qui ont écrit les essentiels manifestes · les mots volcans des premières revues Québécoises deboutte Long Time Coming Les têtes de pioche Les éditions de la Pleine lune, du remue-ménage L’autre parole Pluri-Elles Des luttes et des rires de femmes. celles qu’on a traitées de folles d’hystériques qu’on a gavées de pilules · de conseils · d’impératifs de beauté d’électrochocs. les travailleuses sous-payées, reléguées au prolongement de leurs activités de mères puisque les femmes sont d’abord ménagères. les artistes, frondeuses qui ont subverti leur exclusion des milieux artistiques créé leurs propres espaces Alanis O’Bomsawin la prolifique une cinquantaine de films sur celles et ceux qu’on ne montrait et qu’on ne montre toujours pas Louky Bersianik euguélionne pour qui le masculin embrassant le féminin est un baiser mortel Vidéo Femmes, le Studio D, Mireille Dansereau et les autres, qui ont rêvé la vie des premiers films de fiction réalisés par des femmes, l’accès aux plateaux aujourd’hui encore la chasse gardée de quelques-uns An Antane Kapesh, première Innue à publier en français, en 1976, la dépossession de son peuple Eukuan nin matshi-manitu innushkueu

les arrêtées de la crise d’Octobre celles qui ont couché les enfants après avoir vu les policiers embarquer leurs frères leurs amies leurs voisines leurs maris

celles qui ont dû choisir entre leur désir de souveraineté et leurs idéaux féministes le Regroupement des femmes québécoises pour qui l’indépendance avait un goût amer, qui n’avaient rien à faire d’un pays si leurs droits y sont bafoués

qui ont dormi dans un lit vide, ce soir-là et les soirs suivants.

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Marie Savard, qui a chanté octobre et qu’on a bannie des ondes jusqu’en 1975 les compagnies de théâtre et leurs œuvres fortes, à une époque où il n’y avait pas beaucoup de pièces qu’une femme pouvait jouer sans grincer des dents


le Théâtre Expérimental des Femmes le Théâtre des Cuisines À ma mère, à ma mère, à ma mère, à ma voisine la nef et ses sorcières la vie privée comme terrain de luttes. Pauline Julien emprisonnée avec 450 autres personnes en vertu de l’inique Loi d’octobre qui chantait « pourquoi est-ce si long avant que vienne la liberté ? » l’imposante chambre nuptiale de Francine Larivée, loupe grossissante des aberrations de ce qu’on appelait le chauvinisme mâle les femmes telluriques de Jovette Marchessault qui nous rappellent qu’on nous met si facilement aux vidanges les putains de la Main, habituées à ce qu’on détourne le regard, pour qui les mots de Josée Yvon ont résonné les membres de Mauve, effrontées et majestueuses, qui ont gravi, en 1972, les escaliers du Musée des beauxarts de Montréal, vêtues de robes de mariée époussetant avec leurs voiles les colonnes du parvis, les institutions figées

celles à qui on a enfin accordé un congé de maternité non rémunéré alors que les hommes se baladaient sur la Lune depuis 10 ans celles qui prennent la parole et dont on commente les vêtements, celles qu’on agresse, à qui on demande ce qu’elles portaient. les essoufflées les mégenrées les profilées les mères les monoparentales

ces fées mal tournées et celles qui avaient si soif de liberté. celles qui n’ont pas su lire les mots ardus des féminismes, mais qui ont vu leurs filles franchir les portes des universités

que la crise sanitaire nous renvoie aux cuisines pendant que les maîtres du monde attisent l’intolérance et les flammes

panser les blessures souffler la vieille poussière crier – jusqu’à ce qu’on nous entende que la justice, c’est encore de la marde

la mienne les laissées pour compte les laissées pour mortes.

exploser les plafonds de verre et nos propres angles morts

je sais les femmes d’octobre même si on ne m’a enseigné qu’une histoire édulcorée dans laquelle elles ne figurent pas

arrêter les saccages avant qu’il ne reste plus rien l’extractivisme violent des forêts · des humains · des rêves

effacées des livres effacées des luttes qu’elles ont menées et mènent encore.

se réapproprier la nuit et l’histoire.

puisque les batailles ne sont pas gagnées que les ressacs sont nombreux Jenny Cartwright Réalisatrice de cinéma

nos demandes · nos colères

Anne-Claire Poirier qui a voulu qu’on arrête de mourir à tue-tête

la brutalité dont ils ont le monopole. et puisqu’on détruit toujours la beauté de ce monde qu’on nous laisse

il faudra

leur manifeste sur la représentation des femmes les photographes qui ont fait des femmes un sujet plutôt qu’un objet Raymonde April le Plessigraphe Sorel Cohen Judith Crawley

les vies dont il faut justifier la valeur

le fardeau de la contraception l’accès à l’avortement sans cesse fragilisé les accouchements sur le dos legs d’un roi vaniteux devenu poussière depuis trois siècles les biais de la médecine nos chances, plus grandes, de mourir d’une crise cardiaque puisqu’on ne croit pas non plus nos symptômes nos colères · nos batailles les salaires · les garderies · les territoires volés · les territoires occupés

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ma voix porte la tienne je parle d’elles dans la même langue mise de force dans la bouche de mon père apprise par cœur à la petite école là où il est né

DIRE LE FEU je vais parler de Montréal c’est là où je suis née là où je suis là où je parle d’ici je dis Montréal je ne dis pas Tio’tia:ke je ne dis pas Mooniyaang je ne connais pas toutes les langues que porte ma terre que celle que j’ai celle qui m’a été transmise mais la langue maternelle ne suffit pas à elle seule à dire ni la terre ni ce qu’elle porte de mémoire des corps je parle de la terre d’ici d’où je parle je suis portée par des voix qui en portent d’autres qui ont parlé avant moi qui ont ouvert ma voie

Photo : Julie Artacho

et là il est mort sans jamais y être retourné sans jamais m’avoir parlé dans sa langue à lui de son Haïti chérie perdue je n’ai jamais foulé la terre paternelle jamais parlé sa langue mais j’en porte la coupure

on ne m’a pas transmis ce savoir-là cette violence je l’ai quand même reçue

je peux porter le flambeau pour mieux voir les corps tomber et peut-être les rattraper

j’ouvre les yeux je la sens encore on a lavé son sang des trottoirs on a pris soin des corps de nos pères de nos frères de nos fils et des nôtres on en porte encore le poids je le porte avec toi je ferme les yeux on est en 1734 dans le Montréal pas encore vieux qui flambe

je peux dire BLACK LIVES MATTER aujourd’hui comme j’aurais dit NOW IS THE TIME en 1963 avec Martin Luther King Jr. avec les Black Panthers avec les nationalistes qui partageaient un rêve être maître de soi sans maître chez soi le temps nous rattrape je peux encore y croire comme en 1995 on a cru

je vois le feu de Marie-Joseph Angélique accusée de s’en être servie pour incendier les magasins pour tenter de se libérer des chaînes de son statut de marchandise

même sans la nommer ça s’entend ta voix porte la mienne je ferme les yeux on est à Montréal en 1988 à ma naissance il existe un chapitre du Ku Klux Klan ici comme ailleurs des néonazis des skinheads des rituels comme : camionnette blanche parcourir les rues repérer la couleur l’attaquer comme : des Docs bottes lacées d’une certaine façon rouge pour le sang blanc pour le pouvoir pour piétiner écraser

on l’a pendue elle et son désir on lui a mis feu je pense à ses enfants morts avant d’avoir vécu l’incendie voulait-elle s’échapper pour protéger leur mémoire des flammes j’ouvre les yeux à Montréal en 2020 je ne suis pas encore brûlée je brûle encore

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comme en 1834 on a aboli l’esclavage dans les colonies britanniques comme en 1980 on a cru comme en 1804 on a déclaré l’indépendance de la première république noire comme on dit LA VIE DES NOIR·ES COMPTE en y croyant encore aujourd’hui chargée du feu des ancêtres le feu qui en a tant libéré qui en a tant emporté je compte sur ton feu je ferme les yeux on est dans les années 1960 en Haïti une dictature un rituel Papa Doc ses tontons macoutes

Photo : Robert Skinner


leurs bottes et le sang et le feu et mon père exilé pour éviter d’être brûlé par Haïti qui ne savait pas encore qu’après treize ans du père le fils reprendrait le flambeau on ne m’a pas transmis cette violence-là mais elle ne s’est pas arrêtée là le feu compte sur nous j’ouvre les yeux à Montréal en 1969 c’est l’hiver au centre-ville l’Université Sir George Williams n’est pas encore Concordia ne s’est pas encore dissociée des flammes qui s’apprêtent à ravager son neuvième étage et son laboratoire d’informatique occupés depuis déjà deux semaines après des mois de protestations contre la discrimination d’un professeur l’inaction d’une administration le racisme d’un système mais que peuvent des corps noirs quand ils comptent moins que la blancheur des ordinateurs ils peuvent encore fracasser le plastique les vitres et des fenêtres des feuilles tombent une neige blanche sur Montréal langues de papier forêt coupée

pendant que la police arrive monte encercle le neuvième étage

et leurs mères et leurs sœurs et leurs filles et toutes celles qui ont porté leurs corps qu’on ne saura pas oublier je te porte je les porte pour elles

et au laboratoire d’informatique un feu éclate dedans des corps noirs coincés

tu me portes je suis fille de mon père fille de ma mère mais ni mon père ni ma mère ne se retrouvent dans le creux de mon dos

dehors des rues blanches on entend crier LET THE NIGGERS BURN LAISSEZ LES NÈGRES BRÛLER laissez-nous Coralee Hutchison s’est tirée des flammes et des cris mais pas du coup de matraque du traumatisme crânien des migraines du caillot de la mort

je porte celles qui habitent les marges et se construisent de terre foulée de mains tendues leur histoire rejoint la mienne mais je ne peux la raconter sans elles leur langue rejoint la mienne ma langue rejoint la tienne c’est d’elles que je parle quand je parle d’ici je parle de la terre qu’elles ont travaillée jusqu’à libérer ma voix ta langue rejoint la mienne je parle d’elles avec elles j’apprends à dire notre feu notre feu brûle encore

elle n’a pas survécu à l’hiver en octobre 1970 il y avait déjà tant de corps comme le sien noirs éteints laissez-nous il y en aurait tant d’autres encore Anthony Griffin Marcellus François Alain Magloire Bony Jean-Pierre Pierre Coriolan Nicholas Gibbs et tous ces autres qu’on ne sait pas nommer

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je suis sœur d’armes de femmes noires femmes flammes femmes de toutes les luttes d’octobre et d’avant d’octobre et d’après Marilou Craft


Je suis une femme née des révoltes Face aux injustices qui perdurent Génération après génération Contre les femmes, les communautés, les hommes : Traités, non respectés Communautés relocalisées Enfants arrachés Pauvreté

JE SUIS UNE FEMME D’OCTOBRE Je suis née un jour d’octobre En plein été indien Quand la nature s’exhibe dans ses couleurs les plus flamboyantes Je suis une femme née en octobre Au temps des révolutions Nombreuses à marquer l’époque : L’Indian American Movement, de l’autre côté de la frontière L’occupation d’Alcatraz Le siège de Wounded Knee Le mouvement « Peace and Love » en réponse à la guerre du Vietnam Le mouvement de décolonisation en Afrique aussi C’est juste après la parution du Livre blanc de Pierre Elliott Trudeau Et juste avant la création de l’association Femmes Autochtones du Québec ici C’est l’éclosion, partout, de mouvements de femmes autochtones au pays Au moment de la crise d’Octobre Nous étions déjà bien occupées Nous avions nos droits à faire reconnaître : Parler nos langues Participer à la vie politique de notre nation Vivre librement sur le territoire où nos ancêtres ont toujours habité Exister

Photo : Christian Blais

Je me souviens De sa révolte Devant cette loi sexiste et raciste Devant l’injustice et le colonialisme Je me souviens Il faudra toujours résister

Nous sommes filles de matriarches Filles du maïs, de la courge et du tabac Nous sommes les femmes d’octobre. Émilie Monnet

La crise d’Octobre n’est pas mon histoire La crise, pour moi C’est celle d’Oka Même s’il s’agissait plutôt d’une résistance Qui a permis à des milliers d’Autochtones de se rallier La crise, pour nous C’est tous les mois de l’année Alors que les femmes continuent de disparaître Que les enfants sont placés en famille d’accueil par milliers Que nos droits territoriaux ne sont toujours pas reconnus Que plusieurs communautés n’ont toujours pas accès à l’eau potable Que la Loi sur les Indiens détermine encore qui nous sommes Je fouille dans les archives et trouve des photos Vestiges de mémoires De toutes ces femmes qui ont lutté Contre l’assimilation forcée Des photos De femmes militantes Devant les tribunaux Mary Two-Axe Jeannette Corbière Lavell Yvonne Bedard Evelyne O’Bomsawin Et toutes les autres aussi Je me souviens De toutes ces femmes Du combat de Mary Two-Axe Mère de clan Pionnière du mouvement des femmes ici Femme Kanien’kehá:ka Née tout près d’ici Née à Kahnawake Mais n’ayant plus le droit d’y habiter une fois mariée Je me souviens De son combat Contre la Loi sur les Indiens

Ici c’est chez nous Nous ne sommes pas des invitées sur nos terres Nous avons toujours été des peuples souverains Vos lois ne viendront jamais à bout du feu sacré qui gronde en nous Je suis la fille de ma mère Et de toutes nos mères résistantes Celles qui se sont battues Pour que nos droits soient reconnus Celles qui ont lutté Pour avoir le droit d’exister Et pour que leurs enfants soient statué·es Je suis à la fois fille et sœur de toutes ces femmes Je porte en moi le feu de leurs révoltes Écrasées Affirmées Explosives Occultées Souterraines Je porte en moi leur exaspération Leur impatience Leurs frustrations C’est le feu de leur colère qui les amène à ne jamais abdiquer Ce feu, je le reconnais dans leur regard et leur allure fière Quand elles fixent l’objectif de la caméra Sur les photos d’archives Leurs bébés aux fesses blanches blottis contre elles dans leurs ceintures à franges Ce feu, je le vois sur les photos qui défilent sur les médias sociaux Quand elles manifestent dans les rues au son des tambours Ce feu dans les yeux et au ventre est le même : Toujours, prêt à être rallumé Nous sommes femmes flammes Femmes de toutes les luttes Pour la terre Nous saurons toujours nous battre

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LES RÉCITS H I STO R IQU E S


LETTRE À MA FILLE Ta grand-mère, ma mère, est arrivée ici en 1970, l’année exacte que l’on célèbre aujourd’hui. Mais évidemment, son histoire, notre histoire, remonte à bien plus loin. Comme femmes noires, le mouvement fait partie de notre histoire : bouger, s’exiler — de gré parfois, mais souvent de force — avant de s’enraciner dans un ailleurs que l’on transforme en chez soi. Toujours survivre, toujours (se) rebâtir, c’est un peu de cette force que j’aimerais te transmettre. Mais, où étions-nous au juste dans les années 70? À cette époque, les politiques d’immigration qui restreignaient l’installation des personnes non blanches venaient d’être levées. Une proportion grandissante des immigrantes arrivait des Caraïbes et des Antilles. On comptait aussi la présence de femmes noires ici depuis plusieurs générations. Nous étions là, enseignantes, travailleuses domestiques, ingénieures, sociologues, travailleuses dans le secteur manufacturier, étudiantes, juristes, infirmières. Nous étions là, à faire advenir la Révolution tranquille dans Rosemont, dans Saint-Henri, dans Notre-Damede-Grâce, dans Saint-Michel, dans Côte-des-Neiges. Nous, les femmes noires, refusions notre constant renvoi à l’ailleurs et à l’« Autre », notre statut d’éternelles nouvelles arrivantes, cette déshumanisation constante ancrée dans l’histoire et présente dans notre quotidien.

Photo : Tarik Daqoune

Comme l’ont fait auparavant ces femmes mises en esclavage en Nouvelle-France, mais fuyant pour redevenir libres (en témoignent les archives de différents avis de recherche).

Ces femmes noires — Anne Cools, Juanita Westmoreland-Traoré et bien d’autres — ont pavé la voie au changement social, ici comme dans leur pays de naissance.

Comme l’ont fait auparavant les fondatrices de l’Association des femmes de couleur de Montréal en 1902 (Coloured Women’s Club of Montréal – CWC), un des premiers groupes de femmes sur ce territoire nommé Québec. Dans le quartier Petite-Bourgogne, alors pauvre, ségrégué et ignoré des pouvoirs publics comme des principaux réseaux caritatifs, elles organisent des services de soutien aux mères célibataires, d’assistance sanitaire et médicale, des campagnes contre la mortalité infantile, des soupes populaires. Elles louent même un lit d’hôpital et réservent des lots dans un cimetière pour assurer l’accès aux soins et une mort digne aux habitant·es de leur quartier. À l’avant-garde des luttes pour le droit au logement, ces femmes noires s’impliquent aussi aux côtés de leurs maris dans leurs efforts pour désagréger les syndicats de l’industrie ferroviaire.

* La naissance du Point de ralliement des femmes

Dans les années 70, nous étions donc déjà là. Mais, comme les femmes autochtones et les autres femmes racisées, nous ne faisions pas partie des femmes à qui on disait : « Debouttes ! » Nous devions certes affronter le patriarcat, mais aussi le racisme, présent aussi au sein des groupes de femmes de la majorité. Nous étions déjà septiques de leur intérêt pour le sort des femmes ailleurs, alors qu’elles en avaient peu pour nous femmes noires installées ici, ni pour les gardiennes autochtones de ces terres. Nous étions là, menant des luttes enracinées dans un quotidien semé d’abus de pouvoir, de sexisme, de logements insalubres, de fausses sororités, de discriminations au travail, de mépris, de violences policières, toujours fières et combatives.

d’origine haïtienne en 1971. Le Point de ralliement est né de la nécessité de s’opposer à la dictature en Haïti, mais aussi de construire des espaces pour se faire entendre ici, comme femmes noires. Ces militantes s’impliquent donc activement dans la vie politique québécoise, notamment par rapport à la question nationale et au féminisme. Armées de leur perspective anticolonialiste et antiraciste, elles dénoncent la surexploitation des Haïtiennes et des autres travailleuses immigrantes dans leur pays d’origine, mais aussi dans leurs pays d’accueil. Elles investissent toutes sortes de champs pour venir en aide à la communauté haïtienne grandissante : les luttes pour le droit au logement, contre les déportations, contre la brutalité policière.

du Canada, où des liens forts se sont tissés entre femmes noires, au-delà des origines et de la barrière de la langue. Entre 1973 et 1982, Afro-Canadiennes de longue date et femmes immigrantes d’ascendance caribéenne, africaine et antillaise se réunissent pour développer des politiques et des actions afin d’améliorer les conditions de vie des femmes noires et valoriser les cultures noires. Elles se battent contre les politiques de déportation qui mettent en danger les exilé·es politiques. Elles dénoncent les conditions de travail précaires d’une large partie des femmes noires. Elles agissent contre le traitement différencié des enfants noirs dans le système scolaire. Ici, mais aussi à l’international, dans le cadre de l’année de la femme de l’ONU (1975), elles insistent pour parler de leurs réalités et de leurs priorités. Elles proposent une analyse des inégalités sociales qui inclut, mais ne s’arrête pas au sexisme, malgré les reproches qui leur sont faits de « diviser » le mouvement féministe québécois.

* La création de la Maison d’Haïti (1972), lieu

* Le travail du Comité régional de Montréal du

de mobilisation et d’action pour de nombreuses femmes et féministes haïtiennes. Elles organisent des services d’accueil des immigrant·es et dénoncent tant la déqualification systématique de certaines que l’absence de programmes de francisation pour d’autres. Les bulletins d’information politique de la Maison d’Haïti abordent les conditions de quasi-esclavage des travailleuses domestiques, l’importance de bâtir un système de garderies accessibles pour permettre la pleine intégration des femmes noires, et des enjeux de politique haïtienne et québécoise en mettant en lumière les différents points de vue des femmes noires.

* La mise sur pied du Rassemblement des femmes haïtiennes (1973) par des militantes de la Maison d’Haïti. Elles conçoivent la lutte pour la libération des femmes haïtiennes comme étroitement liée à l’instauration d’une démocratie en Haïti. Dans une perspective socialiste, féministe et internationaliste, elles insistent sur l’importance de l’engagement de la diaspora pour faire advenir un projet politique anticolonial en Haïti et au Québec.

Nous, femmes noires, avons accompli de grandes choses dont tu peux être fière, par exemple :

* L’engagement déterminant de femmes noires

dans l’affaire de l’Université Sir George William, aujourd’hui l’Université Concordia (1969). Avec d’autres étudiantEs, elles occupent pendant deux semaines le précieux local informatique pour protester contre le traitement réservé aux élèves « de couleur » et l’immobilisme de l’institution.

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* La grande aventure du Congrès des femmes noires

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Congrès des femmes noires, qui dès sa création (1974), met de l’avant la triple oppression (femmes, noires, travailleuses) comme facteur déterminant dans la marginalisation sociale des femmes noires au Québec. À partir de cet ancrage, elles discutent des relations hommes/femmes et de la place des femmes dans les familles noires ; elles dénoncent la persistance des discriminations dans la recherche de logements et de travail, dans leur participation aux groupes de femmes majoritaires ; elles publient des lettres d’opinion dans différents médias. Le Comité régional s’inquiète aussi de l’environnement dans lequel évoluent les élèves noirs et réussit à faire supprimer des textes ouvertement racistes de manuels scolaires québécois. Et ces résistances se poursuivent. Aujourd’hui, en octobre 2020, sur ce territoire nommé Québec, des femmes noires de tous horizons continuent certaines de ces luttes et en entreprennent d’autres. Elles sont toujours là, au cœur de Black Lives Matter et des réflexions sur le définancement de la police, dans le mouvement #MeToo, contre le travail précaire dont elles sont les premières victimes, dans les tentatives de construire de nouvelles relations décolonisées avec les peuples autochtones.


Elles sont toujours là, à détricoter les stéréotypes accolés aux femmes noires, à se battre pour un mouvement féministe intersectionnel débarrassé de ses inégalités, à défier l’hétéronormativité dans les relations intimes et dans les familles, à bâtir des mouvements écologistes antiracistes et décoloniaux. Ma très chère fille, voilà de quoi tu hérites. Pourquoi te raconter tout cela ? Pour que jamais, sur ce territoire auquel tu appartiens et dont tu as la responsabilité, tu ne te sentes « pas à ta place ». D’autres femmes noires ont vécu cela, d’autres avant toi ont créé des solidarités pour faire de ce monde le leur. Pour que tu t’appropries cette histoire, la fasse tienne ; pour que tu saches traverser le temps, être traversée par lui et trouver ta propre voie/voix. Pour que tu puisses poser de bonnes questions et avoir quelques réponses. Pour que tu reconnaisses quand les appels aux « Nous » ou à la sororité seront sincères et informés et quand ils seront une mascarade pour faire taire ou invisibiliser.

BIBLIOGRAPHIE Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), NDIAYE, Aly (alias Webster), ZAAZAA Amel (2020). Exposition virtuelle Fugitifs !. Récupéré à : fugitifs.ca MAYNARD, Robyn (2018). NoirEs sous surveillance : esclavage, répression et violence d’État au Canada. Montréal : Mémoire d’encrier. MILLS, Sean (2016). Une place au soleil. Haïti, les Haïtiens et le Québec. Montréal : Mémoire d’encrier. RICCI, Amanda. « Contesting the Nation(s): Haitian and Mohawk Women’s Activism in Montreal », dans MOLONY, Barbara et NELSON, Jennifer (2016). Women’s Activism and “Second Wave” Feminism (p. 273 294). Londres : Bloomsbury Press. SROKA, Ghila B. (1995). Femmes haïtiennes, paroles de négresses. Montréal : Parole métèque. WILLIAMS, Dorothy W. (2006). The Road to Now: A History of Blacks in Montreal. Montréal : Véhicule Press.

Ton existence n’est donc ni la fin, ni le début, mais bien la suite de la longue histoire de luttes des femmes noires sur ce territoire nommé Québec. Et c’est ce que j’aimerais que tu retiennes de cette lettre. Pour qu’un jour, à ton tour, tu contribues à faire germer d’autres octobres. Alexandra Pierre Militante féministe Présidente de la Ligue des droits et libertés

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OCTOBRE AUTOCHTONE : LA MOBILISATION DES FEMMES De l’impossibilité du devoir de mémoire quand on ne connaît pas Il est bien connu que la fin des années 60 et le début des années 70 marquent un tournant important dans l’histoire du Québec et du Canada. En cette occasion du 50e anniversaire des évènements d’octobre 70, il est certainement pertinent de faire un exercice de mémoire, ne serait-ce que pour se rappeler ce que nous avons collectivement vécu et constater où nous en sommes dans nos luttes. Cependant, pour beaucoup, il est impossible de faire un tel exercice qui témoigne de l’effervescence dans la mobilisation des femmes autochtones de cette époque puisque cette partie de notre histoire a été occultée. Il nous faut donc la raconter. Cette époque, qui voit la Révolution tranquille, les mouvements pour les des droits civiques et une soif grandissante pour plus de justice sociale, va paradoxalement menacer et donner un souffle aux Premières Nations, puis mènera à de nouvelles formes de mobilisation des femmes autochtones. La menace : le Livre blanc Porté par les préoccupations de son époque, il faudra peu de temps à Pierre Elliot Trudeau après son arrivée au pouvoir en 68 pour s’intéresser aux problèmes criants vécus par les Premières Nations. Il nomme Jean Chrétien au ministère des Affaires indiennes avec la commande de mettre fin au « problème indien ». Photo : Patrice O’Bomsawin-Bégin

On sonde alors les chefs et les leaders autochtones pour qu’ils puissent témoigner de leurs problèmes et proposer leurs solutions. Ces derniers rappellent que l’État canadien doit honorer les traités et les ententes qu’il a signés avec les différentes nations et doit en signer avec celles dont on avait pris le territoire sans qu’il n’ait été cédé. Ils demandent également qu’on donne plus d’autonomie aux conseils de bande pour qu’ils puissent mieux répondre aux graves problèmes de logement, d’éducation, de services sociaux et de pauvreté dans les communautés. En 1969, jugeant que la Loi sur les Indiens était la cause de cet apartheid canadien, le ministère des Affaires indiennes dépose le Livre blanc annonçant l’abolition de ladite loi. Il ne pouvait plus y avoir deux classes de citoyens, tous devraient dorénavant être traités de la même façon et avoir les mêmes droits et privilèges. Présentée ainsi, on aurait pu croire que cette nouvelle serait accueillie favorablement par les Premières Nations qui dénonçaient le racisme de la Loi sur les Indiens depuis son adoption, mais elle a plutôt provoqué un soulèvement de contestation sans précédent.

Il n’a pas fallu longtemps pour que le mouvement de contestation autochtone incarné par le Livre rouge et la FIC conduise le gouvernent Trudeau à tabletter le Livre blanc et à entamer des négociations pour le transfert de l’administration de l’éducation, des soins de santé et des services sociaux aux conseils de bande. On accorde alors des milliers de dollars à la FIC et on lui offre une place comme conseiller officiel au Parlement et aux Affaires indiennes. Dans la volonté d’avoir une voix au chapitre des négociations, des groupes de femmes, dont les revendications n’étaient entendues ni par l’État canadien ni par les leaders autochtones, vont alors multiplier les tactiques et changeront le cours de l’histoire. L’autre souffle : les nouvelles formes de mobilisation des femmes autochtones Pour mesurer l’envergure de la tâche qu’incombait aux femmes pour prendre la place qu’elles ont prise à cette époque, il est crucial de faire état des dispositions sexistes de la colonisation canadienne qui ont mené à l’exclusion politique et l’«émancipation» forcée des femmes.

Le souffle : le Livre rouge et la Fraternité indienne du Canada (FIC)

L’exclusion politique

D’un bout à l’autre du continent canadien, on dénonce une fois de plus le caractère paternaliste des politiques fédérales puisqu’aucune des doléances des leaders autochtones n’a été entendue ; on a jugé mieux saisir ce qui était bon pour les communautés. Abolir la Loi sur les Indiens voulait certes dire un traitement égal à tous les autres citoyens canadiens, mais voulait aussi dire qu’on faisait disparaitre toute reconnaissance du statut distinct des nations établies sur l’Île de la Tortue depuis des millénaires. En 1969, Harold Cardinal, alors président de l’Indian Association of Alberta et membre de la Fraternité nationale des Indiens du Canada (FIC), publie le Livre rouge intitulé The Unjust Society, clamant que le Livre blanc était l’aboutissement des politiques canadiennes, l’assimilation ultime des Premières Nations au reste du Canada et l’abolition des seuls vestiges de la reconnaissance de leur souveraineté en tant que peuples distincts. Le Livre blanc prévoyait l’invalidité juridique de tout entente ou traité signé depuis les débuts de la colonisation dans une période de cinq ans suivant son adoption.

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Dans une visée assimilationniste et pour simplifier les relations avec toutes les Premières Nations, dont les structures politiques étaient distinctes, adaptées au mode de vie et aux traditions de chacune, la Loi sur les Indiens de 1876 a imposé un mode de gouvernance unique : le conseil de bande. Obligeant toutes les nations à renoncer à leur forme traditionnelle de gouvernance et à nommer un chef et des conseillers — exclusivement des hommes — on enlève dès lors la possibilité aux femmes de participer aux décisions politiques. Par souci de ne pas peindre un portrait idyllique des organisations politiques précoloniales, on doit être prudent lorsqu’il s’agit de les décrire. N’empêche, dans certaines nations, la place qu’y occupaient les femmes était sans contredit très significative et leur communauté ne pouvait prendre de décisions importantes sans leur aval. Dans la confédération Haudenosaunee, par exemple, les femmes nommaient les hommes au pouvoir et pouvaient les destituer s’ils ne faisaient pas l’affaire.

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Dans la grande majorité des nations, la place qu’occupaient les femmes autochtones était honorée et jugée tout aussi importante que celle des hommes. Dans un esprit d’interdépendance, chacun avait sa place et tous les rôles étaient vus comme essentiels à l’équilibre et au bien-être des communautés. Dans beaucoup de nations, les femmes étaient valorisées pour leur rôle comme porteuses de vie, gardiennes du territoire et de l’eau. Comme les hommes partaient à la chasse, à la pêche, à la guerre, elles étaient responsables de l’éducation et donc de la transmission du savoir, de la culture et de la langue, responsabilités fondamentales à la survie des nations. Or, dès les débuts de la colonisation, cette place qu’occupaient les femmes a été dévalorisée au nom du progrès civilisationnel enraciné dans des valeurs patriarcales. L’« émancipation » forcée des femmes En plus d’enlever aux femmes la possibilité de prendre part aux décisions qui concernaient leur nation, la Loi sur les Indiens a codifié l’identité indienne, uniformisant une fois de plus les traditions au détriment des femmes. Désormais, on établit l’identité de façon patrilinéaire et patrilocale, ce qui signifie que seule la lignée du père est reconnue et qu’au mariage, les femmes prendront l’identité de leur mari et devront partir vivre chez lui. Dès lors, une femme indienne (statuée) qui marie un homme indien d’une autre nation n’aura plus le droit de vivre auprès des siens, même si elle devient veuve ou qu’elle divorce. De plus, une femme indienne qui marie un allochtone perd son statut et est ainsi automatiquement « émancipée ». Elle perd alors la possibilité de transmettre son statut à ses enfants, de bénéficier des services de sa communauté, d’hériter d’une propriété et même d’être enterrée auprès de sa famille. La Loi sur les Indiens faisait suite à l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, dont le but était l’assimilation des « Sauvages » au reste de la population canadienne. C’est donc en grande partie par les femmes que l’assimilation des autochtones du Canada se fait. Par ailleurs, une femme allochtone qui marie un homme statué gagne le statut de son époux. Ces dispositions de la loi mènent les familles à se déchirer entre elles et alimentent des décennies de conflits internes sur les questions d’authenticité.


On voit se répandre dans les communautés l’idée selon laquelle les femmes qui se sont mariées avec des non-autochtones ont volontairement renié leur identité et leurs droits.

Même si la Commission affirme que la Loi sur les Indiens est effectivement discriminatoire et qu’elle recommande d’en abroger les dispositions sexistes, le gouvernement canadien ne bouge pas.

Pour beaucoup, il est normal qu’elles ne fassent plus partie de leur communauté d’appartenance parce qu’elles ont fait le « choix » de la quitter. Pourtant, on ne critique pas les hommes qui marient des femmes allochtones. C’est ce que plusieurs intellectuelles autochtones ont identifié comme l’intériorisation du patriarcat dans les communautés. Pour reprendre leur place dans le domaine politique, il fallait donc que les femmes autochtones luttent d’une part contre le colonialisme et le paternalisme de l’État canadien et de l’autre, contre le sexisme de la Loi sur les Indiens dont les ravages avaient atteint leur communauté.

En 1968, son mari meurt et elle décide de retourner vivre à Kahnawake dans la maison de sa grand-mère, dont elle avait hérité. Ne pouvant en prendre possession en raison de la perte de son statut, elle la donne à sa fille qui avait marié un Mohawk et a pu s’y installer bien que le conseil de bande lui a fait bien comprendre qu’elle n’était pas la bienvenue. En 1975, alors qu’elle participe à une conférence à Mexico dans le cadre de l’année mondiale de la femme avec d’autres femmes mohawks qui avaient perdu leur statut, elle apprend que le conseil de bande leur a envoyé des avis d’éviction. Mary Two-Axe prend alors la tribune et dénonce la situation devant la presse internationale. Sous cette pression, le conseil de bande fléchit et retire les avis. Jeannette Corbiere Lavell et Yvonne Bedard : le début des luttes juridiques

La création des associations de femmes autochtones Si les femmes autochtones n’ont cessé de lutter — souvent dans l’ombre — contre les dimensions racistes et sexistes des politiques canadiennes depuis les débuts de la colonisation, c’est au tournant des années 70 qu’elles créent des associations, dont les impacts sur l’avenir des Premières Nations sont majeurs. Puisqu’il est impossible de rendre compte ici de toutes ces organisations et des milliers de femmes y ayant contribué, il ne sera question que de deux figures de proue au Québec et de celles qui ont courageusement porté leur cause devant les tribunaux canadiens et à l’international. Mary Two-Axe Early Surnommée la grand-mère du féminisme autochtone, Mary Two-Axe Early, Mohawk de Kahnawake, est l’une des pionnières de la lutte menant à la restitution des droits fonciers et du statut d’indien aux femmes l’ayant perdu par le mariage. En 1966, une de ses amies proches, qui avait comme elle perdu son statut, meurt dans ses bras. Cette amie avait milité pendant des années pour avoir le droit de retourner vivre auprès des siens dans sa communauté et le fait de ne pouvoir même l’y voir enterrée pousse Mary TwoAxe Early à poursuivre sa lutte. En 1967, elle devient porte-parole de l’association Equal Rights for Indian Women (plus tard nommée Indian Rights for Indian Women) et présente ses doléances à la Commission Bird (Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada).

Après s’être marié avec un allochtone, Jeannette Corbiere Lavell, Anishnabekwe de Wikwemikong et membre fondatrice de l’Ontario Native Women’s Association, reçoit en 1971 un avis des Affaires indiennes lui disant qu’elle a perdu son statut et doit donc quitter sa communauté. En 1972, Yvonne Bedard, Haudenosaunee de Six Nations de la rivière Grand, reçoit un avis d’éviction du conseil de bande parce qu’après s’être séparée de son mari n’ayant pas le statut d’Indien, elle décide d’aller vivre dans la maison de sa mère, dont elle a hérité. À un an d’écart, les deux contestent la perte de leur statut et leur éviction alléguant que la Loi sur les Indiens viole la Déclaration canadienne des droits de 1960, car elle est discriminatoire envers les femmes. Les jugements rendus, elles se font dire qu’elles bénéficient des mêmes droits que toutes les Canadiennes et donc qu’elles ne sont pas victimes de discrimination. Les deux portent leur cause en appel, gagnent, puis sont éventuellement entendues en Cour suprême.

En attente de ce jugement, Lavell et Bedard, sont violemment critiquées par des conseils de bande et des leaders autochtones. On les accuse de vouloir imposer une vision individualiste des droits, perçue en opposition directe avec la vision traditionnellement collective des Premiers Peuples. Elles sont aussi vues comme une menace à la souveraineté autochtone puisqu’elles demandent à une institution coloniale, en l’occurrence la Cour suprême, de forcer les conseils de bande à les réintégrer à leur communauté.

Certaines racontent avoir été expulsées de leur maison par des hommes utilisant leur droit d’occupation contre elles. À l’issue du rassemblement, elles se mobilisent pour un accès juste et égal au logement, ciblant les clauses discriminatoires de la Loi sur les Indiens comme cause principale des problèmes qu’elles subissent. Elles portent plainte contre le Canada au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en présentant le cas de Sandra Lovelace.

En 1973, la Cour vote majoritairement contre Lavell et Bedard jugeant que la Déclaration canadienne des droits ne rend pas caduque l’autorité constitutionnelle du gouvernement fédéral de légiférer sur tout ce qui est lié aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens, comme stipulé dans l’Acte de constitution de 1867.

De retour dans la communauté après son divorce avec un allochtone, cette dernière avait dû s’installer dans une tente avec son fils, les maisons des membres de sa famille étant déjà surpeuplées. Dans sa plainte, Lovelace soutient que, par la Loi sur les Indiens, le Canada discrimine ses droits de prendre part à sa communauté d’origine sur la base de son sexe. Elle plaide que cette discrimination contrevient à la Déclaration canadienne des droits et aux accords internationaux des Nations Unies signés par le Canada, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En 1981, le Conseil juge que l’article 12(1)(b) de la Loi sur les Indiens viole effectivement l’article 27 du pacte que le Canada avait ratifié en 1976, car il prive Lovelace du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de son groupe, sa propre vie culturelle. Selon plusieurs intellectuels autochtones, cette décision aurait eu l’effet d’un coup d’épée dans l’eau si le Canada n’avait pas été en voie de rapatrier sa constitution et n’avait pas été dans l’obligation de se conformer à l’éventuelle Charte canadienne des droits et libertés de 1982 qui, contrairement à la Déclaration canadienne des droits, serait enchâssée dans la Constitution.

Evelyne O’Bomsawin En 1974, Evelyne O’Bomsawin, Abénakise d’Odanak, devient l’une des membres fondatrices de l’Association des Femmes Autochtones du Québec (qui deviendra Femmes Autochtones du Québec) avec Mary Two-Axe Early. Elle y occupe plusieurs fonctions avant d’en devenir la présidente, de 1977 à 1983. Alors que le terme est encore employé du bout des lèvres en 2020, Evelyne O’Bomsawin dénonce déjà en 1980 que les politiques coloniales canadiennes provoquent un « génocide culturel » auquel il est urgent de mettre fin. Mettant de l’avant la lutte pour que soient abrogées les dispositions sexistes de la Loi sur les Indiens, elle réussit aussi, grâce à son travail diplomatique auprès de différentes instances gouvernementales, à obtenir le financement nécessaire pour mener d’autres luttes chères aux femmes autochtones, dont la protection de la culture. Notons que suite à son mariage avec un allochtone, elle s’est vue refuser la possibilité de travailler dans sa communauté à la production de paniers traditionnels en frêne, un savoir-faire dont elle avait hérité de ses parents et qui revêt une grande importance pour les Abénakis. Les femmes malécites de Tobique, Sandra Lovelace et l’ONU En 1977, les femmes malécites de la communauté de Tobique se rassemblent pour trouver une solution à leurs conditions de vie marquées par la pauvreté, la violence et une importante crise du logement.

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Le vent tourne enfin : les conférences constitutionnelles et le projet de loi C-31 Au lendemain du rapatriement de la Constitution canadienne orchestré par Pierre Elliott Trudeau, on organise des conférences pour négocier l’étendue des droits nouvellement adoptés. Suivant la recommandation du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Canada décide de mettre à l’ordre du jour des discussions sur la section 35, qui porte sur les droits autochtones.


À l’instar des négociations suivant le retrait du Livre blanc de 1969, les femmes ne sont pas invitées à prendre part aux négociations, une décision appuyée par plusieurs conseils de bande et par la Fraternité des Indiens du Canada (FIC). Alors que tous les yeux sont tournés vers ces négociations, les médias s’intéressent aux revendications des femmes et à la décision du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Le Parlement et les Affaires indiennes se distancent alors de la FIC et des leaders autochtones. Peu de temps après, la Fraternité des Indiens du Canada change son nom pour l’Assemblée des Premières Nations dans l’objectif de changer l’image négative qu’on lui donne, ce qui toutefois ne permet pas de détourner l’attention médiatique ni les préoccupations du public et du gouvernement concernant le sexisme dans les communautés, héritage, faut-il le rappeler, des dimensions patriarcales de la colonisation. Agissant en tant que déléguée du Québec à la conférence constitutionnelle de 1983, Evelyne O’Bomsawin défend la reconnaissance des droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones, et ce pour les Indiens, les Inuit et les Métis du Canada. Elle propose aussi une clause d’égalité entre les hommes et les femmes, qui sera adoptée, et exhorte à la fin de la discrimination des femmes. Dans une solidarité maintenant célèbre, alors que Mary Two-Axe Early n’a pas l’autorisation de s’exprimer, René Lévesque lui offre son droit de parole. C’est à cette occasion qu’elle prononce cette phrase qui passera à l’histoire : « Please search your hearts and minds, follow the dictates of your conscience, set my sisters free. » En 1985, les luttes de Mary Two-Axe Early, Jeannette Corbiere Lavell, Yvonne Bedard, Evelyne O’Bomsawin, des femmes malécites de Tobique, de Sandra Lovelace et de tant d’autres femmes mènent enfin à une révision de la Loi sur les Indiens. Le projet de loi C-31 est adopté. Mary Two-Axe Early devient la première femme autochtone à retrouver son statut.

La postérité Toutes les répercussions discriminatoires envers les femmes de la Loi sur les Indiens n’ayant pu être réglées par les réformes du projet de loi C-31, des femmes et des hommes continuent de lutter pour les droits des femmes autochtones et ceux de leurs enfants. En 2007, dans son jugement McIvor c. Canada, la Cour suprême de la Colombie-Britannique donne raison à Sharon McIvor et son fils. Même si elle retrouve son statut après 1985, elle ne peut le transmettre à ses enfants alors que si elle avait été un homme ayant la même lignée généalogique, ses enfants auraient pu hériter de son statut. Suivant cette décision, le projet de loi C-3 est adopté par le Parlement en 2010, mais ne mène toutefois pas encore à l’élimination entière de la discrimination découlant de la Loi sur les Indiens. En 2015, dans l’affaire Descheneaux c. Canada, la décision de la Cour supérieure du Québec mène à l’adoption du projet de loi S-3, qui entre pleinement en vigueur en 2019 et qui règle « la question des cousins », « la question des frères et sœurs » et « la question des enfants mineurs omis ».

Nicole O’Bomsawin, éminente anthropologue qui a su m’insuffler, comme à tant d’autres, mon amour pour la culture abénakise et ma grande fierté d’être membre du peuple de l’est. Kchi wliwni. Annie O’Bomsawin-Bégin

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Héritières des pionnières des années 70 et préoccupées par l’autonomisation et la décolonisation de leur nation, la protection du territoire, des cultures et des langues, des milliers d’autres femmes autochtones multiplient les implications et contribuent à la santé, l’éducation et la fierté des peuples autochtones. Les effets dévastateurs de la colonisation se faisant encore bien sentir aujourd’hui, la lutte est loin d’être terminée. Reconnaissante de cet héritage que je tente de porter à mon tour, il me faut aussi honorer trois autres femmes de cœur. Ma mère, Chantal O’Bomsawin, qui œuvre depuis plus de 40 ans comme orthophoniste à aider les enfants en difficulté à s’exprimer, dont beaucoup d’autochtones, moi la première. Ma tante, Hélène O’Bomsawin qui a toujours cherché à faire connaitre la richesse des cultures autochtones par l’art, qui travaille depuis des décennies à la réussite scolaire des jeunes autochtones et me pousse constamment à l’engagement.

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Vidéo sur Mary Two-Axe Early. Émission Les avantgardistes. Saison 2. Une production de Savoir Média. Vidéo en ligne.


Pour la première fois, le grand public prend connaissance des nombreuses formes de discriminations qui les touchent spécifiquement. En octobre 1968, une délégation composée de Mary Two-Axe Earley, Betty Deer Brisebois, Charlene Bourque et Cecilia Ouimette, représentant une trentaine de femmes de Kahnawà:ke, se rend à Ottawa pour participer aux audiences et rencontrer Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes.

DE KAHNAWÀ:KE À OTTAWA : PRÉSENCES ET ABSENCES DES FEMMES AUTOCHTONES À LA COMMISSION BIRD Le tournant des années 1970 laisse place à une nouvelle génération de militantes et de militants. Un peu partout à travers le Canada, et particulièrement au Québec, des mouvements de contestation naissent ou s’amplifient. Chez une frange indépendantiste plus radicale, les critiques se multiplient contre l’État canadien, considéré comme un État colonial1. Pour les femmes autochtones, toutefois, les rapports coloniaux vont bien au-delà de la question linguistique et s’ancrent profondément dans les lois et les institutions qui marquent toutes les sphères de leur quotidien2. Au Canada, les mobilisations des femmes connaissent un nouveau souffle alors qu’une coalition de groupes revendique la tenue d’une enquête nationale sur la « situation de la femme » — ce qui donne lieu à la création de la Commission Bird3, dont les audiences débutent en 1968. Au total, 468 mémoires et plus de 1000 lettres y sont soumis. Son rapport, déposé en 1970, comprend 167 recommandations, qui visent à assurer une égalité des chances dans toutes les sphères de la société canadienne. Bien qu’elles n’y aient pas été invitées formellement, des militantes autochtones prennent part à la commission d’enquête en présentant neuf rapports et en témoignant aux audiences. Photo : Julie Artacho

Du côté des médias, la couverture des revendications des femmes autochtones à la Commission Bird est discrète et teintée d’une certaine exotisation. Bien qu’il y ait eu des témoignages de femmes autochtones dans d’autres provinces, c’est surtout celui de la délégation de Kahnawà:ke qui semble retenir l’attention des médias québécois, sans doute en raison de la proximité de la réserve avec Montréal. Si des rapprochements sont faits entre les demandes pour des droits égaux provenant des femmes kanien’kehá:ka (mohawks) et des femmes blanches, les différences d’apparence entre ces groupes sont soulignées à grands traits par les journalistes. Dans Le Devoir, on insiste sur le fait que Charlene Bourque « porte un bandeau » et l’on qualifie Betty Deer Brisebois et elle de « jeunes Indiennes fort jolies ». L’article dans La Presse portant sur leur témoignage s’ouvre avec une description physique de Charlene Bourque : « Longs cheveux noirs, le front ceint d’un bandeau multicolore ». Les journalistes anglophones soulignent également ces caractéristiques, qualifiant Bourque de « jolie » et « attirante ».

Les quatre femmes dénoncent plus spécifiquement l’article 12(1)b) de la Loi sur les Indiens, qui prévoit qu’une femme autochtone épousant un allochtone perdait son statut et ne pouvait le transmettre à ses enfants. À l’inverse, un homme autochtone conservait son statut et son épouse pouvait même jouir de certains droits sur la réserve. En plus de cette disposition, les femmes touchées perdaient leur droit de propriété et la possibilité de participer aux activités politiques dans la réserve. Vu le manque d’habitations, lorsque le conseil de bande appliquait cet article de la Loi, elles étaient bien souvent contraintes à déménager ailleurs avec leurs enfants, les coupant de leur milieu. Dans la pratique, cela réduisait significativement le nombre de personnes autochtones reconnues, accélérant l’assimilation et affectant le tissu social dans de nombreuses communautés. Le témoignage de Charlene Bourque à la Commission, en particulier, met au jour le déracinement subi par les jeunes : « Qui sommesnous ? Nous vivons à l’indienne, mais dès l’âge scolaire, on vient nous dire qu’il nous faut aller dans des écoles de Blancs. Nous perdons tous nos amis indiens et nous savons bien que nous ne sommes pas des Blancs »4.

À travers ces commentaires, les médias reproduisent une dichotomie « princesse/squaw », décrite par l’historienne Rayna Green, qui tend à catégoriser les femmes autochtones selon leur respectabilité aux yeux du colonisateur. Le narratif autour de Charlene Bourque en fait une « princesse », qui se sacrifie au nom des jeunes et des femmes sans statut, et les journalistes accordent peu d’attention aux femmes plus âgées l’accompagnant. À l’opposé, d’autres articles sur la Commission dressent un portrait misérabiliste des femmes autochtones plus vulnérables, où elles sont présentées comme sexuellement disponibles : « elles sont traitées avec insolence et servent à assouvir les instincts sexuels d’hommes dépravés trop heureux de trouver à si bon compte des partenaires. Très souvent, ces femmes doivent recourir à la prostitution pour obtenir l’argent nécessaire pour nourrir leurs enfants5» . Dans un cas comme dans l’autre, les femmes autochtones sont objectifiées et les journalistes leur accordent peu d’agentivité. Le rapport final de la Commission Bird, déposé en décembre 1970, comprend peu de recommandations qui touchent spécifiquement les femmes autochtones.

Le Devoir, 4 octobre 1968, p. 11. Bibliothèques et Archives nationales du Québec

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Les quelques passages qui les concernent sont insérés dans la trame principale qui reste, elle, constituée selon les aspirations des femmes blanches en matière d’éducation, de travail ou de vie familiale. Peu ou pas de distinctions sont apportées entre hommes et femmes autochtones, et même entre les femmes de différentes nations : la plupart des recommandations incluent indistinctement les femmes inuites et des Premières Nations. Par ailleurs, l’assimilation culturelle n’est pas remise en question : il « va de soi » que les enfants autochtones doivent continuer à fréquenter les écoles et les pensionnats, malgré le déracinement et les violences que cela provoque. Les réticences exprimées par certaines femmes au sujet des pensionnats ou des écoles sont attribuées à une méconnaissance de l’éducation offerte par les Blancs : « Quelques Esquimaudes et Indiennes venues témoigner devant la Commission ne comprenaient pas ce qui arrivait à leurs enfants quand ils allaient à l’école loin de chez eux. Comme elles n’avaient jamais vu les internats, elles ne pouvaient partager en imagination les expériences de leurs enfants »6. Le rapport mentionne que les conflits de valeurs qui en résultent pourraient alors être « réglés » en éduquant également les adultes. Présentée dans un mémoire, la proposition de l’Alberta Native Women’s Conference de mettre sur pied des programmes éducatifs pour les Blancs afin de les sensibiliser aux réalités autochtones n’est pas retenue dans les recommandations des commissaires.

Extrait du rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada

La pauvreté, le manque d’habitations, la discrimination à l’emploi ou les problèmes familiaux sont peu situés comme résultant de la colonisation ; ils sont plutôt présentés comme un état de fait et il est alors de la responsabilité des Blancs d’« intervenir ».


Cinq ans plus tard, en 1975, l’autrice innue An Antane Kapesh offre une tout autre lecture en inscrivant les conditions de son peuple dans plusieurs décennies de dépossession du territoire, des ressources, de la culture, des traditions et des modes de vie. Elle écrit : « À présent, ce n’est pas dans ma culture à moi que je me trouve et ce n’est pas ma propre maison que j’habite. Je vis la vie du Blanc et vraiment, il n’y a pas une journée où je suis heureuse parce que moi, une Indienne, je ne me gouverne pas moi-même, c’est le Blanc qui me gouverne »7. En ce qui concerne l’article 12(1)b, les commissaires recommandent que la Loi sur les Indiens soit modifiée afin qu’une femme autochtone épousant un allochtone puisse conserver son statut et le transmettre à ses enfants. Cette revendication, chère aux femmes de Kahnawà:ke qui s’étaient déplacées à Ottawa, est finalement satisfaite... quinze ans plus tard. Et encore, ce n’est qu’en 2019 qu’un projet de loi permet enfin à des femmes autochtones, toujours privées de leur statut, de le regagner sans exception. Au final, c’est moins la Commission Bird que le militantisme de nombreuses organisations – dont Indian Rights for Indian Women, l’association Femmes Autochtones du Québec et l’Alliance laurentienne des Métis et des Indiens sans statut du Québec – qui permet d’abroger l’article discriminatoire. Les femmes kanien’kehá:ka trouvent certaines alliées parmi le mouvement des femmes de l’époque. Grace MacInnis, députée néo-démocrate de VancouverKingsway, et Thérèse Casgrain, figure connue des milieux féministes québécois, les accompagnent à Ottawa et s’assoient à leurs côtés durant leur témoignage à la Commission. Quelques années plus tard, en 1975, de nouveaux liens se nouent à la suite de la Conférence mondiale de l’Année internationale de la femme des Nations unies, tenue à Mexico. Une délégation de Kahnawà:ke, composée notamment de Mary Two-Axe Earley, révèle sur la scène internationale les discriminations que rencontrent les femmes autochtones au Canada. Lors de leur retour à la réserve, une soixantaine de femmes reçoivent un avis d’éviction de la part du conseil de bande8.

La Fédération des femmes du Québec fait alors pression sur les différents paliers de gouvernement pour modifier la Loi sur les Indiens et abroger l’article 12(1)b). Thérèse Casgrain, dans une lettre ouverte publiée au Devoir, rappelle qu’il s’agissait d’une des recommandations de la Commission Bird cinq ans plus tôt9.

En s’invitant sur la scène des droits des femmes, les militantes de plusieurs communautés ont attiré l’attention sur les conséquences concrètes du colonialisme et ont donné le coup d’envoi à plusieurs décennies de mobilisations, menant à des changements sociaux, politiques et juridiques majeurs.

La Commission Bird a-t-elle été une occasion manquée de lancer un réel dialogue sur les conditions des femmes autochtones ? Carrie Best, une journaliste noire, déplorait le fait que les commissaires n’aient pas pris les mesures nécessaires pour que les femmes autochtones et les femmes noires de sa province soient conviées aux audiences publiques et que les leaders de ces communautés soumettent des mémoires10. Dans son ensemble, le rapport de la Commission envisage peu les différents intérêts des femmes, qu’elles soient de diverses classes ou origines ethnoculturelles, et encore moins des femmes autochtones de nations différentes, vivant dans des contextes parfois opposés. L’idée même d’égalité de droit entre hommes et femmes, qui constitue en quelque sorte le fil conducteur du rapport, n’a pas la même signification dans les communautés autochtones, où les genres sont perçus comme étant complémentaires, parfois non figés, et où l’émancipation des femmes ne se réfléchit pas nécessairement comme étant séparée de celle des hommes. Les commissaires n’envisagent pas, non plus, la responsabilité des peuples colonisateurs et de leurs gouvernements, pourtant centrale dans nombre de problématiques soulevées dans les sections du rapport concernant les femmes autochtones. Les témoignages aux audiences et les mémoires soumis par différents groupes ont toutefois permis de faire surgir les enjeux et les revendications touchant les femmes autochtones dans l’actualité, souvent en leur donnant la parole directement, alors que leurs voix étaient marginalisées dans l’espace public.

Camille Robert

NOTES 1 Dès le début des années 1960, nombre de militant·es indépendantistes s’appuient sur les théories décoloniales pour penser la condition des Canadien·nes français·es. Le Front de libération du Québec ou le Front de libération des femmes du Québec font écho, par exemple, au Front de libération national en Algérie. Comme le remarque l’historien Sean Mills, cette lecture n’est pas sans contradictions internes et plusieurs intellectuel·les questionnent les filiations entre les mouvements de libération des Québécois·es francophones et ceux des peuples autochtones, des Noir·es, des Cubain·es ou des Algérien·nes à la même époque. Comme plusieurs militantes et intellectuelles l’ont souligné à juste titre, le projet colonial visait particulièrement les femmes autochtones, le pouvoir qu’elles détenaient et leur rôle de transmission culturelle. Elles ont été marginalisées notamment à travers la Loi sur les Indiens (1876), qui établissait les réserves et imposait un système de gouvernance patriarcal à travers les conseils de bande. 2

La Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada est présidée par la journaliste Florence Bird et composée des commissaires Jacques Henripin, John Peters Humphrey, Lola M. Lange, Jeanne Lapointe, Elsie Gregory MacGill et Doris Ogilvie, et de la secrétaire générale Monique Bégin. 3

Thérèse Vaillancourt, « Un problème poignant : celui des métis », La Presse, vendredi 4 octobre 1968, p. 14. 4

« Commission d’enquête sur la situation des femmes : L’exploitation dont sont victimes les femmes indiennes est scandaleuse », Le Devoir, 6 août 1968, p. 11. 5

Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, p. 241. 6

An Antane Kapesh, Eukuan nin matshi-manitu innushkueu: Je suis une maudite sauvagesse. Montréal, Mémoire d’encrier, 2019, p. 189. 7

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Les conseils de bande constituent la structure politique mise en place par l’État canadien pour administrer les réserves, sans égard aux modes de gouvernance traditionnels. 8

Déjà en 1968, les femmes kanien’kehá:ka qui témoignaient à la Commission Bird soulignaient que les hommes sur les réserves n’avaient « rien à perdre » dans l’application de la Loi sur les Indiens, car ils profitaient des terrains abandonnés par les femmes ayant perdu leur statut. À Kahnawà:ke en particulier, l’élection d’un nouveau conseil de bande avait mené à une application beaucoup plus stricte de l’article 12(1)b). Thérèse Casgrain, « Un cas flagrant de discrimination antiféminine à Caughnawaga », Le Devoir, 26 juin 1975, p. 4. 9

« Commission d’enquête sur les femmes : On ne rejoint pas les hommes, les jeunes, les femmes de race noire et les Indiennes », Le Devoir, 17 septembre 1968, p. 11. 10

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Les personnes du public pourront également s’exprimer grâce au volet participatif Nos héroïnes, une invitation à rendre hommage à des femmes inspirantes, connues ou inconnues. Elles sont invitées à nous faire parvenir une photo d’une femme ayant marqué leur vie, accompagnée d’un court témoignage expliquant son importance ou son legs. Les photos recueillies défileront en boucle sur l’écran numérique à l’extérieur du Théâtre ESPACE GO, et formeront une mosaïque sur notre site Internet pendant tout le mois d’octobre.

NOS

HÉROÏNES


JE SUIS UNE FEMME D’OCTOBRE COMITÉ DE RÉFLEXION / DÉVELOPPEMENT DU PROJET Jenny Cartwright, Marilou Craft + Viviane Michel + Emilie Monnet + Ginette Noiseux + Annie O’Bomsawin-Bégin + Alexandra Pierre + Camille Robert + Emmanuelle Sirois

FICTIONS EN BALADOS - Émilie Monnet Récit et narration : Émilie Monnet Composition musicale : Frannie Holder Mise en voix : Solène Paré Montage et magie : Alexi Rioux

CHARGÉE DE PROJET Emeline Goutte

- Jenny Cartwright Récit : Jenny Cartwright Narration : Tatiana Zinga-Botao Composition musicale : Sandy Pinteus Mise en voix : Solène Paré Montage : Sandy Pinteus Mixage : Thierry Gauthier

COMMUNICATIONS Laurie Buteau + Luc Chauvette + Hubert Larose-St-Jacques Relationniste de presse : Rosemonde Gingras Réviseuse : Catherine Ouellet-Cummings DIRECTION TECHNIQUE Alex Gendron CRÉATION D’UN OEUVRE MURALE Artiste murale : Caroline Monnet Photographie originale de la murale : Lou Scamble Assistant photographe : Antoine Raymond Costumes : Swaneige Bertrand Maquillages et coiffures : Janick Sabourin Poirier + Dominique Hasbani Femmes photographiées : Caroline Monnet +Émilie Monnet + Swaneige Bertrand + Eruoma Awashish + Meky Ottawa + Catherine Boivin - Lou Scamble, 2020, avec Caroline Monnet + Émilie Monnet + Swaneige Bertrand + Eruoma Awashish, Meky Ottawa + Catherine Boivin - Jacques Nadeau, portrait de Viviane Michel, paru dans Le Devoir du 14 décembre 2015 - Antoine Desilets, Fonds Antoine Desilets, Mur « Québécoises Debouttes! » - Archives nationales du Québec à Montréal - Mariposa Folk Fondation - Doug Griffin, 1969, Toronto Star Photo Archive, via Getty Images. Une femme enchaînée à d’autres militantes féministes est attrapée par un policier montréalais durant une manifestation.

- Marilou Craft Récit et narration : Marilou Craft Composition musicale : Tamara Filyavich Voix complémentaire : Maguy Métellus Mise en voix : Solène Paré Montage et magie : Alexi Rioux RÉCITS HISTORIQUES Annie O’Bomsawin-Bégin + Alexandra Pierre + Camille Robert EXPOSITION DÉAMBULATOIRE SAINT-LAURENT Rédactrices Martine Delvaux + Martine Eloy + Bochra Manaï + Stéphanie Mayer + Laure Neuville + Emilie Nicolas + Annie O’Bomsawin-Bégin + Alexandra Pierre + Mercédez Roberge + Camille Robert + Kharoll-Ann Souffrant + Jennie-Laure Sully Photographes Marik Boudreau + Francis Di Salvio + Fonds Antoine Désilets + Ross Higgins + Catherine Legault + Mariposa folk Fondation + Valérian Mazataud + Jacques Nadeau + André Querry + Pedro Ruiz + Robert Skinner ACTIVITÉ PARTICIPATIVE NOS HÉROÏNES Partenaires, soutiens et collaboratrices du projet : Y des Femmes de Montréal + Wapikoni Mobile + R des femmes de Montréal + Noor I Mtl Un immense merci à Archives gaies du Québec + Mariposa Folk Fondation + André Querry

Un immense merci à toutes les personnes qui ont contribué de loin ou de près à l’événement Je suis une femme d’octobre!


Théâtre ESPACE GO 4890, boulevard Saint-Laurent Montréal (Québec) H2T 1R5 514 845-5455 espacego.com


Je suis une femme d’octobre

Revue de presse (extraits) Je suis une femme d’octobre se veut une célébration collective des 50 ans de mobilisation de ces femmes qui ont transformé la société depuis la crise d’Octobre. On y présente une murale fascinante sur la représentation des femmes autochtones, une exposition de photos unique en mode déambulatoire, ainsi que des fictions inspirantes en baladodiffusion. En donnant une voix aux femmes et aux groupes marginalisés, l’exposition saura vous chambouler en remettant en question le récit historique, raconté par des hommes, sur les événements d’octobre 70. André-Anne Côté, Bible urbaine Sur la façade du théâtre Espace Go se laisse admirer jusqu’au 31 octobre l’œuvre de Caroline Monnet intitulée Debouttes ! Conçue avant la mort terrible de l’Attikamek de Manawan Joyce Echaquan sous les insultes de soignantes à son chevet, on croit y voir une référence directe à la tragédie qui nous tend un si douloureux miroir. Sur cette murale, des photos de femmes autochtones parfois superposées et retravaillées, derrière ou devant des barreaux évoqués, témoignent de 50 ans de luttes, de l’ombre à la lumière. Certaines figures apparaissent en arrière-plan — se profile en noir et blanc le beau visage de jeunesse d’Alanis Obomsawin à la mine tragique. Devant, d’autres silhouettes en couleur, démultipliées, ici le poing levé, là avec un enfant dans les bras ; toutes debouttes. Point d’orgue du déambulatoire d’Espace Go Je suis une femme d’octobre, en escales sur le boulevard Saint-Laurent, cette œuvre ne pouvait trouver meilleure caisse de résonance qu’aujourd’hui. […] Les citadins s’imaginent mal l’ampleur des conflits qui subsistent entre des petites communautés voisines aux racines différentes. Plusieurs y peinent à comprendre la notion de droits ancestraux de chasse et pêche favorisant les autochtones pourtant si lésés, ou même les allocations fédérales versées au « peuple des réserves ». Le fossé culturel est énorme, l’animosité mutuelle palpable. Alors, devant les imprécations de membres du personnel hospitalier de Joliette contre une Attikamek en douleur, ajoutant à l’injure la question à mille piastres : « Qui tu penses qui paie pour ça ? », je voyais remonter les mêmes tensions qu’hier jamais jugulées. Systémique, vous dites ? J’irai revoir la murale. L’art peut aussi parler. Odile Tremblay, Le Devoir

L’art est une composante essentielle de la vie humaine. En cette période de confinement, en raison de la COVID-19, la Santé publique nous invite à rester chez nous et à sortir uniquement si cela est pleinement justifié. Puisqu’il en est ainsi, l’accès à l’exposition déambulatoire « Je suis une femme d’octobre » peut et doit être vu, par le plus grand nombre, en baladodiffusion sur le NET. En cinquante ans, il y a au moins une chose qui a changé dans la façon de saisir et d’analyser la question des femmes. Il s’agit du passage d’une grille d’analyse d’inspiration marxiste […] à la grille d’analyse qui a


pour nom l’intersectionnalisme […] C’est autour de cette approche intersectionnaliste que les textes qui accompagnent le déambulatoire ont été rédigés. Dans le cadre de cette approche, est-il nécessaire de le mentionner, il n’est pas question d’une mystique libératrice quelconque. Il s’agit plutôt d’identifier les relations sociales qui définissent des situations oppressantes et qui débouchent sur des mobilisations susceptibles d’éradiquer ces rapports hiérarchiques d’oppression. Cette exposition est à voir et à lire. Yvan Perrier, Presse-toi à gauche!

Le parcours photographique se termine devant le théâtre Espace Go où on peut admirer une belle murale baptisée Deboutte, réalisée par Caroline Monnet. On y voit, sur le fond de photos d’archives d’octobre 1970, des portraits de femmes, certaines le poing levé, dont plusieurs sont des femmes autochtones. Cette murale prend d’autant plus de sens que le Québec est secoué par une histoire terrible survenue ces derniers jours dans un hôpital de Joliette, au nord-est de Montréal : une jeune autochtone de 27 ans, Joyce Echaquan, y est morte dans des circonstances nébuleuses, mais elle a pu filmer avec son téléphone, juste avant son décès, les commentaires racistes d’une infirmière à son endroit. […] D’ailleurs le fil conducteur de ce parcours photographique repose sur la justice et la dignité pour toutes les femmes. "Je suis une femme d’octobre" tiendra l’affiche sur le boulevard Saint-Laurent durant tout le mois d’octobre. Alors que la situation sanitaire causée par l’épidémie à Montréal a de nouveau imposé la fermeture des théâtres, cinémas et salles de spectacle, ce parcours est une belle occasion pour s’offrir une petite virée culturelle tout en prenant un bon bol d’air, se faire du bien au corps et à l’âme tout en rendant hommage à ces femmes trop souvent oubliées qui se sont mobilisées et qui se mobilisent, pour améliorer leurs conditions et celles des générations futures. Une belle façon aussi de revisiter l’histoire, de changer de lunettes de vision, de teinter de rose des événements trop souvent décrits en noir et blanc. Catherine François, TV5 Monde

C’est une belle, très belle initiative, une idée très riche d’ESPACE GO et aussi de Ginette Noiseux, sa directrice, pour les 50 ans de la crise d’Octobre. ESPACE GO a bien fait en voulant corriger cette longue absence des femmes dans les commémorations d’Octobre. Mais pas tant en revenant sur les luttes de ces premières féministes mais en faisant dans le fond un survol de toutes les luttes des femmes au cours des 50 dernières années. Et le tout culmine avec cette immense installation photographique Debouttes! de l’artiste Caroline Monnet. Et ça c’est dans la vitrine de l’ESPACE GO. C’est vraiment beau. Et là, ce sont des femmes autochtones, comme une succession de femmes autochtones qui regardent les passants droit dans les yeux. Alors on se dit que vraiment ça tombe bien, vraiment bien comme message. Et on s’entend qu’ils n’ont pas fait ça la semaine dernière; c’est un projet sur lequel ils travaillent depuis longtemps. Alors je trouve que vraiment comme timing, c’est incroyable. S’ajoutent à ça des balados de jeunes féministes


d’aujourd’hui. Donc c’est un super beau travail autour des luttes et des combats. Nathalie Petrowski, Pénélope, ICI radio-Canada Première Coup de cœur Je suis une femme d’octobre Sur un parcours immersif, le Théâtre Espace Go vous invite à découvrir la nouvelle expérience déambulatoire Je suis une femme d’octobre qui se tiendra jusqu’au 31 octobre prochain. Ce projet pluridisciplinaire marie œuvre murale, exposition de photos d’archives à l’extérieur, création de récits et de balados, de même que l’activité participative Nos héroïnes. L’Espace Go souligne en même temps l’anniversaire de la crise d’octobre, les 50 ans de mobilisation de femmes, deux événements ont eu un impact profond sur les transformations de la société. L’exposition photo déambulatoire présente donc 25 clichés sur le boulevard Saint-Laurent, de diverses manifestations illustrant ces femmes qui ont été actrices de changement dans le monde. 24h Montréal L’exposition extérieure Je suis une femme d’octobre arrive à point. Ginette Noiseux, directrice générale et artistique d’ESPACE GO, et son équipe ont voulu souligner la crise d’Octobre, mais en braquant les projecteurs sur les grands oubliés de la crise, surtout les grandes oubliées. Les femmes et autres communautés marginalisées ont été comme invisibilisées dans cette lutte-là, ou du moins dans la façon dont on la raconte, écartées donc de ces luttes alors qu’elles auraient dû y être au cœur. Et c’est devenu le prétexte pour réfléchir aux luttes de ces groupes, aux années de mobilisation des femmes depuis 1970. Alors pour souligner le tout, on a demandé d’abord à l’artiste multidisciplinaire Caroline Monnet de créer une murale qu’on a installée sur la devanture du théâtre et qui s’appelle Debouttes! et qui présente six femmes autochtones francophones qui se tiennent debout, comme si elles formaient une armée, certaines ont le poing levé, d’autres portent un enfant collé sur la poitrine. Et c’est magnifique et aussi très symbolique de voir ces femmes occuper comme ça la rue en permanence, du moins pour le mois d’octobre. C’est vraiment ce qui est au cœur de cette exposition. Mais en écho à cette œuvre-là, on a imaginé un parcours, une exposition avec des photos d’archives de manifestations de femmes et de groupes marginalisés depuis octobre 1970. Cette exposition-là est en mode déambulatoire, c’est-à-dire qu’elle est présentée sur le boulevard Saint-Laurent sur les vitrines d’une vingtaine de commerces. Alors ça c’est vraiment intéressant. Et chaque photo est accompagnée d’un texte inédit de militantes, chercheuses, artistes. […] Alors c’est très puissant mais aussi très éducatif. Alors, Je suis une femme d’octobre, c’est vraiment intéressant. Il y a beaucoup de choses. 50 ans de mobilisation de femmes, organisé, pensé et vu tout près du Théâtre ESPACE GO. Eugénie Lépine-Blondeau, Tout un matin, ICI Radio-Canada Première Pendant les 28 jours du (re)confinement du milieu culturel, Espace Go propose un parcours déambulatoire sur le boulevard Saint-Laurent qui revient sur 50 ans de luttes féministes. Un projet qui se


conclut par une murale de Caroline Monnet réalisée sur la façade du théâtre. C’est un heureux hasard si pendant tout le mois d’octobre, un spasme culturel se fera sentir boulevard Saint-Laurent, au moment même où tout le milieu culturel est reconfiné. Jean Siag, La Presse 7e ciel Les journalistes de Métro vous présentent leurs sept coups de cœur culturels de la semaine, dont l’exposition Je suis une femme d’octobre. Parce que la culture sert aussi à s’éduquer, s’informer et s’exprimer, l’Espace Go a pensé cette fantastique exposition à ciel ouvert qui met en lumière le rôle essentiel – souvent passé sous silence – des femmes dans l’évolution de la société québécoise. Le temps d’une promenade dans le Mile End, on prend connaissance, ici et là, de photos et de récits, ainsi qu’une murale de Caroline Monnet, qui nous entraînent vers un nouveau prisme de réflexion sur la Crise d’octobre, mais aussi sur les cinquante dernières années ponctuées de mobilisations. Une dizaine de femmes artistes et chercheuses, dont Émilie Monnet, Emmanuelle Sirois et Ginette Noiseux, ont participé à ce projet salutaire. Amélie Revert, Journal Métro Autre pièce de ce travail collectif immense : la murale Debouttes, conçue par Caroline Monnet, qui magnifie la devanture d’Espace Go. L’artiste y présente six femmes autochtones francophones. Toutes se tiennent debout, dans des « images fragmentées, comme si elles étaient une armée ». Natalia Wysocka, Le Devoir

Que reste-t-il à la culture pendant ce reconfinement? Art public, balado, web, interactivité… Je suis une femme d’octobre d’Espace GO réunit toutes ces activités pour dire qu’encore une fois, de trop!, l’histoire est écrite par des hommes. Pourtant, depuis la Crise d’octobre 70, les femmes n’ont jamais cessé de changer le monde. Écrire l’histoire des femmes est un chantier toujours actif et, avec Je suis une femme d’Octobre, Espace GO et 50 créatrices y contribuent en rendant hommage à celles qui se battent, plus précisément depuis 50 ans, pour faire en sorte que leur point de vue soit énoncé, diffusé, partagé. L’événement propose une superbe murale, Debouttes de Caroline Monnet, devant le théâtre. Mario Cloutier, En toutes lettres, mariocloutier.com Espace GO lance un rayon de soleil à travers la grisaille de ce sombre octobre : un parcours déambulatoire alliant exposition photographique et prises de parole en balado. En 25 photos d’archives (affichées dans des vitrines ponctuant le boulevard Saint-Laurent), trois récits historiques et trois fictions poétiques, Je suis une femme d’octobre pose un regard neuf, empreint de féminisme intersectionnel, sur


la Crise d’octobre et souligne 50 ans de militance au féminin. En outre, devant l’institution dirigée par Ginette Noiseux, une splendide œuvre murale rendant hommage aux femmes autochtones réalisée par l’artiste Caroline Monnet et intitulée Debouttes a été dévoilée aujourd’hui, marquant ainsi magistralement l’inauguration de Je suis une femme d’octobre. JEU revue de théâtre













Systémique, vous dites?

Odile Tremblay 10 octobre 2020 Chronique Chroniques

Sur la façade du théâtre Espace Go, angle Saint-Laurent et Saint-Joseph, se laisse admirer jusqu’au 31 octobre l’œuvre de Caroline Monnet intitulée (https://espacego.com/saison-20202021/je-suis-une-femme-d-octobre/exposition/debouttes-oeuvre-murale-de-caroline-monnet/) Debouttes ! (https://espacego.com/saison-2020-2021/je-suis-une-femme-d-octobre/exposition/debouttes-oeuvre-muralede-caroline-monnet/) Conçue avant la mort terrible de l’Attikamek de Manawan Joyce Echaquan

sous les insultes de soignantes à son chevet, on croit y voir une référence directe à la tragédie qui nous tend un si douloureux miroir. Sur cette murale, des photos de femmes autochtones parfois superposées et retravaillées, derrière ou devant des barreaux évoqués, témoignent de 50 ans de luttes, de l’ombre à la lumière. Certaines figures apparaissent en arrière-plan — se profile en noir et blanc le beau visage de jeunesse d’Alanis Obomsawin à la mine tragique. Devant, d’autres silhouettes en couleur, démultipliées, ici le poing levé, là avec un enfant dans les bras ; toutes debouttes. Point d’orgue du déambulatoire d’Espace Go Je suis une femme d’octobre, en escales sur le boulevard Saint-Laurent, cette œuvre ne pouvait trouver meilleure caisse de résonance qu’aujourd’hui. Les racines hybrides de Caroline Monnet, Algonquine par sa mère, Française par son père, participent à son œuvre de plasticienne et de cinéaste penchée avec style sur les réalités des Premières Nations. Et durant cette éprouvante seconde vague, alors que galeries et musées se retrouvent cadenassés en zone rouge, m’arrêter devant sa murale m’a paru un acte de résistance. Toutes ces images de femmes autochtones qui en ont bavé mais se redressent portent surtout en elles la tragédie de la patiente attikamek à l’hôpital de Joliette. Par son atroce et ultime témoignage sur Facebook, son visage, pourtant absent, paraît flotter audessus de la murale. Il le mérite, tant le sort de Joyce Echaquan dessille les yeux d’une foule de Québécois scandalisés, saisissant enfin à quoi sont confrontés les premiers habitants du pays.


Ni la crise d’Oka (qui avait divisé l’opinion publique) ni les commissions d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées ou sur les infâmes pensionnats n’étaient parvenues jusqu’ici à mobiliser vraiment nos troupes en leur faveur. Ce chapelet d’injures d’une infirmière et d’une préposée aux bénéficiaires envers une agonisante sur vidéo a réussi ce miracle-là ! Lever une société pour dire : c’est assez ! On n’accepte pas pareil racisme haineux ! Changeons le système ! Et les excuses de François Legault (https://www.ledevoir.com/francois-legault), l’enquête publique sur la mort de Joyce Echaquan, la volonté d’agir ne peuvent absoudre ce refus de qualifier de racisme systémique les outrages reçus par les Premières Nations. Comme si les Québécois étaient des enfants à protéger contre des réalités perturbantes, sur ce plan autant que face aux dérives comportementales devant la remontée de la COVID. Mais on est mûrs pour voir nos angles morts, justement. Sinon, comment corriger le tir ? Avant d’être journaliste, j’ai travaillé pour le défunt Conseil attikamek-montagnais. Plusieurs de mes collègues avaient connu les pensionnats autochtones mais en parlaient peu, tant leurs traumatismes demeuraient profonds. Dans les communautés éloignées de la taïga, le silence pesait sur les abus sexuels des pères Oblats, dont ceux d’Alexis Joveneau à Unamen Shipu. On entendait chuchoter des horreurs : violences impunies sur les Innus par des villageois des environs (anglophones ou francophones), viols, adoptions forcées, injures, humiliations permanentes. Un juge, au coin de la table, préconisait en privé l’assimilation complète des premiers peuples « pour leur bien ». Des rendez-vous d’affaires au bar de mon hôtel près d’une réserve devaient s’annuler car les « Indiens » étaient barrés du lieu. Mes protestations demeuraient lettre morte. La conversation se poursuivait dehors. C’était avant la crise d’Oka, qui redonna en 1990 une fierté à des populations revenues de loin qui avaient accueilli nos ancêtres pourtant. En amont de l’été rouge, on ne trouvait guère de journalistes affectés aux questions autochtones. Après, oui. Les problèmes se voyaient de plus en plus nommés. Rien ne changeait en profondeur, je le constatais en retournant faire des tours là-bas comme en suivant leurs combats. Les citadins s’imaginent mal l’ampleur des conflits qui subsistent entre des petites communautés voisines aux racines différentes. Plusieurs y peinent à comprendre la notion de droits ancestraux de chasse et pêche favorisant les autochtones pourtant si lésés, ou même les allocations fédérales versées au « peuple des réserves ». Le fossé culturel est énorme, l’animosité mutuelle palpable. Alors, devant les imprécations de membres du personnel hospitalier de Joliette contre une Attikamek en douleur, ajoutant à l’injure la question à mille piastres : « Qui tu penses qui paie pour ça ? », je voyais remonter les mêmes tensions qu’hier jamais jugulées. Systémique, vous dites ? J’irai revoir la murale. L’art peut aussi parler.








La mort inacceptable de Joyce Echaquan révèle l’échec de nos institutions La guérison et la réconciliation dont nous avons besoin doivent passer par une importante prise de conscience informée de tous les membres de la société. Annie O’Bomsawin-Bégin October 9, 2020

I

l est difficile en tant que femme autochtone d’écrire sur la mort de Joyce Echaquan. Cette mort ravive toutes les blessures de la colonisation. Comment réfléchir alors


froidement aux réformes nécessaires de nos institutions ? Au moment où j’écris ces lignes, le théâtre Espace Go de Montréal lance l’événement Je suis une femme d’octobre, un projet multidisciplinaire composé d’une exposition de photos, de balados et de récits historiques sur les luttes des femmes au tournant des années 1970. Il vise à « faire fléchir l’Histoire et en éclairer les angles morts », au moment où on commémore le 50e anniversaire de la crise d’Octobre. J’ai participé à ce projet pour témoigner de l’important mouvement de contestation des femmes autochtones et de leur mobilisation durant les 50 dernières années. Convaincue que nous avons cruellement besoin de ce genre d’initiative ― même si on a parfois l’impression de jeter un pavé dans la mare ―, j’ai aussi écrit quelques lignes pour mettre en contexte les photos du projet. J’ai donc raconté ce que je pense qu’il faut savoir sur la lutte de Mary Two-Axe contre l’assimilation forcée des femmes autochtones par la Loi sur les Indiens, la Commission de vérité et réconciliation du Canada relative aux pensionnats indiens, la mobilisation des femmes innues pour la protection du territoire dans la foulée du Plan Nord, Idle No More et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Quelques lignes dans l’espoir de piquer la curiosité des gens et de les inciter à en apprendre plus, parce que je sais que la guérison et la réconciliation dont nous avons besoin doivent passer par une importante prise de conscience informée de tous les membres de la société.

E

n écrivant sur tous ces sujets, j’ai été frappée par une chose : bien qu’ils soient tous liés, il s’agit de nombreux fronts différents. Mener une lutte juridique jusqu’à une cour

internationale pour corriger les dimensions sexistes de la loi qui nous régit encore aujourd’hui, raconter nos traumatismes intimes au monde entier pour que le Canada reconnaisse que les pensionnats étaient une erreur immonde, se lever une fois de plus pour protéger le territoire contre un énième projet de « développement », chanter dans les centres commerciaux et sensibiliser la population partout au monde pour que nous puissions garder le modeste droit d’être consultés quand il s’agit de nos territoires et de nos droits, multiplier les stratégies pour qu’on nous entende enfin quand on dénonce les disparitions et les assassinats d’un nombre


effarant de femmes de nos communautés. Toutes ces luttes ― et j’en passe ― en 50 ans d’histoire, c’est lourd à porter pour cette poignée de gens que nous sommes, alors qu’on sait qu’il faut de la quiétude pour guérir. Et surtout, avant toute guérison et toute réconciliation, il faut que l’agression cesse.

Toutes ces luttes en 50 ans d’histoire, c’est lourd à porter pour cette poignée de gens que nous sommes, alors qu’on sait qu’il faut de la quiétude pour guérir. Et surtout, avant toute guérison et toute réconciliation, il faut que l’agression cesse.

Alors que je faisais les derniers ajustements aux textes de l’exposition de photos, une autre agression survient : j’apprends la mort horrible de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette. Ce même hôpital dont il a été question à plusieurs reprises aux audiences de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (Commission Viens). Une autre commission, un autre front. Puis, la ministre responsable des Affaires autochtones Sylvie D’Amours, chargée de mettre en application les recommandations de ladite commission et visiblement dénuée de la sensibilité cruciale à ses fonctions, fait parvenir un communiqué qui vante les progrès de son gouvernement un an après la publication du rapport de la Commission Viens. Comme si ce n’était pas suffisant, on nous a ensuite rapporté les propos du maire de Joliette Alain Beaudry, visiblement déconnecté de la réalité de sa population : « On peut peut-être réfléchir [à ces questions sur le racisme], mais de là à dire qu’il y a un problème, moi je vois pas de problème majeur qui me saute aux yeux. » Cette réaction du maire Beaudry n’est pas sans rappeler celle du premier ministre Stephen Harper en 2014, lorsqu’il refusait de mettre sur pied une enquête nationale sur les disparitions et les assassinats de femmes autochtones, parce que, selon lui, on ne devait pas y voir un « phénomène sociologique », mais simplement « des crimes ». Pourtant, un rapport de la Gendarmerie royale du Canada qui venait de sortir avait confirmé que les femmes autochtones étaient surreprésentées parmi les femmes disparues et assassinées au Canada, et précisé que ce sujet était « sans contredit une préoccupation pour tous les services de police, mais représente également un défi sociétal plus large ».


Lors d’une cérémonie organisée par le Centre national pour la vérité et la réconciliation, des chefs autochtones et des survivants des pensionnats fédéraux déploient une banderole comportant les noms de 2 800 enfants autochtones morts dans les pensionnats (Gatineau, Qc, le 30 septembre 2019). La Presse canadienne / Justin Tang.

Le rapport Viens n’était pas le premier à sonner l’alarme. En 2009, il y avait eu un rapport d’Amnistie internationale, faisant suite à un précédent rapport publié en 2004, qui dénonçait les conditions de vie (et de mort) révoltantes des femmes autochtones au Canada et se référait au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996. Ce sont beaucoup de commissions et de rapports ; pourtant, ceux et celles qui ont un rôle majeur à jouer dans l’application des recommandations ne semblent que rarement en avoir pris connaissance. Nous sommes loin de la prise de conscience informée. Après la bonne conscience qu’apporte le fait de mener une commission, il faut en appliquer les recommandations, cela tombe sous le sens. Que dire lorsqu’on constate que, manifestement, des acteurs clés de la réconciliation ont l’air de dire, comme je l’ai déjà entendu : « Pourquoi parle-t-on de réconciliation ? Nous n’avons jamais été en guerre à ce que je sache. » Il faut tout de même admettre que les temps changent et qu’il y a de plus en plus de gens qui œuvrent à réparer les erreurs du passé, et du présent. Mais une des causes de l’échec des efforts des institutions québécoises, comme le souligne le juge Jacques Viens dans son rapport, est le caractère temporaire des solutions. Les projets pilotes sont nombreux et souvent de réels porteurs de changement, mais faute de financement, ils meurent dans l’œuf. Une vision à court terme, à la pièce, prévaut, alors que nous savons que les effets de la colonisation sont profonds et complexes. Pour panser les plaies, nous avons besoin d’une vision à long terme et d’une collaboration pérenne entre les Autochtones et l’ensemble de la société québécoise et canadienne, sinon, nous continuerons à être uniquement des témoins révoltés des situations odieuses que vit un tiers-monde au Québec et au Canada. Mais je crois en l’avenir de nos peuples. L’histoire témoigne de notre force et de notre volonté de nous relever. Je crois sincèrement qu’il est possible de travailler ensemble. J’ai voulu prêcher par l’exemple et j’ai demandé à Sébastien Brodeur-Girard, historien, avocat et professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-


Témiscamingue d’ajouter ses réflexions aux miennes. Vous les trouverez dans ces pages dans quelques jours. Photo : Une vigile se tient devant l’hôpital de Joliette en mémoire de Joyce Echaquan, une femme atikamekw de la communauté de Manawan, qui est décédée après avoir subi des propos racistes extrêmement violents (29 septembre 2020). La Presse canadienne / Paul Chiasson.


Cliquez ici pour écouter la discussion à 10h46 à 00:07:57



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Édition du vendredi 2 octobre 2020 Section Arts et être - Écrans 1 et 8






Parcours déambulatoire

Marcher aux côtés des femmes « debouttes »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La murale de Caroline Monnet intitulée Debouttes se trouve sur la façade du Théâtre Espace Go.

Pendant les 28 jours du (re)confinement du milieu culturel, Espace Go propose un parcours déambulatoire sur le boulevard Saint-Laurent qui revient sur 50 ans de luttes féministes. Un projet qui se conclut par une murale de Caroline Monnet réalisée sur la façade du théâtre. Publié le 2 octobre 2020 à 9h00 JEAN SIAG LA PRESSE

C’est un heureux hasard si pendant tout le mois d’octobre, un spasme culturel se


fera sentir boulevard Saint-Laurent, au moment même où tout le milieu culturel est reconfiné. Le projet Je suis une femme d’octobre, lancé par la directrice générale et artistique d’Espace Go, Ginette Noiseux, devait bel et bien avoir lieu en octobre. Mais essentiellement à l’intérieur du théâtre, en même temps que les spectacles

La renarde d’Ines Talbi et La brèche de Naomi Wallace. Il y a un mois, le directeur des communications, Luc Chauvette, a lancé l’idée (prémonitoire) d’étaler le parcours photographique le long de la Main. On parle de 25 photographies représentant des marches de femmes prises au cours des 50 dernières années, accompagnées de textes explicatifs, affichées sur des vitrines de commerces du boulevard Saint-Laurent (avec leur accord !), entre les rues Marie-Anne et Saint-Viateur. Pourquoi ? Ginette Noiseux explique : « On voyait venir les 50 ans de la crise d’Octobre et, encore une fois, j’étais convaincue que ce serait un récit à travers le regard d’hommes blancs cisgenres. Nulle part alimenté par l’importance que les femmes avaient à l’époque… »


PHOTO JACQUES NADEAU, POUR LE PROJET JE SUIS UNE FEMME D’OCTOBRE, FOURNIE PAR ESPACE GO

La photo d’une manifestation de femmes innues contre le Plan Nord est affichée sur la vitrine du supermarché Rachelle Béry.

Ce sont ces récits de femmes oubliées — qui ont marché pour le droit de manifester, contre les violences policières, pour le droit à l’avortement, contre les pensionnats autochtones, etc. — que l’équipe d’Espace Go a voulu mettre de l’avant. Pour mener à bien ce projet, Ginette Noiseux s’est entourée des artistes Jenny Cartwright, Marilou Craft et Émilie Monnet, ainsi que des chercheuses Emmanuelle Sirois, Viviane Michel, Alexandra Pierre, Camille Robert et Annie O’Bomsawin-Bégin.


« L’aspect le plus subversif de notre projet a été celui d’entrer en dialogue avec les commerçants pour les convaincre d’afficher nos photos. Parce que ce sont quand même 25 dénonciations et injustices, donc il a fallu s’expliquer. » — Ginette Noiseux, directrice générale et artistique d’Espace Go Deux commerces ont carrément refusé d’être associés au projet, a-t-elle précisé. D’autres commerçants étaient mal à l’aise avec certaines photos qu’ils jugeaient trop militantes. Celles où l’on retrouvait des femmes voilées ou des leaders féminines du mouvement Black Lives Matter n’ont pas été faciles à « vendre ». Il a fallu « négocier ». La directrice artistique d’Espace Go se félicite par ailleurs que le salon de soins esthétiques Skin ait accepté de montrer la photo d’une manifestation de femmes qui ont marché en 2008 pour protester contre le projet de loi C-484, qui visait la reconnaissance d’un statut juridique pour les fœtus. Ces rencontres avec les commerçants, la chercheuse Emmanuelle Sirois les qualifie de « positives », puisqu’elles ont permis d’établir un dialogue. Ce même dialogue aura également lieu avec les citoyens, vu que les « œuvres » se trouvent dans l’espace public, et non à l’intérieur des murs auprès d’un public conquis d’avance. « C’est plus intéressant, estime-t-elle, même si la teneur des revendications est chargée. » Émilie Monnet, qui a écrit un récit sur les femmes autochtones et enregistré un balado, note que les femmes de sa communauté étaient plutôt occupées à défendre leurs droits d’exister et leurs droits territoriaux pendant les années 1970, mais elle se réjouit de voir qu’on leur accorde aujourd’hui (dans ce parcours) une visibilité qu’on leur a longtemps refusée.


« Quand je vois une photo des pensionnats, par exemple, je trouve ça très fortifiant, nous dit-elle. Des images qu’on a occultées pendant des années et qui sont là pour nous rappeler la réalité de ce qui s’est passé et des luttes qui doivent encore être menées » a-t-il dit.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Caroline Monnet aime représenter les femmes autochtones avec « beauté et élégance », « fières et engagées  », loin de l’image transmise par les médias, dit-elle, qui les représentent toujours en victimes, pauvres et marginalisées.

Œuvre murale de Caroline Monnet Debouttes, inspirée d’une image d’archives des années 1970, est le titre de la murale réalisée par Caroline Monnet sur la façade du théâtre. On y reconnaît six femmes autochtones, dont sa sœur Émilie et elle, mais aussi Swaneige Bertrand, Eruoma Awashish, Meky Ottawa et Catherine Boivin. Une


oeuvre réalisée avec la photographe Lou Scamble. « Ce n’est pas la première fois que je représente des femmes autochtones, nous a expliqué l’artiste visuelle lors d’un entretien téléphonique. J’aime les représenter avec beauté et élégance. Je veux qu’on voie des femmes fortes, parce que les images qu’on nous transmet des autochtones sont toujours les mêmes : des femmes marginalisées et pauvres. Ce sont toujours des victimes… Les miennes regardent la caméra, elles sont fières, engagées. Ce sont des leaders de leurs communautés. » La murale qui a pris la forme d’un collage photographique superpose les images de ces femmes à des photos d’archives — où l’on reconnaît entre autres la réalisatrice Alanis Obomsawin et la militante Viviane Michel. « Il y a aussi un effet de fragmentation qui donne l’impression que les six femmes se multiplient, c’est comme un appel à la mobilisation », nous dit encore Caroline Monnet, qui évoque la triste histoire de Joyce Echaquan, morte dans des circonstances horrifiantes à l’hôpital de Joliette. Une façon de nous dire que la lutte doit continuer. « Je suis bouleversée par cette histoire, nous dit l’artiste. Ça fait deux jours que ça ne me quitte pas. En un sens, ma murale Debouttes prend encore plus son sens. Il faut continuer de se mobiliser et il ne faut pas que ce genre d’évènement tragique soit passé sous silence. Il faut en parler et encore en parler pour se faire respecter, se faire entendre. Il n’y a pas si longtemps, le premier ministre Legault niait encore qu’il y avait du racisme systémique. Il doit aujourd’hui le reconnaître. C’est très grave, ce qui s’est passé. » © La Presse (2018) Inc. Tous droits réservés.


LE DEVOIR

LIBRE DE PENSER



Exposition: elles sont des femmes d’octobre

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le projet est un parcours déambulatoire de 25 photos assorties de témoignages. Au départ, la crise d’Octobre. À sa suite, cinq décennies dans les rues.

Natalia Wysocka 2 octobre 2020 Culture

Dans la vitrine de l’institut de beauté Fleur de peau, sis sur le boulevard Saint-Laurent, une photo d’André Querry montre la féministe Jennie-Laure Sully, un mégaphone à la main. Au-dessous de l’image, cette dernière a écrit : « Je lutte ici pour faire écho aux luttes de là-bas. Femmes d’Haïti, femmes du Québec, femmes du monde, je suis des vôtres, vous êtes des nôtres. » Le surtitre, lui, indique : Je suis une femme d’octobre (https://espacego.com/saison-2020-2021/je-suis-une-femmed-octobre/).


L’image fait partie d’un parcours déambulatoire de 25 photos accompagnées de témoignages signés Alexandra Pierre, Mercédez Roberge, Martine Delvaux. Au départ du projet, la crise d’Octobre. À sa suite, cinq décennies dans les rues. Menée par le théâtre Espace Go, l’initiative est née d’un désir de raconter le cinquantième anniversaire des événements d’un point de vue différent. « Dans notre imaginaire collectif très romancé, on n’entend que des récits d’hommes blancs cisgenres des enjeux de 1970, explique Ginette Noiseux. Comme si les femmes avaient été absentes. » La directrice générale et artistique raconte qu’elle avait 12 ans lorsqu’elle a assisté à la lecture du manifeste du FLQ en ondes, le 8 octobre 1970. Devant le poste de télévision, elle a entendu mentionner les gars de la Régie des Alcools. Et les cols bleus de Laval. Et les producteurs laitiers du Québec. Et les chauffeurs de taxi de Montréal. Et les pêcheurs de la Gaspésie. Et les travailleurs de la Côte-Nord. « Et la seule mention qui a été faite des enjeux des femmes, c’est “madame Lemay de Saint-Hyacinthe qui devrait pouvoir faire un petit voyage en Floride”. Alors qu’on sait qu’à l’époque, les femmes étaient sur tous les terrains, sur tous les fronts. » Capitalisme, racisme, sexisme C’est à elles que l’expo extérieure rend hommage, comme à toutes celles qui ont suivi. Les photos choisies dénoncent le capitalisme, le racisme, le sexisme, comme le souligne Emmanuelle Sirois. La chercheuse en résidence à Espace Go a joué un « lien de passeuse entre le militantisme, le théâtre et la recherche » dans ce projet à grand déploiement. « C’était quoi, Octobre ? demande Emmanuelle avant de répondre : c’était une question de la dignité. Mais c’est quoi la dignité aujourd’hui ? » La question marque le parcours qui met côte à côte des récits de femmes noires, recueillis par Marilou Craft, de femmes québécoises, rassemblés par Jenny Cartwright, de femmes autochtones, regroupés par Émilie Monnet. L’artiste pluridisciplinaire et militante qu’est Émilie remarque d’emblée que « la crise d’Octobre, ce n’est pas mon histoire ». Mais, ajoute-t-elle avec une pensée pour la mort tragique de Joyce Echaquan, « la crise, c’est tous les jours de toute l’année quand on est une personne autochtone. Simplement pour avoir le droit d’exister. Pour que nos voix soient entendues. Pour que nos terres ne soient pas saccagées par les multinationales. » Autre pièce de ce travail collectif immense : la murale Debouttes, conçue par sa sœur Caroline Monnet, qui magnifie la devanture d’Espace Go. L’artiste y présente six femmes autochtones francophones, dont la réalisatrice Meky Ottawa. Toutes se tiennent debout, dans des « images fragmentées, comme si elles étaient une armée ». Les photos sont de Lou Scramble, les costumes de Swaneige Bertrand, et un clin d’œil est fait à la cinéaste célébrée Alanis Obomsawin. Les modèles, en impression de taille réelle, explique Caroline Monnet dans une vidéo, regardent droit devant le passant qui les regarde, elles. Comme une invitation à mieux les connaître, « à en apprendre plus sur elles, sur ce qui s’est passé dans les années 1970 et ce qui continue de se passer aujourd’hui ». Des héroïnes sur les murs


À droite de la murale, sur un écran, des portraits défilent, envoyés par les citoyens, et accompagnés d’un message. Vous pouvez d’ailleurs transmettre les vôtres. Présentées comme des héroïnes, celles que l’on voit sont des mères. Des enseignantes. Des activistes. On aperçoit notamment Assa Traoré, portant un t-shirt demandant justice pour son frère, Adama. Sous la photo, l’explication : « Assa est mon héroïne pour son combat contre les violences policières et le racisme en France, depuis la mort de son frère tué par la police en 2016 ». « Les photos sont déjà très fortes. Mais il y a aussi les textes, remarque Ginette Noiseux. C’est un dialogue qui s’enclenche, qui est inconfortable, qu’on a toujours évité sociétalement. » Dans la vitrine du Centre d’Apprentissage parallèle, par exemple, la travailleuse sociale KharollAnn Souffrant rappelle dans un texte le besoin de lutter contre toutes les formes d’oppressions. Une photo de manifestation prise par Robert Skinner nous rappelle les féminicides au Mexique, demande la dignité. « Nous nous sommes concentrées sur les marches dans la rue. Afin que les citoyens et les citoyennes fassent le chemin de la rue, eux aussi, souligne Ginette Noiseux. Depuis cinquante ans, les femmes se battent. Pour leur identité. Pour ne pas se faire violer. Pour ne pas se faire tuer. Aujourd’hui, ce n’est pas une journée de lancement. C’est le début de quelque chose. »

Je suis une femme d’octobre Activité gratuite présentée par Espace Go. Jusqu’au 31 octobre.


Édition papier Vendredi 2 octobre 2020






Édition du vendredi 2 octobre



EN TOUTES LETTRES A R T S E T C U LT U R E

Mario Cloutier / 2 octobre 2020 / Arts, Arts visuels, Divers, Littérature, Nouvelles, Théâtre

THÉÂTRE: Femmes d’octobre

Debouttes, Murale de caroline Monnet, fournie par Espace GO


Que reste-t-il à la culture pendant ce reconfinement? Art public, balado, web, interactivité… J e s u i s u n e f e m m e d ’ o c t o b r e d’Espace GO réunit toutes ces activités pour dire qu’encore une fois, de trop!, l’histoire est écrite par des hommes. Pourtant, depuis la Crise d’octobre 70, les femmes n’ont jamais cessé de changer le monde. Écrire l’histoire des femmes est un chantier toujours actif et, avec Je suis une femme d’Octobre. Espace GO et 50 créatrices y contribuent en rendant hommage à celles qui se battent, plus précisément depuis 50 ans, pour faire en sorte que leur point de vue soit énoncé, diffusé, partagé. Jusqu’au 31 octobre, l’événement propose une superbe murale, Debouttes de Caroline Monnet, devant le théâtre, 25 affiches disposées en un déambulatoire inspiré des marches des femmes dans autant de commerce du boulevard Saint-Laurent, entre Marie-Anne et Maguire, trois balados d’Émilie Monnet, Jenny Cartwright et Marilou Craft, des récits historiques d’Annie O’Bomsawin-Bégin, Camille Robert et Alexandra Pierre, ainsi qu’un espace web participatif où le public peut témoigner à son tour d’héroïnes inspirantes. Pour la directrice d’Espace GO, Ginette Noiseux, même si les hommes ont mené plusieurs luttes sociopolitiques dans le passé, celles-ci n’étaient pas nécessairement inclusives. Ce qui la fait lutter, elle, avec tant d’autres c’est dans le but de transcender le fait « que notre appréhension du monde soit privée de l’imaginaire de la moitié du monde, celle des femmes. »

Ginette Noiseux dit soutenir un processus de « décolonisation de l’imaginaire », rappelant que les femmes, après 50 ans, demeurent au plus bas de l’échelle socioéconomique, subissant toujours « les effets du colonialisme, du racisme, des inégalités de classe, des politiques migratoires, des désastres écologiques, du capacitisme et de l’hétérosexisme ».


« On met en lumière les contradictions de cette épopée presque romantisée aujourd’hui, dit-elle. Alors que le FLQ dénonçait le colonialisme et réclamait la libération du Québec, il ne tenait pas compte du fait qu’il colonisait doublement les Premières Nations en n’étant pas en dialogue avec elles. Du côté des femmes, 200 d’entre elles se sont enchaînées au Monument national pour avoir le droit de manifester. Elles se disaient esclaves des esclaves. » La chercheuse en résidence à Espace GO, Emmanuelle Sirois écrit à ce sujet que « mon octobre en est un qui succède aux luttes autochtones pour le territoire, aux vagues de dénonciations, au chapitre 2020 de Black Lives Matter, dans un contexte de crise pandémique. Je n’ai pas l’octobre tranquille ». « j e s u i s s œu ur d ’ a r m e s / d e f e m m e s n o i r e s / f e m m e s f l a m m e s / f e m m e s d e t o u t e s l e s l u t t e s / d ’ o c t o b r e e t d ’ a v a n t / d ’ o c t o b r e e t d ’ a p r è s » ( M a r i l o u C ra f t ) « je sais les femmes d’octobre/nombreuses/fières/obstinées et défiantes/qui ont ouvert la voie/défriché recommencé/qui ont tenu tête, et qui la tiennent e n c o r e / d r o i t e / d e v a n t l ’ a m p l e u r d e n o s l u t t e s » (Jenny Cartwright) Comme Marilou Craft et Jenny Cartwright, l’artiste Émilie Monet a d’ailleurs écrit un récit pour démontrer que, pour les peuples autochtones, « la crise c’est tous les jours depuis très longtemps ». Comme le démontre douloureusement la mort tragique cette semaine de Joyce Echaquan, a-t-elle souligné. Entre les combats des Noirs et des Autochtones, note-t-elle, « il y a des différences, mais il y a aussi des similitudes dans l’histoire de l’oppression. Avec George Floyd et Joyce Echaquan, on voit qu’il y a beaucoup de parallèles. C’est important de nourrir les liens de solidarité entre nos communautés. »

À et autour d’Espace GO jusqu’au 31 octobre. Infos: espacego.com


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Isabelle Juneau show - 1 octobre 2020

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DÉBATS, mardi 15 septembre 2020 657 mots, p. DÉBATS_4 THÉÂTRE OPINION THÉÂTRE Être vivants, ensemble Ginette Noiseux Directrice générale et artistique, ESPACE GO

Aller au théâtre est l'une des rares expériences collectives qui nous soient encore proposées. On sort de chez soi. On se rassemble pour se raconter une histoire. Le temps de la représentation, public et interprètes vibrent ensemble. Ce n'est pas rien. Être vivants, ensemble. Une création théâtrale ne se réduit pas à un simple processus de production et de reproduction ; elle s'envisage comme un tout. Sans la respiration de la salle, sans le souffle des interprètes sur la scène, sans le collectif, le théâtre ne prend pas vie. Au printemps dernier, à peine réalisions-nous collectivement l'ampleur des bouleversements qui allaient mettre tout le Québec en confinement que l'on invitait déjà (!) et avec optimisme (!) les artistes à se réinventer, à innover, à aller de l'avant ! L'avenir des arts vivants se trouverait dans l'expérience du virtuel ! Des sommes considérables ont été investies dans cette conversion aux plateformes numériques. Rien ou très peu n'a été prévu pour le réel. Le réel, c'est l'humain. Le réel de la pandémie dans le milieu des arts vivants, ce sont des artistes, des conceptrices, des artisans, des techniciennes, des régisseurs qui sont laissés pour compte. Sans aucune perspective. Le réel, c'est la perte dans l'indifférence de milliers de contrats et la disparition de nombreux emplois. Mais pas que ça. C'est aussi la perte de savoirs et de compétences développés sur des décennies d'innovation théâtrale. Le réel, c'est la disparition définitive d'un patrimoine invisible et fabuleux.


Dans le gros de la tempête de notre légitime indignation, des solidarités se sont soudées. Des camarades se sont tenus debout. Des alliés nous ont rejoints. Plus de 32 000 personnes, des spectateurs et des spectatrices ont, en moins de quatre jours, soutenu notre manifeste Pour les arts vivants, écrit par le poète Olivier Kemeid, accompagné dans cette rédaction par un petit groupe d'insoumis dont j'étais. Dont je suis. J'aime cette indignation qui mène à l'engagement. L'engagement qui peut produire des résultats, qui peut éventuellement produire de l'espérance. Dans le quotidien de toutes les actions à faire pour rouvrir le théâtre aux artistes, au public, j'ai des flashes de nos mobilisations, de ces discussions animées et exceptionnelles de nos vies. On se promet de tenir parole, d'incarner nos idéaux, d'aller toujours de ce côté et pas d'un autre. Parce que le pacte avec le public ne peut pas être en deçà. Les artistes sont de retour au théâtre depuis le début du mois d'août et occupent à nouveau tous nos espaces de production. Quel plaisir ! Dans un environnement que nous avons rendu sécuritaire et conforme aux règles sanitaires en vigueur. Quel branlebas ! Avec les moyens dont nous disposons et même ceux dont nous ne disposons pas encore, nous allons de l'avant et nous nous engageons dans le vibrant, le désir, la beauté, dans la pertinence des projets portés par des créatrices et des chercheuses aux regards lumineux et par des équipes extraordinaires. Dans cette période où la pandémie n'a fait qu'accentuer les inégalités et les iniquités sociales, où l'on constate des reculs disproportionnés par rapport aux avancées des femmes au cours des dernières années, nous allons de l'avant avec les artistes de l'ensemble de la programmation de cette saison et nous nous engageons à honorer l'entièreté de leurs cachets. Quoi qu'il arrive. Nous nous disons qu'il y a des risques que les artistes d'un spectacle n'ont pas à partager avec les directions et les conseils d'administration des théâtres. Pour cette rentrée culturelle, je nous souhaite à toutes et à tous de vraies belles aventures artistiques et sur toutes les scènes des arts vivants du Québec ! Être vivants, ensemble. Ce n'est pas rien.


Théâtre: être vivants, ensemble Publié le 15 septembre 2020 à 9h00

PHOTO GETTY IMAGES

Aller au théâtre est l’une des rares expériences collectives qui nous soient encore proposées. On sort de chez soi. On se rassemble pour se raconter une histoire. Le temps de la représentation, public et interprètes vibrent ensemble. Ce n’est pas rien. Être vivants, ensemble.


Ginette Noiseux Directrice générale et artistique, ESPACE GO Une création théâtrale ne se réduit pas à un simple processus de production et de reproduction ; elle s’envisage comme un tout. Sans la respiration de la salle, sans le souffle des interprètes sur la scène, sans le collectif, le théâtre ne prend pas vie. Au printemps dernier, à peine réalisions-nous collectivement l’ampleur des bouleversements qui allaient mettre tout le Québec en confinement que l’on invitait déjà (!) et avec optimisme (!) les artistes à se réinventer, à innover, à aller de l’avant ! L’avenir des arts vivants se trouverait dans l’expérience du virtuel ! Des sommes considérables ont été investies dans cette conversion aux plateformes numériques. Rien ou très peu n’a été prévu pour le réel. Le réel, c’est l’humain. Le réel de la pandémie dans le milieu des arts vivants, ce sont des artistes, des conceptrices, des artisans, des techniciennes, des régisseurs qui sont laissés pour compte. Sans aucune perspective. Le réel, c’est la perte dans l’indifférence de milliers de contrats et la disparition de nombreux emplois. Mais pas que ça. C’est aussi la perte de savoirs et de compétences développés sur des décennies d’innovation théâtrale. Le réel, c’est la disparition définitive d’un patrimoine invisible et fabuleux. Dans le gros de la tempête de notre légitime indignation, des solidarités se sont soudées. Des camarades se sont tenus debout. Des alliés nous ont rejoints. Plus de 32 000 personnes, des spectateurs et des spectatrices ont, en moins de quatre jours, soutenu notre manifeste


Pour les arts vivants, écrit par le poète Olivier Kemeid, accompagné dans cette rédaction par un petit groupe d’insoumis dont j’étais. Dont je suis. J’aime cette indignation qui mène à l’engagement. L’engagement qui peut produire des résultats, qui peut éventuellement produire de l’espérance. Dans le quotidien de toutes les actions à faire pour rouvrir le théâtre aux artistes, au public, j’ai des flashes de nos mobilisations, de ces discussions animées et exceptionnelles de nos vies. On se promet de tenir parole, d’incarner nos idéaux, d’aller toujours de ce côté et pas d’un autre. Parce que le pacte avec le public ne peut pas être en deçà. Les artistes sont de retour au théâtre depuis le début du mois d’août et occupent à nouveau tous nos espaces de production. Quel plaisir ! Dans un environnement que nous avons rendu sécuritaire et conforme aux règles sanitaires en vigueur. Quel branle-bas ! Avec les moyens dont nous disposons et même ceux dont nous ne disposons pas encore, nous allons de l’avant et nous nous engageons dans le vibrant, le désir, la beauté, dans la pertinence des projets portés par des créatrices et des chercheuses aux regards lumineux et par des équipes extraordinaires.

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Dans cette période où la pandémie n’a fait qu’accentuer les inégalités et les iniquités sociales, où l’on constate des reculs disproportionnés par rapport aux avancées des femmes au cours des dernières années, nous allons de l’avant avec les artistes de l’ensemble de la programmation de cette saison et nous nous engageons à honorer l’entièreté de leurs cachets. Quoi qu’il arrive. Nous nous disons qu’il y a des risques que les artistes d’un spectacle n’ont pas à partager avec les directions et les conseils d’administration des théâtres.


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Pour cette rentrée culturelle, je nous souhaite à toutes et à tous de vraies belles aventures artistiques et sur toutes les scènes des arts vivants du Québec ! Être vivants, ensemble. Ce n’est pas rien.


JE SUIS UNE FEMME D ’ O C T O B R E 50

ans

de

mobilisation

de

femmes

dĂŠambulatoire photos sur le boulevard saint-laurent

Du 1er au 31 octobre 2020


1

Lieux partenaires .................................................................................. 4 à 7

2

Déambulatoire photo ..........................................................................8 à 57

3 Pensé collectivement, ce projet détourne artistiquement et politiquement les récits officiels de ce qu’on nomme « la crise d’Octobre » pour faire fléchir l’Histoire et en éclairer les angles morts.

Exposition intérieure ..........................................................................58 à 62

TABLE DES MATIÈRES

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LIEUX PARTENAIRES

ESCALE 1 J. Schreter 4358, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 14 Rachelle Béry 4810, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 2 Le Magasin du Chaînon 4375, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 15 Oppen’s 4828, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 3 EQ3 4428, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 16 Ateliers & Saveurs 4832, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 4 Allo! Mon coco 4448, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 17 Galerie Noël Guyomarc’h 4836, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 5 Dubois 4461, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 18 Le CAP 4865, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 6 Cacique Grill 1, avenue du Mont-Royal Ouest

ESCALE 19 Fleur de peau 4895, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 7 Belvedair 4533, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 20 Veux-tu une bière 5105, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 8 Ô Miroir 4556, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 21 Montréal Vape 5120, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 9 Nantel Musique 4590, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 22 Copie BGR 5131, boulevard Saint-Laurent

ESACALE 10 Cam & Roro 4603, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 23 Boucle & Papier 5183, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 11 Espace Skins Montréal 4638, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 24 La Cordée 5190, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 12 Robin des bois 4653, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 25 Romarin 5251, boulevard Saint-Laurent

ESCALE 13 Harbin Dumpling 4801, boulevard Saint-Laurent

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ESCALE 1 À la fin des années 1960, malgré d’importantes transformations sociales, les femmes subissent toujours plusieurs formes de discrimination qui freinent l’atteinte d’une égalité des chances. Ce constat pousse une coalition de 32 groupes à revendiquer la tenue d’une enquête nationale sur la « situation de la femme » auprès du gouvernement canadien. Sous leur pression et la menace d’une marche de deux millions de femmes sur la Colline Parlementaire, le premier ministre Lester B. Pearson crée la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada — ou Commission Bird, du nom de sa présidente — en 1967. Les audiences, qui débutent en 1968, permettent d’ouvrir un débat public sur de nombreux enjeux touchant la condition juridique, professionnelle, familiale, économique et politique des femmes. Bien qu’elles n’y aient pas été invitées formellement, des militantes autochtones prennent part à la commission d’enquête en présentant neuf mémoires et en témoignant aux audiences. Le rapport de la Commission, déposé en 1970, comprend 167 recommandations, qui visent à assurer une égalité entre femmes et hommes dans toutes les sphères de la société canadienne. Malgré plusieurs propositions novatrices en matière d’accès à l’avortement, aux congés de maternité et aux garderies, le rapport comporte certaines lacunes.

Manifestation Henry Morgentaler Photo : Antoine Desilets, Fonds Antoine Desilets, BAnQ

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Dans son ensemble, il envisage peu les intérêts différents entre les femmes, qu’elles soient de diverses classes ou origines ethnoculturelles, et encore moins entre les femmes autochtones de nations distinctes. Au-delà de ces silences, les audiences de la Commission permettent tout de même de faire surgir dans l’espace public nombre de revendications et de voix qui étaient auparavant marginalisées. Le rapport offre également aux groupes de femmes de nouveaux outils pour formuler des revendications auprès de l’État dans les décennies suivantes. Camille Robert Historienne et autrice


ESCALE 2 Les travailleuses et travailleurs migrants font depuis longtemps partie de l’histoire du Canada. En effet, jusqu’aux années 60, les politiques d’immigration ont explicitement restreint l’installation des personnes non blanches, tout en profitant de leur force de travail. Ce traitement discriminatoire des personnes migrantes s’est ensuite poursuivi sous d’autres formes. Depuis 2008, la migration temporaire a dépassé l’immigration permanente au Canada. Les femmes racisées représentent une large partie de cette main-d’œuvre migrante temporaire, principalement originaire des Philippines, du Guatemala et du Mexique. Elles effectuent un travail indispensable à la survie de nos sociétés : faire pousser des légumes, prendre soin d’enfants, d’aîné·es, de personnes malades ou en situation de handicap, effectuer du travail ménager, travailler dans les commerces de proximité ou dans l’hôtellerie/restauration. Malgré leurs qualifications et leurs diplômes, ces femmes sont enfermées dans des secteurs d’activité précaires et ont peu d’accès à la résidence permanente. Leur statut d’immigration temporaire les expose aux abus de toutes sortes, particulièrement au travail : salaires impayés, haut taux d’accidents de travail, harcèlement sexuel, accès difficile aux soins de santé, au congé de maternité, à l’école pour leurs enfants, etc.

Photo : André Querry

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Depuis la crise de la COVID-19, on constate à quel point un grand nombre de ces travailleuses sont « essentielles ». Au sein d’organisation comme l’Organisation des femmes philippines du Québec (Filipino Women’s Organization in Quebec – PINAY), le Centre des travailleurs et des travailleuses immigrants ou encore Solidarité sans frontières, ces migrantes luttent pour être régularisées ou pour obtenir un statut d’immigration permanent. En plus d’actions concrètes pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, ces militantes contribuent à éclairer le rôle du Québec dans la perpétuation des inégalités Nord-Sud ainsi que leurs effets spécifiques sur les femmes, et à dénoncer la dépendance de notre société à l’exploitation des travailleuses et travailleurs, par exemple à travers la consommation de produits et de services à prix dérisoires. Alexandra Pierre Militante féministe


ESCALE 3 La vidéo de la mort de George Floyd aux mains de policiers de Minneapolis, au Minnesota, est à l’origine d’un soulèvement mondial. C’est la première fois depuis le début de la pandémie de la COVID-19 qu’une autre nouvelle arrive à monopoliser l’attention du monde. Aux États-Unis, les manifestations se multiplient aux quatre coins du pays. Le Canada n’est pas en reste. Les rassemblements qui s’organisent à Montréal et aux quatre coins du Québec mobilisent une quantité inégalée de manifestants, malgré la pandémie. Le mouvement Hoodstock, basé à Montréal-Nord, assure la distribution de matériel sanitaire et tente de faire respecter les règles de distanciation sociale dans la foule, qui ne cesse de grossir au centreville de Montréal. C’est que la pandémie touche particulièrement les quartiers de Montréal où la population noire est la plus nombreuse.

ESCALE 2

Le soulèvement contre la brutalité policière s’inscrit dans un contexte où l’on prend de plus en plus conscience de l’impact du racisme anti-noir sur les iniquités en santé publique, où l’on réalise le rôle que jouent les femmes noires « anges gardiens » dans les emplois essentiels sous-payés du secteur des soins.

Photo : Valérian Mazataud

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Le racisme systémique dans la police, les réalités économiques et le système de santé est à l’avant-plan des consciences. À bien des égards, il y a un avant et un après 2020 dans le mouvement antiraciste québécois. Emilie Nicolas Chroniqueuse et activiste


ESCALE 4 Le féminisme intersectionnel Le terme a été popularisé en 1989 par la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw. Elle constate que les Noires sont invisibles dans les mouvements féministes alors que les femmes sont invisibles dans les luttes de libération des Noirs, les deux mouvements étant incapables d’entrevoir la réalité du point de vue des femmes noires. Relativement récent, le terme est cependant inspiré par une longue tradition de résistance spécifique des femmes autochtones et des femmes noires depuis la colonisation des Amériques et l’instauration du système esclavagiste. L’intersectionnalité est donc une critique de la tendance à homogénéiser le vécu des femmes. Dans le cas du Québec, toutes les femmes ne sont pas blanches, francophones, sans handicap et de classe moyenne. Déjà, dans les années 70, des féministes d’origine haïtienne au Québec — sans dire le mot intersectionnalité — parlent de la triple oppression qu’elles subissent parce qu’elles sont femmes, noires et immigrantes. Ainsi, le féminisme intersectionnel affirme qu’il n’est plus possible de discuter de sexisme seul, sans sérieusement prendre en compte d’autres éléments tels que le racisme, le capacitisme, l’hétérosexisme, la transphobie ou le classisme.

Les injustices subies par les femmes et les personnes au genre non conforme découlent en partie du patriarcat, mais ne se limitent pas à lui seul. Au-delà d’une meilleure prise de conscience de certaines réalités, les féministes intersectionnelles en appellent à une autre répartition du pouvoir et des ressources au sein des mouvements féministes. Elles demandent donc de mettre fin aux inégalités présentes au sein du mouvement des femmes afin de construire une véritable sororité, au-delà de certaines solidarités de façade. Dans les dernières années, le féminisme intersectionnel a ainsi questionné certains angles morts des féminismes majoritaires : le mouvement Black Lives Matter souligne, par exemple, comment les femmes aux prises avec des problèmes de santé mentale ou trans sont aussi susceptibles de subir des violences aux mains de la police ou par d’autres institutions; des militantes du mouvement #MeToo ont dénoncé l’invisibilisation des violences subies par les femmes racisées et les femmes en situation de handicap à cause de stéréotypes persistants sur leur sexualité; des femmes autochtones et des féministes racisées ont démontré comment, à cause de leurs mauvaises conditions de vie présentes et historiques, elles sont déjà les plus touchées par les impacts dévastateurs des changements climatiques. Alexandra Pierre Militante féministe

Photo : Catherine Legault

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ESCALE 5 En 1969 les soulèvements populaires se multiplient au Québec. Le maire de Montréal, Jean Drapeau, proclame un règlement anti-manifestation. En réponse, deux cents femmes protestent. Elles s’installent devant le Monument National sur le boulevard Saint-Laurent, enchaînées les unes aux autres. Non seulement ce sont des femmes qui les premières ont défié le pouvoir abusif de l’administration municipale, mais elles ont contribué à l’avènement au Québec de la « deuxième vague » du mouvement féministe. Plusieurs des instigatrices de cette manifestation sont de celles qui, peu de temps après, fondent le Front de Libération des Femmes du Québec (FLF) avec pour devise : « Pas de libération du Québec sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans libération du Québec! » Elles créent la première édition de QUÉBÉCOISES DEBOUTTES!, dont les articles sont des détonateurs d’éveil de conscience féministe. Au début de 1971, sept militantes de la cellule X Action-choc mènent une opération d’éclat retentissante. Les femmes n’ont toujours pas le droit d’être jurées au Québec. Pour dénoncer l’illégitimité de ce système judiciaire sexiste, l’activiste féministe Lise Balcer refuse de témoigner au procès de Paul Rose – membre du FLQ. Le 1er mars, alors qu’elle attend sa sentence pour outrage au tribunal, les militantes du FLF prennent d’assaut les bancs des jurés en scandant « Discrimination! » et « La justice c’est d’la marde! ». Elles sont condamnées sur-lechamp et incarcérées.

Photo : Mur « Québécois Debouttes », Antoine Desilets, Fonds Antoine Desilets, BAnQ

Suite à cette action, la loi des jurés sera modifiée quelques mois plus tard, le 18 juin 1971.

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Malgré sa brève histoire, le Front de Libération des Femmes du Québec mènera plusieurs batailles importantes, notamment des campagnes en faveur de l’avortement libre et gratuit, pour des garderies d’État, l’équité salariale, la fin de l’exploitation du corps des femmes dans la publicité, la redéfinition de la cellule familiale. Autant de luttes que les manuels d’histoire ont choisi de ne pas raconter et qui résonnent encore aujourd’hui. Comme dans le reste de la société québécoise en quête de libération, le FLF avait plusieurs angles morts dans ses visées émancipatrices. Le FLF conçoit les femmes comme un groupe homogène, c’est-à-dire francophone, blanc et ouvrier. Dans ses revendications comme dans son organisation, le FLF tient peu compte des femmes autochtones, notamment en ignorant les contradictions manifestes entre la libération du Québec et la dépossession et la colonisation des peuples autochtones toujours en cours à cette époque. De même, malgré la longue histoire des femmes noires et des femmes racisées sur le territoire, et le fait que dès la fin des années 60 de plus en plus de femmes du Sud global s’installent au Québec, ces perspectives sont absentes du FLF. Les voix de ces femmes sont parfois même instrumentalisées, par exemple à travers l’expression selon laquelle les Québécoises seraient « les esclaves des esclaves », analogie qui démontre une méconnaissance de l’histoire des Noir·es au Québec et dans les Amériques. Sans minimiser ces absences, les luttes menées par le FLF nourriront la troisième vague du mouvement féministe aux abords des années 90. Alexandra Pierre Militante féministe


ESCALE 6 Mary Two-Axe Early (1911-1996) Militante et activiste kanien’kehá:ka (mohawk), Mary Two-Axe Early est une pionnière dans la défense des droits des femmes autochtones. Son travail acharné a su inspirer plusieurs générations de femmes et a mené à des réformes importantes de la Loi sur les Indiens.

En 1967, elle devient porte-parole de l’organisation Equal Rights for Indian Women et devient membre fondatrice de l’Association des femmes autochtones du Québec (FAQ) en 1974. Son combat lui permet d’être la première femme à retrouver son statut en 1985.

Née en 1911 à Kahnawà:ke, Mary Two-Axe quitte sa communauté à 18 ans pour se trouver du travail à Brooklyn, où elle rencontre Edward Early, un homme d’origine irlando-canadienne.

Annie O’Bomsawin-Bégin Membre de la nation des Abénakis d’Odanak

Comme c’était prévu selon la loi canadienne, qui visait ouvertement l’assimilation des peuples autochtones, lorsqu’elle se marie avec lui, elle perd son statut d’Indienne ainsi que la possibilité de retourner vivre un jour auprès des siens dans sa communauté. En 1966, une de ses amies proches ayant aussi perdu son statut meurt dans ses bras après avoir milité pendant des années pour avoir le droit de retourner vivre chez elle. Terrassée de ne pas même pouvoir enterrer son amie dans sa communauté, Mary Two-Axe Early décide de poursuivre sa lutte et passe le reste de sa vie à militer pour que les femmes autochtones ne perdent plus leur statut si elles se marient avec un non-Autochtone.

Photo : Ed Two-Axe Early

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ESCALE 7 Marche des femmes contre la pauvreté « Du pain et des roses » Du 26 mai au 4 juin 1995, 850 marcheuses convergent vers l’Assemblée nationale, où 15 000 personnes les accueillent. En trois groupes partant de Montréal, Longueuil et Rivière-du-Loup, elles traversent le Québec réclamant « du pain et des roses ». Elles marchent pour la plupart de deux à dix jours, des centaines de femmes et d’hommes les accompagnent sur quelques kilomètres. Traversant 57 localités, les marcheuses sont accueillies par la population, jusqu’aux cloches d’églises qui résonnent. Les médias les suivent à la trace, des journalistes marchent même avec elles. Elles marchent pour neuf revendications : des emplois dans des infrastructures sociales, une loi sur l’équité salariale et la perception automatique des pensions alimentaires, l’application élargie des normes du travail, l’augmentation du salaire minimum, la création de logements sociaux, un meilleur accès à la formation générale et professionnelle, l’application rétroactive de la réduction du temps de parrainage des femmes immigrantes parrainées par leur mari, un soutien lors de violence conjugale et familiale et aussi le gel des frais de scolarité et l’augmentation des bourses d’études.

Photo : Marik Boudreau

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Sous le leadership de la Fédération des femmes du Québec, la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté se met en place au printemps 1994, réunissant des dizaines d’organisations féministes, communautaires, syndicales et religieuses. Les revendications y sont élaborées et une logistique impressionnante se déploie. Grâce à 1 500 militantes et des centaines d’organisations, les marcheuses sont entourées, massées, nourries et hébergées. La participation de femmes de 14 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine éveille une solidarité internationale féministe. Les gains de la marche de 1995 ne peuvent se mesurer que par les réponses du gouvernement d’alors, ni même des suivants. Elle a stimulé les féministes, leur mouvement et leurs alliances durant de nombreuses années, menant même à la création de la Marche mondiale des femmes, laquelle est célébrée tous les cinq ans depuis l’an 2000. Mercédez Roberge Travailleuse dans l’équipe de coordination de la Marche du Pain et des roses et co-organisatrice des retrouvailles lors du 20e anniversaire


ESCALE 8 Idle No More – Un mouvement pour la protection du territoire et des droits autochtones porté par les femmes En 2012, en réaction au projet de loi omnibus C-45, quatre femmes de la Saskatchewan, Jessica Gordon, Sylvia McAdam, Sheelah McLean et Nina Wilson, créent une page Facebook nommée Idle No More, où elles dénoncent la volonté du gouvernement Harper d’assouplir la réglementation des politiques environnementales et de modifier la Loi sur les Indiens de telle sorte que des projets de « développement », comme les pipelines, n’aient plus à dépendre des consultations des communautés autochtones pour aller de l’avant. Rapidement, plusieurs rassemblements à travers le Canada sont organisés par les femmes en appui à cette dénonciation qui invite à ne plus être dans l’inertie. Elles prennent d’assaut les rues et les centres d’achat en période de grande affluence dans une mobilisation qui étonne, par le chant et la danse. Misant sur la force de leurs traditions pour rappeler au monde entier qu’elles existent et qu’elles sont debout pour protéger le territoire et l’autonomie de leur nation, ces femmes gagnent une visibilité qui dépasse nos frontières.

Photo : F6 Di Salvio

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Le mouvement Idle No More a créé une onde de choc dans les communautés et a permis de créer un réseau important de communication entre elles, et ce, en dehors des canaux traditionnels de la politique autochtone dont la grande majorité des leaders sont des hommes. Les femmes, vivant souvent encore à ce jour les contrecoups des dimensions patriarcales de la colonisation canadienne qui les ont empêchées d’avoir une voix politique pendant plusieurs générations, luttent ainsi en parallèle pour que leurs doléances ne restent pas lettre morte. Annie O’Bomsawin-Bégin Membre de la nation des Abénakis d’Odanak


ESCALE 9 Jusqu’en 1969, l’avortement — et même la contraception — était un acte criminel, passible d’emprisonnement. C’est seulement après l’adoption du Bill omnibus en 1969 que l’avortement a été permis pour des raisons médicales, à condition que la demande soit approuvée par un comité thérapeutique composé de trois médecins — généralement tous des hommes!

« Ni pape, ni juge, ni médecin, ni conjoint, c’est aux femmes de décider ! »

C’est dans ce contexte que nous avons mis sur pied le Centre des femmes en 1972 pour offrir un service de référence pour avortement. Or, référer une femme à un médecin qui pratiquait des avortements à l’extérieur du milieu hospitalier contrevenait au Code criminel et demeurait un crime punissable d’une peine d’emprisonnement.

Martine Éloy Membre fondatrice du Centre des femmes et de Québécoises debouttes!

Nous contrevenions au Code criminel, il est vrai, mais nous nous opposions surtout à la société patriarcale et au contrôle qu’elle exerçait sur nos corps. Nous voulions reprendre le contrôle de nos vies et nous avons crié notre refus.

Photo : Jacques Nadeau

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Ce cri, entendu et repris par d’autres femmes dans leur foyer, dans leur quartier et dans leur milieu de travail, a contribué à briser des chaînes jusqu’à aujourd’hui.


ESCALE 10 Le rendez-vous était donné au centre-ville de Montréal. À la place Émilie-Gamelin, haut lieu de la résistance montréalaise, elles venaient de toutes parts : Ahuntsic, Laval, Brossard, Montréal-Nord, Saint-Laurent ou Rivière-des-Prairies, entre autres. Un seul mot d’ordre: inviter le monde à voir plus que leur tissu sur la tête.

La plus grande résistance, elles allaient devoir la vivre au quotidien avec cette loi, qui leur imposait un choix ignoble. Nourrir leurs familles grâce au travail qui les épanouissait et pour lequel elles avaient étudié n’était plus une évidence. Bochra Manaï

Elles étaient éducatrices, enseignantes, étudiantes, assistantes dans les écoles. Venant d’ailleurs ou nées au Québec, elles avaient pour ambition d’enseigner aux jeunes élèves et étudiant·es. Devant la Loi sur la laïcité de l’État (Projet de loi 21), adoptée grâce à un bâillon, dans un processus antidémocratique flagrant, après des consultations partielles, voire partiales, elles ne pouvaient que résister. Dans la rue, devant les tribunaux ou par leur dignité quotidienne, les femmes musulmanes s’organisaient et consolidaient leur rapport à la société et au gouvernement. Dans cette manifestation pour signifier leur désaccord, tissées serrées, elles érigeaient toutes le même carton rouge face à l’exclusion qui était institutionnalisée par la Loi sur la laïcité de l’État. Mères et filles, voisines ou collègues, elles prirent la rue pour crier leur citoyenneté brimée, certes, mais bel et bien active. Elles étaient conscientes que la marche est un moyen de résistance parmi tant d’autres.

Photo : André Querry

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ESCALE 11 Présage d’une recriminalisation de l’avortement En mars 2008, vingt ans après la victoire du Dr Morgentaler (1988) décriminalisant la pratique de l’avortement au Canada, un projet de loi privé porté par le député conservateur Ken Epp est adopté en deuxième lecture à la Chambre des communes : le projet de loi C-484, Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels.

Depuis les années 1970, le droit à l’avortement et les services qui en assurent l’accessibilité ont fédéré une part importante du mouvement féministe.

Sous le couvert de la protection des femmes enceintes et de la criminalisation de gestes causant la mort d’un « enfant non encore né » (in utero ou à la naissance), C 484 visait la reconnaissance d’un statut juridique au fœtus. Reconnaître un statut de personne au fœtus aurait pour conséquence de lui accorder un droit à la vie et à la sécurité physique, des droits qui entrent en contradiction avec ceux de la femme enceinte.

« La politique sur notre ventre ne se fera pas sur notre dos. »

C-484 constituait une menace au droit des femmes enceintes à l’avortement. Pour contrer l’adoption finale de C-484, les féministes et les pro-choix ont repris du service au Canada, d’un océan à l’autre. Il fallait réitérer la préséance des droits des femmes enceintes sur ceux du fœtus et s’opposer à toute limite potentielle à la liberté et à l’autonomie des femmes à décider pour elles-mêmes.

Photo : André Querry

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Au Québec, en 2008, la mobilisation dans les rues n’a pas faibli, quand jeunes et moins jeunes ont marché côte à côte en partageant révolte et solidarité.

En septembre 2008, C-484 et les trois autres projets de loi similaires meurent au feuilleton avec la dissolution du gouvernement Harper. Cependant, des menaces au droit à l’avortement perdurent, car des député·es de la Chambre des communes s’affichent toujours « pro-vie ». Stéphanie Mayer Chercheure postdoctorale à l’Université d’Ottawa


ESCALE 12

Photos : Ross Higgins, Manifestation du 5 mars 1983 + Jacques Nadeau (vignette)

« Une lesbienne est radicale ou n’est pas lesbienne. Une lesbienne qui ne réinvente pas le monde est une lesbienne en voie de disparition. » -Nicole Brossard Ce n’est pas d’hier que les lesbiennes réinventent le monde! Elles sont de toutes les luttes. Avec les femmes hétérosexuelles, elles dénoncent le viol et le harcèlement sexuel, demandent l’équité dans l’accès aux études et au travail, réclament l’accès à l’avortement libre et gratuit… Au tournant des années 1980, des groupes autonomes de lesbiennes commencent à s’organiser et participent aux manifestations du mouvement féministe et du mouvement gai. Pendant l’une des premières marches de la Fierté à Montréal, en juin 1979, des lesbiennes marchent derrière une bannière où elles ont écrit : « Lesbiennes : On étouffe sous nos masques ». Certaines portent un sac en papier brun sur la tête, d’autres tiennent des pancartes qui clament : « Je suis votre mère », « Je suis votre fille », « Je suis votre sœur », « Je suis votre infirmière », « Je suis votre vieille tante célibataire », « Je suis votre ancienne blonde », etc. Autrement dit : nous sommes partout, mais la discrimination et les préjugés que nous subissons nous obligent à vivre cachées.

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Le message du contingent de lesbiennes qui prennent part à la Marche mondiale des femmes le 8 mars 1983 est le même : elles ont décoré des soucoupes en plastique (celles qu’on utilise pour glisser sur la neige) qu’elles brandissent, tantôt pour se cacher, tantôt comme un bouclier d’Amazone. D’autres portent des pancartes qui expliquent les raisons pour lesquelles elles sont parfois visibles, d’autres fois, non... Aujourd’hui, au Québec, les couples et les droits parentaux des lesbiennes sont reconnus par la loi. En principe, les chartes de droits nous protègent de la discrimination, mais la visibilité a encore un prix pour les lesbiennes et les autres femmes qui refusent de se conformer aux normes d’un régime de genre binaire. Nous vivons encore dans une société hétéronormative et hétérosexiste. Ensemble, il faut continuer à réinventer le monde. Laure Neuville Membre des Archives lesbiennes du Québec


ESCALE 13 En 2006, la militante et organisatrice communautaire afro-américaine Tarana Burke lance la campagne Me Too. En tant que survivante de violences sexuelles, son initiative est axée sur un message de solidarité et de sororité. Ce projet est né du constat que les survivantes des communautés noires et de quartiers défavorisés sont invisibilisées dans la lutte aux violences sexuelles. Près d’une décennie plus tard, en octobre 2017, dans la foulée du scandale sexuel Weinstein ayant été mis en lumière par des journalistes, le mot-clic #MeToo devient viral sur la Toile. À la suite d’une publication Twitter de l’actrice Alyssa Milano, #MeToo devient un mouvement social d’envergure et historique, qui transcende les frontières des ÉtatsUnis. Ses effets se font encore sentir à ce jour dans de nombreux pays. #MeToo est un mouvement social aux ramifications et impacts complexes. Il a pris des formes variées dans les différents contextes géographiques où il s’est inséré. Au Québec, les vagues de dénonciation ont été multiples et protéiformes. Elles ont débuté avec les vagues de dénonciations sur les campus universitaires, notamment à la suite de la grève étudiante de 2012, et se sont articulées lors de l’affaire Jian Gomeshi avec #AgressionNonDénoncée en 2014. Au cours de l’été 2020, les milieux artistiques ont par ailleurs été secoués par une nouvelle vague de dénonciations.

Photo : Valérian Mazataud

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Le mouvement #MoiAussi a remis au goût du jour une conversation difficile, mais nécessaire sur les violences sexuelles. Il nous a invité·es à revisiter les notions de justice et de réparation, un travail qui demeure inachevé. Toutefois, un écueil de ce mouvement demeure flagrant : l’effacement de la contribution des femmes noires ayant participé à sa genèse. Kharoll-Ann Souffrant Travailleuse sociale et étudiante au doctorat en service social à l’Université d’Ottawa


ESCALE 14 Protection du territoire et des ressources naturelles – Les femmes innues au front Le rapport des nations autochtones au territoire est d’une richesse dont la complexité est difficile à exprimer. Souvent, on le réduit à la proximité nécessaire à la survie par la pêche, la chasse, la cueillette et l’agriculture, mais il faut en dire beaucoup plus. Le territoire et tout ce qui l’habite ne sont pas vus comme des choses dont on peut prendre possession pour accroître sa richesse. Le territoire est un lieu d’apprentissage, où le savoirfaire spécifique à ce qu’on y trouve est transmis d’une génération à l’autre. Il a une dimension spirituelle, notamment parce que les ancêtres ont aplani les sentiers sur lesquels on marche. Il est parsemé de médecine et est un repère où s’encrent les histoires qu’on y raconte et les langues qu’on y parle. De plus, les femmes sont traditionnellement réputées pour avoir un rapport particulier au territoire et en être les gardiennes parce que, comme la Terre mère, elles aussi sont porteuses de vie. Pour ces raisons, l’accaparement des territoires autochtones et la mise en réserves ont eu un effet plus dévastateur que toute personne avec une vision occidentale du territoire ne peut s’imaginer.

Photo : Jacques Nadeau

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Sur cette photo, on voit des femmes innues s’opposer à un projet de « développement » basé sur l’extraction des ressources naturelles du Nitassinan (« notre terre » en innu-aimun). En plus de détruire ce qui est au cœur de la vie de peuples millénaires, ce genre de projets est dénoncé par plusieurs groupes de femmes autochtones parce qu’il n’offre pas d’occasions d’emploi pour elles et les rend vulnérables à l’exploitation des hommes qui viennent y travailler temporairement, loin des regards. Annie O’Bomsawin-Bégin Membre de la nation des Abénakis d’Odanak


ESCALE 15 Elles sont venues demander asile ici parce qu’elles craignaient pour leur vie. Seules ou avec leur famille, par le chemin Roxham ou en suivant d’autres trajectoires, elles ont parcouru des kilomètres, surmonté des obstacles, vécu de multiples épreuves avant d’arriver au Québec. Leur parcours migratoire est un cheminement de la survie à la vie, marqué par la volonté d’affirmer leur humanité et d’accéder à la citoyenneté. Elles ont des histoires à raconter et un avenir collectif auquel elles veulent contribuer en devenant résidentes permanentes au Canada. Dans leur processus de demande d’asile, elles obtiennent bien vite un permis de travail. Mais voilà, malgré leur intégration à la société d’accueil et le travail qu’elles accomplissent, le système d’immigration se permettrait de les rejeter? Si elles sont assez bonnes pour travailler, elles sont assez bonnes pour rester! Celles et ceux qui se sont rassemblé·es ce beau matin d’été pour manifester ont réclamé la régularisation des statuts d’immigration et ont rappelé aux gouvernements provincial et fédéral que tous et toutes sont essentiel·les. Jennie-Laure Sully Féministe radicale, abolitionniste et internationaliste

Photo : André Querry

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ESCALE 16 Réclamer notre pouvoir et notre place : l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2015-2019) Après des décennies de mobilisation de femmes autochtones à travers le Canada dénonçant l’indifférence et l’inaction devant la violence et un nombre alarmant de disparitions et d’assassinats de filles et de femmes de leur communauté, la GRC publie un rapport, en 2014, où elle fait pour la première fois un portrait national de la situation. On y relate que, en comptant seulement les cas déclarés à la police, les femmes autochtones sont surreprésentées parmi les femmes disparues et assassinées au Canada. Ce faisant, le rapport donne plus de visibilité aux groupes de femmes autochtones qui réclamaient une commission d’enquête nationale indépendante depuis longtemps. En 2015, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées est mise sur pied et les commissaires font le tour du Canada pour recueillir les témoignages des familles, des communautés, des experts et des Gardiens du savoir. Le rapport publié en 2019 — disponible en ligne gratuitement — permet de comprendre les origines de toute cette violence vécue par les filles, les femmes et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones.

Photo : André Querry

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Appelant à des réformes juridiques et sociales majeures, le rapport est aussi destiné à toute la population canadienne à qui l’on a longtemps caché « l’autre histoire canadienne ». Annie O’Bomsawin-Bégin Membre de la nation des Abénakis d’Odanak


ESCALE 17 Le 3 juillet 1991, la police de Montréal abat Marcellus François, un homme noir de 24 ans, alors assis dans sa voiture à une intersection, attendant que le feu tourne au vert. Une escouade tactique était à la recherche de Kirt Haywood, un autre homme noir dont la description physique ne correspondait pas du tout avec celle de François. L’un est grand, barbu, avec de longs cheveux; l’autre est petit et rasé. Les communications du SPVM parlent d’une simple « erreur sur la personne », alors qu’un citoyen non armé a été abattu dans son véhicule en un court instant. La SQ fait enquête et, le 26 juillet, ne porte aucune accusation contre le policier qui a fait feu, Michel Tremblay. La mort de Marcellus François et les réactions du SPVM et de la SQ créent un large mouvement de contestation dans la communauté noire de Montréal. Sur la photo, on voit notamment une pancarte qui se lit : « Tous les Blancs se ressemblent-ils? » Il n’est pas rare que les policiers utilisent le prétexte qu’une personne noire innocente ressemblerait à un criminel recherché pour justifier le profilage racial et la brutalité. Emilie Nicolas Chroniqueuse et activiste

Photo : André Querry

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ESCALE 18 En 1995, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) organise la marche « Du pain et des roses ». Dans les années suivantes, la FFQ décide d’orchestrer une grande marche féministe internationale pour souligner le passage au XXIe siècle, dans le but de mobiliser les femmes du monde entier autour d’enjeux tels que la pauvreté et la violence. En 2000, ce sont près de 6 000 groupes issus de 163 pays qui y prennent part. La Marche mondiale des femmes est née! Depuis, tous les cinq ans, des marches sont organisées. La Marche mondiale des femmes est devenue le symbole d’un mouvement planétaire et international pour les droits des femmes. Pour l’édition 2020, cinq thématiques sont mises de l’avant : la pauvreté, la violence, l’environnement, les femmes autochtones et les personnes migrantes. Elles sont intimement reliées, tant dans les enjeux qu’elles soulèvent que dans les pistes de solutions qu’elles requièrent. En regardant vers l’avenir, les mouvements féministes doivent prendre en compte les différentes réalités et expériences qui existent entre les femmes. Nous nous dirigeons alors vers un mouvement pluriel pour la justice sociale.

Photo : Robert Skinner

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Nous nous devons de lutter contre toutes les formes d’oppression que peuvent vivre les femmes, non seulement pour elles, mais au bénéfice de l’ensemble de la société. C’est ce que j’aimerais pour les éditions de la Marche mondiale des femmes auxquelles les générations actuelles et futures prendront part. Kharoll-Ann Souffrant Travailleuse sociale et étudiante au doctorat en service social à l’Université d’Ottawa


ESCALE 19 Je suis d’ici et de là-bas. Je vis ici pour que là-bas aussi puisse vivre. Je lutte ici pour faire écho aux luttes de là-bas. Femmes d’Haïti, femmes du Québec, femmes du monde, je suis des vôtres, vous êtes des nôtres. Lorsque ma voix s’est élevée au mégaphone, ce froid matin d’hiver, c’était pour que toutes et tous entendent notre déclaration commune contre l’impérialisme canadien sur la terre de Dessalines. C’était pour crier : « À bas les corrompus et les corrupteurs, qu’ils soient ici ou là-bas! » Avec plusieurs camarades, au parc ToussaintLouverture, cette journée-là, nous étions bien loin de la répression du régime illégitime de Port-au-Prince soutenu par le gouvernement du Canada. Mais en pensée, nous étions tout proches des militants et militantes d’Haïti qui rejettent tout ce qui rime avec l’industrie de l’humanitaire : les forces policières étrangères, les compagnies minières et les guerres. Ici, comme là-bas, nous embrassons la souveraineté populaire. Jennie-Laure Sully Féministe radicale, abolitionniste et internationaliste

Photo : André Querry

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ESCALE 20 Il était une fois, dans les cégeps et les universités… Contre des initiations sexistes et hypersexualisées. Contre des politiques — désuètes, parcellaires, ou inexistantes — concernant les violences sexuelles sur les campus des cégeps et des universités. Contre des abus de pouvoir aux mains de professeurs qui parfois finissent par n’enseigner rien d’autre que le désespoir et la peur. Contre des zones qu’on préfère qualifier de grises plutôt que de dire la vérité. Contre l’emprise invisible. Contre cette fausse élection de l’une au détriment de toutes les autres. Contre l’abus qui opère entre les murs d’un bureau, dans le couloir d’un département, entre les rangées d’une salle de classe. Contre la loi du silence et le bâillon du secret. Contre la honte qu’on nous colle sur la peau. Il fallait défaire les nœuds.

Il fallait mettre au jour le pouvoir tentaculaire des bouches du savoir et dénoncer ce qui le plus souvent passe inaperçu. Il fallait jeter la lumière sur ce qui pourrit l’atmosphère, met en péril les études, exclut celles qui osent malgré tout résister. Ainsi… il était une fois. Qu’on cesse de les détourner du chemin qu’elles ont choisi. Qu’on cesse de minimiser les agressions qu’elles ont subies. Qu’on regarde les choses en face et qu’on nomme le mal qui a été fait pour qu’enfin les choses changent et que les femmes soient véritablement admises, accueillies, respectées, encouragées… dans les cégeps et les universités. Étudiantes. Futures collègues. Chercheures. Penseuses. Artistes. Au cœur de cette société. Martine Delvaux Écrivaine et professeure

Photo : André Querry

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ESCALE 21 Dolores est anglophone, Eve est francophone. L’une porte les voix des femmes sud-asiatiques présentes depuis longtemps au Canada et l’autre, convertie à l’islam avec les Maghrébins arrivés dans les dernières décennies, lutte pour les droits humains. L’une comme l’autre sont des féministes inconditionnelles. Malgré la complexité de leurs identités, les musulmans du Québec se sont rassemblés dans les dernières années face aux multiples controverses dont ils ont été l’objet. Parmi eux, les femmes ont toujours été l’objet de l’instrumentalisation. Voile, niqab, burkini, tout vêtement qui visibilise l’appartenance religieuse ou culturelle est devenu un sujet de conversation dans l’espace public et médiatique. Chaque fois, le débat a porté sur elles, sans toutefois les inclure. Dépossédées de leurs choix ou de leur parole, exclues de la conversation, les femmes musulmanes ont trouvé dans leurs alliées féministes les gardiennes de leurs droits. Malgré le coût pour toutes en déshumanisation et en épuisement, elles n’ont lâché sous aucun prétexte. Ensemble, elles ont porté leur position contre la loi sur la neutralité religieuse de l’État (Projet de loi no 62), qu’elles soient pour ou contre le niqab. Car c’était avant tout une question de droit et de justice sociale. Bochra Manaï

Photo : André Querry

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ESCALE 22 « Le Centre communautaire des femmes sudasiatiques (CCFSA) a été fondé en 1981. Une année auparavant, en 1980, neuf femmes sudasiatiques de tous les âges vivant à Montréal s’étaient réunies pour déplorer l’absence d’un organisme répondant aux besoins particuliers des femmes de notre origine. Le groupe était composé de jeunes étudiantes, de femmes au foyer et de professionnelles établies. C’était une époque d’effervescence et de redéfinition de la femme dans nos pays d’origine et partout sur terre. Les Nations Unies décrétaient l’Année internationale de la femme en 1975, la même année que se tenait la Conférence de Mexico, alors que les générations postcoloniales maintenant adultes commençaient à réaliser que ce qui avait été promis, notamment en matière d’égalité des genres, ne se concrétisait pas. De nouveaux groupes voyaient le jour — des centres de femmes autonomes. Les publications et les magazines prenaient les médias d’assaut. La population sud-asiatique de Montréal grandissait, et de plus en plus de femmes, dont la culture et la langue n’étaient pas représentées ni comprises, se retrouvaient incapables d’avoir accès à ce qui leur était offert. Ce groupe intergénérationnel de femmes d’origine sud-asiatique vivant à Montréal a donc décidé de passer à l’action. Le CCFSA est né de ce collectif pour devenir aujourd’hui un centre qui répond aux besoins des femmes et de leur famille sur une base quotidienne.

Photo : André Querry

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Dès le départ, les fondatrices ont voulu faire du CCFSA un mouvement d’empowerment pour les femmes. Une grande partie de notre travail impliquait d’aborder des problèmes de violence à l’égard des femmes, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Les fondatrices ne voulaient d’ailleurs pas créer une organisation philanthropique, mais bien un endroit qui apporterait des bienfaits à toutes, y compris à elles-mêmes. Les mêmes principes fondamentaux de féminisme et de sororité ont toujours guidé le CCFSA dans ses activités intégrées de prestation de services, de plaidoirie et d’activisme. Dès ses débuts, le CCFSA était unique en ce qu’il réunissait les femmes de toutes les régions et communautés de l’Asie du Sud. Le CCFSA s’est depuis transformé et développé pour s’ajuster aux changements démographiques et à l’évolution des besoins de la communauté, mais nos valeurs fondamentales demeurent les mêmes. » Extrait du site Internet du Centre communautaire des femmes sud-asiatiques


ESCALE 23 Dans les années 70, les femmes noires participent évidemment aux mouvements de contestation sociale. Plusieurs d’entre elles jouent un rôle crucial lors des protestations (1969) contre le racisme anti-noir de l’Université Sir George Williams (aujourd’hui Université Concordia). Elles dénoncent la dictature de Duvalier et les politiques impérialistes complices du Québec et du Canada. Elles mènent des actions pour éviter la déportation d’exilées politiques vers différents régimes autoritaires de la planète. Elles mènent des luttes pour l’accès des familles noires à des logements abordables, pour des soins médicaux et des garderies répondant à leurs besoins. Elles organisent des actions contre le racisme dans l’éducation, notamment par rapport à la représentation des Noir·es dans les ouvrages scolaires. Arrivées au Québec pour échapper à la répression en Haïti et pour développer les nouvelles institutions québécoises issues de la Révolution tranquille, les féministes haïtiennes sont présentes sur plusieurs fronts : elles investissent toutes sortes de champs pour venir en aide à la communauté haïtienne et aux immigrantes. Elles sont aussi conscientes de la nécessité de construire des espaces pour prendre leur place dans la politique québécoise et pour combattre la dictature duvaliériste à partir d’ici.

Plusieurs organisations importantes voient alors le jour grâce à l’engagement de ces femmes, par exemple le Point de ralliement des femmes d’origine haïtienne (1971), la Maison d’Haïti (1972) ou le Rassemblement des femmes haïtiennes (1973). Le Québec compte aussi des communautés noires installées depuis plusieurs générations. Par exemple, les femmes afrodescendantes de la Petite-Bourgogne sont très actives au sein l’Association des femmes de couleur de Montréal (Coloured Women’s Club of Montreal – CWO), un des premiers groupes de femmes du Québec (1902). Durant cette décennie, il existe une forte volonté chez ces femmes noires de travailler entre elles pour aborder de front le racisme et le sexisme de leur quotidien. Ce besoin est d’autant plus fort que les groupes de femmes de la majorité se préoccupent peu de leur sort, ne les considérant pas comme des actrices politiques. La grande aventure du Congrès des femmes noires du Canada (CFNC) et de sa très dynamique section montréalaise témoigne de cette volonté. Entre 1973 et 1982, Afro-Canadiennes de longue date et femmes immigrantes d’ascendance caribéenne, africaine et antillaise s’y réunissent régulièrement pour développer des actions afin d’améliorer les conditions de vie des femmes noires et de leurs communautés. Alexandra Pierre Militante féministe

Photo : André Querry

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ESCALE 24 Le 27 juin 2017, Pierre Coriolan est tué par le SPVM dans son appartement du quartier Centre-Sud, à Montréal. L’homme de 58 ans vient d’apprendre qu’il serait évincé de son logement. Il s’agite chez lui, seul. Des voisins appellent la police, qui agit très rapidement une fois arrivée sur les lieux. Coriolan reçoit des balles de plastique, puis est atteint à trois reprises par une arme à feu. Une balle reçue à l’estomac lui sera fatale. Le 2 juillet, Montréal Noir, Hoodstock et Black Lives Matter lancent un rassemblement devant l’édifice HLM où Coriolan a été abattu. En plus des activistes locaux, des groupes de Toronto et de Los Angeles se joignent à la manifestation afin de contribuer à ce que cette tragédie locale reçoive une couverture ailleurs en Amérique du Nord. Malgré une mobilisation importante, peu de journalistes assistent au rassemblement de départ. La manifestation se déplace sur la rue Sainte-Catherine, vers l’ouest, en direction de la Place des Arts, où se déroule le Festival international de Jazz de Montréal. Un noyau de porte-parole décide d’escalader une des scènes principales du festival, inoccupée en milieu d’après-midi, avec l’accord du personnel de la sécurité. Les participants dans la foule se mettent alors à scander « Jazz is Black » en plus des slogans habituels, afin de rappeler aux festivaliers interloqués qu’on ne peut dissocier la musique qu’ils aiment tant des conditions de vie des hommes et femmes qui l’ont, après tout, créée. De la scène, on rend hommage à Pierre Coriolan.

Photo : André Querry

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À la suite du coup d’éclat, plusieurs médias décident finalement d’accorder plus de place à la manifestation dans les nouvelles du jour. Quelques mois plus tard, une vidéo de l’intervention policière est rendue publique par les avocats de la famille Coriolan. C’est la première fois que la mort d’un homme noir de Montréal aux mains de la police est ainsi capturée sur caméra. Les imaginaires en sont marqués. Emilie Nicolas Chroniqueuse et activiste


ESCALE 25 La Commission de vérité et réconciliation du Canada (2008-2015) — Les femmes porteuses des cultures traditionnelles autochtones Dans plusieurs pays dans le monde, on a utilisé le modèle de la commission de vérité et réconciliation pour résoudre les conflits d’une grande violence entre les groupes d’un même pays. Ce genre de processus a pour but non pas de judiciariser des individus en particulier ou d’identifier des coupables, mais de donner une tribune nationale à celles et ceux qui ont subi cette grande violence pour qu’elle soit connue et reconnue. Le modèle suppose qu’aucune réconciliation entre les groupes n’est possible sans que la vérité ne soit exprimée et entendue. Ainsi, à l’instar de l’Afrique du Sud au lendemain de l’apartheid, le Canada a mis sur pied une telle commission en 2008 pour faire face aux conséquences du système des pensionnats autochtones.

Pendant plus d’un siècle, les enfants dits « sauvages » ont été enlevés de leur famille et de leur communauté pour résider dans des pensionnats où ils recevaient une éducation « canadienne ». L’objectif avoué de ces écoles était de « tuer l’Indien au cœur de l’enfant » et d’ainsi faire mourir les langues, les cultures et les traditions autochtones jugées inférieures à celles de la majorité canadienne. Après avoir entendu plus de 6 000 témoignages de survivantes et survivants des pensionnats, la Commission a conclu que ce système a largement contribué à un génocide culturel des nations autochtones du Canada. Les femmes, dont l’un des rôles traditionnels est de transmettre la langue et la culture, continuent à lutter pour leur place avec la conviction profonde qu’être de telles porteuses est au cœur de la guérison de leur nation et de la réconciliation avec le peuple canadien.

Photo : Jacques Nadeau Annie O’Bomsawin-Bégin

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Cinq autres photos sont exposées dans le café-bar du Théâtre ESPACE GO.

E X P O S I T I O N I N T É R I E U R E


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Photo : Valérian Mazataud

Photos 1- Valérian Mazataud + 2- Inès Chabant, Le Délit + 3- André Querrey + 4- Robert Skinner Photo :: Jacques Nadeau


5 Photo : 5- Pedro Ruiz

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Théâtre ESPACE GO 4890, boulevard Saint-Laurent Montréal (Québec) H2T 1R5 514 845-5455 espacego.com


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