E-mensuel de septembre 2018

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SEPTEMBRE 2018

MENER LA BATAILLE POUR L’ACCUEIL DES MIGRANTS


Les Éditions Regards 5, villa des Pyrénées, 75020 Paris 09-81-02-04-96 redaction@regards.fr Direction Clémentine Autain & Roger Martelli Directeur artistique Sébastien Bergerat - da@regards.fr Comité de rédaction Pablo Pillaud-Vivien, Pierre Jacquemain, Loïc Le Clerc, Guillaume Liégard, Roger Martelli, Gildas Le Dem, Catherine Tricot, Laura Raim, Marion Rousset, Jérôme Latta Administration et abonnements Karine Boulet - abonnement@regards.fr Publicité Comédiance - BP 229, 93523 Saint-Denis Cedex Scop Les Éditions Regards Directrice de la publication et gérante Catherine Tricot Photo de couverture CC

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SOMMAIRE

LA GAUCHE ET SA DIVISION, LE GOUVERNEMENT AU PIED DU MUR ET L’EXTRÊME DROITE DEVANT LA JUSTICE MENER LA BATAILLE POUR L’ACCUEIL DES MIGRANTS # Gauche européenne et immigration : la réponse de Roger Martelli à Djordje Kuzmanovic # 150 personnalités signent le Manifeste pour l’accueil des migrants # Migrants. Mener la bataille ECOLOGIE, AFFAIRES, PAUVRETÉ : LE GOUVERNEMENT AU PIED DU MUR # Appel pour la planète : le gouvernement au pied du mur # Un an en Macronie : trois mises en examen, sept en quêtes en cours et deux affaires classées sans suite # Le Rugy et la fureur : la nomination qui indigne # La France a faim, Macron se gave L’EXTRÊME DROITE SUR LE BANC DES ACCUSÉS # Mort de Clément Méric : première journée du procès # Sachez-le, traiter Génération identitaire de « nazi », c’est risquer le tribunal # Procès Méric : la violence de l’extrême droite en accusation

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Gauche européenne et immigration : la réponse de Roger Martelli à Djordje Kuzmanovic L’historien Roger Martelli, directeur de la publication de la revue {Regards}, répond à Djordje Kuzmanovic, orateur national de la France insoumise et candidat FI aux européennes, sur les questions migratoires. Dans un entretien publié sur site de l’Obs, Djordje Kuzmanovic, présenté comme le conseiller de Jean-Luc Mélenchon et candidat potentiel de la France insoumise aux prochaines européennes, affirme son soutien aux analyses de l’Allemande Sahra Wagenknecht, l’une des principales figures du parti Die Linke. Se fixant l’objectif « de ralentir, voire d’assécher les flux migratoires » par le recours à un « protectionnisme solidaire », il fustige « la bonne conscience de gauche ». « Lorsque vous êtes de gauche et que vous avez sur l’immigration le même discours que le patronat, il y a quand même un problème », assène-t-il. Mais n’est-on pas en droit de s’étonner plus encore quand, se réclamant de la gauche, on tient des propos qui pourraient être taxés de proches du discours d’extrême droite ?

Laissons les polémiques malsaines au vestiaire. Discutons des arguments retenus. 1. Le capitalisme contemporain est-il pour la libre circulation des personnes, comme il l’est pour celle des marchandises et des capitaux ? Sur le papier seulement : dans la pratique, la force de travail est la seule marchandise qui ne circule pas en pleine liberté. En fait, l’objectif fondamental du capital est de maximiser la compétitivité par la réduction globale des coûts salariaux. Or, à l’échelle de la mondialisation, cette réduction s’opère avant tout dans les zones de faible prix du travail, dans l’ensemble des pays du Sud, y compris les États dits émergents. Ce sont les masses laborieuses d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine qui pèsent le plus fortement en faveur de la réduc-

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tion relative de la masse salariale. Les migrants le font à la marge. À la limite, en s’insérant dans des zones de niveaux salariaux plus élevés, ils nourriraient plutôt une tendance inverse à la hausse. À la limite toujours, c’est en restant chez eux que les travailleurs du Sud tirent la masse salariale de nos pays vers le bas. Là est l’armée de réserve véritable. LE CHIMÈRE SÉCURITAIRE DU CONTRÔLE DES FRONTIÈRES 2. Ce qui intéresse les capitalistes, ce n’est pas tant le migrant que le clandestin corvéable à merci. Or le clandestin est d’abord produit par la logique de la clôture. En revanche, le capitalisme de nos sociétés occidentales est intéressé par la frange des migrants la plus éduquée, la moins démunie, qui, à qualification élevée égale, accepte des rémunérations plus modestes. Les pays riches accueillent à la fois les migrants légaux les moins pauvres et les clandestins moins nombreux et voués à l’extrême précarité. La logique du capital n’est pas dans la liberté de circulation mais dans la polarisation des flux migratoires : les moins pauvres des pauvres chez les riches, les plus pauvres vers les déjà pauvres… Le seul modèle du contrôle des migrations est le paradigme policier imposé en Europe par les spécialistes de Frontex : toujours plus de surveillance, de répression, de barrières, matérielles ou technologiques. Or ce paradigme coûteux n’empêche pas le franchissement des

frontières et des murs : ce qu’il produit, en revanche, c’est l’inflation incompressible des clandestins. 3. La politique d’aide au développement limite-t-elle les flux migratoires ? Cela ne se vérifie pas. Dans un premier temps – qui peut être très long – elle les stimule au contraire chez les émergents. En effet, si les guerres et les catastrophes climatiques provoquent une migration de l’extrême misère, le départ moins tragique est en général plus facile pour des populations qui disposent d’un minimum de ressources et veulent les valoriser dans des espaces jugés plus attractifs. Le développement réduira sans doute les flux des migrations contraintes, pas ceux des migrations en général. 4. Retenir en dehors de la zone OCDE les migrants qui cherchent à s’y établir ? C’est exactement ce qui se fait. Par exemple, la pratique européenne des hotspots consiste à fixer en bordure de l’Europe les migrants tentés de s’y infiltrer : c’est à la Turquie, à la Libye et aux pays du Sahel de trier les candidats au départ et de retenir les indésirables. La méthode est pernicieuse : elle conditionne l’aide au développement à la régulation des flux migratoires par les pays concernés ; elle n’empêche pas les déplacements clandestins et même les nourrit (des officiels libyens traitent directement avec des réseaux de passeurs). Plus que tout, elle entérine un peu plus le scandale des scandales : ce sont les pays du Sud qui accueillent aujourd’hui la grande masse des réfugiés. Les pauvres

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reçoivent les plus pauvres, tandis que les riches, qui aggravent leur situation, promettent de leur distribuer des miettes. NE PAS SE TROMPER DE COMBAT 5. Au motif d’enrayer la montée de l’extrême droite, rien ne justifie que l’on entérine si peu que ce soit son fonds de commerce idéologique. Ce qui pèse sur le marché du travail n’est pas la pression migratoire, mais l’universalité de la dérégulation, qui réduit tout à la fois les salaires directs et indirects, sanctuarise la précarité (au nom de la flexibilité), réduit l’aide aux démunis (au nom de l’équité) et valorise l’assurantiel au détriment de la solidarité. Affirmer que la régulation des migrations créera du mieux-être est donc dangereusement mensonger. Comme au temps où la social-démocratie européenne expliquait que les profits du moment feraient les salaires du lendemain ou que le monétarisme et la politique antiinflation profiteraient à terme aux salariés européens. 6. Il faut certes contredire la fluidité (celle des marchandises et des circuits financiers) qui aggrave par nature les inégalités et les aliénations. Et nul ne peut exclure – le capitalisme s’y est adonné et s’y adonne encore - des mesures ponctuelles de protection pour les territoires les plus fragiles. Mais, en mariant l’eau et le feu dans les mots, la formule du « protectionnisme solidaire » laisse tout aussi perplexe que ne le serait la promotion d’un « capitalisme des communs ». En

aucune manière le protectionnisme n’est en état de combattre le fléau principal : la spirale désastreuse de la financiarisation, de la marchandisation universelle et de la dérégulation. Or cette bataille n’est pas avant tout locale, nationale ou supranationale : elle est à la fois locale, nationale et supranationale. Laisser entendre que la solution serait vers plus de gouvernance, plus de fédéralisme ou, au contraire, vers plus de souverainisme est une illusion. Or l’illusion déçue débouche à terme sur la désillusion, la frustration et le ressentiment. Au bout du chemin, on trouve au mieux ce que le langage à la mode appelle l’illibéralisme, au pire le fascisme. Pour l’instant, ce sont les rejetons du second qui tiennent le haut du pavé. 7. Ce n’est pas la « bonne conscience » qui a conduit la gauche à sa crise, mais la capitulation sociale-démocrate amorcée en France par François Mitterrand, en 1982-1983. De même que les concessions au libéralisme n’ont pas enrayé la contre-révolution libérale dans les années 1980-1990, de même la gauche et le mouvement social critique n’enraieront pas la poussée de l’extrême droite et de la droite radicalisée en flirtant avec une part de ses discours. Donald Trump, avec son America first n’est pas du côté du peuple américain, mais des multinationales et des milliardaires de son pays. L’équipe au pouvoir à Rome ne sert pas les classes populaires, mais divise le peuple, tue la solidarité et conduira l’Italie au désastre social et moral. Ce ne sont pas les migra-

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tions qui sont au cœur du marasme vécu mais le trio infernal de la concurrence, de la gouvernance et de l’obsession identitaire. Ne pas porter l’accent sur ce trio revient à lui laisser le champ libre. EGALITÉ, CITOYENNETÉ, SOLIDARITÉ 8. Le discours de Djordje Kuzmanovic est un patchwork mêlant des affirmations de gauche louables et des tentations qui les contredisent absolument. Prendre avec des gants, comme il le fait, les « questions sociétales » au nom du primat du « social » est un retour en arrière qui divise la mouvance critique, désarme tous les efforts de convergence des combats émancipateurs et, à l’arrivée, nourrira un peu plus la division et l’éclatement des catégories populaires qui a été au cœur de la crise du mouvement ouvrier historique. S’il est une démarche rassembleuse, c’est celle qui remet au centre les valeurs qui ont donné historiquement leur dynamisme au mouvement populaire-ouvrier et à la gauche : l’égalité – et non l’identité -, la citoyenneté et la solidarité. Tout écart par rapport à elles est une impasse, un cadeau au capital, à la droite et à l’extrême droite. Ce n’est pas la « bonne conscience » qui est irréaliste de nos jours, mais le cynisme de la realpolitik. 9. Sur la question migratoire, la seule

base de rassemblement ne me paraît pas celle du discours promu par Djordje Kuzmanovic. « Ralentir » ou « assécher » les flux migratoires n’est ni possible ni souhaitable. Cela va à rebours du processus même de l’hominisation et ne correspond pas à l’anticipation raisonnable que l’on peut faire aujourd’hui. Les déplacements de population – dont on sait qu’il ne faut pas en exagérer l’ampleur – se maintiendront, souhaités ou contraints. Ils constitueront un fait social, dont l’effet positif ou négatif ne dépendra pas de leur volume mais de l’environnement social dans lequel ils se déploieront. Si la logique dominante reste celle de la mondialisation en cours, ils contribueront à nourrir des phénomènes régressifs dont ils ne sont pas la cause. Il n’y a donc pas d’autre solution que de rompre les mécanismes de dérégulation, de compétition sauvage et d’aliénation qui grippent les relations entre les individus et les peuples, opposent les travailleurs les uns aux autres et parcellisent les groupes humains engagés de plus en plus dans un marché du travail. L’extension des droits pour tous, la protection élargie, la reconnaissance de statuts salariaux stabilisés, la formation permanente, la démocratisation au travail comme dans la cité, la lutte contre les discriminations sont les clés des dynamiques à construire. L’objectif est contra-

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dictoire avec le repli sur soi, la méfiance à l’égard du nouvel arrivant, la peur de ne plus être chez soi, l’enfermement communautaire et l’égoïsme ethnique et/ou national. LUTTER POUR L’UNIVERSALITÉ DES DROITS 10. « Nous ne pouvons accueillir tout le monde », a affirmé Emmanuel Macron, quelques mois après son arrivée au pouvoir. Ce faisant, il a donné la main à la gestion administrative et policière de Gérard Collomb, comme François Hollande s’était aussitôt appuyé sur la gestion répressive de Manuel Valls. Comment une force qui veut rassembler contre la politique de l’Élysée, de Matignon et de la place Beauvau peut-elle partir du même postulat que le Président actuel ? La position exprimée par Djordje Kuzmanovic se veut réaliste : en fait, elle est confuse et tourne le dos au mouvement réel. Que feraient ceux qui arrivent au pouvoir sur cette base ? Devant le constat que leur politique ne peut enrayer les flux migratoires, quelle attitude serait la leur ? Vont-ils se rallier aux sirènes répressives et sécuritaires ? Feront-ils « comme les autres » ? Au bout du compte, vont-ils justifier l’injustifiable, comme d’autres l’ont fait avant eux ? De quelque côté qu’on les prenne, les propos tenu ces jours-ci, à Berlin ou à

Paris, ne sont ni réalistes ni conformes à une gauche fidèle à elle-même. Il n’y a pas de bonne technique pour une gestion « raisonnable » des flux migratoires. L’importance actuelle et prévisible des migrations oblige donc chaque peuple à réfléchir aux choix de société possibles. À ma connaissance, il n’y en a que trois cohérents aujourd’hui : la mondialisation de la marchandise, de la finance et de la gouvernance ; l’égoïsme à courte vue des protections de nantis ou de pseudo-nantis ; la mondialité assumée du développement sobre et partagé. Ne pas se battre autour du troisième terme, conduit aux désastres futurs. Se placer du côté du peuple, c’est avant tout promouvoir sa dignité et donc lutter pour l’universalité de ses droits. Tel doit être notre alpha et notre oméga.  roger martelli

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150 personnalités signent le Manifeste pour l’accueil des migrants Les rédactions de Regards, Politis et Mediapart s’associent afin de lancer le Manifeste «Pour l’accueil des migrants» signé par 150 intellectuels, artistes, militants associatifs, syndicalistes et personnalités de la société civile. Partout en Europe, l’extrême droite progresse. La passion de l’égalité est supplantée par l’obsession de l’identité. La peur de ne plus être chez soi l’emporte sur la possibilité de vivre ensemble. L’ordre et l’autorité écrasent la responsabilité et le partage. Le chacun pour soi prime sur l’esprit public. Le temps des boucs émissaires est de retour. Oubliées au point d’être invisibles, la frénésie de la financiarisation, la ronde incessante des marchandises, la spirale des inégalités, des discriminations et de la précarité. En dépit des chiffres réels, la cause de nos malheurs serait, nous affirme-t-on, dans la «pression migratoire». De là à dire que, pour éradiquer le mal-être, il suffit de tarir les flux migratoires, le chemin n’est pas long et beaucoup trop s’y engagent.

Nous ne l’acceptons pas. Les racines des maux contemporains ne sont pas dans le déplacement des êtres humains, mais dans le règne illimité de la concurrence et de la gouvernance, dans le primat de la finance et dans la surdité des technocraties. Ce n’est pas la maind’œuvre immigrée qui pèse sur la masse salariale, mais la règle de plus en plus universelle de la compétitivité, de la rentabilité, de la précarité. Nous ne ferons pas à l’extrême droite le cadeau de laisser croire qu’elle pose de bonnes questions. Nous rejetons ses questions, en même temps que ses réponses. Il est illusoire de penser que l’on va pouvoir contenir et a fortiori interrompre les

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flux migratoires. À vouloir le faire, on finit toujours par être contraint au pire. La régulation devient contrôle policier accru, la frontière se fait mur. Or la clôture produit, inéluctablement, de la violence… et l’inflation de clandestins démunis et corvéables à merci. Dans la mondialisation telle qu’elle se fait, les capitaux et les marchandises se déplacent sans contrôle et sans contrainte ; les êtres humains ne le peuvent pas. Le libre mouvement des hommes n’est pas le credo du capital, ancien comme moderne. Dans les décennies qui viennent, les migrations s’étendront, volontaires ou contraintes. Elles toucheront nos rivages et notre propre pays, comme aujourd’hui, aura ses expatriés. Les réfugiés poussés par les guerres et les catastrophes climatiques seront plus nombreux. Que va-t-on faire ? Continuer de fermer les frontières et laisser les plus pauvres accueillir les très pauvres ? C’est indigne moralement et stupide rationnellement. Politique de l’autruche… Après nous le déluge ? Mais le déluge sera bien pour nous tous ! Il ne faut faire aucune concession à ces idées, que l’extrême droite a imposées, que la droite a trop souvent ralliées et qui tentent même une partie de la gauche. Nous, intellectuels, créateurs, militants associatifs, syndicalistes et ci-

toyens avant tout, affirmons que nous ne courberons pas la tête. Nous ne composerons pas avec le fonds de commerce de l’extrême droite. La migration n’est un mal que dans les sociétés qui tournent le dos au partage. La liberté de circulation et l’égalité des droits sociaux pour les immigrés présents dans les pays d’accueil sont des droits fondamentaux de l’humanité. Nous ne ferons pas à l’extrême droite le cadeau de laisser croire qu’elle pose de bonnes questions. Nous rejetons ses questions, en même temps que ses réponses. LES 150 SIGNATAIRES : Christophe AGUITON sociologue, Christophe ALEVEQUE humoriste et auteur, Pouria AMIRSHAHI directeur de Politis, Ariane ASCARIDE comédienne, Jean-Christophe ATTIAS universitaire, Geneviève AZAM économiste, Bertrand BADIE politiste, Sébastien BAILLEUL DG du CRID, Josiane BALASKO comédienne, Étienne BALIBAR philosophe, Ludivine BANTIGNY historienne, PierreEmmanuel BARRE auteur, humoriste, Lauren BASTIDE journaliste, féministe, Christian BAUDELOT sociologue, Edmond BAUDOIN auteur, dessinateur de BD, Alex BEAUPAIN auteur, compositeur, interprète, François BEGAUDEAU écrivain, Yassine BELAT-

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TAR humoriste, Hourya BENTOUHAMI philosophe, Alain BERTHO anthropologue, Pascal BLANCHARD historien, Romane BOHRINGER comédienne, Benoît BORRITS chercheur militant, Patrick BOUCHAIN architecte, Alima BOUMEDIENETHIERY avocate, Rony BRAUMAN médecin, cofondateur de MSF, Michel BROUE mathématicien, Valérie CABANES juriste internationale, Hélène CABIOC’H présidente de l’Ipam, Julia CAGE économiste, Robin CAMPILLO réalisateur, Aymeric CARON écrivain, journaliste François CHAIGNAUD chorégraphe, Patrick CHAMOISEAU écrivan, Paul CHEMETOV architecte, Monique CHEMILLIER-GENDREAU juriste, Mouhieddine CHERBIB Respect des libertés, Jean-Louis COHEN historien, Christel COURNIL enseignante-chercheuse, Marie COSNAY écrivaine, Annick COUPE syndicaliste, Alexis CUKIER philosophe, Jocelyne DAKHLIA historienne, Jean-Michel DAQUIN architecte, Françoise DAVISSE réalisatrice, Philippe DE BOTTON président de Médecins du monde, Laurence DE COCK historienne, Catherine DE WENDEN politologue, Christine DELPHY féministe, Christophe DELTOMBE président de la Cimade, Rokhaya DIALLO journaliste, écrivaine, Georges DIDI-HUBERMAN philosophe, Bernard DREANO président du Cedetim, Michel DRU

anesthésiste-réanimateur, Françoise DUMONT présidente d’honneur de la LDH, Annie ERNAUX écrivaine, Éric FASSIN sociologue, anthropologue, Corentin FILA comédien, Geneviève FRAISSE philosophe, Bernard FRIOT économiste, Isabelle GARO philosophe, Amandine GAY réalisatrice, Raphaël GLUCKSMANN essayiste, Yann GONZALEZ réalisateur, Robert GUEDIGUIAN réalisateur, Nacira GUENIF sociologue et anthropologue, Janette HABEL politologue, Jean-Marie HARRIBEY économiste, Serge HEFEZ psychanalyste, Cédric HERROU militant associatif, Christophe HONORE réalisateur, Eva HUSSON réalisatrice, Thierry ILLOUZ auteur et avocat pénaliste, Pierre JACQUEMAIN rédacteur en chef de Regards, Geneviève JACQUES militante associative, Chantal JAQUET philosophe, JULIETTE chanteuse parolière et compositrice, Gaël KAMILINDI pensionnaire de la Comédie-Française, Pierre KHALFA syndicaliste et coprésident de la Fondation Copernic, Cloé KORMAN écrivaine, Bernard LAHIRE professeur de sociologie à l’ENS de Lyon, Nicole LAPIERRE anthropologue et sociologue, Mathilde LARRERE historienne, Henri LECLERC président d’honneur de la LDH, Raphaël LIOGIER sociologue et philosophe, Isabelle LORAND chirurgienne, Germain LOUVET danseur étoile de l’Opéra de

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Paris, Gilles MANCERON historien, Philippe MANGEOT enseignant, Patrice MANIGLIER philosophe, Philippe MARLIERE politologue, Roger MARTELLI historien et directeur de la publication de Regards, Christiane MARTY ingénieure-chercheuse, Corinne MASIERO comédienne, Gustave MASSIAH altermondialiste, Nicolas MAURY comédien, Marion MAZAURIC éditrice, Caroline MECARY avocate, Philippe MEIRIEU pédagogue, Phia MENARD jongleuse performeuse et metteure en scène, Céline MERESSE présidente du CICP, Guillaume MEURICE auteur et humoriste, Pierre MICHELETTI médecin et écrivain, Jean-François MIGNARD secrétaire général de la LDH, Véronique NAHOUM-GRAPPE anthropologue, Stanislas NORDEY directeur du Théâtre national de Strasbourg, Ludmila PAGLIERO danseuse étoile à l’Opéra de Paris, Willy PELLETIER sociologue, Nora PHILIPPE auteure et réalisatrice, Thomas PIKETTY économiste, Edwy PLENEL journaliste et cofondateur de Mediapart, Emmanuel POILANE président du CRID, Thomas PORCHER économiste, Didier PORTE humoriste, Mathieu POTTEBONNEVILLE philosophe, Olivier PY auteur metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon, Bernard RAVENEL historien, Éric REINHARDT écrivain,

Prudence RIFF co-présidente du FASTI, Michèle RIOT-SARCEY historienne, Vanina ROCHICCIOLI présidente du Gisti, Paul RODIN directeur délégué du festival d’Avignon, Marguerite ROLLINDE politologue spécialiste du Maghreb, Alexandre ROMANES cofondateur du cirque Romanès, Délia ROMANES confondatrice du cirque Romanès, Paul RONDIN directeur délégué du Festival d’Avignon, Alain RUSCIO historien, Malik SALEMKOUR président de la LDH, Sarah SALESSE avocate, Christian SALMON écrivain, Odile SCHWERTZ-FAVRAT ex-présidente de la Fasti, Denis SIEFFERT président de la SAS Politis, Catherine SINET directrice de la rédaction de Siné Mensuel, Evelyne SIRE-MARIN magistrat, Romain SLITINE enseignant à Sciences Po, Pierre TARTAKOWSKY président d’honneur de la LDH, Lilian THURAM fondation Lilian Thuram-Éducation contre le racisme, Sylvie TISSOT sociologue, Michel TOESCA acteur et réalisateur, Marie TOUSSAINT militante associative et présidente de Notre affaire à tous, Assa TRAORE comité Adama, Enzo TRAVERSO historien, Catherine TRICOT architecte-urbaniste, Aurélie TROUVE porte-parole d’Attac, Fabien TRUONG sociologue, Michel TUBIANA président d’honneur de la LDH, Dominique VIDAL-SEPHIHA journaliste,

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Jean VIGREUX historien, Thierry VILA écrivain, Arnaud VIVIANT écrivain et critique littéraire, Sophie WAHNICH historienne, Jacques WEBER comédien, Serge WOLIKOW historien. Associations signataires : Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (ACORT), Auberge des migrants, Bureau d’accueil et d’accompagnement des migrants (BAAM), CCFD - Terre solidaire 93, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM), Centre international de culture populaire (CICP), Coalition internationale des sans-papiers et migrants (CISPM), Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), Coordination 75 des sans-papiers, Coordination 93 de lutte pour les sans-papiers, CSP92, DIEL, Fédération des associations de solidarité avec tous·te·s les immigré·e·s (Fasti), Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Gisti, Initiatives pour un autre monde (IPAM), La Cimade, Ligue des droits de l’homme, Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie, Roya citoyenne, Syndicat des avocats de France (SAF), Union juive française pour la paix (UJFP), Utopia 56.  Collectif

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Lalizolle, terroir d’accueil Le manifeste pour l’accueil des migrants, signé par 150 personnalités et lancé par Regards, Politis et Mediapart, rappelle combien l’Europe fait face à une crise de l’accueil et non à une crise migratoire. Regards s’est rendu à Lalizolle, en plein coeur de l’Auvergne, où le maire a décidé d’accueillir des familles de réfugiés. Reportage. Gilles Trapenard, soixante-huit ans, a commencé son premier mandat en 2014, à Lalizolle, quatre cents habitants, commune de l’Allier (Auvergne) située à trois quarts d’heure de Vichy. Il se dit luimême « sans étiquette, plutôt de droite, quoique… ». Dans son bureau est affiché un appel aux urnes de son grandpère, conseiller général « républicain-socialiste ». « Je ne suis pas un politicien, je ne recherche que le bien de mon canton, sans autre arrière-pensée », peut-on y lire. Mais si la politique semble une affaire de famille, c’est bien Gilles Trapenard seul qui a décidé, en décembre 2017, d’accueillir plusieurs familles de

réfugiés dans son village. À cette époque, il veut faire d’une pierre deux coups. Son école étant menacée de fermeture, il a cette idée : faire venir des réfugiés. Sauver des vies, sauver son village. Il contacte directement l’opérateur Viltaïs, financé par un fonds européen, le FAMI, qui dépend du ministère de l’Intérieur et qui travaille à la venue de réfugiés dans le département. Gilles Trapenard souligne que la préfecture, elle, « était contre la venue de ces réfugiés ». L’Allier est le département qui accueille le plus de réfugiés en France, proportionnellement à son nombre d’habitants – Île-de-France mise à part.

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En quelques jours à peine, l’opération est bouclée : Lalizolle sera une terre d’accueil pour quatre familles. Vingt-etune personnes originaires du Mali, de Centrafrique et de Côte-d’Ivoire. Elles seront réparties dans trois logements appartenant à la municipalité. Pour les plus jeunes, pas même âgés de dix ans, la vie se résume à l’exil et aux camps de réfugiés. Les pères ne sont pas tous là, parfois morts, tués dans des guerres civiles, fratricides. Impossible d’imaginer l’horreur qu’ont vécue ces familles avant d’arriver en France. La guerre, la faim, la mort. SANS PRÉVENIR PERSONNE C’est le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) qui les a identifiés à Niamey, capitale du Niger, les considérant comme des personnes vulnérables. En relation avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), ils ont alors la possibilité de venir en France en tant que réfugiés politiques. Une procédure longue, au cas par cas. Le HCR estime à plus de 90 000 le nombre de personnes pouvant prétendre à ce programme au Tchad et au Niger. Ils ne seront que 3 000 à venir en France en 2018 et 2019. « Eux, ils ont touché le loto quand on leur a dit qu’ils venaient en France », lance Gilles Trapenard. Gilles Trapenard a beau être fier de sa décision, il n’a prévenu personne de son

plan. Ni la presse, ni ses administrés, pas même ses élus. Et quand il en a parlé à son premier adjoint, Maurice Deschamps, un fillonniste convaincu, celui-ci s’est empressé de lui faire part de son hostilité. Et après une nuit de réflexion et d’insomnie, il finit par lâcher : « Gilles, c’est toi qui as raison, faisons-le ! » Viltaïs était sur la même longueur d’ondes : agir rapidement pour éviter que des fantasmes ne se créent, que l’extrême droite récupère l’arrivée des migrants. Finalement, les quatre cents âmes de Lalizolle ont été informées. Pas de surprise : « Les irréductibles gueulent, mais certains se réjouissent, notamment l’école », nous raconte l’édile. Ces « irréductibles » vont jusqu’à émettre des menaces de mort à l’encontre des réfugiés, souvent sur le ton de l’ironie, jamais face à eux. Le maire s’en désole, mais ne s’inquiète pas outre mesure. Il fait un constat sans appel : Lalizolle est passée en quelques décennies de 60 % de votes communistes et 30 % de socialistes à près de 50 % de votes frontistes. À la dernière présidentielle, Marine Le Pen est arrivée en tête du premier tour avec 25 % des voix. C’est dans ce contexte que, le 18 janvier 2018, débarque la vingtaine de réfugiés. SAS DE DÉCOMPRESSION À leur arrivée, ils sont fatigués du voyage, frigorifiés par moins dix degrés. Les bénévoles de Viltaïs leur ont préparé

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de quoi manger. Gilles Trapenard, lui, laisse quelques larmes lui échapper. « Je suis ému », sourit-il. Le maire a beaucoup d’espoir pour sa commune. Huit enfants viendront se joindre aux vingttrois élèves de l’école. Trois autres iront au collège du coin. Lalizolle, c’est une Poste, une épicerie et une école. « C’est rare », pour une si petite ville, commente le maire. Ce programme d’accueil est temporaire : Lalizolle a en quelque sorte la fonction d’un sas de décompression. Les réfugiés resteront au maximum quatre mois avant que d’autres familles n’arrivent. Pendant ces seize semaines, ils devront apprendre le français, si besoin, inscrire les enfants à l’école, se familiariser avec l’administration française, faire valoir des équivalences de diplôme, chercher une formation professionnelle, un emploi et un logement stable. Le tout, bien évidemment, épaulés par Viltaïs. Après ces quatre mois, l’organisme continue de suivre les familles ailleurs en Allier où, pendant huit mois, est alors mis en place un bail glissant, afin de rendre ces familles autonomes, petit à petit. À terme, elles auront un logement durable et, dans le meilleur des cas, un emploi. « Emploi que la plupart des Français n’acceptent pas, tient à préciser Gilles Trapenard. Eux, dès que vous leur proposez quelque chose, ils sont partants. » Pour Jean-Philippe Morel, chef de service de Viltaïs, ce genre de

programme d’accueil est « facile, il n’y a jamais eu de souci ». Il nous explique que les seules réelles difficultés, ce sont celles de la ruralité vis-à-vis de l’emploi, de la mobilité. D’autant que, dans leurs pays d’origine, la plupart des réfugiés ne vivaient pas dans d’aussi petites communes. INTÉGRER SANS DÉSINTÉGRER Viltaïs se donne aussi la mission de respecter la culture d’origine des réfugiés. Mais pour y parvenir, il faut que les municipalités acceptent d’accueillir plus de deux familles. « L’intérêt d’implanter quatre, six familles, c’est de créer un équilibre entre la culture d’origine et la ghettoïsation », explique Jean-Philippe Morel. À Lalizolle, Viltaïs loue les logements à la mairie après s’être occupé de les rénover, de les équiper, d’acheter tout le nécessaire de base – des meubles (vendus par Emmaüs) aux vêtements, en passant par la mousse à raser. Il y a également eu beaucoup de dons de la part des habitants de Lalizolle. Tout était fin prêt pour qu’à leur arrivée, les réfugiés n’éprouvent pas de difficultés matérielles. Trois mois plus tard, mis à part la nourriture, pour laquelle il faut s’habituer à manger des pâtes, « comme les Français », le premier bilan est « un succès total, au-delà de nos espérances », constate Gilles Trapenard. Une famille a déjà quit-

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té Lalizolle, une autre est arrivée : deux Soudanaises et leurs enfants. Une autre famille ne devrait pas tarder et Viltaïs lui prépare un logement dans le village, juste au-dessus de l’épicerie. Pour les autres, le « sas » fait son office. Eugène et MarieLaure racontent le plaisir qu’ils éprouvent à simplement faire des promenades et contempler une nature plus luxuriante que dans leurs pays d’origine. Mais le calme a ses limites. À Lalizolle, l’ennui est familier, il y a peu d’activités à part la zumba du lundi soir – à plus forte raison quand on doit compter sur Viltaïs pour se déplacer vers les communes environnantes. « Nous ne sommes pas autonomes pour aller à la pharmacie ou faire les courses », explique Sabiratou. Elle rêve de la ville, la grande : Paris ! Si elle le dit en riant, il y a bien une pointe de vérité. Tiffany Gastal, conseillère en économie sociale et familiale pour Viltaïs, à temps plein à Lalizolle, insiste sur le fait qu’elle travaille beaucoup sur l’autonomie avec les réfugiés, et rappelle : « C’est un service qui vient d’être monté, il y a forcément des choses qui doivent se mettre en place petit à petit ». Viltaïs est en train de mettre en place un système de taxis pour améliorer les déplacements. Tous espèrent cependant être relogés bientôt dans une plus grande ville. MONTAGNES RUSSES ÉMOTIONNELLES Les « irréductibles », on ne les entend

plus. Jean-Philippe Morel témoigne avoir vu « le plus raciste de tous en train de papoter avec les gamins deux jours après leur arrivée ». À l’épicerie, on constate que les habitants de Lalizolle sont plutôt rassurés. Presque fiers d’appartenir à une ville qui a fait le choix de la solidarité. Au sein de la communauté scolaire, en revanche, on est tout de même un peu amer. Si l’accueil des enfants réfugiés n’a posé aucune problème – les enfants de Lalizolle y ont été préparés et tout s’est bien passé – plusieurs critiques ont été formulées. À commencer par la barrière de la langue, pénalisante pour se faire comprendre, et entendre, tous les enfants n’étant pas francophones. Mais le maire est confiant : « Comme tous les enfants du monde, ce sont des éponges, dans un mois, ils vont parler français ». Aussi, il n’y a que deux enseignants dans cette école de bientôt trente-huit élèves dont douze réfugiés, et ils doivent déjà composer avec des classes à plusieurs niveaux. Un renfort serait nécessaire mais « l’Éducation nationale nous a fait des promesses qu’elle n’a jamais tenues », s’agace Gilles Trapenard. Enfin, avec ce roulement des familles tous les quatre mois, les enfants, réfugiés ou non, font face à des montagnes russes émotionnelles entre l’accueil et l’au revoir. « Nous, on aimerait plus, mais il s’agit d’un temps de réadaptation, de soin du

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MENER LA BATAILLE POUR L’ACCUEIL DES MIGRANTS

traumatisme et d’intégration », continue l’édile. Il reconnaît que, d’un point de vue pédagogique, il serait mieux d’avoir les enfants toute une année scolaire. JeanPhilippe Morel nous explique de son côté que le programme de Lalizolle est établi pour trois ans, renouvelable, et que Viltaïs est « partant pour une très longue durée ». Un horizon partagé avec Gilles Trapenard, malgré les oppositions diverses. Il s’amuse : « Il y a des gens qui ont un certain respect pour l’ordre établi. Moi, je suis un peu anarchiste, j’en n’ai rien à faire ! ». Une expérience prometteuse qui mériterait sans doute d’être généralisée. Voire banalisée. Loin des choix politiques faits au niveau national. SABIRATOU ABDOULAYE, VINGT-CINQ ANS, DEUX ENFANTS Sabiratou est née à Ansongo, commune de 30 000 habitants située au Mali. En 2012, elle quitte son pays « à cause de la guerre, des terroristes qui sont venus tuer, brûler, imposer leur loi islamique ». Sabiratou est musulmane, mais entre le voile intégral et le lycée, elle a fait son choix. Elle fuit le jour où l’établissement est détruit. Elle est alors en terminale. Arrivée au Niger, elle commence des études d’infirmière. C’est là qu’elle rencontre le père de ses enfants. Ils en auront deux en 2014 et 2015. Si c’est le HCR qui la prend en charge afin de la faire venir en France, la procédure est

très longue. Ils n’apprendront qu’en janvier 2018 leur départ imminent pour la France. Aujourd’hui, Sabiratou espère pouvoir reprendre ses études d’infirmière. Et, si tout va bien, elle veut rester en France, pour elle mais surtout pour ses enfants. MARIE-THÉRÈSE TANO ET EUGÈNE DJOLLO, QUARANTEET-UN ET QUARANTE-HUIT ANS, CINQ ENFANTS Tous deux sont Ivoiriens. Jamais ils n’auraient pensé que leur pays puisse sombrer ainsi dans la guerre civile. Fin 2010 a lieu l’élection présidentielle. Le président sortant Laurent Gbagbo perd face à Alassane Ouattara, la guerre civile est proche. Devant le bureau de vote, des militaires ordonnent à MarieThérèse de voter pour leur candidat. Elle refuse et rétorque : « Je préfère ne pas voter que voter de force ». Sa mère est abattue sous ses yeux, puis elle est battue à coups de crosse de fusil et enfin violée. Elle n’a pas d’autre choix que de fuir avec ses trois enfants et marche, des jours durant, à travers champs. Mais la guerre la rattrape. Elle arrive alors au Burkina Faso, mais ici non plus, elle n’est pas la bienvenue. Elle fuit encore. Près de deux semaines et 2 000 kilomètres plus tard, elle arrive au Niger, dans un état de « folie », selon ses propres mots. Le Togolais qui l’héberge elle et ses enfants appelle alors Eugène,

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pour qu’il prenne soin de sa « sœur ». Eugène a lui aussi fui son pays en passant par la Lybie. Marie-Thérèse est hospitalisée plusieurs semaines. Elle est enceinte de son bourreau ivoirien. Eugène aura l’humanité de reconnaître l’enfant comme le sien. Ils en auront un cinquième ensemble. Finalement, le HCR les repère. MarieThérèse et Eugène n’en avaient jamais entendu parler. Ils vont quelque temps vivre à l’intérieur du camp de réfugiés, à Niamey, mais les conditions de vie sont pires qu’en dehors. Ils vivront alors comme ils peuvent, jusqu’à la délivrance début 2018. Eugène pesait quarantehuit kilos à son arrivée en France. Trois mois plus tard, il en pèse déjà soixantequatre. Pas question de rentrer en Côted’Ivoire, à moins que le régime politique ne change, que la guerre civile cesse et que les cauchemars disparaissent. Et encore… MARIE-LAURE DIAGBRÉ, QUARANTE-DEUX ANS, DEUX ENFANTS Marie-Laure est ivoirienne, comme ses deux enfants de treize et huit ans. « Pendant plusieurs années, il y a eu des conflits en Côte-d’Ivoire, raconte-t-elle. Cela nous a poussé à sortir du pays. C’était sauve-qui-peut, chacun cherchait un pays où partir. » Pour Marie-Laure aussi, le Niger est la destination choisie pour fuir la politique et la guerre. Pour

cela, elle passe par le Ghana et le Togo. « Le Niger est un pays vraiment pauvre, mais on n’avait pas entendu parler de guerre là-bas », résume Marie-Laure. La paix. Elle ne demande rien de plus. Au Niger, elle cherche des petits boulots, serveuse par exemple, pour manger un peu chaque jour. Le logement n’est pas chose facile, ses enfants sont dispersés chez plusieurs connaissances. Chrétienne, elle subit des pressions d’islamistes nigériens, comme ses enfants à qui on veut imposer l’islam à coups de bâton. Les années passant, il devient de plus en plus difficile de vivre ce quotidien. « Je ne savais pas que, quand tu fuis ton pays, tu es un réfugié ». Alors, quand elle apprend l’existence du HCR, « c’est comme quand tu n’as plus d’espoir, et que l’espoir vient ». Elle pense pouvoir avoir un peu d’argent, mais ne réalise pas ce qui l’attend : un départ pour la France. « On est sauvé ! » Depuis janvier 2018, à Lalizolle, elle vit en colocation avec Sabiratou, musulmane. La paix, enfin.  Loïc Le Clerc

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MENER LA BATAILLE POUR L’ACCUEIL DES MIGRANTS

Migrants. Mener la bataille Plus de 35.000 citoyens et des dizaines de personnalités ont signé le manifeste «Pour l’accueil des migrants» publié par Regards, Mediapart et Politis. Pourtant, des voix s’élèvent pour dénoncer dans cet appel une diversion. Face aux renoncements et tergiversations des États à accueillir l’Aquarius, à la montée des droites extrêmes en Europe, à la propagation d’une xénophobie décomplexée, nous ne pouvons pas rester l’arme aux pieds. C’est pourquoi l’appel lancé par Regards, Mediapart et Politis rencontre un large succès. De Lilian Thuram à Josiane Balasko, de Thomas Picketty à Assa Traoré, de Romane Bohringer à Sophie Wahnich, d’Annie Ernaux à Guillaume Meurice, 150 personnalités ont joint leurs forces à des collectifs militants pour donner de la voix en soutien aux migrants. La pétition en ligne engrange des dizaines de milliers de signatures citoyennes. Ce n’est pas rien. Dans le même temps, SOS Méditer-

ranée a lancé une pétition pour sauver l’Aquarius, en demandant aux gouvernements de prendre leurs responsabilités et en appelant à une grande mobilisation citoyenne. L’ONG appelle à manifester le 6 octobre dans toute l’Europe. L’initiative est particulièrement bienvenue. NI FN, NI MACRON Les réponses de Salvini et Macron, qui multiplient les atteintes aux droits fondamentaux, les murs et les contrôles, qui nourrissent le rejet et la rhétorique d’un danger immigré doivent être combattues sans relâche. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait à l’Assemblée nationale lors des débats sur la loi asile-immigration. À Gérard Collomb, nous avons dit et redit que leur présupposé de «sub-

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mersion migratoire» était faux – le flux migratoire est globalement stable en Europe depuis plusieurs décennies – et que leur obsession à durcir les conditions d’accueil, jusqu’à l’enfermement de mineurs, était une folie. Le moulin de l’extrême droite fut ici comme ailleurs bien alimenté par la macronie, pourtant arrivée au pouvoir grâce au rejet de l’extrême droite… Dans ce paysage politique qui voit prospérer les idées xénophobes et, avec elle, des décisions dangereuses du point de vue des droits humains, la bataille contre ce qui fait le miel des droites extrêmes et du fascisme doit être menée sans ambiguïté. La façon dont Emmanuel Macron entend instrumentaliser la question est évidemment un piège. Il tente de se donner un visage moral face au FN en racontant une fable sur la question migratoire. La réalité est pourtant têtue : la macronie enfourche les recettes d’une droite radicalisée. La France n’a pas su accueillir l’Aquarius et la loi asile-immigration a mis en œuvre bien des rêves répressifs de la droite dure. Nous ne laisserons donc pas la macronie installer cette fausse bipartition, eux versus le FN. Nous tiendrons tête. Notre voix sur cette question capitale est celle qui défend des vies humaines et des symboles. Prendre à bras le corps le combat en faveur des migrants est un parti pris humaniste et stratégique. Pour le camp de la transformation sociale et

écologiste, il n’y a pas de victoire possible dans les têtes comme dans les urnes sans une contre-offensive assumée sur l’enjeu migratoire. Ce fil à plomb que nous avons à tenir au long court participe de l’imaginaire, des batailles sociales, du projet politique d’une gauche de rupture. Ne pas céder une once de terrain aux adversaires sur cette question me semble indispensable pour faire grandir notre conception du monde. J’invite de ce point de vue à regarder la saga documentaire de Françoise Davisse et Carl Aderhold diffusé sur France 2 en prime time et retraçant 150 ans d’histoire de France par le prisme de l’accueil des migrants. Où l’on se rappellera combien cette question fut, à des périodes décisives, très structurantes d’un point de vue politique… J’invite également à lire la tribune dans Le Monde de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, qui appelle à la fraternité entre tous les travailleurs et rappelle que le dumping social tient davantage à l’inégalité des droits et non à la présence d’immigrés. Il n’est pas question de courber l’échine devant l’agenda imposé par nos adversaires. Mais la façon dont le sujet émerge et s’impose dans le débat public nous oblige à mener la bataille. Le récit que nous faisons, les thèmes que nous choisissons de porter en avant

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MENER LA BATAILLE POUR L’ACCUEIL DES MIGRANTS

sur la question migratoire ne sont évidemment pas neutres. Mettre l’accent sur les causes des migrations ou bannir toute évocation de la liberté de circulation comme horizon, comme s’il s’agissait d’une ligne «no border» – à noter que le spectre des signataires de l’appel Regards, Politis, Mediapart est en l’occurrence si large qu’il me parait curieux d’y voir une mainmise «gauchiste» – ne me convainc pas. Ma conviction est qu’il ne faut donner aucun point à nos adversaires sur les termes du débat. Quand nous disons vouloir combattre le pouvoir de la finance, commençons-nous par égrener les difficultés bien réelles, comme la fuite des capitaux ? Non. Estce que, pour autant, nous ne prenons pas en compte la complétude du problème qui nous rendrait crédible à gouverner ? Je ne le crois pas. Nous menons une bataille d’idées, une confrontation politique. Celle-ci suppose de valoriser avant tout le sens et le cœur de notre proposition. Des voix s’élèvent pour dénoncer dans cet appel une diversion. Il ne faudrait pas parler des migrants car la question centrale, notamment pour les élections européennes qui s’annoncent, est ailleurs, dans la contestation de l’austérité et du libéralisme économique, l’enjeu migratoire n’étant qu’une entreprise de détournement des «vrais enjeux». Comme si on pouvait échapper au moment politique qui est le nôtre, si bouil-

lant sur la question migratoire. Bien sûr, ce n’est pas nous qui avons choisi d’en faire un thème de prédilection, et pour une bonne raison : nous contestons le fait que les immigrés soient considérés comme la grande cause des crises contemporaines. Il n’est pas question de courber l’échine devant l’agenda imposé par nos adversaires. Mais la façon dont le sujet émerge et s’impose dans le débat public nous oblige à mener la bataille. Oui, deux visions du monde s’affrontent. L’accusation de diversion me rappelle par ailleurs des querelles anciennes, quand on nous expliquait qu’il fallait mener la révolution prolétarienne et les droits des immigrés ou des femmes seraient réglés dans la foulée, quand on nous rabâchait la centralité de la lutte des classes, en ces temps où défendre les lesbiennes et les gays ou l’environnement était perçu comme une entreprise de diversion au regard du combat central. C’était avant Mai-68. Je me bats contre la dichotomie entre le social et le sociétal parce qu’en réalité, les sujets s’entremêlent. Je ne suis pas favorable à une approche reposant sur l’addition de luttes sectorielles, avec sa hiérarchie ancienne, mais pour une conception qui agrège et dégage du sens commun. Notre vision politique doit embrasser la cohérence de tous les combats émancipateurs.  clementine autain

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ECOLOGIE, AFFAIRES, PAUVRETÉ : LE GOUVERNEMENT AU PIED DU MUR


Appel pour la planète :

le gouvernement au pied du mur Une tribune pour sauver la planète, c’est bien. Demander aux politiques d’agir, c’est bien. Mais ne les laissons pas agir seuls. Réagissons !

« Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité », ni plus, ni moins. Voilà le titre de la tribune publiée ce lundi 3 septembre dans Le Monde, signée par 200 personnalités de la société civile. Un texte aussi bref que fort. Un texte à portée internationale, car ce combat contre la destruction de la planète ne saurait se gagner à une moindre échelle. La démission de Nicolas Hulot, la semaine dernière, de son poste de ministre de la Transition écologique aura eu l’effet d’un électrochoc. « Le pouvoir politique doit agir fermement et immédiatement », écrivent les signataires. On serait tenté d’ajouter : la société doit réagir. Car la démission de Hulot est aussi le signal de l’impuissance politique, l’affaiblissement

du rôle politique des ministères, mais aussi de l’absence de volonté politique face à la puissance des lobbys. Car nous sommes bien face à un « cataclysme planétaire ». Si l’humanité persiste à vivre comme elle le fait, tout sera anéanti. « Il ne restera presque plus rien ». « L’effondrement est en cours », peut-on lire. Des mots, des alertes, que l’on rabâche régulièrement sans que rien ne change réellement. Les lobbys continuent d’être les véritables maîtres des horloges. Le politique a plié il y a longtemps face au pouvoir de l’argent. NOUS SAUVERONS LA PLANÈTE Si cette tribune est nécessaire – comme

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le seront les prochaines, malheureusement –, il faut tout de même émettre une critique. Cette phrase : « Nous proposons le choix du politique – loin des lobbys – et des mesures potentiellement impopulaires qui en résulteront ». Quelles mesures impopulaires ? Ce n’est pas précisé… Alors, au hasard, proposons de mieux isoler les logements afin d’éviter le gaspillage énergétique (et les factures élevées) : impopulaire ? Développer plus encore les transports en commun, les rendre gratuits : impopulaire ? Faire en sorte que les pollueurs, les vrais, arrêtent de nous tuer à petit feu : impopulaire ? Une chose est sûre, si nous laissons la planète entre les mains seules de nos politiques, la partie est perdue d’avance. Soyons le lobby. Allons-les chercher. Pourquoi ne pas commencer samedi 8 septembre, à l’occasion de la Marche pour le climat ? Chiche ?  Loïc Le Clerc

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MAI 2018 : DES LUTTES, ENCORE DES LUTTES !

Un an en Macronie :

trois mises en examen, sept enquêtes en cours et deux affaires classées sans suite On vous aurait bien fait un Top 10 des macronistes confrontés à la justice, mais ils sont déjà quatorze. S’il fallait ne retenir qu’une seule promesse du candidat Macron, la «moralisation» décrocherait assurément la palme. Au final, la «grande» loi portée par François Bayrou n’aura été qu’une réponse à l’affaire Fillon. Un fait divers, une loi. Par la suite, la «morale» macronienne n’aura été qu’une suite d’affaires. À se croire dans l’Ancien Monde. Un peu plus d’un an à peine après l’élection d’Emmanuel Macron, prenons le temps de revenir sur les déboires de la Macronie. Trois mises en examen ALEXANDRE BENALLA ET VINCENT CRASE Faut-il encore présenter le feuilleton de l’été ? Alors qu’Emmanuel Macron profitait de sa piscine à 34.000 euros à Bré-

gançon, une vidéo montrant son homme de main élyséen molestant des manifestants le 1er-Mai venait assombrir le ciel estival macroniste. Alexandre Benalla n’est pas seulement un barbouze. Il intervient comme bon lui semble, en marge des manifestations, brassard «police» autour du bras. La loi, c’est lui. Le jeune homme de 26 ans dispose aussi d’une voiture (avec chauffeur) équipée de gyrophares, d’un badge lui permettant de se rendre dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale et et de porter des armes à feu. À ce propos, ces armes étaient conservées dans un coffre-fort au domicile de Benalla. Depuis que la justice s’est saisie de l’affaire, le coffre-fort a disparu. Pour la première fois du quinquennat, Emmanuel Macron est pris de court. Sa

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communication s’avère catastrophique. Lui et ses sbires accusent les journalistes de ne pas chercher la « vérité ». Même les plus conservateurs des syndicats de police s’offusqueront de voir Benalla invité du JT de TF1. Eux n’ont pas droit à autant de considération. L’Assemblée et le Sénat tenteront de jouer leur rôle de contre-pouvoir face à un super-Président. Le Palais-Bourbon, aux mains de LREM, abdiquera rapidement, se félicitant d’avoir fait la lumière sur cette affaire, alors que le ministre de l’Intérieur, le préfet de police ou encore Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président de la République, ont menti sous serment. Un scandale d’Etat que les marcheurs qualifieront de « tempête dans un verre d’eau ». L’Elysée aurait mis à pied Benalla 15 jours, après le 1er mai, avant de le licencier une fois l’affaire rendue public. Un « fait-divers » qui poussera Macron à réorganiser l’Elysée. Alexandre Benalla a été mis en examen le 22 juillet pour violences volontaires, immixtion dans l’exercice d’une fonction publique, port public et sans droit d’insignes réglementés, recel de détournement d’images issues d’un système de vidéo-protection et recel de violation du secret professionnel. Vincent Crase, un gendarme réserviste salarié du parti LREM, a lui aussi été mis en examen pour les mêmes faits.

De plus, Mediapart révèle que Ismaël Emelien, conseiller spécial d’Emmanuel Macron, devrait se voir lui aussi inquiété dans cette affaire. Il est accusé d’avoir détenu le CD montrant les images volées de la vidéosurveillance des violences du 1er mai. « Tout va bien », pourrait commenter le Président. M’JID EL GUERRAB Le 31 août 2017, M’Jid El Guerrab, alors député LREM, frappe violemment à coups de casque Boris Faure, un cadre du PS. Deux coups qui causeront un traumatisme crânien au socialiste. Pour sa défense, il accuse Boris Faure d’« insultes racistes ». Depuis, M’Jid El Guerrab a exclu du groupe LREM à l’Assemblée nationale. Il a aussi été mis en examen pour violences volontaires avec arme. L’instruction est toujours en cours. Sept enquêtes en cours JEAN-JACQUES BRIDEY Le 27 septembre 2018, Mediapart publie un article sur ce député LREM. Jean-Jacques Bridey, un des premiers «marcheurs», actuel président de la commission de la défense à l’Assemblée nationale, est « visé par une enquête préliminaire pour concussion », peut-on lire.

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MAI 2018 : DES LUTTES, ENCORE DES LUTTES !

Concrètement, Jean-Jacques Bridey est soupçonné d’avoir dépassé les plafonds d’indemnités concernant le cumul de mandats. Coût de l’opération : 100.000 euros. LAURA FLESSEL Le 4 septembre, quelques heures avant le remaniement post-Hulot, la ministre des Sports Laura Flessel annonce sa démission pour des « raisons personnelles ». Il n’aura pas fallu 24 heures pour que Mediapart révèle ces «raisons» : « Le fisc a récemment saisi la Commission des infractions fiscales (CIF) de Bercy, en vue d’une possible plainte pénale pour fraude, après avoir découvert des manquements déclaratifs de la ministre concernant une société de droit à l’image », peut-on lire. Plusieurs dizaines de milliers d’euros d’impôt seraient en jeu. A peine nommée, la nouvelle ministre des Sports,, Roxana Maracineanu, est épinglée dans la presse parce que, depuis 2012, elle occupe un logement social. FRANÇOISE NYSSEN Avant d’être nommée ministre de la Culture, Françoise Nyssen dirigeait la maison d’édition Actes Sud. C’est à la tête de cette dernière qu’elle s’est permis quelques écarts avec les règles élémentaires d’urbanisme. En 1997, lors de l’agrandissement des locaux parisiens

– un immeuble classé – , Françoise Nyssen avait fait réaliser les travaux « sans autorisation », ni « déclaration au fisc », écrit Le Canard enchaîné. Le journal satirique révèle également d’autres «irrégularités» dans des travaux au siège d’Actes Sud, dans le centre classé d’Arles, effectués en 2011. Une « négligence », tente d’expliquer la ministre. Le parquet de Paris a ouvert jeudi 23 août une enquête préliminaire. Le 16 octobre 2018, à l’occasion du remaniement post-démissions de Nicolas Hulot et de Gérard Collomb, Françoise Nyssen n’est pas reconduite à la Culture. ALEXIS KOHLER Outre son rôle dans l’affaire Benalla – Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, avait eu connaissance des agissements violents dès le mois de mai et n’a rien fait savoir à la justice, à l’instar de l’Intérieur et de l’Elysée – ce proche d’Emmanuel Macron est embourbé dans une affaire de conflit d’intérêts. Alexis Kohler a été directeur financier d’août 2016 à mai 2017 de l’armateur italo-suisse MSC, fondé par des membres de sa famille. Or, depuis 2010, il a aussi représenté l’Agence des participations de l’Etat auprès des Chantiers de l’Atlantique/STX France, dont

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MSC est client. Il siégeait également au conseil de surveillance du Grand Port maritime du Havre. Selon Mediapart, avec cette double (triple !) casquette, Alexis Kohler a ainsi pu conclure en 2011 des contrats entre MSC et le port du Havre. Le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Anticor a porté plainte pour « prise illégale d’intérêt », « corruption passive » et « trafic d’influence ». Début juin 2018, le parquet national financier (PNF) a ouvert une enquête à l’encontre du secrétaire général de l’Elysée. MURIEL PÉNICAUD 22 mai 2018, la ministre du Travail est entendue comme témoin assisté par le pôle financier du Tribunal de Paris. La justice enquête sur le rôle de Business France – société qui eut pour directrice générale Muriel Pénicaud – dans l’organisation d’une soirée à Las Vegas en janvier 2016 pour le candidat Macron. Une information judiciaire a été ouverte pour des soupçons de favoritisme en juillet 2017, mois au cours duquel Muriel Pénicaud a déclaré qu’elle n’avait « rien à se reprocher ». RICHARD FERRAND Au printemps 2017, Richard Ferrand fut, l’espace d’un mois, ministre de la Cohésion des territoires. En juin 2017, le parquet de Brest a ouvert une enquête préliminaire sur son passé à la tête des

Mutuelles de Bretagne de 1998 à 2012. Le ministre fut alors remercié et devint président du groupe LREM puis président de l’Assemblée. En 2011, Richard Ferrand a favorisé la société immobilière de sa compagne Sandrine Doucen pour l’obtention d’un marché lors de la location d’un local commercial par les Mutuelles de Bretagne. Après avoir été classée sans suite en octobre 2017, l’affaire est relancée en janvier 2018 avec l’ouverture par le PNF d’une information judiciaire pour prise illégale d’intérêts. La Cour de Cassation a ordonné en juillet 2018 le dépaysement à Lille de l’information judiciaire ouverte à Paris. Fin septembre 2018, trois juges d’instruction ont été désignés à Lille. FRANÇOIS BAYROU, MARIELLE DE SARNEZ ET SYLVIE GOULARD Mai 2017. Emmanuel Macron commence tout juste son mandat. Trois membres du MoDem font partie du gouvernement, à des postes majeurs : François Bayrou à la Justice, Marielle de Sarnez aux Affaires européennes et Sylvie Goulard aux Armées. François Bayrou aura tout juste le temps de porter sa «grande» réforme de « moralisation ». En juillet 2017, le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour abus de confiance, recel d’abus de confiance et

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MAI 2018 : DES LUTTES, ENCORE DES LUTTES !

escroqueries concernant des soupçons d’emplois fictifs d’assistants au Parlement européen. Les trois démissionneront dès juin 2017. Deux affaires classées sans suite GÉRALD DARMANIN Bonus Fin 2017, le ministre des Comptes publics est accusé de viol et d’abus de faiblesse par deux femmes. En février et mai 2018, les affaires sont classées sans suite. Le 31 août dernier, Gérald Darmanin a obtenu un non-lieu définitif pour une de ces affaires, au motif que « le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise », a expliqué le juge. La plaignante a fait appel. L’avocat du ministre a, quant à lui, annoncé l’intention de ce dernier de porter plainte pour « dénonciation calomnieuse ». NICOLAS HULOT En 2008, une plainte pour viol a été déposée à l’encontre de Nicolas Hulot. Plainte classée sans suite la même année, mais dévoilée en 2018 par le journal Ebdo.

AGNÈS BUZYN La ministre de la Santé a frôlé le conflit d’intérêts, ce dont son secteur d’activité n’a pas besoin pour être au centre de moultes théories du complot. À peine nommée, elle s’est vu privée de la tutelle sur l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), car celui-ci est dirigé par son mari, Yves Lévy, depuis juin 2014. Visiblement peu perturbé par la perspective d’un conflit d’intérêts, ce dernier laissait planer le doute, encore en juin dernier, qu’il pourrait briguer un nouveau mandat à la tête de l’institut. Il aura fallu attendre juillet 2018 et l’indignation de la communauté scientifique pour qu’Yves Lévy abandonne l’idée. Le 10 octobre, Yves Lévy a été nommé «conseiller d’Etat en service extraordinaire». Ou comment un médecin devient expert en droit public auprès du gouvernement.  Loïc Le Clerc

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Le Rugy et la fureur :

la nomination qui indigne

Le successeur de Nicolas Hulot sera-t-il à la hauteur ? Le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire est déjà la cible de nombreuses attaques, passif politique gratiné oblige. Dans le vieux monde de François Hollande, en 2011, alors qu’il venait à peine de recueillir 6% des voix à la primaire socialiste, Manuel Valls était propulsé à Matignon, nommé Premier ministre. Sept ans plus tard, dans le nouveau monde d’Emmanuel Macron, alors qu’il venait à peine de recueillir 4% des voix à la primaire socialiste, François de Rugy était propulsé au Perchoir, devenant le quatrième personnage de l’Etat. Le voilà désormais numéro 3 du gouvernement, ministre d’Etat chargé de la Transition écologique et solidaire. Bienvenue dans la Vème République, sous le régime macronien, où les ministres ne font plus de politique, au mieux sont-ils des superchefs d’administration, au pire sont-ils de simples faire-valoir.

Au lendemain de sa nomination, l’apprenti ministre n’a pourtant pas manqué de rattraper le micro par lequel son prédécesseur, Nicolas Hulot, avait annoncé sa démission. C’est sur France Inter toujours, interrogé par le duo le plus écouté de France, Léa Salamé et Nicolas Demorand, que le nouveau ministre d’Etat a réservé ses premières paroles. Les éléments de langage mal aiguisés, la piètre prestation du nouvel héros de l’écologie, a manqué de convictions. Et c’est peu dire. Aucune annonce, aucune inflexion. De la langue de bois. Rien, pas même le début d’une sincère détermination à agir radicalement pour la cause écologique, pouvant laisser entendre qu’il avait pris la mesure de la gravité de la situation. Le vide. Le vide de la pen-

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MAI 2018 : DES LUTTES, ENCORE DES LUTTES !

sée intellectuelle. Le vide de la vision politique et écologique. Il y a urgence, qu’ils disaient… INCONSISTANCE POLITIQUE ET VIDE IDÉOLOGIQUE Les deux animateurs de la matinale ont dû rester sur leur faim. Les auditeurs et la planète aussi. Rien, comme le rappelle Greenpeace France depuis son compte Twitter sur « la pollution des cours d’eau, les boues toxiques, les déchets radioactifs, l’urgence climatique ou la sauvegarde de la biodiversité ». À peine a-t-on entendu quelques rares poncifs sur les enjeux écolos. Pire, répondant à une question d’un auditeur sur l’enfouissement des déchets radioactifs, de Rugy a sèchement répondu qu’un « ministre n’est pas là pour répondre à un interrogatoire. » Circulez, y’a rien à voir. Peu importe les convictions, de Rugy n’avait sans doute pas reçu consigne pour répondre à la question. Il faut dire que ce tour de passe-passe politique a principalement consisté à libérer le perchoir pour, vraisemblablement l’offrir à Richard Ferrand, lui-même libérant la présidence de son groupe parlementaire pour échoir à une autre figure médiatique de la Macronie. L’ancien monde. Aux enjeux planétaires, de survie de l’Humanité, préférons la politique politicienne. Derrière ce “remaniement technique”

comme voudrait le laisser entendre Emmanuel Macron en refusant d’admettre la “crise politique” que traverse sa majorité, la question démocratique, la question de “qui décide”, se pose plus que jamais. Et ce matin sur France Inter, l’apprenti ministre en a fait la démonstration, en s’exécutant. Sans pouvoir. Ni savoir. Il semble ne pas avoir débordé de ce qu’il lui avait été permis de dire. Ou de commenter. Parce que c’est à l’Elysée, qui maintient le cap de l’obsession de la croissance et des accords de libres échanges, que les grandes décisions, sont prises. Evidemment. Notamment en matière budgétaire. Et là-dessus, rien de neuf sous le soleil. Rien sur l’isolation thermique, l’éolien ou le nucléaire. Aucune ambition. Aucune anticipation. Aucune planification. La politique des petits pas. Du surplace. Pire, un retour en arrière. « Tout ça pour ça », « opportuniste », « ministre des apparences écologiques », « membre éminent de la Macronie », « l’homme des compromis et des compromissions », « dommage pour l’écologie », « il suivra la voix de son maître » De ministre de l’Écologie, il n’y a plus. Les commentaires, de droite à gauche, ne suscitent guère l’enthousiasme. Personne ne semble croire dans la capacité

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– et la volonté – de François de Rugy à défendre avec force et convictions les enjeux écologiques. Trop politicien. Et insincère. Nombreux doutent aussi de sa capacité – et de sa volonté – à tenir tête aux lobbys, dont Nicolas Hulot avait pourtant dénoncé le pouvoir dévastateur. Pas étonnant, d’ailleurs, que la première à s’être félicitée de la nomination de François de Rugy soit la Fédération nationale des chasseurs. DÉCHU DU PERCHOIR Aussi, l’expérience d’une année à l’Assemblée nationale n’est pas pour rien dans ce déferlement de commentaires pessimistes. « C’est celui [François de Rugy] qui a fait en sorte de retarder le débat sur la question du glyphosate », a rappelé le député LFI Eric Coquerel, allant jusqu’à convoquer un vote au parlement en plein milieu de la nuit pour faire capoter un amendement qui proposait l’interdiction du glyphosate. Critiqué de toute part de l’hémicycle, des Insoumis aux communistes en passant par Les Républicains et les centristes, sur l’exercice de ses fonctions, sans doute restera-t-il dans la mémoire comme le pire président de l’Assemblée nationale de la Vème République, là où Philippe Seguin, Raymond Forni

ou Jean-Louis Debré avaient obtenu le respect de la plupart des groupes politiques. Mais c’est ainsi en Macronie, les fidèles et les médiocres, les “fayots” et les “godillots” sont toujours récompensés. Il faudra bien plus de deux cent personnalités, appelant en une du Monde à un sursaut écologique, pour que « le plus grand défi de l’histoire de l’Humanité » soit réellement pris en compte. Parce que, précisément, il y a urgence. Mais alors que la maison brûle, le gouvernement semble déterminé à vouloir regarder ailleurs… Rendez-vous samedi à la Marche pour le climat.  pierre jacquemain

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MAI 2018 : DES LUTTES, ENCORE DES LUTTES !

La France a faim, Macron se gave À deux jours de l’annonce du «plan pauvreté» par le président de la République, le Secours populaire dévoile une étude sur la pauvreté en France et les chiffres sont plus qu’alarmants. Plus d’un Français sur cinq ne mange pas à sa faim. C’est le constat catastrophique du baromètre Ipsos-Secours populaire, publié ce mardi 11 septembre. « 21% des Français ont du mal à se procurer une alimentation saine pour assurer trois repas par jour », peut-on lire sur le site de l’association. Et, malheureusement sans surprise, chez ceux qui gagnent moins de 1200 euros par mois, 53% ne peuvent se permettre de manger des fruits et des légumes au quotidien. De même, un Français sur cinq admet avoir des difficultés à payer la cantine scolaire. Toujours sur le site du Secours populaire, on lit ceci : « Les interviewés dont les revenus actuels sont les plus faibles sont 65 % à avoir été pauvres ». Des données qui ne cessent de croître au fil des ans.

Dans Le Figaro, Richard Beninger, secrétaire national du Secours populaire, constate que « la question de l’alimentaire devient une variable d’ajustement chez les familles les plus modestes ». Dans l’attente du «ruissellement», on peut noter que le taux de pauvreté en France est passé de 13,2% en 2008 à 14,2% actuellement. Dans le même temps, le Cac 40 a connu sa meilleure année depuis 10 ans. Début juillet, l’exécutif avait reporté l’annonce de son plan pauvreté pour cause de coupe du monde de football – selon le propre avis de la ministre de la santé Agnès Buzyn. La France étant depuis championne du monde, voilà qui nous amène au jeudi 13 septembre. Entre temps, Emmanuel Macron avait fait fuiter sur les réseaux sociaux une vidéo

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le montrant en train de préparer un discours sur le thème de la pauvreté. Il y disait notamment cela : « On met un pognon de dingue dans les minimas sociaux et les gens ne s’en sortent pas. Les gens pauvres restent pauvres, ceux qui tombent pauvres restent pauvres. »

DANS «ANTISOCIAL», IL Y A «SOCIAL» Si l’on ne connaît pas pour l’instant le détail de ce plan pauvreté, des grandes lignes se dessinent déjà. Il serait notamment question d’une homogénéisation du calcul des diverses allocations, voire d’une fusion de prestations sociales, laquelle serait accompagnée d’une automatisation du RSA. Pour mettre ceci en place, Agnès Buzyn promet des moyens financiers supplémentaires. À les écouter, les Français les plus démunis verront leurs démarches simplifiées et ne passeront plus à côté de telle ou telle allocation, perdue dans la masse administrative. Mais tout ceci ressemble à une jolie fable, dans une Macronie où la baisse de la dépense publique et le mythe du self-made-man sont les deux piliers d’une « pensée complexe ». Parce qu’en Macronie, il y a « les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Comprendre que ceux qui ne sont

rien, ceux qui sont au chômage, ceux qui sortent du système scolaire ou qui survivent avec les minimas sociaux, ceux-là sont, pour Emmanuel Macron, responsables de leurs situations. Ils ne peuvent éternellement dépendre de la solidarité collective. Dans le viseur, l’Etat social. La fin de l’Etat providence. Seuls les «méritants» auront désormais voix aux chapitres. D’où les cadeaux aux entrepreneurs et aux entreprises, depuis le début du quinquennat. Parce que «eux» réussissent. Parce que «eux» sont méritants. Selon RTL, Macron envisagerait toutefois de créer « une complémentaire santé à 1 euro maximum par jour et par personne » pour les plus précaires, une sorte de CMU élargie. Ou comment passer de la sécurité sociale à un système assurantiel et individualisé. Quoi qu’il en soit, jeudi prochain, Emmanuel Macron entend faire de ce plan le fer de lance d’un « virage social », comme disent les commentateurs du dossier, sans blaguer. De son côté, Richard Beninger ne semble pas dupe de ce nouveau plan pauvreté. Toujours au Figaro, il lance : « La pauvreté, ce n’est pas un dossier supplémentaire, c’est une question cruciale pour la société ». On se souvient comment avait terminé le plan banlieues…  Loïc Le Clerc

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Mort de Clément Méric :

première journée du procès

La première journée du procès faisant suite au décès de Clément Méric s’est achevée mardi 4 septembre aux alentours de 22h. Elle a été le théâtre de nombreux moments marquants, tant dans la salle d’audience que dans la rue. Hier soir, la rue de Caumartin est devenue la rue Clément Méric. Près de 200 personnes se sont rassemblées en hommage au jeune militant dans le 9ème arrondissement, où une plaque en sa mémoire fut apposée alors que résonnaient des chants et des slogans antifascistes. Dans cette même rue, alors âgé de 18 ans, Clément Méric décédait à la suite de coups reçus au visage lors d’une bagarre avec des skinheads d’extrême droite le 5 juin 2013. Trois de ces derniers se retrouvaient plus tôt dans la journée devant la Cour d’Assises de Paris : Esteban Morillo et Samuel Dufour comparaissaient pour violences en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner avec usage ou menace d’une arme, ainsi qu’Alexandre Eyraud, jugé pour violences volontaires.

PLUSIEURS MANQUENT À L’APPEL Le procès s’est ouvert dans l’incertitude. À 10h30, soit une heure après l’horaire prévu, l’audience n’a toujours pas débuté. Et pour cause : la chaise où doit siéger Samuel Dufour est vide. « La Cour est forcée de constater l’absence de Samuel Dufour », déclare la Présidente, qui ajoute que le prévenu est « introuvable et injoignable ». Le procès ne pouvant débuter sans lui, une suspension d’audience est annoncée. À la reprise, en début d’après-midi, l’ancien skinhead est bien présent. Face à la Cour, il invoque un contrôle de police aux abords du tribunal qui se serait prolongé dans un commissariat de l’arrondissement, motif confirmé par l’avocat général. À l’appel des témoins, une autre absence significative est remarquée : celle de Serge

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Ayoub, ancien leader des skinheads de Paris et fondateur de «Troisième Voie» et des «Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires» (groupuscules fascistes impliqués dans cette affaire). Son absence est motivée par un courrier accompagné d’un certificat médical, attestant un état de santé qui ne lui permettrait pas de se rendre à l’audience. Le surnommé Batskin poursuit en assurant ne pas vouloir se soustraire à ses obligations, avant d’indiquer des risques de troubles et ajouter avec une teinte de provocation qu’il était « hors de question que le drame [la mort de Clément, NDLR] se reproduise […] et [qu’il soit] obligé de se défendre » s’il venait à être pris à parti. Une troisième absence, celle d’un autre témoin, est signalée au début du procès. Un militant d’extrême droite, présent lors de la bagarre mais ayant bénéficié d’un non-lieu lors de l’instruction, prétexte quant à lui… des vacances en Corse. Un motif léger pour la présidente, qui suggère « d’écourter [ses] vacances ». « VOUS DITES QUE VOUS AVEZ CHANGÉ, […] VOUS AVEZ JUSTE GOMMÉ » E. Morillo demeure le centre des attentions de la journée. L’auteur du coup fatal donné au militant antifasciste a délaissé le look skinhead pour un bien plus sobre costume noir, et le crâne rasé a laissé

place à une sage mèche coiffée. Lors de la lecture du rapport retraçant les faits, il fixe le sol d’un regard vide. Appelé à la barre, ce dernier a présenté son engagement fasciste comme une attitude qu’il souhaitait laisser paraître, plus que de réelles convictions. Tout en minimisant son rôle au sein de «Troisième Voie» dont il assure n’avoir jamais été membre, il se définit comme un suiveur, ignorant bon nombre des pratiques et symboliques, tout en prenant le soin de ne jamais évoquer de liens directs avec S. Ayoub. Ainsi, lorsque la Présidente interroge le prévenu sur son tatouage «Travail Famille Patrie», il indique avoir appris seulement après sa signification : « Je ne savais pas que c’était la devise de Vichy […] je trouvais juste la devise belle. » Un deuxième tatouage, représentant le trident de «Troisième Voie», aurait été fait seulement pour « impressionner » les autres. Même réponse quand la présidente décrit son compte Facebook, où il affichait Mein Kampf. Il affirme ne jamais l’avoir lu ni eu entre les mains, et l’avait publié pour « être bien vu ». Quant aux « propos violents » dont fait état la présidente sur ce même compte, il assure ne pas s’en souvenir. L’ignorance affichée par E. Morillo prend

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parfois des allures d’amnésie. Lorsque Maître Ouhioun, avocate de la partie civile, évoque une photo le montrant aux côtés de S. Ayoub, brandissant un drapeau des JNR (avec lesquelles il avait assuré quelques minutes plus tôt n’avoir jamais été en lien), il indique d’une voix pâle : « je ne me souviens plus ». Le ton monte lorsque l’avocat général prend la parole suite aux déclarations du prévenu, qu’il estime se dérober devant son passé. « Étiez-vous un nazi ? », lance-til, avant d’ajouter, devant la réponse négative de l’intéressé : « Êtes vous courageux ? ». Le constat est le même pour Maître St-Palais, avocat de la famille Méric, qui déclare : « Vous dites que vous avez changé monsieur, moi j’ai l’impression que vous avez juste gommé ». DES ZONES D’OMBRE À ÉCLAIRCIR Tout au long de ce procès, la Cour s’efforcera de faire la lumière sur des zones d’ombre présentes dans la défense de E.Morillo. Des contradictions et des versions floues ont été évoquées lors de cette première journée, notamment par les avocats de la partie civile. Ainsi, lors de l’étude de personnalité, l’ancien skinhead déclare avoir quitté le CFA boulangerie dans lequel il étudiait, évoquant un redoublement imposé. Un des avocats de la partie civile fait part d’une autre ver-

sion, issue du dossier d’instruction : E. Morillo aurait été exclu, après avoir porté des bijoux néonazis, dont une bague frappée d’une croix gammée. L’accusé nie en bloc. Ces bijoux, confisqués, auraient été pourtant remis à la Justice dans le cadre de l’enquête, selon la présidente. Au sujet des poings américains retrouvés chez lui, Morillo invoque la crainte de cambriolage, contredisant sa version lors de l’instruction où il avait indiqué être un collectionneur. Ses tatouages fascistes, recouverts en juillet dernier (soit quatre ans après sa sortie de détention provisoire) par l’ancienne barmaid du bar tenu par Serge Ayoub, posent question. Il assure, malgré sa volonté de sortir de ce milieu, avoir été contraint de la contacter après avoir essuyé le refus de chaque salon où il s’était rendu. Un troisième tatouage est abordé : une toile d’araignée au coude, porté également par A. Eyraud. Quand Morillo évoque « un truc de marin, piller de bar », la présidente décrit pour sa part une signification liée aux skinheads, indiquée par Eyraud lors de l’instruction, devant des signes de protestation de la part de ce dernier. LE PROCÈS DES VIOLENCES D’EXTRÊME DROITE Rue de Caumartin, scandés au milieu des poings levés, des « On oublie pas, on

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pardonne pas » retentissent dans la rue piétonne. Un devoir de mémoire envers Clément, bien sûr, mais aussi également envers toutes les victimes des violences de l’extrême droite. Mettre en lumière les agissements violents des groupes fascistes est un enjeu majeur de ce procès, et négliger le caractère politique de ce drame est une erreur, bien trop souvent commise dans certaines analyses. Le Comité pour Clément indique dans un communiqué attendre du procès « que la vérité soit dite publiquement sur les circonstances de la mort de Clément », ainsi que la « dimension politique de ce crime soit clairement mise en évidence ». Devant la salle d’audience, le père du jeune militant le rappelle également : « Ce procès sera aussi celui des violences d’extrême droite. » Tout au long des dix jours de procès, des événements sont organisés par le Comité. Ils seront, en parallèle des audiences, des lieux d’échanges et de mobilisation, à la mémoire de Clément et de ses combats.  Sofyaine C.

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Sachez-le, traiter Génération identitaire de « nazi », c’est risquer le tribunal Pour avoir dénoncé les agissements du groupuscule d’extrême droite, Madjid Messaoudene, élu à Saint-Denis, et Thomas Portes, porte-parole du PCF du Tarn-etGaronne, sont assignés en justice. Devinette. Quand un groupuscule d’extrême droite se rend à la frontière franco-italienne pour jouer à la chasse aux migrants, qui a des ennuis avec la justice : les «miliciens» ou ceux qui les dénoncent ? La réponse n’est pas une mauvaise blague. Madjid Messaoudene, élu à Saint-Denis, et Thomas Portes, porteparole du PCF du Tarn-et-Garonne, sont tous deux assignés en justice par Génération identitaire. Revenons un peu en arrière. Le 22 avril dernier, une centaine de militants de

Génération identitaire se rendent au col de l’Échelle, dans les Hautes-Alpes, pour y monter une frontière symbolique. Ils sont suréquipés : deux hélicoptères, des pick-ups, des drones. Le but de l’opération : « défendre l’Europe » contre « l’invasion ». Face à cette action, de nombreux internautes réagissent, jugeant qu’on ne peut laisser une bande de fachos faire la loi en France. Parmi ces commentaires, ceux de Madjid Messaoudene et Thomas Portes, que voici :

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« Pourquoi y’a pas d’avalanche quand Génération identitaire font du trek en bande nazie ? » « On poursuit Cédric Herrou ainsi que toutes celles et ceux qui font preuve de solidarité et d’humanité. En revanche, on laisse faire un groupuscule néo-nazi qui mène une opération raciste et dégueulasse. Bienvenue dans le nouveau monde. »

APPELER UN CHAT UN CHAT « Bande nazie » et « néo-nazi », voilà les termes qui n’ont pas plu à Génération identitaire. « Ce qui les dérange, c’est qu’on les qualifie de ce qu’ils sont », commente Thomas Portes, contacté par Regards. Mais au-delà de ça, « ce qui est choquant, nous explique Madjid Messaoudene, c’est l’accumulation d’actions – il y a déjà eu le bateau «anti-migrants» CStar – et l’impunité dont ils bénéficient ». L’élu dionysien en reste « sans voix » lorsqu’il entend la réaction du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Au moment des faits, il les qualifie de « gesticulations ». Alors qu’en parallèle, Cédric Herrou ou Martine Landry d’Amnesty

passent devant les juges pour avoir aidé des réfugiés. Thomas Portes s’indigne de voir que « celles et ceux qui font preuve de solidarité sont poursuivis », là où l’extrême droite agit impunément « avec la complicité passive du gouvernement », ajoute Madjid Messaoudene. Tous les deux se sont vus assignés en juillet dernier pour «injures publiques». Chacun a depuis créé un comité de soutien (à retrouver ici et là). L’Etat d’extrême droit(e) « A-t-on le droit de combattre l’extrême droite ? », interroge Madjid Messaoudene. Ce dernier analyse la « passivité » de l’exécutif de la sorte : Génération identitaire considère l’immigration comme un fléau, le gouvernement aussi. Il en veut pour preuve la loi Asile et immigration, adoptée en août. Leur procès se tiendra le 20 septembre. Ils risquent une amende de 5000 euros (sans compter les frais de justice). Une condamnation serait un « très mauvais signal », anticipe Madjid Messaoudene, qui attend de voir l’attitude du procureur qui, au pire des cas, devra se justifier publiquement. Et Thomas Portes l’assure : « Quoi qu’il arrive, je continuerai à dénoncer l’extrême droite ».  Loïc Le Clerc

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Procès Méric : la violence de l’extrême droite en accusation Ce vendredi, au terme du procès faisant suite à la mort du jeune militant, la Cour d’Assises de Paris a condamné deux des trois skinheads impliqués. Au delà du seul verdict, ces deux éprouvantes semaines d’audiences et les événements organisés en parallèles ont permis une repolitisation de cette affaire. « Qu’attendez vous de ce procès ? » Devant la Cour d’Assises, Agnès Méric, la mère de Clément, répond à la question de la présidente : « On attend le respect de la mémoire de Clément, de ce qu’il était ». Lors d’une réunion publique en hommage au jeune militant, Geneviève Bernanos, fondatrice et porte-parole du Collectif des Mères solidaires et amie d’Agnès Méric, complète cette dernière. « Nous, les mères, réclamons la mise en lumière de la vérité des faits. Faire reconnaître les crimes commis par les autorités publiques ou par les fascistes. »

CONCLUSIONS DU PROCÈS Jeudi, l’avocat général énonçait ses réquisitions. Dans un long développement, il reconnaît coupables les trois skinheads de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, en réunion et avec l’usage d’une arme. Il commence son réquisitoire en soulignant que la bagarre n’a pas été subie par les accusés, comme ces derniers le laissaient entendre. Il affirme que « cet affrontement était évitable », puis rajoute : « les accusés ont choisi de venir au devant d’un adversaire désigné ». Il pointe ici la décision délibérée des militants d’extrême droite de

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sortir du bâtiment vers la gauche, où se trouvaient, une trentaine de mètres plus loin, Clément et ses amis, plutôt que de partir à droite comme l’avait conseillé un des vigiles de la vente. Vient ensuite la question cruciale de l’usage de poing américain, nié par E. Morillo et S. Dufour depuis le début de l’instruction. Cette utilisation, circonstance aggravante, est retenue par l’avocat général, qui s’appuie notamment sur les témoins oculaires. En effet, sur onze entendus lors de l’instruction, cinq de ces derniers affirment avoir vu la pièce de métal, sans que les six autres ne puissent l’infirmer. Autre circonstance aggravante retenue : les violences ont été commises en réunion. « Leur action est indivisible du groupe » estime l’avocat général. Il requiert 12 ans de réclusion criminelle pour E. Morillo, 7 ans d’emprisonnement pour S. Dufour, et 4 ans dont 2 avec sursis pour A. Eyraud. Le lendemain, après les derniers mots des accusés, la Cour se retire pour délibérer. C’est au terme de neuf interminables heures de débats que celle-ci rendra son verdict, dans une salle d’audience plongée dans une atmosphère irrespirable. La Cour suit les réquisitions de l’avocat général en retenant les deux circonstances aggravantes (l’arme et la réunion) pour S. Dufour et E. Morillo, avant de prononcer à leur encontre les peines respectives

de 7 ans d’emprisonnement et 11 ans de réclusion criminelle. Elle acquitte en revanche A. Eyraud. S. Dufour, en larmes, et E. Morillo abasourdi, sont menottés et emmenés dans le box vitré de la salle d’audience. Leurs avocats ont annoncé dès la sortie de la salle qu’ils allaient faire appel de cette décision. « LA MORT DE CLÉMENT N’EST PAS UN FAIT DIVERS » Ce procès aura été l’occasion de souligner le caractère politique de cette affaire, comme le souhaitait le Comité pour Clément. Dès le premier jour et tout au long de celui-ci, les accusés ont tenté de nier ce fond politique, en minimisant autant que possible leur rôle au sein des groupuscules fascistes. Quand ces derniers n’affichaient pas une amnésie chronique (qui avait le don d’agacer la Cour et l’avocat général), ils invoquaient tour à tour l’ignorance, la crédulité ou le désoeuvrement. Serge Ayoub, dans un état de santé bien moins inquiétant que ne le laissait entendre son certificat médical, est également venu crier, dans un numéro aussi bruyant qu’indécent, la respectabilité de sa doctrine. Entendu comme témoin, le leader de Troisième Voie, la voix portante, tonne que son mouvement « [n’est] pas fasciste » mais « républicain », et qu’une croix gammée arborée par plusieurs de

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ses membres dont un des accusés, est simplement synonyme d’un « va te faire foutre ». Toute cette stratégie de dépolitisation tend à faire oublier une chose : l’idéologie qui animait les skinheads, et la haine et la violence qu’elle porte en elle. Depuis toujours, l’extrême droite mutile et tue. Clément, mais aussi Brahim Bouarram, Hervé Rybarczyk, les agressions antisémites ou islamophobes, les ratonnades contre les migrants à Calais ou ailleurs, et encore bien d’autres choses nous le rappellent. « Si on ne s’intéresse qu’aux faits divers, on ne comprend pas ce qu’il se passe, lance Mohammed, militant antifasciste, […] il y a une vraie dynamique de l’extrême droite et d’une incarnation de sa politique, c’est-à-dire la violence ». Pour lui, la mort de Clément n’a rien d’un hasard. Il a été pris pour cible parce que reconnu en tant que militant antifasciste, par des militants néonazis arborant fièrement des symboles fascistes. En atteste la panoplie de ces derniers : un t-shirt Blood and Honour (sang et honneur, maxime des Jeunesses Hitlériennes), et un autre avec l’inscription White power : 100% pure race. Quant au quatrième skinhead arrivé au moment de la bagarre, il affichait pour sa part le visuel Good night left side (bonne nuit les gauchistes), montrant un coup porté à une personne arborant l’étoile à cinq branches.

« Il a été tué parce qu’il faisait partie d’un groupe de gens qui ont exprimé leur désaccord avec ces symboles », affirme à la barre un des camarades de Clément, présent lors du drame. Lorsque la défense évoque les « provocations » du jeune militant, Agnès Méric répond dignement : « il a pu s’opposer très fermement face à des idées racistes, oui. Mais je n’appelle pas ça de la provocation. J’appelle ça quelqu’un qui s’indigne. » Les proches de Clément tiennent également à souligner « l’indécence » des discours visant à décrire le drame comme l’on décrirait la bagarre banale de deux bandes « ayant mal tournée », les mettant sur un pied d’égalité. « On ne met pas impunément dos à dos des groupes néonazis au mouvement antifasciste, sans faire le lit de la haine et de la division », assure Geneviève Bernanos. Une vie de lutte plutôt qu’une minute de silence « On veut se laisser envahir par la vie de Clément. » Tels ont été les mots d’Agnès Méric à la barre. Ses proches tiennent à garder vive la flamme de la mémoire de Clément. Ses camarades, aux côtés desquels il militait, entendent bien s’y tenir. Et comme tout militant politique ayant quitté ce monde, il continue à vivre à travers les combats qu’il menait de son vivant. « Clément vit dans nos luttes », peut-on lire sur les banderoles dans les rassemblements

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en son hommage. A la Bourse du Travail, une réunion publique est organisée par l’Action Antifasciste Paris-Banlieue entre les deux semaines d’audience pour faire de ce moment un « temps politique », en parallèle du temps judiciaire. Analyses du fascisme et témoignages poignants se mêlent, devant les parents de Clément présents dans l’auditoire. Assa Traoré, la soeur d’Adama Traoré rend elle aussi hommage au jeune militant. « [Adama et Clément sont] nos morts », lance-telle. Dans son combat pour obtenir justice suite à la mort de son frère, elle réaffirme ne pas baisser les yeux. Le même mot d’ordre qui orne le visage de Clément sur la banderole accrochée au-dessus d’elle. Cet hommage politique marque la volonté de poursuivre les luttes dans lesquelles Clément s’investissait. Geneviève Bernanos conclut son intervention par la lettre des amis de Carlos Palomino, militant antifasciste espagnol assassiné par un néonazi, qui appelle en ce sens : « Depuis Madrid nous voulons apporter tout notre soutien et notre affection aux camarades de Clément et à sa famille dans ces moments difficiles. […] Pour toutes les victimes du fascisme, pas une minute de silence. Toute une vie de lutte. No pasarán ! »  Sofyaine C.

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