Daily Note - Villette Sonique

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VILLETTE SONIQUE, PARIS, 25-30 MAI 2012

LE JOURNAL DE LA RED BULL MUSIC ACADEMY


RED BULL MUSIC ACADEMY

WE ARE A SONIC FAMILY

Par Clovis Goux

L

orsque l’on évoque l’histoire d’un festival de musique, il est d’usage de souligner le nombre exponentiel de ses spectateurs (logiquement proportionnel à celui des litres de bière écoulés), tout en constatant que malgré son succès « le festival a su conserver son identité » et se soucie désormais d’environnement grâce à la mise en place d’un système de verre consigné (adieu les parterres étincelants de gobelets en plastique abandonnés par les marées humaines). Tout ceci est sans doute vrai au sujet de Villette Sonique. Mais ce qui importe chaque année depuis sept ans à ses fidèles est surtout de savoir qui va y jouer, l’annonce de la programmation de Villette Sonique étant pour beaucoup aussi cruciale que celle de la sélection de l’équipe de France à l’approche de la Coupe du monde pour les amateurs de football. À une différence notable : Villette Sonique gagne à chaque fois. En ne misant jamais sur les usual suspects en rotation dans la plupart des festivals d’été, ses organisateurs ne se laissent en effet guider que par leurs envies : celle de faire découvrir des artistes essentiels qui ont souvent préféré l’ombre à la lumière, celle de rendre hommage aux pionniers des musiques alternatives, celle d’esquisser les perspectives de futurs paysages sonores, celle enfin de réconcilier, une fois n’est pas coutume, toutes les chapelles de l’underground. Un metal head pourra ainsi trinquer avec un bad boy à l’indécente santé de la synth pop et à l’éternelle jeunesse du punk rock. Sans élitisme et sans frontières, Villette Sonique ne s’adresse donc ni aux consommateurs de musique ni aux niches mais bien plus aux curieux, une démarche qui rappelle celle de la Red Bull Music Academy : qui se ressemble s’assemble. Parmi la sélection pléthorique de cette année, qui réussit à faire le grand écart entre hip hop, stoner, hardcore et électro, l’équipe du Daily Note, le journal de la Red Bull Music Academy, a choisi de poser quelques jalons qui sont autant de visions subjectives d’un festival devenu, à nos yeux, indispensable. Bonne lecture, bon festival.

Rédacteur en chef

Direction artistique

Remerciements

CLOVIS GOUX

GAËL HUGO

Patrick Thévenin, Étienne Blanchot, Savoir Faire, Ygal Ohayon.

clovisgoux@gmail.com

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Coordination

Illustrateur

buteurs compétents et respectés. Elles ne reflètent pas nécessairement

GUILLAUME SORGE

NAGAWIKA

celles de Red Bull.

Les opinions exprimées dans la présente édition sont celles de contri-

guillaumesorge@gmail.com Publication éditée par Red Bull France, Directrice de la publication

Rédacteurs

à l’occasion du festival Villette Sonique.

LAURENCE DESARZENS

PHILIPPE AZOURY

Merci de ne pas jeter ce journal sur la voie publique.

laurence.desarzens@fr.redbull.com

LELO JIMMY BATISTA

Ce journal est gratuit et ne peut être vendu.

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THOMAS BLONDEAU

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ÉTIENNE BLANCHOT:

Etienne Blanchot, par Philippe Lévy

« UNE GOUTTE DE MÉDOC DANS UN OCÉAN DE SANGRIA »

Depuis sept ans, Étienne Blanchot programme Villette Sonique. Il nous explique pourquoi c’est aujourd’hui l’un des meilleurs festivals français. Propos recueillis par Clovis Goux & Guillaume Sorge Comment est né Villette Sonique ? Tout a commencé dans le Parc de la Villette avec les aprèsmidi Feed back que l’on peut voir comme la version bêta de Villette Sonique : un parcours musical déjà très éclectique artistiquement ( Jamie Lidell, le premier concert parisien de LCD Soundsystem mais aussi Liars ou Wolf Eyes…) où on a pu apprécier durant trois années la capacité sidérante du public à partir en vrille sur des musiques qu’il n’aurait jamais pensé écouter auparavant. Villette Sonique a découlé de cette expérience transgressive, de toutes ces énergies. On a conservé bien sûr les concerts en après-midi tout en développant au fil des années une programmation en salles. Quelle était ta vision de ce festival à l’origine ? On voulait proposer un événement qui parle de musique au sens large et sans limites de genre. On voulait surtout rompre avec le turnover permanent des groupes de saison en prenant le temps de s’arrêter sur le travail de musiciens « auteurs ». Mettre aussi en perspective la musique d’aujourd’hui, en tournant la lumière sur des musiciens fondateurs ou outsiders. On tenait aussi à déplacer un peu les lignes dans ce paysage français bien clivé avec d’un côté des festivals majoritairement frileux jugeant « difficiles » toutes les musiques non formatées de pied en cap indie rock, et de l’autre des scènes underground bien vivaces mais un peu trop repliées sur elles-mêmes…

Comment as-tu vu Villette Sonique évoluer depuis sa création ? Le festival s’est installé au fil des années auprès du public, des professionnels et des musiciens et jouit d’une crédibilité qui permet de proposer chaque année des expériences différentes, de prendre des risques. Mais sur le fond, rien n’a changé : le principe essentiel reste plus que jamais de faire le festival où on aurait envie d’aller comme spectateur exigeant, donc d’éviter à tout prix la routine, de privilégier toujours la surprise. Les contre-pied s’imposent assez naturellement, aussi la couleur du line-up cette année fait la part belle à des groupes hip-hop, stoner, cold alors que celui de l’année dernière était très pop avec Animal Collective, Thurston Moore, Caribou... As-tu des regrets ? Le regret éternel, c’est l’inconsolable disparition de Trish Keenan, précisément l’année où Broadcast avait enfin répondu par l’affirmative à mon invitation. Ta programmation fait souvent appel à la curiosité du public, as-tu l’impression d’être seul dans cette position ou vois-tu d’autres festivals prendre cette direction ? Un pays qui adule Ben l’oncle Soul ou Shaka Ponk a quand même un peu les festivals qu’il mérite. La France a plus viscéralement une histoire avec le cinéma qu’avec la musique. Maintenant, si la très grande majorité des festivals se contente

plus que jamais de servir la soupe, il y en a quand même de plus en plus qui proposent une vraie ligne éditoriale. Des Nuits Sonores (pour prendre le plus gros) au Midi Festival (le plus petit), il y a eu ces dernières années, un vrai renouveau des propositions qui sont malheureusement comparables à une goutte de Médoc dans un océan de sangria. Vu de loin, on a un peu l’impression que Villette Sonique est un petit frère des festivals anglais ATP voire le fils spirituel des Transmusicales de Rennes... Acceptes-tu ces filiations ? Ce sont effectivement, chacun dans leur genre, des références, des festivals qui proposent un vrai point de vue, qui racontent une histoire. J’ajouterais Aquaplaning (à Hyères, au début des années 2000) pour l’hédonisme : ce festival alliait une audace remarquable de programmation à des sites exceptionnels. La qualité d’un festival se juge en grande partie aussi par le contexte qu’il offre au public et aux artistes. David Guetta est booké un peu partout cet été. Tu n’as pas l’impression d’avoir loupé quelque chose ? Ça se précise : c’est foutu pour la Rolex. Faire David Guetta ou pas va être la grosse prise de tête des festivals industriels cette année. Je n’aimerais pas être à leur place.

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RED BULL MUSIC ACADEMY 2012

Gianfranco Tripodo / Red Bull Music Academy

SONGS FROM NEW YORK

Après Rome, Cape Town ou Londres, la Red Bull Music Academy s’installe à New York en 2012. Un endroit de rêve pour ce workshop pas comme les autres. Par Thomas Blondeau

« M

ec, il y a eu tellement de choses avant nous ! New York est le centre de tout, tout sort d’ici et tout est à découvrir. Il y les Jazz Messengers mais il y aussi Sonic Youth et ensuite il y a Wu-Tang. Je vais dans les clubs les plus précieux de la planète et je bouffe des Donuts sous les fumées de Harlem. Cette ville nous tient et nous tue. New York, c’est le monde, mais en plus grand.» Cette ode un peu hallucinée lâchée un soir de 2005 par RZA (Wu-Tang Clan) de passage à Paris, résume parfaitement l’importance de New York sur l’échiquier artistique mondial. Du jazz de Harlem aux blockparties du Bronx, des clubs folk de Greenwich jusqu’aux artères de Brooklyn magnifiées par le bandit Notorious Big, Big Apple exerce depuis plus d’un siècle une fascination électrique sur le monde entier. Entre disco, punk, rock et rap, aucune ville n’a impacté la création artistique autant que cette Babylone grandiose et dégueulasse, familière et merveilleuse dans un même souffle, secouée par une verticalité rayonnante qui tringle les five boroughs de son énergie mystique.

Ça ressemble à un rêve, mais c’est pourtant la réalité. La Red Bull Music Academy est un workshop pas comme les autres où ces instants sont quotidiens. Un lieu d’écoute et d’apprentissage où, chaque année, des artistes internationaux (Questlove, Tony Allen, Moodymann…) prennent le temps d’échanger avec de jeunes musiciens venus du monde entier. Étudier le sampling avec Madlib, parler business avec DJ Premier ou écouter Moodymann raconter l’histoire de la techno est ici le lot des participants pendant quinze jours. « Ça peut être technique, ça peut être spirituel, ça peut parler de musique et ça peut parler de business. Mais ça te permet surtout de comprendre qu’il y a des gens qui sont comme toi ; que tu n’es ni seul ni fou », explique l’Américain Jesse Boykins III, un ancien participant. Dans les studios de l’Academy où rôdent ces artistes en devenir, l’underground parle enfin à l’underground, entre techno japonaise, big beat vénézuélien et salsa numérique. Le son de demain sort de leurs machines ; un alliage azimuté de numérique et d’analogique, de techno, de hip-hop et d’électro-rock. De la nourriture pour l’esprit et les battements du cœur.

C’est pour cette raison que la Red Bull Music Academy a choisi de s’y installer en 2012. Pour observer le monde depuis la grande roue de Coney Island en rêvant d’une victoire des Yankees, pour traîner encore sur les ruines de l’Histoire en longeant les clubs défunts, pour toucher enfin ce bouillonnement créatif qui n’en finit pas de secouer la ville, le pays puis le monde. Et, pourquoi pas, partager quelques heures de studio avec DJ Premier ou avec Kim Gordon en rentrant au petit matin.

Du rock expérimental aux breakbeats les plus pointus jusqu’aux rêves électroniques de demain, le ferment créatif new-yorkais offre un terrain idéal pour ce genre de défi artistique. Be-bop, hard-bop, disco, punk ou hip-hop ont surgi des entrailles de Big Apple, et il y a fort à parier qu’il en reste autant à venir. Même si ses clubs mythiques ont disparu, de Harlem à Brooklyn jusqu’au cœur de Manhattan, le clubbing new-yorkais reste un des plus jouissifs de la planète, offrant ici encore aux

participants de l’Academy un terrain d’expérimentation inédit : chaque soir, les platines des plus grands clubs de la ville leur sont ouvertes pour tester en live leurs dernières créations. « Il n’y a que l’élite des noctambules qui peut tenir le coup, s’amuse Mauricio Fleury, un ancien participant. Un soir tu mixes, un soir tu danses, mais tu ne dors jamais. Et le plus hallucinant est que ça se passe dans les clubs les plus célèbres de la planète. » Des artistes aussi réputés que Canblaster (Club Cheval), Flying Lotus ou Aloe Blacc ont d’ailleurs fait leurs armes sur les bancs de l’Academy avant de partir conquérir les dancefloors du monde entier. Berceau des courants artistiques majeurs, le volcan new-yorkais n’a pas fini d’exp(l)oser à la face du monde ses fragrances futuristes et ses breakbeats en feu, ses mythes surchargés en basses et ses clubs avant-gardistes, ses galeries d’art à ciel ouvert et ses héros venus par milliers grossir les rangs de la musique moderne ; le regard constamment tourné vers le futur pendant que tous regardent dans sa direction. « Celui qui veut comprendre pourquoi ma musique sonne comme elle sonne doit venir ici, à New York », disait Thelonious Monk. C’est exactement ce que vient chercher la Red Bull Music Academy. Get in !

Plus d’infos sur l’Academy à New York sur le site www.redbullmusicacademy.com


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CANBLASTER

Canblaster, par Dan Wilton / Red Bull Music Academy

FRENCH TOUCH 3.0

Du haut de ses 24 ans, Canblaster fait partie de la jeune garde de l’électronique made in France, celle qui à travers la tradition hexagonale a découvert les fondements de la techno de Détroit tout en élargissant son spectre à la ghetto music. Alors qu’il prépare le premier album de son collectif Club Cheval, il revient avec nous sur son expérience en tant qu’élève de la Red Bull Music Academy de Madrid en 2011. Propos recueillis par Clovis Goux Quel est ton parcours musical ? Mes parents m’ont inscrit au Conservatoire de Lille quand j’étais enfant où j’ai étudié le piano classique, puis passé une année en section jazz. J’ai commencé à m’intéresser à la musique de club en 2005 avec Daft Punk et Justice. J’ai ensuite rencontré Myd, Panteros666 et Sam Tiba toujours à Lille où l’on a formé Club Cheval en 2009, qui est autant un quatuor de DJs que de producteurs. On s’est ensuite fait repérer par Teki Latex et l’équipe de Savoir Faire qui nous ont encouragé à nous installer à Paris.

Quel est ton sentiment général sur cette expérience de deux semaines ? C’était très intéressant car cela te permet de rencontrer des personnes d’univers complètement différents du tien : de l’Anglais que tu connais via internet à la chanteuse tchèque qui fait des trucs déprimants en passant par le joueur de sitar indien qui fait de la trance goa. Ça t’oblige vraiment à ouvrir ton esprit. Les interventions des artistes sont géniales, autant au niveau de ce que tu peux apprendre sur la technique, l’histoire de la musique, que de l’inspiration musicale…

Et parmi les intervenants ? Erykah Badu a vraiment fait un bon show… J’ai aussi beaucoup aimé la lecture d’Andrew Weatherall.

Comment en es-tu venu à proposer ta candidature pour l’Academy ? J’en avais entendu parler par un DJ belge, DJ Slow qui m’avait montré les interventions, celle de Moodymann notamment. À cette époque, j’écoutais beaucoup de techno de Détroit, ça m’a donc paru hyper intéressant, j’ai rempli le dossier et ça a marché.

Techniquement, ça a été bénéfique ? Oui, même si j’avais les bases. Mais apprendre sur internet ou avec un prof comment placer des micros dans une pièce par exemple ça n’a rien à voir. Et puis, c’était un peu comme si tu retournais à l’école mais avec des profs qui sont de vraies stars et non des petits chefs d’entreprise.

Et que dirais-tu aux candidats ? J’encourage vraiment tout le monde à tenter sa chance même s’ils ne se sentent pas encore au niveau.

Il paraît que ce dossier est un peu particulier, qu’il peut être déroutant… Oui, il s’agit de 15 pages avec des questions assez psychologiques. C’est intéressant car cela te pousse à te poser les bonnes questions sur tes envies, ta personnalité et tes goûts musicaux. Ça t’aide à te définir en fait, à poser tes limites, à être naturel car si tu ne l’es pas ça sonne tout de suite faux. Il y a des questions étranges du genre : « Quel est l’objet près de ton lit quand tu te lèves le matin ? » C’était plutôt marrant en définitive.

Quels sont les élèves qui t’ont marqué durant cette session ? Parmi les gens avec qui j’ai fait de la musique, il y avait un Hollandais qui s’appelle Full Crate qui composait des trucs mélodiques super beaux, et Nightwave avec qui j’ai bossé sur un truc qui vient de sortir. Au début, tu essaies de te rapprocher des gens avec lesquels tu penses avoir le plus d’affinités, comme les Anglais, mais ils étaient un peu sectaires donc je me suis plutôt retrouvé auprès de Julius Sylvest, un Danois qui comme moi ne parlait pas très bien anglais. On était plus complices dans le travail et cette collaboration se poursuit aujourd’hui. John Smith également, un pianiste un peu nerd, virtuose chelou avec qui j’aimerais vraiment travailler.

La prochaine Academy va avoir lieu à New York. Qui aimerais-tu y voir ? J’aimerais bien qu’il y ait des producteurs mainstream comme Teddy Riley, Timbaland ou Basement Jaxx, une de mes grosses influences. Ils ont toujours privilégié les collaborations, le micmac musical…

Par rapport à tes attentes, quelles ont été les surprises de la RBMA ? Tout d’abord, c’est crevant car très intense, ça t’oblige à être à fond. Deuxièmement, les gens ont l’habitude de travailler seuls dans leur coin, comme beaucoup de musiciens électroniques. Enfin, ça met en valeur les rapports humains, encourage les collaborations avec des personnes d’horizons et de culture complètement différents. C’est génial de rencontrer des gens qui ne connaissent pas Daft Punk !

Retrouvez un DJ set de Canblaster sur www.rbmaradio.com

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SO YOU THINK YOU CAN TRANCE ?

RED BULL MUSIC ACADEMY STAGE

La Red Bull Music Academy à Villette Sonique, c’est une sélection musicale curieuse destinée aux esprits ouverts, c’est surtout un amour immodéré de la musique de club jouée à forte puissance. Petit tour d’horizon de ce que vous réserve la scène RBMA pendant la durée du festival. Par Clovis Goux

Dj Rashad & Dj Spinn, par Dan Wilton

DJ Rashad & DJ Spinn Dimanche 27 mai, 14h30 Parc de la Villette, Jardin des îles

David Kennedy, par Jimmy Mould

François K, © DR

Pearson Sound Samedi 26 mai minuit Cabaret Sauvage, parc de la Villette

François K. Samedi 26 mai 1h Cabaret Sauvage, parc de la Villette

À 22 ans, l’Anglais David Kennedy a réussi en quelques années à imposer un pseudo improbable (Ramadanman serait-il un super héros musulman ?) telle l’étoile du Berger dans la constellation des aspirants DJs producteurs au titre de « next big thing ». Qui dit Angleterre, dit dubstep, un style musical qu’on jurerait né de la contemplation de la pluie qui tombe sur les murs de brique, tant son caractère urbain et atmosphérique est constitutif de son ADN. Désormais baptisé Pearson Sound, David Kennedy continue à dessiner de nouvelles perspectives, abstraites et viscérales, à un style dont on ne soupçonnait pas la richesse. One step beyond.

Voir article en page 9

Plein Soleil Samedi 26 mai 23h Cabaret Sauvage, parc de la Villette

Gilb’r - Joakim Dimanche 27 mai 16h30 Parc de la Villette

Étoiles hexagonales d’une techno sombre, sexuelle et mentale, Krikor et Chloé joignent leurs forces pour nous révéler les bénéfices d’une exposition prolongée aux lumières noires avec leur side project Plein Soleil. Quatre mains et deux platines, il ne leur en faut pas plus pour explorer la face cachée de la lune. Have a good trip.

Back to back mais unis comme jamais, Gilb’r (boss de Versatile et moitié de Château Flight aux côtés d’I :Cube) et Joakim (boss de Tigersushi et auteur de quatre albums mutants) nous proposent un duel au sommet derrière les platines. From disco to techno, personne ne sortira d’ici vivant : le dancefloor vient de faire sa dernière prière.

Speed et racé, le foot-work est devenu en quelques mois l’enfant le plus turbulent de la ghetto music de Chicago. Propulsé outre-Atlantique par le label britannique Planet Mu, déjà responsable de la vague du dubstep, le foot-work compte parmi ses acteurs majeurs DJ Rashad et DJ Spinn, duo virtuose derrière les platines, qui ont su créer un choc sonore inédit où se télescopent beats frénétiques, samples concassés et basses massives et répétitives. Du hip-hop à Pink Floyd en passant par la disco ou la ghetto-tech, rien n’échappe à leur ingéniosité et à l’efficacité d’une musique festive prétexte à des battles de danseurs survoltés qui ont contribué pour beaucoup au succès viral du genre.

RBMA Session avec François K animée par Didier Lestrade le samedi 26 mai après-midi au Cabaret Sauvage (infos et inscriptions sur www.redbull.fr/rbma).

Interview vidéo sur www.vimeo.com/redbullmusicacademy

I :Cube Dimanche 27 mai 18h Parc de la Villette

Nguzunguzu Dimanche 27 mai 19h Parc de la Villette, Jardin des îles

Voir article en page 7

Daniel Pineda et Asma Maroof (RBMA 2011) ne sont pas seulement les DJs chauffeurs de salle de M.I.A. Sous le nom de Nguzunguzu (pour les amateurs de mots croisés : divinité protectrice des îles Salomon), ils forment l’un des groupes de L.A. les plus intrigants du moment par leur capacité à embrasser dans un seul mouvement le r&b, la house, le dub ou le funk tropical. Du chaudron lo-fi de Nguzunguzu surgit une musique lysergique qui donne l’impression de parcourir la bande FM sous champignons. Trippant et étrange, donc addictif. Retrouvez Nguzunguzu en DJ set sur www.rbmaradio.com


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I :CUBE EST UN TYPE DANGEREUX

(JE VOUS DIS ÇA PARCE QUE JE VOUS CONSIDÈRE COMME DES AMIS)

I :Cube, © DR

« M » Megamix, son 4ème album - le premier en six ans - revient aux fondamentaux de la house et de la techno : danser, émouvoir, lever les bras bien haut, transpirer. La vache, toutes ces merveilles que le plus hypnotique des producteurs français gardait en secret… Par Philippe Azoury

I

:Cube choisit la nuit pour descendre au studio. I :Cube ne parle pas beaucoup. I :Cube bouffe du MP3 à la cuillère, de la même façon que les stagiaires de Mark Zuckerberg « bouffaient du code » dans The Social Network. I :Cube est atteint d’une maladie bien connue dans le milieu électronique : la fringale absolue et inconsolable de tout écouter, tout digérer. Si j’avais eu à poser une croix sur un calendrier chaque fois que j’ai croisé I :Cube dans un magasin de disques, mes agendas seraient remplis de petits cubis. J’ai bien sûr toujours discrètement jeté un œil sur ce qui ressortait de sa plongée en apnée dans un bac de vinyls d’occasion, et j’ai eu peur : tout ce que nous ne connaissons pas, tout ce qui souvent inquiète, attire I :Cube. Voir ce type taiseux posant une horreur manufacturée sur la platine et y décelant un son de synthé, une rythmique impossible, n’importe quoi servant à ses mix ou à ses productions, est un un spectacle dont je ne me lasse jamais. J’ai pourtant de sérieuses raisons de détester I :Cube, quand il fait le DJ. Je veux dire, ma fierté de Libanais en a pris un sacré coup lorsque il m’a fallu admettre que c’est dans un de ses plus beaux mix (Stereo Picture vol4) que j’ai entendu pour la première fois le musicien beyrouthin Ziad Rahbany, un génie. I :Cube a aussi pas mal énervé des amis libyens (pas le genre à rigoler) en exhumant avant eux Ahmed Fakroun, le « Gainsbourg de Tripoli ». Vous croyez que ça a aidé le débat sur l’identité nationale, vous, que ce type ressorte, dans un mix pour le légendaire radio show Beats in Space à New York, le seul single signé par cette gueule d’hippopotame de Jean-Pierre Castaldi sous le nom de Paul Martin ? Un jour, à force de faire des édits de Golem aussi pernicieux et aventureux, à force de vexer la planète en allant plus vite et plus loin qu’elle, on va se payer une Troisième Guerre mondiale. Et ce sera la faute d’I :Cube. C’est en envoyant vers 1995 une cassette de ses morceaux à Gilb’R, du temps où celui-ci officiait aux commandes

du Grand Mix de Radio Nova, que Nicolas Chaix est entré par effraction dans le monde de la musique électronique. Sur la jaquette de cette cassette, il avait collé une photo d’une tour en banlieue et apposé ce petit mot : « C’est là que j’habite. » Ce qui était faux : c’est dans les morceaux qu’il produit, dans ceux qu’il enregistrait nuit et jour à la radio, dans ceux qu’il achetait de façon frénétique et ceux qu’il gardait en tête le dimanche en rentrant de teuf, que Nicolas Chaix habitait. Là et pas ailleurs. L’adresse est toujours la même. Il y a plus de monde au courant, c’est tout. En quinze ans, I :Cube a fait cinq albums sous son nom (Picnic Attack, Adore — son chef-d’œuvre ? —, 3, le très trippé Live at the Planetarium et enfin ce « M » Megamix qui rend fou le danseur). Plus trois, racés et hypnotiques, avec Gilb’R sous le nom de Château Flight. Une vielle légende dit que ses disques durs sont remplis de morceaux inédits qu’il improvise la nuit, dans les studios du label Versatile. « M » Megamix, son nouveau disque (le précédent Live at the Planetarium remontait à 2006, à mon sens le plus beau) a trouvé la juste façon de traverser ses archives en se dégageant de toute solennité. I :Cube préfère se marrer sous cape, vous savez. I :Cube est vieux. J’en veux pour preuve le titre de son nouvel album : «M» Megamix. Quand aller danser était pour moi une activité quotidienne - back in the days -, il y avait du Megamix partout. Il y en avait collé en sticker jaune pisse sur les pochettes des pires maxis « eurodance ». Et des voix de nazis consanguins répétaient ce mot, Megamix, comme une accroche dans des espaces publicitaires achetés à prix d’or dans l’espoir de coloniser notre temps de cerveau disponible. Megamix, c’est même pas un gros mot, c’est un mot de gros. Grosse tambouille. Gros mezzé. Gros gloubi-boulga. Et puis, au grand soulagement de tous, le mot Megamix a disparu du jour au lendemain. Alors pourquoi ressortir cette atrocité lexicale de son trou quinze ans après que les obsèques ont eu lieu ? Megamix est le dernier titre d’album possible si on espère, en tant que pionnier, voir des armées de jeunes gens poser

genoux à terre en signe d’allégeance à l’auteur d’« Adore », « Disco Cubizm », « Can you deal with that » (avec juste RZA en featuring), ou le magistral « Falling ». Mais I :Cube n’a rien à foutre du musée de la house, et a trop d’humour et de discrétion pour vouloir une statue de commandeur à son nom. La techno de Détroit mérite bien un Louvre et la house de Chicago son Orsay ? Oui, mais comme elles ne l’auront pas de sitôt, autant assembler les restes, tout faire revenir au wok, arroser ces tripes de soul music machinique au nuoc-mâm de la maboulerie, et tourner comme une boule à facettes : « M » Megamix… ou comment danser comme un con quand on est intelligent. Par ailleurs «M» Megamix, album conçu sous la forme d’une heure de perles enchaînées façon disc-jockey, est un disque émouvant. Je pourrais vous raconter des heures le frisson qui parcourt mon corps ce midi alors que j’écoute «Transpiration» ou «Lucifer en discothèque» (il est du même ordre que celui qui m’a assailli la première fois que j’ai entendu à la radio le martèlement d’un piano house par Mad Mike dans « Jupiter Jazz », ou les cordes de «Strings of Life» de Derrick May). Mais je n’en ai pas envie. J’ai mieux à faire : je préfère danser sur «M» Megamix, seul dans mon appartement. C’est au cinquième étage sans ascenseur. Si monter autant de marches ne vous fait pas peur, passez. « M » Megamix est en mode repeat depuis deux jours, et ça n’est pas près de cesser. La fête ne s’arrêtera plus jamais. Les quinze premières années n’étaient qu’une répétition. L’échauffement est terminé.

Retrouvez un DJ set d’I :Cube sur www.rbmaradio.com


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Franรงois K, par Jos Kottmann


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FRANÇOIS K

LE PASSEUR

François Kevorkian a toujours porté un patronyme magique. La seule phonétique de son nom et ses origines arméniennes contribuent à rendre son travail intrigant. Pourquoi estil parti de Paris en 1975 pour s’installer à New York ? Comment est-il arrivé chez Prelude ? Pourquoi Kraftwerk l’a choisi comme seul remixeur de leurs disques ? À l’époque, nous ne savions pas. C’était un homme mystère. Avec le temps, nous avons fini par comprendre que c’est l’homme des passerelles entre l’Amérique et l’Europe, la house et l’Afrique, la théorie et la pratique. Un homme de la France dans le monde. Par Didier Lestrade

J

e ne vais pas tenter ici de raconter l’influence de François K sur ce moment charnière du début des années 80. Sa page Wikipédia en anglais raconte tout, ainsi que sa liste de remixes, qui commence par « In The Bush » de Musique (1978) dont les dancefloors se souviennent très bien, et qui contient cet inouï « I Hear Music in the Streets » d’Unlimited Touch en 1980 qui l’a véritablement fait sortir de l’ombre. En tant que directeur artistique pour Prelude, François K a contribué à la création du son garage avec ce côté rough et gritty dans le funk électronique, mais aussi une indicible douceur sophistiquée, des arrangements et des overdubs qui nous époustouflaient — et encore aujourd’hui, trente ans après. Le son qu’il développait était comme du miel, riche, plein, donnant entière satisfaction & instant gratification. Pas une seconde d’ennui dans ses disques. Quelque chose d’inégalé, qui annonçait déjà Larry Levan au Paradise Garage et son prolongement, David Mancuso au Loft. Des disques que l’on jouait entièrement, de la première à la dernière seconde. Picture yourself. 1980. Prelude, Salsoul, West End. Tout est beau. Chaque disque est un événement. On dit que la disco est morte, les Philippe Manœuvre de ce monde le claironnent, mais nous savons que c’est faux. Son esprit vit à travers ces disques qui reviennent à l’essence du funk mid-tempo, mais en plus moderne, en plus real aussi. Les machines électroniques débarquent et les dubs se multiplient, l’influence de la drogue se fait sentir plus fort sur la musique de New York, une ville encore sale et dangereuse. À Philadelphie, Leon Huff et Kenny Gamble imposent depuis cinq ans déjà le cadre idéal de la production dans les studios Sygma. Afrika Bambaataa est sur le point de reprendre Kraftwerk, Tom Silverman de Tommy Boy Records signe tous les artistes à la Soul Sonic Force, et Morgan Khan importe ce son en Angleterre grâce aux compilations Streets Sounds qui ont énormément de succès outre-Manche. La période dorée de la new wave anglaise s’ouvre avec les remixes de Yazoo et Depeche Mode. La Hi-NRG de Bobby O et Patrick Cowley est en pleine montée, Sylvester culmine. Il se passe tellement de choses que l’on ne sait plus dans quelle direction regarder. La fusion de la dance music s’effectue et nous sommes toujours dans une couche juste assez underground pour rester secrète tout en vendant des millions de disques. Il faut être vraiment aveugle pour ne pas constater cette convergence de passions musicales. Dès 1983, François Kevorkian figurait sur le remix de « Tour de France » de Kraftwerk. Il était l’un des rares à pénétrer dans la sphère de Düsseldorf, avec Pascal Bussy, qui a écrit Le mystère des hommes-machines. Et quand il a repris la collaboration sur le magnifique « Electric Cafe » de 1986 (qui annonçait « Techno Pop »), « The Telephone Call » en 1987 ou le remix de « Radioactivity » en 1991, c’était, pour nous Français, une sorte de consécration à travers lui. Il y avait donc une connexion directe entre l’Allemagne de Kraftwerk et la France de François K, même si ce dernier vivait à New York depuis une décennie. François était parvenu à séduire Kraftwerk, et il était unique parce que Kraftwerk l’avait choisi. Tout le monde se demandait pourquoi. On se disait qu’il devait être très

balèze. Ce fut alors, pour moi, le tournant le plus important de la « mystique » François K. Ces années sont celles de la formation de François K et de son installation dans le paysage musical. Ses collaborations sont nombreuses, même s’il reste toujours une personne dans l’ombre des grands DJs qui attirent toute la lumière. C’est avec le label Wave, créé en 1995, que François K obtient enfin la reconnaissance qui lui était due.Propriétaire des studios Axis, d’un label et d’un son, c’est un DJ totalement polyvalent, connu pour jouer avec quatre platines et capable de mettre des aboiements de chiens dans ses mixes. Un an plus tard, c’est le début des soirées Body & Soul au club Shelter. Je me rappelle quand nous avons reçu les premiers maxis envoyés par son amie attachée de presse, Aurélie Cotugno. Ces disques spacey, out there, complètement irrésistibles. Un pont direct était jeté entre New York et Paris, une reprise de contact, un rapprochement. François jouait de plus en plus souvent en France. Après la fermeture traumatisante du Sound Factory, il faisait revivre le rêve new-yorkais avec John Davis, Joe Claussell et Danny Krivit. C’est à travers Body & Soul qu’une « Renaissance » fut possible à Manhattan, car François savait que l’esprit était toujours là, lui l’a juste ouvert à l’Afrique, à Haïti et aux rythmes latins. Body & Soul était un club noir. Je veux juste raconter deux histoires sur François K car tout a été dit, et j’ai beaucoup moins écouté ce qu’il a produit ces dernières années. Je sais qu’il a encore grandi. Il y a deux ans, je l’entendais parler à l’Amsterdam Dance Event. Je notais tout ce qu’il disait, c’était renversant. On réalisait que ces années dans le silence avaient laissé place à une élocution parfaite, une analyse très pointue et très pédagogique de la musique. François K est aussi un professeur. De Body & Soul donc, deux choses me reviennent toujours à l’esprit. Cet appel à la générosité quand un habitué du club, femme ou homme, ancien du Paradise Garage ou pas, disparaissait. Au milieu des années 90, Body & Soul était un des rares endroits où l’on rendait hommage aux clubbers décédés, nombreux alors, surtout quand il n’y avait pas assez d’argent pour payer les frais d’enterrement. Cela existe encore aujourd’hui à New York avec la vogue actuelle des grands enterrements dans la communauté ghanéenne qui attirent beaucoup de clubbers. Le New York Times en a parlé1. Une personne prenait le micro hors du DJ booth, près du dancefloor, comme une adresse directe au public, comme si on était sur la place d’un village ou une agora. On en profitait alors pour rappeler qui était cette personne, pourquoi elle était importante dans la communauté du clubbing, ce qu’elle avait fait, pourquoi la musique était au centre de sa vie et de ses amis. Et la musique reprenait, et on sentait vraiment que chaque personne était unique, que chacun contribuait à faire vivre le club par sa seule présence. Toutes les personnes étaient émerveillées. Car François K s’adressait à tous, hétéros comme gays, femmes et hommes. « Beat The Streets » de Sharon Redd, c’était un disque

gay, ok? Son remix de « This Charming Man » des Smiths aussi, ok? Celui de « Solid As A Rock » d’Ashford & Simpson aussi, ok? Son remix de « Perfect Way » de Scritti Politti aussi, ok? Et je ne parle même pas de « Rent » des Pet Shop Boys… J’ai toujours vu François Kevorkian comme un homme qui comprenait toutes les facettes de la culture gay. Dans le docu sur le Paradise Garage, c’est le seul à pointer du doigt le drame du sida dans la scène new-yorkaise. Parfois, il y a des gens qui parlent mieux de nos problèmes que nous-mêmes. L’autre histoire est plutôt une anecdote. C’était lors d’une des dernières Body & Soul, je ne me rappelle plus quand, durant l’été. Quand je suis arrivé, seul, la soirée était déjà bien avancée. C’est alors que j’ai regardé par terre. Tous les mecs et les nanas portaient des claquettes. Sur le dancefloor. Ils dansaient avec. Et personne ne se marchait sur les pieds. Je ne pouvais pas imaginer cela en France car même à l’époque de K.A.B.P., une folle qui serait venue en claquettes aurait fini la nuit les pieds en sang. Cela donnait quand même une autre dimension au « My Feet Keep Dancing » de Chic… Ce public était arrivé à un niveau de sophistication tel que le sol n’était pas jonché de détritus et que l’on pouvait danser comme à la plage, mais à New York, en pleine heatwave… Ce club était devenu une référence dans le monde de la house, un espace de tolérance et de liberté sexuelle pour toutes les générations. À partir de ce jour-là, je n’osais plus aller saluer François K dans le DJ booth. Il m’impressionnait trop. Je me suis dit : « Nothing beats this ».

1 http://www.nytimes.com/2011/04/12/nyregion/12funerals.html?pagewanted=all

FRANÇOIS K Samedi 26 mai, Cabaret Sauvage, parc de la Villette RBMA SESSION avec François K animée par Didier Lestrade le samedi 26 mai après-midi au Cabaret Sauvage (infos et inscriptions sur www.redbull.fr/rbma) Retrouvez un mix Body & Soul sur www.rbmaradio.com

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CARTER & TUTTI SYNTH ESPRIT

Ne dites plus Chris & Cosey, mais Carter & Tutti. Ne dites plus «synth pop», mais «minimal wave». Les temps changent, la musique reste. Pas qu’une histoire de sémantique, mais d’attitude aussi. Du bruitisme martial à la dance music, synthèse de trente ans de musique électronique, dont Villette Sonique invite cette année les plus beaux spécimens. Par Julien Bécourt

O

n se doutait bien que la musique industrielle, dont Throbbing Gristle a brandi l’étendard en 1976 après que le sulfureux artiste Monte Cazazza leur en a soufflé le slogan («Industrial Music for Industrial People»), serait un jour assimilé à l’industrie qu’elle s’était évertuée à détruire. Qu’on ne s’y trompe pas : la «musique industrielle» n’a rien à voir à l’origine avec l’Electronic Body Music et ses ersatz grand-guignolesques commis par des apprentis batcaves, mais s’apparente plutôt à un psychédélisme au rictus malsain qui n’épargne rien ni personne, utilisant en guise d’électrochocs les pires images de la barbarie humaine. Miroir de l’Angleterre urbaine et désargentée de la fin des années 1970, elle désigne avant tout le label autonome lancé en 1977 par le collectif d’artistes Coum Transmissions, qui se fixe pour mission de saboter les fondations mêmes de la civilisation. Surfant sur la crête du mouvement punk, Coum Transmissions se mue partiellement en Throbbing Gristle (qu’on pourrait traduire par «nerfs à vif»). Fondé par Genesis P-Orridge, Christine Carol Newby (surnommée Cosey Fanni Tutti depuis 1975), Chris Carter et Peter Christopherson, le groupe revendique l’influence conjuguée des drogues hallucinogènes et du performance-art, de l’écrivain junkie William Burroughs et de l’occultiste Aleister Crowley, des improvisations du Velvet Underground et du Metal Machine Music de Lou Reed ainsi que des expérimentations électro­ niques menées depuis la fin des années 1960 par le BBC Radiophonic Workshop, Stockhausen, Cluster ou Kraftwerk. Davantage qu’un groupe de rock, TG prône avant tout le déconditionnement psychique et la subversion tous azimuts, s’inscrivant dans le continuum des avant-gardes les plus radicales : futurisme, dada, Fluxus, actionnisme viennois, art conceptuel, situationnisme… Parallélement à sa participation dans TG, Cosey Fanni Tutti trempe dans le monde de l’art contemporain en tant que performance artist (elle a représenté le pavillon britannique à la IXème Biennale de Paris en 1975) tout en poursuivant une carrière de modèle pour des revues porno. L’implosion de TG était programmatique. Le clap de fin se nomme Mission Is Terminated et la résurrection attendra les années 2000.

Après la dissolution du groupe en 1981, chacun vaque à ses projets respectifs : Genesis P-Orridge part fonder Psychic TV, Peter Christopherson rejoint John Balance pour former Coil, tandis que Chris Carter et Cosey Fanni Tutti, désormais en couple, reprennent le chemin des studios pour produire une musique machinique et saccadée, conçue uniquement à l’aide de synthétiseurs analogiques, de magnétophones à bande, de boîtes à rythmes et de techniques de samples encore rudimentaires. Si l’« esthétique de la négativité » chère à TG transparaît en filigrane dans la musique de Chris & Cosey, c’est désormais sur un mode romantique et avec une froideur pop distanciée qui les éloignent de l’indus’ pur et dur. La même année, ils signent sur Rough Trade leur premier LP Heartbeat, dont la vélocité rythmique préfigure l’acid house et la new beat qui émergeront quelques années plus tard. Chris & Cosey ont bien pressenti que la musique électronique allait incarner le tournant musical majeur du XXIème siècle et ils montent en 1983 leur propre label Conspiracy International (CTI), de mèche avec le label DoubleVision du groupe proto-techno Cabaret Voltaire. L’Angleterre est alors en pleine effervescence post-punk et les guitares sont reléguées au second plan tandis que les synthétiseurs analogiques — jusque-là hors de prix et réservés aux dinosaures du prog et aux compositeurs «académiques» — commencent à se démocratiser dans la musique rock, donnant naissance au courant new wave, autour de groupes comme The Normal, Human League, Soft Cell, Fad Gadget, Depeche Mode, D.A.F. ou New Order. Profitant de cette soudaine émulation, Chris & Cosey multiplient les collaborations avec des artistes aussi divers que Coil, Current 93, Eurythmics, Boyd Rice ou Robert Wyatt et peaufinent leur synth pop expérimentale avec une succession d’albums toujours aussi précurseurs. Trance (1982), Songs of Love & Lust (1984), Techno Primitiv (1985) ou Exotica (1987) comptent aujourd’hui parmi les classiques de la musique électronique. Le duo est parvenu à une synthèse assez stupéfiante des deux extrémités du spectre sonore : d’un côté, leur amour de la pop la plus kitsch et de l’easy listening (tous deux vénèrent Abba et les musiques de film), de l’autre un goût

pour la recherche expérimentale la plus aride. Il s’y dessine pourtant déjà tout ce que nombre de musiciens ont tenté de réaliser par la suite : une alchimie parfaite entre les sonorités les plus rêches et les mélodies les plus évidentes. S’ils ont récemment abandonné leurs prénoms par coquetterie, Carter & Tutti continuent de produire des disques marquants et s’attellent aujourd’hui à une relecture de Desertshore, sublime album de Nico et bande-son du non moins sublime film de Philippe Garrel, La Cicatrice intérieure. Un projet entamé avec TG mais resté en friche depuis la disparition de Peter Christopherson. Très en verve, ils viennent également d’enregistrer l’album Transverse en trio avec Nik Void, égérie du groupe post-indus Factory Floor. Pour leur concert exceptionnel à Villette Sonique, ils joueront leur répertoire « unclassic » avec, en ouverture, l’un des talents les plus remarqués de la dance music, cru 2011 : Ital, alias Martin Mc Cormick (également membre des groupes Mi Ami, Sex Worker et Black Eyes), un jeune musicien téméraire venu du midwest, épris autant de house et de techno old school que de noise et de punk hardcore. Sa deep house revisitée sur un mode éphèbe oversexué garantit de faire des ravages. Notons aussi la présence au festival de Peaking Lights, Julia Holter, Egyptology ou The Soft Moon, dont l’approche angulaire de la musique synthétique prend tout son sens aux côtés de leurs « grands-parrains » Carter & Tutti. Nul doute qu’avec ce nouveau souffle expérimental, le flambeau de la minimal wave et de ses corollaires synthétiques sera dignement ravivé.

CHRIS & COSEY Le 27 mai au Trabendo, parc de la Villette. Retrouvez une interview de Cosey Fanni Tutti sur www.rbmaradio.com


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Chris & Cosey, © DR

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WAKE UP, TIME TO DIE

10 RAISONS DE CROIRE ENCORE AU PUNK ROCK EN 2012

Lorsque se pose la question de savoir qui, exactement, a inventé le punk, la plupart des gens répondent généralement Johnny Rotten ou Malcolm McLaren. Mais ce serait vite oublier qu’ils l’ont volé à Richard Hell. Qui l’a lui-même volé à Iggy Pop. Qui l’a volé à Lou Reed. Qui l’a volé à Marlon Brando. Qui l’a volé à James Dean. Qui l’a volé à Robert Mitchum. Qui l’a volé à Errol Flynn. En réalité, cette question n’a pas à être posée, puisque personne n’a vraiment inventé le punk. Il traîne là depuis toujours. C’est un fluide, un esprit, une humeur. C’est la meilleure blague de l’Univers. C’est l’histoire d’un type qui prend des risques inconsidérés pour escalader une falaise à mains nues, juste pour le plaisir de pisser depuis le sommet. C’est idiot, inutile, irresponsable, beau, dangereux et suffisant pour changer votre vie de manière définitive. Non, la seule question qu’on peut se poser à cet instant très précis, c’est : où, exactement, se trouve le punk en 2012 ? Cartographie express en dix points de localisation certifiés. Par Lelo Jimmy Batista 01. THE SPITS Gravir les sommets au péril de sa vie pour le simple plaisir de soulager sa vessie est une option. Rouler à contresens sur l’autoroute au volant d’un van en flammes dans l’espoir de trouver la porte vers un hyper-monde dégénéré en est une autre. C’est justement celle qu’ont choisi les Spits, groupe de Seattle dont la recette, aussi simple qu’inoxydable (riffs stupides, claviers primitifs, voix d’attardé mental) a atteint en 2011 son point de raffinement absolu avec un cinquième album (sans titre, comme les quatre précédents) qui confirme plus que jamais son règne sans partage sur la scène punk internationale. Entre saccage total et foutage de gueule intégral, les Spits jouent comme d’autres braquent les boulangeries : avec fracas et sans perdre une seconde. Il n’ont généralement besoin de guère plus de 19 minutes — durée moyenne de leurs disques et de leurs prestations scéniques — pour pulvériser toutes les scories de l’Univers connu, coller un cancer du cul à Bon Iver et livrer Pitchfork aux hackers balinais avant de disparaître dans la nuit, direction constellation golmon. 02. B L A C K I E «True spirit and not giving a fuck» : en un titre, un seul, tout est dit. Rappeur texan hystérique, B L A C K I E (tout en majuscules et avec les espaces, il vous le rappellera si vous faites l’erreur) joue un digi-punk de la dernière chance, quelque part entre Atari Teenage Riot, Babyland et dälek pour la musique et Les Savy Fav et Jean-Louis Costes pour la prestation scénique. En d’autres termes, c’est un type en slip qui joue le truc le plus cinglant et galvanisant qu’on ait entendu depuis des lunes. À voir impérativement sur scène, de préférence placé aux premiers rangs. Vous vous prendrez sans doute une châtaigne ou deux en travers de la mâchoire (l’animal est excessivement turbulent et n’a pas peur de la confrontation), mais encaisserez assurément votre plus belle rouste de l’année. 03. DEATH GRIPS Découvrir Death Grips en 2011, c’est comme découvrir Black Flag en 1981 ou Public Enemy en 1988 : c’est voir un monolithe de granit noir foncer à pleine vitesse direction planète Terre, prêt à s’écraser sur une population d’insectes assommés par le soleil. C’est se voir remettre un ordre et un cheval pour aller libérer les moribonds du brouillard de merde dans lequel ils halètent comme des chiens atomiques. C’est entretenir ce terreau malsain sur lequel grandissent ceux qui ne peuvent plus être des enfants mais ne seront jamais des adultes. À noter que Death Grips est aussi le seul groupe du moment qui compte un

membre sur scène dont l’unique rôle est de servir de ventilateur à Zach Hill (batteur de Hella, à l’origine du projet), sans doute la seule personne qui transpirera plus que vous lorsque vous les verrez sur scène. 04. LA FRANCE Il n’existe, techniquement, que deux genres de personnes auxquelles il ne faut jamais faire confiance : les gens qui ont un goût prononcé pour le fromage et les gens qui se plaignent de la scène musicale française. Il n’y a jamais eu autant de bons groupes en France qu’en 2012 : Catholic Spray, Frustration, Cheveu, La Chatte, Cry Wolf, La Secte Du Futur, Jungle Hop, The Feeling Of Love, Scorpion Violente, Magnetix, J.C. Satàn. Et encore, là je reste dans les limites du punk et affiliés. Big up au passage à XVIII Records et Teenage Menopause et au toujours indispensable Born Bad, les trois meilleurs labels du secteur. 05. L’AUSTRALIE 2011 était l’année de l’Australie, mais comme vous étiez occupés à chercher les 40 secondes valables sur le dernier album de Battles et à trouver des excuses à Zola Jesus pour justifier ses jérémiades, vous êtes passé à côté de la dizaine de groupes incroyables en provenance de l’Hémisphère Sud, parmi lesquels on citera Total Control (génialissime synthpunk de Melbourne), Royal Headache (de Syndey, en tournée européenne en septembre), UV Race, Assassins88, TV Colours, Eddy Current Suppression Ring et Straight Arrows. 06. MARK E. SMITH Tout le monde a besoin d’un grand-père. Ne serait-ce que pour lui taper un peu de thune. Autant vous prévenir tout de suite : vous ne réussirez jamais à taxer le moindre centime à Mark E. Smith (qui incarne The Fall depuis 34 ans et vient de sortir son 29ème album), mais sa seule présence saura vous rassurer dans les heures sombres de l’existence. Tant que cette vieille carne caoutchouteuse sera dans le coin, il y aura toujours un peu de chaleur dans le cœur des damnés. 07. HUNX De Darby Crash (leader ravagé des Germs) à Randy Turner (des mésestimés Big Boys), en passant par les Screamers (légendes synth-punk de la scène californienne de la fin des années 70), Team Dresch, Pansy Division, Turbonegro ou les nombreuses formations plus ou moins parodiques façon Limp Wrist, Gayrilla Biscuits ou Black Fag, l’homosexualité a tou-

jours été une composante clé du punk-rock. Dernière grande figure gay de la scène américaine, Hunx, coiffeur le jour et prince de cuir la nuit, multiplie depuis plusieurs années les bastons sur le parking du bon goût, et a réussi, en passant la morgue nonchalante des premiers Ramones au filtre John Waters sur fond de paroles souvent hilarantes mais toujours sincères et terriblement touchantes, à s’imposer comme le dernier grand héros romantique du rock. 08. LE PREMIER ALBUM DES BAD BRAINS Le classique qui ne vieillira jamais. Toujours aussi frais, vital et spontané trente ans après sa sortie. Tout est là, résumé en 33 minutes et 29 secondes : dérouillée intégrale, maximum weirdness et le son le plus pourri de toute l’histoire de l’électricité. Les plaisirs simples de la vie. 09. NICOLAS CAGE Marlon Brando, James Dean, Robert Mitchum, Errol Flynn : comme on a pu le constater plus haut, le punk a de nombreux points d’ancrage dans le cinéma. En 2012, aucune concurrence possible : Nicolas Cage reste la dernière valeur refuge en matière de déviance filmique. Mû par la puissance de traction des onze bicyclettes mentales de l’Antéchrist, l’acteur le plus psychotronique de sa génération continue de jouer comme s’il venait d’être téléporté sur un plateau de tournage et tentait désespérément de comprendre le film qui se met en place autour de lui, alternant murmures épouvantés et hurlements du Judéen traîné de force au cachot, avant d’atteindre le point Cage, climax terminal d’une prestation comparable au majestueux envol de mille concombres audessus de la Mer Noire. 10. BON IVER, THE RAPTURE, JAMES BLAKE, M83 Tant que les Supertramp de l’an 2000 sortiront des disques, il existera toujours quelque part le double de gens comme les Spits, Death Grips, Black Flag, les Bad Brains, Catholic Spray, Magnetix, Hunx, Mark E. Smith et Nicolas Cage. Et rien ne vous empêchera jamais de les trouver. En 2012 ou ailleurs.

THE SPITS ET DEATH GRIPS Parc de la Villette, Jardin des Iles, 26 mai, 15h30. BLACKIE Parc de la Villette, Jardin des Iles, 27 mai, 14h30.


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The Spits, © DR

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MELVINS

LES RACINES DU GRUNGE ?

Depuis bientôt 30 ans, les Melvins n’ont cessé de faire s’entrechoquer bruyamment l’hommage parodique et l’expérimentation dans des télescopages aussi sérieux que comiques, de faire se côtoyer les formes ingrates et monumentales du rock, l’aléatoire minutieusement programmé, l’abstraction bruitiste et le riffage metal fétichiste. Avec une intelligence rare et une exigence infaillible, ils réinventent disque après disque la dialectique du rock moderne tout en restant dans une perspective historique vitale. Ils font surtout partie de ces groupes imperturbables, aussi méconnus qu’essentiels, qui firent dévier la trajectoire de l’histoire du rock de façon presque imperceptible. Plus âgés et plus expérimentés que la génération qui jaillira sous l’étendard du grunge, ils ont fait office de prescripteurs et parfois d’exemple, pas toujours suivi à la lettre. Petite histoire. Par Françoise Massacre

T

out commence en 1983. Trois high-school kids zonent dans les rues de Montesano, un bled white trash de l’État de Washington, découvrant les joies et les vicissitudes de la petite délinquance juvénile et du punk rock pendant que les autres teens se dopent à Supertramp et reprennent méthodiquement « Cocaine » à la fête du collège d’Aberdeen. Roger « Buzz » Osborne, Matt Lukin (futur Mudhoney) et un certain Mike Dillard décident alors d’enregistrer une dizaine de titres furieux dans un studio de fortune de Mud Bay tenu par deux hippies en sabots. Ces démos, nourries aux Stooges, Discharge, Bad Brains, Kiss et autres groupes de la vieille et moyenne garde, dormiront dans un tiroir pendant près de 22 ans avant d’être déterrées par le label Ipecac en 2005 pour la postérité. Rebaptisées The Mangled Demos From 1983, elles constituent l’acte de naissance de l’un des groupes les plus endurants, atypiques et capitaux de la planète : les Melvins.

par le groupe. Mais c’est surtout leur tout premier LP, Gluey Porch Treatments (1987), qui scelle définitivement l’union sacrée du couple symbiotique Crover/Buzzo dont il contient la substantifique moelle : la frappe athlétique tout en roulements de Crover combinée à l’incroyable puissance des riffs d’Osborne, le tout porté par un sens de l’humour et de l’expérimentation à l’épreuve des balles.

À cette époque, les proto-Melvins sont peut-être le seul groupe de punk digne de ce nom dans les environs. Leur quotidien consiste surtout à écumer les clubs de Seattle et d’Olympia fréquentés par de pseudo-punks férus de skate, d’alcool et de dope. Mais très vite, Mike Dillard, pour qui les morceaux prennent une tournure un peu trop « mathématique », quitte le trio. C’est un certain Dale Crover, qui jouait depuis ses 15 ans dans un groupe local de reprises d’Iron Maiden, mais aussi dans Fecal Matter aux côtés de Kurt Cobain, qui le remplacera. Définitivement.

Nous voilà en 1993, jusqu’ici les Melvins évoluaient tranquillement dans la catégorie des groupes dont la singularité semblait les condamner à jamais à la confidentialité d’une étroite communauté de fidèles. Seulement, depuis l’explosion Nevermind en 91 et l’avènement planétaire du grunge, la donne a changé : le monde s’est mis à dépouiller chaque phrase prononcée par le nouvel oracle générationnel Kurt Cobain et à fouiller méthodiquement son passé. Les majors du disque, qui avaient trouvé leurs vaches à lait dans la grande mayonnaise que représentait la scène de Seattle, commencèrent sérieusement à se demander si elles n’étaient pas passées à côté de vétérans sans qui Nirvana, Mudhoney et l’accordage des guitares en ré ne seraient pas arrivés. Sans oublier que Dale Crover avait joué un temps au sein de Nirvana, comme en témoigne la poignée de morceaux disséminés sur Bleach et Insesticide. Une forte valeur ajoutée pour les magnats de l’industrie du disque. Et c’est ainsi qu’en 1993, affublés malgré eux du statut de « godfathers of grunge », les Melvins signent un contrat juteux avec Atlantic. Il en sortira trois albums sans compromis (Houdini – leur plus grosse vente à ce jour, Stoner Witch et le très expérimental Prick) qui naturellement, n’eurent pas vraiment le succès commercial escompté. Le contrat ne fut pas renouvelé, la collaboration avec Atlantic prit logiquement fin en 96 et les Melvins, amusés, rentrèrent au bercail chez les indépendants.

L’histoire s’emballe quand, sous l’influence conjuguée de Flipper, Black Sabbath, mais surtout du My War de Black Flag, dont la fameuse face B virait dangereusement vers l’extrêmement lent, les Melvins épaississent et ralentissent considérablement leurs morceaux. Cette collision a priori contre-nature entre l’ardeur du punk et la lourdeur du heavy metal est un phénomène nouveau, brutal et résolument audacieux, à contre-courant de la course au tempo qui sévit alors dans les milieux hardcore, un terrain encore vierge que seul Saint-Vitus commence à explorer avec Born Too Late en 1986 (SST). Les fondements du doom et du sludge se dessinent. La seconde moitié des 80s est une période décisive pour l’émergence du Seattle sound. L’avènement de la première vague de la future scène grunge se cristallise notamment autour de la sortie de la compilation Deep Six en mars 1986. Aux côtés des Melvins, figurent les autres parrains de ce mouvement en éclosion : The U-Men, Malfunkshun (dont le chanteur fondera Mother Love Bone en 88 avant de décéder, deux ans plus tard, d’une overdose d’héroïne), Skin Yard (avec Jack Endino qui deviendra le producteur attitré de la maison Sub Pop), Soundgarden et Green River (avec des futurs Mudhoney et Pearl Jam). La même année, la bande à Buzzo enregistre chichement son premier EP officiel (6 Songs) qui porte déjà en lui les germes de la petite révolution musicale opérée The Melvins, © DR

En ce temps-là, les Melvins sont suivis à la trace par un petit groupe de jeunes fans dont Kurt Cobain et Krist Novoselic. Les « pots de colles », comme les baptise affectueusement Buzz Osborne, font office de roadies sur la majorité des dates entre Olympia et Seattle. Le job n’est pas vraiment glamour : aussi peu de dollars dans les poches que de groupies dans les loges et un Buzz qui nourrit déjà la réputation de ne pas se montrer franchement tendre envers son entourage. Mais les pots de colle n’en ont cure, ils ont trouvé leur gourou.

Deux décennies plus tard, après vingt albums studio et pas moins de six changements de bassistes, les Melvins — en formule quatuor depuis leur fusion avec Big Business en 2005 — n’ont jamais semblé aussi vivants. Le grunge, lui, est tout à fait mort et enterré.

THE MELVINS Samedi 26 mai, Grande Halle salle Charlie Parker


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QUELQUES LARMES DE SIROP DANS UN MONDE DE BRUTES

(OU COMMENT LA CODÉINE A CHANGÉ LE RAP)

La présence dans le festival de trois rappeurs connus pour leur démence créative – MF Doom, Death Grips et B L A C K I E – donne l’occasion de parler d’un phénomène omniprésent mais pourtant trop survolé dans le rap : les drogues – les drogues parce que la drogue préférée du rap, sa drogue historique, restera toujours la weed. Mais le lien entre rap et spliffs est tellement transparent qu’il n’y a rien à dire de spécial dessus, ça ne «  fait pas problème  », comme on dit. Ce qui n’est pas le cas de la codéine… Par Étienne Menu

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es mecs ont toujours fumé des joints pour décompresser après une journée de hustle, pour écrire des lyrics ou pour s’ambiancer avant de baiser. Bref, tout ça demeure parfaitement normal et utilitaire. Et les beats produits dans les années 90 ont toujours été déterminés par les effets du produit sur la perception auditive : le son West Coast était moelleux, entêtant et chargé en basses, le son new-yorkais surmixait les caisses claires et travaillait les samples avec une précision maniaque, vraisemblablement favorisée par la weed, tandis que les producteurs du Sud s’intéressaient au potentiel psychédélique de la technologie en soignant à l’extrême leurs arrangements et leurs effets de superposition dans le mix. Et ce n’est certes pas un hasard si la révélation rap de 2011, A$AP Rocky, tête de gondole du crew A$AP à Harlem, parle de weed, évidemment, comme à peu près tous les rappeurs depuis 25 ans. Mais là où ça change un petit peu, c’est qu’il aborde tout aussi souvent la question du purple drank, cette boisson aux reflets violacés, qui dilue du sirop codéiné contre la toux dans du soda. L’effet peut se rapprocher de celui produit par l’herbe, à la différence près que l’impression de ralentissement y est beaucoup plus intense, beaucoup plus concrète. Dans les années 90, la consommation de drank (ou syrup, sizzurp, lean, ou encore Texas tea) dans les clubs de Houston a donné l’idée à un certain DJ Screw, devenu légendaire, de ralentir au maximum les disques qu’il jouait, et de finalement réaliser en studio des versions sur-ralenties de morceaux, voire d’albums entiers. Entre les mains de Screw, le rap apparaissait donc en version « chopped and screwed », « chopped » pour « coupé », « émincé », puisque le DJ texan ajoutait du passe-passe (du beat juggling en anglais, technique qui consiste à jouer en décalé deux copies du même disque et à effectuer de rapides allers et retours de l’une à autre), pour rendre le résultat encore plus adapté à la confusion mentale de ses auditeurs et aux effets de stop-start-rewind caractéristiques du syrup. Vue de l’extérieur, cette scène underground locale et ses productions renvoyaient une image déconcertante lorsqu’on la comparait au reste du rap américain. Les morceaux screwed

and chopped vident souvent le rap de sa virilité, de sa violence, de son assurance, et les voix des rappeurs deviennent exagérement graves, à un point parfois grotesque, monstrueux. Le groove traîne dans une mélasse sonore où l’on se sent comme piégé, et dont il se dégage un sentiment évident d’abandon, de profonde faiblesse, voire de régression fœtale — une chose jusqu’ici interdite par les codes du rap. Pourtant cette transgression ressentie n’a pas eu l’air de trop perturber le milieu : quand les morceaux de r&b féminins sont screwed, les voix des filles sonnent comme des voix de shemales ou de jeunes mecs à voix de tête, mais le beat derrière réussit à être encore plus lascif que celui de l’original, et ça permet de couvrir à peu près l’ambiguité du truc. DJ Screw est mort en 2000 d’une overdose de syrup, mélangé à du Valium et du PCP, et c’est là que cette histoire de codéine devient encore plus intéressante. La figure du rappeur sacrifié, du martyr de la rue, du mec qui donne sa vie pour ses frères, on la connaît : Tupac, Biggie ou Big L l’ont réellement incarnée, et fictionnellement parlant à peu près tous les MCs importants depuis vingt ans ont joué sur ce modèle du mec qui vit tellement à fond qu’il peut s’arrêter de vivre maintenant, que ça arrivera tôt ou tard, que chaque jour doit être vécu comme le dernier, etc. Là, dans le cas de Screw, il s’agit complètement d’autre chose : le mec s’est suicidé, ou en tout cas il suivait depuis longtemps une authentique logique d’autodestruction. Et évidemment, impossible de ne pas penser que cette pulsion de mort se devinait déjà à travers ses productions : les beats zombifiés et dysfonctionnels, les voix en fin de vie, le chopping comme image de la perte de contrôle définitive qu’induit — entre autres choses — la mort. Plus de dix ans plus tard, il suffit de regarder le documentaire The Carter pour comprendre que Lil Wayne, la plus grosse star du rap de ces cinq dernières années, et addict notoire au syrup, se trouve aujourd’hui lui aussi animé par cette pulsion : libido réduite à presque rien (« Je baise plus, je me fais juste sucer »), tendance anhédoniste lourde et besoin prononcé d’isolement. Le syrup a donc marqué l’arrivée d’une nou-

velle figure dans l’histoire du rap : celle de l’artiste en contact intime avec une forme radicale de laisser-aller, de passivité, de désespoir, de masculinité castrée, en dialogue constant avec sa finitude et donc avec sa mort, métaphorique ou non. On pourrait parler des deux autres drogues nouvellement prisées du milieu rap, à savoir l’ecstasy dont certains morceaux chantent les louanges, visiblement pour ses vertus tant euphorisantes qu’aphrodisiaques, et la cocaïne, qui reste elle encore un tabou même s’il est à peu près certain qu’elle fait carburer pas mal de rappeurs majeurs — on pense notamment à l’incroyable Juelz Santana, du crew new-yorkais Dipset, à son regard perpétuellement allumé, perçant, à sa mégalomanie surréaliste (« I’m so bright/The sun wanna battle me »), à son sourire mignon et flippant à la fois, et il faudrait aussi citer les pervers polymorphes d’Odd Future. Mais comme avec la weed, on constate vite que leur rapport avec la créativité reste linéaire et cohérent. La codéine, elle, fait au contraire émerger l’existence d’une zone interdite, parasite, où s’enfonceraient les rappeurs. On a parfois discuté de l’homosexualité refoulée comme de la « part maudite du rap », mais c’est finalement par le syrup que s’est révélé le véritable impensé du rap — en acceptant un beat cahotant et ralenti, en laissant in fine le temps s’étaler, le rappeur perd le contrôle, et n’en devient que plus passionnant.

MF DOOM Le 25 mai, 19h30 à la Grande Halle de la Villette. DEATH GRIPS Le 26 mai, 18h, Parc de la Villette. BLACKIE Le 27 mai, 18h, Parc de la Villette.


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Lil Wayne, © Nabil Redbckgrnd Tha Carte

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R. Stevie Moore, par Damia Bosch


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R. STEVIE MOORE

GARGANTUA POP

Génie de la pop excentrique, R. Stevie est né en 1952 à Nashville. Ce maverick débonnaire a toujours dédaigné le show-business, préférant l’intimité de son home studio où il enregistre des chansons à tour de bras depuis quarante ans. Sa discographie pléthorique est un pied de nez à l’industrie musicale et un majeur fièrement dressé contre l’Amérique profonde. Si, dans sa jeunesse, ses idoles avaient pour nom The Beatles, The Beach Boys, Frank Zappa ou Syd Barrett, R. Stevie n’a eu de cesse d’anticiper ou de revisiter les courants successifs qui ont traversé l’histoire de la pop — du psychédélisme à l’indie-rock en passant par la new wave. Victime de sa marginalisation consentie, il n’a jamais connu le succès, se contentant d’un cercle de fans qui s’élargit d’année en année. Extirpé de l’underground par Ariel Pink qui a reconnu en lui un « père spirituel », le prolifique songwriter semble enfin obtenir une reconnaissance méritée. À l’occasion d’une résidence exclusive à Villette Sonique, R. Stevie Moore et Ariel Pink présenteront pour la première fois sur scène leur projet Ku Klux Glam. Rencontre avec un ovni. Entretien par Julien Bécourt Ton père, Bob Moore, était musicien de studio. Il a enregistré avec toutes les icônes de l’époque : Elvis Presley, Bob Dylan, Julie Andrews, Quincy Jones, et même Johnny Halliday ! Dans ta jeunesse, étais-tu impressionné par son talent de musicien et par les superstars avec lesquelles il travaillait ? Par son talent de musicien, oui, énormément. Par les superstars, pas vraiment, non. Depuis gamin, j’avais pris l’habitude de le voir côtoyer d’innombrables pointures de l’époque. Ça me semblait tout à fait banal. C’est lui qui t’a initié au monde de la musique ? Indirectement, oui, un peu à son insu. La musique faisait partie intégrante de ma jeunesse. C’est moi et moi seul qui ai décidé par la suite de m’y plonger complètement. Il ne m’a jamais vraiment soutenu et je ne pense pas qu’il ait jamais approuvé par la suite mes choix musicaux plus personnels. Je pense en revanche qu’il était impressionné par mon oreille absolue. J’ai toujours revendiqué son héritage de ce point de vue-là. Quels souvenirs gardes-tu des sixties ? Grandir pendant cette période-là était le pied total, une véritable révélation, même si Nashville en elle-même n’avait pas grand-chose à voir avec cette «Renaissance» pop qui était en train d’advenir dans le monde entier. Avec le recul, je me dis même que c’est incroyable d’avoir pu être autant au courant de tout ce qui se passait dans le monde de la musique pop en habitant dans un état aussi réac que le Tennessee. Es-tu fils unique ? Oui, et j’ai reçu une éducation familiale particulièrement tyrannique. J’étais un enfant très solitaire et introverti. J’avais juste une petite poignée d’amis avec qui je partageais les mêmes goûts musicaux. Quand as-tu commencé à écrire tes propres chansons ? Vers 1972, à l’âge de 20 ans. J’avais déjà fait quelques tentatives d’enregistrements maison cinq ans auparavant, mais rien de très sérieux. Nombre de tes chansons sont des hits potentiels. Comment expliques-tu qu’elles n’aient pas trouvé leur public en temps voulu ? Un manque de visibilité, je suppose. Très peu de gens avaient entendu parler de moi à l’époque. Surtout, mon style était loin d’être au goût du mainstream, à plus forte raison dans une ville comme Nashville. Comment ton premier disque Phonography a-t-il été accueilli par la critique en 1976? A-t-il eu un impact public ? Initialement, c’était un album démo ultra-rare pressé à seu-

lement une centaine d’exemplaires. Il est passé totalement inaperçu et personne de notable ne l’a eu entre les mains à ce moment-là, à l’exception d’une journaliste de Trouser Press. Quelles sont tes méthodes pour composer une chanson ? As-tu besoin d’être d’une humeur particulière ? Je n’ai pas de méthode particulière, j’ai composé de la musique et des paroles de toutes les façons possibles et imaginables. Mais je ne suis plus aussi prolifique que par le passé, quelle que soit mon humeur, bonne, mauvaise ou insignifiante. Toutefois, je suis d’accord, la spontanéité est primordiale dans ma manière de travailler. Rien de ce que je fais n’est calculé à l’avance. Je m’empêche catégoriquement de restreindre ma production. Ma vie entière est une longue chanson. Les milliers de chansons que j’ai enregistrées forment une seule et même chanson, c’est comme un journal intime. Par conséquent, deux possibilités de rétrospective s’offrent à moi : des compilations de best-of sans fin ou un coffret d’œuvres complètes qui ne le seront jamais vraiment.

On te range souvent dans la catégorie des outsiders, en compagnie d’autres légendes : Jad Fair, Daniel Johnston, Eugene Chadbourne, Gary Wilson, Legendary Stardust Cowboy, Harry Merry… Prends-tu cela comme un compliment ? Oui et non. Je suis fier d’être rangé parmi les outsiders excentriques, mais d’un autre côté, il me semble évident que ma musique a une palette de contrastes bien plus large que celle de tous ces artistes qui sont en général cantonnés à un seul style. Leurs productions ne sont pas d’une si grande diversité. Même lorsqu’elle sont bricolées avec les moyens du bord, tes chansons sont toujours admirablement composées. Estce par défaut ou est-ce un parti pris de les conserver à l’état brut et lo-fi ? Les deux ! Je suis heureusement capable de garder la tête froide quelle que soit la direction que je prends, de chercher à la fois l’amélioration et la résistance à toute forme d’amélioration. Ça ne joue peut-être pas en ma faveur, mais c’est comme ça que je fonctionne.

As-tu été influencé par le mouvement punk et la new wave au début des années 1980 que tu as en quelque sorte « anticipés » ? Oui, énormément. Encore aujourd’hui, même si j’ai renoncé à en découvrir chaque semaine un énième ersatz comme il en existe tellement chez les jeunes groupes à la mode !

Ariel Pink te doit beaucoup, tu es en quelque sorte son mentor. Connaissais-tu sa musique avant qu’il te contacte ? Non, c’est arrivé simultanément, on s’est connu mutuellement au même moment. Cela fait un an qu’on planche ensemble sur un album qui a pour titre Ku Klux Glam.

Certaines de tes chansons ressemblent quasiment à des pastiches de pop et de new wave anglaises, on y retrouve assez peu finalement tes origines américaines… Exact, mes affinités avec la pop anglaise remontent aux premiers Beatles. La « saveur british » fut ma religion tout au long de ma vie.

Rétrospectivement, de quel disque es-tu le plus fier ? Je n’ai pas d’album préféré, je suis fermement opposé à cette manie populaire qui consiste à établir des classements ! Tout ou rien, pour toujours. J’englobe indifféremment le bon et le mauvais, le grand et le petit, le populaire et l’obscur, le succès et l’échec. Je suis fier de l’ensemble de mes productions, je serais bien incapable d’en mettre une au-dessus des autres.

Tu as été signé dans les années 1980 par le label français New Rose, qui te présentait comme « l’un des plus grands songwriters de tous les temps ». As-tu senti venir le succès à cette époque ? Tes disques se vendaient-ils ? Non, les ventes étaient minimes sur les quatre albums sortis sur New Rose. Mais cela m’a apporté une visibilité incomparable à l’échelle internationale. Tu as été fortement concurrencé dans les années 1990 par la mode lo-fi. En tant que pionnier de l’esthétique DIY, ne t’es-tu pas senti lésé ? Oui, absolument, tu touches pile au point sensible. J’ai souffert pendant des années de cette compétitivité forcée, et cela continue jusqu’à ce jour. Même si c’est une déconvenue calculée de ma part, j’ai toujours du mal à encaisser d’être automatiquement court-circuité par une relève plus jeune, une génération après l’autre.

Comment te présenterais-tu au public français qui n’a jamais entendu parler de toi ? Je suis moi. Ca vous va ? Quel conseil donnerais-tu à la nouvelle génération de musiciens Do It Yourself ? Soyez vous !

KU KLUX GLAM (R. STEEVIE MOORE & ARIEL PINK) Le 26 mai, Jardin des Iles, Parc de la Villette

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GOOD GIRLS GO TO HEAVEN

(BAD GIRLS GO EVERYWHERE)

L’histoire de Christopher Owens, auteur, compositeur et chanteur de Girls est de celles qui fascinent les amateurs de faits divers. Enfance verrouillée, mort, manipulation, prostitution, drogue, errance, trahison… Tous les ingrédients d’une tragédie annoncée sont là. Son destin aurait dû être celui d’une victime ou d’un meurtrier. Il n’en sera rien. Certains parleront de rédemption, d’autres de résilience, on évoquera simplement ici un talent hors du commun pour écrire des chansons qui vous brisent le cœur dès la première écoute. Des épopées de larmes et de sang qui surgissent d’un passé un peu compliqué. Par Clovis Goux

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hristopher Owens naît à Miami en 1979, ses parents sont des hippies qui ont enfin trouvé la lumière chez The Children of God, un culte chrétien qui deviendra The Family puis The Family International. Son fondateur David Berg sera poursuivi pour abus sexuel par ses propres enfants et le mouvement religieux mis en cause pour inciter ses membres à pratiquer le « flirty fishing », une évangélisation que beaucoup assimilent à du simple tapinage. Atteint d’une pneumonie, le frère aîné de Christopher Owens meurt parce que la secte lui refuse toute assistance médicale. Ce qui reste de la famille explose : son père les a abandonnés à sa naissance et sa grande sœur et son petit ami réussissent à s’échapper de l’emprise du culte. Christopher se retrouve seul avec sa mère. Ils parcourent dès lors le globe dans le but de convertir de nouveaux fidèles : ce sera la Chine, le Danemark, la France, la Slovénie… De cette enfance sous contrôle, il déclarera au Guardian : « Imaginez que vous soyez élevés par des Talibans. Que l’on vous dise que tous les autres dans le monde sont mauvais, d’avoir à rejeter la technologie, la recherche médicale, d’être dévoué à Dieu en croyant que l’Amérique est le mal et que la fin du monde approche : c’étaient les mêmes principes. » Même s’il reconnaît aujourd’hui certains aspects positifs à cette expérience (en particulier son goût pour les chorales gospel et les versets de la Bible), à 16 ans, Christopher n’en peut plus. Il décide de s’enfuir loin de sa mère et des Children of God pour rejoindre sa sœur à Amarillo au Texas. Il retrouvera également le père qu’il n’a jamais connu, mais découvre surtout une nouvelle vie : celle de la rue et des punk kids qui se nourrissent dans les poubelles et se défoncent avec ce qu’ils peuvent. Il fait alors une ren­ contre providentielle par l’intermédiaire d’un ami commun : celle de Stanley Marsh III, milliardaire excentrique et phil­ anthrope de 64 ans qui va prendre Christopher sous son aile et l’encourager à développer ses penchants artistiques. Son protecteur le considère alors comme « un diamant trouvé dans le caniveau ». Après quatre années passées à ses cotés, Christopher Owens prend de nouveau son destin en main. Destination : San Francisco. Une ville qui a cramé ses clichés dans le creux d’une petite cuillère… « La Californie sous le soleil et ce côté hippie, c’est une vision faussée de la ville et de nous-mêmes. San Francisco est aussi un endroit sale avec ses recoins sombres, ses dealers de drogue, sa violence. Mais c’est un endroit magnifique, à taille humaine », confiaitil récemment. Il tombe amoureux de la plus belle fille de la ville, la it girl Liza Thorn (du local band Bridez), qui est aussi la plus dangereuse. Ensemble, ils font vaguement de la musique, projettent de former un goupe, Curls, mais plongent surtout dans les drogues dures.

Liza le largue du jour au lendemain, mais ne lui laisse pas que des épines dans le cœur et de la poudre dans les veines. Grâce à elle, il a découvert Holy Shit et la musique de son leader, Ariel Pink, est une véritable révélation pour Christopher. Lorsque le groupe passe à San Francisco, il n’hésite pas, tente sa chance et devient guitariste de cette bande de freaks qui réinventent la pop californienne en défigurant méthodiquement tous ses codes. Ariel Pink veut l’embarquer dans sa tanière de L.A. pour qu’ils poursuivent leur collaboration. Christopher résiste : il préfère enregistrer ses propres chansons avec Chet « JR » White, son nouvel ami bassiste qui suit alors une formation d’ingénieur du son tout en bossant comme serveur pour gagner sa croûte. Girls naît à ce moment-là. Leur premier album paraît en 2009. Sobrement intitulé Album, il fait la synthèse des obsessions musicales de Christopher Owens : Ariel Pink pour le chant « dérangé » en perpétuel décalage, Lawrence de Felt pour sa capacité à composer de chansons grandioses… dans une indifférence cruelle, les Beach Boys enfin mais revisités par la noisy pop anglaise des 90’s ( Jesus & Mary Chain et My Bloody Valentine notamment). Malgré la tentation de la lose, et peut-être aussi grâce à des poses bohèmes un peu crispantes, Girls ne reste pas dans l’ombre. Porté par le single « Lust for Life » où Christopher règle ses comptes avec Liza, le groupe devient la coqueluche des hipsters le temps d’une saison. Après un brillant EP intitulé Broken Dreams Club, il est temps pour le groupe d’abattre sa carte maîtresse, son ticket d’entrée pour l’éternité : soit Father, Son, Holy Ghost, second album où Christopher Owens délaisse le superflu pour plonger dans le vif du sujet, la chair de ses angoisses : 14 chansons où il livre sans détours son expérience d’enfant perdu et sa recherche incessante d’amour (absolu ou fugitif ) avec une simplicité et une ingénuité totalement désarmantes ; 14 titres qui oublient les complaisances lo-fi du do it yourself pour embrasser la grande tradition classique américaine ; celle, épique et introspective, de Neil Young ou d’Elliott Smith ; celle, magnétique, du r&b des sixties ; celle, violente et frontale du hardcore. Au risque de se perdre, Christopher Owens affronte ici tous ses démons : sa mère, la solitude, le dépit amoureux, les rêves brisés, la dépendance, la déchéance… Chaque morceau est une bataille livrée contre luimême. Les poings en sang, Christopher Owens s’en sort, pour la première fois de sa vie, toujours vainqueur. À genoux, l’auditeur n’a plus qu’à remercier Dieu pour ce don du ciel. Amen.

GIRLS Le 30 mai à la Cité de la Musique, Parc de la Villette Christopher Owens, © DR


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JOUONS UN PEU...

AVEC ROLAND BARTHES SIMPSON VERTICALEMENT 1. Club new-yorkais culte. 2. Groupe black metal norvégien emmené par Varg Vikernes. 3. Le label qui a ramené New York sur le dancefloor au début des années 2000. 4. Groupe punk rock programmé à Villette Sonique. 5. Le gourou de cette Family a traîné avec Dennis Wilson, avant d’être impliqué dans l’assassinat de Sharon Tate. Il croupit actuellement en prison. 7. Courant musical anglais en vogue dans les années

HORIZONTALEMENT 15. Cette académie pas comme les autres posera ses 19. Appellation fourre-tout pour tout groupe de rock

coup plus de temps pour Free Kitten. 22. Cette mini-guitare agaçante a fait un retour fracassant ces dernières années. 25. C’est pas parce que tu tournes dans des films qu’il faut te sentir obligée de sortir un disque. 27. Single gigantesque des Pixies.

encore Teenage Fanclub.

29. Amour et disque de Sonic Youth paru en 1986.

culte des années 90. 11. C’est le nom de famille d’un des grands auteurs français du XIXème siècle, c’est aussi la première partie du projet «  pop gothique » de Nika Roza Danilova. 12. Cette pratique sexuelle japonaise est également

31. Label new-yorkais culte des années 80. 32. Ce colonel bien connu était le manager d’Elvis Presley. 33. Sensation d’un week-end de l’été 2011. 34. Le label anglais Young Turks a encore frappé fort en 2011 avec cet album. 37. Nom du girls band de Frank Zappa.

une partie du nom d’un groupe qui aurait pu être

38. Génie de la console.

programmé à Villette Sonique cette année.

39. Le cercueil de Tony Wilson porte le numéro 501.

13. Nom de famille d’un grand malade mental de la pop contemporaine américaine.

Houellebecq a préfacé l’édition française.

24. Cette chanteuse tamoule aime les collants en lycra fluo et la provoc facile.

6. Groupe punk de la scène californienne qui a no-

26. Label créé par Calvin Johnson à Olympia en 1982.

tamment participé à la BO de Cruising d’Al Pacino.

28. Alan s’est ruiné avec My Bloody Valentine avant

non signé sur une major. 20. Depuis qu’elle a splité avec Thurston, elle a beau-

90 dont les fers de lance étaient Ride, Slowdive ou 10 . On doit à Kevin Shields et sa bande un des albums

4. Titre d’un texte de Valérie Solanas dont Michel

valises à New York en 2012.

7.

Fanzine punk US culte.

8. Sonic a enregistré quelques albums culte en compagnie de Jason Pierce. 9. Side project de Stephen O’Malley. 11. Steve Moore aime la musique de films d’horreur. 14. Hipster-folkeuse française. Elle aime jouer du ukulélé et filme ses clips avec un I-phone. 16. Ces common peoples sont aussi des stars de la pop anglaise. 17. Dans les années 80, cette fille traînait avec The Orchids, The Wake et Blueboy.

de se refaire avec Oasis. 30. Gorky’s Zygotic Mynci en solo. 31. Ce groupe de metal programmé à Villette Sonique vous donnera tout sauf l’envie de dormir. 34. Kevin est un dieu pour tous les fans de pop bruitiste. 35. Il se cache derrière Denim et Go Kart Mozart. 36. The creator. 39. Groupe pop culte anglais emmené par Lawrence Hayward. 40. Michel Sardou de gauche.

18. Au festival Pitchfork, elle va de pair avec la chemise à carreaux. 21. La nouveauté estampillée seventies du côté de Düsseldorf. 23. Richard est new-yorkais, il filmait déjà des filles nues en 1985 pour Sonic Youth.

Retrouvez les réponses sur : www.facebook.com/rolandbarthessimpson


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