" Congo, le Renouveau"

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Préfarails, des rails dans la capitale

L

ECONOMIE

e Boulevard du 30 juin, principal artère de la capitale congolaise accueille, depuis le début de ce mois de juillet, une cohorte de bus résolument modernes. Trois cents engins ont ainsi fait leur apparition. Un premier grand projet lancé pour tenter de faciliter le quotidien des Kinois et qui doit aussi fluidifier le trafic en constante progression dans cette ville, véritable mégapole de plus de 11 millions d’habitants. “Kinshasa, c’est une ville dans aquelle il y a plus d’habitants que dans toute la Belgique”, explique Papa Fidèle, chauffeur de taxi depuis plus de 30 ans. “Avant l’élargissemnt du boulevard, on pouvait perdre des heures entières sur cet axe. Du coup, tout le monde essayait de l’éviter. Résultat, les embouteillages se déplaçaient dans toutes les rues voisines, encore plus petites, encore en plus mauvais état.” “Ces 300 bus, c’est bien, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans une ville qui devrait compter des milliers de véhicules de ce type”, constate Firmin, alias Mister Rumba, un musicien qui fait les beaux jours de certains bars du centre-ville. “Nous aurons rapidement besoin de plus de bus et pourquoi pas, comme à Bruxelles, ville que je connais bien pour y avoir vécu près de dix ans, un tram kinois?” Un appel lancé comme un défi qui pourrait rapidement être relevé par les autorités congolaise et kinoise qui mettent la dernière main au contrat qui va réunir une PME de Soignies, une banque chinoise et une des plus grandes sociétés de construction du monde, elle aussi chinoise. “Ce contrat, c’est déjà neuf ans de travail et d’investissements”, explique Stéphane Dirven, directeur développement de Préfarail, société implantée à Soignies. Spécialité de l’entreprise : le rail, ou plutôt “l’emballage des rails” du tram ou de tout autre engin qui utilise le rail. Le “système de la voie noyée”, comme le disent les cartes de visite des patrons de Préfarails. L’invention de cette société wallonne consiste à “déposer le rail” dans une enveloppe faite de caoutchouc produit à partir de pneus recyclés. Chaque année, ce sont ainsi des millions de pneus qui sont recyclés par cette société qui peut ainsi se targuer d’avoir

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une influence certaine sur l’environnement, sans compter que ce système de pose de rails propose de limiter les pollutions sonores (jusqu’à 20 décibels) et les vibrations. Aussi simple que génial. En général, notamment pour les chantiers en Belgique ou en France, les rails sont ainsi glissés dans le caoutchouc à l’usine de Soignies où travaillent plus de 80 personnes. Le béton, le caoutchouc, les rails et même, éventuellement, les pavés sont préparés sur d’énormes plaques “préfabriquées” qui ne

République Démocratique du Congo, le renouveau mes par des grues encore plus démesurées pour être déposé ensuite directement sur le site des travaux. “Le gain de temps est énorme pour les entreprises qui peuvent réduire le temps de pose des rails. Autre avantage, on creuse moins profondément et, en fonction des besoins, les gaines techniques peuvent aussi être prévues sur les plaques.” En Belgique, la Stib, société de transports bruxelloise, est le principal client de l’entreprise sonégienne. aujourd’hui, Préfarails sort largement des

Un tram belge à Kinshasa comportent par contre plus de traverses. Poids d’une telle plaque de 18 mètres de long ? “Quarante tonnes, à quelques kilos près”, poursuit le directeur développement. Le tout est embarqué sur des camions énor-

frontières belges avec des réalisations en France, Allemagne, Autriche, Portugal, Espagne, Grèce mais aussi au Maroc ou encore en Tunisie et des projets aux quatre coins du monde. Mais le nouveau grand défi, c’est le tram de Kinshasa. “Une aventure qui nous a déjà coûté plus d’un million et demi de dollars en études”, poursuit notre hôte, “sans compter les billets d’avion,

les heures, etc. Mais aujourd’hui, tous ceux qui nous prenaient pour de doux rêveurs ou des fous nous regardent avec d’autres yeux.” Et pour cause, depuis quelques semaines, le projet a pris corps avec la signature d’un protocole d’accord entre les “ptits” belges et le géant chinois Sinohydro, entreprise du top 50 mondial dans la construction et l’hydroélectrique. “L’investissement est de 676 millions de dollars”, explique Joseph Rode, le directeur général de Préfarails. “L’État congolais ne pouvait pas supporter cet investissement. Les banques de chez nous ne nous ont pas suivies, la banque chinoise Exim Bank a été séduite par le projet et le concept”, enchaîne Stéphane Dirven. Évidemment, pour nouer ce contrat, il fallait désormais un partenaire chinois pour nos amis belges et c’est donc Sinohydro qui sera le partenaire de Préfarails. “Logiquement, on posera la première pierre de notre usine fin de cette année et le premier tram devrait rouler pour 2016”, poursuit encore Stéphane Dirven. 2016, année de la prochaine présidentielle. Le tram serait une réalisation majeure pour un président sortant qui aime se présenter comme un bâtisseur. Un autre gage de garantie pour nos Wallons. Mais évidemment, pour ce chantier à plus de 6.500 kilomètres, pas question de construire les rails en Belgique et de les transporter sur place. “Nous allons construire une usine sur place et noustravaillerons essentiellement avec de la main d’oeuvre locale”, explique

encore Stéphane Dirven. Il en ira de même pour les conducteurs de ces trams qui seront tous des Congolais qui devraient pouvoir bénéficier d’une formation bruxelloise. Le ministre des transports congolais était de passage le mois dernier à Bruxelles pour s’entretenir avec les responsables de la Stib qui devraient être les partenaires de cette formation. Et “pas question de ramener à Kinshasa des machines d’occasion et de vieux stocks bradés venant de je ne sais où”, lance encore Joseph Rode, cautionné par le hochement de tête de Stéphane Dirven. Les deux patrons de Préfarails savent ce qu’ils veulent et savent aussi qu’à travers ce premier grand projet subsaharien, c’est tout un continent en pleine mutation qui les regarde. “Le projet de la Stik, la Société de transport interurbain de Kinshasa, prévoit un premier tronçon de 28 kilomètres de voies. Tout est tracé sur plan et il y aura près de trente stations. Pas question d’aller chercher des véhicules d’occase, pas question de se contenter de piquer quelques poteaux pour les stations. Tout sera neuf, tout sera high-tech et beau”, poursuit M. Dirven. Objectif : 250.000 usagers payants par jour. “Dans la première phase, il y aura 50 locomotives. Mais il est évident que c’est un projet global qui doit aller beaucoup plus loin. On doit penser à l’horizon de 30 ans. C’est un projet à 800 kilomètres de voies (400 kilomètres de doubles voies). Regardez Bruxelles : vous êtes sur 240 kilomètres de doubles voies pour une ville qui est beaucoup plus petite que Kinshasa et qui compte une population au moins dix fois moins importante. Là-bas, à Kin, vous avez une mégalopole de 12 ou 14 millions de personnes avec des problèmes de mobilité, mais aussi de pollution. Le tram est une réponse évidente et notre système de voies noyées est apparu comme

une évidence pour les décideurs locaux. Dans 10- 15 ans, on sera sur 350 locomotives et des millions de personnes transportées.” Évidemment, les Kinois ne disposent pas d’un pouvoir d’achat identique à celui des Bruxellois. “C’est vrai, mais regardez ce qu’ils dépensent aujourd’hui dans les moyens de transport aussi dangereux que polluants. Le prix du billet sera de 1,4 dollar, il sera valide toute la journée. Il pourra donc éventuellement être utilisé par plusieurs personnes mais pas simultanément, évidemment. Je ne pense donc pas que le prix sera un frein.” Le prêt qui serait consenti prévoit un remboursement sur 30 ans mais le capital, lui, n’est remboursable qu’à partir de la 9e année. “Cela veut donc dire que nous avons 8 ans devant nous. Les trois premières années seront des années d’investissements pendant la construction du dépôt et des premiers axes. À partir de la 3e année, nous serons en exploitation. L’État congolais a demandé que Prefarails soit associé à la gestion durant toute la durée du prêt. Une sorte de garantie supplémentaire pour les deux parties”, explique encore le directeur développement qui a prévu de s’installer à Kin pendant 5 ans. “Il faut reconnaître que ce type de montage est utopiste en Europe, voire même aux Etats-Unis. Mais si vous regardez des sociétés de transport en commun dans des environnements semblables, vous constatez que c’est tout à fait faisable”, poursuit Joseph Rode, le DG. “Il ne faut donc pas comparer la situation avec Paris ou Bruxelles mais bien avec des villes comme Manille ou Kualalumpur. Ici, les trams sont bien garnis pendant les heures de pointe, soit, au maximum, deux fois trois heures par jour. Là-bas, c’est bondé toute la journée. L’équation est donc différente, les seuils de rentabilité aussi.” Un pari un peu fou prend forme.

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