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L a

t r a d i t i o n

d e s

To c q u a r d s


Couverture : Deux représentants des Tocquards, au terme d’une messe de l’âne - Caen, 2017 Ci-contre : Sceau d’une société de carnaval des Tocquards - Caen - non daté


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* J’y crois car c’est absurde !


Glossaire :

Bazoche (Royaume de la) Bazochien Béjaunage Bleu Deposito Bizuth ou bizut Pennal Mulus Béjaune

Royaume pour rire, mais aux pouvoirs réels Membre du Royaume de la Bazoche Période où le nouveau se faisait reconnaître comme étudiant au moyen âge Nouveau dans une faculté (Belgique) Rite d’agrégation du béjaune Nouveau dans une faculté (France) Stade postérieur à celui de béjaune Nouvel étudiant non encore inscrit dans une faculté (Allemagne) Nouvel étudiant inscrit à l’université (moyen âge)


Références :

Félix et Thomas Platter – Félix et Thomas Platter à Montpellier 1552-1559 – 1595-1599 notes de voyage de deux étudiants Bâlois, (1552), Montpellier, chez Camille Coulet, libraire, 1842 Adolphe Fabre, Les clercs du Palais – recherches historiques sur les Bazoches des Parlements & les Sociétés dramatiques des Bazochiens & des Enfants-sans-Souci , N. Scheuring, Libraire-Editeur, 1875 Christian Jacq - Le message des constructeurs de cathédrales, la symbolique des édifices. Une réponse au mystère de la vie. Paris, J’ai lu Document 2090, 1980, ISBN 2-290-12090-1


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Index | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur

Index Mots-clés :

tradition, rite, rituel, bazoche, bizutage, deposito, béjaune, bleu, bizuth, mulus, beania, depositor, inspector morum, pennal, fuschs, tyro,

Keywords :

tradition, ritual, ritual, bazoche, hazing, deposito, bejaune, blue, bizuth, mulus, beania, depositor, inspector morum, pennal, fuschs, tyro,

Personnes citées :

Saint Grégoire de Naziance, commandant RoSWeLL, Philippe-Auguste, Philippe le Bel, Napoléon, A. Sorel, Sylène, Dédale, Manuel Segura, Albert Robida, Jean de la Fontaine, Bacchus, Jesus Christ

Plan :

Introduction La plus ancienne tradition étudiante encore active Du protocole au rituel Les rites de l’âne Le codex Escamotage

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« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » F. Rabelais, vers 1553


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Introduction

La pratique universitaire d’agrégation des nouveaux par l’entremise d’un rite d’esthétique violent est fort ancienne. Elle est déjà attestée pour les gymnases de l’antiquité grecque par Saint Grégoire de Naziance (329 – 390), lors un de ses discours. La Deposito de l’Université de Paris servit de modèle à l’ensemble du monde étudiant d’Europe.

Par son travail de recherche au cœur des pratiques d’intégration, commandant RoSWeLL a découvert la tradition caennaise des Tocquards, en 2011. La richesse de cette survivance du royaume de la Bazoche tient du fait qu’elle n’a jamais abandonné son folklore. Mais s’agit-il vraiment d’un folklore ?

Commandant RoSWeLL abordant la toque lors de la présentation de son travail à La Fabrique APEFIM en 2015


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Au départ, le jeune homme qui se présentait à l’université était considéré comme un baudet, un âne, une mule. Cette dénomination existait encore au XXe siècle en Allemagne, où l’écolier arrivant en ville pour s’inscrire à l’université était qualifié de « mulus ». En s’immatriculant à l’université, son statut changeait pour prendre la dénomination de béjaune. Toutefois, ce bec jaune qui le stigmatise niais, le nouveau devait l’assumer jusqu’à ce qu’il devienne pennal. À cette fin, il devait se rendre auprès du Recteur de l’université – le président selon la nomenclature actuelle, et lui demander à quitter la beania, afin d’être reconnu étudiant. Cette étape se pratiquait pour les plus hautes études (théologie, médecine), et principalement pour celles de droit. Le béjaune était taillable et corvéable à merci pour son Inspector Morum, un ancien à qui la tâche incombait de veiller au bon déroulement de l’intégration du béjaune. Le rite proprement dit se déroulait à la Saints Innocents, par dérision, et commençait par une fête d’inversion des rôles. Le Depositor, rôle fréquemment à charge du Bedeau de l’université, était le garant du rituel dans lequel les béjaunes expurgeaient leur statut animalier pour devenir des étudiants. À cette fin, le Depositor les rasait, les écaillait, les décornait, leur ôtait la dent de sanglier, les malmenait. Il utilisait à cette fin Carte postale «Die Muli» - 1916


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des outils démesurés, destinés à bien montrer aux mânes des anciens, souvent attablés à regarder le spectacle, que le travail d’humanisation des béjaunes était en bonne voie. À terme, un professeur venait ausculter le « déposé » et le délivrait de sa béania en lui plaçant du sel sur la langue, accompagné de la formule : « Accipe sal Sapientiae », puis du vin avec la formule : « Accipe vinum Prudentiae ». Le fait que des personnes soient rémunérées par l’université pour accomplir le rite indique l’utilisation d’une magie institutionnelle. Nous n’avons donc nullement affaire à un besoin primaire d’assouvissement de violence, mais bien à une pratique destinée à former le plus jeune à devenir universitaire. Le fait qu’à la suite de certains débordements l’université ait tenté de faire cesser ces violences en tentant de supprimer le rituel, celui-ci fut repris par les étudiants eux-mêmes. Dès lors, plus aucun garde-fou officiel ne prévenait de la sécurité des nouveaux. Le royaume de la Bazoche était composé des plus prestigieuses études de l’Université, celles de droit. Ils devinrent garants du bon déroulement du rite jusqu’en 1793. C’est donc une survivance directe de ce royaume traditionnel que le commandant RoSWeLL nous présente ici. Objets servant à la deposito des béjaunes.


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Gros plan d’une tocque et de certains insignes


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La plus ancienne tradition étudiante encore active

Les Tocquards, de Caen

Expression de la Bazoche

S’il est une tradition étudiante que l’on peut qualifier d’ancienne sur le territoire français, c’est bien celle des Tocquards, que l’on rencontre en plein cœur de la plaine de Caen.

Ce royaume, presque pour rire, eut une réelle importance en ce qui concerne les affaires étudiantes universitaires. Pour comprendre l’avènement d’un tel état dans l’état, il faut prendre en compte la vision réformatrice du droit par PhilippeAuguste. Ce roi disait des étudiants : « Bien que ne possédant ni cuirasse, ni heaume, ils sont plus hardis et bagarreurs que mes chevaliers. », et mit en place un système où leur fougue serait canalisée. Il leur a donné un système de prestation de services auprès des Procureurs, comptant pour leur formation.

Issus de la Bazoche Leur importance est à présent minime, mais elle est l’ultime survivance du célèbre Royaume de la Bazoche, fondé sous Philippe le Bel, étendu à l’ensemble du territoire français.

La tocque est toujours portée de nos jours

Demoiselle plaçant un insigne sur sa coiffe, commandant RoSWeLL, 2016, crayons de couleurs


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Sous ce principe, ils reçurent le droit de rendre justice de façon autonome, statuant en dernier ressort sur les différends et litiges impliquant des clercs, tant en matière civile qu’au criminel. Bien que ce système fut assez vite mis en place à titre probatoire, il fallut attendre Philippe le Bel pour leur conférer une légalité par lettres patentes. Ainsi naquit le Royaume de la Bazoche, qui mit à profit les privilèges reçus pour se faire un réseau comptant plus de dix mille hommes — si l’on tenait compte du fait que toute personne relevant de l’université relevait du même coup de la Bazoche, tels que les libraires, les logeurs, les marchands de vin, les papetiers… — puisqu’elle en assumait de facto les affaires courantes. Entre deux moments de labeur, ces MM. de la Bazoche se laissaient aller à composer des pièces en vers, des chansons, ou des poésies. Ils les présentaient par l’intermédiaire de leurs troupes — dont « Les enfans sans soucy », du temps où elle émargeait encore de la Bazoche, sur les parvis des églises. Cette troupe reste célèbre dans le monde du théâtre pour avoir été l’inspiratrice de la comédie moderne. Le royaume de la Bazoche connut des moments de gloire, et d’autres où l’on a tenté de les faire disparaître. En vain. Lorsque l’ordonnance du roi François Ier abolissant les confréries se fit jour, sous prétexte qu’elles étaient vectrices de superstition, qu’elles s’arrogeaient les monopoles, qu’elles étaient source de frais et pratiquaient la débauche, et qu’elles n’ont forme de bonne et vraie religion, les confréries, et notamment les bazochiens créèrent les monogrammes permettant de transmettre des informations sans que l’on puisse identifier les donneurs d’ordre sans être initié. Nous trouverons plus loin celui des Tocquards. Les Tocquards, au prisme de l’histoire Ce n’est qu’au moment de la clôture des universités en 1793 que le royaume déposa son drapeau, théâtralement, et de façon symbolique, aux pieds du tombeau du roi Philippe le Bel

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dans Notre-Dame de Paris. La terreur s’insinua au cœur des Français, des têtes furent décollées. Ce qui fait la particularité des Tocquards est lié à l’histoire même de l’université de Caen. En effet, nombre de professeurs du lieu étaient liés à l’église, et refusèrent de prêter le serment obligatoire pour les ecclésiastiques travaillant pour la fonction publique en 1791. L’affaire prit une telle tournure que l’Université fut dissoute cette même année, à l’exception de la Faculté de médecine. Les étudiants de droit ne coupèrent pas pour autant le contact avec la Bazoche, et purent anticiper de meilleure manière la disparition de leurs traditions. Ils se montèrent en assemblée illégale. Le 31 décembre 1796 fut créée l’école centrale du Calvados. Elle disparaîtra à son tour en 1802. Le 22 ventôse de l’an XII, soit le 12 mars 1804, ouvre à Caen l’une des douze écoles de droit du territoire français. En 1806, Napoléon rétablit les Facultés de Caen. Durant tout ce temps, les objets de la tradition des futurs Tocquards se passent de main en main, tout au long des années sans université. Celle-ci ne sera réellement rétablie qu’en 1896 ! Cela n’empêcha pas MM. les étudiants de perpétuer les deposito, qui prirent rapidement, durant cette période, le nom de bizutage. Lorsqu’en 1880 la loi de liberté d’association fut promulguée, les Étudiants de Caen se constituèrent rapidement en Association Générale des Étudiants. En 1888, une idée nationale de porter le béret comme symbole des étudiants de France éclot à Paris. Elle se répand comme une traînée de poudre sur l’ensemble du territoire, et en moins de deux ans, chacun arbore cette coiffe. Celle-ci sera rapidement dénommée « faluche » chez les Français, et « flatte » (bouse de vache) chez les Belges. En juillet 1944, l’université de Caen est détruite par les bombardements alliés. Le local mis à disposition pour les Tocquards y compris. La tocque était préservée chez l’habitant, mais le reste fut enseveli sous les décombres. Issue des coiffes des clercs juristes anglo-saxons au moyen âge, comme nous le montrent les reproductions,


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nous constatons qu’il n’y eut que peu de changements entre le modèle de 1557 trouvé sur une gravure, ou sur un gisant daté de 1668, et celle arborée par les Tocquards de nos jours. Fouillant auprès de leurs membres, ils collectèrent des notations éparses afin de retranscrire leurs coutumes au plus proche de leurs souvenirs. Ils entamèrent le travail sur du parchemin, puis continuèrent sur du papier. Ils exhumèrent pas à pas leur tradition des décombres.

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Furent ainsi préservés de l’oubli les aspects du protocole, le codex, qui voisine de celui des porteurs de faluche, les étapes de l’Initium, ou des mythes fondateurs du rite. Le rite des Tocquards, nous l’avons vu, est à la fois traçable depuis plus d’un demi-millénaire, et pourtant peu de documents ou d’artefacts subsistent suite aux événements de juillet 1944. Ce que le commandant RoSWeLL a pu exhumer

Origines de la faluche - A. Sorel - 1889 - La caricature créé et géré par d’anciens artistes Incohérents

Idem : évocation des étoiles désignant les années accomplies


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de ses fouilles est produit dans ce recueil, ou lors d’expositions, avec l’aimable autorisation des Tocquards, d’aujourd’hui. Lorsque l’université de Caen fut détruite en juillet 1944, ils perdirent l’ensemble de leur matériel. Ils ne sauvèrent que la poutre à clous, en partie léchée par les flammes.

Université de Caen - juillet 1944 - R.Delasalle

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Ce que les Tocquards préservèrent Depuis cette époque, ils ne sont qu’une poignée, bien souvent porteurs de faluches également, ce qui a favorisé la mixité de traditions. Les objets que nous pouvons présenter furent recréés de mémoire par les étudiants, sur matériaux


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nobles. La toque, qui provenait des juristes d’outreManche, devint un symbole de leur culture étudiante. Celle-ci est surmontée de la fleur, dont le sens est révélé plus bas. Nous pénétrons à présent dans la spécificité de la Tradition Tocquarde, par un aperçu de son protocole. Tout d’abord, intéressons-nous à la répartition des tâches de chacun, pour mieux appréhender le fonctionnement de l’ensemble.

Illustration tirée du Acts and monuments de Fox publié en 1563.jpg

Gisant d’un Tocquard - trouvé dans les décombres de l’église Saint-Etienne le Vieux à Caen


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Gisant d’un Tocquard (détail)

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Gisant d’un Tocquard


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Du protocole au rituel

Hiérarchie des Tocquards, Le Magister Le magister est élu pour un an par le conseil académique qui comprend sept électeurs (qui sont les collégiats à l’exception du Cancelarius).

Comme pour le recteur du moyen âge, dont il est une survivance, le magister ne doit dépenser aucune somme de sa poche dès lors qu’il est en représentation. Ses collégiats auront à cœur de le nourrir et de l’abreuver, sans excès, mais à satiété, à leurs frais durant toute cette période. Son rôle est de gérer l’ensemble de l’Universitas. L’Universitas est le nom donné à tous les étudiants de cette association, et à l’association elle-même — bien qu’ils s’évoquent au quotidien sous le sobriquet de Tocquards. Les étudiants sont aussi évoqués sous le terme d’Ordinem Alumni. Il désigne les nouveaux collégiats lorsqu’un poste se libère, mais ceux-ci doivent être acceptés par l’ensemble des collégiats en place. Les collégiats sont les Conservativa privilegia, Cancellarius, Ceremonias, Censor, Thesaurarius, Scriniarii, Intendens et Dominus Tironum

Magister extrait d’un parchemin du codex des Tocquards,

Il est l’interlocuteur principal avec les autorités universitaires ou communales, auprès desquelles il a à cœur de préserver les privilèges acquis pour l’Universitas, et de tenter d’en acquérir d’autres. À cette fin, il doit connaître par cœur la liste des privilèges et devoirs de l’Universitas, présents ou passés, afin de ne pas perdre des acquis par ignorance. Il se montrera prudent


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à engager l’Universitas au détriment d’acquis précédents.

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Le Conservativa Privilegia

Afin d’être toujours irréprochable face aux autorités, lorsqu’un manquement aux règles de l’Universitas survient, il tient lieu de juge. Il doit veiller au respect individuel de la parole donnée au niveau collectif. Pour cela il détient des outils : • L’amende : Une somme est exigée du fautif sous peine de saisie, de discipline ou de renvoi. • La discipline : Mise aux enchères de l’unique coup porté en public,

Il est membre de droit du conseil académique. Son rôle est de garder le sceau, de délivrer les titres. Le Ceremonias Il est le garant des rituels. Il reprendra traditionnellement toute personne s’écartant du cadre. Il est le juge de cassation si les différends entre des ordinem alumni et l’Universitas.

devant l’Universitas, sur le contrevenant. S’il refuse la discipline, il encourt le renvoi. L’argent récolté est destiné à alimenter une caisse dédiée au remboursement de dégradations commises par l’Universitas. De même, l’argent récupéré par d’éventuels contrats d’assurance rejoint les mêmes fonds. Il a aussi pour prérogative d’être en tête de tout cortège de l’Universitas.

Conservativa privilegia - même parchemin

Ceremonias - même parchemin


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Le Cancellarius

Le Thesaurarius

Second de l’Universitas, il assume la vice-présidence. Il est aussi le gardien des documents historiques. C’est lui qui remet le bonnet ou décerne les Licentia Docendi. Il est le juge d’appel dans les procédures de l’Universitas.

Il assume la responsabilité de la trésorerie, qu’il centralise, justifie, et thésaurise. Il est membre de droit du conseil académique.

Le Scriniarii

L’Intendens

Il assume les tâches du secrétariat. Il invite et reçoit les invitations et messages adressés à l’Universitas et tiens les registres. Il est membre de droit du conseil académique.

Il est membre de droit du conseil académique.

Cancellarius - même parchemin

Scriniarii - même parchemin

Son rôle est de fournir les provisions, les boissons, mais aussi tout ce qui est matériel de decorum.

Thesaurari - même parchemin

Intendent - même parchemin


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Le Censor

Le Domino Carmina

Il est membre de droit du conseil académique.

Il est le maître des chants entonnés lors des laeta conventus. Son rôle se limite à choisir et à lancer les chants.

Son rôle est de gérer la discipline lors des laeta conventus. Il sévit de manière traditionnelle.

Le Dominus Beanum

Les conseils facultaires

Il est membre de droit du conseil académique.

Ils sont tenus par un collège composé d’élus :

Il est le maître des abiectus beanum et des tironum. Son rôle est de les former à se rendre meilleurs.

Censor - même parchemin

Dominus beanum- même parchemin

3 Tironum, 2 Clerici, 2 Licentia Docendi

Domina carmina - même parchemin

Clerici - même parchemin


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Le Béjaune, Beanus ou Abiectus tironum Vile créature indigne de porter le nom d’escholier. Il est nommé Béjaune dans la vie de tous les jours, et lors des laeta conventus, où le latin est de rigueur, il sera désigné sous le nom de beanus par les tironum, et d’abiectus tironum par le reste de

Abjectus beanum - même parchemin

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l’assemblée. Lorsqu’il se voit octroyer la parole, il doit dire le texte qu’il a appris par cœur. Anciennement, le béjaunage commençait par la prise de matricule à l’Université. À présent, tout étudiant en études supérieures peut prétendre au béjaunage durant le mois de la rentrée universitaire.

Position de soumission du béjaune - commandant RoSWeLL - 2013 -crayons de couleurs


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Messe de l’âne, l’officiant revêt la tête d’un âne au cours d’un rite d’inversion

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Les rites de l’âne

Les traditions des Tocquards coïncident avec le principe d’une survivance d’un culte à Bacchus au travers d’une parodie de messe précédée d’une grande liesse processionnelle. L’âne était l’animal du précepteur du Dieu, un satyre nommé Sylène. Ces festivités se déroulaient lors de la Saints-Innocens, par dérision. Durant le cortège, les célébrants attrapaient les passants pour leur raser le crâne afin de les intégrer au cortège des fous. La messe était dite en présence de l’animal, lorsque ce n’était pas un officiant à tête d’âne qui célébrait l’office. Les amen se transformaient en « Hi-hans », l’ostie se présentait sous forme de boudin, et le tout se passait sous l’assentiment de la clergie. À la fin de la cérémonie, l’on saisissait l’officiant pour le raser entièrement, ou seulement pour moitié, puis les béjaunes et l’officiant étaient aspergés de trois seaux d’eau.

Ablation capillaire du béjaune - commandant RoSWeLL, 2013, crayons de couleurs


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Commandant RoSWeLL exposant le rite de l’âne à l’église du Sépulcre, Caen,2017

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Les rituels du XXIe siècle sont nettement adoucis, mais le spectacle d’un cortège festif entremêlé de cabrioles et de fanfares, et de l’âne se rendant à la messe en lançant des prophéties sont toujours d’actualité. La messe est devenue une sorte de festival de poésies gaillardes ou de chansons d’étudiants, mais toujours présentée par un semblant de curé à tête d’âne.

Ce rite clôture le béjaunage.

La fleur est présente sur l’étole d’astrakan

La coupe est également représentée,figuration du Saint-Graal?


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Le symbole comme outil de recherche Car s’il y a une spécificité au rituel des Tocquards, que l’on ne retrouve guère ailleurs, c’est une recherche de la part de divinité contenue en chacun. C’est d’ailleurs le sens premier de leur symbole, une fleur croissant sur un labyrinthe. À force de parcourir leur dédale intérieur, ils ne peuvent que mieux comprendre qui ils sont. Toutefois, à notre époque athée, l’aspect divin est perçu comme un folklore, ce qui dénature le rite. La fleur est présente partout dans leur tradition : sur les

Fleur sculptée sur une porte du Sépulcre de Caen

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portes des bâtiments, sur la couverture de leur codex, jusqu’à leur coiffe! La couverture du codex, évoque la symbolique liée à chacun des piliers, démontre la puissance du symbole. Le labyrinthe, il s’agit de celui situé dans la cathédrale de Reims, que l’on observe un peu partout en France pour signaliser le patrimoine historique. Le labyrinthe du moyen âge servait de mini pèlerinage à qui le pratiquait à genoux. Il a donc pour vocation de rendre meilleur.

Couverture du Codex des Tocquards


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Il se trouvait dans une Cathédrale construite à peu près en même temps que naissaient les premières universités. Le principe du labyrinthe provient d’une magie archaïque. Nous connaissons celui de Dédale à Minos, et nous pouvons en déduire le sens : tuer l’animal en nous pour renaître au statut de héros. L’aide précieuse de la femme pour y parvenir est explicite, tout comme le malheur qui tombe sur celui qui abandonne celle-ci. Le croisillon est posé par-dessus. Il représente le quadrivium des étudiants, tel qu’ils l’entendent

Labyrinthe dans le codex des Tocquards

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à présent, mais également en hommage à leurs aînés qui réussissaient à maîtriser tous les aspects de la connaissance terrestre de la Renaissance. Posé sur le labyrinthe, il indique la valeur initiatique de leurs traditions. À l’intérieur du croisillon sont montrés des signes indiquant ce qu’il est important de préserver au cœur des traditions. Chacun d’eux possède plusieurs paliers de lecture en fonction du niveau d’apprentissage des traditions par l’étudiant. Les marques du rite évoquent avant tout les valeurs étudiantes.

Coiffe éclatée - détail - commandant RoSWeLL - 2015


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La bouteille de vin

La clé de sol

Symbolique :

Symbolique :

Ier niveau : Comme le dit l’adage, «  Bonum vinum laetificant cor hominis » (Le bon vin réjouit le cœur de l’homme). Tout comme le bon vin, le bon béjaune réjouit le cœur des traditions.

IIe niveau : Le vin devient meilleur en vieillissant, tout comme le béjaune pourra avec le temps obtenir la licentia docendi.

Ier niveau : La clé de sol indique l’importance du chant au sein de nos traditions.

IIe niveau : Le chant est magique par nature. Il ancre nos traditions dans le passé, et nous fait prendre conscience que nous nous devons d’apporter notre maillon de la chaîne par la création de nouvelles créations.


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Le vît ailé

Le dé et les cartes à jouer

Symbolique :

Symbolique :

Ier niveau : Le vît ailé représente une vieille figure de l’antiquité. Associé à Dionysos, un vît d’or dépassait d’un panier, lors des processions en son nom.

Ier niveau : Les jeux sont essentiels à détendre l’esprit.

La culture grivoise (notamment les chants paillards) est avant tout, par ses mises en garde, un enseignement pour le puceau arrivant à l’Université. IIe niveau : L’art est magique, la paillardise est à prendre comme l’un des canons des traditions étudiantes, dans le passé par l’usage d’un dessin ancien, et futur par l’acte procréateur du sujet.

IIe niveau : Les jeux sont aussi une façon d’apprentissage. Ainsi, faire jouer les béjaunes et leur apporter de l’amusement est un devoir du bon collégiat.


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La plume sur le livre

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Le croisillon apposé sur le labyrinthe a aussi donné naissance au monogramme.

Symbolique : Ier niveau : Les études bien menées font de nous la future élite de la nation.

L’usage du monogramme semble provenir des époques où toute association était interdite. Pour maintenir les coutumes, ses membres composèrent un dessin de signature, illisible au profane, puisqu’il cache une série de lettres formant une anagramme. Les lettres masquées étant ici U, S, V, C, F, T, B. Elles désignent le T de Tocquard (ajout tardif, semble-t-il), et

IIe niveau : La page qu’il nous reste à écrire au cœur de nos traditions

le B de Bazoche. Le reste formant la phrase «  Ut Semper Vivat

Crescat floreat  » — « Qu’ensemble nous puissions vivre, croître et fleurir  ». Le point d’exclamation désigne toujours une tradition encore vivante.


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Codex en présentation lors de l’exposition à l’église du Sépulcre de Caen, 2017

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Le codex

Est dénommé « codex » dans la tradition des Tocquards, le livre du protocole. Il comprend bien sûr la codification des insignes que l’on place sur la coiffe, mais aussi les chants importants, l’emplacement de chacun suivant son rang lors des Laeta conventus autrement dites les assemblées joyeuses, ou le déroulement des rites. Certaines parties concernent l’initiation des béjaunes, d’autres ne sont révélées qu’à des niveaux supérieurs, comme cela se pratiquait à l’origine. Le Magister a accordé de façon exceptionnelle au commandant RoSWeLL de publier certains feuillets ici. Le travail fut réalisé à partir de sources diverses, recopiées par les étudiants eux-mêmes sur du parchemin, ou sur du papier vergé, permettant la sauvegarde du patrimoine.

Extrait alchimique d’un parchemin du codex


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Le premier parchemin évoque pleinement, par ses enluminures, l’héritage agraire. La charrue sème le houblon et la vigne, et le Tocquard invite à trinquer dès l’abord du document. Le chant présenté est le «Gaudeamus Igitur». Il s’agit de la plus ancienne chanson étudiante connue, dont certaines strophes sont très proches de celles trouvées dans les «Carmina Burana». Cet hymne est entonné mondialement, entre les fêtes et les célébrations universitaires.

Gaudeamus Igitur avec partition - Codex des Tocquards, - page 03

Le Gaudeamus Igitur introduit le codex. Ce dernier permet aux étudiants de se présenter sans avoir à partir dans de longues discussions. Les couleurs et insignes varient peu des codes des khâlots des écoles préparatoires et de la faluche.


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Les insignes proposés évoquent autant l’aspect personnel (lettres) le cursus (insignes symbolisant la faculté d’étude, étoiles ...), que les performances en matière de sexualité, de traditions, d’humour. Ils sont aussi des disgrâce, lorsque fut dépassée en responsabilité au béjaunage.

marques de la personne termes de cours d’un

La représentation des insignes n’est d’ailleurs pas toujours identique à celle présentée dans le code. Elle varie selon les disponibilités. Ainsi, l’Universitas s’est réfugiée vers les représentations les plus courantes, ne pouvant rééditer tous les insignes qu’ils utilisaient auparavant. Un cas identique est relaté par Manuel Segura dans son mémoire de maîtrise en 1994 :

Insignes #01 - Codex des Tocquards, - page 05


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“Il est arrivé des évolutions similaires à Poitiers. Le code prévoyait une palme droite par diplôme. Cette palme droite devint introuvable sur Poitiers. Les étudiants l’ont remplacée par les palmes dites de Sciences, de chêne et laurier croisés. Il se trouve que l’étoile blanche devint elle aussi introuvable. Alors les palmes n’ont plus servi à marquer les diplômes. Il y avait autant de palmes que d’étoiles jaunes. Les palmes étaient renversées pour marquer l’année que l’on redoublait.”

Insignes #02 - Codex des Tocquards, - page 06

Manuel Segura évoque aussi la naissance de l’utilisation des symboles de coiffes à partir de 1919, quand, au lendemain de la guerre, les étudiants se réapproprièrent les insignes militaires.


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Toutefois, l’éditeur et écrivain, issu des artistes Incohérents, Albert Robida évoque dans un curieux petit ouvrage nommé «Les escholiers du temps jadis» édité en 1907, l’utilisation de plumes d’oie sur la coiffe pour évoquer son statut de lettré à louer. «Une plume d’oie au chapeau, cela voulait dire que le magister qui se proposait enseignait la lecture, deux plumes, qu’il tenait aussi l’art de l’écriture. S’il avait trois

Insigne houblon encadré

Insignes #03 - Codex des Tocquards, - page 07


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plumes, c’était un homme d’un vaste savoir, il pouvait ajouter un peu de latin à son enseignement.» Or, n’est-ce pas la même symbolique des trois plumes, dénaturée, que nous retrouvons sur la Tocque ? La première enseigne la Tradition, la seconde est en charge de l’Initium (héritage de la deposito, comme nous le verrons), et la troisième marquant le grade d’ancien Magister? Le commandant RoSWeLL met en évidence la symbolique du potager représenté par des insignes sous forme de légumes.

Insignes #04 - Codex des Tocquards, - page 08

Ils sont une résurgence - selon son point de vue des antiques cultes à mystères liés à l’agriculture et à la fertilité, mais seraient tout autant l’objet d’une sanction aux bonnes mœurs dont certains iraient jusqu’à se glorifier.


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Un autre sujet du codex est l’aspect protocolaire. De la mise en place des collégiats dans les «Laeta Conventus» - nom donné aux réunions des Tocquards, des règles de préséance au sein des cortèges jusqu’au déroulement des rites, dont les seuils de connaissance varient selon les niveaux des individus dans l’Universitas. Nous avons présenté de nombreux détails de la planche «Protocole» dans ce qui précède. On y présente la disposition des Tocquards, au sein des Laeta Conventus. Celles-ci se tiennent une fois par mois, en moyenne, et toute absence y est sanctionnée. C’est que ces réunions ont pour but de régénérer systématiquement la vie corporative des Tocquards,. Et c’est durant ces réunions que se discutent les

Protocole - Codex des Tocquards, - page 11


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actions qui seront menées durant le mois en cours . Une forme de conseil d’administration doublé de festivités, en somme. À ces retrouvailles mensuelles, s’ajoutent les rites de l’Initium. Ce cérémoniel est ici reproduit sans restriction, avec l’accord des Tocquards,. Pourtant, personne ne devrait avoir accès aux écrits s’il n’a pas préalablement vécu le rite concerné. Des histoires concernant de points de détail de la culture Tocquarde ajoutent encore une dimension supplémentaire à la richesse de ce codex, tel le sceptre aux trois oliphants : «Histoire du Sceptre aux trois Oliphants et au Chausse-Pied

Dans la tradition, il est de coutume que le Dominus Beanum en charge de l’éducation des béjaunes,


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porte un sceptre de bois aux trois oliphants et au chausse-pied. Les trois oliphants représentent le poids des études, des traditions, surmontées de celui du serment. Le chausse-pied, par son utilisation pratique, permet de se chausser. Il est utilisé lors de chaque élévation par son dépositaire, pour mettre au sens symbolique le nouvel impétrant «droit dans ses bottes». Il est aussi le constant rappel de «botter le cul des béjaunes fautifs». La légende nous dit qu’il fut offert par «Gamin» qui, en prenant ses fonctions, a prétendu «avoir trouvé chaussure à son pied»! Certains y voient aussi une relation avec l’usage de l’insigne de l’oliphant sur la tocque pour «humour lourd».»

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Histoire du Codex - Codex des Tocquards, - page 20

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Planche à clous (détail)


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Ces récits anecdotiques permettent un travail de mémoire par la mythification dont ils font l’objet. Lorsque le conte de la Planche à clous croise celui du codex, ce sont deux symboles mnémoniques qui rendent ces objets sacrés. «Histoire de la Planche à clous

Dans la tradition, il est d’usage d’aller planter son clou dans une vieille planche, un peu gravée, hérissée de clous, et en partie calcinée. La planche est très ancienne, et selon la légende, appartenait à l’Université. Lorsque celle-ci fut partiellement détruite, le Magister la sortit des décombres. Lors d’une cérémonie commémorative, ils plantèrent

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Documents attestant des procĂŠdures de la deposito vers 1630


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chacun un unique clou, témoin de leur attachement à l’Alma Mater. Depuis lors, tout membre ayant satisfait à l’Initium plante un clou, et cela depuis des générations.» La symbolique du clou planté joue un rôle non négligeable dans la régénérescence de la société corporative des Tocquards. D’une part elle développe le sentiment d’être inscrit dans une longue lignée remontant aux origines, et d’autre part elle provoque une attraction psychologique auprès des nouveaux, qui n’ont d’autre but à atteindre que d’éprouver le béjaunage afin de pouvoir exister par la présence de leur clou sur la poutre. Et pourtant, la cérémonie du clou est informelle.

Cérémoniel de l’Initium - Codex des Tocquards, - page 21


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L’Initium est bien formalisé, pour sa part, mais il s’agit de la partie du rite exprimée dans un but référentiel afin de pouvoir le reproduire en le dénaturant la moins possible. La formulation des conditions de béjaunage possède de nombreuses similitudes avec la francmaçonnerie. Ce n’est probablement pas un hasard.

Cérémoniel de l’Initium - Préparation - Codex des Tocquards, - page 22

En effet, la présentation du béjaune lors de la cérémonie de l’Inspection est chargée de symboles du même ordre que ceux des frères maçons. Ce n’est certes pas la première tradition étudiante à se mettre en réseau avec ce mouvement social. L’École Nationale des Arts et Métiers, en France, l’ordre des frères Macchabées en Belgique, la Corda Fratres - cette alliance francoitalienne à vocation internationale, furent ou restent proches de ces réseaux.


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Tout comme lors des deposito, le béjaune change de statut après la cérémonie de clôture du rituel. À l’époque, le «pennal» entrait dans une phase de service obligatoire à la corporation. C’est toujours le cas pour les «fuschs» lors des kneipes germaniques ou des «tyros» dans les ordres de Belgique. Les clercs sont également dénommés «tyros». Ceux-ci portent la charge des basses œuvres, entendons par là les travaux d’utilité commune de l’Universitas. Les avanies subies par les nouveaux venus, les béjaunes, ou les clercs selon leur niveau, sont obligatoires à l’efficience des rites. C’est en effet autant à prendre dans le sens du principe de vie/mort/vie, que dans celui plus terre-à-terre de s’éprouver soi-même à recevoir

Cérémoniel de l’Initium - Antichambre - Codex des Tocquards, - page 23


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des ordres idiots, contradictoires, et pourtant indispensables aux bonnes compréhension et gestion des sociabilités humaines dans le cadre de ses futures fonctions de dirigeants. C’est également utile à la compréhension de la difficulté et de l’utilité des tâches d’utilité commune. Cela permet de prendre conscience que sans que ces tâches subalternes soient réalisées, aucune avancée ne peut s’accomplir. La prise en compte des possibilités propres à chacun ne s’offre plus dans le domaine de l’efficacité du travail au XXIe siècle, où seulement la rentabilité compte.

Cérémoniel de l’Initium - Humiliation - Codex des Tocquards, - page 24

L’usage de la roue de fortune est le meilleur symbole des rites étudiants : l’accession aux études


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Masque du léopard - # Inspection

du fils de bourgeois, qui passe par la dénomination d’âne ou de mule, avant de devenir béjaune, puis pennal, avant de pouvoir enfin accéder à la transmission

Masque du corbeau - # Inspection

Cérémoniel de l’Initium - Inspection - Codex des Tocquards, - page 25


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Inspection mise en scène lors de l’exposition «Gaudeamus Igitur, le fonds des traditions - Sadisme des aînés ou Esprit de corps» - 2017


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Masque de rat - # Inspection

Masque de guépard - # Inspection

Cérémoniel de l’Initium - Dialogue - Codex des Tocquards, - page 26

Masque de sanglier - # Inspection


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des rites, puis opérer un retour par l’achèvement de ses études à la vie de bourgeois d’où il provient. La

Cérémoniel de l’Initium - Apprentissage - Codex des Tocquards, - page 27

boucle

est

bouclée.

Le processus de l’Initium est aussi un rite magico-religieux, où les mânes des ancêtres se manifestent sous une forme bestiale par l’usage de masques, de langues incompréhensibles qu’il faut apprendre à entendre,ou de manifestations fantastiques. Ils révèlent tout du long la connaissance permettant au béjaune de renaître en pleine capacité à poursuivre sa voie d’études. Ils sont destinés à provoquer l’introspection du candidat, à le guider vers la compréhension intime du fonctionnement corporatif et de sa place en son sein.


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L’aspect juridique est souvent présent par l’esthétique dans ce genre de cérémonie, trace supplémentaire de son héritage bazochien, en s’approchant du fonctionnement d’un tribunal. Mais si un verdict tombe à terme, il n’est présent que pour inciter l’individu à travailler plus dur à son insertion. Une fois le parcours achevé, les béjaunes organiseront un banquet en l’honneur des ancêtres, et leur apporteront des offrandes. Cette pratique fut maintenue tout au long du moyen âge, pour chacune des remises de grades des étudiants. Ce convivium n’est pas non plus sans lien avec celui qui cloturait les anciennes deposito.

Cérémoniel de l’Initium - Le banquet - Codex des Tocquards, - page 28


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Il marque l’accession au statut de clerc, mais dans les faits, le béjaune devenu clerc sera amené à servir l’Universitas jusqu’à son prochain passage de grade. L’aide qu’il apportera sera principalement d’ordre domestique : rangement, service en salle, nettoyage. Cette pratique possède une autre utilité, à pouvoir déterminer les personnalités qui seront les plus aptes à reprendre les rênes de l’Universitas dans un futur proche. Le rite de l’Initium s’étend sur une dizaine de pages enluminées pour l’usage des clercs, mais se retrouve augmenté par des indications différentes adressées aux autres niveaux de la tradition.

Cérémoniel de l’Initium - Initiative - Codex des Tocquards, - page 29

Les apprentissages sont développés sur d’autres pages qui ne furent pas autorisées à la divulgation.


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L’abject béjaune est exprimé sur trois pages destinées aux initiateurs des rites. Il s’agit ni plus ni moins que d’un livre de recette pour réussir une deposito. Comme nous pouvons le lire, la première épreuve à réussir est de franchir avec fruit le cap de la première année d’étude. Il s’agit donc toujours d’un rite lié à la réussite tant dans les domaines du sensible que de l’intelligible. Pour être plus clair : obtenir d’une part la maîtrise de la technique et de la science, mais aussi de s’assurer, par la prière corporelle que sont les rites, une demande d’aide à la réussite sociale. En somme, un rite de deposito réussi sera la résultante d’une alchimie complexe.

Cérémoniel de l’Initium - Pesée - Codex des Tocquards, - page 30


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Cisaille pour tondre le bĂŠjaune

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Abjectum beanum - Codex des Tocquards, - page 41


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Abjectum beanum - Codex des Tocquards, - page 42

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Hache permettant d’Êcaler le bejaune


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Abjectum beanum - Codex des Tocquards, - page 43

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Pelle à grains pour nettoyer l’intérieur des oreilles du bejaune


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Car il s’agit bien d’alchimie lorsque l’on transmute une matière vile en or. Il ne faut pas perdre de vue que la matière première est aussi la source de la vie en devenir, comme nous l’enseignaient les mythes agraires, ainsi que la richesse, c’est le travail qui constitue le trésor comme en témoigne, dans la fable «Le laboureur et ses enfants», Jean de la Fontaine. Sans la graine, aucune moisson ne peut advenir, mais sans le paysan qui la plante et en prend soin, pas de récolte. Le travail transforme la graine de bizuth en animal qu’il faut soigner pour le faire devenir apte à se joindre aux humains. On a rééduqué Bacchus pour lui permettre d’entrer dans la cité.

Initium ou Alchimie? - Codex des Tocquards, - page 44


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Pour y parvenir, seul un acte de foi dans l’efficience du rituel et en la sagesse des aînés permettra au béjaune de s’accomplir. Subir le rite sans y croire n’apportera aucune garantie à se trouver valablement initié. Lorsque les rites englobaient l’ensemble, la magie fonctionnait par sympathie. À présent, certaines personnes s’y inscrivent afin de les dénoncer plus tard. Il est évident que nulle possibilité d’évolution ne peut se produire dans un tel cadre. Comprendre que la violence n’est que figuration de comédie (célébrant le retour de Bacchus dans la ville qui le vit naître). Entrevoir que la comédie n’est qu’un jeu permettant l’apprentissage.

Cérémoniel de l’Initium - La tache de béjaunage - Codex des Tocquards grade supérieur - page 52


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Espérer que l’apprentissage soit source de profits dans notre quotidien comme dans l’au-delà (donnez-nous maintenant notre pain de ce jour, maintenant et à l’heure de notre mort). Constater qu’en éduquant Bacchus se révèle Jésus-Christ, et que s’ouvrant à lui on pénètre dans les mystères de l’enseignement universitaire.

Cérémoniel de l’Initium - Le Saut du Béjaune - Codex des Tocquards grade supérieur - page 53

Ne nous y trompons pas, la chrétienté était bien moins austère auparavant. Mais comme tous les cadeaux de Bacchus sont dangereux s’ils ne sont pas maîtrisés, la révélation de la chrétienté et l’usage du Dieu unique se montrent dévastateurs s’il n’est balancé par l’humour. Car il est porteur des germes de la sagesse.


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Escamotage

En revendiquant une fois l’an la folie, on se permet le relâchement nécessaire à tout esprit sain, et on régénère l’Esprit-Saint. Comme l’évoque Christian Jacq « les anciennes cérémonies témoignaient d’une liberté d’actes et de paroles qui surprendrait beaucoup un chrétien d’aujourd’hui.» Au moyen âge ajoute l’écrivain, «toute vérité doit connaître son inverse : autant de preuves d’une admirable capacité de rénovation, d’une société qui sait se moquer d’elle-même pour demeurer vivante». Nous sommes bien dans la continuité de la voie de Bacchus. Depuis le XIXe siècle, la militarisation forcenée du Premier Empire brisa les règles séculaires, afin de les réédifier sous un jour martial. Si le principe d’inversion des valeurs était maintenu, cette réédification ne put se faire qu’au prix d’une dévalorisation du rituel. Mais il subsistait suffisamment de magie pour que l’efficience n’en souffre pas trop. Dans un même temps, le romantisme apportait dans son sillage l’idée d’individualité primant sur toute autre considération. Les principes scientifiques ne furent utilisés qu’à placer l’homme au centre de l’univers, plaçant celle-ci comme rempart face à une sacralité jugée obscurantiste.

L’industrialisation provoque la déshumanisation en considérant l’humain selon son seuil de rentabilité, à la manière des machines. Le droit à l’erreur n’existe plus. Par un mouvement pendulaire, le principe de précaution envers tout risque supposé (réel ou imaginaire) l’emporte au profit d’une sensibilité personnelle outrancière, permettant la promulgation d’interdictions de tout ce qui se révèle dangereux suivant ces nouvelles normes. Les besoins du plus grand nombre ont cédé le pas à celui de l’individu, du moins en théorie. La plupart du temps, dans la pratique, seuls les plus fortunés peuvent faire valoir leur point de vue par voie de droit. Et plus le droit légifère sur ce principe utile au cercle restreint des individus fortunés, plus l’on ôte aux communautés leurs droits fondamentaux, plus on tente de leur supprimer les outils qui leur permettraient de s’émanciper de cet engrenage. C’est ainsi qu’en se basant sur des incidents, très rares, mais toujours dramatiques, on frappe d’interdit ce que l’on nomme le bizutage. Souvenons-nous que ce terme provient des armées de Napoléon Bonaparte. À travers cette dénomination, c’est l’ensemble des rites d’agrégation des classes supérieures qui A gauche : Trivium & quadrivium - Techniques mixtes - 2012


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est visé. L’aspect fâcheux se manifeste dans les rites lorsque les jeunes personnes en charge de la transmission furent mal formées. Cela provient, dans la plupart des cas, d’une mauvaise transmission des procédures - le plus souvent transmises uniquement par l’oralité - et par conséquent inajustables par les savoirs des aînés, dont le rôle une fois accompli ne se soucient le plus souvent que de leurs études et disparaissent des traditions. La détérioration des symboliques par la modification des règlements universitaires ou de la loi ne doit pas être négligée non plus. Si le rite se régénère en empruntant d’autres voies que celles quilui furent scellées, il faudra quelques années avant qu’il ne trouve sa juste place et son niveau préalable d’efficacité.

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L’apprentissage des limites! Ainsi, depuis que le bizutage fut stigmatisé, au cours des années courant de 1970 à nos jours, nous pouvons percevoir au sein même des institutions, un accroissement des injustices sociales de plus en plus décomplexées. Plus le rite est dénaturé, voire supprimé, plus le principe d’humanité de la classe dirigeante est dégradé.

Cela ostracise ses défenseurs, paupérise la valeur des études, et se trouve à court terme contre-productif, à l’image de l’ensemble de la société européenne du XXIe siècle. Nous avons pu le démontrer, si l’humour perpétré au cours de ces rites est souvent douteux, et semble indigne d’individus amenés à tenir à terme les rênes de la communauté, c’est avant tout parce que nous sommes en présence d’un rite d’inversion libérateur. Cette inversion possède également une valeur d’enseignement, comme le veut la voie bacchante.

Symbole de fertilité associé au rituel de l’Initium


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Les Tocquards Au terme de ce double ouvrage mèlant le travail de réflexion sur l’esthétique des traditions étudiantes et l’approche par la voie de la communauté universitaire que forment les Tocquards, il est temps de faire un point sur l’œuvre du commandant RoSWeLL. Tout bon tour de magie se réalise par l’accomplissement d’un mystère. Le prestige utilisé avec la tradition des Tocquards ne vaut que par la masse de connaissances utilisées pour le produire. Car vous l’aurez compris, cette tradition n’existe pas en tant que telle, mais est composée d’un agrégat de multiples pratiques et témoignages en provenance de plusieurs rites européens. La mise en perspective des matériaux historiques, anthropologiques, graphiques, sociologiques, artistiques, est pourtant loin d’être aboutie, et nécessiterait une véritable cellule de recherche à ce propos. Le sujet est passionnant tant il soulève les passions des foules. Celles qui ne maîtrisent pas le sujet y perçoivent une violence qui n’a plus de raison d’être. Celles qui ont approché ces

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mouvements n’ont plus les outils leur permettant de produire la moindre défense. Le commandant RoSWeLL est-il un historien, un anthropologue, un symboliste ou un artiste? Sa voie passe par l’ensemble de ces chemins pour dresser une grille permettant la compréhension des enjeux. Comme l’évoque encore Christian Jacq : «L’homme du Moyen Age des cathédrales ne fait pas «son» art. Il remplit un devoir de sacralisation, il ennoblit la plus petite parcelle du réel. Car l’art dans lequel il intègre sa pensée est beaucoup plus que luimême,beaucoup plus qu’un individu; il représente la vision d’une communauté d’hommes faisant vivre la communauté de l’intérieur. Cette science artistique est une formation de l’ œuvrant.» En peu de mots, nous comprenons que l’artiste des Tocquards a tenté de sublimer la pensée médiévale afin de l’inscrire dans un cadre contemporain. Car c’est bien comme artiste qu’il propose ses symboles. La recherche en sciences humaines n’est au fond qu’un matériau nécéssaire à la production du sujet. Le chercheur aura toujours pour tâche de se distancier de son objet d’étude, de n’émettre un avis que par un


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raisonnement scientifique. L’artiste peut, et doit s’impliquer dans sa problématique. Le commandant RoSWeLL constitue par son travail un véritable manifeste à la prévention de la culture rituelle étudiante, mais sous les auspices des centres universitaires. Ne plus laisser ces jeunes gens face à de si lourdes responsabilités. Plus les institutions renoueront le dialogue avec le rite, plus celui-ci s’avèrera vertueux. Le moyen âge avait ceci de génial, qu’ils affrontaient par la voie des mystères (auxquels nous associons les deposito), donc par une introspection guidée au travers des rites, les fluctuations de leur quotidien. Lorsqu’un accident survenait, c’est l’ensemble de la communauté qui était responsable. La faute y était assumée et non rejetée sur autrui. Ainsi, une fois initié, chacun devenait responsable de l’ensemble. Le rite des Tocquards s’inscrit dans cette logique. Ce n’est pas à proprement parler, une tradition étudiante, mais elle en donne tous les signes. Et, il se pourrait que, par sympathie, elle se détache un jour de son auteur pour vivre une vraie naissance.

Salut au drapeau de l’universitas - commandant RoSWeLL - crayons de couleur,2012


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Tocquards durant une messe de l’âne




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