La mise sous statut public : possible et nécessaire !

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Emploi, sidérurgie et reconversion dans la région liégeoise Damien Robert

Études marxistes Études marxistes 2011 – supplément au n° 96 – Revue trimestrielle – octobre-décembre



Emploi, sidérurgie et reconversion dans la région liégeoise Damien Robert


Mise en page : EPO Couverture : Jan Depover Brochure éditée par l’Institut d’Études marxistes, Rue de la Caserne 68, 1000 Bruxelles. Tél. : 02 50 40 144 www.marx.be E-mail : inem@marx.be Editeur responsable : Maria McGavigan


Table des matières

Damien Robert Emploi, sidérurgie et reconversion dans la région liégeoise....................................................................................................... 5 La situation ........................................................................................................................ 6 L’industrie à Liège au 19e et au 20e siècle .................................................................. 6 L’industrie à Liège au 21e siècle .................................................................................... 7 Place du transport maritime dans cette situation .................................................... 8 La place de la sidérurgie dans le transport maritime et situation globale.............. 9 La situation de la sidérurgie européenne et mondiale et les perspectives futures selon Mittal ..................................................................................................................... 9 La sidérurgie liégeoise et les objectifs de Mittal ..................................................... 12 Les réactions politiques et la reconversion ............................................................. 13 Après les larmes de crocodile, laisser retomber le souffle ................................... 13 Vendre la reconversion via le Trilogiport aux travailleurs et à la population ..... 15 La reconversion depuis les années 70 : ça ne marche pas… ................................ 16 Les objectifs du Trilogiport ........................................................................................ 17 Comment les partis politiques voient le Trilogiport .............................................. 18 Le coût et l’apport en volume d’emploi du Trilogiport ......................................... 19 Le montage financier : le privé empoche, le public apporte sa garantie .............. 19 Les sites sidérurgiques, la logistique et le Trilogiport ............................................. 21 Les propositions du Parti du Travail de Belgique .................................................... 21 Ne pas se fier à une économie en pleine croissance ............................................. 22 Un projet ambitieux, mais surévalué ........................................................................ 22 Une sidérurgie intégrée publique .............................................................................. 24 Dix questions quant à la faisabilité et la viabilité d’une sidérurgie publique ....... 26 Le développement du PAL par la sidérurgie publique ............................................ 31 Trilogiport public ......................................................................................................... 32 Pour conclure ............................................................................................................... 33



Damien Robert

Emploi, sidérurgie et reconversion dans la région liégeoise Le 12 octobre 2011, la direction d’ArcelorMittal a annoncé la fermeture de la phase liquide de la sidérurgie liégeoise. Avec un taux de chômage de 20 %, cette annonce est une catastrophe pour la région. Le bassin industriel de Liège subit les évolutions de l’économie mondiale depuis le 20e siècle. Avec l’annonce de la fermeture et les menaces qui pèsent maintenant sur la sidérurgie intégrée, colonne vertébrale de l’emploi dans la région, l’establishment politique crie à qui veut l’entendre que la reconversion à la logistique dans le Trilogiport va sauver l’économie liégeoise. En effet, depuis quelques années déjà, existe le projet de construire une zone de logistique le long du canal Albert pour y implanter un terminal à conteneurs et un centre de distribution des produits acheminés par rail, par eau ou par route. Selon le site officiel du pôle de compétitivité initié par le Plan Marshall du ministre socialiste Jean-Claude Marcourt lié au développement de la logistique en Wallonie, « Liège Trilogiport songe déjà à une future et indispensable extension, les responsables lorgnant déjà vers les 180 hectares de terrains situés du côté de Chertal et où, depuis 1963, s’est développée une activité sidérurgique appelée aujourd’hui à disparaître. » Doit-on s’attendre à une disparition de la sidérurgie et à un développement de la logistique ? Avant de répondre à cette question et pour permettre au lecteur de se forger sa propre opinion sur les choix des décideurs économiques et politiques, il faut d’abord essayer de répondre à quelques questions. Quels sont les apports de la sidérurgie à l’économie liégeoise ? Quelle est la part de la sidérurgie dans le secteur logistique ? Quel est l’avenir de la logistique à partir du développement du Trilogiport à Liège ? Quels sont les liens entre le Trilogiport et la sidérurgie ? Voilà toute une série de questions auxquelles cette étude tente de répondre pour donner en fin de compte des pistes pour un avenir socialement et économiquement moins sombre dans le bassin. ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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La situation L’industrie à Liège au 19e et au 20e siècle La région liégeoise est historiquement une région industrielle. L’industrie minière et sidérurgique s’est développée fortement à partir du bassin de la Meuse au 19e siècle. Cette industrie a continué à croître dans la première partie du 20e siècle. Des industries telles que la Fabrique nationale, la sidérurgie, les mines ou le Val Saint-Lambert employaient chacune plus de dix mille personnes voire plusieurs dizaines de milliers de personnes. Comme dans toutes les régions du monde dominées par quelques individus ou actionnaires, les industries liégeoises n’ont jamais été à l’abri d’une mise en concurrence et d’une baisse permanente des coûts de production. De même, l’augmentation de la productivité y a toujours été utilisée pour permettre au propriétaire de l’entreprise d’accumuler plus de profit plutôt que pour mieux répartir les richesses produites à l’ensemble de la population. En conséquence, l’augmentation de la productivité et des richesses n’a jamais été accompagnée d’une redistribution équitable des richesses. La crise économique de surproduction qui a commencé en 1973 a particulièrement laissé ses traces. Des entreprises phares (Cristalleries du Val Saint-Lambert, extraction minière) ont disparu ou presque. D’autres ont vu leur nombre de travailleurs fondre comme neige au soleil. À partir de 1953 et jusqu’en 1980, on a assisté à une fermeture progressive de toutes les mines de la région. Pas moins de 30 000 emplois ont disparu dans l’industrie minière1. À partir des années 60, le bassin liégeois a perdu 30 000 emplois dans la métallurgie et la sidérurgie2. Comment expliquer ces réductions d’emplois sans précédent ? Premièrement, la concurrence inhérente au capitalisme a désavantagé les mines de la région (et du reste de la Belgique et de l’Europe occidentale), qui se sont avérées moins rentables que dans d’autres parties du monde. Ensuite, l’utilisation des gains de productivité pour réduire les coûts de production et donc diminuer le coût salarial est une autre explication. En effet, la logique capitaliste à laquelle la région n’a nullement échappé a été de faire travailler une personne plutôt que deux 1 Bernadette Mérenne, « De Luikse regio : een gebied in verandering », De aardrijkskunde, vol. 23 (1999) no 4, p. 8. 2 Bernadette Mérenne, op.cit., p. 8. 6   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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en obtenant la même production. Cette réduction des coûts de production a donné lieu à des licenciements massifs et, dans certains cas, certaines unités de production ont même été délocalisées. Enfin, le recours permanent et de plus en plus grand des entreprises à la co-traitance, à la sous-traitance et au travail intérimaire a encore accentué ce processus.

Malgré les pertes d’emploi importantes dans la région et malgré la disparition des mines, le tissu industriel de Liège et son taux d’emploi sont restés fortement liés à la sidérurgie et à la métallurgie dans son ensemble. La spécialiste de l’économie liégeoise, Bernadette Mérenne, explique dans un article consacré à l’évolution de la situation économique liégeoise que « malgré la crise des années 70 et 80, l’industrie sidérurgique est encore le secteur industriel le plus important » à Liège aujourd’hui3.

L’industrie à Liège au 21e siècle Fin 2009, le taux de chômage dans la région liégeoise (Huy-Waremme non compris) est de 19,8 %4. Dans ce cadre où un actif sur cinq n’est ni intérimaire, ni sous contrat à durée déterminée ni sous contrat à durée indéterminée, l’industrie reste malgré tout le cœur de l’emploi dans la région. Les lois du marché ont sinistré la région, mais, sur le plan économique, celle-ci n’est pas complètement à genoux. L’industrie manufacturière concentrée dans quelques grosses entreprises continue à en être la colonne vertébrale. Quelques exemples de chiffres d’emploi (cotraitance et sous-traitance non comprises — seulement équivalent temps plein 2010) : ArcelorMittal 3 200 ; TNT, 1 600 ; Techspace Aero 1 290 ; Galère 980 ; FN 920 ; Prayon 840 ; Laurenty 620 ; Fibreglass 380 ; CMI 500. Suivent une multitude d’entreprises plus petites qui sont soit liées à ce tissu économique existant (sidérurgie, aéronautique, logistique par transport aérien) soit liées à un autre secteur manufacturier.

Au niveau des services, outre l’enseignement, les gros pourvoyeurs d’emplois dans les services sont les TEC (1 700), l’Intercommunale des soins spécialisés (1 400), les hôpitaux, la Société wallonne des eaux (1 320), la SNCB, et les banques… Ces services fonctionnent en grande partie grâce à la consommation liée aux salaires de l’industrie. Selon les statistiques disponibles, on est passé de 146 455 emplois industriels en 1961 à 49 725 en 1998, soit une perte de deux tiers des 3 Bernadette Mérenne, op.cit., p. 10. 4 Forem, Analyse du marché de l’emploi et de la formation — état des lieux socio - économique des régions de Liège et de Huy Waremme, Annexe, 2009, p. 37. ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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emplois. Dans le secteur tertiaire dit de service, on est passé de 100 000 emplois à 159 400, soit une augmentation de 58 %5. Pour conclure sur l’évolution de l’emploi dans la région liégeoise, le chiffre le plus important est celui-ci : il y a 40 000 emplois en moins, tous secteurs confondus, depuis les années 60. C’est ce qui explique le taux de chômage de 20 %.

Place du transport maritime dans cette situation La région de Liège a comme particularité d’avoir un haut taux de densité de population au cœur de l’Europe. D’autre part, elle se situe à un carrefour entre le port d’Anvers (deuxième port maritime d’Europe et une des principales portes d’entrée du commerce avec l’Asie), la Hollande, l’Allemagne, le Luxembourg et la France. Les infrastructures ferroviaires au niveau du fret sont opérationnelles (notamment une ligne spécifique pour les trains de marchandises entre l’Allemagne et la Belgique). L’activité logistique aérienne avec le développement de l’aéroport de Liège et son utilisation par TNT Express qui en a fait son principal hub européen y est très développée. Et finalement, Liège est située autour de la Meuse et des canaux qui y ont été construits, développés et élargis au cours du 20e siècle, ce qui fait du Port autonome de Liège (PAL) le troisième port intérieur d’Europe, derrière Duisbourg et Paris. Le tonnage rendu possible par l’aménagement du fleuve et du canal Albert permet (à la différence du canal Bruxelles-Charleroi) la circulation, le chargement et le déchargement de bateaux de 2 000 tonnes (soit l’équivalent maximal de 132 petits conteneurs sur trois rangées). Ce port comprend jusqu’ici une constellation de ports publics et privés6. Il y a un trafic annuel de plus de 20 millions de tonnes. Il gère 31 zones portuaires en province de Liège, le long du canal Albert et de la Meuse. Les terminaux principaux sont actuellement celui de Renory et celui d’Hermalle-sous-Argenteau. Celui de Renory est le plus important. Les ports publics accueillent 72,3 % du tonnage total des ports qui constituent le Port autonome de Liège7. En 2008, la Banque nationale de Belgique a publié une étude qui montre que l’activité liée au complexe portuaire liégeois procure 28 081 emplois directs et indirects. Ces emplois se divisent en 11 674 emplois directs (425 liés au fonctionnement du port et 11 429 liés à 5 Bernadette Mérenne, op.cit. 6 Annuaire du port autonome de Liège, 2007, Joan Lloyd, Special Report. 7 Annuaire du port autonome de Liège, 2007, Joan Lloyd, Special Report. 8   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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l’utilisation des infrastructures) et 16 407 emplois indirects (833 liés au fonctionnement du port et 15 573 liés à son utilisation)8.

La place de la sidérurgie dans le transport maritime et situation globale La métallurgie (et donc la sidérurgie qui en est l’axe principal à Liège) est la colonne vertébrale de ce port. 51,8 % des emplois directs du complexe portuaire liégeois viennent de ce secteur. En 2006, cela faisait, selon la Banque nationale de Belgique, 6 042 emplois. En 2006, quatre entités liées au groupe sidérurgique Arcelor (aujourd’hui ArcelorMittal) faisaient partie du top 6 des pourvoyeurs d’emplois du complexe portuaire. On peut faire exactement le même constat si on étudie les parts des différentes industries en terme de valeur ajoutée. Dans le complexe portuaire liégeois, en 2006, 40,4 % de la valeur ajoutée du port l’était par le fruit du travail dans la métallurgie liégeoise (et ce malgré la fermeture du haut fourneau HF6 de Seraing). Trois des quatre entités de l’entreprise ArcelorMittal font d’ailleurs, à l’époque, partie du top 7 des entreprises qui apportent une plus-value par le complexe portuaire liégeois9. Enfin, cette tendance est largement confirmée par l’apport de l’industrie métallurgique dans le tonnage des marchandises transitant par le PAL. Selon les statistiques annuelles du PAL pour 2010, 8 363 442 tonnes en 2010 sur un total de 15 452 240 tonnes viennent de l’industrie métallurgique et sidérurgique, soit 55 % de l’ensemble du tonnage10. Non seulement c’est le secteur le plus important, mais on peut même dire que le port tourne autour de la sidérurgie pour plus de la moitié de ses emplois et pour presque la moitié de sa valeur ajoutée. Il est donc légitime de s’interroger sur la crédibilité de l’avenir du PAL sans celui de la sidérurgie.

La situation de la sidérurgie européenne et mondiale et les perspectives futures selon Mittal Le groupe ArcelorMittal mondial a fait 2,9 milliards de dollars de bénéfices en 201011. En Belgique, sa filiale ArcelorMittal Finance and Services Belgium a fait 1,4 milliard de dollars de bénéfices nets. À Liège, 8 L’importance économique du complexe portuaire liégeois et du port de Bruxelles dans NBB Working paper no 134, juin 2008. 9 Les calculs sont publiés par la BNB et sont effectués à partir des comptes belges déposés à la Centrale des bilans et des IOT belges. 10 http://www.port-autonome.be/fr/pages/liege-port-autonome-statistiques-annuelles.aspx 11 http://www.arcelormittal.com/rls/data/pages/41/AM_AnnualReport2010_15.03.11.pdf ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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la phase liquide, sous le couvert de la filiale Mittal Upstream Belgium, a fait 35 millions d’euros de bénéfices en 2010, contre 6 millions en 2009 et 11 millions en 2008. Le groupe est financé par des actionnaires (dont la famille Mittal est le principal) qui investissent dans l’entreprise à condition qu’ils reçoivent en retour sur investissement des dividendes à deux chiffres. Dernièrement, le 23 septembre 2011, Mittal a annoncé un plan de restructuration d’un milliard d’euros à réaliser sur ses sites européens qui lui rapportent le moins de bénéfice12. Pourquoi ? Parce que la production d’acier sur le marché international serait en baisse ? Non, car, pour le moment, cette production est encore en hausse (ainsi que les prévisions à court terme de cette production). En effet, en octobre 2011, l’Association mondiale de l’acier annonce une augmentation de la production de 9,8 % par rapport à 2010. La production augmente sur notre continent de 4,3 %.13 Nous le verrons plus tard dans l’étude, mais ces chiffres sur la production d’acier sont à prendre avec la plus extrême prudence quant à les utiliser pour faire une projection sur la production future. Ils ont été publiés au mois d’octobre et sont basés sur un scénario optimiste. D’autres chiffres le sont (beaucoup) moins. Nous publions ces chiffres car ils montrent en tous cas que dans le premier, deuxième et troisième trimestre de l’année 2011, il y a une croissance mondiale et européenne de la production d’acier. En septembre 2011, les chiffres qui sont repris par Lashkmi Mittal pour justifier son milliard d’économies ne sont pas encore alarmants par rapport à ceux publiés au mois de novembre. C’est donc sur base de ces premières données que la stratégie de Mittal, publiée dans le rapport du 23 septembre 2011, est basée. C’est donc pour comprendre cette stratégie que nous publions ces chiffres, même si entre-temps, la situation a évolué. En fait, la première tactique de Mittal est d’augmenter sa marge bénéficiaire en réduisant ses coûts pour satisfaire ses actionnaires. La deuxième est de réduire le rapport entre l’endettement du groupe et son bénéfice brut, rapport que suivent avec attention les agences de cotation. Mittal est aujourd’hui coté BAA3 chez Moody’s et BBB − chez Standard and Poor’s soit une note proche de l’investissement spéculatif. C’est-à-dire que les agences de notation estiment que sa capacité de remboursement n’est pas bonne et un rapport encore plus élevé de son endettement à son bénéfice brut augmenterait encore la méfiance 12 http://www.arcelormittal.com/rls/data/upl/627-61-1-0-IRDay2011Am.pdf 13 http://www.steelonthenet.com/production.html 1 0   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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des financiers à l’égard de l’entreprise ce qui l’obligerait à payer des taux d’intérêt plus importants et donc à faire moins de bénéfices. Donc, pour pouvoir satisfaire les actionnaires et leur rapporter un retour sur investissement à deux chiffres, le fils de Lakshmi Mittal a annoncé son objectif d’économiser un milliard d’euros en saturant une partie de ses hauts fourneaux à 100 % de capacité de production plutôt que de faire tourner l’ensemble de ses 25 hauts fourneaux européens (ou une plus grande partie comme aujourd’hui). Il y a deux types de sites en Europe (là où les coûts sont les plus élevés et où la demande est la moins en croissance) : les sites continentaux et les sites maritimes. Il ne faut pas exagérer les différences de coûts entre une tonne d’acier produite au Brésil et une tonne produite en Europe. Selon le consultant Laplace Conseil, la différence de coût est évaluée à moins de 10 %, 5 % pour le salaire et 5 % pour le transport. Ce n’est donc pas énorme et c’est même compensé en partie par une productivité plus importante en Europe. Mais quand on recherche un retour sur investissement important et que c’est l’objectif unique d’une entreprise, cette différence minime compte. Le fils Mittal s’est donc clairement prononcé pour faire tourner à 100 % de capacité et sans interruption « les outils qui produisent la tonne au coût le plus bas14 ». Concrètement, cela signifie les sites qui ont un accès direct à la mer. La ligne à chaud de Florange en France est pour le moment temporairement à l’arrêt. Mittal vient d’annoncer la fermeture de la phase liquide de Liège. Les hauts fourneaux d’EKO Stahl en Allemagne sont eux aussi temporairement à l’arrêt. On annonce des milliers de suppressions d’emploi sur les sites de Mittal en Pologne et en République tchèque. Cette logique de la recherche de profit maximal ne met aucun site à l’abri. Car même les sites maritimes européens ne peuvent exclure une baisse de la production (comme en 2008 où la production mondiale d’acier avait baissé quasiment de 50 % sur un trimestre), loin de là. Les prévisions de croissance, encore optimistes ces derniers mois, ont été largement revues à la baisse. Au niveau mondial, pour l’année 2012, le FMI ne table plus que sur une croissance de 4 % contre les 4,5 % escomptés encore il y a quelques mois. Le rapport ajoute que les experts sont « particulièrement inquiets pour l’Occident ». Pour l’Europe, le FMI prévoit plusieurs scénarios. Le plus favorable escompte une croissance de 1,1 % (au lieu des 1,7 % encore prévus il y a quelques mois). Le moins favorable (« qui 14 http://www.arcelormittal.com/rls/data/upl/627-61-1-0-IRDay2011Am.pdf ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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est examiné très sérieusement ») prévoit une décroissance de 1,5 %15. Qu’en est-il de la production d’acier dans cette dynamique économique négative ? Difficile de le pronostiquer, mais en tout cas, la situation peut s’avérer assez rapidement catastrophique. Chaque jour qui passe assombrit en effet les perspectives en terme de production d’acier. S’il est difficile de jouer au devin, certains chiffres qui doivent d’abord se vérifier sur du moyen terme afin de ne pas être mal interprétés, indiquent quand même une baisse de la production d’acier entre le mois d’octobre 2010 et le mois d’octobre 2011.16 Ces chiffres, au milieu des nouvelles négatives de ces derniers mois et semaines, peuvent clairement s’avérer être le début d’une récession qui s’accompagnerait d’une croissance négative sur le long terme. Ce scénario est en effet loin d’être exclu.

La sidérurgie liégeoise et les objectifs de Mittal Liège est une sidérurgie intégrée17. On y fabrique du coke, on y coule l’acier, on le transforme à chaud et à froid. Mittal, pour augmenter la flexibilité de ses coûts salariaux, a divisé les ouvriers en plusieurs statuts et contrats. Premièrement, il y a les contrats ouvriers et employés payés par Mittal. Ce sont ce qu’on appelle les « emplois directs ». Il y en a un peu moins de 2 64818 (3 674 en 2004). Puis il y a les emplois indirects. Cela va de la co-traitance, à la sous-traitance (on compte plus ou moins un emploi de sous-traitance pour deux contrats ArcelorMittal). Cela comprend aussi les entreprises qui travaillent directement en contrat avec ArcelorMittal pour transformer l’acier en produit semi-fini et les entreprises indépendantes (souvent des PME) qui transforment cet acier en produit fini pour toute une série de secteurs de l’économie. On compte aussi dans ce chiffre les travailleurs de la SNCB qui, à la gare de triage de Kinkempois, travaillent exclusivement pour la sidérurgie. Il y a plus ou moins 5 000 emplois indirects (5 366 en 2004)19. Cela fait en tout environ 10 000 emplois qui dépendent de la sidérurgie. On ne compte pas dans ce groupe toutes les personnes qui de près ou de loin (cafés, commerces…) sont liées à la 15 FMI, perspectives de l’économie mondiale, croissance au ralenti, risques en hausse, automne 2011, p. 14-16. 16 Voir : World Steel Association et les données sont disponibles sur le site de la Fédération Française de l’Acier http://www.acier.org 17 Pour comprendre comment cette sidérurgie intégrée s’est développée et concentrée pour devenir Arcelor Mittal, lire les chapitre 3 à 8 de l’excellent ouvrage de Robert Halleux, Cockerill : Deux siècles de technologie. Éditions du Perron, 2002, 224 p. 18 Chiffres cités au Conseil d’entreprise d’ArcelorMittal Liège, 14 octobre 2011. 19 http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/117641/cockerill-controverse-sur-leschiffres.html 1 2   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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consommation de tous ces travailleurs. Sans compter l’impact global sur la consommation et l’économie de l’ensemble de la région. Le mercredi 12 octobre, Mittal a annoncé la fermeture de la phase liquide (le haut fourneau HF6 et le haut fourneau HFB, la coulée continue et l’aciérie à Chertal, l’agglomération) et une partie de la cokerie et de la division énergie. On parle donc d’une perte d’emplois directs et indirects de 2 000 personnes, dont 581 emplois directs. Ces divisions dont Mittal a annoncé la fermeture sont répertoriées sous l’appellation ArcelorMittal Upstream (qui comprend en plus le train à larges bandes et la cokerie). En 2010, cette filiale d’ArcelorMittal a fait un bénéfice net de 35 millions d’euros. Mittal ne fabrique donc pas de l’acier à perte à Liège. L’acier lui rapporte juste (un peu) moins que dans certaines autres régions du monde… Avec cette logique, le danger plane aussi sur le froid. Et les données récoltées ces derniers jours confirment ce danger. Par exemple, au Conseil d’entreprise du 14 novembre 2011, la direction a annoncé une perte de commandes pour Liège. Commandes qui seraient transférées à l’intérieur du groupe, dans d’autres entreprises où la tonne est fabriquée à un coût moins élevé. Imaginons maintenant que la production d’acier baisse au niveau européen (comme les chiffres d’octobre 2011 présentés plus haut, semblent le préfigurer). Qu’en sera-t-il du froid à Liège ? Sans approvisionnement du chaud de Liège et sans investissements liés à une modernisation de l’outil, il serait franchement difficile de parier sur sa longévité...

Les réactions politiques et la reconversion Avant d’aborder comment les partis politiques ont réagi à l’annonce de la fermeture de la phase liquide, il faut commencer par expliquer que le PS et le CDH ont un lourd passif quant à la revente de la sidérurgie publique (Cockerill-Sambre) au groupe Usinor. En 1998, le gouvernement Collignon (PS-CDH) organise la revente de notre sidérurgie au privé. Ce jour-là, notre sidérurgie est revendue au groupe Usinor. On voit à quoi cela a abouti.

Après les larmes de crocodile, laisser retomber le souffle Depuis, treize années ont passé et ces partis n’ont toujours pas tiré les leçons. Le lendemain de l’annonce de la fermeture de la phase liÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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quide, le ministre de l’Emploi de la Région wallonne, Jean-Claude Marcourt (PS) a déclaré : « Avec ArcelorMittal, il est clair que le chaud à Liège, c’est fini. Et s’il n’y a pas une volonté d’ArcelorMittal de collaborer pour trouver une solution alternative, il est clair que c’est fini. Par contre, nous allons nous battre pour les convaincre de dire que si nous avons un repreneur, il faut qu’il cède les outils20. » On a vu les représentants des partis politiques pleurer toutes les larmes de leur corps devant les caméras à propos du drame social que des centaines et des milliers de familles vont devoir affronter. Mais ils ne remettent nullement en cause le choix de la privatisation qui les a amenés là et dont ils sont responsables. Notre ministre de l’Économie (PS) va jusqu’à dire platement que Mittal, c’est fini, et que si aucun repreneur n’intervient, il faudra raser le site pour éviter la création de chancres industriels. À l’intérieur du PS, plus spécifiquement le bourgmestre de Seraing Alain Mathot (qui veut remodeler sa ville avec des projets urbanistiques, de l’immobilier, du commercial et quelques petites zones semi-industrielles), même s’il s’est déclaré le lendemain de tout cœur avec les sidérurgistes dans leur combat pour l’emploi, s’est déjà prononcé il y a sept ans pour raser le HF6 à Seraing : « Arcelor ne s’oppose pas à ce que le HF soit démonté rapidement. Mais le groupe veut que ça se fasse en concertation… En juin, la Région, la Commune, les syndicats et Arcelor se remettront autour de la table pour débattre le démontage du HF21. » Bernard Westphael (Écolo), dans un langage qui dénonce les abus du capitalisme, défend « une sidérurgie coordonnée au niveau européen qui devra éviter tout dumping22 ». Sous-entendu : il faut contrôler les actionnaires et leur logique du tout au profit. En fait, Écolo défend une sidérurgie privée européenne sans la logique du privé. C’est impossible. C’est comme demander à un carnivore de devenir végétarien. Mais au-delà des mots et des interventions, quels sont les faits ? Écolo a participé au gouvernement de la Région wallonne. Le 6 décembre 2010, la Région wallonne a approuvé un ajustement budgétaire de 20 millions d’euros pour couvrir les frais liés à l’acquisition de quotas de CO2 pour les donner gratuitement à Mittal23. Cette somme ron-

20 http://www.rtbf.be/info/emissions/article_jean-claude-marcourt-est-l-invite-de-matinpremiere?id=6907183 21 La Meuse, 29 avril 2005. 22 Le Soir, 10 mars 2009. 23 http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=241619489 1 4   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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delette s’ajoute aux 2 millions d’euros débloqués initialement par la Région wallonne en 200824. Louis Smal, député régional CDH, a quant à lui déjà clairement pris position en 2007 : « Je crois qu’il nous faut faire notre deuil de la phase à chaud de Liège et nous battre pour le froid et l’aval (négoce). » Et de rajouter : « Je crois qu’il faut arrêter de se battre pour ce qui est déjà condamné25. » Il faut ajouter que les fameux intérêts notionnels qui ont permis à Mittal de ne pas payer d’impôt (ou presque pas) ont été votés par le MR et le PS. L’octroi à Mittal de quotas de CO2 en surplus qui ont permis à Mittal de gagner au minimum 236 millions d’euros a été décidé par le gouvernement de la Région wallonne où l’on trouve aux commandes de l’Économie le PS Marcourt et aux commandes de l’Environnement l’Écolo Henry26. Lorsqu’au niveau syndical, des voix commencent à s’élever pour revendiquer la nationalisation du secteur sidérurgique, le ministre compétent, monsieur Marcourt, déclare que la « nationalisation est impossible au vu des règlements européens27 ».

Vendre la reconversion via le Trilogiport aux travailleurs et à la population Car la stratégie est claire. Le PS, le CDH et Écolo ne vont pas appeler à une mobilisation large, sur une longue durée et en croissance pour conserver une sidérurgie intégrée et publique à Liège. Ils vont laisser jouer les lois du marché. Et ils savent qu’à ce jeu-là, la sidérurgie est clairement menacée d’une amputation voire d’une disparition pure et simple. Donc, une fois que les larmes de crocodile ne seront plus nécessaires et qu’un sentiment de défaite prendra le dessus, les politiciens vont abattre la carte traditionnelle de la reconversion.

24 Question orale de M. Michel de Lamotte à M. le ministre Philippe Henry, 23 février 2010. Parlement wallon, ou http://www.sandbag.org.uk/site_media/pdfs/reports/Sandbag_2011-06_fatcats.pdf 25 http://www.lalibre.be/actu/gazette-de-liege/article/334276/il-faut-oublier-une-relancedu-chaud.html 26 http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/691977/juteux-co2-belge-pour-arcelormittal.html 27 http://www.lesoir.be/actualite/economie/2011-10-13/marcourt-une-nationalisation-darcelormittal-est-impossible-869854.php ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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Certains, et non des moindres, ont déjà enterré la sidérurgie. Quelques heures à peine après l’annonce de la fermeture de la phase liquide, le bourgmestre PS de Liège, Willy Demeyer, a déclaré : « C’est évidemment un traumatisme à mettre en parallèle avec le caractère ancestral de l’activité d’ArcelorMittal sur Liège. Nous devons désormais orchestrer l’union des forces vives aux côtés des travailleurs et accélérer les projets de reconversion comme le Trilogiport, même si c’est un peu tôt pour parler de cela28. » Michel de Lamote, CDH, est allé dans le même sens en déclarant : « Il me paraît, en outre, pertinent d’aborder la question de la reconversion de la sidérurgie à l’heure où elle souffre difficilement la concurrence avec les entreprises du même secteur localisées en bord de mer. Nous avons à portée de main un réservoir d’emplois toutes qualifications. » Reconversion, le mot est à nouveau lancé. Cette carte soi-disant magique tombe sur la table à chaque fermeture d’entreprise ou à chaque annonce de réduction drastique d’emplois dans la région. Il est donc important de faire un bilan concret de l’impact de cette reconversion depuis que l’establishment politique en parle. C’est ce que nous allons faire dans la suite de cette étude.

La reconversion depuis les années 70 : ça ne marche pas… Le mot reconversion est à la mode depuis les fermetures des mines des années 50 et surtout depuis la crise économique des années 70. Le 17 février 1961, l’establishment politique et économique liégeois fondait la SPI (Société provinciale d’industrialisation) avec comme objectif d’attirer l’investissement industriel à Liège pour anticiper une reconversion. Entretemps, des groupes de réflexion et d’action tels le GRE-Liège (Groupe de redéploiement économique, dont le président actuel est Willy Demeyer et les membres fondateurs Michel Fort et Guy Mathot) se sont développés pour « esquisser les grandes lignes du développement de la région après l’ère sidérurgique : apport de l’entreprise à la reconversion, définition d’axes stratégiques de développement, accompagnement et soutien aux projets de reconversion ». Cinquante ans après le début de la reconversion, quels sont les résultats ? En date du 1er janvier 2000, on peut tirer le constat suivant : la SPI (intégrée aujourd’hui dans la SPI+) a créé 42 parcs industriels dont l’ensemble procure du travail à 28 000 personnes (en ce compris 28 http://www.lameuse.be/regions/liege/2011-10-12/arcelormittal-willy-demeyer-en-appelle-a-la-mobilisation-909600.shtml 1 6   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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un nombre important d’emplois non industriels). On trouve un grand nombre d’emplois liés aux services ou à la distribution (grandes surfaces). Ces derniers emplois sont à mettre en balance avec la disparition du commerce dans les centres urbains. Les trois parcs industriels les plus importants sont le parc des Hauts Sarts qui emploie 7 170 travailleurs29, le parc d’Alleur qui emploie 1 697 personnes30 et la zone logistique de l’aéroport de Bierset qui emploie plus de 2 000 personnes. Un bilan pour la reconversion ? Depuis qu’elle est lancée, entre les emplois disparus et créés dans l’industrie, on a une perte sèche de 97 000 équivalents temps plein. Si on fait le même exercice pour les services, on a un bonus de 59 000 équivalents temps plein. Soit une perte totale en terme d’emplois pour la région de 40 000 équivalents temps plein. C’est avec cette lunette là qu’il faut faire le bilan global de la reconversion.

Les objectifs du Trilogiport Ces derniers temps, et plus encore avec l’annonce de la fermeture de la phase liquide de la sidérurgie liégeoise, la reconversion est présentée à partir d’un projet qui dort déjà dans les cartons depuis quelques années : le Trilogiport. Ce projet fait partie d’un plan européen dont l’objectif est expliqué par le vice-président de la Commission européenne : « Le transport est fondamental pour l’efficacité de l’économie de l’UE. Or, il manque à l’heure actuelle des connexions d’une importance vitale. L’Europe compte sept gabarits de rails différents ; seuls 20 de nos principaux aéroports et 35 de nos grands ports sont directement reliés au réseau ferroviaire. Sans connexions efficaces, l’Europe ne pourra pas se développer ni prospérer31. » Plus concrètement, le Trilogiport s’intègre dans une logique de coordination entre les autorités du Port d’Anvers et les gestionnaires du Port autonome de Liège pour créer dans l’hinterland une zone capable de décongestionner le port d’Anvers en tonnage et en activités de conditionnement.

29 Bernadette Mérenne, op cit, p. 22. 30 Bernadette Mérenne, ibid. 31 Une Europe interconnectée : le nouveau réseau central de transport de l’UE, Bruxelles, le 19 octobre 2011, p. 1-2. ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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En effet, les routes et le rail ont une petite marge de progression, mais celle-ci est limitée par la quasi-congestion actuelle des routes et des voies ferrées. De plus, le coût d’une tonne transportée par bateau (12 euros) est meilleur marché que les autres moyens de transport (21 euros par camion et 22 euros par train). Les prévisions annoncent une augmentation du fret maritime de 1 231 000 conteneurs intermodaux de vingt pieds pour les ports wallons32. Nous verrons plus tard que, d’une part ces prévisions sont exagérées, et que, d’autre part, une bonne partie de ce fret va transiter par la ligne Bruxelles-Charleroi (dotée de deux ports intérieurs importants et du port annexe de Namur). Enfin, la répartition de ce fret dépend des choix des investissements européens qui ne sont pas nécessairement favorables à Liège (voir plus loin).

Comment les partis politiques voient le Trilogiport Willy Demeyer, bourgmestre PS de Liège et actuel président du GRE, dans une citation déjà reprise plus haut, fait un lien clair entre la sidérurgie et le Trilogiport : « C’est évidemment un traumatisme à mettre en parallèle avec le caractère ancestral de l’activité d’ArcelorMittal sur Liège. Nous devons désormais orchestrer l’union des forces vives aux côtés des travailleurs et accélérer les projets de reconversion comme le Trilogiport, même si c’est un peu tôt pour parler de cela33. » Pour le CDH liégeois : « Il est regrettable que le redéploiement a été mis sous cocon ces dernières années suite aux fallacieuses promesses d’ArcelorMittal. Il est indispensable aujourd’hui de concrétiser au plus tôt des investissements tels que le Trilogiport, le projet de TGV-fret de Carex, le zoning d’entreprise du Val-Benoît en liaison avec la gare Calatrava […]. C’est dans ce redéploiement que se trouve l’avenir de Liège et de sa région. En cette période de disette budgétaire, chaque euro doit être investi dans des secteurs porteurs d’emplois34. » Même son de cloche pour Michel de Lamote, du CDH toujours : « Il me paraît, en outre, pertinent d’aborder la question de la reconversion de la sidérurgie à l’heure où elle souffre difficilement la concurrence avec les 32 Étude du potentiel de transport fluvial de conteneurs le long de la dorsale wallonne, publiée par le ministère de l’Équipement et des Transports (Office de promotion des voies navigables), p. 14. 33 http://www.lameuse.be/regions/liege/2011-10-12/arcelormittal-willy-demeyer-en-appelle-a-la-mobilisation-909600.shtml 34 http://www.anne-delvaux.be/page/acerlormittal-le-cdh-liegeois-veut-une-reconversion-du-bassin-siderurgique-liegeois-acceleree-et-amplifiee.html 1 8   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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entreprises du même secteur localisées en bord de mer. Nous avons à portée de main un réservoir d’emplois toutes qualifications35. » Pour Philippe Henry, d’Écolo : « Le Trilogiport est un poumon pour le redéploiement économique wallon, un projet porteur d’avenir qui s’inscrit dans un cadre durable par la valorisation de la voie d’eau et du rail. Je remercie chaque acteur concerté durant l’instruction de ce permis, particulièrement mon administration. Cette décision s’est établie autour d’un véritable équilibre entre les intérêts économiques régionaux et les impacts environnementaux locaux. C’est un nouveau pas important pour notre région. » Il y a donc quasi unanimité dans le paysage politique liégeois pour présenter le Trilogiport comme le garant de l’avenir économique de la région. Qu’en est-il réellement ? Avant de répondre à cette question, prenons d’abord le temps d’analyser le projet en tant que tel.

Le coût et l’apport en volume d’emploi du Trilogiport Selon des études favorables au projet (ne prenant pas en compte une réduction de la croissance et encore moins une accélération de la crise économique), le Trilogiport pourrait amener 2 000 emplois. L’infrastructure générale et la mise en relation du Trilogiport avec les infrastructures routières seraient financées par la Région wallonne et le FEDER (Fonds européen de développement régional). Le Plan Marshall interviendrait à hauteur de 20,5 millions d’euros, le FEDER à hauteur de 22,4 millions d’euros. Les investisseurs privés financeraient la construction du terminal à conteneurs et les zones logistiques (tri et conditionnement des marchandises pour envoi par route). Le terminal à conteneurs serait financé par Euroports Dubai Ports World (holding propriété du gouvernement de Dubaï). Les deux zones logistiques seraient financées par les multinationales Warehouse De Pauw (40 ha) et Deutsche Lagerhaus Gesellschaft (30 ha). Cet investissement privé serait de 115 millions d’euros. La gestion de ces zones appartiendrait aux entreprises privées citées.

Le montage financier : le privé empoche, le public apporte sa garantie On retrouve différents acteurs dans le plan de financement du Trilogiport. Le plan européen pour stimuler les investissements straté35 http://www.leblogdemicheldelamotte.be/#post20 ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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giques dans les réseaux de transport est financé selon des règles fixées par la Commission européenne. Ces financements se font dans le cadre d’un partenariat public-privé. La Commission européenne a monté un cadre légal qui permet aux entreprises (privées ou publiques) qui veulent investir dans la construction des infrastructures liées aux projets de logistique de lever des obligations pour le financement. Vu l’absence de certitude quant aux résultats économiques des mois et années à venir, les agences de notation ont déjà déclaré qu’elles coteraient ces obligations comme BBB− soit une cote proche de l’investissement spéculatif36. Cette cotation négative va augmenter le taux d’intérêt de ces obligations pour pouvoir les vendre. À Liège comme ailleurs, les agences de notation font la loi et les institutions publiques les laissent faire… Mieux même, ces institutions publiques se portent garantes, en cas de déficit de payement, du remboursement des investissements37. C’est ce que la Commission européenne a décidé, avec la Banque européenne d’investissement (BEI) dans le courant du mois d’octobre 201138. Nous insistons sur le choix que les pouvoirs publics ont de leur financement. Il n’est nulle part stipulé dans les textes de la Commission européenne que le financement doit se faire avec des fonds privés. Or, les opinions politiques de nos décideurs font qu’ils s’engouffrent dans ce schéma sans réfléchir aux conséquences futures. Avec un investissement privé dans la conjoncture actuelle, le risque est double. Et dans les deux cas les travailleurs sont les perdants. Soit le projet est porteur de bénéfices et ceux-ci vont dans les poches des actionnaires des entreprises privées responsables de la gestion. Soit le projet est un fiasco et c’est le contribuable qui va devoir payer les pots cassés à cause de la garantie de la commission et de la BEI pour éviter aux multinationales de devoir éponger leurs crédits avec leurs fonds propres… Nous estimons au PTB qu’il est responsable de dénoncer ce choix et de proposer une alternative que nous développons dans le dernier chapitre : une infrastructure logistique publique.

36 Project Finance Bonds Pilot Scheme Is Credit Positive, 24 octobre 2011, p. 1. 37 Commission européenne — communiqué de presse, Mécanisme pour l’interconnexion en Europe : la Commission adopte un plan de 50 milliards d’euros pour stimuler les réseaux européens, p. 1-3. 38 Une Europe interconnectée : le nouveau réseau central de transport de l’UE, Memo/11/706, 19 octobre 2011, p. 3-4. 2 0   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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Les sites sidérurgiques, la logistique et le Trilogiport Outre le cadre actuel du Trilogiport, une autre option, plus « ambitieuse » est dans les cartons de la Région wallonne. Dans la première, le Trilogiport profite (en accord avec Mittal) d’une superficie du site de Chertal. Dans la deuxième, on prend en compte la fermeture du site. Quoi qu’il en soit, le site Logistics in Wallonia (www.logisticsinwallonia.be), soutenu par le Plan Marshall, est clair. Pour ce site officiel du pôle logistique et transport39, soutenu par le gouvernement de la Région wallonne et dont le rôle est de développer le transport et la logistique en Wallonie, le Trilogiport doit se faire au détriment de Chertal : « Liège Trilogiport doit songer déjà à une future et indispensable extension, les responsables lorgnant déjà vers les 180 hectares de terrains situés du côté de Chertal et où, depuis 1963, s’est développée une activité sidérurgique appelée aujourd’hui à disparaître40. » La messe est dite. Une étude publiée par l’université de Liège publiée début novembre de cette année va même plus loin et chiffre l’aménagement et le démontage des sites de Chertal et celui du HFB d’Ougrée41. Les chiffres montrent que la sidérurgie est au cœur de l’infrastructure logistique liégeoise, à commencer par son infrastructure portuaire (51,8 % de l’emploi du PAL, 40,4 % de la valeur ajoutée des entreprises liées au PAL et la moitié du tonnage). Son amputation du chaud ou sa disparition serait donc une catastrophe pour l’industrie logistique liégeoise. La perte de Chertal et du HFB pour la sidérurgie et le nettoyage de ces sites pour faire place à des zones de logistiques est un non-sens vu la surcapacité actuelle des zones portuaires.

Les propositions du Parti du Travail de Belgique Voici le temps de mettre nos propositions sur la table. Avant de les formuler et de les préciser, nous voulons attirer l’attention sur deux précautions d’usage : une concernant la situation économique globale et une autre concernant la place du Trilogiport dans les plans de la Commission européenne. 39 Un des cinq pôles de compétitivité, initié par le Plan Marshall lancé par la Région wallonne et le socialiste Jean-Claude Marcourt. 40 http://www.logisticsinwallonia.be/index.php?page=94&lng=fr 41 « La voie d’eau wallonne a besoin de plus de 283 millions d’euros », L’Écho, 4 novembre 2011, p. 5. ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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Ne pas se fier à une économie en pleine croissance Comme il est expliqué dans le passage sur la sidérurgie, les prévisions de croissance ne sont pas bonnes. Et elles s’assombrissent régulièrement. Au niveau du dossier sur la sidérurgie et la reconversion, ce qui nous intéresse le plus au PTB, c’est le bien-être de la population, et donc de créer des emplois stables et bien rémunérés. Ces emplois devraient diminuer le chômage pour que l’ensemble des familles de la région puissent vivre décemment. Or, on sait que, sous le capitalisme, les crises sont récurrentes et amènent les investisseurs à privilégier une baisse du coût de fabrication des produits pour rester concurrentiels et continuer à engranger des bénéfices. On sait aussi que cette baisse des coûts amène des pertes d’emploi et des fermetures d’entreprises. Nos deux secteurs ne sont pas à l’abri, que ce soit pour la sidérurgie qui est, comme on le disait auparavant, « la mère de toutes les industries » ou que ce soit pour la logistique qui est un thermomètre de l’économie et donc plus susceptible qu’un autre secteur de subir directement les évolutions négatives de la croissance. C’est dans ce cadre que nous élaborons nos deux propositions phares pour l’économie liégeoise : le maintien d’une sidérurgie intégrée publique comme cœur du développement du Port autonome de Liège et le développement du Trilogiport comme un centre de logistique public, le caractère public étant le seul garant d’un maintien de l’emploi même en période de crise.

Un projet ambitieux, mais surévalué Pour pouvoir évaluer l’impact du Trilogiport, il est possible de le comparer avec une autre infrastructure trimodale (eau-train-route) existante à Liège : le port de Renory. Ce port (un des terminaux de conteneurs du Port autonome de Liège situé à Angleur et Ougrée) peut accueillir 100 000 conteneurs de vingt pieds par an42. Le projet du Trilogiport, en comptant sur une croissance économique soutenue et donc un approvisionnement du port d’Anvers en conteneurs, est de 175 000 conteneurs intermodaux43. Un projet important et ambitieux, certes, 42 Office de promotion des voies navigables — Région wallonne (2005), Étude du potentiel de transport fluvial de conteneurs le long de la dorsale wallonne. 43 Importance économique des ports belges : ports maritimes flamands et complexe portu2 2   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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mais qui ne dépasse pas deux fois la capacité du port de Renory que le passant voit souvent à moitié rempli ou à moitié vide. Toujours au niveau de l’évaluation du projet, la Commission européenne, pour organiser son financement et la mise en place d’un réseau de transports efficace, a défini la création de neuf corridors dans toute l’Union européenne. Un corridor doit intégrer trois modes de transport, trois États membres et deux tronçons transfrontaliers. Quelle est la place de Liège dans ces corridors européens ? Liège fait partie du corridor no 9. Celui-ci intègre les villes suivantes : Amsterdam — Rotterdam — Anvers — Bruxelles — Luxembourg — Dijon — Lyon — Luxembourg — Strasbourg — Bâle. Dans les textes officiels de la Commission, Liège est dans la zone géographique du corridor, mais elle n’est pas citée44. Et dans les travaux d’infrastructure prioritaires prévus pour le corridor no 9, on trouve la « modernisation du canal Albert et une modernisation des canaux en Wallonie ». Mais on ne trouve pas trace directement du Trilogiport. Par contre, on sait que certains subsides européens initialement prévus ne seront pas octroyés pour cause de « retards administratifs45 ». Il n’y a pas qu’à Liège que des infrastructures maritimes et multimodales logistiques se développent en Wallonie. La région de Charleroi avec ses nombreux ports et notamment le Garocentre (122 ha contre 100 pour le Trilogiport) est aussi sur la balle et est aussi demandeuse pour jouer un rôle dans l’hinterland du port d’Anvers46. Et ce facteur est d’autant plus à prendre en compte que les routes du corridor no 9 passent par Bruxelles (et donc par les voies maritimes allant jusqu’à Charleroi). Pour information et pour donner une idée de l’état actuel des infrastructures fluviales hors Liège en Wallonie, au cours des deux premiers trimestres de 2011, on a déchargé par voie fluviale dans la province du Hainaut presque autant que dans la province de Liège, soit 3 200 000 tonnes47.

aire liégeois — rapport 2005, p. 71. 44 List of the pre-identified projects on the core network in the field of transport — Commission européenne, p. 6-7. 45 Frédéric Chardon, « Le Trilogiport perd du crédit (européen) », La Libre Belgique, 20 décembre 2010. 46 La mise en place d’une politique wallonne de promotion des activités logistiques : quels enjeux pour le territoire régional ?, p. 197 47 http://voies-hydrauliques.wallonie.be/opencms/export/sites/met.dg2/doc/fr/nav/statistiquesnavigation2011trimestre2.pdf ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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Une sidérurgie intégrée publique Pour le PTB, le premier axe de la sauvegarde de l’emploi et du développement économique de la région est le maintien d’une sidérurgie intégrée à Liège. L’outil est performant, il fait des bénéfices, il emploie 10 000 personnes et donc évite la misère à 10 000 familles dans une région déjà économiquement sinistrée. Toutes les autres options sont irrecevables. Nous avons mis en avant la revendication de la répartition des quotas de production sur l’ensemble des sites européens de Mittal. En effet, au lieu de saturer une partie de ses hauts fourneaux, il pourrait très bien répartir la production sur tous les hauts fourneaux en garantissant un maintien de l’emploi et en utilisant une partie de ses bénéfices à financer cette manœuvre. Mais Mittal refuse cette logique, n’étant soucieux que d’assurer un retour sur investissement aux actionnaires de son entreprise. Cela étant, nous défendons une sidérurgie intégrée publique comme l’option la plus crédible économiquement, socialement et environnementalement. Vu la mondialisation de l’économie, elle sera plus efficace et plus logique à un niveau européen. Mais nous sommes avant tout intéressés au caractère public de la sidérurgie plutôt qu’à son imbrication internationale sur le marché. Pour y arriver, nous avons besoin de transférer les outils dans les mains du public et de recapitaliser cette nouvelle entreprise publique pour la rendre plus performante et viable sur le très long terme. Nous sommes donc favorables à un rachat de la sidérurgie intégrée liégeoise par les autorités publiques. À quel prix ? Une chose est claire : Mittal est prêt à laisser pourrir les outils de la phase liquide pour qu’ils ne tombent pas dans les mains de la concurrence. Cette stratégie n’appelle qu’un type de réponse : le rachat du chaud pour un euro symbolique. Et si Mittal refuse le rachat de la sidérurgie intégrée ? Ayant déjà annoncé qu’il était prêt à condamner ses outils, nous demandons que les autorités politiques défendent l’intérêt public par un arrêté d’expropriation pour le chaud et pour le froid. Concernant la valeur de l’entreprise, elle est difficilement chiffrable, mais 54 % du capital de Cockerill-Sambre (Charleroi et Liège) ont été revendus par la Région wallonne à Usinor en 1998 pour 645 millions d’euros48. 48 http://archives.lesoir.be/siderurgie-l-union-consentie-avec-usinor-n-a-dure-que-t_t20030503-Z0N3JD.html 2 4   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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De la même façon, on peut évaluer les cadeaux et aides données par la Région wallonne. Avant tout, il est important de rappeler que ces aides ont été données sans contraintes aucunes en matière d’emploi ou même en matière environnementale. À ce sujet, monsieur Marcourt affirme : « On n’a pas donné un franc à Mittal pour la réouverture des hauts fourneaux et pour le maintien de la ligne à chaud. Il n’a rien reçu, donc il ne peut pas nous rembourser quelque chose qu’on n’a pas donné. » Monsieur Marcourt prend-il les travailleurs et les citoyens pour des amnésiques ? Mittal a reçu énormément de cadeaux et tout ce qu’on va arriver à lui reprendre est super-important. En réalité, on peut distinguer quatre catégories de cadeaux : les intérêts notionnels, le chômage économique payé par la Région wallonne, les formations internes à l’entreprise payées par la Région wallonne et finalement, la fourniture gratuite de quotas de CO2. Concernant les intérêts notionnels, on peut chiffrer le manque à gagner pour l’État fédéral : en 2009, sur un bénéfice net de 1,288 milliards d’euros, Mittal a payé 496 euros d’impôt au lieu des 438 millions d’euros qu’il aurait dû payer au taux légal d’imposition de 34 %49. Cela fait un manque à gagner de 437 999 504 euros pour l’État fédéral. Pour l’exercice d’imposition 2010, Mittal a payé zéro euro d’impôt pour un bénéfice net de 1 394 711 176 euros soit un manque à gagner de 474 201 799 euros pour l’État fédéral50. Donc, rien que pour l’exercice fiscal de ces deux dernières années, Mittal a pu profiter de cadeaux fiscaux à hauteur de 912 301 303 euros. Concernant le payement par la Région wallonne du chômage économique et des formations liées au reclassement interne, il est difficile de chiffrer avec précision ce que cela représente. Il s’agit au minimum de dizaines millions d’euros. Finalement concernant les quotas de CO2, la réalité est encore plus complexe, mais les chiffres sont effrayants. Sur les trois dernières années (outre les quotas octroyés pour la relance du haut fourneau HF6), Mittal a reçu des pouvoirs publics 15,7 millions d’allocation de tonnes CO2 pour la Belgique. Celles-ci sont vendues sur le marché à un prix moyen de 15 euros. On peut donc chiffrer la revente de ces surplus à minimum de 236 millions d’euros. Mittal a économisé dans le monde (sur l’ensemble de ses quotas obtenus pour ses différents sites) un surplus de quotas d’une valeur de 80 millions de tonnes, soit plus d’un 49 http://www.ptb.be/nieuws/artikel/service-detude-du-ptb-0-euro-dimpot-pour-139-milliard-de-profit-pour-la-filiale-financiere-be.html 50 Comptes annuels d’ArcelorMittal Finance and services Belgium pour 2010, disponibles sur http://fisec2.files.wordpress.com/2011/10/amfsb2010.pdf ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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milliard d’euros potentiellement vendables sur le marché de la tonne de CO2. Il est difficile de chiffrer la part de la Région wallonne dans ce domaine, mais cela approche certainement les 50 millions d’euros51. La somme énorme atteinte par le cumul de ces différents cadeaux donnés sans compensation et sans contraintes en terme de maintien d’emploi doit amener les autorités publiques à exiger de Mittal qu’il rembourse cet argent aux pouvoirs publics. Cette somme pourrait servir à alimenter un fonds pour racheter la sidérurgie intégrée liégeoise et y investir pour en faire un pôle de fabrication d’acier à haute valeur ajoutée. Ce serait une opération économiquement faisable pour les autorités publiques qui bénéficieraient dès lors d’un outil moderne et qui éviterait le chômage à 10 000 familles. Au cas où Mittal refuserait le rachat et le remboursement des aides, une réquisition sans indemnisation des outils par arrêté d’expropriation pour sauvegarder l’intérêt public doit être envisagée.

Dix questions quant à la faisabilité et la viabilité d’une sidérurgie publique Est-ce que Cockerill-Sambre n’était pas un puits sans fond dans les années 80 ? Un bref bilan de l’entreprise Cockerill-Sambre (entreprise dont l’actionnaire majoritaire était le public) est d’abord nécessaire. On parle en effet souvent de la sidérurgie wallonne (et liégeoise) comme étant un trou sans fond. Entre 1970 et 1980, la sidérurgie liégeoise a effectivement perdu 5 milliards de francs belges. Elle a été remise à flot par des fonds européens, mais surtout par l’argent de l’État fédéral et de la Région pour finalement redevenir bénéficiaire en 1997. La sidérurgie liégeoise est encore bénéficiaire aujourd’hui. En fait, le vrai débat n’est pas que la sidérurgie des années 70 et 80 produisait à perte, le vrai débat est : les bénéfices procurés aujourd’hui par la production d’acier à Liège vont-ils revenir au public dans le futur ou disparaître et laisser des milliers de familles dans la misère ?

51 Chiffres repris par le service d’étude du PTB dans son étude « Les quotas CO2 d’ArcelorMittal ont rapporté 236 millions d’euros à ArcelorMittal » publiée le 14 octobre 2011 basée notamment sur une étude réalisée par Frank Venmans, chercheur à l’université de Mons et auteur de « L’efficacité environnementale et économique du marché de carbone européen », Courrier hebdomadaire du CRISP, no 2099-2100, 2011, 27, cf. http://www.cairn.info/ revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2011-14-page-5.htm 2 6   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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Est-ce que la sidérurgie liégeoise n’est pas plus chère et moins performante que les autres ? Le groupe de consultance Laplace, spécialisé dans l’analyse du marché sidérurgique mondial, a étudié la possibilité d’une reprise par le public il y a deux ans. Son étude s’est avérée positive. Ses arguments sont les suivants : la productivité est plus élevée à Liège que dans le tiers monde et compense quasiment les différences de coût de production liées aux différences salariales et au coût de transport. De plus, même si elle n’est pas une sidérurgie maritime, elle est géographiquement bien située au milieu d’un des nœuds ferroviaires, fluviaux et aéroportuaires les plus denses du monde52. Selon le même groupe de consultance Laplace, interrogé par la Région wallonne, en octobre 2011, le coût de l’acier liégeois à la tonne serait supérieur de 50 euros par rapport aux autres sites conurrents. Qu’est-ce que ça signifie ? Sur une tonne qui se vend au mois de septembre à 645 euros la tonne, cela fait une différence de 7 %. Différence qui se résorberait facilement si des investissements étaient réalisés dans la modernisation des outils53. En soi, cette différence de 7 % n’est pas énorme. On peut la combler avec des investissements qui avaient été promis par Mittal, mais qui n’ont jamais été réalisés ces dernières années. Mais avant toute chose, ce chiffre montre l’absurdité d’un système économique. En effet, en novembre 2009 (date du premier rapport), période où l’on envisage un relancement de la production d’acier dans le monde et en Europe54, on minimise cette différence (un peu moins forte que 7 % vu qu’entretemps, les autres sites ont subi des investissements qui n’ont pas été effectués à Liège) de coût de la tonne entre Liège et d’autres sites (qui ne sont pas cités et on se demande d’ailleurs pourquoi). Par contre, en novembre 2011 (date du deuxième rapport), période où l’on s’attend à une baisse de la production d’acier, on met en avant la différence pour justifier plus faci52 Ce rapport, outre les données présentées dans cet article, insiste aussi fortement sur la haute productivité du travailleur liégeois. Voir: http://archives.lesoir.be/du-tonus-pourles-siderurgistes_t-20091119-00QY7A.html 53 Pascal Grosjean, « Le modèle wallon a 100 ans, il est fini » dans La Meuse, vendredi 25 novembre 2011. 54 Par exemple, en avril 2009, on a en Europe une production de 9 396 000 tonnes pour une production de 14 790 000 tonnes en octobre de la même année. Cette augmentation de la production a fait dire à de nombreux « spécialistes » que l’économie était en phase de relance et que la crise était derrière nous. On sait aujourd’hui que ces prévisions se sont révélées fausses. Voir : World Steel Association et les données sont disponibles sur le site de la Fédération Française de l’Acier http://www.acier.org ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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lement une fermeture d’un outil qui dans le futur, pour la logique capitaliste, cumulerait deux défauts à savoir : produire de l’acier plus cher et excédentaire par rapport à l’ensemble du marché.

Est-ce qu’on n’exagère pas l’importance de la sidérurgie dans le bassin liégeois ? La sidérurgie liégeoise est encore le cœur de l’économie liégeoise. Elle procure des emplois à 10 000 personnes. Ce sont 10 000 personnes qui consommeront plus qu’avec une allocation de survie au chômage. Nationaliser la sidérurgie, c’est garantir que l’économie continue à tourner et c’est important. Surtout en période de crise où l’emploi devient une denrée rare et où l’économie s’écroule parce que les gens n’ont plus la capacité d’acheter ce qui est produit.

Est-ce que le public n’est pas moins performant que le privé ? Ce genre de vérités toutes faites nous sont vendues par ceux qui ont lancé les grandes vagues de privatisations dans les années 80. Le secteur public est performant. Avant tout, car l’argent qui y est investi l’est pour sauvegarder des emplois et rendre service à la population et pas pour rendre service à des actionnaires en recherche permanente d’une réduction des coûts de production. Le retour sur investissement beaucoup moins important attendu par un investisseur public est un garant de la survie et du développement de la sidérurgie intégrée publique dans la jungle du marché mondial et européen de l’acier d’aujourd’hui. Le problème de la compétitivité des prix pour la vente de la tonne sur le marché pourra être résolu en répercutant une partie de la somme épargnée par un moindre retour sur investissement pour faire baisser le coût. Il existe des exemples qui montrent que des entreprises industrielles nationalisées peuvent être modernes et performantes au 21e siècle. La Région wallonne est devenue détentrice à 100 % du capital de la Fabrique nationale à Herstal. L’entreprise se porte économiquement bien.

Est-ce que c’est crédible de demander la nationalisation de la sidérurgie alors qu’on privatise tout ? Oui. Les nationalisations sont parfaitement possibles sous le capitalisme. Dans les années 80, on a pu le faire, quand ça arrangeait les 2 8   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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capitalistes. Dans toute l’Europe, France, Espagne, Belgique, on a nationalisé les entreprises sidérurgiques, on les a fusionnées dans des entreprises nationales géantes. Pour rendre ces entreprises rentables et concurrentielles, les gouvernements européens ont injecté pas moins de 50 milliards d’euros d’argent public dans la sidérurgie. Si on pouvait le faire pour les capitalistes dans les années 80, pourquoi ne le pourrait-on pas maintenant pour les travailleurs ?

Est-ce que l’Europe peut nous l’interdire ? Non. On a déjà fait des exceptions. En 2008, pour les banques, la commissaire à la concurrence Mme Kroes a déclaré : « Les règles de droit de la concurrence doivent aujourd’hui s’effacer devant l’urgence55. » Et on a nationalisé les banques. Monsieur Marcourt ne dit donc pas la vérité en déclarant à la presse le jeudi 13 octobre : « La nationalisation est impossible, l’Europe l’interdit : il faut un opérateur privé56. »

Et comment fait-on si les carnets de commandes sont dans les mains de Mittal ? D’une part, l’impact du moindre retour sur investissement sur le coût de la tonne permet plus facilement d’être concurrentiel et de trouver des clients. D’autre part, dans un monde globalisé, certains acheteurs d’acier seraient satisfaits d’acheter de l’acier de qualité à un concurrent de Mittal qui reste le producteur no 1 de l’acier et qui a donc tendance à chercher à fixer les prix. Finalement, et c’est sans doute le plus important, il existe à Liège un centre de recherche et de développement considéré comme l’un des plus performants du secteur de l’acier. Ce centre doit être développé, et la production liée à ses recherches, pour pouvoir développer de l’acier de très haute qualité qui trouvera donc plus facilement des débouchés sur le marché qu’un acier ordinaire.

Est-ce que ce n’est pas mieux de porter le débat au niveau européen ? Les travailleurs européens ont tout à gagner à consolider cette nationalisation dans un cadre européen par la mise sur pied d’une régie européenne de l’acier. Il faut saisir l’opportunité actuelle où Mit55 http://www.lefigaro.fr/economie/2008/12/03/04001-20081203ARTFIG00053-bruxellescede-sur-les-aides-aux-banques-.php 56 http://www.lesoir.be/actualite/economie/2011-10-13/arcelormittal-les-syndicats-organisent-des-assemblees-d-information-869737.php ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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tal lâche ses hauts fourneaux et ses lignes à chaud continentales pour construire cette régie à partir des sites aujourd’hui concernés par la fermeture. Mais contrairement à des secteurs stratégiques où l’Europe organise une coordination comme dans l’aéronautique avec Airbus, nous ne voulons pas d’une simple coordination ni d’une nationalisation européenne qui se limite à un contrôle sur la sidérurgie des États qui sont en train d’organiser les coupes budgétaires. Nous voulons que cette sidérurgie publique soit démocratique, et qu’elle se fasse dans l’intérêt des travailleurs et non dans l’intérêt des États et de la Commission européenne. L’histoire de ces dernières années nous a assez montré que les intérêts sont divergents entre les deux… Que voulons-nous dire ? Laissons la parole à une brochure de la Commission européenne, citée en son temps sur le site Web www.arcelor.com (l’ancien groupe sidérurgique européen racheté par Mittal en 2004) : « Arcelor a l’ambition d’apporter sa contribution à l’édifice européen, de constituer, avec beaucoup d’autres groupes industriels, un socle économique qui lui permettra de faire entendre sa voix et de défendre sa vision du monde57. » Cette vision du monde n’est pas la nôtre. Nous avons entendu au lendemain de l’annonce de la fermeture, monsieur Alain Mathot, bourgmestre et député socialiste de la ville de Seraing, déclarer que l’acier était nécessaire en Europe et qu’il fallait garder un acier européen, car « qui va fabriquer notre acier pour nos tanks si les Chinois nous attaquent58 ? ». Au-delà de cet écart de parole qui était, selon son auteur, seulement une boutade, l’histoire récente de l’Union européenne nous montre que ses intérêts sont plus représentatifs de ceux des banquiers et de leurs actionnaires que ceux des travailleurs.

Pourquoi une reprise par la Région wallonne pour revendre ensuite au privé ? Faire de l’acier une entreprise publique n’est pas la même chose qu’un portage. « Portage » signifie : racheter Mittal et revendre l’entreprise à un géant de l’acier concurrent américain ou japonais. Ainsi nous ne résoudrons aucun problème. Ce que nous voulons, c’est la reprise de l’entreprise pour la faire gérer par l’État, sous contrôle démocratique.

57 Citation publiée sur le site www.arcelor.com cité dans le plan des travailleurs de la sidérurgie du PTB, 2003. 58 Citation tirée d’un discours donné à l’Assemblée générale des membres du Parti socialiste de Seraing, 14 octobre 2011. 3 0   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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Nous ne voulons pas une « nationalisation » comme dans les années 80, avec comme seul but de détruire l’emploi et de rendre l’entreprise profitable pour la vendre au privé : nous voulons une sidérurgie avec un statut public, où l’emploi reste prioritaire, une entreprise sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population, avec une transparence complète de la stratégie économique et financière, avec élection et possibilité de destitution du conseil d’administration.

Pourquoi une sidérurgie publique si c’est pour mettre des gens incompétents à la tête de l’entreprise ? D’une part, la sidérurgie mérite que des gens compétents avec une stratégie économique et industrielle sérieuse soient à la direction de l’entreprise. D’autre part, cette stratégie et sa mise en œuvre doivent être partagées par les plus concernés : les travailleurs. C’est pourquoi nous plaidons aussi pour une nationalisation à caractère démocratique. Pour permettre un contrôle véritable des travailleurs sur la gestion de l’entreprise les délégués élus du conseil d’entreprise doivent avoir le droit de connaître tous les documents et chiffres concernant production, ventes, planning stratégique, productivité. Ils doivent avoir le droit d’informer les délégations syndicales et le personnel. L’administration, le carnet de commandes, la comptabilité et les comptes doivent être complètement transparents. Une entreprise sidérurgique sous contrôle démocratique offre beaucoup plus de garanties contre les fraudes, les abus et les manipulations comptables. Des décisions stratégiques sur des changements importants dans l’organisation de la production, des changements dans le système posté ou encore dans le planning doivent être soumis au personnel, par référendum. Les délégations syndicales ont le droit de faire faire des études préparatoires par des experts externes, aux frais du patron, comme d’ailleurs cela peut déjà se faire en France aujourd’hui. Les délégations syndicales peuvent aussi prendre l’initiative d’un référendum décisif pour les questions importantes.

Le développement du PAL par la sidérurgie publique Le deuxième axe que nous voudrions avancer est le développement des infrastructures actuelles du PAL liées à une sidérurgie moderne et per-formante comme colonne vertébrale de ce port. Le PAL est l’acteur prin-cipal de l’économie liégeoise. La sidérurgie est l’acteur principal du PAL. ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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Le développement et une croissance continue du PAL (hors Trilogiport) liés au développement de la sidérurgie publique et à l’utilisation des infrastructures par d’autres industries (y compris de logistique) sont possibles par la maximalisation des infrastructures existantes (par exemple, certains ports privés sont non utilisés) et par l’exploitation des 20 ha de terrain actuellement disponibles et structurellement non utilisés59. Ce développement des infrastructures portuaires et maritimes est d’autant plus intéressant qu’il est écologiquement beaucoup plus performant. En effet, selon des études, une tonne de marchandise transportée par bateau produit beaucoup moins de CO2 que par route ou que par voie ferrée. Le transport par train produit 70 % de CO2 en plus. Celui par camion 230 % de CO2 en plus60.

Trilogiport public Nous sommes pour le développement du Trilogiport. Avant tout parce qu’il est potentiellement créateur d’emploi et ensuite parce que c’est une solution intelligente pour désengorger les routes des camions et pour diminuer la pollution. Nous sommes aussi favorables à ce qu’une connexion par rail se fasse entre la zone logistique de l’aéroport et celle du Trilogiport, de façon à pouvoir renforcer la zone aéroportuaire et donc renforcer les emplois y existants. Mais nous défendons l’option que ce Trilogiport se développe dans un cadre public, pour trois raisons. Premièrement, il n’y a aucune raison que les bénéfices éventuels soient empochés par le privé. Deuxièmement, il n’y a aucune raison que le public garantisse le non-remboursement des obligations lancées par le privé. Si le public doit garantir le remboursement d’investissements, autant que ce soit des investissements effectués par le public. Enfin, on ne pourra même pas invoquer l’interdiction des investissements publics par l’Europe, car ce type de montage n’est pas interdit par la Commission européenne. Celle-ci fixe seulement une règle au niveau du plafonnement des investissements européens par les fonds FEDER (20 %) et permet de se financer par obligations. Le reste est à l’appréciation des pouvoirs publics. Enfin, les emplois liés à la logistique font partie des emplois les plus soumis aux règles du marché. Le spectre d’une baisse de la croissance et d’une baisse du fret pèse en permanence 59 http://www.liege.port-autonome.be/fr/pages/liege-port-autonome-terrains-disponibles.aspx 60 The Environmental Footprint of Surface Freight Transportation, Lawson Economics Research Inc., 2007 3 2   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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sur cette catégorie. Dans ce sens, le caractère public de l’employeur qui sera moins soumis aux règles du retour sur investissement garantira plus fortement la certitude de l’emploi. Enfin, ce Trilogiport public ne peut se faire que dans un cadre plus global. On peut dire que la Région wallonne (et que la Commission européenne) planifie la création de zones de logistiques sur son territoire. Logique vu le caractère international d’une économie qui a depuis longtemps perdu son caractère régional et même national. Dans ce cadre, nous sommes favorables à ce que le Trilogiport public puisse exister et être géré dans un ensemble d’autres pôles logistiques gérés par les pouvoirs publics et avec un contrôle démocratique des travailleurs et des organisations syndicales de ce secteur sur la gestion et le fonctionnement de ces pôles.

Pour conclure Quelles conclusions peut-on tirer de cette étude qui a essayé de faire le bilan de la reconversion et de dresser les grandes lignes de la place future de la sidérurgie et du Trilogiport dans la région liégeoise ? Avant d’aborder ces conclusions une par une, il convient de rappeler que la crise économique que nous connaissons s’approfondit de jour en jour. La stratégie de Mittal qui a amené à l’annonce de la fermeture de la phase liquide prenait en compte il y a encore quelques mois une croissance de la production d’acier en Europe. Mais les derniers chiffres sont beaucoup moins optimistes. Et une accélération des fermetures de sites en Europe est une option qu’il ne faut pas exclure. De plus, nous ne pouvons pas aborder les conclusions sans relever que la logique industrielle qui prévaut, est basée sur la capacité d’achat mais pas sur les besoins réels. Dans le sec-teur de l’acier comme dans les autres, on nous parle d’une demande en hausse ou en baisse. Mais cette demande n’est pas celle liée aux be-soins réels des habitants de la planète. C’est une demande en fonction de leurs capacités d’achat. Les besoins en acier sont énormes partout dans le monde. Et donc en soi, réduire ou supprimer des capacités de production est déjà une absurdité humaine. Ces considérations étant faites, revenons-en à nos conclusions. Premièrement, le taux de chômage important à Liège est à mettre en perspective avec la recherche de profit à court terme qui préfère du charbon ou de l’acier produit par des travailleurs payés avec des salaires moins élevés. La sidérurgie n’est pas obsolète. On n’a jamais ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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produit autant d’acier qu’aujourd’hui. C’est la logique qui sous-tend la production qui a détruit 60 000 emplois en quarante ans à Liège et c’est cette même logique qui met en danger la sidérurgie dans le bassin. Cette logique du capitalisme empêche de voir sereinement le développement de l’économie et du bien-être dans la région. Un changement s’impose. Le PTB, comme parti des travailleurs, veut y contribuer. Deuxièmement, la reconversion, à la mode depuis les années 60, ne compense pas ces pertes d’emplois. On a bien la création d’emplois dans l’industrie et un glissement des emplois industriels restants vers les services, mais cela ne compense pas la perte globale d’emplois industriels qui s’élève à 40 000 équivalents temps plein. Troisièmement, une reconversion sans un maintien de la sidérurgie serait une ineptie. La sidérurgie constitue la colonne vertébrale de l’économie liégeoise. Sans revenir aux détails techniques abordés plus haut, 50 % de la valeur ajoutée, du tonnage et des emplois directs du port sont liés directement à la métallurgie et à la sidérurgie. Il est donc impensable de parler de reconversion sans parler de maintien de la sidérurgie. Quatrièmement, ce constat n’est malheureusement pas partagé par l’establishment politique liégeois, ni même par les décideurs au niveau de la Région wallonne. En témoigne l’orientation officielle prise par le pôle logistique du Plan Marshall de la Région wallonne qui défend que le développement du Trilogiport va devoir se faire au détriment de la sidérurgie (et de Chertal notamment). Certains hommes politiques ne sont pas aussi clairs, mais leurs larmes de crocodile qui ont fait suite à l’annonce de la fermeture de la phase liquide font progressivement place au discours mille fois entendu sur « la sidérurgie obsolète » et sur la nécessité d’une « reconversion ». Cinquièmement, le maintien d’une sidérurgie intégrée est non seulement une nécessité pour le tissu social et économique liégeois, mais c’est aussi une option économiquement et techniquement crédible. Cette crédibilité serait d’autant plus forte que cette sidérurgie serait publique, à savoir gérée par les pouvoirs publics. Non pas pour la revendre au privé par la suite, mais pour la gérer sur le très long terme. Cela aurait avant tout l’avantage de consolider les fondations en matière d’emploi beaucoup plus qu’une sidérurgie privée soumise aux diktats des actionnaires et à leur demande de rendement. Sixièmement, nous avons analysé en profondeur le projet du Trilogiport. Deux mille emplois pourraient voir le jour dans un secteur fortement soumis aux aléas d’un marché (encore plus que la sidérurgie) dont les prévisions sont revues constamment à la baisse. Nous sommes 3 4   |   É T U D E S M A RX I S T E S – SUPPLÉM ENT AU N° 96

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sceptiques quant à ce chiffre et le coût pourrait être beaucoup plus élevé que prévu en raison des conditions imposées par la Commission européenne. Une fois de plus, un montage financier permet au privé d’empocher les éventuels bénéfices et au public d’éponger les éventuelles dettes contractées par le privé. De plus, le Trilogiport spécule sur l’avenir de Chertal et nous refusons de souscrire à ce genre de logique qui a fait la perte de l’économie liégeoise depuis 40 ans : celle qui crée un demi-emploi pour un emploi perdu. Par contre, nous proposons une gestion plus rationnelle des espaces libres du Port autonome de Liège et nous sommes favorables à la construction d’un Trilogiport géré comme une entreprise publique. Enfin, la mise en pratique de ces choix ne sera pas le fait de l’establishment politique et des décideurs économiques qui sont derrière. La logique des options que nous présentons ici défend les travailleurs contre les intérêts des actionnaires. La mise en œuvre de cette sidérurgie publique couplée au développement d’un secteur logistique public lui aussi sera le fruit d’une lutte. Et dans cette lutte, les travailleurs de la région, comme ceux de tout le pays, trouveront toujours le PTB pour les soutenir dans leur combat pour une vie digne. Ce combat, nous le menons dans la perspective de construire une société où les grands secteurs de l’économie ne sont plus sous le contrôle de quelques actionnaires, mais bien sous le contrôle des travailleurs. Cette société qui ne serait plus basée sur la recherche de profit d e q uelques-uns, m ais b ien s ur l a r echerche d e b ien-être p our l a collectivité est non seulement possible, mais nécessaire. C’est le seul moyen pour mettre nos emplois et notre avenir à l’abri de la logique du marché et des groupes privés qui n’ont comme seule logique que la recherche de profit à court terme. Seule cette société pourra garantir la survie et le développement de la sidérurgie en région liégeoise de même que le maintien d’une industrie logistique. En attendant, rendre ces industries publiques est une première étape, un premier pas, une consolidation et un premier rempart contre cette logique du profit à tout prix. Mais la crise économique qui frappe à nouveau et encore plus fort à notre porte, nous impose de nous poser ce qui va vite devenir non pas une question, mais la question : quelle société voulons-nous, le capitalisme ou le socialisme ?

Damien Robert (dameusrobert@hotmail.com) est membre de la direction provinciale du PTB à Liège et responsable sidérurgie pour le PTB. ÉTUDES M ARXI STES – SUPPL ÉMEN T AU N ° 96

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Le 12 octobre 2011, la direction d’Arcelor Mittal annonce la fermeture de la phase liquide du bassin sidérurgique liégeois. Par cette annonce, c’est l’ensemble du bassin et ses dix mille emplois qui sont menacés. Au fil des jours, après avoir manifesté leur tristesse, les hommes et femmes politiques de la région rentrent dans le rang et déclarent leur impuissance face à la toute-puissance du marché. Quelques jours plus tard, un nouveau pas est franchi. Ces mêmes politiciens oublient leurs larmes et parlent de l’après Cockerill et de la réorientation de l’économie liégeoise par la reconversion. Y a-t-il un futur pour la sidérurgie intégrée à Liège ? « Oui », répond Damien Robert, responsable du dossier « sidérurgie » pour le Parti du Travail de Belgique (PTB). Il fait une analyse qui plaira certainement à ceux qui, forts d’une expérience collective de cinquante années de reconversion, savent bien que le meilleur emploi créé est celui qu’on ne perd pas. Elle plaira certainement moins à ceux qui veulent nous vendre des rêves. Elle aura, nous l’espérons, au minimum le mérite d’alimenter le débat sur le futur de la sidérurgie et de l’ensemble de l’économie en région liégeoise.

Présentation de l’auteur Damien Robert (dameusrobert@hotmail.com) est professeur d’histoire dans une école secondaire de Seraing. Il est membre de la direction provinciale du PTB à Liège. Il y est responsable du dossier « sidérurgie ».

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