Monde arabe : ces révolutions qui réveillent le monde

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Numér spéci a o 2 e u r o sl

Expéditeur & éditeur responsable: M.R. Eligius, bd M. Lemonnier 171, 1000 Bruxelles ■ 2 euros ■ 41iéme année ■ n° 08 [1823) ■ Supplément à Solidaire du 24 février 2011

Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique | PTB

Monde arabe

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Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

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| EditO |

Des révolutions qui réveillent le monde « Si les Égyptiens ont droit à la démocratie, pourquoi pas décidées qui, tous, se sont organisés. Et qui ont, souvent le Wisconsin ? », disent des pancartes brandies parmi pendant des années, semé les germes de ce qui est la foule de 50 000 manifestants de cet État américain, devenu un puissant mouvement populaire. en ce mois de février. Le Wisconsin est le théâtre d’une Nous ne vivons que le début de ce bouleversement. révolte populaire contre des coupes budgétaires. « C’est L’onde de choc continue à se propager, malgré une comme si le Caire s’était déplacé à Madison (la capitale de répression féroce : en Lybie, à Bahreïn, au Yémen ou en l’État, NdlR) », a ajouté un élu républicain au Congrès de Jordanie. Washington. Et oui, le vent de résistance des révolutions Et en Tunisie comme en Égypte, si les dictateurs sont dans le monde arabe a même atteint les États-Unis. partis, la structure de la dictature ne l’est pas encore. Des dictateurs détestés en Tunisie et en Égypte ont Les partisans de l’ancien régime, les grandes puissances été soutenus à bout de bras par les pays tentent de voler les acquis des révolutions. occidentaux durant des décennies. Ils ont L’onde de choc de L’avenir est encore semé d’embûches. Mais ce bouleversement été aujourd’hui chassés. il y a surtout beaucoup de développements Du Maroc à l’Irak, les peuples du monde continue à se positifs possibles. Avec leurs nouveaux droits arabe se sont débarrassés de la peur. propager, malgré arrachés, les gens s’organisent et luttent. En Des choses jugées impensables, il y a Tunisie, là d’où tout est parti, la deuxième une répression quelques mois, deviennent aujourd’hui étape de la révolution commence : pour réalité. « Plus rien ne sera comme avant », féroce : en Lybie, à chasser un gouvernement trop lié à l’ancien a déclaré amèrement la secrétaire d’État Bahreïn, au Yémen régime, pour une nouvelle Constitution et américaine, Hillary Clinton. un tout nouvel État réellement populaire, ou en Jordanie. Ces révolutions réveillent le monde : démocratique et indépendant. Tout cela les peuples peuvent prendre leur sort en ne peut se réaliser en un jour. Ce processus main. Et, face à la misère et l’oppression, ils ne doivent pas connaîtra encore beaucoup de phases dans les prochains attendre en vain des changements venus d’en haut. mois et années. Cette année 2011 commence comme une année Aujourd’hui, les rêves de libération du monde arabe d’optimisme et de lutte. C’est ce qui nous a motivé à faire peuvent devenir réalités. Nous pouvons les aider : par un numéro spécial, dédié à ces révolutions si proches de l’information, par la solidarité, par l’action. Car leurs rêves chez nous. sont les nôtres. Nous pouvons aussi contraindre nos Oui, la lutte paie. Dans le monde arabe, on voit la gouvernants à ne plus entraver le chemin des peuples « génération Facebook » à l’œuvre, les militants de la du Sud vers la démocratie, la justice sociale et l’indépenpremière heure, les syndicalistes chevronnés, les femmes dance.

En octobre dernier, des Égyptiens manifestaient en soutien au peuple palestinien. Aujourd’hui, les rêves de libération du monde arabe peuvent devenir réalités. (Photo Nasser Nouri)

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< David Pestieau - Rédacteur en chef

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Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

! e b a r a s p m e t n i r p e l z e n e t u o S

Observations depuis une cafeteria tunisienne à Kasserine

u En février, Peter Mertens, le président du PTB, s’est rendu en Tunisie avec une délégation du parti et a longuement discuté avec de jeunes révolutionnaires dans la région où tout a commencé. « Un cappuccin », dit Rafik en commandant un cappuccino tunisien dans cette cafeteria typique. Nous sommes à Kasserine, une ville oubliée à l’intérieur du pays.

s n’avon « Nous ur ! » En e p l u s p c om m e e T u n i s i t e , v oi l à p en É g y u r d u e t o le m s us proces onnaire. ti révolu

Peter Mertens et Rafik Rassaâ (à droite) en conversation avec quelques jeunes révolutionnaires durant leur récent séjour à Kasserine, en Tunisie. (Photo Solidaire)

C’est dans cette région que la révolution a commencé. Washington et, politiquement, ils étaient accueillis au sein L’armée est partout, mais on ne voit pas un agent de police. de l’« internationale social-démocrate » de Ségolène Royal, Ils n’osent plus se montrer en rue. Elio Di Rupo et Caroline Gennez. Mais, maintenant que la Hakim a 16 ans. Ses amis, Rachid, Mokhtar et Adel lui population a pris son sort en mains, les mégaphones de ôtent son pull et montrent la blessure par balle qu’il a droite restent muets. dans le dos. Il a survécu de justesse à la Le printemps arabe a fait s’effondrer e b Le printemps ara balle d’un sniper de la police politique. 42 comme autant de châteaux de cartes toutes r autres jeunes du quartier ont eu moins de les âneries sur « le choc des cultures » et les a fait s’effondre e d t n ta chance. Les snipers ont tiré depuis les toits « civilisations opposées ». Des centaines u a e comm s e rt entourant la place du 7 novembre. Leur de milliers de jeunes, de syndicalistes, ca e d x château crime ? Ils participaient à des manifestations de femmes se dressent pour la liberté s e ri e toutes les ân de solidarité avec Mohamed Bouazizi, le d’organisation, les droits démocratiques s sur « le choc de jeune maraîcher qui, le 17 décembre, s’est et une véritable indépendance de leur immolé par le feu à Sidi Bouzid, après une pays. C’est une dynamique démocratique cultures » et les s n o ti énième brimade du régime. Ici, à Kasserine, à encore jamais vue, qui déborde chez nos sa li vi « ci l’instar de Mohamed Bouazizi, nombreux sont voisins méditerranéens. On le voit dans ». s e opposé les jeunes avec un diplôme en poche. Mais il les rues de Kasserine, on le voit dans les ne vaut rien car il n’y a pas de travail et tous les comités de rue de Sousse, on le voit dans secteurs de la société sont confisqués par le les locaux syndicaux de Tunis. régime de la famille Ben Ali et leurs amis de Paris et Rome. « Oui mais, tout ça, ça va se terminer comment ? », deIls sont donc descendus dans la rue. Pour un emploi. Et ils mandent les pessimistes. Le pessimisme et le cynisme sont n’ont pas reculé quand le régime a riposté brutalement, les premiers ennemis du changement. « Nous n’avons plus peur ! » En Tunisie comme en Égypte, voilà le moteur du soutenu en cela par la France. Au contraire. En plus des revendications sociales, il y a également des processus révolutionnaire. « Le principal soutien utilisable revendications politiques : « Ben Ali, dégage ! », la liberté aujourd’hui n’est pas financier. Non, nous voulons que le ainsi que la liberté de s’organiser. En moins d’un mois, les plus grand nombre possible de gens viennent ici. Qu’ils Hakim, les Rachid et les Adel ont reconquis leur pays et voient ce qui se passe ici. Et qu’ils propagent la révolution », chassé Ben Ali. « Une fois la population bien réveillée, on déclare notre hôte, Hamma Hammami. L’homme est le n’a plus pu l’arrêter », rigole Selma, le regard rayonnant. porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie « Nous avons ouvert la porte et, grâce à nous, un vent (PCOT). « L’intègre », comme on le surnomme. Parce qu’il nouveau souffle aujourd’hui aussi sur la place Tahrir, au n’est pas corrompu et parce que, malgré ses années de Caire. » Selma nous entraîne vers le nouvel écriteau de la séjour dans les cachots de Ben Ali, il n’a jamais place où tout a commencé. Griffonné à la hâte, on ne peut fléchi dans sa volonté de Une dynamique pas ne pas le voir, le nouveau nom : « Place des Martyrs ». lutte. Au début, ils sont descendus dans la rue pour du pain. « Comment ça va évoluer ? démocratique Bien vite, ils ont voulu toute la boulangerie aussi… Cela dépend de ceux qui font encore jamais Pendant des années, des éditorialistes de droite ont répété l’histoire et non de ceux qui font vue déborde, que les peuples arabes n’avaient qu’à se débarrasser de des commentaires depuis leur s chez nos voisin n leurs « propres dictateurs ». Mais « ses » dictateurs recevaient fauteuil », répond Hammami. s. O n e é n méditerra du soutien Nous ne sommes pas les specrues s financier tateurs, nous sommes les acteurs le voit dans le n le de Paris et du changement. Le soutien au de Kasserine, o x cau de Rome, printemps arabe est une cause voit dans les lo nis. du sou- qui nous concerne tous. Parce que Tu syndicaux de tien mili- les forces progressistes ont besoin taire de de notre soutien. Fraternisons avec les délégations syndicales, avec les comités de femmes, avec les organisations des droits de l’homme, avec les partis communistes afin d’approfondir le tout nouveau processus des droits démocratiques et de l’indépendance nationale. Mais aussi, et surtout, parce que nous pouvons tirer des leçons de ce qu’ils font aujourd’hui. Afin de contrer nos propres préjugés à l’égard du monde arabe. Et nous pouvons également apprendre comment une population se met en mouvement et sentir quelle force il y a en elle quand elle ouvre la porte.

< Peter Mertens


| Tunisie |

Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

Révolution en Tunisie

Quelques semaines pour mettre fin à 23 ans de pouvoir u En moins d’un mois, le peuple tunisien a mis fin à près d’un quart de siècle de dictature de Ben Ali. Si le chemin de la démocratie est encore long, les Tunisiens continuent à se battre pour virer tous les « petits Ben Ali ».. L'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi (le 17 décembre 2010, il mourra le 4 janvier 2011) a été l'élément déclencheur qui a mis en exergue les causes de la révolution. Ce jeune homme de 26 ans, comme des milliers d'autres Tunisiens, était un « chômeur diplômé » qui subvenait à ses besoins par une activité informelle. Également originaire de la ville de Sidi Bouzid, Maher nous raconte que le suicide est un fait courant dans sa région, particulièrement chez les jeunes. Dans cette région défavorisée, la situation

économique est des plus dramatiques pour la population : « L'intérieur du pays est marginalisé: même avec un diplôme, nous n'avons aucune perspective d'avenir, vu qu'aucun secteur n'est développé. » Le 19 décembre, le mouvement social contre le chômage et la vie chère débute à Sidi Bouzid. Condamnée à l'inactivité, cette jeunesse s'est soulevée pour exiger des conditions de vie dignes. Leur mot d'ordre : « Du pain et du travail : oui, Ben Ali : non ! ». C'est dans ces régions populaires les moins favorisées (Sidi Bouzid, Kasserine, Gafsa, etc.) que les premiers soulèvements ont éclaté avant de s'étendre dans le reste du pays. Le 10 janvier, le mouvement touche Tunis. Les écoles et les universités ferment, les étudiants rejoignent massivement le mouvement. Ils sont très rapidement relayés par les avocats et le syndicat (UGTT). La grève générale organisée

par celui-ci le 14 janvier a joué un rôle crucial dans le développement des événements.

« RCD dégage » Le caractère en partie spontané de ce mouvement a pu contribuer à son succès dans le sens où il n'y avait pas d'intermédiaire entre la population et le régime de Ben Ali. C'est-à-dire aucun moyen pour manipuler ou calmer le mouvement. Si ce n'est par la violence. Une fois le dictateur chassé (le 14 janvier), le mot d'ordre « Ben Ali dégage » a rapidement été remplacé par « RCD Game Over, RCD dégage » (le Rassemblement constitutionnel démocratique est le parti de Ben Ali et de l’actuel dirigeant, Ghannouchi). Le 17 janvier, Ghannouchi, ex-premier ministre de Ben Ali, annonce un « gouvernement d’union nationale

A qui profite le « miracle économique » tunisien ?

u Alors que la Tunisie est présentée comme un « miracle économique », sa population subit un taux de chômage important (le chiffre officiel est de 14 %, entre 30 et 40 % chez les jeunes). Deux caractéristiques économiques expliquent cette situation. Premièrement, l’économie tunisienne est dite « extravertie », c’est à dire essentiellement tournée vers l’exportation. Ce qui signifie qu’elle est dépendante de la demande extérieure. Et comme la demande est faible… Les industries vouées à l’exportation sont principalement celles du textile, des mines et des produits manufacturiers. Ces industries nécessitent une main d’œuvre peu qualifiée. Et étant exposées à la concurrence internationale, elles cherchent toujours à diminuer les coûts de production. Pour cela, elles font pression sur les salaires. Cette pratique est fortement facilitée dans les industries étrangères où le droit de se syndicaliser est souvent interdit. Mais après la chute de Ben Ali, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, ex-unique syndicat) a vu son nombre d’adhérents monter en flèche.

Deuxièmement, cette spécialisation économique entraîne une concentration par secteurs mais aussi par régions (zones côtières). Par conséquent, son développement est inégalement réparti et ce, aux dépens de l’intérieur du pays. Ainsi, certaines régions sont sousdéveloppées et le chômage y est endémique. Seul un changement structurel de l’économie pourra créer des emplois. Aussi pour la main d’œuvre qualifiée qui représente environ 50 %: les chômeurs diplômés. Dans cette catégorie, plus de 50 % ont moins de 30 ans. En fin de compte, le « miracle économique » se fait aux dépends de la population et plus particulièrement de ses jeunes diplômés. Alors que travailleurs et chômeurs subissent diminutions de salaires, manque d’emplois et manque d’investissement dans les secteurs nationaux, une petite élite bénéficie de cette économie d’exportations. C’est ce qu’on appelle la bourgeoisie « compradore ». En Tunisie, elle se limite à un cercle réduit proche du pouvoir : le « clan Ben Ali » (et la famille de sa femme, le « clan Trabelsi »). C’est en grande partie pour cela aussi que les jeunes Tunisiens se sont soulevés. Pour exiger des conditions de vie et de travail plus digne. (MEB)

» où trois ministres sont issus de l’opposition. Mais les postes clés sont toujours entre les mains du RCD. La population continue à se mobiliser, toujours pour la création d'emplois mais aussi contre le gouvernement Ghannouchi qui n'est vu que comme une continuité de l'ancien régime. Sous la pression populaire, il a été obligé de dissoudre le premier gouvernement de transition. Le 27 janvier, il forme une nouvelle équipe de « transition ». Mais en quoi ce deuxième gouvernement est-il différent du premier ? Est-il plus légitime ? Maher nous dit ne pas être dupe : « Il ne s'agit que d'un remaniement de surface : ce sont toujours les membres du RCD qui sont au pouvoir mais sans le RCD. On a viré Ben Ali, maintenant on doit virer tous les petits Ben Ali. » Ceux-ci s'opposent coûte que coûte à la révolution qui signifie, pour eux, la fin de leurs privilèges.

Armes au phosphore Cette opposition, ils la mèneront à n'importe quel prix : on le voit dans la manière dont le gouvernement Ghannouchi a dissous l'occupation de la place de la Kasbah (où se trouvent les bureaux du Premier ministre). Les rassemblements qui y ont lieu exigeaient le départ de l’actuel

Manifestation d’étudiants devant le Théâtre Municipal, place Bourguiba à Tunis, pour exiger le départ des ministres de Ben Ali. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

dirigeant qui a été pendant 11 ans le Premier ministre de Ben Ali. Dans les médias, on peut lire que Ghannouchi a cherché la conciliation avec les manifestants, est-ce vrai ? « Ce qui est vrai, c'est qu'ils ont essayé d'acheter les gens, d’après Maher. Ils ont proposé d'offrir à chaque manifestant une importante somme d’argent pour qu'on rentre chez nous ! Mais nous ne nous sommes pas laisséspiéger. Du coup, le gouvernement a changé de méthode en employant la répression. Ils ont utilisé des armes au phosphore contre nous. Ces armes sont illégales, elles causent la paralysie des membres et endommagent les voies respiratoires. » A Kasserine, Issi nous relate la répression dont il a été témoin après la chute de Ben Ali : « Ils avaient posté des tireurs d'élite sur les toits qui visaient systématiquement la tête. Dans notre quartier, la plus jeune victime était un enfant de 6 mois, tué en même temps que sa mère alors qu'elle était au hammam. » Les Tunisiens ne sont pas encore quitte de l'ancien régime mais ils sont déterminés à en venir à bout. « Cette révolution, c'est notre dignité, on ne se la laissera pas voler ! »

< Mathilde El Bakri*

*MembredeladélégationduPTBquiestpartieenTunisieau début du mois de février

Manifestation devant le Parlement contre le vote d’un nouvel article de loi attribuant à Ghannouchi tous les pouvoirs présidentiels. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)


| Tunisie |

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Alger

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TUNISIE

Rabat

Îles Madère

(PORTUGAL)

MAROC

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Tripoli

Îles Canaries (ESPAGNE)

Le Caire

ALGÉRIE

JAMAHIRIYA ARABE LIBYENNE

El Ayoun

Sahara occidental

ÉGYPTE Me

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BURKINA FASO

Un autre exemple, celui de Ahmed, militant dans l’UJET (Union des jeunes étudiants tunisiens) : « En 2006, lors d’une manifestation pour la baisse des prix de la cantine de l’université, la police a arrêté une vingtaine de jeunes. L’un d’eux est toujours en prison et nous n’avons aucune nouvelle de lui depuis deux ans, nous ne savons même pas s’il est encore en vie ou pas. » Ce jeune n’est pas un cas isolé. Nombre de familles sont toujours sans nouvelles de leurs

Cabinda

Île Ascension

Lac Albert

RÉPUBLIQUE RWANDA DÉMOCRATIQUE Kigali DU Bujumbura

Kinshasa

CONGO

Kampala

Nairobi

E LI

OCÉAN INDIEN Île Pemba

Dodoma

Îles Amirantes

Île Zanzibar

TANZANIE

Luanda

Île Providence

Îles Aldabra Lac Nyassa

Moroni

COMORES

ANGOLA Lilongwe

ZAMBIE

MALAWI

Lusaka

M

Lac Harare Kariba

MO

NAMIBIE

BOTSWANA

Windhoek

ZA

ZIMBABWE

Gaborone Pretoria Mbabane Bloemfontein

AFRIQUE DU SUD

B

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Îles Mayotte (sous admin. française)

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(R.-U.)

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Île Ste. Hélène

Victoria

SEYCHELLES

RÉPUBLIQUE-UNIE DE

A T L A N T I Q U E

AFRIQUE

Mogadiscio

KENYA

Lac Victoria

BURUNDI

Lac Tanganyiaka

(ANGOLA)

(R.-U.)

Lac Turkana

OUGANDA

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GABON

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Libreville

(GUINÉE-ÉQUATORIALE)

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(YÉMEN)

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Île Principe Sao Tomé

Île Sao Tomé Île Annobón

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Addis-Abeba

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

Porto Novo

SAO TOMÉ-ET-PRINCIPE

Antananarivo

Île Farquhar Îles Agalega (MAURICE)

Tromelin

(FRANCE)

Cargados Carajos

MAURICE Port Louis la Réunion (FRANCE)

Maputo

SWAZILAND

Maseru

LESOTHO

Le Cap

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proches. Certains d’entre eux ont été condamnés pour violation du droit commun : une mère témoigne que son fils a été condamné à huit ans de prison pour avoir uriné dans un lieu public. La disproportion des peines par rapport aux infractions commises sème le doute sur les réelles causes de l’emprisonnement. Ainsi, les détenus pour violation du droit commun n’ont pas pu bénéficier de l’amnistie accordée aux détenus politiques. Pour maintenir un tel régime, Ben Ali s’appuyait sur un appareil répressif gigantesque : à travers, entre autres, la police politique et ses milices. Piliers de la dictature, leur dissolution est une des revendications du Front du 14 janvier (voir page 8) alors que Ghannouchi, ex-premier ministre de Ben Ali qui dirige le pays depuis le départ de ce dernier, refuse de les dissoudre. Mais la roue tourne et les Tunisiens ont irrémédiablement ébranlé ce régime. Un jeune, Issi, nous assure : « Aujourd’hui, ils ont peur car nous n’avons plus peur. »

< Mathilde El Bakri

Abidjan

Asmara

ÉTHIOPIE

Abuja

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LIBÉRIA

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Yamoussoukro Accra

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ERYTHRÉE

Khartoum

NIGÉRIA

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SIERRA LEONE

Un système toujours en place

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CÔTED'IVOIRE

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Conakry Freetown

SOUDAN

N'Djamena

Ouagadougou

GUINÉE

A AN H

Bien que 25 % des sièges du parlement soient réservés à l’opposition par la constitution, celle-ci n’est en fait qu’une opposition fantoche servant à légitimer la présidence de Ben Ali. Dans cette fausse opposition, on retrouvait trois partis. La réelle opposition, elle, était entièrement muselée. Beaucoup de responsables politiques actifs dans l’opposition ont fait des années de prison et y ont subi la torture physique et morale. Toute réelle opposition politique ou idéologique était interdite. C’était le cas du PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie) qui s’est organisé dans la clandestinité durant plus de vingt ans. La plupart de ses responsables ont fait de la prison, parfois pour des motifs tels qu’avoir

TCHAD Lac Tchad

Niamey

Bamako

Bissau

GUINÉE-BISSAU

participé à une manifestation… Même en dehors des organisations clandestines, le moindre avis divergent se payait cher. Samia travaille à la Radio tunisienne, elle a vu nombre de ses collègues se faire muter dans des régions reculées du pays pour avoir osé émettre une critique envers Ben Ali : « Le contrôle et la censure étaient présents partout, même dans un taxi, vous ne pouviez pas parler de politique. » Beaucoup de taximen sont en fait des agents de la police politique qui surveillent les habitants pendant leurs courses.

NIGER

MALI

SÉNÉGAL

Banjul

« Le contrôle et la censure étaient présents partout » u Aujourd’hui, on ne cesse de féliciter les peuples tunisien et égyptien. Mais il n’y a pas si longtemps, on entendait encore dire à propos des peuple arabes qu’ils étaient « peu combatifs et désunis ». Que signifie vivre sous une dictature comme celle de Ben Ali ?

Dakar

GAMBIE

BÉNIN TOGO

Régime politique

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Praia

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MAURITANIE Nouakchott

CAP-VERT

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Map No. 4045 (F) Rev. 5 April 2009

1000 km

UNITED NATIONS

Les frontières et les noms indiqués sur cette carte n'impliquent pas reconnaissance ou acceptation officielle par l'Organisation des Nations Unies.

Department of Peacekeeping Operations Cartographic Section

Cartes Monde diplomatique et UN

Tunisie

Quelques chiffres

Superficie : 165.150 km2 (5,5 fois la Belgique) Nombre d’habitants : 10 589 025 Espérance de vie : 76 ans PIB : 43,86 milliards de dollars (Belgique : 461 milliards) Part des moins de 25 ans dans la population : 42,1 % Population urbaine : 67 % Religion : 98 % de musulmans, 1 % de chrétiens, 1 % de juifs et autres

Qui est qui ? Mohamed Bouazizi Jeune chômeur de 26 ans qui s’est immolé le 17 décembre 2010 devant le gouvernorat à Sidi Bouzid, afin de protester contre la confiscation de sa marchandise. Il décède deux semaines plus tard. Il était devenu vendeur ambulant, faute de mieux. Plus de 5 000 personnes assistent à son enterrement. Sa mort radicalise la révolte populaire et il devient un symbole de la révolution tunisienne. Zine Ben Ali Militaire de formation, il prend le pouvoir en 1987, profitant de la maladie de son prédécesseur, Bourguiba. Il restera au pouvoir jusqu’au 14 janvier 2010. Marié à Leïla Trabelsi, il s’exile en Arabie Saoudite. Mohamed Ghannouchi Après la prise de pouvoir de Ben Ali, il devient ministre du Plan. Il passe ensuite dans plusieurs ministères avant d’être nommé Premier ministre en 1999. Après le départ de Ben Ali, il prend les rênes du pouvoir. Front du 14 janvier Tirant son nom de la date de départ de Ben Ali, ce front « populaire, démocratique et progressiste » regroupe dix organisations politiques, dont le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et le Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD).(Voir page 8)

Des mères réclamant des nouvelles de leurs fils emprisonnés depuis des années. Les familles des prisonniers ignorent bien souvent où se trouvent les leurs. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

Hamma Hammami Porte-parole du PCOT, plusieurs fois emprisonné. Marié à Radhia Nasraoui, avocate et militante des droits de l’homme. Entre dans la clandestinité en 1998 jusque 2010, lorsque son parti est reconnu comme « légal ». (Voir page 14-15)


Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

| EGYPTE |

La situation en Egypte était devenue intenable : forte répression, élections truquées, corruption, pauvreté croissante. Les Tunisiens ont donné l’exemple et ont montré que le changement peut, et doit, venir de la rue. (Photo 3arabawy)

Le soulèvement du peuple égyptien n’est pas tombé du ciel u Le 25 janvier dernier, à peine onze jours après le départ du dictateur tunisien Ben Ali, la révolution égyptienne débute : un mouvement de masse qui, à son tour et en deux semaines, réussit à chasser le président Moubarak du pouvoir. « Je suis extrêmement fière du peuple égyptien. Après trente ans de dictature et de peur, ce n’était pas facile d’oser descendre dans la rue. Mais ça ne pouvait plus continuer comme ça », témoigne Eva Vergaelen. Journaliste, mariée à un Egyptien, elle se rend au Caire tous les deux mois avec ses enfants. Son mari a participé aux actions et

manifestations de la place Tahrir. « Ici, en Occident, poursuit-elle, on n’a rien vu venir. Mais le soulèvement du peuple égyptien n’est pas tombé du ciel. Depuis longtemps, les gens pensaient que cela ne pouvait plus durer. La corruption, la pauvreté croissante et le manque total de liberté ont rendu la vie extrêmement difficile. »

Le changement vient de la rue C’est en 2005 que sont apparus les germes de la révolte populaire. Cette année-là, « Kefaya », un mouvement pour le changement, s’est fait connaître à l’occasion du référendum constitutionnel et des élections présidentielles. Certes, ce mouvement

n’a jamais pu vraiment percer, mais il a prouvé l’existence d’une volonté de changement. Trois ans plus tard s’est déroulée une importante grève des travailleurs du textile dans la ville de El-Mahalla El-Kubra, donnant naissance au fameux « mouvement du 6 avril », qui allait jouer un rôle important dans la mobilisation pour l’actuelle révolution. A l’époque, grâce aux réseaux sociaux sur Internet, des jeunes avaient manifesté leur soutien aux grévistes, rendu compte des actions menées, montré la répression policière et organisé une assistance juridique. En novembre 2010 ont eu lieu les élections au parlement, élections totalement truquées. Avant cellesci, Moubarak avait d’ailleurs déclaré

ouvertement à la télévision qu’elles ne changeraient absolument rien. Le jour des élections, beaucoup d’Egyptiens ne furent même pas autorisés à entrer dans les bureaux de vote. « Il était donc très clair que les élections n’amèneraient jamais aucun changement, insiste Eva Vergaelen. Celui-ci devrait venir de la rue. Et les événements en Tunisie ont rapidement tout déclenché. »

Jour de colère La révolte a éclaté le 25 janvier. « Chaque année, à cette date, est organisée une sorte de fête pour la police, explique Eva Vergaelen. Mais, depuis des années, la police est haïe du peuple. Celle-ci était très corrompue et tout le monde savait

Trente ans d’état d’urgence u Après l’assassinat de son prédécesseur Sadate, en 1981, Moubarak a maintenu l’état d’urgence pendant trente ans, transformant ainsi l’Égypte en un État policier des plus durs. En Égypte, la coutume veut que toute opposition soit durement réprimée. En septembre 1981, le président de l’époque, Sadate, avait fait jeter 1 600 personnes en prison en un mois à peine. Le 6 octobre 1981, lors d’un défilé militaire, il était abattu par des fondamentalistes islamistes. Le vice-président Hosni Moubarak, officier de l’armée tout comme Nasser et Sadate, reprenait le pouvoir et décrétait l’état d’urgence. À ce jour, celui-ci n’a toujours pas été levé. Toute forme de critique et la moindre association d’opposants ont été interdites, sous Moubarak. La dictature règne avec une main de fer : en 2008, quatre rédacteurs en chef de journaux ont encore été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour avoir publié des articles considérés comme « insultants à l’adresse du chef d’État ».

Cinq personnes ensemble ? Suspect ! « En Égypte, on ne pouvait littéralement rien entreprendre sans carte du parti dirigeant, le NDP (Parti national démocratique, NdlR) », explique Eva Vergaelen. « En outre, depuis l’assassinat de Sadate, le pays vit sous une dictature militaire. La prétendue lutte contre le terrorisme a été une véritable obsession. Toute forme de critique à l’égard du régime équiva-

lait à de la sympathie pour le terrorisme et pouvait donc vous valoir la prison. Tout rassemblement de plus de cinq personnes était suspect. Il était également interdit de faire grève : toute tentative de se grouper en syndicats indépendants du régime était anéantie. Si, dans les syndicats, des leaders se mettaient en évidence – comme chez les journalistes ou les avocats – sans se ranger du côté du régime, ils étaient proprement destitués en remplacés par des figures “loyales” du NDP. »

La police collabore avec les gangs des rues La police et l’armée ont obtenu bien des moyens de Moubarak, afin d’asseoir son autorité. Et pas toujours de façon très douce. La police égyptienne est surtout connue pour ses interventions brutales. Récemment, WikiLeaks a publié un télégramme de l’ambassadeur des États-Unis, Scobey, daté du 15 janvier 2009. Scobey y explique que les informateurs de l’ambassade « estiment que, quotidiennement, dans les seuls bureaux de police du Caire, ont lieu des centaines de cas de torture ». Dès les années 1980, les districts de police locaux se sont même mis à œuvrer avec les gangs des rues, qu’ils engagent afin de terroriser la population du voisinage. Ensuite, il y a une sorte de police antiémeute, les Services centraux de sécurité (Amn al Markazi), un corps de 397 000 hommes qui fait partie de l’armée et est placé sous le commandement du bras droit de Moubarak, Souleiman. C’est cette police antiémeute qui, lors de la révolution de janvier, a assailli les manifestants avec une extrême violence et à coups de grenades lacrymogènes. (TB)

qu’elle maltraitait les gens et utilisait la torture. C’est la raison pour laquelle différents mouvements ont choisi cette date pour suivre l’exemple tunisien et lancer un mouvement de masse contre le régime. Le “jour de la police” a été rebaptisé le “jour de la colère”. » Internet a joué un rôle très important dans la mobilisation, en particulier avec la page Facebook « Nous sommes tous Khaled Saïd », du nom du jeune homme d’Alexandrie battu à mort en rue par la police. Le premier jour déjà, des dizaines de milliers de gens ont manifesté, non seulement au Caire, mais aussi dans d’autres villes comme Suez et Alexandrie. Malgré la forte répression policière, le nombre de manifestants n’a cessé d’augmenter les jours suivants. Des millions d’Egyptiens se sont révoltés contre un système corrompu, la répression brutale, la misère et le manque de perspectives d’avenir. « Moubarak devait partir, insiste Eva Vergaelen. Il fallait mettre fin à tout cela, libérer les prisonniers politiques et prendre en compte les exigences de la population comme l’emploi, des salaires décents, la liberté syndicale. » Le régime a tenté de calmer la population par une augmentation de 15 % des salaires, ce qui a provoqué l’effet contraire et déclenché une vague de grèves. « En effet, ces 15 % sont totalement insuffisants, précise Eva Vergaelen. Il faut savoir que, pour 80 % de la population, la situation est intenable. Au cours des cinq dernières années, les prix des produits de base ont doublé, et les salaires n’ont pas bougé. » D’autres concessions n’ayant pu apaiser les esprits, Moubarak et son gouvernement ont démissionné le 29 janvier. Le 5 février, Moubarak a renvoyé les dirigeants de son parti chez eux, y compris son propre fils et successeur désigné. Le lendemain, il nommait à la vice-présidence Omar Souleiman, le chef de la police secrète. Les manifestations ont cependant


| EGYPTE |

continué et lorsque le 8 février, 6 000 dockers du canal de Suez arrêtaient le travail, la révolte est passée à la vitesse supérieure. Le mouvement ne cèderait pas, cela est devenu clair. Finalement, Moubarak a dû quitter le pouvoir le11 février. Au moins 365 personnes ont perdu la vie au cours de ces 18 jours de « révolution égyptienne ».

Promesses, promesses Et maintenant ? « Le haut conseil militaire qui a remplacé Moubarak est donc un régime militaire. Ce n’est pas vraiment cette liberté-là que le peuple désire, affirme Eva Vergaelen. Bien sûr, les gens sont contents du départ de Moubarak, et les concessions et promesses faites par la direction de l’armée plaisent aux Egyptiens : la dissolution du parlement suite aux élections truquées, le changement de la constitution afin d’octroyer moins de pouvoir au président… Mais ce sont des promesses. La population exige la fin immédiate de l’état d’urgence et la libération de tous les prisonniers politiques. » Les militaires pressent les nombreux grévistes de reprendre le travail, mais les gens veulent profiter de leur liberté nouvelle pour obtenir un meilleur salaire et une amélioration des conditions de travail. Les travailleurs du textile de El-Mahalla El-Kubra, berceau de la révolte d’avril 2008, donnent l’exemple : ils sont 20 000 à être en grève. Et, à la place Tahrir, au Caire, des actions auront lieu chaque vendredi jusqu’à la disparition complète du régime.

< Tony Busselen

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Pauvreté grandissante et misère pour la population u Les instances internationales louent la politique économique égyptienne. Le pays attire beaucoup d’investisseurs étrangers. Mais pour l’Égyptien ordinaire, ce n’est pas synonyme de progrès. Il y a deux ans, la Banque mondiale classait l’Égypte parmi les pays qui appliquaient le mieux les réformes libérales de privatisation et de libéralisation du marché. La croissance moyenne de l’économie tournait autour des 7 %. L’Égypte était le pays d’Afrique qui attirait le plus d’investisseurs étrangers. Dans le monde arabe, seule l’Arabie saoudite s’en sortait mieux. Et pourtant, la population manifeste son mécontentement de plus en plus violemment. Pourquoi ? Les privatisations ont surtout fait disparaître l’emploi et diminuer les salaires davantage. Ensuite, une flambée des prix de la nourriture (ils ont doublé en quatre ans) est venue s’ajouter et s’est surtout fait ressentir après la crise économique de 2008. Pour des millions d’Égyptiens, cette situation est synonyme de lourde misère. 40,6 % de la population vit dans la pauvreté. Le taux de chômage officiel atteint les 9,7 %, ce qui représente 2,5 millions d’Égyptiens.

70 % des chômeurs possèdent un diplôme d’enseignement secondaire et 10 % d’entre eux en ont même un de l’enseignement supérieur.

Grandes plantations, grande pauvreté Ceux qui travaillent perçoivent un salaire trop bas. Le journal français La Tribune cite un vendeur de chaussures, Mohamed, qui gagne 125 euros par mois dans un beau centre commercial au Caire. Il a des difficultés à joindre les deux bouts. « Si je reçois mon salaire à la fin du mois, alors je ne sais pas comment je vais couvrir tous mes frais. Le loyer me coute déjà 45 euros. Ensuite, il faut ajouter l’électricité, la nourriture pour moi, ma femme et nos deux enfants… » Outre ces salaires excessivement bas, il y a ces hausses des prix constantes. « Le gouvernement doit diminuer les prix, cela ne peut plus continuer. » Les réformes libérales ont également causé une stimulation des grandes plantations, où les produits agricoles sont cultivés pour l’exportation. L’agriculture égyptienne figure parmi les plus productives au monde, mais le pays doit aujourd’hui importer la moitié de ses céréales. Et la majorité des personnes démunies (78 %) habite à la campagne. (TB)

Cartes ONU

Egypte

Quelques chiffres

• 997 739 km2 (32 fois la Belgique) • 80,25 millions d’habitants • Espérance de vie : 71,8 ans • Produit intérieur brut : 216 milliards de dollars (Belgique : 461 milliards). • 42 % de la population vit en ville • Religion : 90 % de musulmans, 10 % de chrétiens

Qui est qui ? Hosni Moubarak A gagné sa reconnaissance dans l’armée de l’air pendant la guerre du Kippour. Vice-président de Sadate, il lui a succédé après son assassinat en 1981. Il a transformé l’Égypte en un véritable État policier, et a imposé au pays une politique pro-américaine et pro-israélienne. Il a quitté le pouvoir le 11 février dernier à la suite des protestations de la population. Omar Souleiman Il a aussi fait carrière dans l’armée. Nommé à la tête du service de renseignements en 1993, il est connu pour son approche ferme de l’islam politique. Il a été désigné vice-président le 29 janvier 2011. Moubarak lui a laissé le pouvoir le 10 février mais lorsque, un jour plus tard, Moubarak s’est retiré et a laissé le pouvoir à un haut comité militaire, Souleiman a perdu son poste. Mohamed El Baradei Ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il a vécu pendant des années à Vienne mais est rentré en Égypte lorsque l’insurrection a éclaté dans le pays. S’est présenté comme leader de l’opposition, mais n’a à peine que quelques partisans.

Les réformes libérales en Égypte ont fait disparaître l’emploi et diminuer les salaires. Ensuite, une flambée des prix de la nourriture (ils ont doublé en quatre ans) est venue s’ajouter et s’est surtout fait ressentir après la crise économique de 2008. Aujourd’hui, 40,6 % de la population vit dans la pauvreté. (Photo Nasser Nouri)

Khaled Saïd A été assassiné en juin 2010 à Alexandrie, parce qu’il a filmé des agents de police revendant de la drogue et mis les images sur Internet. Une page Facebook a été appelée « Nous sommes tous des Khaled Saïd » en son honneur. Cette page a précipité la protestation.


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Le Syndicat tunisien UGTT | Des centaines de grèves chaque jour

« Le syndicat a joué un rôle essentiel » u L’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a joué un rôle important dans la révolution tunisienne. De nombreux syndicalistes ont pris part aux protestations, et les grèves organisées ont mis la pression, avec des revendications à la fois syndicales et politiques. Les manifestations de Sidi Bouzid, ville du centre-sud de la Tunisie, où l’immolation d’un jeune diplômé-chômeur-vendeur de fruits a déclenché les premières luttes le 17 décembre dernier, partaient des locaux de l’UGTT. Des syndicalistes et des militants de gauche encadraient les jeunes et aidaient à formuler des slogans. Souvent, des meetings de solidarité avec Sidi Bouzid débouchaient sur des manifestations. Elles demandaient d’arrêter la boucherie, d’enquêter sur les responsables des tueries, de retirer les forces de l’ordre dans les casernes. Sous la pression de la base de différentes régions, la Commission Administrative de l’UGTT (l’organe immédiatement en-dessous du Congrès national) a décrété des grèves tournantes le 12 janvier 2011. Le 13 janvier, 100 000 manifestants marchaient dans les rues de Sfax, la deuxième ville du pays. Le 14 janvier, des dizaines de milliers de travailleurs ont manifesté à Tunis. Ce soir-là, Ben Ali s’est enfui…

entreprises sont chaque jour en grève. D’abord, pour revendiquer des contrats à durée illimitée, car les temporaires étaient parfois devenu presque aussi nombreux que les contrats fixes. Et seuls ces derniers peuvent, selon la loi, s’affilier à l’UGTT. En quelques jours nous avons gagné plus de 11 000 nouveaux adhérents », témoigne Mohammed Mselmi. Entretemps, l’UGTT compte, pour tout Tunis, déjà 50 000 nouveaux membres. Ensuite, les travailleurs luttent pour des hausses de salaires. « Nous avons des entreprises qui ont dû accorder des hausses jusqu’à 30% ! », conclut Mohammed Mselmi.

Lutte syndicale et lutte politique

Samedi 5 février. Rassemblement devant le siège central de l’UGTT. Des syndicalistes exigent la démission immédiate du Bureau exécutif, dont les membres ont collaboré avec Ben Ali. (Photo Solidaire, Mathilde El Bakri)

11 000 nouveaux adhérents « L’UGTT n’était pas l’initiateur du soulèvement : c’étaient les jeunes chômeurs. Mais elle a néanmoins joué

un rôle essentiel », conclut Mohammed Mselmi, secrétaire général de l’UGTT pour le gouvernorat1 de Ben Arous, au sud de Tunis, qui abrite 60 % de l’industrie privée de la Tunisie Les travailleurs tunisiens voulaient

la liberté, entre autres pour obtenir justice. La crise économique les frappait durement, alors que les Ben Ali s’enrichissaient et que sa police les réprimait. « Rien que dans ce gouvernorat de Ben Arous, 30 à 40

« L’UGTT n’a jamais, au cours de son histoire, défendu uniquement les intérêts directs des travailleurs. Elle a toujours joué un rôle politique. Dès sa fondation en 1946, l’UGTT s’inscrit dans la lutte pour l’indépendance nationale, qu’elle combine avec les revendications pour l’amélioration de la vie des travailleurs. En 1952, la police française arrête Habib Bourguiba (qui deviendra président en 1957 et sera chassé du pouvoir par Ben Ali 30 ans plus tard, NdlR) et d’autres leaders du parti destourien, qui mène les négociations d’indépendance. L’UGTT assumera dès lors la direction de la résistance », déclare Mohammed Mselmi. « Ce passé caractérise l’UGTT.

Les forces d’opposition en Tunisie

Les partis politiques sortent de la clandestinité u Avant la révolution, différents partis existaient déjà en Tunisie, certains officiellement reconnus et d’autres travaillant dans la clandestinité. Aujourd’hui, un Conseil national pour la Sauvegarde de la Révolution s’est formé en contrepouvoir, rassemblant vingt-huit organisations tunisiennes.

Après le départ du dictateur, les Tunisiens exigent que tous les membres de son ancien parti, le RCD, quittent le gouvernement provisoire. (Photo Nasser Nouri)

Trois types de partis d’opposition existaient sous la dictature. D’abord, des partis reconnus et représentés au Parlement – Ben Ali leur octroyait un certain nombre de sièges. Parmi eux, l’ancien parti communiste, qui répudia le communisme en 1993 pour devenir le Mouvement Ettajdid (« Renouveau »). Son secrétaire général Ahmed Brahim est ministre dans l’actuel gouvernement Ghannouchi. Ensuite, des partis autorisés mais non représentés au Parlement. Le Parti démocratique progressiste (PDP) de Nejib Chebbi est entré au nouveau

gouvernement, alors que le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) a refusé de le suivre. Enfin, plusieurs partis étaient illégaux sous la dictature. Il s’agit du parti islamiste Ennadha (« Renaissance »), durement réprimé ; du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) et du Parti du travail patriotique et démocratique (PTPD), ainsi que des partis nationalistes et démocratiques comme le Congrès pour la république (CR).

Front du 14 janvier Le PCOT n’était peut-être pas beaucoup plus connu du grand public tunisien que les autres partis – tous travaillaient dans la clandestinité. Mais son porte-parole Hamma Hammami l’est d’autant plus. Après de nombreuses années de prison et de torture, il est resté en Tunisie. Hammami jouit d’un prestige évident, nous l’avons plusieurs fois constaté. Tout comme

son épouse, l’avocate Radhia Nasraoui, présidente de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie – connue aussi pour de longues grèves de la faim début des années 2000. Dix de ces formations constituent le « Front du 14 janvier », date de la chute du dictateur, mais pas de la dictature. La Constitution, les lois, des institutions comme la police politique et d’autres piliers du régime sont encore toujours en place. Le Front plaide pour la dissolution du gouvernement Ghannouchi et son remplacement par un gouvernement temporaire sans aucun lien avec la dictature. Mais uniquement dans le but de finaliser les affaires courantes et de convoquer des élections réellement démocratiques et libres pour une assemblée constituante. Pour assurer cette transition et coordonner les différents mouvements qui se sont investis dans la révolution, le Front propose de convoquer rapidement un Conseil National pour la Sauvegarde de la Révolution.


| acteurs |

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Interview : Samir Amin

Qui sont les Égyptiens qui ont chassé Moubarak ? Renforcer l’UGTT

Fort attachés à leur syndicat, les travailleurs veulent aussi l’assainir, à tous les niveaux. Sous Ben Ali, la corruption s’est répandue même dans l’UGTT. Ainsi les travailleurs du port de Radès reprochent à leur délégation d’avoir facilité l’entrée de containers pour le compte des Trabelsi (la famille de l’épouse de Ben Ali, NdlR) en échange de commissions. Ils l’ont remplacée par une représentation élue démocratiquement et exigent de la direction de l’UGTT de la reconnaître. Le régime despotique interdisait toute activité politique. Ce n’est que dans les locaux de l’UGTT que l’on pouvait en faire – ses statuts le lui permettent. Pendant des décennies diverses forces d’opposition ont résisté. Là où les dirigeants l’autorisaient, des syndicalistes appartenant à différents groupes politiques diffusaient leur idées ou même des écrits dans les réunions. Ce travail politique a apporté une certaine conscience jusque chez les jeunes et les chômeurs, à travers leurs parents, leurs enseignants. » 1. Division administrative de la Tunisie, à comparer à nos provinces.

< Baudouin Deckers

u Nous avons posé la question à l’analyste politique marxiste et écrivain égyptien, spécialiste du monde arabe. Samir Amin est directeur du Third World Forum à Dakar. Il est né au Caire mais a également étudié pendant dix ans à Paris, obtenant ainsi des diplômes en science politique, en statistique et en économie. Nous lui avons demandé ce qui constituait le visage de la révolution égyptienne. Ou, mieux, les visages…

Les jeunes Samir Amin. Il s’agit de jeunes gens politisés qui sont non seulement hostiles à la dictature mais aussi au système social et économique. S’ils sont anticapitalistes ? Pour eux, cela reste un peu théorique mais, en tout cas, ils sont opposés à l’injustice sociale et à l’inégalité croissante. Ils sont aussi nationalistes, dans le bon sens du terme : anti-impérialistes. Ils haïssent la soumission de l’Égypte aux États-Unis. Les mouvements de jeunes ont une direction décentralisée, mais ils sont toutefois très bien organisés. Ils ont reçu tout de suite un écho extrêmement retentissant dans tout le pays.

Les syndicats Samir Amin. Il y a trois ans, une vague de grèves a déferlé sur l’Égypte, la plus forte de tout le continent africain depuis cinquante ans, Afrique du Sud y compris. Mais les syndicats officiels étaient complètement contrôlés par l’État. Les grèves ont débuté à la base des syndicats. Ce

Samir Amin. (Photo flickr, skilllab) fut un grand succès. Bien qu’elles n’aient pu obtenir que de modestes concessions – une augmentation des salaires de 10 à 15 %, à peine de quoi couvrir l’inflation –, elles ont atteint quelque chose de bien plus important : la dignité et les droits syndicaux. Et, aujourd’hui, une nouvelle fédération syndicale indépendante a été fondée, laquelle fait partie du mouvement de protestation.

Les communistes Samir Amin. Les jeunes n’aiment pas tellement l’idée d’un parti, avec des chefs et des directives. Mais ils n’ont certainement pas une mauvaise relation avec les communistes.

Grâce aux manifestations, ils se sont retrouvés, pas tant au niveau de la direction, mais bien sur le plan des actions concrètes.

La classe moyenne Samir Amin. Les démocrates de la classe moyenne acceptent le capitalisme et le marché et ils ne sont même pas tout à fait antiaméricains. Mais ce sont des démocrates, ils sont contre la concentration du pouvoir du côté de l’armée, de la police et des gangs mafieux. El Baradei est un représentant typique de ce groupe.

Les Frères musulmans Samir Amin. Même s’ils ont un profil populaire, ils sont en fait très réactionnaires. Ils n’adhèrent pas seulement à une idéologie religieuse, mais ils sont également conservateurs sur le plan social. Les Frères musulmans défendent un système économique qui repose sur le libre marché et sur la dépendance de l’étranger. En réalité, ils font bel et bien partie de la bourgeoisie « compradore ». Ils ont également pris position contre les grandes grèves de la classe ouvrière et contre le combat des paysans en vue de conserver leurs terres.

< Bert De Belder

La classe ouvrière égyptienne en mouvement Un pas important a été franchi ce 11 février avec la création du « Comité pour le Conseil National de Sauvegarde de la Révolution ». Vingt-huit organisations ont signé la plate-forme : les composantes du Front du 14 janvier, bien sûr, mais aussi la centrale syndicale UGTT, le parti islamiste Ennadha, le FDTL, le CR ainsi que les Associations des avocats, des journalistes, des écrivains. Un contre-pouvoir organisé est mis sur pied, donc, qui tient à « contrôler les travaux du Gouvernement provisoire » et veut entre autres que lui soit soumis pour approbation « la nomination des responsables dans les hautes fonctions de l’Etat ». L’UGTT ouvrira ses locaux dans toutes les régions et à tous les niveaux aux Comités régionaux pour la Sauvegarde de la Révolution, qui sont en train de se former.

< Baudouin Deckers

Le mouvement du 6 avril

Des mouvements de jeunes qui ont constitué une coalition place Tahrir, celui du 6 avril est le plus connu. Il a été fondé par Israa Abdel Fatah, une jeune femme de 27 ans qui, en avril 2008, a lancé un groupe Facebook en guise de soutien aux 20 000 grévistes de l’usine textile d’El-Mahallah El-Koubra. Israa était membre du parti de l’opposition al-Ghad sans pour autant être très active politiquement – elle était plutôt liée à la section socioculturelle de ce parti. Une semaine après la grève, Israa a été arrêtée et accusée d’être la cheville ouvrière des incidents. Pourtant, elle n’avait que propagé l’appel des grévistes à rester chez soi. Son groupe Facebook a très vite compté 80 000 membres.

Des syndicats indépendants

Le 30 janvier, place Tahrir, était fondée la Fédération égyptienne des syndicats indépendants. Ont pris part à la réunion de fondation : le syndicat indépendant du Real Estate Tax Collectors (le principal syndicat indépendant fondé en 2008, NdlR), l’Union des retraités, les syndicats du personnel de la santé, le syndicat indépendant des enseignants et les dirigeants des comités de grève de Mahalla, Helwan et Sadat City. Le 13 février, la fédération publiait une déclaration dans laquelle elle exigeait que la Fédération des syndicats égyptiens (EFTU), un syndicat d’État collaborant étroitement avec le régime Moubarak, soit dissoute. « La sécurité de l’État a mis sur le dos de la classe ouvrière le président de l’EFTU Hussein Megawer et sa cour. Mais ils ont vendu nos intérêts. La seule chose qui les intéressait, c’était de gagner facilement de l’argent, et vite. Et, bien sûr, ils n’ont pas tardé à devenir millionnaires et à vivre dans de luxueuses villas. Nous les mettons au défi de révéler ce qu’ils possèdent. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à l’heure des règlements de comptes, l’heure où les gens paieront le prix des crimes qu’ils ont perpétrés contre les travailleurs. »

Les communistes se concertent

Lors du week-end des 19 et 20 février et suite à l’invitation du Parti communiste libanais, des représentants des partis communistes égyptien et tunisien ont participé à l’Assemblée extraordinaire de la gauche arabe. La réunion s’est déroulée à Beyrouth. Les représentants du Bahreïn, du Yémen et du Soudan ont été empêchés par leurs gouvernements d’assister à la réunion.


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| ACTEURS |

INTERVIEW | NAWAL EL SAADAWI

LE RÔLE

« La révolution Twitter et Fac nous a tous voyageurs du unis » Les révoltes en Tunisie et en Égypte sont-elles les premières révolutions Facebook ou Twitter ? La question fait débat sur la toile, et y répondre n’est pas simple.

Nawal El Saadawi est l’une des centaines de milliers de personnes qui, des journées durant, ont maintenu l’occupation de la place Tahrir au Caire. Trois questions à cette féministe sur le rôle et la signification de la révolution pour les femmes égyptiennes. Même si elle a 79 ans, cette femme de lettres égyptienne, passionnée et internationalement reconnue, n’a pas manqué ce rendez-vous avec l’histoire. Dans les années 90, elle a également été invitée comme marraine à l’une des fêtes du 1er mai du PTB. Au cours de la révolution en Égypte, on a pu la voir aussi sur la place Tahrir au Caire.

Quelle était l’ampleur de la participation des femmes à la révolution, en Égypte ? Nawal El Saadawi. Les femmes égyptiennes ont participé en grand nombre à la grande révolution égyptienne du 25 janvier. Il y en avait de tous les âges et de toutes les classes sociales. Il y a également eu des victimes. Certaines ont été tuées, d’autres ont été arrêtées par la police. Sur ce plan, il n’y a eu aucune différence avec les hommes. La révolution a fait disparaître toutes les différences entre hommes et femmes, elle les a tous unis, indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur classe ou des autres

différences qui nous ont été imposées par le système capitaliste esclavagiste, raciste, militariste, patriarcal, tant local que mondial.

le régime du roi Farouk. Je suis entrée en révolte contre le néocolonialisme américain et je me suis opposée aux régimes de Sadate et Moubarak. Le moment crucial de notre récente Vous collaborez désormais révolution s’est passé quand nous avons obtenu la victoire sur les gangs de Mouà la remise sur pied d’une barak qui envahissaient la place Tahrir association des femmes. avec des chameaux Pouvez-vous Certaines femmes et des chevaux. nous en Ces attaques ont dire plus ? ont été tuées, d’autres Nawal El Saafait beaucoup de ont été arrêtées par la dawi. Nous, les morts. Mais nous sommes parvenus femmes d’Égypte, police. Sur ce plan, il n’y à capturer un grand après la chute du a eu aucune différence chef du régime nombre de ces avec les hommes corrompu d’ophommes de main pression, nous et nous avons alors découvert sur leurs nous sommes lancées dans la papiers d’identité reconstruction de l’Union des femmes que c’étaient des policiers habillés en égyptiennes. Sous le régime de Moubarak civils. Cette première victoire, le 2 février, et de sa femme, cette association a subi a abouti à la seconde victoire et à la une interdiction à plusieurs reprises. Ces chute de Moubarak, le 11 février. derniers jours, un très grand nombre de femmes – et d’hommes – qui ont < RIET DHONT participé à la révolution, ont rejoint notre association.

Vous n’en êtes pas à votre première révolution… Nawal El Saadawi. Je n’avais encore que dix ans et j’étais à l’école primaire, que je m’insurgeais déjà contre les oppresseurs étrangers et intérieurs de mon pays. Ça a commencé par la résistance contre le colonialisme anglais. Ensuite est venu

Nawal El Saadawi : « Les femmes égyptiennes ont participé en grand nombre à la grande révolution égyptienne du 25 janvier. Il y en avait de tous les âges et de toutes les classes sociales. Il y a également eu des victimes. » (Photo Al Jazeera English)

Une chose est sûre, si le peuple tunisien, le peuple égyptien, et celui d’autres pays par la suite, est descendu dans la rue, c’est avant tout pour crier son ras-le-bol de l’oppression, du chômage et de la pauvreté généralisée. Chaque révolte a son propre Twitter, des pigeons voyageurs durant la guerre des Quatre-vingts ans (1568) aux sms durant la révolte du peuple philippin contre le président Estrada au début de l’année 2001. De tout temps, les gens ont cherché des modes de communication « alternatifs ». Cela n’a rien de nouveau. Les médias modernes jouent néanmoins un rôle plus important et novateur. En particulier dans des pays comme la Tunisie et l’Égypte. Cela est probablement dû au fait que ces deux pays ont une population très jeune. En Égypte, par exemple, 60 % des habitants ont moins de 30 ans. Selon les normes africaines, la population est très « informatisée » : 33 % en Tunisie, 21 % en Égypte. Facebook est un réseau social très populaire dans les deux pays. En janvier dernier, Facebook comptait 2 168 240 utilisateurs en Tunisie (20,48 %) et 5 444 960 (6,77 %) en Égypte. A titre de comparaison, la Belgique en comptait 3 925 780 (37,66 %) à la même période. A cela vient s’ajouter le rôle des cybercafés et surtout des téléphones mobiles (85 % en Tunisie et 71 % en Égypte), la majorité des vidéos postées sur YouTube ces dernières semaines ont d’ailleurs été filmées avec des téléphones portables. On constate donc que les nouvelles technologies

n’ont pas été un fact histoire.

28 000 tw

On a aussi beaucoup pendant les révoluti d’énormes flux d’info sources, la Tunisie décembre des pics a tweets par heure. Le tunisienne étaient t hashtag « #sidibouzi En Égypte, le motrence à la première jo Le 25 janvier, on a en par minute avec le h ainsi fourni un flux i brutes permettant minute après minut réuni tous les utilisate communauté solida

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| ACTEURS |

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up « tweeté » (voir encadré) tions. Ce qui a donné lieu à formations. Selon certaines aurait connu après le 27 allant parfois jusqu’à 28 000 es tweets relatifs à la révolte toujours accompagnés du id ». t-clé était « #jan25 » (en réféournée d’actions massives). nregistré jusqu’à 100 tweets hashtag « #jan25 ». Twitter a incroyable d’informations de suivre les événements ute. Mais le hashtag a aussi eurs concernés au sein d’une aire.

ebook transformée me d’organisation

es rares endroits où les gens nner leur avis. En effet, presse artis d’opposition (légaux) nexistants. ue le jeune Mohamed Bouamolé par le feu, les médias ) ont tout fait pour présenter acte criminel. Et à l’étranger, peut-être passée inaperçue ient pas posté sur Facebook tant de vidéos, de photos et sur la violence policière et les us organiser, c’est Facebook,

on se fait dans la rue mais, uveaux médias, nous gir plus rapidement et éussi à mobiliser des ir des milliers de jeunes », eune. (Photo darkroom

Une page Facebook reprenant des photos de manifestations contre le régime Moubarak dans toute l’Égypte. Ceux qui ont une connexion Internet ou un téléphone mobile peuvent désormais aider à propager la révolution. les e-mails et SMS », raconte Maher, un jeune organisateur des protestations à Sidi Bouzid. « Nous échangeons de l’information sur les manifestations, la violence de la police. Par exemple, lorsque nous avons vu les images de la violence dans d’autres villes, nous sommes directement allés manifester devant le commissariat local. Voilà comment les manifestations se propagent comme du feu. » En Égypte, la situation est comparable. En juin 2010, des agents tabassent à mort le jeune Khaled Saïd (28 ans). Peu après, un groupe Facebook est créé à la mémoire du jeune homme (El Shaheed, le martyr). La photo du jeune homme mort fait l’effet d’une bombe. La page est de plus en plus visitée et se transforme en véritable plateforme d’organisation : les gens y postent leurs témoignages, des vidéos ou photos prises avec leur portable, mais aussi des conseils sur la manière d’organiser ses amis, de contourner les barrages policiers, etc. La page (en arabe) compte actuellement près d’un million de fans.

des initiatives. Le fait que des milliers de Tunisiens et d’Égyptiens ont vaincu leur peur du régime a fait beaucoup. Ainsi, ceux qui pensent que les sites et initiatives « online » ne sont le fait que d’une poignée de techniciens et fanas d’informatique se trompent. S’il est vrai que les initiatives viennent des internautes les plus expérimentés, elles ont aussi été prises par le monde réel, révolté face à l’oppression. « La révolution se fait dans la rue, mais ces outils nous ont permis de réagir et mobiliser rapidement des centaines voire miliers de jeunes. » Facebook, Twitter et les autres sites ont servi à l’organisation des actions dans le monde réel. L’info en ligne a continué de se propager hors ligne. C’est ainsi qu’en Égypte, par exemple, des infos ont pu être transmises en inscrivant des messages sur les billets de banque, de préférence des petites coupures pour être sûr qu’elles parviennent également aux moins fortunés.

Des messages sur les billets de banque L’utilisation de Facebook a permis une diffusion incroyable d’informations et d’actions à l’intérieur du territoire égyptien, mais aussi au-delà. Tous ceux qui possèdent une connexion internet ou un téléphone mobile peuvent désormais prendre

\ Vous trouverez davantage d’infos sur le rôle d’Internet et des nouveaux médias sur notre site www.ptb.be.

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Censure, comment la contourner ? Tant en Tunisie qu’en Égypte, les autorités ont tenté d’avoir la mainmise sur Internet. En vain, dans les deux cas.

Au fur et à mesure que l’opposition grandissait en Tunisie, la censure exercée par la dictature augmentait. L’Agence tunisienne d’Internet (ATI), fondée en 1996, et rattachée au ministère des Communications, a joué ici un rôle-clé. En effet, l’ATI dispose d’un équipement très sophistiqué permettant de bloquer dans l’heure un ou plusieurs sites, mais aussi de rendre d’autres services tels que YouTube – bloqué depuis novembre 2007 déjà – totalement inaccessibles. L’ATI est allée plus loin encore et a bloqué certaines pages personnelles d’accès à Twitter, Gmail, Facebook, etc., en « injectant » un mauvais code permettant d’intercepter les données de connexion des personnes en question. Ces données ont ensuite été utilisées pour effacer les comptes. Mais les militants tunisiens ont pu compter sur l’aide internationale, et en particulier sur le réseau militant Anonymous relié à WikiLeaks. Leurs techniciens ont aidé les Tunisiens en leur transmettant les instruments et les connaissances qui leur ont permis de contourner les attaques de la dictature. En Égypte, les autorités ont attendu le vendredi 28 janvier pour bloquer l’accès à Internet dans une tentative de

briser le mouvement de protestation. Dans certaines régions, même l’accès au réseau mobile a été coupé. Le but étant de priver le mouvement de protestation de ses principaux outils de communication. En 15 minutes à peine, 80 millions d’Égyptiens se sont ainsi retrouvés coupés du monde extérieur. Du jamais vu dans l’histoire de l’Internet.

Le monde au secours des Tunisiens et des Égyptiens Très vite, l’aide a commencé à fuser des quatre coins du monde. Les militants de « We Rebuild », par exemple, ont faxé des listes de numéros de téléphone joignables à partir d’un ancien modèle de modem téléphonique et permettant de se connecter. L’américain John ScottRailton a réalisé des enregistrements audio de ses nombreuses conversations téléphoniques avec des Égyptiens et a ensuite posté le lien sur sa page Twitter (http://twitter.com/Jan25voices). Google a même développé une toute nouvelle plateforme, Speak2Tweet, permettant aux Égyptiens d’appeler un numéro spécial et de livrer un témoignage. Et finalement, le lien vers les enregistrements audio a été posté automatiquement sur la page Twitter (twitter.com/#!/speak2tweet avec hashtag #egypt).

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FRANK SONCK

Sites web intéressants

ÉGYPTE • Le site du très sérieux journal anglais www.almasryalyoum.com • Le site du mouvement du 6 avril www.6april.org • La page Facebook sur Khaled Saïd www.facebook.com/ElShaheeed (arabe) et www.facebook.com/elshaheeed.co.uk (anglais) • Le site du Parti communiste égyptien egyptian.wordpress.com • Le site du syndicat indépendant www.egytimes.org Blogs en anglais et/ou en anglais/arabe : • egyptianchronicles.blogspot.com • www.arabist.net • www.arabawy.org Sites sur l’Égypte : • www.jadaliyya.com • www.juancole.com • www.monde-diplomatique.fr • egyptelections.carnegieendowment.org

TUNISIE

Twitter, tweets et hashtags

Twitter est un service en ligne qui permet à l’utilisateur d’envoyer des messages brefs (tweets) de maximum 140 caractères. Chaque message peut être accompagné d’un ou plusieurs hashtags, une sorte de mot-clé qui indique le sujet du message. Grâce à la fonction recherche de Twitter et sur base du hashtag, il est donc possible de retrouver tous les messages qui traitent d’un sujet déterminé.

• www.nawaat.org (blog collectif, créé en 2004) • www.albadil.org (en arabe, mais grâce à Google Translation, il est possible de comprendre de quoi on parle) • www.tunezine.com • tunileaks.appspot.com (aperçu des documents WikiLeaks en rapport avec la Tunisie)


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| HISTOIRE |

Impérialisme en Égypte | Deux siècles d’Ingérence étrangère

Comment l’Occident a sous-développé l’Égypte

Nasser, Premier ministre d’Égypte entre 1952 et 1970, nationalise le canal de Suez en 1956. Les puissances coloniales vont intervenir militairement. Et vont perdre… (Photo wikipedia.org)

u Il y a deux siècles, l’Égypte rivalisait avec l’Europe en terme de développement économique. Cette dernière, rejointe après par les États-Unis, a mis un frein au développement de la nation impudente. Dès 1800, l’Égypte connaît un développement économique qui n’est pas sans rappeler celui de l’Europe occidentale. Certes, l’Égypte de Mohammed Ali (qui dirigea le pays entre 1803 et 1849) n’est pas aussi industrialisée que l’Angleterre, mais le pays, tout en conservant un système de relations féodales, prend la voie d’un développement rivalisant avec de nombreux de pays européens. Le pays est capable de produire les aliments en suffisance. Il est protégé des marchandises européennes par des monopoles d’État. Pour nombre de biens, aucune concurrence n’est permise. Bien entendu, comme en Europe, ce développement économique se fait sur le dos des travailleurs égyptiens qui sont exploités, tout comme en Belgique ou en Angleterre. Mais l’Égypte s’industrialise, se développe, elle n’est pas « en retard ».

Une croissance brisée par une défaite militaire L’Égypte se sent à l’étroit, elle cherche à étendre son influence. Construisant une armée puissante, les troupes de Mohammed Ali vont conquérir une grande partie de ce qui est aujourd’hui l’Arabie Saoudite, la Syrie, la Palestine, etc. Les Égyptiens ne sont pas les seuls à convoiter le Moyen-Orient, ses

richesses, son marché. La position hégémonique de l’Égypte menace celle de l’empire britannique. A la tête d’une coalition militaire, les Britanniques entrent en guerre contre les troupes égyptiennes. Ce dernier ne peut résister bien longtemps et subit un lourde défaite. Le 27 novembre 1840, l’Égypte signe une convention avec les Britanniques, qui menacent de raser Alexandrie. Ce texte prévoit, entre autres, que l’Égypte abandonne la partie du Proche-Orient qu’elle occupait. Cette déroute va briser l’envolée économique égyptienne pour des décennies. La Grande-Bretagne victorieuse impose au Caire une réduction de son armée, une très lourde amende et une ouverture totale aux produits et industries européennes. Ce sont les premières mesures mises en place par le vainqueur à l’encontre du vaincu : le rendre inoffensif et mettre son industrie par terre, afin de l’affaiblir économiquement pour longtemps.

capitaux étrangers. Cette œuvre pharaonique sera exécutée par le peuple égyptien au seul profit des puissances étrangères... avec la complicité du gouvernement de l’époque. Le pouvoir égyptien collabore en endettant le pays pour acheter des actions de la « Compagnie de Suez ». Il offre une main d’œuvre gratuite pour creuser le canal (des serfs qui, dans une Égypte toujours féodale, doivent effectuer

des corvées pour l’État) et fournit les matières premières. Achevé en 1869, ce canal a largement endetté l’Égypte et coûté la vie à des dizaines de milliers de travailleurs égyptiens. L’endettement et la création du canal constituent deux autres mesures pour faire reculer une nation en expansion économique. Et surtout faire fructifier les capitaux européens. Entre 1850 et 1875, l’Égypte se munit de chemin de fer, de mines, de canaux. Pour chacune de ces constructions, elle paye les entreprises de constructions européennes en empruntant aux banques européennes. Ces infrastructures ne profitent pas aux Égyptiens, elles servent les compagnies étrangères, leur permettant d’exporter des matières premières. En 1875, la dette nationale est tellement énorme que l’Égypte fait faillite. Elle est mise sous tutelle britannique et française. Pendant plusieurs années (entre 1878 et 1880), le ministre des Finances de l’Égypte est un banquier anglais, et le ministre des Travaux publics, un banquier français. Ce pays ne sert plus qu’à rembourser sa dette : la majorité des fonctionnaires et des militaires sont renvoyés ou ne sont plus payés, les taxes écrasent les paysans, les ouvriers et les communes. Quand un village ne peut pas payer ses taxes, ses terres sont saisies par l’État qui les remet aux créanciers à la place de liquidités.

Une économie sous dépendance En 1881, une révolte nationaliste éclate

au sein de l’armée égyptienne. Les officiers exigent un gouvernement indépendant et veulent mettre un terme à l’ingérence étrangère. Pour mater les contestataires et préserver ses intérêts, l’armée britannique débarque à Alexandrie et occupe tout le pays. L’Égypte (même si elle n’en a pas formellement le titre) devient une colonie britannique. Un pillage à grande échelle va débuter. L’Égypte en porte les traces, aujourd’hui encore. À ce moment, le principal rôle de l’Égypte est de produire du coton bon marché pour les industries textiles européennes. Cette matière première occupe 70 % de la production agricole et constitue 90 % des exportations. La terre égyptienne ne produit presque plus rien d’autre. Elle doit importer 85 % de ses aliments. Toutes les opérations un tant soit peu rentables sont aux mains de compagnies étrangères. Ceci est la dernière mesure : s’attaquer à la paysannerie, pour qu’elle ne cultive plus de denrées alimentaires et ainsi rendre le peuple totalement dépendant de l’extérieur. Armée inoffensive, industrie locale détruite, dette colossale, création d’un canal idéal pour le commerce et paysannerie contrôlée, l’occupant a réussi son coup… Outre le coton, les autres domaines de l’économie qui pourraient rapporter des bénéfices (banques, transports, constructions, etc.) sont dominés par des capitaux européens. Si cela rapporte des sous, ce n’est pas égyptien. Si cela ne rapporte rien, comme une route entre deux villages pauvres... cela n’existe pas.

Endettement et mise sous tutelle Les successeurs de Mohammed Ali, héritant d’une Égypte défaite, vont soumettre le pays aux multinationales européennes, surtout anglaises et françaises. Toute liberté est laissée aux groupes industriels occidentaux pour pénétrer le marché. Le pouvoir égyptien va leur accorder de nombreuses terres pour y bâtir des voies de chemin de fer, des entreprises, etc. Le canal de Suez, qui relie la mer Méditerranée à la mer Rouge – évitant ainsi aux navires marchands de contourner l’Afrique – est construit durant cette période grâce à des

Le canal de Suez, qui relie la mer Méditerranée à la mer Rouge, a été construit grâce à des capitaux étrangers. Des dizaines de milliers de travailleurs égyptiens sont morts en le creusant. (Photo collection Agenda ADHEMAR)


| HISTOIRE |

Impérialisme, définition

L’impérialisme est le processus par lequel les puissances capitalistes dominent politiquement et économiquement des pays étrangers. Les multinationales occidentales pillent les ressources des pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Elles y trouvent des débouchés pour les capitaux qu’elles accumulent et y exploitent de la main-d’œuvre bon marché. Elles n’achètent pas les ressources à leur juste valeur et les populations locales ne profitent pas de ces richesses. Ce pillage ne serait pas possible si, dans ces pays exploités, il n’y avait pas des dirigeants pour défendre les intérêts des multinationales. Ces dirigeants s’enrichissent au passage. Ils constituent ce qu’on appelle la bourgeoisie « compradore ».

Intérêts belges

Juste après les Britanniques et les Français, ce sont les Belges qui investissent le plus dans la région. À titre d’exemple, c’est une compagnie belge qui a construit le quartier chic d’Héliopolis (au nord du Caire) ainsi que les tramways d’Alexandrie et du Caire. Ce sont des Belges aussi qui ont construit le pont entre la place Tahrir et Zamalk, en plus du palais de Moubarak. La bière numéro un sur le marché est la Stella Artois.

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1970-2010 : quatre décennies perdues u En 1970, Nasser est remplacé par Anouar el-Sadate. En 1981, Moubarak prend le pouvoir à son tour. Ils changent de cap et replongent l’Égypte dans une politique satellitaire des états-Unis. L’Égypte connaît alors 40 ans de régression politique, économique et sociale. Le règne de Sadate s’ouvre par une nouvelle défaite militaire. En 1973, la guerre du Kippour entraîne la défaite de l’Égypte et de la Syrie face à Israël. À la suite du conflit, un accord de paix (accords de Camp David) est signé entre l’Égypte et Israël en 1977. Il constitue l’un des principaux piliers de la politique américaine au Moyen-Orient. La stratégie est claire : la paix entre l’Égypte et Israël doit permettre de mettre fin à la question palestinienne et de briser une possible unification des pays arabes qui entendent mener une politique indépendante de l’Occident. Au niveau économique, l’arrivée de Sadate constitue le début d’un bouleversement qui va replonger l’Égypte dans la voie du sous-développement.

La religion contre les nasseristes

« Mais l’héritage de Nasser était encore très fort en Égypte. C’était un obstacle pour Sadate qui voulait suivre les préceptes de la Banque mondiale et brader les entreprises publiques au profit de compagnies privées », affirme Mohammed Hassan, spécialiste du monde arabe. « Le nouveau président égyptien devait se débarrasser de ceux qui se revendiquaient encore de la politique de Nasser. À l’époque, Moubarak a eu un rôle bien particulier. Sa mission était de former des gangs et de les armer à travers les services secrets pour combattre les nasséristes et les communistes. Mais la répression ne suffisait pas. Il fallait aussi combattre l’héritage de Nasser sur le plan idéologique. Sadate s’est servi de la religion. Il s’est présenté comme un homme de Dieu, un musulman dévoué. Il a introduit de nombreuses mesures afin de consolider l’importance de la religion dans la société égyptienne. Par exemple, en faisant réciter des versets du Coran avant le journal télévisé. Sadate a également libéré les Frères musulmans emprisonnés. Ce qui dément d’ailleurs

l’idée que la dictature égyptienne était nécessaire pour contenir la montée de l’islamisme. Cela a été utilisé afin de justifier l’État policier soutenu par l’Occident1. » La politique néolibérale n’atteindra sa vitesse de croisière que sous Moubarak. En 1991, Moubarak conclut un accord avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Sur l’insistance de ces derniers, la réforme agraire est fortement ralentie, la fonction publique subit un dégraissage important, les salaires sont rabotés et le budget de la santé publique est fortement diminué.

Le «gouvernement des hommes d’affaires» L’élite économique et le capital étranger s’en portent à merveille mais, pour l’économie nationale, c’est la catastrophe. Dans les années 90, l’économie recule de 5 %. Sur le plan social, le tribut est encore plus lourd. Tant dans les villes que dans les campagnes, chômage et pauvreté grimpent en flèche. Au même moment, les subventions alimentaires sont progressivement supprimées : les gens ont de moins en moins à manger.

En 2004 arrive un nouveau gouvernement – celui qui est tombé avec le départ de Ben Ali – surnommé le « gouvernement des hommes d’affaires ». Sa politique ? Suivre le modèle capitaliste américain. Dans la première année, il privatise plus que durant toute la décennie précédente. Ainsi, des pans entiers de l’économie nationale se retrouvent dans les mains du capital étranger. En même temps, les investisseurs étrangers sont attirés par un régime de bas salaires, de semaines de travail très longues et de protection syndicale très faible, voire nulle. La crise économique mondiale a fait grimper en flèche les prix des denrées alimentaires et a fait dégringoler les salaires. Il y a dix ans, un Égyptien sur six vivait dans la pauvreté extrême. Aujourd’hui, c’est quasiment un sur deux. La crise, qui sévit partout, a frappé l’Égypte bien plus durement. D’où le soulèvement populaire. 1. Entretien avec Mohamed Hassan : Où va l’Egypte ? Où va le monde arabe ? Grégoire Lalieu, Michel Collon, www.michelcollon.info

< Marc Vandepitte*

*repris de L’Égypte après Moubarak. Et la suite ? www.dewereldmorgen.be

Le Nasserisme et la construction d’une Égypte indépendante Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Égypte, comme l’ensemble du Moyen-Orient, connaît un éveil du mouvement populaire contre la domination étrangère. En Égypte, la révolte gronde et la colère se cristallise autour de la présence de troupes britanniques le long du canal de Suez. Début 1952, des émeutes éclatent dans tout le pays. En juillet, des officiers égyptiens issus de ce mouvement renversent la monarchie et installent un nouveau pouvoir nationaliste. Leur objectif est de sortir le pays de la domination économique étrangère, de créer une Égypte développée industriellement. Gamal Abdel Nasser dirigera le pays jusqu’à sa mort, en 1970. Avec l’aide de l’URSS, il va soutenir la construction d’industries modernes. Il protégera le pays des importations étrangères en élevant des barrières douanières. Cette nouvelle politique va effrayer les puissances européennes qui sentent leur domination économique menacée. Les États-Unis, qui à l’époque cherchent à supplanter les Britanniques dans la région, ne voient pas non plus d’un bon œil la transformation de l’Égypte en un pôle anticolonial.

Les agriculteurs, comme l’ensemble du peuple égyptien, sont très durement touchés par la politique économique initiée par Sadate puis par Moubarak. Et depuis les années 1990, lorsque les subventions alimentaires ont été supprimées, les gens ont de moins en moins à manger. (Photo archives)

Un modèle alternatif... qui finit par s’écrouler En 1956, Nasser nationalise le canal de Suez : les vieilles puissances coloniales interviennent militairement. La France, l’Angleterre et Israël attaquent, mais, sans le soutien américain, ils doivent se retirer. Nasser triomphe et devient l’un des symboles du mouvement de libération du Tiers Monde.

Poursuivant dans cette voie, Nasser nationalise des dizaines d’entreprises européennes construites pendant la période coloniale pour les intégrer à l’économie nationale. Si Nasser s’appuie sur la bourgeoisie égyptienne, les populations les plus pauvres bénéficient aussi de ces réformes. Des emplois sont créés grâce au développement de l’industrie et au renforcement de

l’État. Les dépenses publiques offrent un enseignement gratuit, des soins de santé accessibles à tous. Les problèmes ne sont pas absents. Les injustices, la répression et les inégalités ne sont pas supprimées. Ce n’est pas le but du régime. L’Égypte de Nasser n’est certainement pas un paradis. Il n’empêche que le pays est un modèle alternatif, une partie importante des Égyptiens en

a bénéficié. Lorsqu’en 1967, en six jours à peine, l’armée de Nasser est écrasée par Israël, le modèle nationaliste s’écroule. Politiquement, Nasser ne se relèvera jamais complètement de cette défaite militaire. Le pays est prêt pour la contre-révolution et la réouverture aux capitaux étrangers...

< Joaquim Da Fonseca


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Hamma Hammami, figure clé de l’opposition tunisienne à Ben Ali

« Notre révolution a vaincu le dictateur, mais pas encore la dictature » u Emprisonné à de nombreuses reprises sous la dictature de Ben Ali pour son opposition, Hamma Hammami, porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), est aujourd’hui une des figures les plus en vue de la révolution tunisienne. Nous l’avons rencontré à Tunis.

Hamma Hammami, porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT).

| INTERview |

Les révolutions et grandes Elles sont toujours là, mais affaiblies. y retrouve-t-on ? Quel manifestations dans le On doit continuer cette révolution est son programme ou monde arabe font souffler avec grande détermination, mais que revendique-t-il ? un vent d’optimisme aussi avec beaucoup de sens tactique Hamma Hammami. Au niveau dans le monde entier. pour préserver l’unité du peuple politique, la gauche est parvenue Que signifie, pour vous, tunisien et ne pas tomber dans des à se rassembler dans un front qui ce mouvement qui a divisions qui pourraient avoir des s’appelle le « Front du 14 janvier » en répercussions très négatives sur la référence au jour de la fuite de Ben démarré dans votre pays ? Hamma Hammami. C’est une marche de cette révolution, que les Ali. La gauche a un poids indéniable grande révolution, que ce soit au peuples du monde arabe regardent dans notre pays. Que ce soit au niveau niveau des pays arabes ou d’autres avec beaucoup d’espoir. politique ou syndical, au niveau de pays de notre région. D’autres peuples la jeunesse ou du mouvement des peuvent tirer de cette révolution Certains présentent la femmes, au niveau des droits humains quelques leçons. révolution en Tunisie ou du mouvement culturel. Ce front D’abord, le peuple tunisien a fait comme un événement s’est rassemblé autour des mots cette révolution en s’appuyant sur ses spontané... d’ordre et revendications populaires. propres forces. Dans beaucoup de pays Hamma Hammami. C’est faux. On y trouve donc la revendication arabes, des gens prétendaient qu’on Ils le disent pour discréditer et nier, de dissolution du gouvernement, ne pouvait pas au cours de ces la dissolution du parti au pouvoir. Le faire de révolution dernières années, Front revendique aussi la formation Notre peuple a fait contre des dictale rôle des forces d’un gouvernement provisoire, tures comme celle révolutionnaires constitué par des éléments qui n’ont la révolution en de Ben Ali sans et progressistes rien à voir avec le régime de Ben Ali, s’appuyant sur ses le soutien de la dans l’opposition. son parti, la dictature. Ce gouvernepropres forces, sans France, des ÉtatsC’est une manière ment provisoire aurait pour tâche Unis ou d’autres aussi de dire qu’il essentielle la préparation d’élections soutien d’autres forces étrangères. faut chercher pour une Assemblée Constituante. forces étrangères. Notre peuple a une issue à cette C’est celle-ci qui devra rédiger la montré qu’en révolution avec Constitution, les institutions, les lois s’appuyant sur ses l’ancien parti au fondamentales d’une République propres forces, on peut déposer un pouvoir, que les hommes politiques Populaire Démocratique à laquelle dictateur comme Ben Ali, fort d’un traditionnels sont obligés de repren- aspire le peuple tunisien. appareil sécuritaire gigantesque. dre la direction d’un mouvement qui Nous sommes aussi unis autour Ensuite, le peuple tunisien a fait n’en a pas. Ce mouvement n’était d’une plateforme économique et cette révolution dans une unité spontané que dans la mesure où il sociale, car nous considérons que presque totale. Pendant plus d’un n’était pas organisé au niveau national. la dictature était liée à une base mois, on n’a pas entendu un seul mot Il n’avait pas une direction unique, économique et sociale, une bourd’ordre religieux, qui aurait pu diviser un programme commun. Mais ça ne geoisie compradore (bourgeoisie le peuple tunisien. Le peuple tunisien veut pas dire absence de conscience tirant sa fortune de ses liens avec les s’est uni autour de ses aspirations et absence d’organisation. multinationales étrangères, NdlR) qui démocratiques, économiques et La conscience existe, car les acteurs pille la Tunisie en collaboration avec sociales. de ce mouvement sont avant tout des des sociétés et entreprises françaises, militants de gauche, des progressistes, italiennes, espagnoles, portugaises, Pour vous, cette révolution des syndicalistes, des militants des belges. Nous voulons non seulement droits humains. Ce sont des jeunes une démocratie politique mais aussi n’est pas finie. Pourquoi ? Hamma Hammami. La révolution diplômés chômeurs qui appartiennent une démocratie sociale, parce que est encore toujours en cours. Elle au mouvement étudiant. Notre parti nous considérons que la révolution n’a pas encore vraiment réalisé ses est là, nos forces sont présentes. Les actuelle est une révolution démocratibuts démocratiques et sociaux. Elle islamistes, par que et nationale, a vaincu un dictateur, mais elle n’a pas contre, n’ont pas une révolution On doit continuer encore vaincu la dictature. La police vraiment participopulaire qui politique, pilier principal de la dictature, pé. C’est pour cela doit préparer des cette révolution avec est encore toujours là et très active que, dans cette changements détermination et d’ailleurs. Le parlement est toujours révolution, il n’y a fondamentaux avec beaucoup de là. C’est un parlement fantoche car il aucun mot d’ordre pour toute la sofallait l’accord de Ben Ali pour pouvoir religieux. Même ciété tunisienne sens tactique pour y sièger. Le président par intérim est si politiquement, dans l’avenir. préserver l’unité du un membre du parti de Ben Ali, très les islamistes ont Le Front proche de lui. Le gouvernement est soutenu le moudu 14 janvier a peuple tunisien. toujours dirigé par le premier ministre vement. tenu le samedi de Ben Ali, Mohammed Ghannouchi, Au niveau de 12 février son et ses ministres viennent du même l’organisation, les militants se sont premier grand meeting public au entourage. Les hauts responsables, très vite organisés en comités. Dès Palais des Congrès de Tunis. Avec une corrompus, détiennent toujours le premier jour de cette révolution, grande réussite, qui dépassait de loin leurs postes. La Constitution a rendu il y a eu dans certains villages un vide nos attentes. La mobilisation n’a pris possible la dictature, elle est encore de pouvoir réel. Ensemble avec les qu’à peine trois à quatre jours. Plus inchangée. La dictature a fait passer démocrates, nous avons alors appelé de 8 000 personnes étaient réunies, d’innombrables lois anti-démocrati- les gens à s’organiser. Ce qu’ils ont fait beaucoup n’ont pas su entrer. Du ques et antisociales pour se protéger dans les villages et dans les régions, jamais vu. et elles sont encore toutes en vigueur. parfois dans des assemblées, qui Aux mains du gouvernement actuel, s’appellent « assemblées populaires » Le 11 février, un comité toutes ces lois et institutions peuvent ou « assemblées de sauvegarde de beaucoup plus large à nouveau être utilisées contre le la révolution », parfois en comités ou s’est constitué. peuple. Le régime de Ben Ali est en ligues, cela dépend. Ici à Tunis, les Hamma Hammami. Oui, une donc encore toujours en place. gens se sont organisés en comités réunion au siège du Conseil Na C’est pour cela que le mouvement populaires ou comités de quartier. Ils tional des Avocats a rassemblé les populaire continue, malgré les pro- ont choisi leurs dirigeants parmi les représentants de 28 organisations. messes du gouvernement actuel. militants les plus actifs au cours de Presque toute l’opposition à Ben Ali, Il exige la dissolution de l’actuel cette révolution. La structuration est sauf deux partis qui sont entrés dans gouvernement. Il refuse des gouver- encore faible et embryonnaire. Il n’y a le gouvernement de Ghannouchi. nements « remaniés » comme celui pas encore de véritable centralisation Hormis les 10 organisations du Front qu’on a maintenant. L’ancien parti au niveau national. Mais, petit à petit, du 14 janvier, il s’agit de la centrale au pouvoir, le RCD (Rassemblement ces comités se sont transformés en syndicale unique UGTT, du parti islaConstitutionnel Démocratique, qui comités qui discutent de la situation et miste Ennadha, des Associations des était jusqu’au 18 janvier dernier encore de l’avenir, et de ce que la population Avocats, des Ecrivains, des Journalistes, membre de l’Internationale Socialiste, peut faire. de l’Union des Étudiants Tunisiens et NdlR), doit être réellement dissous. d’autres encore. Tous sont d’accord Non, on ne peut donc pas dire que la Le Front du 14 janvier sur des propositions concernant la révolution soit terminée. Elle n’a pas s’est constitué il y a fondation d’un « Conseil National pour encore vaincu les forces réactionnaires. quelques semaines. Qui la Sauvegarde de la Révolution ». La


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plateforme ne va pas aussi loin que le Front du 14 janvier, puisqu’elle ne demande pas la dissolution de ce gouvernement. Certaines forces comme l’UGTT ont accepté ce gouvernement. Mais les 28 signataires exigent que ce « Conseil National » ait un pouvoir de décision concernant toutes les lois et mesures en préparation des nouvelles élections, afin de garantir qu’elles seront vraiment démocratiques et se dérouleront dans la liberté totale. Ils réclament le droit de surveillance de toutes les décisions du gouvernement et l’obligation de soumettre pour approbation au Conseil National toutes les nominations à des hautes fonctions. Les signataires appellent la population de toutes les régions et localités à former des Comités de Sauvegarde de la Révolution et l’UGTT met tous ses locaux à leur disposition. Ces Comités seront représentés dans le Conseil National.

Vous rassemblez là les différentes classes et couches de la population qui étaient et sont en opposition à la dictature. Cette démarche correspond au caractère de cette révolution, que vous appelez nationale et démocratique, pourquoi ? Les paysans, les petits commerçants, les artisans ou petits producteurs, les professeurs ou instituteurs et les ouvriers égyptiens n’ont jamais connu la démocratie. Et Hamma Hammami. Depuis Han- c’est ce à quoi ils aspirent avant tout. (Photo Levhartice) nibal (général de Carthage, ancêtre de la Tunisie, dans l’Antiquité, NdlR), ce pays n’a jamais connu de démocratie. parmi les forces populaires, ce qui pays au profit de sociétés étrangères. Vous êtes porte-parole d’un d’un point de vue du recouvrement Ni les paysans, ni pourrait être ex- Celles-ci cherchent à produire à bon parti communiste. Qu’en de notre indépendance. Nous n’allons les petits comploité par la réac- marché pour exporter ces produits est-il d’une perspective pas nationaliser pour que cela profite Le Front du 14 janvier merçants, ni les tion. On s’est mis vers leurs marchés, non pas pour socialiste en Tunisie ? à une bourgeoisie d’État (une classe artisans ou petits d’accord avec les satisfaire les besoins de la société Hamma Hammami. Une révolution qui s’enrichirait à la tête du nouvel revendique une producteurs, ni islamistes et avec tunisienne. L’ingérence des puissances socialiste n’est pas à l’ordre du jour État, NdlR). La classe ouvrière doit économie nationale les professeurs les autres forces européennes et américaines provient aujourd’hui. Oui, en tant que marxistes pouvoir diriger ces entreprises d’une au service du peuple ou instituteurs. pour préserver entre autres de ce qu’elles veulent à nous estimons qu’en définitive, manière démocratique. Tout ce monde cette unité du tout prix protéger leurs multinatio- il faudra passer au socialisme. Ce Mais cela ne vaut pas pour où les secteurs aspire avant tout peuple tunisien nales. Nous avons besoin d’un plan sera nécessaire tous les secteurs vitaux sont sous la En définitive, il à la démocratie, et ne pas tomber d’industrialisation en fonction des pour ne pas être de l’économie. supervision de l’État. ensemble avec les dans des luttes besoins de notre peuple. C’est cela pris dans le filet Nous effraierions faudra passer au ouvriers. Il faut en partisanes. que les gens réclament. Le Front du du capitalisme les petits socialisme pour ne être conscient. commerçants, Mais cette ré- 14 janvier revendique la construction mondial qui Nous essayons volution est aussi d’une économie nationale au service est tenu par les artisans, les pas être pris dans le d’unir le peuple autour d’une seule nationale. Les gens se rendent compte du peuple où les secteurs vitaux et des grandes petits patrons des filet du capitalisme tâche : en finir avec la dictature. Nous que l’élite bourgeoise corrompue est stratégiques sont sous la supervision multinationales nombreux ateliers mondial (…) Mais essayons d’éviter toute divergence de nature compradore, qui pille notre de l’État. américaines et que compte notre autres. Ce sera pays, nous les nous ne pouvons pas aussi la seule monterions contre marcher trop vite. façon de mettre la révolution. fin à l’exploitation Et, surtout, il de l’homme par faut penser aux l’homme. Mais cette façon de voir les paysans. La paysannerie chez nous choses n’est pas encore partagée est très diversifiée. Elle n’est pas largement du tout ici. Nous ne organisée et elle accuse en général pouvons pas marcher trop vite. un très grand retard au niveau de la Il faut tenir compte des rapports de conscience. Quelques régions sont force politiques. La classe ouvrière est plus avancées, là où il y a des ouvriers en retard sur le plan de la conscience agricoles, qui sont parfois devenus et d’organisation. Le mouvement des paysans pauvres. Ils ont reçu des communiste est encore assez faible lopins de terre, mais ne les travaillent dans notre pays, même s’il progresse pas par manque de moyens. Ceux-là beaucoup. Les autres classes sont verront eux-mêmes la collectivisation assez présentes par l’intermédiaire comme une issue positive. Mais il y du camp libéral, du camp islamiste... Il a aussi des régions où les paysans ne faut donc pas faire de faux pas. réclament depuis des décennies la A travers cette révolution, des terre que de grands capitalistes leur premiers jalons du socialisme peuvent ont confisquée mais qu’ils travaillent néanmoins être établis au niveau néanmoins. Parler de collectivisation, économique. Ainsi, nous sommes cela leur rappellerait toute de suite pour la nationalisation des grandes le pillage de leurs terres au cours des entreprises au profit des travailleurs. années 60. A notre avis, on pourra passer Comme dit plus haut, cela s’impose déjà de façon graduelle et diversifiée au socialisme, tout en maintenant l’unité la plus grande du peuple et dans la Hamma Hammami : « Nous sommes mesure où son expérience le mène pour la nationalisation des grandes à en voir l’utilité et la nécessité. Il n’y entreprises au profit des travailleurs. a pas de schéma unique. Mais il y a Mais cela ne vaut pas encore pour tous un but unique, le socialisme. les secteurs de l’économie. » (Photo 10b travelling) < Baudouin Deckers


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Interview | Le professeur Sami Zemni

« La religion joue de moins en moins un rôle politique » u En 1979, l’Iran chassait le chah. Aujourd’hui, le pouvoir iranien est aux ayatollahs. L’histoire va-t-elle d’ici peu se répéter en Égypte et en Tunisie ? Nous avons posé la question à Sami Zemni, professeur de sciences politiques et écrivain. Sami Zemni. Dans ces pays, les rapports de force sont différents. Il n’y a pas de scénario unique pour la région. On peut difficilement dire que la révolte de Téhéran en 1979 et celle de Tunis en 2011 sont similaires. Comme si, en trente ans, le monde n’avait pas connu de changements. L’Iran est un État persique, avec une forme d’islam spécifique : le chiisme. La Tunisie et l’Égypte sont sunnites. En Iran, il existe un clergé organisé avec ses intérêts propres : c’est presque une classe. Dans le monde arabe, on ne voit presque pas cela et les imams, cheiks et muftis sont des fonctionnaires payés par l’État. De même, l’histoire politique, économique et culturelle de ces pays est absolument, mais alors, là, absolument différente.

En fait, je ne vois que deux similitudes superficielles entre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui s’est passé en Iran voici 30 ans. Un : sur papier, il s’agit ou s’agissait de musulmans. Deux : le peuple a chassé des dictateurs soutenus durant des lustres par l’Occident – Moubarak et Ben Ali en Égypte et en Tunisie, et le chah en Iran. Aujourd’hui, les groupes qui s’appuient sur l’islam font partie de la réalité et constitueront aussi un facteur politique à l’avenir. Mais cela dépend du pays où l’on se trouve. On ne peut prédire aujourd’hui la direction que ça va prendre.

reproduiront à l’infini les préceptes de l’islam n’est pas un hasard. Et encore moins qu’ils partent du principe que les Arabes ne sont pas mûrs pour la démocratie. Dans leur pensée, les musulmans sont arriérés et antidémocratiques, et ainsi de suite.

Il y a aussi des analystes qui croient que les organisations religieuses – l’Ennahda en Tunisie et les Frères musulmans en Égypte – vont évoluer dans la direction de l’AKP turc, le parti gouvernemental islamiste Y a-t-il des gens qui ont du Premier ministre intérêt à mettre en avant Erdogan. Ont-ils de bonnes l’image négative de ce raisons de le croire ? Sami Zemni. En partie. L’Ennahda scénario iranien ? Sami Zemni. Je ne sais pas s’il y a tunisienne a toujours été la plus protoujours là-derrière gressiste de tout un intérêt direct. le monde arabe. L’histoire politique, Mais il est vrai que En 1991, son chef les islamophobes, spirituel, Rached économique et qui se servent en Ghannouchi (à culturelle de l’Iran permanence de ne pas confondre et de l’Égypte stéréotypes et avec Mohamed de clichés sur le Ghannouchi, sont totalement Moyen-Orient, actuel dirigeant différentes ont un agenda tunisien, NdlR), politique néocona dû prendre le servateur. Eux l’ont, chemin de l’exil. en tout cas. Le fait qu’ils présentent Ses écrits traitaient presque toujours les Arabes comme des robots qui de l’islam et la démocratie, de l’islam

et les droits de l’homme, etc. En fait, cet homme a été la grande source d’inspiration d’Erdogan et de son AKP. On pourrait même dire qu’indirectement, l’Ennahda a été elle aussi à la base du modèle turc. Mais cela ne veut pas dire que la Tunisie va reprendre ce modèle. Il s’appuie sur une armée forte défendant le nationalisme d’Atatürk et le laïcisme, mais tolérant aussi au pouvoir la présence d’un parti islamiste. En Tunisie, l’armée joue un tout autre rôle, moins politique. Ce n’est donc pas demain que l’armée et l’Ennahda parviendront à s’entendre. La possibilité de voir cela en Égypte est plus grande. Mais, là, les Frères musulmans ont un plus grand chemin encore à parcourir. L’organisation est bien davantage empêtrée dans sa vieille vision de l’homme et de la société : une vision qui tourne autour de l’harmonie. Cette harmonie doit prétendument s’en prendre à l’inégalité dans la société. Les Frères musulmans reconnaissent l’existence de cette inégalité. Même s’ils ne parlent pas de classes, mais de couches qui doivent collaborer. Un peu comme les partis chrétiens d’ici, à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Maintenant, pour en revenir à votre question : les Frères musulmans vont donc bel et bien devoir sceller un tel accord avec l’armée. Mais, pour cela,

l’organisation doit avant tout réaliser une sérieuse modernisation.

Selon vous, l’AKP peut-il être un modèle pour ces organisations ? Sami Zemni. C’est possible, mais il ne faut pas jubiler trop vite. Il est certain que les gens de gauche ne doivent pas agiter de grands drapeaux en faveur de ce modèle. Ce serait de toute façon un progrès pour le monde arabe et les intérêts du peuple seraient mieux servis qu’avec les actuels dictateurs. Les intérêts occidentaux un peu moins. En soi, c’est une bonne affaire. Mais l’AKP reste un parti conservateur modéré, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il se montre très progressiste. Vous parlez parfois de la laïcisation du MoyenOrient. Qu’en est-il ? Sami Zemni. Il faut d’abord préciser clairement ce qu’on entend par laïcisation. Le fait qu’en Égypte, on a vu aussi bien des chrétiens coptes que des musulmans sur la place Tahrir est à mes yeux une marque de laïcisation, d’individualisation et de pluralisation. Ils n’ont pas attendu l’appel d’un cheik, d’une institution ou d’une organisation. Le fait que des gens s’immolant par le feu se disent « martyrs », alors que le suicide est un grand tabou dans le monde islamique, est aussi significatif. Une grande laïcisation est en cours, mais c’est encore tout autre chose qu’une déconfessionnalisation. Les jeunes générations restent en général croyantes – on parle de 5 à 10 % d’agnostiques et d’athées en Égypte et de 15 à 20 % en Tunisie : tout cela, ce sont des approximations. Mais la foi est devenue une affaire plus personnelle et elle joue aussi un rôle de moins en moins politique. Cela vaut aussi pour les chrétiens coptes, d’ailleurs. L’Église copte avait interdit à ses fidèles de participer aux manifestations, car la hiérarchie ecclésiastique est indissociablement liée au régime de Moubarak. Nous avons entendu ce que disaient les jeunes coptes : qu’ils aillent promener ! Ce n’est pas non plus en coptes qu’ils sont descendus dans la rue, mais en citoyens. L’un des groupes Facebook à la progression la plus rapide exige d’ailleurs que la religion des Égyptiens ne soit plus mentionnée sur leur passeport.

< Thomas Blommaert

Une image du Qasr el-Nilbrug, où musulmans et chrétiens ont manifesté ensemble. « Le fait qu’en Égypte, on a vu aussi bien des chrétiens coptes que des musulmans sur la place Tahrir est à mes yeux une marque de laïcisation, d’individualisation et de pluralisation », déclare Sami Zemni. (Photo 3arabawy)


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Le racisme antimusulman inverse victime et coupable

Pas mûr pour la démocratie ? u Au nom de la guerre contre l’islamisme, l’Occident a soutenu des dictateurs, tels Ben Ali et Moubarak. Décryptage par Michel Collon. La merveilleuse révolte des Tunisiens et des Égyptiens a fait des miracles : on entend à présent les États-Unis vanter la « transition démocratique » alors que pendant des décennies, ils ont fourni aux tyrans chars, fusils-mitrailleurs et séminaires de formation à la torture ! La France, pareil. Et cette révolte plonge dans l’angoisse les stratèges du Grand Empire US, du Petit Empire français et leurs protégés israéliens. Merci, les Arabes ! Objet de cette angoisse : comment changer un peu pour ne rien changer à l’essentiel ? Comment maintenir leur domination sur le pétrole du Moyen-Orient, sur les matières premières et sur les économies en général ? Comment empêcher que l’Afrique aussi se libère ? Mais il faut aller au fond des choses. Se réjouir des premiers pas ne peut cacher le chemin qui reste à parcourir. Ce n’est pas le seul Ben Ali qui a pillé la Tunisie, c’est toute une classe de profiteurs, tunisiens, mais surtout étrangers. Ce n’est pas le seul Moubarak qui a opprimé les Égyptiens, c’est tout un régime autour de lui. Et derrière ce régime, les États-Unis. L’important, ce n’est pas la marionnette, mais celui qui en tire les fils. Washington, comme Paris, cherche seulement à remplacer les marionnettes usées par d’autres plus présentables.

Un Chávez ou un Morales Arabe ?

Des syndicalistes indépendants manifestent contre la corruption devant le siège de la Fédération des syndicats égyptiens (EFTU), dont le président est un proche de Moubarak. (Photo 3arabawy)

personne n’installe une dictature pour le plaisir de l’avion qui l’emportait. C’est la France qui a corrompus et des profiteurs seront en grand La question que les Tunisiens, les Égyptiens et ou par simple perversion. C’est toujours pour imposé et maintient les pires tyrans dans toute danger ! les autres souhaitent résoudre n’est pas : « Quel maintenir les privilèges d’une petite couche l’Afrique. “nouveau” dirigeant nous fera de nouvelles qui accapare les richesses. Les dictateurs sont Grand promesses qu’il ne tiendra pas, avant de nous les employés des multinationales. L’actuel racisme antimusulman bouleversement taper dessus comme avant ? » Leur question permet de faire d’une est plutôt : « Aurai-je un vrai travail avec un vrai Le monde change à toute allure. Le déclin des Washington salaire et une vie digne pour ma famille ? Ou USA ouvre de nouvelles perspectives pour la pierre deux coups se moque des gens libération des peuples. De grands bouleverbien aurai-je pour seule issue une barque qui ira s’échouer en Méditerranée ou dans une prison Face à la colère des Tunisiens, quel « homme Premier coup : en Europe, on divise les travailleurs sements s’annoncent… Mais dans quel sens européenne pour sans-papiers ? » nouveau » a proposé Washington ? Le premier selon leur origine (un tiers des ouvriers français iront-ils ? Pour qu’ils soient positifs, il dépend de L’Amérique latine vivait tout récemment en- ministre de l’ancien dictateur ! Face au désir ou belges sont d’origine immigrée récente) et chacun de nous qu’une véritable information core la même pauvreté de changement des pendant qu’on fantasme circule, que les doset le même désespoir. Égyptiens, qui ont-ils sur la burqa, les patrons siers honteux soient L’important, ce n’est pas la Pendant qu’on fantasme largement connus, que Les énormes profits du tenté de mettre au attaquent allègrement marionnette, mais celui qui les stratégies secrètes pétrole, du gaz et des poste ? L’ancien chef les salaires, les condisur la burqa, les patrons autres matières premiède l’armée, créature de tions de travail et les soient démasquées. en tire les fils. Washington, attaquent allègrement les Tout ceci permettra res partaient gonfler les la CIA ! On se moque retraites de tous les comme Paris, cherche salaires, les conditions coffres-forts d’Exxon des gens. travailleurs, voilés ou d’instaurer un grand seulement à remplacer les débat, populaire et et de Shell pendant Il y a cinq ans, pas. Deuxième coup : de travail et les retraites qu’un Latino sur deux l’ancien ministre français par rapport aux pays international : de quelle marionnettes usées par de tous les travailleurs, économie, de quelle vivait sous le seuil de des Affaires étrangères, arabes, l’islamophobie d’autres plus présentables voilés ou pas pauvreté, sans pouvoir Védrine, osait déclarer permet d’éviter les justice sociale les peuples ont-ils besoin ? payer le médecin ou que les peuples arabes questions gênantes. une bonne école à ses n’étaient pas mûrs pour Au lieu de se deman Or, l’information enfants. Tout a commencé à changer en 2002, la démocratie. Cette théorie reste dominante der « Mais qui leur a imposé ces dictateurs ? » officielle sur tout ceci est une catastrophe, et ce quand Hugo Chavez a nationalisé le pétrole, dans une élite française qui pratique plus ou et de répondre : l’Europe, l’Europe d’en haut, n’est pas par hasard. Dès lors, pour que ce débat modifié tous les contrats avec les multinationales, moins ouvertement le racisme anti-arabe et l’Europe des multinationales, on présente les se mène dès maintenant et partout, chacun exigé qu’elles paient des taxes et que les profits l’islamophobie. Arabes comme « pas mûrs pour la démocratie » de nous a un grand rôle à jouer. Informer est soient partagés. L’année suivante, 11,4 milliards En réalité, c’est la France qui n’est pas mûre et donc dangereux. On diabolise en inversant la clé. arrivaient dans les caisses de l’État (pendant pour la démocratie. C’est la France qui a massacré la victime et le coupable. < Michel vingt ans, c’était zéro !), et celui-ci mettait en les Tunisiens en 1937 et Or, voici le débat route des programmes sociaux : soins de santé 1952 et les Marocains fondamental, et il déCollon Il y a cinq ans, l’ancien et enseignement pour tous, doublement du en 1945. C’est la France pend de nous tous qu’il ministre français des salaire minimum, aide aux coopératives et aux qui a mené une guerre soit mené ou occulté : Affaires étrangères, petites entreprises créatrices d’emplois. En Bo- longue et sanglante pourquoi les États-Unis, \ La version livie, Evo Morales a fait de même. Et l’exemple pour empêcher les la France et compagnie Védrine, osait déclarer que complète de cet se répand. Atteindra-t-il la Méditerranée et le Algériens d’exercer leur – qui n’ont que le mot les peuples arabes n’étaient « démocratie » à la article « Le monde Moyen-Orient ? À quand un Chávez ou un Evo droit légitime à la soupas mûrs pour la démocratie bouche – ne veulent change, et nous arabe ? Le courage de ces masses en révolte veraineté. C’est la France mérite une organisation et un leader, honnêtes qui, par la bouche d’un en réalité absolument avons un grand et décidés à aller jusqu’au bout. président négationniste, pas d’une véritable rôle » figure sur le site Investig’Action Une véritable démocratie politique est refuse de reconnaître ses crimes et de payer démocratie ? Parce que si les peuples peuvent www.michelcollon. impossible sans la justice sociale. En fait, les ses dettes aux Arabes et aux Africains. C’est décider eux-mêmes comment utiliser leurs info deux problèmes sont étroitement liés. Car la France qui a protégé Ben Ali jusqu’au pied richesses et leur travail, alors les privilèges des


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Interview d’Alain Gresh (le Monde Diplomatique)

« Les États-Unis ont perdu un levier important de leur politique régionale »

Alain Gresh

u Les révolutions tunisienne et égyptienne provoquent un énorme bouleversement politique et économique. Elles remettent aussi en cause le rôle des États-Unis, de l’Europe et d'Israël. La région qui va du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord a une importance stratégique due à ses vastes réserves de gaz et de pétrole, ainsi que l’importance du canal de Suez qui lie la Méditerranée à la Mer Rouge. Ces deux éléments donnent un poids géopolitique à l’Égypte. Dès lors, l’Europe a longtemps hésité avant de demander à Ben Ali et Moubarak de s’en aller. Certains membres du gouvernement français ont même reçu des faveurs personnelles de ces dictateurs. Ces faits interpellants reflètent la stratégie de défense des intérêts de l’Occident. C’est donc l’occasion d’une rencontre avec Alain Gresh, spécialiste du monde arabe et directeur adjoint du Monde Diplomatique. Né en Égypte, il est aussi président de l’Association des journalistes français spécialisés sur le Maghreb et le Moyen-Orient (AJMO).

Mai 2010 : des jeunes Palestiniens jettent des pierres sur une jeep israélienne. L’Égypte cautionnait un processus de paix israélo-palestinien qui n’a plus aucun contenu. (Photo Edo Medicks) contradiction avec tout ce qu’on savait sur ces pays, notamment qu’ils étaient gouvernés par des élites qui non seulement construisaient un système autoritaire, mais en outre pillaient le pays.

La crise socio-économique que traversent aujourd’hui ces pays trouve son origine non seulement dans les pillages par les élites, mais ne se trouvent-elles aussi dans la politique de libéralisation et de privatisation imposée par le FMI Peut-on dire qu’il y avait et la Banque mondiale ? une certaine connivence Alain Gresh. Ce sont en effet surtout entre Moubarak et Ben la France et l’Union européenne qui Ali, d’une part, et les ont fait pression pour l’adoption de ces dirigeants politiques réformes de libéralisation et qui en ont profité. Mais les élites au pouvoir en européens, d’autre part ? Alain Gresh. Il s’agissait d’une ont bénéficié aussi. Ces libéralisations connivence totale. Ça fait des années et surtout la privatisation de grandes qu’on cautionne dans toute la région, entreprises en Égypte et en Tunisie au Maghreb comme au Proche-Orient, ont profité à une toute petite élite qui des régimes autoritaires. Cela s’est s’est enrichi massivement. Quand on fait essentiellevoit les sommes ment sur base qui sont mainte« Ça fait des années d’un argument nant attribuées à qu’on cautionne que ces régimes M. Moubarak ou dans toute la eux-mêmes nous M. Ben Ali, il s’agit ont fourni, c’est-àde dizaines de milrégion des régimes dire « c’est nous ou liards de dollars. Ce autoritaires. » les islamistes ». La sont des sommes menace islamiste a, absolument énornotamment après mes. Évidemment, le 11 septembre, servi de prétexte cela se faisait au vu et au su de nos pour une politique qui ne consistait dirigeants qui par ailleurs parlent de pas seulement à avoir des relations « lutte contre la corruption ». À l’inverse, diplomatiques normales avec ces on pourrait dire que ces pays se sont régimes, mais même de leur donner ancrés dans la mondialisation et ont une caution en disant qu’ils « allaient développé des relations économiques vers la démocratie, même si c’était importantes avec notamment l’Union un peu lent ». Cela était en parfaite européenne.

relais de la politique américaine et Parmi les causes de ces israélienne dans la région. L’Égypte révolutions, on pointe était à l’avant-garde de la lutte contre souvent la situation l’Iran et contre le Hamas à Gaza, et économique au sein cautionnait un processus de paix de ces pays… israélo-palestinien qui n’a plus aucun Alain Gresh. Tout à fait. L’économi- contenu. L’Égypte était vraiment un que et social, c’est-à-dire la pauvreté pilier fondamental et cela, je pense, et les inégalités, ont fourni la poudre. va changer. Cela ne veut pas dire que Ce qui a, ensuite, fait exploser cette l’Égypte va rompre le traité de paix poudre a été le caractère insuppor- avec Israël, mais on va sans doute table de la domination autoritaire assister à une politique égyptienne et dictatoriale. L’arbitraire total du plus indépendante, plus revendicative, pouvoir ne se limitait mais pas forcément pas seulement aux antioccidentale. Un « La situation va opposants politiques, peu comme le modèle profondément mais s’étendait à tous turc peut-être. Un pays modifier le les citoyens. Mais qui est membre de l’étincelle qui a fait l’OTAN, qui a d’excelmonde arabe. » exploser la Tunisie a lentes relations avec été un marchand de les États-Unis, mais 4 saisons qui n’avait qui, en même temps, rien de politique et à qui on a confisqué depuis quelques années, acquiert pour la énième fois son gagne-pain. Et un poids autonome. L’important se on ressent la même chose en Égypte, trouve là. Ces pays vont redevenir une volonté de retrouver cette dignité. des acteurs de la scène régionale et Le socio-économique forme la base, internationale. mais la révolte va au-delà de ça. Vous ne craignez pas que Au vu de l’importance les États-Unis essayent stratégique de l’Égypte, d’influencer ces révoltes, est-ce que ces révoltes notamment à travers menacent les intérêts des les liens qu’ils ont avec l’armée égyptienne, pour États-Unis et l’Europe ? Alain Gresh. Les peuples ne se garantir leurs intérêts ? positionnent pas en premier lieu par Alain Gresh. Les États-Unis sont rapport à l’Occident ou aux États- une grande puissance et ils ont un Unis. Ils veulent tout simplement certain nombre de moyens d’action. redevenir maîtres de leur destin et Ceci étant, on a vu aussi les limites de pouvoir définir eux-mêmes leur pro- ces moyens. Il ne faut pas surestimer pre politique. Mais cela va forcément la capacité des États-Unis à agir changer énormément de choses. dans une telle crise. À long terme Depuis des années ces pays étaient par contre, ils disposent de certains sous la coupe des États-Unis. Surtout moyens, comme l’aide à Israël, l’aide l’Égypte était devenue une sorte de alimentaire et les relations militaires.

Pour les États-Unis, le plus important est évidemment la paix entre Israël et l’Égypte. Je ne crois pas que cela sera remis en cause, mais de toute façon, je pense que les États-Unis ont perdu un levier important de leur politique régionale et ça, c’est quelque chose qui me semble très important.

On voit maintenant des révoltes partout dans le monde arabe. Ces deux révolutions peuvent-elles vraiment entraîner des changements profonds dans le reste de la région ? Alain Gresh. Les ingrédients essentiels des explosions en Égypte et en Tunisie sont présents dans tous les pays arabes : crise économique et sociale, autoritarisme et une jeunesse qui arrive massivement sur le marché du travail sans trouver un emploi. Maintenant les régimes sont différents d’un pays à l’autre. Chaque pays a sa particularité, mais on sent partout cette volonté de retrouver cette dignité et le droit à la parole. Les pouvoirs le sentent encore mieux. Pratiquement partout encore avant que les révoltes se répandent, il y a eu des concessions. Parfois de type financier, comme à Bahreïn et au Koweït ; en Syrie, on a rétabli des subventions ; au Yémen, le président a renoncé à la présidence à vie et, en Jordanie, on a changé de gouvernement. Il me semble que, quelle que soit la suite des évènements, il y a déjà une situation qui a changé et qui va profondément modifier le monde arabe.

< Marc Botenga


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Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

états-Unis/Europe

Une domination mondiale menacée par les révolutions arabes u « Celui qui contrôle le pétrole du Moyen-Orient tient les économies de l’ensemble du monde par la gorge », a un jour déclaré Dick Cheney, l’ancien vice-président de George W. Bush. Or, les révolutions dans le monde arabe pourraient remettre en cause ce contrôle américain, et plus globalement occidental. L’Arabie saoudite, l’Irak, les autres pays arabes et l’Iran renferment deux tiers des réserves de pétrole de la planète. Le contrôle du Moyen-Orient n’a cessé d’être une des priorités de la superpuissance étatsunienne. Pas tellement pour combler ses propres besoins en pétrole – le continent américain est son principal fournisseur – mais pour tenir les autres économies du monde (l’Europe mais aussi la Chine) « par la gorge » en contrôlant le robinet du pétrole. Ceci explique le soutien américain aux monarchies arabes du golfe Persique, à l’occupation sanglante de l’Irak, aux menaces de guerre contre l’Iran. Dans cette région se trouve aussi le canal de Suez, qui relie la Méditerranée à l’océan Indien, une des routes de navigation commerciale et militaire de la plus haute importance stratégique. Enfin, une grande partie de ces pays arabes sont en bordure de la Méditerranée. Les bas salaires ont attiré un grand nombre d’investisseurs occidentaux européens. L’industrie textile belge a ainsi délocalisé plusieurs entreprises en Tunisie. L’importance cruciale de la région pour les puissances occidentales explique leur soutien inconditionnel à Israël, n° 1 de l’aide américaine militaire avec 3 milliards de dollars, et qui remplit pleinement son rôle de gendarme occidental dans la région. Elle permet aussi de comprendre

leur alliance avec l’Arabie saoudite, le pire ennemi de la démocratie dans le monde arabe. Pays à qui les états-Unis vendront au cours des deux prochaines décennies pour plus de 60 milliards de dollars d’armes, un record annoncé par Obama fin 2010. Cet enjeu économique et stratégique explique aussi que les étatsUnis ont soutenu les dictatures en Tunisie et en Egypte et soutiennent encore les régimes pro-occidentaux en Jordanie, au Yémen, à Bahreïn, au Maroc et ailleurs.

Gouvernement belge Aujourd’hui, Obama, Merkel, Sarkozy et les autres dirigeants occidentaux rivalisent en déclarations de soutien aux « aspirations démocratiques des peuples arabes ». Mais peut-on les croire ? Ils connaissaient tellement bien la nature des régimes dictatoriaux arabes que c’est aux tortionnaires de l’armée de Moubarak que la CIA livrait à la torture des prisonniers venus d’Afghanistan et d’ailleurs. Le gouvernement belge n’est pas en reste. Dans le cadre de la présidence européenne en automne 2010, le site du ministère des Affaires étrangères vantait les mérites du partenariat de l’Union européenne avec la Tunisie. On pouvait y lire que « l’accord d’association instaure un dialogue politique régulier. A l’instar des autres partenaires méditerranéens, le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme en constitue un volet essentiel. »1. Aujourd’hui, Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Herman Van Rompuy plaident tous pour une transition rapide et dans l’ordre. Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a déclaré : « Nous avons une grande expérience en matière

Deux tiers des réserves mondiales de pétrole se situent dans le monde arabe et en Iran. On comprend mieux le soutien américain à l’occupation sanglante en Irak (photo) et aux monarchies arabes. (Photo The U. S. Army) de démocratie. Nous pouvons donc aider l’Egypte à réaliser la transition. » Or, l’expérience des peuples des pays arabes est que cette Union européenne et les états-Unis ont surtout de l’expérience dans le soutien à des dictatures brutales au Caire, à Tunis et ailleurs, durant des décennies… Mais aujourd’hui, les puissances occidentales font tout pour limiter les dégâts. Et la démocratie n’est pas leur préoccupation. Ils soutiennent les régimes de transition, comme le gouvernement Ghannouchi (premier ministre sous Ben Ali depuis 1999) en Tunisie ou celui des généraux (proches du Pentagone) en Egypte, des régimes composés des anciennes élites. Ensuite, ils préparent l’avenir pour garantir leurs intérêts. Ainsi le New York Times du 12 février révélait que

des plans existent pour un glissement d’une partie du soutien financier militaire étatsunien à l’Égypte vers des « fonds qui contribueront à la création de partis politiques » favorables à Washington.

Les plans américains bouleversés Dans la mesure où les révolutions pourraient réussir à instaurer des gouvernements populaires, comme on l’a vu en Amérique latine les dix dernières années, c’est la stratégie planétaire des États-Unis qui pourrait chanceler. Fin 2010, Barack Obama considérait le Moyen-Orient suffisamment « pacifié » – lisez sous contrôle nordaméricain – pour pouvoir se concentrer sur ce que les milieux dirigeants US considèrent comme leur plus grand défi : la Chine émergente. Des experts prédisent que, d’ici deux décennies, l’économie chinoise, aujourd’hui n° 2 mondial, aura rattrapé les États-Unis, une évolution qui ne plaît aux multinationales US. Cet été Obama, Hillary Clinton, secrétaire d’état (chef de la diplomatie) et Robert Gates, ministre de la Défense,

Le 20 février dernier, des milliers de manifestants scandaient dans les rues de Rabat, au Maroc : « The people want change » (Le peuple veut du changement). Si les révolutions du monde arabe arrivent à mettre en place des gouvernements populaires, c’est la stratégie planétaire des ÉtatsUnis qui pourrait chanceler. (Photo Belga)

s’étaient rendus dans différents pays asiatiques, avec pour but de creuser les divergences entre la Chine et d’autres pays du continent. La Septième flotte de l’armée américaine avait entrepris dans le même temps des grandes manœuvres près des côtes chinoises. Tout en décrochant de nouvelles facilités portuaires pour ses navires de guerre en Asie du Sud. L’encerclement militaire du géant asiatique se resserrait, loin des caméras. Aujourd’hui, les révolutions et soulèvements dans le monde arabe bouleversent entièrement ces plans. Après la Tunisie et l’Égypte, plusieurs régimes clés de la région risquent de tomber. Par exemple, Bahreïn, qui abrite la Cinquième flotte américaine. Jamais Washington ne s’était imaginé devoir envisager de quitter cet émirat du golfe Persique un jour. Autre exemple. Le Yémen, au sud-ouest de l’Arabie saoudite. La chute d’Ali Abdullah Saleh, un autre dictateur pro-US, porterait le danger aux portes du royaume saoudien. Or, si l’Arabie saoudite « tombe », Israël même se retrouverait orpheline… C’est le dernier pion du domino US dans la région qui serait alors en danger. Des défaites des régimes arabes encourageront les peuples des continents africain, américain et asiatique, qui vivent encore sous des dictatures similaires, à s’affranchir également. George W. Bush et l’élite dirigeante de Washington espéraient en 2001 faire du 21e siècle LE siècle de la domination absolue nord-américaine. Or, la première décennie de ce siècle pourrait devenir la dernière de la suprématie étatsunienne.

< Baudouin Deckers 1. diplomatie.belgium.be


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Supplément à Solidaire 8 du 24 février 2011

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